Je suis un fils et un frère homosexuel
privilégié…
par Daniel Conrad Hall
J’ai 41 ans. Je suis un fils et un frère homosexuel privilégié. Je n’ai jamais été obligé de faire mon
coming-out auprès de ma famille. À 16 ans, ma mère est montée dans ma chambre et m’a trouvé dans le même lit que mon premier petit copain, mon premier grand amour : J.-F. Nous avons eu le
droit à notre petit-déjeuner (presque) au lit. Même si il y a eu quelques larmes le soir même (ma mère avait toujours su pour moi, et peut-être même avant moi, et devait se résoudre à admettre
que c’était vrai ; moi je pleurais car je me sentais coupable), ma mère a conclu une longue discussion par ces mots : « Quoi que tu fasses, qui que tu sois, tu seras toujours mon
fils, tu seras toujours mon gros titi. » Gros titi, moi ? Oui, c’est vrai et je l’avoue, c’est mon seul véritable coming-out. Pour mon frère et ma sœur, j’ai été et je suis toujours
leur grand frère et gay ou pas, cela n’est jamais entré et n’entre pas en ligne de compte. Mes petits amis ont toujours été accueillis comme des membres de notre famille. Ni plus ni moins que les
amies de mon frère ou les amis de ma sœur. L’amour de ma vie est même devenu le troisième fils de ma mère et un frère pour mon frère et ma sœur. Jamais, je dis bien jamais, ma famille n’a fait
preuve d’homophobie ordinaire ou involontaire. Pour eux, je suis moi tout simplement, naturellement. J’ai une famille en or que j’aime. Et qui milite pour l’égalité des droits. Qui
regarde et aime mes films et séries consacrés à l’homosexualité. J’aimerais tellement partager ma famille, ma maman, ma sœurette et mon frangin, avec les jeunes de l’association « Le Refuge » !
J’ai connu Nicolas Noguier par le biais de Facebook. À ma grande honte, je ne connaissais pas l’association
(la seule et unique en France) que lui et Frédéric Gal portent à bout de bras, bénévolement, avec détermination, avec courage, luttant contre tous les obstacles possibles et imaginables. Depuis
j’ai vu des reportages à la télévision, j’ai parlé avec Nicolas, j’ai lu le livre de Jean-Marie Périer – le photographe des stars – intitulé Casse-toi ! et consacré aux
jeunes du Refuge. Pour de multiples raisons, j’avais décidé de ne plus m’investir dans le milieu associatif (après 25 ans de militantisme associatif) mais
là, j’ai brutalement compris une chose. Une seule. Importante. Vitale. Ces jeunes lesbiennes et gays jetés à la rue par les êtres « humains » qui les ont conçus, ce pourrait être moi si
l’amour (malgré nos petites bisbilles ordinaires) n’avait pas guidé ma famille. Et je dois avouer que je n’aurais pas eu le centième du courage de ces jeunes. Non. J’aurais peut-être fait comme
des centaines, des milliers, d’adolescent(e)s qui chaque année décident d’en finir définitivement. Parce qu’ils aiment les garçons. Parce qu’elles aiment les filles. Et surtout parce que leur
famille n’est qu’un décor de carton-pâte qui s’écroule ou s’écroulerait devant cette révélation. Oui, je pense sincèrement que j’aurais mis fin à mes jours si ça avait été moi.
