INTERVIEW DE SARAH WARN,
LA FONDATRICE DU SITE LESBIEN
AFTERELLEN.COM
Sarah Warn est née dans une petite ville de l’État de Washington il y a 33 ans. Elle a
grandi en lisant tout ce qui lui tombait sous la main et en inventant des jeux avec sa sœur. Elle a reçu un B.A. au Wellesley College et un Master en Théologie à l’Université de
Harvard.
Elle a ensuite passé sept ans à travailler dans le marketing et le business Online. Puis en
avril 2002, elle a fondé le site AfterEllen.com pour se distraire et parce qu’elle ne parvenait pas à trouver ce qu’elle souhaitait concernant les
homosexuelles dans les médias. Les trois premières années, ce site ne lui a pas rapporté d’argent car elle n’avait pas de partenariat publicitaire. Puis la quatrième année, elle a quitté son
emploi, trouvé des partenaires et s’est occupée du site à temps plein. Aujourd’hui, AfterEllen.com est le site lesbien le plus connu aux États-Unis.
Sarah Warn est également la créatrice de AfterElton.com (apparu sur la toile en 2005) et de Erosion Media, LLC. En juin 2006, la jeune femme a annoncé qu’elle avait été rachetée par Logo, une
entreprise spécialisée dans les programmes destinés au monde LGBT.
Quand avez-vous débuté AfterEllen.com ?
Je l’ai démarré en avril 2002. Les trois premières années, je n’ai fait aucun bénéfice – je n’avais
aucun annonceur et j’avais un travail à plein temps. Mais au cours de la quatrième année, j’ai démissionné de mon poste et trouvé des annonceurs.
Vous gériez seule le site, au départ ?
Oui, je l’ai commencé seule et pendant longtemps, j’ai été la seule à écrire les articles. C’était
juste un passe-temps. Je ne savais pas comment trouver des chroniqueurs, mais ensuite, j’ignore ce qui s’est passé, j’ai reçu des mails de personnes me demandant : « Hey, avez-vous
besoin de chroniqueurs ? » Donc lentement, j’ai trouvé d’autres personnes pour l’écriture et puis j’ai commencé à les rémunérer vers la troisième année. Le truc sympa avec les
lesbiennes, c’est qu’elles veulent vraiment voir le site que vous êtes en train de créer, donc tout ce qu’elles veulent, c’est vous aider.
Pourquoi l’avoir créé ?
Eh bien, je suppose pour la plupart des mêmes raisons qui vous poussent à créer votre site
web : j’ai regardé autour de moi et je n’ai pas vraiment pu trouver ce que je cherchais. C'est-à-dire des informations disponibles sur Internet pour les lesbiennes. De plus, je suis accro
aux divertissements, donc je voulais un prétexte pour écrire sur ce genre de trucs, vous voyez !
Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre parcours ?
J’avais travaillé pour un site Internet de voyages. J’ai fait du marketing en ligne pour eux et
avant ça, j’ai travaillé pour une grande agence de pub en ligne. Donc j’ai passé les huit dernières années à faire du marketing en ligne. Comme je vous l’ai dit, AfterEllen.com était juste un
passe-temps, mais d’un seul coup, c’est devenu le plus important site lesbien sur Internet. Donc j’ai pensé « OK, j’essaie de laisser tomber mon job et je vois ce que ça donne, j’essaie
d’en faire un vrai business. »
À votre avis, qu’est-ce qui rend votre site unique, comparé aux autres sites gays et
lesbiens ?
Premièrement, il est entièrement dédié au divertissement. De plus, nous écrivons uniquement sur des
femmes qui sont ouvertement lesbiennes ou bisexuelles. Nous ne parlons pas des femmes hétéros, sauf si elles incarnent des lesbiennes – à une exception près, un nouveau blog quotidien dans
lequel nous abordons des sujets non lesbiens. Mais c’est juste une sous-rubrique, le site principal ne traite pas de ça. Nous accueillons volontiers les femmes bisexuelles, ce qui est différent
de beaucoup d’autres sites, je pense. Nous leur consacrons une section.
