(Some like it
Camp)
par Tom
Peeping
Tom Peeping (T.P. pour les intimes, comme Tippi Hedren) aime se
promener sur les chemins de traverse du 7ème art et de la télé et s’arrêter pour soulever des pierres. Les films qu’il y déniche, la plupart méconnus ou oubliés, méritent pourtant leur place près
de l’arc-en-ciel. Camp, kitsch, queer ou trash, ils racontent une histoire du cinéma des marges. Gays sans l’être tout en l’étant, ils espèrent retrouver dans cette rubrique leur fierté d’être
différents.
Tom Peeping, quand il ne visionne pas quelque rareté de derrière les fagots, est conférencier en histoire de l’art et fréquente assidûment les
musées parisiens pour y gagner sa vie de vive voix. Il est né dans les Sixties, la décennie du Pop Art, des Yéyés et des Go-Go Girls.
Le sommet de la carrière filmée de Judy Garland n'est-il pas la série de shows TV qu'elle a faite pour CBS
en 1963-1964 : The Judy Garland Show ?Elle y est insurpassable.
Cette série de 26 shows télévisés de 1 heure que Garland a tournée dans les studios CBS de Los Angeles
devait donner une nouvelle orientation à sa carrière. CBS pensait que le public serait ravi de retrouver Judy à la télé dans un show régulier et Garland, qui avait 41 ans, avait cruellement
besoin d'argent. Un deal est signé. Judy chantait, dansait, jouait des sketchs, seule ou avec des artistes invités (c'est là qu'elle a fait débuter Streisand à la télé par exemple) et même ses
enfants. Elle faisait ses numéros solo devant un public live (comme en concert) et enregistrait les sketchs. Un peu comme les shows de Maritie et Gilbert Carpentier, mais en N&B.
Les décors étaient simples et épurés, d'une stylisation jamais vue à la télé jusqu'alors. Un décor récurrent
était celui dans lequel Garland chantait la plupart de ses numéros solo : sur une scène prolongée par un catwalk qui allait vers le public, une grosse malle de voyage était posée. C'est Garland
elle-même qui avait voulu cet unique accessoire, qui devait symboliser pour elle toute une vie de vagabonde du spectacle.
Mais Judy avait bien changé physiquement depuis ses films musicaux et les téléspectateurs se sont sentis mal
à l'aise de retrouver leur Dorothy prématurément vieillie. De plus, la concurrence était rude avec la chaine rivale NBC, qui passait à la même heure la nouvelle série
Bonanza... en couleurs. Les shows ont commencé à ramer et CBS a décidé de les stopper au 26ème numéro, plongeant Garland dans une profonde déprime et provoquant la colère
des vrais fans et des critiques, qui avaient perçu le caractère exceptionnel du projet et l'investissement physique personnel stupéfiant de Garland. Ses biographes sont tous d'accord sur le fait
que cet échec a précipité sa fin (Judy Garland est morte en 1969, à 47 ans).
Les 26 numéros du Judy Garland Show restent un moment unique de l'histoire du showbiz
télévisuel et Garland n'y a jamais été aussi proche, humaine, drôle et bouleversante. Par exemple, son interprétation de "Old Man River" dans le show #1 (voir extrait YouTube ci-dessous), est une
expérience émotionnelle sans équivalent pour un admirateur de Judy et à mon humble avis la meilleure version jamais interprétée de cette chanson magique. Son interprétation du "Battle Hymn of the
Republic" (Glory Glory Hallelujah) qu'elle a chanté dans son Show au lendemain de l'assassinat de Kennedy, est un morceau d'un lyrisme désespéré inoubliable et fut la séquence la plus applaudie
de l'ensemble des programmes. C'est dans ces shows qu'on peut mesurer, s'il en était encore besoin, combien elle a été une artiste absolument complète.
L'ensemble du Judy Garland Show est disponible en DVD Z1 (remasterisé, qualité vidéo
et audio stupéfiante) en deux coffrets qui sont assez chers mais qui sont inestimables pour les fans.
Et tant que j'y suis, une autre édition concernant Judy Garland : Judy Garland Speaks! qui est une rareté absolue sortie en CD (googlez pour le trouver). Ce sont les
bandes sonores que Judy Garland a enregistrées chez elle sur un magnétophone entre 1963 et 1967 dans le but de documenter une autobiographie qui n'a jamais vu le jour. Les bandes sont conservées
aujourd'hui à la Columbia University de New York. En tout, 90 minutes d'enregistrements de Garland toute seule face à son micro, qui raconte sa vie, ses succès et ses échecs personnels et
professionnels. Elle n'a pas la langue de bois et dit tout ce qui lui passe par la tête.
Comme les bandes ont été commencées après la débâcle de son show sur CBS, le début en est très amer... pour
s'enfoncer encore plus au fur et à mesure de l'enregistrement. On entend souvent le bruit des glaçons dans le verre de whisky (elle termine souvent un enregistrement ivre morte). Au final, c'est
une Judy Garland totalement désabusée par sa carrière qui révèle toute sa rage contre le système hollywoodien et sa terreur devant ses propres démons. Elle parle aussi de ses quelques souvenirs
heureux, comme sa rencontre avec Mankiewicz ou Minnelli (mais pas sur le même ton de la fin de leurs relations), ses enfants et ses performances scéniques. Plus on avance dans l'écoute, plus un
sentiment de malaise nous prend et l'expérience finale en tant qu'auditeur est plutôt désagréable. Judy Garland, défaite et d'une voix cassée, crache son amertume dans la seconde partie (elle
insulte même ses fans, c'est-à-dire nous), parle beaucoup du désastre de sa vie privée et de son instinct de survie face à la mort qui semble la guetter. Quand on sait comme tout cela a fini, on
a vraiment l'impression d'entendre un fantôme qui n'a pas trouvé le repos qui nous parle depuis la tombe. Bref, une écoute morbide que je ne recommande pas du tout à qui veut garder l'image
rayonnante de la Judy Garland qu'on aime. Un document exceptionnel mais éprouvant. Je ne connais rien de semblable pour aucune autre star de la magnitude de Judy Garland.
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