Distribution :
Auteur : Harvey Fierstein.
Mise en scène : Christian Bordeleau.
Avec Éric Guého, Frédéric Chevaux, Rosine Cadoret, Brigitte Guedj, Firmin David, Thomas Maurion, Jean-Philippe Maran, Étienne Lemoine.
Actuellement jouée au :
L’avis de Matoo :Je suis un gros fan du film Torch Song Trilogy de 1989 avec Matthew Broderick, la sublimissime Anne Brancroft (quels sont les hérétiques qui n’ont pas vu le film Miracle en Alabama hein ???) et Harvey Fierstein dans le rôle qu’il avait écrit pour lui au théâtre. À la base, il s’agit de trois pièces de théâtre qui ont été regroupées sous ce nom, et qui a eu un succès dingue à Broadway.
J’y allais avec pas mal de réticences parce qu’en tant que fan du film, de sa brillante VO et ses époustouflants interprètes, il fallait que la VF tienne la route pour le fond, que les comédiens puissent à la fois reprendre et se réapproprier cette histoire, et enfin que la mise en scène puisse relever le challenge de ces deux heures de jeu. J’ai été encore plus désappointé et méfiant quand j’ai vu tous les logos qui ornaient le bas de l’affiche (je ne les avais pas vu)… Oh putain, sponsorisé par Têtu, PinkTV, Illico, Citegay et consorts… Et manifestement, 99 % de l’assistance était gay, ce qui laissait présager du pire. Je n’avais pas envie de voir une comédie gay, pour des gays, avec des gays, par des gays. Et pas non plus une pièce avec des mecs à poil pour satisfaire la lubricité de certains et s’afficher comme pièce pédé. Mais de toute façon, j’imaginais bien que le public intéressé et au courant serait particulièrement homo vu le sujet. D’ailleurs le film est culte principalement pour les homos.
J’ai rapidement pu mettre toutes mes interrogations de côté et tous mes doutes à la poubelle. Malgré quelques petits défauts, j’ai été absolument comblé par cette interprétation de la pièce de Fierstein. Il s’agit là d’un spectacle de grande qualité, qui transcende vraiment les genres et les orientations sexuelles, aux comédiens et comédiennes remarquables et à la mise en scène très efficace malgré quelques longueurs (mais inhérentes au texte je pense). Les trois tableaux se déroulent pendant deux heures, et le plaisir va crescendo, tandis que le comédien principal prend de plus en plus de substance et s’affirme au-delà de ses problèmes et de son manque de confiance.
Je trouvais Eric Guého plutôt moyen (pour être gentil) sur PinkTV, mais force est de constater qu’il est brillant et impeccable dans cette pièce. Il incarne un merveilleux Arnold Beckoff avec tout ce qui faisait la fibre irrésistible du personnage : ironique, grinçant, coléreux, diva, excessif, dépressif et au magistral humour feuje new-yorkais. J’aime beaucoup ce personnage qui est une Zaza Napoli qui cherche l’amour et qui souffre de son physique tout en ironisant dessus pour mieux s’en détacher.
Nous avons donc trois tableaux qui racontent et exposent trois moments de la vie d’Arnold Beckoff, un drag qui se produit dans un cabaret. Le premier dépeint le quotidien d’Arnold et sa rencontre avec un type de qui il s’entiche. Ce type, Ed, est bi et ne veut surtout pas s’engager. Cette partie est certainement celle qui souffre le plus de longueurs, d’un texte qui a un peu vieilli et au final d’une certaine platitude. On peut avoir un peu peur de cette classique histoire du pédé qui tombe amoureux d’un hétéro pour qui il n’est qu’une simple passade. Classique, classique. Heureusement, Arnold fait déjà montre de ses cinglantes et hilarantes réparties, entre humour queer et désarmantes désillusions.
La seconde partie se déroule quelques mois plus tard. Arnold a bien souffert de sa relation, mais en a finalement fait le deuil dans les bras du magnifique Alan, un jeune top-model. Ils sont invités à la campagne chez Ed et sa nouvelle compagne : Laurel. Les chassés-croisés entre les personnages sont assez bien sentis, et il y a un jeu scénique dans les dialogues « deux à deux » alternés qui m’a énormément plu, et qui donne une dynamique énorme à la scène. On sent toujours poindre en Arnold des sentiments pour Ed, et en ce dernier une flamme maladroitement étouffée pour Arnold. On est alors complètement dans la narration, et dans les dialogues qui fusent avec toujours beaucoup de justesse et d’humour sur les relations de couple.
