(Some like it Camp)
par Tom
Peeping
Tom Peeping (T.P. pour les intimes, comme Tippi Hedren) aime se
promener sur les chemins de traverse du 7ème art et de la télé et s’arrêter pour soulever des pierres. Les films qu’il y déniche, la plupart méconnus ou oubliés, méritent pourtant leur place près
de l’arc-en-ciel. Camp, kitsch, queer ou trash, ils racontent une histoire du cinéma des marges. Gays sans l’être tout en l’étant, ils espèrent retrouver dans cette rubrique leur fierté d’être
différents.
Tom Peeping, quand il ne visionne pas quelque rareté de derrière les fagots, est conférencier en histoire de l’art et fréquente assidûment les
musées parisiens pour y gagner sa vie de vive voix. Il est né dans les Sixties, la décennie du Pop Art, des Yéyés et des Go-Go Girls. Et il rejoint, pour notre (et votre) plus grand plaisir,
l'équipe du blog Les Toiles Roses.
Fiche technique :
Avec Sal Mineo, Juliet Prowse, Jan Murray, Elaine Stritch, Margot Bennett, David J. Travanti, Diane Moore,
Frank Campanella, Bruce Glover, Tom Aldredge, Rex Everhart, Alex Fisher, Stanley Beck et Casey Townsend. Réalisation : Joseph Cates. Scénario : Arnold Drake et Leon Tokatyan. Directeur
de la photographie : Joseph C. Brun. Compositeur : Charlie Calello.
Durée : 94 mn. Disponible en VO.
Résumé :
Norah (Juliet Prowse) est une jeune femme libre qui gagne sa vie en attendant des temps meilleurs comme D.J.
d’une boîte de nuit new-yorkaise. Des coups de fil anonymes salaces qu’elle reçoit chez elle depuis peu l’inquiètent car elle a la vague impression que son tourmenteur la connaît. Elle se confie
à un policier spécialiste des pathologies sexuelles (Jan Murray), qui commence une enquête. Les appels se multipliant, Norah accepte l’offre de sa patronne (Elaine Strictch) de venir loger chez
elle : hélas, celle-ci fait des avances à la jeune femme qui la met à la porte.
L’éconduite se fait tuer dans une ruelle sombre des abords de l’appartement de Norah. La jeune femme se
rapproche alors d’un de ses collègues (Sal Mineo), serveur dans le night-club, un culturiste timide à la sexualité incertaine qui habite avec sa sœur cadette, handicapée mentale. Norah apprendra
à ses dépens qu’il faut se méfier de ce genre de type…
L’avis de Tom Peeping :
Un post sur un blog ami (Fears for Queers, merci BBJane !) m’a permis de découvrir un film obscur dont l’originalité et l’audace m’ont d’abord surpris, ensuite enchanté :
Who Killed Teddy Bear ? de Joseph Cates. Récemment sorti en DVD Z2 UK, le
film est un petit chef-d’œuvre de cinéma de genre.
Il s’agit d’un thriller américain de 1965 dont l’accumulation de scènes osées pour l’époque génère stupeur
sur stupeur.
Who Killed Teddy Bear ? est un peu Les
Infortunes de la vertu revu par le cinéma indépendant new-yorkais. La malheureuse héroïne navigue de Charybde en Sylla pendant toute la durée du film : poursuivie au téléphone par
un pervers anonyme, désirée par une prédatrice lesbienne, inquiétée par un flic obsédé de perversions, abusée par un collègue auprès duquel elle espérait le réconfort… Elle tombe de désillusion
en désillusion et ne sait plus, en fin de compte, à quel Saint se vouer. La malheureuse ne connaitra pas le destin funeste de Justine mais elle sortira cependant de son odyssée fort
ébranlée.
