Fiche technique :
Avec Israel Rodríguez, Pepa Aniorte, Mehroz Arif, Hugo Catalán, Inma Cuevas, Fany de Castro, Antonio
Dechent, Juan Luis Galiardo, Juan Gea, Luis Hostalot, Juanma Lara, Pablo Puyol, Ana Rayo, Raúl Zajdner et Estrella Zapatero. Réalisation : Antonio Hens. Scénario : Antonio Hens et Gabriel
Olivares. Musique : Sergio de La Puente. Directeur de la photographie : César Hernando. Montage : Julio Gutiérrez.
Durée : 80 mn. Disponible en VO et VOSTfr.
Résumé :
Xabi (Israel Rodríguez), un jeune homme gay sortant de prison, recherche son petit ami. Xabi a été
abandonné dans son enfance et sa vie sauvage l'a conduit dans de nombreux « centres de redressement ». Après avoir été libéré cette fois, il rencontre Iñaki (Luis Hostalot), un homme
plus âgé qui est un membre influent du groupe terrorisme
ETA et qui devient un véritable ami, professeur et amant du jeune homme. Par amour et admiration pour son amant Javi adopte sa cause et veut lutter pour l'indépendance basque, au point de
renier ses racines et de changer son nom de Javi pour Xabi.
Malheureusement, Xabi est envoyé dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité pour avoir
lancé un cocktail Molotov sur un policier lors d'un vol qualifié, le blessant grièvement. Le centre au fin fond de l’Andalousie fait cohabiter de jeunes délinquants et des étrangers dont on
attend la majorité pour les expulser. Xabi s'échappe du centre de mineurs avec la complicité de Joel, un jeune mexicain, et de Driss (Mehroz Arif), un marocain, tous les deux en attente
d’expulsion. Ils partent à Madrid à la recherche d’ Iñaki, le mentor de Xabi. Mais Iñaki reste introuvable. Le trio décide alors de préparer un attentat dans le centre-ville afin de démontrer
leur volonté d'adhésion à l'organisation...
L'avis de Bernard Alapetite :
Clandestinos est un film ambitieux qui a le grand mérite de mêler deux thèmes qui,
malheureusement, sont rarement réunis, l'homosexualité et la politique (dans le sens le plus large de ce terme) à l'instar par exemple d'un autre film espagnol El Diputado (à noter que Hens était un ami de feu Eloy de la Iglesia). Trop souvent dans le cinéma gay on a le sentiment, surtout
dans bon nombre de films américains, que les gays vivent leurs histoires de cul et/ou de cœur en marge de la marche du monde. Clandestinos est une sorte de thriller et aussi un mélodrame
qui raconte comment cacher nos sentiments avec des masques différents dont celui du fanatisme. Il dépasse les contraintes de son budget modeste grâce à ses excellents acteurs qui semblent tous
donner le meilleur d'eux-mêmes. Il faut dire qu'ils ont presque tous déjà une copieuse filmographie, y compris les plus jeunes qui ne sont pas désagréables à regarder. Les acteurs sont à l'aise
et crédibles, même si Israel Rodríguez me parait un peu trop âgé pour son rôle. Le montage maintient un rythme efficace tout le long du film.
Après s'être échappés du centre pénitentiaire, nos trois scélérats adolescents sont dans une
problématique de survie. Ils sont aussi en quête pour faire leurs preuves. Le film met en lumière les problèmes habituels de la vie des adolescents sans pourtant jamais être ennuyeux : la
pression de leurs pairs, le désir d'affirmer chacun leur individualité, l'importance de la sexualité... Un aspect intéressant du film est sa réflexion sur le terrorisme dans un monde post 11
septembre.
Hens soulève une question que bien peu soulève : peut-on être gay et un terroriste en même temps
? Si la réponse est évidente lorsqu'il s'agit des islamistes radicaux, il n'en est pas nécessairement de même quand il s'agit de terrorisme européen comme l'IRA ou l'ETA...
Clandestinos met en évidence l'engrenage qui conduit Xabi au terrorisme. La nécessité d'être
aimé et respecté par l'objet de son désir peut conduire à des extrêmes. À l'âge de 18 ans, bien des garçons ont également tendance à être intransigeants dans leurs opinions. Cette vision en noir
et blanc du monde est aussi ce qui aide les recruteurs de terroristes, des gens prêts à mourir « pour le bien » d'une cause.