L’ultime moment de la vie d’Arnold est le plus passionnel et réussi. Cinq ans plus tard. Alan est mort, battu à mort par des homophobes dans la rue. Arnold a du mal à dépasser cette perte, il prend sous son aile un môme de 15 ans, qui est gay et qui passe de familles d’adoption en familles d’adoption. Les services sociaux finissent par le lui confier, et le gamin prend peu à peu ses marques. Ed revient sur le devant de la scène, ça ne va plus avec Laurel, il demande à Arnold de l’héberger quelques jours. Sur ce, débarque la mère d’Arnold, mère juive new-yorkaise par excellence (surtout interprétée par Anne Bancroft), à qui il n’a rien dit… ni sur la nature de la mort d’Alan, son « fils » ou Ed.
Les scènes d’anthologie avec la mère d’Arnold sont le pilier de cet « acte », et ne laissent vraiment pas indifférents. En effet, on y voit à quel point les deux êtres sont liés par l’amour qu’ils se portent, mais aussi séparés par un mur d’incompréhension et de dissension. Leurs caractères si semblables et explosifs donnent lieu à des échanges aussi croustillants, tragiques qu’émouvants, et sont portés par les deux comédiens avec énormément de talent. Rosine Cadoret (que j’ai déjà vu à la téloche dans des petits rôles, c’est certain) ne copie pas le rôle d’Anne Bancroft et compose une excellente mère.
Évidemment, nous n’avons pas échappé au bellâtre d’Alan en boxer CK très seyant… mais au moins, il l’a gardé sur les fesses. Ils ont en tout cas choisi un très beau mec, et surtout qui a bien assuré son rôle (il n’est pas extraordinaire, mais tient la route).
Il s’agit vraiment d’une pièce aux problématiques encore très actuelles et on ne peut s’empêcher de s’identifier. Outre cela, ces personnages si touchants et authentiques ont une portée bien plus universelle que ce qu’on pourrait penser au premier abord. Je suis vraiment enchanté par cette bonne traduction, et du passage si « smooth » de la VO à la VF. Mais surtout, quel bonheur de passer deux heures en compagnie de comédiens et comédiennes inspirés et portés par leur texte. Aucune réplique ne sonne faux dans cette pièce dont le texte n’est pourtant pas toujours très facile et plutôt verbeux, et aux échanges intenses, tour à tour émouvants, drôles, tragiques ou pathétiques.L’avis d’Alex et Greg :Hier soir, nous sommes allés avec Matoo voir Torch Song Trilogy au Vingtième Théâtre. Greg et moi n'en avions jamais entendu parler, pas plus que du film qui en a été tiré, ce fut donc pour nous une découverte, plutôt bonne d'ailleurs.
La pièce retrace au travers de trois tableaux, les moments forts de la vie d'Arnold qui vit ouvertement sa vie de gay tout en refusant toute forme d'hypocrisie, de déni ou de mensonges quitte à en payer les conséquences.
Le premier tableau nous montre la rencontre d'Arnold et d'Ed qui ne s'assume pas et préfère s'enfermer dans le mensonge pour vivre une vie « normale » et connaître le mariage. Cette première époque de la vie d'Arnold est probablement la moins réussie, la faute à un rythme un peu bancal (avait-on véritablement besoin des chansons ?) qui a eu du mal à nous accrocher. Heureusement cela s'améliore après.
Le deuxième tableau nous montre Arnold en couple avec Alan. Une relation passionnée et un peu mise à mal par un week-end passé chez Ed et sa femme. Là, le rythme s'accélère, on se laisse vraiment prendre par les petites répliques qui fusent et qui font rire. Et quelques idées de mise en scène nous ont vraiment séduites (le petit passage des dialogues croisés où l'on suit plusieurs conversations en même temps était plutôt sympa). Petit bémol, Greg et moi avons ont un peu de mal à accrocher à la situation qui nous a semblé un peu fausse. Mais ce tableau se regarde tout de même avec plaisir.
Survient alors le tableau trois, quelques temps après la mort d'Alan. Arnold a recueilli chez lui Ed qui s'est séparé de sa femme et a adopté le jeune David. Quand surgit la mère d'Arnold... Ce tableau-çi est de loin le plus réussi, la mère et le fils adoptifs sont excellents et les dialogues font vraiment mouche. De francs fous rires laissent soudain la place à de beaux moments d'émotion...
Au final nous avons passé un très bon moment en dépit d'un début qui ne nous convainquait pas. Rares sont les pièces dites « homos » qui sonnent aussi vrai et ne versent pas dans la caricature. Le tout était emmené par des acteurs excellents et par une mise en scène assez vigoureuse et intéressante. Bon, dans la salle, on avait un petit peu l'impression d'être dans une annexe du Marais et après avoir vu la pièce, je le regrette un peu car je pense qu'elle pourrait vraiment s'adresser à un public plus élargi.
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