Pourquoi avez-vous créé une section spéciale pour les femmes bisexuelles ? Existait-elle
dès le début ou l’avez-vous ajoutée après en avoir ressenti le besoin ?
Je l’avais mise dès le départ parce que certaines de mes ex-petites amies et plusieurs de mes
meilleures amies sont bisexuelles. Je les aime, donc je voulais les inclure !
Comment les femmes bisexuelles sont-elles perçues au sein de la communauté lesbienne aux
États-Unis ? Sont-elles les bienvenues ?
Je pense que ça dépend de quelle génération on parle. Elles ont tendance à être mieux acceptées
parmi les jeunes filles mais cela dépend également d’où vous vous trouvez, vous voyez. Je pense qu’environ 25 % de nos lectrices s’identifient comme bisexuelles. C’est un nombre considérable et
je pense qu’elles se sentent encore plus marginalisées.
Vous avez dit plus tôt que vous êtes une dingue de divertissement – qu’aimez-vous le
plus dans la culture lesbienne ? Qu’est-ce qui vous attire à ce point ?
Hum, et bien, j’aime la télé, donc (rires) je pense que les images sont vraiment importantes pour la
visibilité lesbienne. N’importe qui vivant dans la culture pop, sait que si vous n’êtes pas représenté, ça vous affecte d’une certaine façon – ça vous donne le sentiment que peut-être vous
n’avez pas le droit de voir vos histoires racontées. Je pense qu’il est important que nous soyons représentées donc je fais juste ma part afin d’essayer de faire que ça arrive.
Que croyez-vous que votre site ait changé pour les lesbiennes ? Pensez-vous qu'il y ait
un après "AfterEllen" ?
Eh bien, je ne sais pas. C'est une bonne question ! Euh, je pense que ça a aidé des gens qui ne
l'auraient peut-être pas été sinon, à se sentir connectés. En fait, ça me plaît d’essayer de donner aux gens les clés du divertissement lesbien pour qu'ils puissent le trouver. La plupart du
temps, c'est dur de trouver les bons plans, c’est juste le bouche à oreilles. Je reçois beaucoup de mails de personnes me disant que ça les aide à avoir le sentiment d'appartenir à quelque
chose de plus grand. Parce que la majorité des lesbiennes ne vit pas à Los Angeles ou New York et cela les aide en quelque sorte à se sentir connectées à une communauté plus vaste, vous
voyez.
Au fait, vos parents sont-ils au courant de votre site web ? Vous êtes sortie du placard
avec eux, n'est-ce pas ?
Oui. Je leur ai annoncé il a longtemps maintenant et ils l'ont bien pris. Je veux dire, ça leur a
pris du temps pour me soutenir réellement, mais par exemple, ils sont venus au Power Up gala, donc ils sont totalement à l'aise avec ça maintenant. (rires) En fait, c’est même ma mère qui relit
mes articles chaque semaine (rires).
C'est génial ! En fait, ça me rappelle l'histoire que la mère d'une femme politique
ouvertement homosexuelle, Otsuji, racontait. Sa mère avait écrit une lettre à un journal local, disant qu'elle n'avait vraiment accepté le fait que sa fille soit lesbienne que quand elle
s'était cassé le bras et qu'elle avait dû passer une semaine chez sa fille et la petite amie de celle-ci. Elle avait vu un couple tout à fait normal ‒ comme n'importe quel couple hétéro bien
installé et tous ses préjugés avaient disparu. Et maintenant elle l'accepte totalement et soutient sa fille à 100 %. C'était une lettre vraiment touchante.
Waw, c'est tellement beau ! Il me semble que plus de parents commencent à l'accepter ici. Mais j'ai
des ami(e)s qui ne l'ont annoncé à personne, pas même à leurs parents alors qu'ils ont la trentaine.
L'une de vos interviews a-t-elle déjà vraiment mal tourné ?
