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Fiche technique :
Avec Adel Imam, Nour El-Sherif, Youssra, Essad Youniss, Ahmed Bedir, Hend Sabri, Khaled El Sawy, Khaled Saleh, Ahmed Rateb, Somaya El Khashab, Abd Raboh, Mohamed Imam et Youssef Daoud. Réalisation : Marwan Hamed. Scénario : Waheed Hamed, d’après l’œuvre d’Alaa’ Al-Aswany. Directeur de la photographie : Sameh Selim. Compositeur : Khaled Hammad.
Durée : 172 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :
L'Immeuble Yacoubian, tiré d'un roman homonyme à succès, raconte l'histoire d'un immeuble mythique du Caire et l'évolution politique de la société égyptienne de ces cinquante dernières années, entre la fin du règne du roi Farouk et l'arrivée des Frères Musulmans au pouvoir. Il fustige certains travers de la société égyptienne. En toile de fond, la question du « comment est-on passé d'une société dite moderne et ouverte d'esprit à une société souvent décrite comme intolérante ? ».
L’avis de Matoo :
Trois heures de film dans un immeuble du Caire, dans les années 50, un immeuble où se croisent des personnalités très différentes, des hommes et des femmes qui figurent une société égyptienne en pleine mutation. Drôles de changements : du règne des pachas au régime de Nasser, d’un simple passage de pouvoir à l’autre ou de réformes en profondeur, des riches nababs aux pauvres gens qui vivent dans des baraques sommaires sur les toits d’immeubles cossus, de la montée de l’islamisme…
J’ai été plus que conquis par ce film, c’est vraiment mon coup de cœur de ces dernières semaines. Je le trouve en tous points parfaitement filmé, joué et avec un dosage extrêmement habile entre faits historiques et sociaux, entre mélodrame et comédie. On voit là dans ce microcosme, tout un univers qui raconte le passé, explique le présent et préfigure les années à venir pour toute une nation. Et puis évidemment il y a cette langue merveilleuse, ce mélange exotique extraordinaire dans un Caire encore imprégné des cultures occidentales qui commence à (re)trouver les marques de sa propre identité. On y trouve les nouveaux leaders, mais aussi les apparatchiks déchus qui vivent difficilement dans leur splendeur passée.
Le tout début du film explique brièvement (ce qui doit être certainement plus long dans le bouquin) l’origine de l’immeuble, et les changements politiques des années 30 à 50. Et nous nous retrouvons à une époque, où Zaki El Dessouki est un vieux Casanova, un rentier fils de pacha mais aussi un francophile aux mœurs bien occidentales, qui vit et se dispute avec sa sœur tout en draguant la moindre minette. Il y a aussi Hatem Rachid, le rédacteur en chef d’un journal francophone, Le Caire, un homosexuel notoire qui fomente de curieux et efficaces stratagèmes pour emmener de jeunes paysans dans son lit. Haj Assam est un homme d’affaires qui veut entrer en politique, alors qu’il a modestement commencé sa vie en tant que cireur de chaussures. Sur le toit, là où habitent des gens modestes qui vivent dans des baraquements, un jeune garçon et une jeune fille sont amoureux. Il est frustré de ne pas pouvoir entrer dans la police à cause de son statut social (il est le fils du concierge), tandis qu’elle vit mal les abus quotidiens des hommes, et aspire à une vie meilleure.
Tous ces gens se croisent et se côtoient, et on les voit évoluer pendant tout le film. Il y a aussi une kyrielle de seconds rôles très attachants, ou au contraire particulièrement repoussants. Le rythme n’est pas très soutenu, mais le charme est absolument continu, et chacune des intrigues se termine « correctement » (on ne reste pas sur sa faim). Je ne critique même pas la partie du rédacteur homosexuel, car je la trouve plutôt bien ficelée, malgré le manifeste poncif. Mais aujourd’hui, on a droit à assez de représentations « polymorphes » de l’homosexualité au cinéma pour voir avec un peu moins de réticence des personnages aussi clichés. J’ai été par contre ému par ce personnage, alors qu’à constater les rires des gens dans la salle, leur réaction était toute autre. Et pourtant je vous garantis que c’était bien triste…
J’ai aimé le fait que le film ne tentait pas non plus de prendre parti. Il est toujours difficile de dire que « c’était mieux avant », car les périodes de transition sont toujours extraordinairement complexes. Mais force est de constater dans le film la nostalgie des uns, les extrémismes qui avancent et un pouvoir politique vérolé qui n’arrange rien. Donc c’était en effet différent avant, mais le futur brillant et équitable tant escompté et fabulé par les utopistes (?) a l’air de moins en moins crédible. Et dans ces cas-là, on ne voit que le positif du passé qui n’est plus, tandis que les conditions de vie des plus pauvres n’ont pas vraiment changé, et que les nantis sont finalement toujours à leur place.
