Résumé :
Comédie d’amour sur la vie des jeunes gens à Moscou aujourd’hui. Vera, qui travaille comme
speakerine à la télévision, fait la connaissance de Timofey, un jeune homme séduisant, employé dans une agence publicitaire. Elle tombe amoureuse de lui et par chance, ses sentiments sont payés
de retour. Timofey est lui aussi amoureux de Vera. Ils ont beaucoup de points communs : ils touchent tous deux un salaire de misère, ils travaillent comme des bêtes et ils sont
stressés.
En ce qui concerne le stress, leur liaison a un effet optimal sur Vera et Timofey. Rien d’étonnant à ce que leur amour réciproque
devienne de jour en jour plus fort. Et puis vient le jour où ils fêtent le premier anniversaire de leur rencontre. Heureuse et de bonne humeur, Vera rentre à la maison pour y trouver Timofey au
lit avec Uloomji, un jeune Kalmouk. À partir de là, le contrôle de la suite des événements semble totalement échapper à nos deux héros …
L'avis de Jean Yves :
Il ne faut surtout pas s’attendre, en découvrant Je t’aime toi, à voir un film militant. Le premier film gay russe
est tout sauf cela puisque ses réalisateurs ont voulu avant tout signer une comédie mode et moderne, rapide et un peu clinquante, propre à séduire le grand public hétéro comme les homos, bref
les spectateurs les plus occidentalisés des villes à qui elle tend un miroir très aimable : son petit succès dans la quinzaine de villes où le film est sorti prouve qu’ils ont d’ailleurs touché
leur cible.
Deux des héros de ce triangle amoureux inédit, la très jolie Vera et le fringant Timofey, font partie de cette élite de nouveaux
riches sans complexe vivant des médias et habitant de beaux appartements dans de beaux quartiers d’un Moscou qui pourrait être New York ou Paris (avec ses fêtes pédés, sa tolérance chic, ses
fringues élégantes…). Ils tombent vite amoureux l’un de l’autre, bien qu’il lui ait parlé de son homosexualité.
Et voilà que surgit la troisième pointe du trio, la plus originale, la plus intrigante, la plus novatrice : Uloomji, jeune Kalmouk
(la seule peuplade bouddhiste de la fédération russe) débarqué de sa province lointaine pour travailler au zoo. Uloomji est un naïf qui a toujours vécu à l’écart de la modernité : son
effarement face aux distributeurs de billets dit assez à quel point Moscou n’est pas la Russie profonde ! Sûr, dès leur première rencontre (un accident…), de ce qu’il éprouve pour Timofey,
Uloomji ne va jamais hésiter dans son amour : et même les manœuvres de sa famille qui le fait interner n’y changeront rien.
Toute la force du film tient dans l’obstination têtue et lumineuse de ce personnage sans complexes, sans freins moraux, sans
préjugés, pour qui l’amour ne se discute pas. Il est la lueur d’espoir de ce conte de fées qui se termine, comme de bien entendu, autour d’un berceau sur lequel sont penchés les trois parents
du nouveau né.
Oui, il y a une scène gay en Russie. Enfin, à Moscou plutôt, et dans quelques grands centres urbains. Car pour ce qui est de
l’immensité de l’ex-empire soviétique, c’est peu dire que l’homosexualité n’y est pas à la mode et que l’homophobie primaire y a pignon sur rue. Le cas de la capitale est donc à
part…
L’héritage communiste pèse lourdement sur la société russe et la répression dont furent victimes les homosexuels a laissé des traces
: stigmatisés par la propagande, passibles de lourdes peines de prison, considérés comme des malades mentaux ou comme des symptômes de la décadence occidentale, il leur a fallu attendre la fin
des années 80 avec la "perestroïka" puis la fin du régime soviétique pour voir le carcan législatif se desserrer. Mais la loi n’est pas tout, loin de là, et ce sont surtout les mentalités qu’il
s’agit désormais de faire évoluer… C’est un des buts que ce sont fixés Olga Stolpovskaya et Dimitry Troitsky, les réalisateurs de Je t’aime toi dont le prochain projet porte
sur un couple de femmes dans l’URSS des années 70. « Bien sûr, Je t’aime toi est le premier film gay russe mais, au-delà de ça, c’est d’abord le portrait d’une société
complexe, celui d’une nouvelle société en pleine transformation où, avec de nombreuses contradictions, tout est en évolution : le travail, la consommation, les mœurs, le
désir. »
Ils n’ont pas tort, en tout cas si on en croit des sondages qui montrent, à propos des homosexuels, des progrès notables quant à leur
acceptation : là où, en 1989, 33 % des Russes disaient qu’il fallait « les liquider », 30 % « les isoler » et 6 % « les soigner » (seuls 10 % proposant de
« les laisser vivre en paix »), ils sont désormais 41 % à considérer les homos comme « plus ou moins normaux » et le total de ceux qui préconisent de les isoler ou de les
soigner est tombé à 48 % ! On est certes toujours très loin du compte mais il semble qu’il ne faille plus totalement désespérer du pays de Vladimir Poutine.
