Fiche technique :
Avec Jérémie Elkaïm, Stéphane Rideau, Marie Matheron, Dominique Reymond, Laetitia Legrix et Nils Ohlund. Réalisé par Sébastien Lifshitz. Scénario de Stéphane Bouquet et Sébastien Lifshitz.
Directeur de la photographie : Pascal Poucet. Compositeur : Perry Blake.
Durée : 100 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Mathieu, dix-huit ans, est en vacances avec sa mère et sa soeur dans un village de bord de mer. Avec eux, il y a aussi Annick, qui s'occupe du quotidien et veille surtout sur la mère, désemparée depuis la mort de son dernier enfant. Sur la
plage, Mathieu rencontre Cédric, un garçon de son âge. Commence alors ce qui ressemble à une aventure de vacances mais, jour après jour, de petits conflits en étreintes, d'insouciances en
provocations, l'affection grandit et devient intense...
L’avis de Yann
Gonzalez :
Un été, sur une plage de Bretagne, Mathieu (Jérémie Elkaïm), un Parisien de 18 ans, fait la connaissance de Cédric (Stéphane Rideau). Les deux garçons vivent une aventure de plus d’un an. L’hiver
qui suit leur séparation, Mathieu tente de se suicider. En guise de thérapie et pour mieux faire le deuil de Cédric, l’adolescent décide de retourner sur les lieux de leur rencontre...
Une histoire d’amour infra-passionnelle, une dépression douce, des drames sous-jacents... Presque rien, donc, du moins en surface. Car le film de Sébastien Lifshitz
travaille avant tout sur l’ellipse et le non-dit, prenant le risque de privilégier les temps morts aux temps forts. Ce choix de structure en creux ne va toutefois pas sans frustrer, ne serait-ce
qu’à l’orée des Terres froides, réalisé pour Arte par le même Lifshitz et dont la profusion romanesque – c’était, pour le coup, « Presque tout » : quête du père, tragédie
gréco-marxiste et sodomie dévastatrice – était à peine adoucie par la retenue de la mise en scène.
Les beautés de Presque rien, quant à elles, ne se goûtent que fugitivement, au gré des percées poétiques que le cinéaste
s’est permis de sacrifier à son désir de rétention. C’est dans les petits reliefs de son récit fractal (les séquences se suivent sans ordre chronologique, entre l’été et l’hiver, l’amour naissant
du couple et la solitude de Mathieu) que le film offre ses moments les plus immédiatement touchants : un coït sur le sable, une danse improvisée via Mylène Farmer (Libertine revu et
corrigé version pédé), les aveux de Mathieu à sa mère malade (la toujours émouvante Dominique Reymond) ou encore la rencontre de ce dernier avec l’ex-petit ami de Cédric.
Lorsque ses images sont moins signifiantes, plus atones, Presque rien frise la platitude, comme s’il ne s’était pas
suffisamment nourri de situations fortes pour pouvoir sublimer la mélancolie de son protagoniste, comme si les instants pleins manquaient de cette incandescence seule capable de nous faire
ressentir l’absence ou la douleur. Avec Les Terres froides, Lifshitz nous a prouvé qu’il était grand, et si Presque rien n’érode nullement notre croyance, on ose
espérer que l’auteur des Corps ouverts se déleste à l’avenir d’une partie de sa modestie.
L'avis de Mérovingien02 :
Sébastien Lifshitz ne change jamais de registre. Après deux court-métrage sur l'homosexualité (Il faut que je l'aime et Corps
Ouverts), voilà qu'en 1999, il réalise son premier long métrage sur... l'homosexualité. Le ton se fait cette fois moins dur, mais il n'en demeure pas moins grave, très sérieux, proche des
films d'auteurs à la française, style téléfilm sur grand écran. Il n'est franchement pas indispensable de le découvrir au cinéma, une simple vision sur Arte ne changeant pas grand-chose aux
sensations éprouvées au visionnage.
L'intrigue est typique du film de festivals Gay et Lesbien, avec son jeune héros qui tombe amoureux d'un garçon pendant l'été et fait son coming-out. Rien de particulièrement original donc. Mais
comme pour briser la banalité sans laquelle le film ne vaudrait guère mieux qu'un film Télérama destiné à une soirée Thèma, Sébastien Lifshitz choisit de faire éclater la narration en
trois saisons : l'été, l'automne et l'hiver. Le récit linéaire se retrouve ainsi éparpillé, passant des moments joyeux et ensoleillés de la rencontre amoureuse aux instants de solitude qui
suivront la rupture. Le jeune héros, Mathieu, a entre-temps plongé en dépression. Mais le « pourquoi », on ne le comprendra pas immédiatement. Car en privilégiant une structure narrative en
puzzle, le réalisateur nous pousse à combler les ellipses, comme par exemple ce qui a poussé le couple à la rupture.