J’ai été étonné de la francophilie permanente qui nourrit l’ensemble du film… On entend du Piaf, on évoque Paris, je ne savais pas ce lien aussi fort entre nos pays à l’époque. Le personnage principal se targue d’avoir fait ses études en France et se demande pourquoi il n’y est pas resté. Mais finalement, il avoue à la jeune fille du toit qu’il avait menti sur ce sujet. Il lui explique qu’il est revenu au Caire et en Égypte, car c’est là qu’on est vraiment le plus heureux malgré tout.

L’avis de Niklas :
Dans un immeuble mythique du Caire vivent des hommes et des femmes en fonction de leurs moyens. Les plus riches occupent de grands appartements tandis que sur le toits, avec les années, se sont installées des familles beaucoup plus modestes. Les habitants se croisent, vivent les uns avec ou contre les autres...
Les derniers Nababs par Marwan Hamed
À part Youssef Chahine et son Destin, le cinéma égyptien reste pour moi une énigme pareille à celle du Masque de fer (encore que là-dessus j'ai une théorie, mais je ne suis pas sûr que les historiens la valide alors je la garde pour moi). De plus, je ne connaissais pas du tout, le bouquin, publié en 2002 et qui est devenu un classique, dont est tiré le film.
L'immeuble Yacoubian porte le nom d'un riche arménien qui l'a fait construire selon son désir et où ont logé de nombreuses personnalités égyptiennes. C'est ce que nous explique le générique constitué d'image d'archives et qui sert à nous présenter un peu les choses (bien pratique quand la culture égyptienne nous est aussi connu que le sens des hiéroglyphes). Ensuite on rentre dans les histoires des différents personnages qui vont être les piliers de cette histoire. On y croise donc Zaki El Dessouki, un vieux rentier en mal d'amour qui vient habiter dans son bureau, qui lui servait jusque là de garçonnière, après s'être fait chasser de l'appartement qu'il partageait avec sa sœur ; Haj Assam est un ancien cireur de chaussures qui a fait fortune et qui peine à satisfaire ses désirs sexuels avec sa femme ; Hatem Rachid, rédacteur en chef d'un journal, est homosexuel et tombe sous le charme d'un militaire ; un jeune couple d'amoureux, un tailleur peu scrupuleux, une chanteuse et quelques seconds rôles en plus, et vous avez tous les personnages d'une histoire riche en évènements.
Les diverses prestations des comédiens provoquent systématiquement l'empathie (moi j'ai quand même une préférence pour Zaki El Dessouki, interprété par Adel Imam), ils sont vraiment remarquables et donnent de l'élan au scénario. Je n'ai vraiment pas senti les 3h00 passer, tant j'ai pris du plaisir à vivre leurs bonheurs et leurs drames. La vision des musulmans est parfois peut être légèrement clichée, mais elle est empreinte d'ironie que ce soit sur leurs coutumes ou sur la religion. Le simple fait de tourner un film, où l'un des personnages est homosexuel, aujourd'hui en Égypte est assez épatant quand on se rappelle qu'il n'y a pas si longtemps une quarantaine de jeunes homos avaient été condamnés à la prison à perpétuité suite à une descente de flics dans une boîte. Bien sûr le film ne fait pas l'impasse sur l'hypocrisie qui règne sur ce sujet comme sur d'autres, mais vraiment sans aucun ressentiment, une légère amertume plutôt.
Ce film est surtout l'occasion de montrer l'évolution ou plutôt la régression du pays après avoir été le berceau du modernisme des pays arabes pour devenir ce qu'il est aujourd'hui.
La petite salle où le film était projeté était pleine, beaucoup de personnes d'origine arabe bien entendu, et les voir rire de leurs travers fustigés par le réalisateur était vraiment signe que ce dernier avait réussi son pari. Et lorsque le personnage homo s'est mis à pleurer parce que son amant venait de le quitter, la majorité des spectateurs s'est esclaffée. Il est vrai que ce personnage est présenté avec beaucoup d'humour dans un premier temps, mais à ce moment-là je ne suis pas sûr que l'intention du réalisateur était de provoquer le rire. En sortant de la séance, Thierry à qui je faisais part de mon dégoût face à ce genre de comportement, m'a judicieusement fait remarquer qu'il y a quelques mois dans la grande salle de l'UGC pleine d'homos, devant Brokeback Mountain trois quarts de la salle ont explosé de rire lorsque la femme d'un des deux cow-boys les surprend l'un dans les bras de l'autre. Et c'est vrai, que finalement les gens quels qu'ils soient, ne sont vraiment pas près à accepter certaines choses et en rient plutôt que de faire l'effort de comprendre, et ainsi de faire évoluer la société. Car finalement les rires d'hier soir et les rires du mois de janvier sont les mêmes, ceux de la connerie et de l'étroitesse d'esprit.
En tout cas, le film vaut vraiment le coup, et même si je n'allais le voir que parce que je n’en avais eu que quelques échos, je ne le regrette en rien.

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