JE SUIS UN HOMME
Papy Potter
Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit
au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le
chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses
spiritualités du monde.
1943 : je ne suis pas un homme. Personne, à Buchenwald, ne me considère comme tel. Je suis encore moins que les autres sur cette saleté d'échelle hiérarchique où on pose des triangles, voire des étoiles
toutes en couleurs. Moi, je suis un triangle rose. Un jour, on lâchera les chiens sur moi et ils me dévoreront vivant. Mais peut-être qu'avant, on m'aura castré, trépané, opéré au cerveau. Quand
la guerre sera finie, je serai un de ces oubliés de l'histoire. Ceux qui auront survécu se tairont, se cacheront, ou s'ils parlent, personne ne les écoutera. Ils auront subi des tortures
innommables. Mais alors que d'autres ont le droit de le faire savoir, eux, ne le pourront pas. Ils resteront dans l'ombre, avec ce deuil impossible leur collant à la peau comme un troupeau de
puces. Un deuil plus noir que tout car ils n'auront même pas le droit d'en pleurer. Et toi, joli gay du Marais, tu as lu le témoignage de mon ami Pierre Seel ? Non ? Alors, toi non plus tu n'es pas un homme. Tu as peur de regarder les choses en face ? Lis son bouquin, chéri. Ça fait partie des
choses que tout pédé doit savoir.
1969 : je ne suis pas un homme. Je
suis une pauvre tapette que les flics adorent tabasser quand ils descendent dans le bar où je drague. Mais à New York, c'est la révolution. Trois jours que les travelos gueulent leur colère dans
la rue. Des types en cuir qui hurlent des choses du style : « Plus jamais on ne va la fermer. Vous allez nous entendre crier jusqu'au fond de vos tombes. » Je suis assis sous une porte
cochère et je regarde cette foule de pédés déchainés. Demain, peut-être, plus aucun flic n'osera me frapper. Ça serait trop cool.
1998 : je ne suis pas un homme. Un
homme, au moins, a le droit de se marier. À moi, on laisse le choix entre un mariage avec une femme et une sorte de sous-mariage auquel on n'a même pas donné de nom convenable. Le PACS, ça
s'appelle. Et si je veux embrasser mon mec dans la rue, ou me promener avec lui, main dans la main, il vaut mieux que je soie une femme. Sinon, je prendrais sur la tronche. Tous les amours ne
sont pas bons à afficher. Quand je vous dis que je ne suis pas un homme.
2008 : je ne suis pas un homme. Je
vis en Belgique, ce pays merveilleux où les homos peuvent se marier et adopter des gosses. Mais j'habite un de ces petits coins de province où, si tout le monde sait que j'en suis, on préfère
quand même que cela ne se sache pas trop. Et je ne peux toujours pas embrasser mon mec dans la rue. J'ai essayé, un jour. Et je me suis pris un coup de poing dans la gueule. Je n'ai pas porté
plainte. Pourquoi ? Sans doute parce qu'au fond de moi, quelque chose me dit que je ne suis pas un homme et que ce coup de poing dans la gueule, je l'ai bien mérité.
2010 : je suis un homme. Parce
qu'un homme, c'est un type qui a des droits. Les droits auquel il a droit. On m'a donné in extremis le droit de donner du sang. Avant, je ne pouvais pas. Mais il reste un poil qui gratte
quand même. Mes amis cathos me disent que j'irai en enfer. Je leur réponds que le dieu auquel je crois m'a fait pédé. Parce qu'il faut des pédés dans le monde. Les pédés, c'est nécessaire à
l'équilibre du monde. S'il y avait pas de pédés, le monde il irait mal. Et puis d'ailleurs, les religions les plus homophobes, elles sont monothéistes. Pourquoi ? Ben, parce qu'elles n'ont qu'un
seul dieu et qu'elles veulent donc couper tout ce qui dépasse. Mais ça, hein, c'est mon opinion. Et j'ai le droit d'avoir une opinion parce que je suis un homme. Et parce que je suis un homme,
j'ai le droit de dire qui je suis et ce en quoi je crois. La dernière des révolutions des homos, elle portera sur la spiritualité. Grâce à eux, les églises, derniers bastions de la haine,
deviendront enfin des portes sur l'amour. Vas-y, chéri, dis-nous qui tu es et dis-nous qui tu aimes. Parce que c'est cela, être un homme.
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