Photo (c) D.R.
En tant que mâle hétéro de base,
je serais lesbienne.
Jérémi Sauvage
Pour la dix-neuvième livraison de cette série de textes basée sur les
hypothèses "Si j'étais homosexuel(le)" pour nos ami(e)s hétéros gay-friendly et "Si j'étais hétérosexuel(le)" pour nos ami(e)s gays hétéro-friendly, j'ouvre mes bras pour serrer contre moi un
vieil ami : Jérémi Sauvage. Mon Jéjé est né en 1971 au Havre. Marié et père de trois enfants, il est docteur ès pédolinguistique (non, ce n'est pas cochon !), enseignant, écrivain, essayiste et
directeur de la nouvelle collection "Enfance & Langages" aux éditions de L'Harmattan.
Fan(éditeur) et auteur des littératures de l'imaginaire, passionné du groupe "The Mission" auquel il a consacré un ouvrage magistral, mon Jéjé est une crème d'homme qui est un fidèle de la première heure de tous mes méfaits
littéraires. Il m'a fait l'amitié de participer à ce petit défi...
Si j’étais
homosexuel, je penserais d’abord, en tant que mâle hétéro de base, à être lesbienne. Mais pour dire vrai, si j’étais homo, je ne penserais pas comme aujourd’hui. Ou plutôt, tout en
gardant ma vision de l’Autre à aimer et aimant, je pense que je serais un mâle à mâle ! Un mec qui aimerait des hommes profondément masculins, comme j’aime aujourd’hui les femmes (enfin, une
femme) profondément féminine. Bien évidemment, s’il m’arrivait de me réincarner en femme et d’être homo, j’imagine assez bien me passer des butchs et éprouver des préférences affirmées pour des
femmes féminines.
Ensuite, si j’étais homosexuel, je pourrais me permettre de
faire des blagues sur les pédés et les gouines sans me faire traiter d’homophobe. De manière générale, j’ai cette fâcheuse tendance à surenchérir une connerie pour mieux la combattre. Une société
aussi politiquement correcte que la nôtre peine à accepter ce type de comportements. D’ailleurs, elle peine à accepter l’homosexualité en général. Avec le même état d’esprit, j’aimerais parfois
être juif, arabe, noir. Mais pas handicapé. Ce serait trop cher payé.
Du coup, si j’étais homosexuel, j’aurais peur de me sentir
mal, d’être stigmatisé et montré du doigt, qu’on me rejette ou qu’on me moque, peur d’être tabassé et discriminé sur mon lieu de travail, peur de l’exclusion familiale, insulté de tapette,
d’enculé ou de petit pédé. Alors je serais un militant d’Act-Up car je ressentirais de la colère envers ceux-qui-se-disent-bien-pensant. À tel point que je me méfierais même de mes potes hétéros
gay-friendly pour qui c’est tellement facile de défendre ces idées de l’extérieur. J’irais donc frapper à la porte des cercles communautaires, je lirais Pref et Têtu, je
m’installerais à Paris – dans le Marais – car en province ma vie serait insupportable, je suivrais les tournées de Mylène Farmer et m’entourerais uniquement de personnes tolérantes (des
communistes, des étudiants en lettres et en philosophie, des gays, des baba-cools, des musicos...). Et surtout j’emmerderais le plus possible les associations de familles
catholiques.
Pour ce qui est de ce que les non-gays considèrent comme le
plus infamant, c’est-à-dire les relations sexuelles – un pédé peut-il aimer ? –, j’imagine facilement prendre mon pied aussi bien qu’aujourd’hui avec la personne que j’aime, suçant et me
faisant sucer, pénétrant et me faisant pénétrer.
Finalement, si j’étais homosexuel, je serais le même homme.
Un être de chair et sang, du sang circulant dans un corps grâce à un cœur, accessoirement nécessaire pour aimer l’Autre.
Jérémi Sauvage
Commentaires