by Lucian Durden
Lucian Durden a 34 ans. Il est membre fondateur des Écrivains mendiants de Paris.
Ancien chef de la succursale des Flandres de l'École des tripes et amis du foie de veau. Publications dans le Bulletin de la société Jules Verge N° 45, 2ème trimestre. Il occupe les fonctions de
directeur de la WithoutBooks Publishing en Pennsylvanie. Ah oui, il est aussi hétérosexuel. C’est notre quota légal dans l’équipe du blog Les Toiles Roses.
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Troisième aventure
Autant de pognon pour ça ! Même pas le droit de lui rouler une pelle ou deux… Même pas le droit de lui
toucher les nichons… Enfile la capote et enfile-moi ! Voilà ce qu’elle m’a dit. J’aurais voulu un peu de tendresse en supplément, ce n’est pas rien de se faire sucer par un mec lorsqu’on est
hétéro, elle aurait pu me consoler un peu cette pute !
J’ôte mes chaussures dans le couloir et referme la porte d’entrée le plus délicatement possible. Ça fait
pratiquement vingt-quatre heures que je suis parti, j’ai la bite qui pleure de honte et qui me fait la gueule ; je dois sentir des parfums qui ne sont pas les miens… Mais ils doivent se
neutraliser, celui du pédé et celui de la pute, si bien qu’avec un peu de chance ma femme n’y verra que du feu.
J’ouvre la porte de la cuisine ; elle est là, assise à sa place, dans son vieux peignoir en éponge
rose. « Mais où t’étais ? J’étais morte d’inquiétude !
— Je me suis laissé embringuer, tu sais ce que c’est…
— Des pédés… c’est ça… mon cul oui. »
Pourquoi me parle-t-elle de cul ? C’est dingue ce sixième sens que possèdent les femmes.
« Et y avait pas une seule fille ?
— Des lesbiennes chérie, oh, arrête maintenant !
— Ah ouais… Ça t’excite ça les lesbiennes, deux filles…
— Tu sais bien que les lesbiennes sont des espèces d’ennemies des hommes, t’es une femme, tu sais comment ça
marche…
— Justement, les lesbiennes sont homos pour rire ! »
Je passe une heure à jurer mes grands dieux que je n’ai pas fait de conneries, d’ailleurs je n’en ai pas
fait… Se faire sucer par un pédé ça ne compte pas… Pas plus que se taper une pute… C’est pas comme si je l’avais trompée avec une femme normale. Je me glisse sous les draps et songe quelques
instants à ces derniers mots. Rien de tel que deux nanas dans un plumard, peut-être, je n’en sais rien, avec les potes au boulot on en parle, moi ça ne me dit rien deux filles qui font l’amour,
après tout, c’est leur amour… Ceci dit, elles doivent bien avoir envie de… Enfin ! Il leur manque un truc quand même ! Les pédés, ils ont tout sous la main… mais elles non. Faut que je
m’intéresse à la question sérieusement. Mais c’est moche une lesbienne, c’est vrai, je n’en ai pas encore rencontré, mais c’est moche. Des nanas qui se coupent les cheveux en brosse, qui portent
des jeans coupés homme et qui ont aux pieds des chaussures de sécurité : putain l’horreur ! Les lesbiennes des films ça n’existe pas, je veux dire les filles normales, qui ressemblent à
des filles. Et puis c’est pas pareil, c’est vrai, c’est naturel chez les filles, de se tripoter… Y a qu’à voir les gamines dans la rue, elles se donnent la main pour se promener et se brossent
les cheveux mutuellement. Les filles sont homos pour rire. J’envoie un petit coup de coude sur ma droite.
« Tu dors ? Je voulais te demander un truc.
— Ouais…
— Dis, tu préfères les pédés ou les gouines ? Je veux dire… Qu’est-ce qui te choque le
plus ? »
Elle se retourne telle une carcasse de bœuf sur un tournebroche ; le lit est secoué de spasmes pendant
dix bonnes secondes. Manquerait plus qu’elle lâche un pet !