(rires)
Euh, j'essaie de me rappeler des mauvaises, mais j'en ai eu de vraiment très bonnes. Erin Daniels, de The L-Word, a
été géniale. Elle est hétéro, mais elle joue une lesbienne. Qui d'autre ? Iyari (Limon) qui jouait Kennedy dans
Buffy, elle a fait son coming-out pendant l'interview. Elle jouait une lesbienne dans Buffy. D'ailleurs je l'avais interviewée au Dinah Shore en 2005 ‒ elle était avec sa petite amie ‒ et j'ai dit un truc
du genre « Euh… Je ne savais pas que vous étiez lesbienne! » On l'avait interviewée par le passé et elle n'en avait rien dit. À l'époque, elle était hétéro, donc quand elle a déclaré
être bisexuelle dans notre seconde interview, c'était amusant. En plus, je suis une grande fan de Buffy !
Et pour les mauvaises interviews ? (rires)
(rires) C’est vrai, les mauvaises... Oh, oui, il y en a une. Je ne dirai pas qui, mais en gros,
parfois il y a des personnes qui veulent juste pester contre la communauté lesbienne toute entière et viennent se plaindre dans leurs interviews. Du style, comme si [AfterEllen] représentait
toute la communauté lesbienne. Elles se sentent lâchées par leur communauté et tout ce qu'elles veulent, c'est râler. Donc elles se plaignent auprès de nous ‒ ce qui me va ‒ mais ce
n'est pas vraiment notre faute. (rires)
À propos de la situation aux États-Unis : y avait-il une seule personne sortie du
placard avant Ellen Degeneres
?
Il y en avait quelques unes, mais vraiment très peu. Comme Amanda Bearse de Mariés, deux enfants ‒ elle a fait son coming out au début des années 90. Il y avait aussi
Melissa Etheridge et KD Lang. Mais depuis qu'Ellen l'a annoncé publiquement, de nombreuses personnes ont fait de même, donc ça a vraiment fait la différence. Pas juste le coming out d'Ellen ‒ d'autres choses se sont produites aussi. Mais oui, ça a vraiment fait une différence.
Quelles étaient ces autres choses ?
Je savais que vous alliez me demander ça. Je n’arrive pas à me les rappeler toutes à l’instant.
(rires) Mais le climat politique, beaucoup d’activisme et beaucoup de personnes travaillant dans les coulisses ont permis que ça devienne possible, petit à petit.
Je présume que The L-Word est une autre étape importante. Diriez-vous que les deux principales étapes pour les États-Unis ont été Ellen et The L-Word ?
Je dirais que si vous deviez choisir les deux plus grandes avancées de ces 10 dernières années,
alors ce serait probablement ces deux-là. Mais il y a aussi eu de nombreuses autres petites avancées tout au long du chemin. Vous voyez, comme le premier baiser lesbien à la télévision dans
LA Law [La Loi de Los Angeles]. C’était un pas en avant énorme, à l’époque, mais un petit rétrospectivement. Le film Bound a aussi eu son importance, je pense.
Pensez-vous que les lesbiennes soient en quelque sorte tendance dans la société actuelle
? Croyez-vous que la mentalité du public américain ait changé ces 10 dernières années ?
Elle a un peu changé. Je veux dire, je pense sans aucun doute que la situation est meilleure qu'il y
a cinq ans quant à la façon dont les gens perçoivent les gays et les lesbiennes. Mais nous sommes au cœur d'une guerre des droits civils en ce moment donc c'est un peu un scénario du genre
« Deux pas en avant, un pas en arrière ». Et les lesbiennes ont moins de visibilité maintenant qu'elles n'en avaient il y a cinq ans à la télé et dans les films.
Moins ?! J'étais sûre qu'elle était en progression.
C'est mon opinion. Mais je pense que c'est principalement dû au climat politique. Nous n'avons
qu'une seule série à la télé en ce moment avec The L-Word alors qu'il y a cinq ans, nous
en avions plusieurs. Donc c'est une situation étrange.
