Fiche technique :
Avec Matthew Modine, Michael Wright, Mitchell Lichtenstein, David Alan Grier, Guy Boyd et George Dzundza. Réalisé par Robert Altman. Scénario de David Rabe. Directeur de la photographie :
Pierre Mignot.
Durée : 118 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
L'avis de Jean Yves :
Réunir de force des hommes ou plutôt des « enfants », venus d'horizons divers suffit à provoquer un drame dans
n'importe quelle intrigue. C'est l'histoire de Billy, Roger et Richie... tous différents, contraints de vivre comme s'ils étaient semblables.
L'état de guerre, quand de jeunes hommes partent pour des pays étrangers, pour se livrer à des « actes étranges » qui ne leur sont pas naturels, peut devenir le temps du courage et même
celui du rire... Mais, quand la guerre est imminente, le courage n'est pas de mise et ce n'est certainement plus le moment de rire.
Quand Carlyle, l'intrus, fait irruption dans leur monde, il déclare que ce n'est pas le sien. Il finira par prouver que ce n'est un monde pour aucun d'entre eux. Les deux sergents de carrière,
Cokes et Rooney, ayant déjà maintes fois vécu ce même discours, ne font que démontrer l'inanité de tous leurs efforts.
Streamers, c'est l'histoire d'hommes
plongés dans cette situation. D'hommes qui ne savent pas quand il convient d'être courageux... ou de ne pas rire.
Streamers, intraduisible en français,
veut dire littéralement : « flotter au vent » ; on le dit d'un parachute qui ne s'ouvre pas et dont le soldat est condamné à mourir au sol.
Ce film nous rappelle que nous sommes tous des « Streamers » car un jour ou l'autre notre parachute finit par ne plus s'ouvrir, nous sommes tous destinés à mourir. Et consciemment ou
non, la manière dont nous réagissons à cette idée détermine notre personnalité, notre façon de vivre, ce qui nous fait peur, ce qui nous attire, les raisons pour lesquelles, parfois, nous
changeons d'aptitude ou d'optique.
Ce qui nous incite à ne pas trébucher sur les obstacles que rencontrent les personnages de ce film ce sont les jugements individuels, les tricheries, les mensonges... tout ce qui fait l'écheveau
des petites trahisons. Et ces petites trahisons se mêlent jusqu'à constituer le tissu des multiples incompréhensions qui déboucheront sur la violence. Ce qui nous conduit, un jour ou l'autre,
pour vous comme pour moi, inévitablement au fait que le parachute ne s'ouvrira pas.
Streamers se déroule à huis clos, dans
le dortoir d'une caserne. Quatre appelés attendent le signal de départ pour aller combattre sur le front au Vietnam. En gardant toujours ce même décor, la chambrée et ces lits superposés, Robert
Altman, cernent ses personnages et leurs expressions.
L'atmosphère est lourde dans le dortoir. Dès le début du film, un des soldats, dans l'attente d'un destin incontournable, va craquer et tenter de mettre fin à ses jours. Richie (Mitchell
Lichtenstein) est plus enclin aux plaisirs intellectuels qu'aux joies du sport, pour se défouler. Soigné, propret, prenant soin de son corps et de son apparence physique, il est disponible pour
ses voisins de chambrée, il les écoute mais ne se livre pas pour autant. Très vite, sa quiétude est troublée par les visites persistantes de Carlyle (Michael White).
« Tu as déjà parlé à des pédés ?
– Il y en a qui sont OK, mais d'autres, ce sont de vraies salopes.
– Je ne suis qu'un sale con de nègre. »
Il insiste pourtant, Richie ne dit mot. Il les provoque, fait la folle.
« Tu chies dans la colle, mais tu es mignon aussi. Arrête de faire la folle. »
Le soir, ils se racontent, précisent leurs origines, leurs envies et leurs dégoûts.
« Je n'ai même pas de job, et ils vont m'envoyer me faire tuer. On sera peut-être des héros. »
Très vite, la sexualité redevient le sujet de discussion primordial. Billy (Matthew Bodine) est obsédé par les silences de Richie.
« Dis-moi. T'en es pas vraiment un pédé. Tu as peut-être eu des mauvaises fréquentations. Tu t'es laissé entraîner. »
Carlyle et Richie se rapprochent, ils se sentent, se comprennent, la sensualité mêlée au désir. Et pourtant, ils doivent se préparer à se battre, à mourir peut-être. C'est beaucoup trop pour les
deux autres qui supportent de plus en plus mal cette promiscuité. La violence gronde.
Je crois que ce film traite plus de l'homophobie que de l'homosexualité. Il confronte des éléments différents dans notre société à l'intérieur d'un vase clos, sous pression, comme dans une
cocotte-minute. Aucune possibilité pour les personnages de se dérober à cette tension. Richie est un personnage plus à l'aise avec lui-même, n'ayant pas besoin de se remettre en question. Billy
est très peu sûr de lui, quant à Roger, il a délibérément pris le parti de vivre une situation sans conflit. Carlyle est certainement le personnage le plus honnête dans cette situation.
Hormis les quatre protagonistes, Robert Altman a intégré deux rôles muets, lourds de significations : le dormeur, qui sous ses couvertures, assistera en voyeur aux échanges en tous genres de ses
colocataires et la seule femme du film, que l'on aperçoit par deux fois, derrière les vitres de la chambre, prenant en photos les bidasses.
Streamers est certainement l'étude de
caractère la plus honnête et la plus vraie que j'ai vue. Il montre d'emblée la personnalité entière et multiple des personnages, si bien que ce réalisme devient souvent insoutenable car épuré
jusqu'à l'extrême. Altman est un très grand cinéaste, il n'y a aucun doute.
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