« Des filles, c’est dégueulasse…
— C’est quand même moins crade que deux mecs ensemble. Tu vois ce que je veux dire ? »
Elle se redresse, rajuste l’oreiller dans son dos et pose ses bourrelets sur ses cuisses.
« J’en ai rien à foutre de les imaginer se lécher… c’est dégueulasse, c’est tout ! Elles servent à
rien ! »
Ma femme m’explique que les lesbiennes, en refusant les queues et leur foutre, sont inutiles à l’humanité
parce que refusant de devenir mamans, de se faire engrosser comme toutes les femmes normales devraient vouloir le faire. Les pédés c’est pas la même chose, ajoute t-elle, puisqu’ils ne peuvent
pas faire de gamins…
Je lui souhaite une bonne nuit. Je n’ai rien compris à ce qu’elle vient de me raconter. Soudain je
m’aperçois que je n’ai pas envie d’elle. En temps ordinaire, je serais rentré de beuverie et je lui aurais grimpé dessus pour bien lui montrer que je suis le patron. Mais là rien, je n’ai pas
envie. Je me demande si je ne suis pas devenu pédé. Mais l’idée de me retrouver allongé sur un mec me fout la gerbe. Je constate que le pédé et la pute m’ont tué la queue, ou l’esprit, mais c’est
pareil. C’est la seule explication. Je fais un blocage maintenant. Que faire ? En parler à quelqu’un ? Surtout pas à ma femme. Les collègues n’en parlons pas, si je leur raconte qu’un
type m’a sucé, ils sont capables de repeindre mon bus en rose et toute la ligne 6 sera au courant… Je crois que je suis seul, condamné à porter ce fardeau pour le reste de mes jours.
10 heures 12. Roger me sert mon demi. J’essaie de ne pas me couper de mes habitudes, j’ai lu dans des
bouquins dans les toilettes qu’après un traumatisme y faut se remettre tout de suite à refaire des choses qu’on aime. Je bois une bière avec lui, de bon matin, même si en réalité cette vie me
glisse entre les doigts comme si la nouvelle m’appelait à elle. Je n’ai jamais été de la première vie, pas tout à fait, et ne suis pas de la seconde non plus. Quatre demis plus tard, je songe à
retourner dans ce bar du Marais, pour voir, pour tenter de comprendre ce qui m’arrive.
« Hé !
— Oui Roger ?
— C’est deux pédés qui se rencontrent… Le premier dit à l’autre : ‘Alors avec ton copain, ça se passe
bien ?’ et l’autre répond : ‘Oh… m’en parle pas, j’ai même plus le temps de péter !’ »
Pourquoi est-ce qu’il me raconte cette blague, à moi ? Aujourd’hui ? Je me lève et entre dans les
toilettes afin de regarder dans la glace si mon visage a changé, si mes traits se sont modifiés, si les linéaments hétéros se changent en… Merde ! Il ne m’a pas sucé l’autre con, il a
soufflé dans ma queue !
Je suis dans mon canapé, le téléphone dans la main. Ça fait quatre fois que je compose le numéro de
l’association de gays et que je raccroche à la première sonnerie. Je me lance.
« Oui, nous sommes là pour t’aider…
— Voilà, un type m’a… Comment dire ? Une fellation quoi, vous voyez ?
— Tu as peur c’est ça ? La maladie ?
— Oui… Non, pas ce que vous pensez… Ma question c’est… Est-ce que je suis pédé ?
— Ben j’en sais rien moi !…
— Mais je me suis fait sucer par un mec !
— Mon beau-frère fume une clope après avoir picolé, pourtant il n’est pas fumeur… ».
J’appuie sur la touche rouge du combiné, inutile d’en entendre davantage, c’est ma clope, mon petit écart
sans incidence, le petit plaisir que l’on s’autorise parce qu’il est exceptionnel. Je ne suis pas pédé ! Foutue bonne nouvelle !
Je gare ma voiture. Il est 22 heures 18. Je traverse la rue et fais la bise à un type qui me reconnaît et
avec lequel j’ai bu quelques verres l’autre soir. Le Coxx est plein à craquer…
TO BE CONTINUED…
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