by Lucian Durden
Lucian Durden a 34 ans. Il est membre fondateur des Écrivains mendiants de Paris.
Ancien chef de la succursale des Flandres de l'École des tripes et amis du foie de veau. Publications dans le Bulletin de la société Jules Verge N° 45, 2ème trimestre. Il occupe les fonctions de
directeur de la WithoutBooks Publishing en Pennsylvanie. Ah oui, il est aussi hétérosexuel. C’est notre quota légal dans l’équipe du blog Les Toiles Roses.
Amies, amis, admiratrices, admirateurs, qui par hasard passez par là, ne vous… ne pensez pas que… bref, je
vais tout vous expliquer.
C’est à cause d’un copain, je le croyais tel, qui m’a mis en relation avec un certain Daniel Hall. Type
véritablement sympa jusqu’à ce qu’il me dise être le créateur d’un blog de gays, pis, qu’il était lui-même homo comme pas deux ! Mais j’étais coincé, je ne pouvais pas fuir. J’ai continué à
discuter comme si de rien n’était, en lui plaçant, dans la conversation, que j’étais hétéro, mais ces gens-là comprennent « presque homo » lorsque vous leur dites
« hétéro » ; du coup il m’a demandé si je ne voulais pas écrire un petit billet sur son blog rose. Coincé que j’étais…
Première aventure
Une semaine que les propos de Hall résonnent dans mon crâne d’homme sain, au point que pour tenter de les
oublier je décide de passer la journée à me mettre la plus grosse cuite de ma vie. Je prends ma caisse, mes cliques et mes claques et file direction Paris. Blog d’homo, et puis quoi
encore ?..
Un bar puis un autre, et encore un autre, je me répète que rien n’est plus viril qu’une bonne biture.
J’ouvre un œil. Pour une raison qui n’appartient qu’à l’alcool je m’aperçois que je suis arrivé dans une librairie sans que je me rappelle comment. Devant moi une femme tourne les pages d’un
livre de photographies, son regard sombre me renvoie à un délicieux souvenir, Sophie… la plus belle fille du lycée… je me reprends. La femme aux airs de Sophie achète un livre dans lequel – je le
vois par-dessus son épaule – des femmes se chatouillent le sexe avec leurs orteils. Une lesbienne ! Putain, qu’est-ce qui m’arrive ? C’est ce salopard de Hall qui m’a jeté un
sort !
Sur le trottoir le soleil m’agresse les rétines rendues hyper-sensibles par la gnôle, faut que je marque une
pause dans ma tentative de ne pas devenir une tafiole de bloggeur rose. Faut dire qu’il n’est que dix-sept heures. Je me rends sur les bords de la Seine et m’arrête pour regarder ces gens en
maillots de bain allongés sur des transats au milieu des voies sur berge. Comment peut-on accéder à ce niveau de ridicule et d’ineptie ? Je jette un œil quand même, au cas où une des
donzelles déciderait de se foutre à poil et de plonger dans la Seine. L’alcool s’échappe par tsunamis réguliers de mon front et de dessous mes bras, ce foutu soleil, mon corps réclame un peu de
compassion. Juste avant que je choisisse d’aller m’enfermer dans la fraîcheur d’un rade de la place Saint-Martin non loin, je vois deux flics montés sur des rollers mettre une contredanse à une
fille qui a enlevé le haut. J’ai envie d’applaudir et de gueuler « hourra ! ». Dans ce pays des filles nous montrent leur cul à la télé pour nous vendre de la margarine ; à
tous les coins de rue il y a des panneaux publicitaires aussi grands que des piscines olympiques sur lesquels on peut voir des photos de nanas en sous-vêtements, des plans si serrés qu’on n’a pas
besoin de faire un effort pour imaginer les plis de leurs foufounes, et là, amende pour nichons à l’air ! Sans doute des bureaucrates parisiens ont pensé que les types témoins de la scène
péteraient les plombs, des types tellement excités qu’ils se jetteraient dans la Seine par paquets de cent pour se refroidir. Moi je dis qu’il est plus excitant de voir deux femmes s’embrasser
que de voir une paire de loches – faut chasser toutes les gouines de la ville avant qu’elles créent des émeutes ! Ou des accidents, c’est vrai quoi, elles se roulent des pelles quand même !
Merde !
