11. Anne-Cécile
Makosso-Akendengué :
Ceci n'est pas
l'Afrique
Il est assez étrange pour moi de poser des questions à ma propre mère au sujet de la parution de
son nouvel ouvrage : Ceci n’est pas l’Afrique. J’avoue : c’est une idée de Daniel, le fondateur des Toiles Roses. L’ouvrage n’a rien de « gay » ‒ même
si, par expérience, je peux témoigner que le Gabon n’est pas le pire pays pour les LGBT en Afrique.
Mais aussi il offre une bouffée d’air car il nous éloigne d’une Afrique fictive, construite de
bric et de broc, de fantasmes… Évidemment, il y a celles et ceux qui ont une idée toute faite d’un pays africain et qui ne voudront pas évoluer. Si l’on suit le raisonnement de certaines
personnes, on a ce sentiment malsain que l’Afrique authentique est une Afrique pauvre, sans eau, sans électricité… Combien de fois m’est-il arrivé de tomber sur des français, qui, dans le
cadre d’un jumelage entre Angers et Bamako, mettaient un point d’honneur à ne pas vouloir rester à Bamako mais aller dans les petits villages perdus parce que : « Tu comprends,
Bamako, c’est trop moderne, c’est pas authentique, c’est sans intérêt ». Authenticité, un mot galvaudé.
On peut trouver le bouquin un peu partout, ce qui est bien. Des gens écrivent pour remercier ma
mère pour cette initiative. Un bel article signé Luc Melmont est disponible sur le site Culture et Chanson.
Jann Halexander : Alors
chère mère, ne rigole pas, car évidemment ce n’est pas tous les jours que tu te fais interviewer par ton fils, je te le jure, cette idée n’est pas de moi !
Ceci n’est pas l’Afrique va plaire, je pense, à des gens qui ont vécu dans les grandes villes africaines mais ne se sont jamais reconnus dans les
descriptions qu’on en faisait en général, y compris dans les médias occidentaux. Quel public cibles-tu ? Que voudrais-tu que l’on en dise ?
Anne-Cécile Makosso-Akendengué : Je ne
cible pas un public en particulier. J’aimerais qu’on dise que mon livre est sincère, que l’on sent bien le témoignage. Ce n’est pas un roman, tout est vrai. J’aimerais aussi (c’est
présomptueux) que l’on dise parfois : « Mais sa vie… c’est un roman ! »
Cela aurait pu être un plaidoyer enragé, mais au contraire il y a de la distance, de l’humour,
presque de la tendresse… J’espère bien ! S’il n’y avait pas un peu de tendresse quand je parle de 20 ans de ma vie, j’aurais peur… de finir aigrie !
Et comment l’idée d’écrire sur Libreville et sur le Gabon est-elle
venue ?
Au départ, il y a eu des articles pour un journal d’association, le journal de l’ADFE (Association Démocratique des Français à l’Étranger), puis le plaisir à écrire s’est confirmé. J’ai eu aussi plaisir à évoquer des lieux, des
moments…
La description savoureuse de l’atanga en fera saliver quelques-un(e)s, où peut-on trouver cet étrange fruit en France ?
Une amie m’a dit qu’on en trouve actuellement à Paris. J’aurais bien envie d’aller
voir !
Qu’a pensé ton entourage autour du livre ?
Les échos que j’ai eus à ce jour sont positifs, mais je crois que je n’en ai pas encore assez pour
me faire une idée de ce que mon livre peut susciter. J’espère que cela sera riche et varié.
Ton premier roman était Mathilde et son pianiste, publié aux 2 Encres, tu en es à ton deuxième roman, un troisième en préparation ?
Je me consacre actuellement à la poésie. Alors pourquoi pas dans deux ou trois ans un
recueil ?
Le retour en France a-t-il été pénible, comme on le lit souvent dans de nombreux
témoignages d’expatriés ? D’ailleurs te sentais-tu française là-bas ?
Le retour était choisi, donc assumé. Il n’empêche que c’est assez difficile, et que l’on ne se
sent pas vraiment intégré. L’ai-je d’ailleurs été quelque part un jour ? Je ne me retrouve pas dans les souvenirs d’expatriés que j’ai pu entendre, et je ne me retrouve pas non plus dans
les souvenirs de ceux qui n’ont pas connu le départ, qui est plus qu’une expérience. C’est une page de vie.
