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Fiche technique :
Avec Jean Gabin, Arletty, Roland Lesaffre, Marie Daëms, Jean Parédès, Maria Pia Casillo, Simone Paris et Ave Ninchi. Réalisé par Marcel Carné. Scénario de Jacques Viot, Marcel Carné et Jacques Sigurd. Directeur de la photographie : Roher Hubert. Compositeur : Maurice Thiriet.
Durée : 110 mn. Disponible en VF.

 

 

Résumé :
À Paris, en 1954, un ancien boxeur, Victor Le Garrec (Jean Gabin, prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de Venise en 1954) qui eut une carrière très brève, dirige une salle de boxe. Il rencontre un jeune homme, André Ménard (Roland Lesaffre) qui a fait un peu de boxe. Victor s’intéresse à lui. Il l’entraîne pour en faire le champion qu’il n’a jamais été. Bientôt il l’installe chez lui. On ne s’explique pas l’attitude de Victor s’il n’est pas l’amant d’André. Carné s’est cru obligé d’ajouter une ridicule histoire d’amour entre le jeune boxeur et une non moins jeune... antiquaire. La femme de Victor, Blanche (Arletty) jalouse le jeune homme. Elle reproche à son mari son engouement pour André. Quant à Victor il reproche à André sa liaison avec la jeune antiquaire. La jeune femme ayant conscience qu’elle entrave la carrière d’André s’éloigne. Le jeune homme retrouve Victor et se consacre entièrement à la boxe.


 

L'avis de  Bernard Alapetite  :
L’air de Paris n’est pas un film gay à proprement parler, disons que c’est un film crypto-gay. En politique, comme en dessin industriel, il y a une vue de droite et une vue de gauche et bien je vais vous donner une vue « de gay » d’Un air de Paris.
Deux passionnés de boxe, Marcel Carné et son scénariste Jacques Viot, décident de traiter le sujet en mettant en évidence l’arrière-plan social de ce sport. Jean Gabin est dès le début associé au projet. Dans son autobiographie, La vie à belles dents, Marcel Carné explique ses motivations : « Ce qui m’intéressait, en plus de l’atmosphère particulière du milieu, c’était d’évoquer l’existence courageuse des jeunes amateurs qui ayant à peine achevé le travail souvent pénible de la journée, se précipitent dans une salle d’entraînement pour ”mettre les gants” et combattre de tout leur cœur, dans le seul espoir de monter un jour sur le ring... » Plus prosaïquement, on peut penser que la possibilité d’offrir un premier rôle à son jeune ami Roland Lesaffre n’a pas été pour rien dans le choix du sujet. Les deux hommes se sont rencontrés par l’intermédiaire de Jean Gabin qui a présenté Roland Lesaffre en 1949 au cinéaste qui aussitôt le fait débuter dans La Marie du port.  Mais nous ne sommes plus au temps du Front Populaire, les producteurs se défilent les uns après les autres. Robert Dorfmann se laisse convaincre mais il amène avec lui comme financier principal, le très conservateur Cino Del Duca. Ce dernier, alors spécialisé dans la presse du cœur et les romans à l’eau de rose (il publiera une novellisation du film encore trouvable chez les bons bouquinistes) veut une vraie histoire d’amour. Il pousse le cinéaste à développer une liaison entre Lesaffre et une jeune femme Corinne, ce qui renvoie Gabin dans son coin, et le film aux plus banales conventions. Jacques Viot se retire du projet. Jacques Sigurd le remplace et remanie l’histoire dans le sens demandé par Del Duca. Le nouveau traitement augmente l’importance du rôle de Lesaffre mais diminue celui de Gabin. Ce dernier ronchonne mais reste à bord. L’air de Paris, tel qu’il était écrit avant que ces changements de dernière heure ne modifient l’histoire était centré sur le développement d’une relation affective profonde entre deux hommes et se rapprochait d’un contexte homosexuel. Carné doit subir une autre avanie. Il a destiné le personnage de Corinne à Agnès Delahaie (à la ville madame Dorfmann) mais celle-ci se dispute avec l’épouse du co-producteur italien, engagée elle aussi dans le film ! Qui exige son remplacement. Carné engage ainsi Marie Daëms à quelques jours du premier clap.


 

 

Le tournage a été houleux car si le scénario de Jacques Viot faisait la part belle à Gabin, les dialogues de Jacques Sigurd, sur la demande de Carné, mettent en évidence le rôle de Roland Lessafre, l’ami de cœur de Marcel Carné, ce que n’appréciait pas du tout Gabin. Lessaffre, comédien médiocre, est pourtant dans ici convaincant, bien que trop âgé pour le rôle, il a alors 27 ans, mais il est choisi entre autres parce qu’il a été lui-même boxeur amateur. Il y a aussi dans Lessaffre quelque chose du Gabin jeune de ses grands films d’avant-guerre, Le jour se lève, Pépé le Mocko... où il incarnait les fils du peuple.