En plus de ce carnaval de déviances, Who Killed Teddy Bear ? réserve bien d’autres surprises, comme ce mélange de scènes tournées en
studio (les scènes d’appartement et de night-club) et d’autres tournées dans les rues de Manhattan pendant l’hiver 1964 avec une caméra sans doute très discrète qui saisit dans leur immédiateté
le quotidien des rues de l’époque. Le réalisme documentaire de ces séquences leur confère un fort sentiment de cinéma-vérité : certains passants s’arrêtent pour observer l’équipe du film faire
son travail et les travelings nocturnes révèlent la faune interlope de Times Square et de la 42e rue qui n’étaient pas encore le territoire des touristes. L’influence de Blast of Silence (autre film indépendant new-yorkais, réalisé en 1961), de Melville et de la
Nouvelle-Vague est évidente et maîtrisée : Joseph Cates connaissait ses classiques contemporains. Le directeur de la photographie d’origine française, Joseph Brun, utilise formidablement bien un
noir et blanc un peu sale qui convient à merveille aux zones plus qu'obscures de l’histoire.
Les acteurs sont excellents dans des rôles qui se prêtent pourtant, sur le papier, à toutes les outrances.
La charmante Juliet Prowse d’abord, parfaite en victime pleine de résilience. La jeune actrice et danseuse sud-africaine à la silhouette longiligne et au visage mutin (ses yeux de chat et son
sourire désarmants sont de ceux qui ne s’oublient pas) réussit à transmettre au spectateur les émotions contrastées par lesquelles passe son personnage. Elle est sublimement sexy dans
l’avant-dernière scène du film, une longue séquence où elle danse avec Sal Mineo sur un air de pop : on croit aisément Elvis qui ne tarissait pas d’éloges sur elle après l’avoir eue comme
partenaire dans G.I. Blues (1960). Dans des seconds rôles à forte personnalité,
la grande dame de Broadway Elaine Stritch, imposante de présence, donne à la patronne du club la dose d’ambigüité qu’il faut et Jan Murray, en flic hanté par la mort violente de sa femme,
provoque l’inquiétude par ses silences et ses regards pleins de sous-entendus. Mais le film permet surtout la révélation de Sal Mineo, dont c’est sans doute le rôle le plus
casse-gueule.
Exploitant son physique nerveux bien connu depuis La Fureur de vivre (tourné dix ans plus tôt), le réalisateur lui permet de jouer sur sa propre
ambigüité, entre fragilité et névrose. Sal Mineo s’est investi à fond dans son rôle, qui, pensait-il, allait réveiller une carrière sur la pente descendante et mettre fin aux rumeurs
d’homosexualité dans lesquelles il se débattait alors. En voyant le film aujourd’hui, on ne peut qu’être interloqué par cette ambition évidemment vouée à l’échec : Who Killed Teddy Bear ? était, en 1965, aux antipodes du genre de film qui aurait permis à ses
participants de se refaire une santé au soleil d’Hollywood. Le film précipita la chute de l’acteur qui poursuivit quelque temps sa carrière dans des séries télévisées avant de mourir
prématurément à 37 ans en 1976, assassiné dans des circonstances qui n'ont jamais été éclaircies. À ma grande surprise, Who Killed Teddy Bear ? a réussi à me rendre plus sensible à Sal Mineo, un acteur dont je ne
pensais jusqu’alors pas grand-chose.