En fait, la force de ce livre c’est aussi que tu n’es pas juste une blanche qui écrit
sur un pays africain. Car le Gabon a été aussi vécu dans l’intime : il t’a donné un mari ‒ vous êtes mariés depuis 1981 ‒ et deux enfants, la société gabonaise tu l’abordes aussi de
l’intérieur, tu en fais aussi partie, envisages-tu de retourner là-bas ?
C’est vrai que pour moi ce pays est très chargé affectivement, je ne me sentais pas étrangère
là-bas. Pourtant je n’envisage pas d’y retourner, mais un petit week-end à LBV (Libreville), pourquoi pas ? (C’est d’un snob !)
Tu as vécu aussi ce qu’on appelle l’arrivée de la Démocratie, un mot qui a tout son
sens pour toi mais ce mot est régulièrement critiqué, y compris en France, par des intellectuels cyniques. Qu’as-tu à dire là-dessus ?
Les intellectuels cyniques… Beurk !
La lecture est fluide, on regrette que ce soit presque trop court, je te laisse les
mots de la fin, tu as carte blanche…
Je me souhaite beaucoup de lecteurs, mon fils !!! (rires)
L’avis de Luc
Melmont :
Sur mon
blog, je parle chanson et culture. La chanson fait partie de la culture mais il serait dommage de ne parler que chanson. J'ai parlé cinéma, peinture ; je parlerai littérature.
En fait j'analysais un roman d'Amélie Nothomb quand j'ai reçu un exemplaire au titre intriguant : Ceci n'est pas
l'Afrique.
Il est courant d’entendre que les médias français donnent une image déformée et négative de
l’Afrique. Et dans le fond, nous savons très bien que l’Afrique ce n’est pas toujours la guerre, la pauvreté, le sida… Mais que savons-nous vraiment de l’Afrique urbaine et quotidienne ? De
l’Afrique moderne ? Celle que les occidentaux en quête d’exotisme malsain refusent de voir. Car pour eux, l’Afrique des villes, de l’eau potable et des magasins climatisés n’est pas
l’Afrique.
Anne-Cécile Makosso-Akendengué,
française blanche mariée à un Gabonais et mère de deux enfants, raconte vingt années passées à Libreville, capitale de ce pays connu, le
Gabon. Un récit passionnant et hélas… trop court. Car à travers sa vie, c’est aussi une société que nous découvrons, avec fascination, délectation aussi, tant l’auteur mélange humour et
tendresse.
Elle aborde par exemple la démocratie, « arrivée » au Gabon en 1990, et nous rappelle sans
démagogie ni lourdeur que la Démocratie a un sens et un impact concret sur la vie des gens.
Rarement la beauté d’un orage équatorial a été aussi bien décrite. Ses périples à Lambaréné, ville du fameux docteur Schweitzer ou à Port-Gentil, moderne cité pétrolifère, valent mieux que n’importe quel guide touristique. À la lecture, nous ressentons le climat équatorial ;
nous voyons les vastes forêts reliant les villes ; nous sentons les rues et les bords de mer ; nous goûtons ces fruits exquis décrits de façon savoureuse (notamment les atangas). Ceci est l’Afrique : une Afrique réelle, contemporaine, loin des images d’Épinal ; c’est une Afrique moderne,
quotidienne, avec ses grands supermarchés, ses centres culturels, ses chorales du week-end, ses restaurants, ses plages où se côtoient riches, pauvres et classes moyennes, où les expatriés
vont le dimanche après-midi à la piscine des grands hôtels pour faire passer le temps. Parce que l’ennui est universel. La crainte de l’avenir aussi. Les jeunes gabonais suivent des études
dans des lycées surpeuplés sans trop savoir où cela mènera. Et tout le monde a des rêves d’ailleurs. C’est un récit sur la vie.
Amateurs de descriptions de safaris, de longs traités sur la Politique, de commerce équitable ou
d’histoires fabuleuses sur les gens pauvres mais heureux, passez votre chemin, ce bel ouvrage n’est pas pour vous. Mais pour celles et ceux
qui acceptent l’inattendu, la surprise, on ne peut que conseiller de lire Ceci n’est pas l’Afrique.
Éditions l'Harmattan, collection Graveurs de mémoire
TO BE CONTINUED...
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