 

 

En outre, Gabin ne voulait pour rien au monde que l’on pense qu’il jouait un homosexuel, même refoulé, comme le confiait Marcel Carné à Jacques Grant (l’habituel directeur de casting de Téchiné) pour le défunt Masque : « Gabin avait une peur terrible de ça. Quand à la fin du film, il venait retrouver le jeune boxeur, je lui dis : Tu lui passes la main autour du cou et tu l’emmènes : Pas question, je ne veux pas avoir l’air d’un pédé. Il n’était pas content du tout. » En tout état de cause L’air de Paris marquera la rupture définitive entre Carné et Gabin.


 

 

Le film tombe dans le ridicule et l’incompréhensible pour n’avoir pas voulu rendre explicite la liaison entre Victor et André. Pourtant l’image de Victor, la main tendrement passée dans la ceinture de la culotte de son protégé au moment de la minute de repos entre deux rounds... Il est amusant, mais pas vraiment surprenant, tant l’homosexualité irrigue tout le cinéma de Melville, de retrouver la même scène, avec un cadrage presque identique, dans L’aîné des Ferchaux, Belmondo est le boxeur et Andrex remplace Gabin. Mais la scène la plus torride est celle dans laquelle le manager masse son poulain vêtu que d’un mini slip. La caméra s’attarde longuement sur le corps imberbe de Lesaffre, Marcel Carné n’avait pas toujours mauvais goût !


 

 

Arletty, qui avec L’air de Paris retrouvait Gabin quinze ans après Le jour se lève), dans les années 80 voyait très lucidement la faiblesse du film : « Il aurait fallu aller très loin dans le film. Je pense que Gabin ne voulait pas passer pour un homo ; au fond en réalité, il aurait dû se taper Lessaffre ouvertement, l’aimer d’amour. Tandis que là, c’est pas dit, c’est pas fait. Fallait faire l’escalier, des mecs qui sortent ensemble. Je crois que ça enlève beaucoup. »
Carné n’était pas le courage incarné au sujet de ses mœurs, c’est un euphémisme. Le film a aussi un intérêt historique pour le spectateur gay d’aujourd’hui. Le petit rôle caricatural joué par Jean Parédès illustre bien comment le cinéma français d’alors voyait l’homosexualité masculine. Que le rôle soit tenu par le délicieux Jean Parédès ne change rien à l’affaire. Il refera son numéro de folle de contrebande dans Fanfan la tulipe. Il faut lire l’émouvant portrait de ce comédien que dressent Olivier Barrot et Raymond Chirat dans leur indispensable Noir & blanc, 250 acteurs du cinéma français 1930-1950 (ed. Flammarion).


 

 

On peut également voir une touche de lesbianisme dans la relation entre Corinne et sa protectrice Chantal (excellente Simone Paris) parallèle pas assez développé avec le duo Gabin–Lessaffre.
Techniquement le film est parfait. Carné a soigné particulièrement l’aspect documentaire, pour cela il a engagé trois boxeurs : Séraphin Ferrer, Legendre et Streicher, l’entraîneur Roger Michelot ainsi que les speakers et les soigneurs du Central Sporting Club de Paris. On doit se régaler du beau noir et blanc qui balaye toute la gamme des gris et des cadrages soignés qui échappaient alors à la dictature actuelle de la caméra portée et de son trop fréquent corollaire : le bord du cadre tremblotant. La lourdeur des caméras de 1954 n’avait pas que des inconvénients. Admirons les décors d’une parfaite justesse tant pour la salle de boxe que pour l’appartement petit bourgeois du couple Aletty–Gabin, sans oublier l’intérieur bien dans le goût de l’époque de l’antiquaire.
Curieusement Carné, cinéaste de plateau par excellence, a utilisé des images complémentaires tournées par André Dumaitre pour rendre l’atmosphère de Paris, celle-ci est très documentaire de première partie dans le style Plaisir de France.


 

 

Si on replace le film dans l’histoire du cinéma français, on peut y voir les derniers feux du néo-populisme d’après-guerre où pointe déjà le psychologisme qui triomphera avec Claude Sautet.
Mais ne cherchons pas Carné où il n'est pas : dans le lieu clos factice où un ouvrier soudeur marqué par le destin attend que le jour se lève, ou parmi les masques en liesse du Boulevard du Crime. Face à la vulgate, il est urgent de le situer à sa vraie place : un petit maître des faubourgs, une sorte d’Utrillo de la caméra, entraîné à son corps défendant dans des entreprises trop grandes pour lui dont on le crédite abusivement. C'est le moment de reposer la vieille question : qui est le véritable auteur d'un film ?

L’air de Paris est le type même du film d’un réalisateur qui n’a jamais eu le courage et la lucidité de sortir son homosexualité de la clandestinité. Cette attitude timorée explique en partie le naufrage du deuxième volet de la carrière de Marcel Carné, après sa brouille avec Prévert. Elle explique aussi peut-être l’abandon de La fleur de l’âge, son projet sur la révolte du bagne de jeunes de l’île de Ré. Le tournage sera abandonné au bout d’une semaine. On retrouvera ce thème dans le beau téléfilm Alcyon de Fabrice Cazeneuve...
Un air de Paris est édité en DVD par Studio Canal dans une bonne copie mais avec seulement pour bonus les filmographies sélectives de certains protagonistes du film.
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