Who Killed Teddy Bear ? est donc un thriller psychosexuel aux audaces scénaristiques stupéfiantes pour 1965. Plein de scènes ne manqueront pas
d’étonner les amateurs de bizarreries d’images et de dialogues : le formidable générique de début, avec ses deux corps nus qui s’étreignent en gros plan sur un lit (sur un visuel et une chanson
fortement inspirés de Goldfinger) ; ce policier veuf qui se repasse en boucle les
confessions de psychopathes sur des bandes magnétiques et qui vit avec sa fille de 12 ans (qui lui demande, lorsqu’il ramène Juliet Prowse chez eux, si « c’est une pute ? ») ; l’évocation des
masturbations du type du téléphone ; le personnage de la sœur demeurée (car tombée sur la tête après avoir surpris son frère au lit avec on ne sait qui !) ; les exercices de musculation de Sal
Mineo, à la charge puissamment homo-érotique ; le panoramique plein d’enseignements sur les rayonnages de livres d’une boutique pour adultes (où figurent entre autres côte-à-côte Psychopathia
Sexualis, Tropique du Cancer et Le Festin nu) ; les nombreuses scènes avec Prowse ou Mineo en sous-vêtements ; le surprenant viol final ; l'image arrêtée qui ferme le
film…
Et puis, pour alléger toute cette poisse (je ne parle pas de Prowse ou Mineo en sous-vêtements), il y a ces
longues séquences de danse de toute évidence placées dans le film pour en rallonger la durée à moindre frais : les danseurs sur la piste du night-club sur « Born to be bad » (dont un formidable
couple de noirs à l’impressionnant sens du rythme) et les mouvements endiablés de Juliet Prowse et de Sal Mineo à la fin, sur « It could have been me » (ces deux-là savaient bouger, dans des
genres très différents !), deux morceaux pops spécialement écrits pour le film par Al Kasha et Bob Gaudio et introuvables depuis (j'ai pourtant cherché). Certains spectateurs regrettent ces deux
séquences musicales qui ralentissent l’action. Pour ma part, je les adore : en plus d’être de vraies time-capsules de pop sixties, elles offrent des contrepoints formels qui renforcent
l’étrangeté de tout ce qui se passe autrement à l’écran.
Who Killed Teddy Bear ? est un film qui ne ressemble à rien de connu au milieu des années 60 : part thriller, part drame psychologique et part
exploitation (et c’est bien sûr la meilleure part !), il garde, près de 45 ans après sa réalisation, sa capacité à surprendre et même, et c'est beaucoup plus rare, à choquer. Évidemment, sa
sortie en 1965 déclencha les foudres de la censure américaine qui effectua quelques coupes dans les scènes les plus indécentes et le film fut tout simplement interdit en Angleterre (refus de
certificat) : sa récente sortie en DVD au Royaume-Uni marque donc la toute première fois que le film est visible dans le pays, établissant une sorte de record de délai de diffusion.
C’est donc une belle découverte que ce Who Killed Teddy Bear ?, rarissime petit joyau noir des Sixties qui osait s’aventurer sur des
terrains bien marécageux pour l’époque. Klute, Taxi Driver, Hardcore... sont juste au coin de la rue. Une bizarrerie qui a tous les arguments d'un film-culte,
d'un vrai.
Entre nous : vous vous souvenez peut-être de cette inénarrable chanson de notre Sheila nationale au début
des années 80 : « L’Amour au téléphone » ? Eh bien Who Killed Teddy Bear ?,
le croiriez-vous, m’y a fait repenser. Fallait le faire ! Et chacun a les références qu'il mérite.
Des nymphos, des homosexuels,
Sado-masos et je ne suis pas spécialiste !
Et j'ai même entendu a un cocktail
La plus bizarre de la liste :
L'amour au téléphone !
L'amour au téléphone !
L'amour au téléphone !
L'amour au téléphone !
Dans cette débauche phénoménale,
On est normaux, nous,
Est-ce bien normal ?
Où ? Où ? Où allons-nous ?
Le DVD anglais de Who Killed Teddy Bear ? est de très bonne qualité avec seulement quelques variations peu
gênantes dans l’image dues aux diverses copies qui ont permis la réintroduction des séquences censurées. Très curieusement, le splendide générique de début montre des corps nus flous alors que
l'extrait YouTube (ci-dessous) du même générique les montre nets : un parfait exemple de traficotage d’image par les censeurs. Ça aurait été bien que l’éditeur du DVD (Network) ait pu avoir accès
à la séquence non floutée. Pas de sous-titres.
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