Les multiples embûches rencontrées par les auteurs de Je t’aime toi viennent rappeler cette situation. « Pour
le financement, nous avons cherché des fonds pendant quatre ans, discuté avec un nombre inimaginable de producteurs et avons été beaucoup critiqués. Finalement, cela nous a aidés. Nous voulions
absolument tourner ce film alors nous en sommes devenus les producteurs. Nous voulons d’ailleurs remercier les distributeurs venus de partout — et notamment tout le personnel de Media Luna
entrecroisement et Antiprod en France — qui nous ont aidé à mener à bien ce projet. Le film n’aurait pas vu le jour sans l’aide et le soutien de nos amis. » Mais l’argent n’est pas tout,
et une fois les 300 000 dollars réunis, les difficultés étaient loin d’être terminées. « Quel cauchemar de trouver un jeune acteur russe prêt à jouer un rôle bisexuel ! Et ce fut encore
plus dur de trouver une personne d’origine asiatique pour interpréter un personnage gay. »
La vraie spécificité de Je t’aime toi est en effet de ne pas se cantonner aux nouveaux riches occidentalisés des
grandes villes pour qui la sexualité n’est pas vraiment un problème mais bien d’introduire un personnage homo venu d’une province reculée de la Russie et de le confronter tant à son désir qu’à
l’homophobie ambiante, celle de sa famille notamment. En cela, cette comédie de mœurs est un sacré pas en avant.
L’avis de Francis Lamberg :
Uloomji, un jeune péquenot Kalmouk, débarque à Moscou. Pour lui, tout droit venu de sa
Russie profonde, la capitale est pleine d'exotisme et d'embûches. En explorant la grande ville et en découvrant ses us, il a la révélation de son homosexualité. Timofei, un yuppie moscovite aux
dents longues qui travaille dans la publicité, rencontre Vera, une célèbre présentatrice du JT. Ils tombent amoureux l'un de l'autre… Timofei est complètement intégré au nouveau système russe
post-communiste et néo-libéral, dont le but premier est de faire de l'argent.
Vera est très absorbée et prise par son travail. Elle souffre d'une boulimie alimentaire très sexuellement
orientée.
Un jour, Uloomji entre accidentellement (au sens premier) dans la vie de Timofei. Le Kalmouk mal dégrossi et
sans manières (au propre et au figuré) va bouleverser les certitudes et les sentiments du golden boy. Cette rencontre va provoquer maints questionnements des uns et des autres sur leurs vies et
leurs envies. Un triangle amoureux va se former tant bien que mal, et finira par se consolider. Je t'aime toi est le premier film russe à parler ouvertement
d'homosexualité.
Les réalisateurs admettent avoir procédé à une certaine auto-censure afin que le film puisse toucher un large
public. La plupart des faits sont réels mais romancés. Ils ont été inspirés d'une histoire semblable qui est advenue à Olga Stolpovskaya, la scénariste et co-metteuse en
scène.
Quasiment chaque séquence de ce film est propulsée par une mise en scène parfois surprenante mais toujours à
propos. Tous les acteurs sont admirables. Damir Badmaev, le jeune avocat sino-russe qui interprète le Kalmouk est épatant de naturel et de sauvagerie contenue, qui se lâche quand il le faut. La
fascination réciproque et connotée sexuellement que se portent Uloomji et Timofei est exploitée avec maestria dans le scénario, et avec inventivité dans la réalisation. Le jeune Kalmouk, avec
ses airs et ses actes de jeune chien fou, incarne, l'âme de la vieille Russie, rurale et périphérique… malgré le fait qu'il soit homo. Chose que la vieille Russie n'est pas prête à admettre,
nous en avons plus que confirmation par les temps qui courent. L'innocence voire la puérilité de Uloomji, la pureté des sentiments de Timofei, Vera et Uloomji, donnent à voir une homosexualité
déculpabilisée et naturelle. Ce film russe qui aborde ouvertement et positivement la bisexualité et l'homosexualité est à mes yeux un film plus courageux, plus essentiel et même plus universel
que Brokeback Mountain !
Extrait :
- J'ai entendu crier !
- C'est mon ami, il a fait un cauchemar.
- Je l'ai entendu crier des mots d'amour.
- Il a fait un cauchemar qui parlait d'amour.
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