Le mur murant nos esprits
rend nos esprits délirants
par Gérard
Coudougnan
Stonewall ? Trop américain pour moi, trop vieux aussi même si je suis né en 1962. Ma culture de la
différence s'est construite avec Dominique Fernandez et Yves Navarre, le Gai pied des années Hocquenghem et Le Bitoux, avec quelques polars crypto-gays (Maurice Périsset) puis un éditeur
(H&O), devenu ma (p)référence. J'ai lu dans Pulp Friction (déjà commenté ici) qu'une littérature où les gays sortaient de l'ombre était, aux USA, en ébullition avant les émeutes de
Stonewall. L'école historique marxiste, oui, celle de la « lutte des classes », comme la Nouvelle Histoire de Braudel mettent en avant des mouvements de fond qui semblent donc avoir ici
atteint leur paroxysme dans cette rue, devant ce bar, cette nuit-là mais qui ne pouvaient pas ne pas aboutir à un autre résultat, fût-ce ailleurs et sous une autre forme : il fallait que cela
explose !
Au pays de Cambacérès (de Pétain et de Pierre Seel) nous avons connu un cheminement différent, à ne pas
dissocier sans doute de la laïcisation de la société. Laïcité, terme intraduisible en arabe, ce qui promet sans doute à nos « frères » musulmans (en général : Iran, Indonésie et Afrique
inclus) un combat encore plus rude dans des sociétés où la contestation la plus structurée se concrétise dans une volonté de retour aux temps idéaux d'un Prophète (la paix et la bénédiction de
Dieu soient sur lui) du VIIe siècle…
Nous avons en occident des lieux où copuler tranquillement « entre nous » moyennant un droit
d'entrée, certains quais, certains bois, certaines dunes offrent en plus le « piment » supplémentaire de l'illégalité. Ceux qui veulent se pacser peuvent signer un contrat minimal qui
leur donnera le droit de jouer au couple installé, et, en cas de malheur, de vraies protections : merci à ceux qui se sont battus pour ce point de départ vers de nouvelles conquêtes juridiques et
humaines, car il y a encore bien des murs à faire tomber.
Stonewall : le mur de pierre. Une chanson de Mecano (« Une femme avec une femme », excusez
l'indigence de mes références) dit : « Avec mes pierres, elles construiraient leur forteresse ». J'ai construit les premiers contreforts de la mienne avec celles fournies par une
famille catholique pour qui les pédés sont des malades dangereux, des exilés volontaires qui peuvent crever.
Mon mur de pierres s'est agrandi, renforcé et élargi aussi : il y avait de la place pour beaucoup d'amis et
de personnes ouvertes, intéressantes. Mais il était toujours là. Il a commencé à vaciller en 2004 et depuis il est en ruine : mon Stonewall est tombé. Je suis handicaPÉDÉbutant : une maladie
orpheline m'a rendu pendant deux années tétraplégique, incontinent, muet… J'ai survécu, accroché au seul espoir de recommencer ma route interrompue aux côtés de Bernard, qui ne m'a jamais lâché
la main. Pédés de service dans les hôpitaux et centres de rééducation, c'était un nouveau rôle dans un nouveau monde, celui que personne n'ose regarder. Plus facile à assumer au milieu de
fracassés de la vie qui ont compris que cela n'a pas vraiment d'importance… et que le pédé en question sait écouter sans juger, comprendre et être le confident de tonnes de détresses, sexuelles
et sentimentales. Et avec les gays ? Les amis, les copains de partouzes ou de virées ont montré qu'ils étaient de vrais amis. Je reste un invalide, une PMR, personne à mobilité réduite, j'ai
réappris à parler, à manger, à marchouiller avec d'affreuses orthèses, je continue à penser, à partager des idées. Je bande, je baise. Je ne suis plus coté sur le marché gay : handigay c'est un
créneau infime, minorité dans la minorité. Aucun lieu de rencontre n'est prévu, les bars et les sex-clubs, les dunes et les fourrés sont inaccessibles à cause du mur de pierres que je trimballe
avec moi. Il est aussi et surtout dans le regard des autres : quand on regardait mon mec poussant mon fauteuil avec un air attendri, j'aimais bien dynamiter cette insupportable pitié :
« Il me pousse, vous trouvez ça mignon… Vous savez, il peut bien faire ça, depuis vingt ans qu'il me tire ! ». Eh oui, les personnes en fauteuil (souvent impuissants et incontinents),
les sourds, les aveugles, les muets ont aussi une sexualité, une orientation sexuelle. La Suisse ouvre la première session de formation d'assistants sexuels, en France, on s'en… branle, quand on
peut le faire.
Pour assumer ma différence, après avoir passé des mois à me demander « Pourquoi moi ? » c'est le
silence à la bonne question, « Pourquoi PAS moi ? », qui m'avait permis de m'accepter tel quel. Avec une saloperie qui touche une personne sur un million, j'ai posé, dans le même ordre
les deux questions : le résultat est moins évident.
Je ne suis pas aigri, juste un peu amer, j'écris sur http://www.handigay.com/ et http://www.handilove.com/. Ici je m'évade dans une Bibliothèque rose à laquelle je rêvais dans
mon lit d'hôpital à air pulsé. Une référence romanesque ? Une seule : L'Or d'Alexandre d'Olivier Delorme, chez H&O, bien sûr...
Je voulais juste réagir, sans trop réfléchir, au sujet du mois, sans trop parler de moi, pour attirer
l'attention sur des « invisibles » retranchés derrière un mur de pierres qu'ils ne pourront attaquer seuls. Quand vous croisez un mec ou une fille en fauteuil, vous êtes face à une
personne : même si sa nuque et son esprit en ont marre de lever la tête vers vous, un vrai regard peut illuminer une journée, une conversation « à hauteur égale » (il suffit de
s'accroupir) est un bon moment. Pas de pitié, juste du partage : il y a des murs faciles à abattre.
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