Le film laisse aussi entrevoir la raison pour laquelle Xabi (qui était certainement mûr pour être
cueilli par les recruteurs de l'ETA) n'a jamais été intégré dans l'organisation, une raison qui doit être recherchée dans les circonstances dans lesquelles il a rencontré Iñaki. Pour Iñaki,
admettre être gay aurait très probablement entraîné un suicide politique...
Le film, qui passe de la comédie au mélodrame, semble vouloir briser un maximum de tabous en vigueur.
Il n'hésite pas à brasser plusieurs thèmes dont certains sont très chauds en Espagne tels que le terrorisme basque, la prostitution masculine, les relations intergénérationnelles, la recherche de
son identité dans un monde médiatisé, où l'omniprésence de la police et le chaos spirituel ont été installés dans le quotidien des grandes villes. Un monde violent, insensible, homophobe et
étranger à la vraie nature de leurs problèmes de vie. Au passage, on y voit comment fabriquer une machine infernale…
Il est dommage que Hens n'ait pas su terminer son film. En le coupant cinq minutes avant la fin, le
spectateur en garderait un bien meilleur souvenir.
Le réalisateur ne rechigne pas à montrer ses acteurs nus, ceci sans ostentation ni pudibonderie, en
particulier son acteur principal, le bel Israel Rodríguez, qui est déjà apparu dans plusieurs séries télévisées espagnoles.
Le film a connu une histoire mouvementée. Il a été teinté de controverses, à la fois parce qu'il
aborde la question du terrorisme et surtout à cause d'une photographie publiée dans le magazine Zero, qui illustrait un article sur Clandestinos et où l'on voyait un garde civil
se faire faire une fellation par un terroriste qui avait posé le canon d'un pistolet sur la tempe du policier. Cette image a mené le Parti populaire à exiger des explications du gouvernement
andalou et de celui de la Castille et de La Manche au sujet de l'octroi de subventions pour le film.
Le réalisateur revient sur la genèse de son film : « D'abord, je pensais que mon premier film
devait être une histoire d'adolescents, la question de la transition de l'adolescence à l'âge adulte est un sujet qui m'a toujours intéressé. Clandestinos est l'histoire d'un adolescent
en quête d'une identité, et qui décide de se réinventer en quelque sorte, de remplacer les quelques traits de sa personnalité par un nouveau caractère. Deuxièmement, je voulais faire un film pour
réfléchir à la politique, sur la notion de notre réalité, sur les mythes et les tabous de notre société, apparemment détaché de toute censure, mais vraiment redevable à une tradition de
pensée. Autrement dit, je voulais montrer ma position sur le nationalisme dans notre pays, une question qui devrait être de troisième ordre dans toute société développée, mais qui
souvent en Espagne occupe la première place dans l'intérêt du public. Au départ ne sachant pas très bien comment lier tout cela, j'ai décidé d'adapter une partie de mon travail des trois années
précédentes que j'avais développé en tant que scénariste pour un autre réalisateur, mais qui n'a jamais été transformée en scénario, et encore moins en films. Je suis parti d'une l'histoire
vraie, celle d'un adolescent qui a été arrêté au Pays basque après avoir blessé avec un cocktail Molotov. Au début, le garçon s'était fait passer pour un membre d'un gang pratiquant le combat de
rue, mais après avoir été entendu par des psychologues du centre pour mineurs où il avait été incarcéré, ils ont découvert que le garçon n'était pas ce qu'il prétend être, et n'avait pas agi par
convictions politiques. Il avait fait cette agression pour attirer l'attention sur lui d'un autre garçon plus âgé, qui était son ainé et dont il était épris. Autrement dit, son acte terroriste
était un acte d'amour. »
Clandestinos a reçu le prix du public lors de la deuxième édition du Festival international
Gay Lesbien d'Andalousie. Il a été également primé au festival Gay de Madrid, et à celui d'Israël où Rodríguez a reçu le prix du meilleur acteur.
Clandestinos est le premier long métrage du réalisateur pour le cinéma. Auparavant, Antonio
Hens a tourné beaucoup pour la télévision espagnole mais il est surtout l'auteur en 2000, d'un formidable court métrage gay « En Malas companias » (« Bad Company ») qui a
remporté un grand succès dans de nombreux festivals et dont l'acteur principal était déjà Israel Rodríguez. On trouve ce court-métrage, sous-titré en français, sous le titre « Mauvaises
fréquentations » dans le tome 3 de Courts mais gay édité par Antiprod.
À ceux qui en douteraient encore, ce film démontre que le cinéma espagnol est riche de talents et que
surtout, il ne manque ni d'ambition ni de courage, sachant comme aucune cinématographie mêler les genres avec bonheur.
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