Alors que dans d’autres pays (comme la Belgique), ce genre de structures est habituel et aidé par l’Etat,
ici, en France, en 2010, il n’existe que Le Refuge qui survit comme elle peut. J’entends déjà les esprits chagrins et les pisse-vinaigre qui vont m’accuser
de faire du « communautarisme », ce mal affreux dont nous accusent ceux qui regardent de l’extérieur et souvent sans compassion humaine. Ils disaient avant : « Au lieu de vous
occuper des homos en Iran, en Arabie Saoudite, en Afrique, en Amérique centrale… Occupez-vous déjà de ceux qui sont ici ! » C’est vrai, alors je le fais – sans arrêter mes combats pour
mes frères et sœurs de tous les autres pays. Et l’on va me dire maintenant : « Oui, mais bon, et les jeunes hétéros, jetés de chez eux, désespérés et à la rue ? Ils ne comptent
pas ? » Je sais que cela va arriver. Aussi, j’ai déjà la réponse. Oui, être jeune, jeté de chez soi par ses parents et désespéré c’est une horreur absolue. Mais comme il existe des
degrés dans l’horreur, si vous ajoutez à cela le fait d’être homosexuel, c’est franchir un degré supplémentaire dans l’horreur. Et que l’on ne me dise pas le contraire ! À accumuler les
« tares », on descend encore plus vite en enfer. Et être et dire que l’on est homosexuel en France en 2010 n’a jamais été une partie de rigolade (contrairement à ce que laissent penser
les médias parisianistes et certaines associations privilégiées appartenant à un certain microcosme). Au contraire, le retour à une forme de puritanisme (le néo-conservatisme hérité de nos amis
américains avec quinze ans de retard) tend à ce que cela devienne de plus en plus difficile, de plus en plus impossible.
Je ne fais pas, malgré ce que pensent les gens que nous gênons, partie d’un lobby (si seulement il existait
un lobby gay en France ! Cela se saurait !) ; je ne suis pas « communautariste » (quelle stupidité politico-médiatique que ce terme) ; je ne suis même pas un
« activiste » gay. Je suis homosexuel mais avant tout humain. J’aime tous les êtres humains, même les pires salopards. Mais je me sens un lien supplémentaire avec certains : nous
appartenons à une même minorité (le plus souvent invisible), un lien qui fait notre différence. Une différence qui doit enrichir tout le monde et non pas séparer ou diviser. Ah, mon rêve, c’est
que tout le monde comprenne que l’humanité est « une infinie diversité en une infinie combinaison ». Je sais, je suis stupide. Mais je suis fier de l’être. Comme je suis fier
d’être gay.
J’ai décidé de me battre pour Le Refuge. Mon équipe est derrière
moi. Nous allons pendant trois jours vous présenter cette association (et je continuerai ensuite à vous informer très régulièrement). Nous allons appeler à les soutenir. Nous allons simplement
être ce que nous sommes, nous « pédés et gouines comme ils disent » d’un certain âge : être les parents de ces nouvelles générations de jeunes homosexuel(le)s alors que nous ne
pouvons toujours pas adopter d'enfant. Nous allons simplement être ce que nous sommes, nous jeunes « pédés et gouines comme ils disent » acceptés par nos familles et plutôt bien dans
nos vies : être les sœurs et frères de nos nouvelles générations de jeunes homosexuel(le)s. En adhérant, en faisant un don, en proposant notre aide, en parlant autour de nous du Refuge…
Égoïstement, je suis heureux de ne pas être un enfant du Refuge.
J’ai ma famille qui m’entoure depuis toujours. Pourtant, je me sens un enfant du Refuge et je vais me battre pour que mon sentiment d’impuissance soit
démenti : nous pouvons tous faire un petit quelque chose pour eux.
Je voudrais remercier Nicolas et Frédéric, des « héros » pour moi (et cela va terriblement leur
déplaire que je les appelle ainsi, mais j’assume !), qui m’ont accordé autant de temps et d’attention que celui qu’ils donnent aux jeunes. Et aussi à Gérard Coudougnan, mon second, qui
aurait pu trouver refuge au Refuge.
Ne m’en veuillez pas d’avoir été long et peut-être lyrique. Tout ce que je viens d’écrire sort de mes
tripes, de mon cœur et de ma tête. J’espère qu’il en sera de même pour vous. J’y crois.
Daniel Conrad Hall
Rédacteur en chef de Les Toiles Roses
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