J’entre dans le bistrot. Je veux un grand café serré. Quelques ouvriers en bleu de travail parlent entre eux
à voix basse, une adolescente écoute béate un téléphone portable collé à son oreille en faisant tourner ses cheveux autour d’un index mince et pâle, un type exhibe ses sacs en carton recyclé
estampillés en grosses lettres : Calvin Klein, Prada ou Boss. Un pédé je suis sûr. Quant à moi, je me concentre devant mon mug pour ne plus entendre les propos de Hall, pour ne plus
l’associer instantanément à des images du style « fesses » ou « vibromasseurs ». Je règle mes deux euros et trente cinq centimes au serveur qui a la même coupe de cheveux
improbable que l’autre folle-dingue de La Nouvelle Star – putain ce qu’il me tape sur le système lui, avec ses manières… on se croirait dans la cage aux folles… qu’il soit pédé, bon,
mais que ses parents tolèrent un truc pareil, ça me dépasse… ouais, si c’était mon gamin je… non, pas possible, pourrait pas être mon fils… ah beurk ! – je m’en vais, laissant suspendus à
leur temps les autres acteurs du bistrot. Dehors, le soleil encore, toujours, qui darde une foule de crânes et brûle quelques épaules. Je déteste la chaleur, le soleil, tout le cortège d’images
qui s’y rapporte : la plage, le bronzage, le sud, les gens du sud, leur mentalité de merde, les tafioles huilées qui se dandinent à Ibiza, et tout le reste. Près de moi des femmes parlent
entre elles du festival de Cannes, supputent les chances des films présentés de remporter la palme, éclatent de rire en prononçant les mots Brad, Huppert, Pitt, et Isabelle. Je n’en peux plus,
les voix de la rue résonnent et se multiplient, me torturant, m’engluant dans leurs pathétiques futilités, mais je suis sûr que c’est le quartier qui veut ça. Bon, je vais lui faire son article,
je suis un type intelligent, bien élevé, dépourvu de préjugés, c’est vrai qu’on pourrait croire que j’aime pas les pédés, mais c’est pour rire, je dis pédé… c’est affectueux. Décidé, je ne serai
plus esclave de la virilité gaillarde qui me pousse à fréquenter des bars louches dans lesquelles dansent sur des sièges amarantes des filles aux jambes parfaites, ouais, je vais arrêter de
mettre régulièrement la main dans mon ben pour remettre mon paquet en place… je vais laisser ressortir ma sensibilité.
Pour preuve que les propos de Hall ne me font pas peur, pour preuve que je suis un type tout à fait ouvert,
je vais aller prendre une bière au Coxx !
Je reste quelques minutes planté sur le trottoir d’en face, je fume un clope et prends la mesure de ma
nouvelle résolution. Sur cent clients quatre-vingt cinq sont chauves et bodybuildés, ce qui me fait penser que la sodomie fait tomber les cheveux et augmenter le taux de testostérones…
j’enculerai plus jamais ma femme ! Allez, un peu de courage. Je traverse et me fraye un chemin au milieu de toutes ces bites, pas une seule nana, je commande une bière au barman qui ne
remarque même pas que je suis hétéro, à moins qu’il s’en cogne… peut-être même, je me surprends à penser, que se sont des types comme les autres… qu’ils ne regardent pas les autres hommes comme
des culs probablement accessibles… peut-être même que je pourrai me rendre aux toilettes sans que ça se termine par une proposition de pipe à l’eau savonneuse, bouche sismique et jet de
foutre ! Étrangement je ne suis pas mécontent d’être là… Pendant que mes lèvres se collent à la transparence de ma chope de bière et que mon regard se pose sur la plus haute partie visible
des cuisses de Sophie que je revoie en songe le barman termine de descendre d’un tabouret. Je ressens l’envie irrépressible d’aller me toucher dans les toilettes, histoire de jeter au milieu
d’une boule de papier hygiénique toute cette énergie de type éméché dont je ne sais que faire. « Les gosses que je vais mettre au fond des chiottes ne deviendront pas des pédés ou des
gouines ». Je me lève, emporte ma bière, m’enferme dans une des cabines, pose la chope sur l’émail de la chasse d’eau et abaisse mon pantalon. Je me tiens debout face à ce chiotte
accueillant et entreprends de secouer le bout d’inhumanité qui pendouille entre mes jambes, cette chose qui torture mes pensées mais qui peine visiblement à combattre. Je ferme les yeux et passe
en revue un stock d’images pornographiques que je garde dans un coin de la tête et qui ont déjà fait leurs preuves – langue de femme dans femme, cul ouvert et brillant de foutre, soupirs, bites
et cris – mais rien n’y fait, alors je presse davantage ce sexe et le fait bouger dans tous les sens, serrant les dents comme dans la colère et répétant « Allez bordel !
Allez ! », avant de fondre en larmes. Je m’assois sur la cuvette et me prends la tête à deux mains. Je ne comprends pas ce qui m’arrive ni pourquoi je ne me tire pas loin d’ici. Je
reste un moment à me morfondre, seul, le cul sur ce Paradis véritable, celui qui accueille des hommes. Là-dessus nous passons une vie à partir en merde avant de partir en cendre. C’est à n’y rien
comprendre.
Je reviens au bar et commande une autre bière. Autour de moi des types discutent de choses et d’autres,
plaisantent…. Pas un qui se dandine avec un sac à main au creux du coude replié, pas un qui se trémousse… Je commence à comprendre. Un coup de Hall ! Un complot ! Il les a prévenus que
je venais et les a briffé ! Putain, heureusement qu’on n’est pas cons chez les hétéros, ils avaient presque réussi à me faire croire que les pédés étaient des types normaux. Sacré
Hall ! On ne me baise pas comme ça…
TO BE CONTINUED…
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