Finalement, cet espace-temps du film en pagaille permet au réalisateur de s'affranchir de l'histoire banale pour, dans une mesure relative, coller d'avantage au portrait d'un jeune homme à un
moment de sa vie et qui ressasse ses souvenirs et se cherche. Comme le titre l'indique, l'auteur filme des choses simples sans les intellectualiser, et parle de choses anodines qui ne le sont pas
tant que ça. On colle au personnage principal avec une mise en scène épurée, quasi documentaire. Forcément très intimiste.
Presque rien nous invite finalement à rencontrer un garçon qui ne témoignait jusque là d'aucune émotion particulière (la scène de
l'oiseau mort, la façon dont il a vécu la mort de son frère), comme s'il les renflouait au plus profond de lui-même et qui, en découvrant l'amour, va apprendre à les exposer. Il ne fait aucun
doute que Mathieu a déjà un fort potentiel de dépressif, voire ses silences constants et son regard vide. Mais en découvrant l'amour, il se découvre lui-même, et plus précisément son corps. Le
corps a toujours été au cœur du travail de Lifshitz et de son scénariste Stéphane Bouquet. Ici, de nombreux plans sur des caresses, sur les corps des jeunes garçons au soleil ou sur leur nudité
renvoie à l'exploration de la découverte de soi-même et de la découverte de l'autre. Ces corps sensuels qui se mélangent sont une échappatoire à la vie miséreuse qui entoure Mathieu (sa sœur en
pleine crise d'adolescence, la mère dépressive). La beauté du corps et le plaisir sexuel sont en totale opposition avec la froideur du monde et permettent de s'en éloigner, d'être préservé. Il y
a d'ailleurs un jeu de contraste entre les scènes d'amour en été, pleines de grands espaces (la mer, les forêts), avec une lumière chaude et rassurante et les scènes marquant la dépression, avec
la froideur des murs d'hôpital. Mais il y a également une opposition flagrante entre la vie sociale de Mathieu pendant sa relation amoureuse et l'après. Ainsi, pendant l'été, il est à plusieurs
reprises dans le même cadre que sa famille, que ce soit lors d'une discussion à table avec la famille (la caméra tourne autour des personnages comme pour les relier) ou bien lors de discussions
plus sérieuses (le coming-out de Mathieu à sa mère, les remarques de sa sœur ou de sa tante). Une fois l'automne entamé, Mathieu est souvent seul dans le champ de la caméra. Sa famille l'a de
toute évidence rejetée. Même lorsqu'il discutera avec une psychiatre, Mathieu sera isolé en champ/contre-champ.
Mais tout ce travail discret de mise en scène demeure somme toute assez classique et ne relève pas spécialement
de l'inédit au cinéma (le travail sur les saisons renvoyant à un état mental par exemple). À tel point que le plus gros mérite du film vient sans aucun doute de sa représentation sans fard de
l'homosexualité. Sans tabou, sans jamais basculer dans les clichés du genre (style « Holala, je vais faire mon coming-out ! »), Sébastien Lifshitz parvient à faire non pas un film sur
l'homosexualité mais simplement un film. Pas d'étiquette donc. Ainsi, le sexe est représenté sans chichi, et ce dès les premières minutes où un plan cru vient s'insérer dans la succession d'image
lisses : un plan sur Mathieu qui caresse son sexe et commence à bander. Une manière d'aborder la solitude de Mathieu sans tabou, en représentant la masturbation comme un acte de plaisir
solitaire. Par la suite, d'autres plans explicites trouveront leur place, la nudité faisant partie intégrante de la complicité et de l'amour partagé entre Cédric et Mathieu. Que ce soit Cédric
dansant nu en parodiant Mylène Farmer ou bien une scène de sexe passionné dans les dunes de sables. C'est frontal mais nullement provocant.
Il convient de saluer la performance des acteurs qui se dévoilent sans fausse pudeur, des rôles pas évidents, et qui n'ont aucune crainte de se retrouver cantonner dans des rôles d'éternels gays.
Ainsi, Jérémie Elkaïm déjà vu dans le téléfilm « A cause d'un garçon », diffuse une féminité derrière un charisme absent, témoignant ainsi d'une grande fragilité, tandis que l'icône gay Stéphane
Rideau (Les Roseaux sauvages d'André Téchiné, À toute vitesse de Gaël Morel et Sitcom de François Ozon, décidément !) offre une assurance plus forte, bénéficiant de sa
carrière de sportif pour composer un homme sexy et viril, véritable vivier à fantasmes, offrant un solide contrepoint au personnage perdu de Mathieu. L'alchimie entre les deux comédiens est
parfaite, excitante, touchante.
Derrière son titre anecdotique et son sujet bateau, le film de Sébastien Lifshitz reste un film plus classique qu'il ne voudrait l'être mais se suit avec un certain intérêt. Il n'y a pas
franchement de quoi se relever la nuit mais le fait que le film ne pose jamais la question de l'homosexualité reste une preuve de sincérité du cinéaste et d'honnêteté. Ce n’est déjà pas si
mal.
Pour plus d’informations :
Site de Stéphane Rideau
Autre site sur Stéphane Rideau
Site de Jérémie Elkaïm
Site de Sébastien Lifshitz
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