Je pensais qu'avec The L-Word, la visibilité lesbienne était plutôt élevée.
Eh bien, elle l'est sans l'être. Nous avons des programmes sur le câble comme The L-Word, mais en termes de télévision généraliste, nous devenons de plus en plus invisibles. Mais
quand nous y sommes, nous avons tendance à être mieux représentées. Donc je ne sais pas. Il y a tout un tas de trucs qui se passe, mais je pense que le climat conservateur y est pour
beaucoup.
Quel genre d’image pensez-vous que les hétéros ont des lesbiennes
?
Oh… Je ne sais pas…
Je vous demande ça parce que plus je travaille au sein de la communauté et moins je sais
quelle sorte d'images elles ont…
(rires) Ouais, je vois exactement ce que vous voulez dire ! On ne peut plus lire dans leurs pensées.
Je ne sais pas, je pense qu’ils essaient sûrement de s’y retrouver au milieu de ces contradictions : entre les lesbiennes qu’ils voient dans The L-Word et les lesbiennes perpétuant les vieux stéréotypes.
Est-ce que beaucoup d’hétéros connaissent The L-Word ? Est-ce que la série a du succès auprès
d’eux ?
Oui, ils connaissent. Il y a beaucoup de femmes hétéros qui regardent The L-Word et quelques hommes hétéros, mais majoritairement des femmes.
Pensez-vous que les hétéros ont conscience qu’il existe une culture
lesbienne ?
Oui, ici, je pense que les gens savent qu’il existe une culture lesbienne. Oui, je le crois. Je
pense qu’ils la conçoivent de manière caricaturale, mais je pense qu’ils sont conscients qu’elle existe.
Je vous demande ça parce qu’au Japon, les personnes hétérosexuelles n’en sont pas
conscientes. Elles pensent souvent que ce n’est qu’une tendance sexuelle.
(rires) Oh, oui, ils continuent à faire ça ici aussi ! En fait, ici aussi, c’est encore réduit
seulement à ça. Ça dépend beaucoup de qui vous avez affaire.
Pensez-vous que les “lesbiennes” font vendre ? Je pense par exemple à la campagne
de publicité Dolce & Gabbana de printemps/été 2006 où l’ont voit des femmes ensemble.
Oh, oui, je pense que ça fait vendre. Parce que ça reste inhabituel, donc ça fait en quelque sorte
un petit choc. Ce n’est pas dans la norme. Les gens sont tellement saturés par les publicités et les campagnes de pubs que n’importe quoi d’un peu nouveau et différent capte leur attention, je
pense.
Pourquoi pensez-vous que faire son coming-out soit réputé si difficile pour les actrices
et acteurs ? Croyez-vous que cela représente un vrai risque pour leur carrière ou est-ce seulement la peur ?
Non, je pense qu’il y a les deux. Ça peut être risqué pour certaines personnes quand pour d’autres,
c’est plus dans leur tête que le problème se situe, plutôt qu’un risque véritable.
À quel point la série The L-Word est-elle connue et aimée des lesbiennes ?
Eh bien, les gens s’intéressent sans aucun doute à The L-Word. Même les gens qui ne l’aiment pas. (rires) C’est un programme très populaire parce qu’il y
a au moins une ébauche de représentation de nous-mêmes. Et même si ça ne semble pas vraiment ressembler à votre vie en particulier, ça n’a pas d’importance, vous voyez.
Personnellement, qu’en pensez-vous ?
(rires) Je pense que c’est un programme avant-gardiste. Je crois qu’il a reçu beaucoup de critiques
parce que vous ne pouvez pas vraiment réussir avec un seul programme, quoique vous fassiez. Tout le monde veut projeter ses propres espoirs et rêves dans ce programme. C’est comme d’essayer de
faire une série télé familiale qui représenterait toutes les familles. Ça ne pourra pas marcher.
Quel genre de critiques avez-vous entendues ?
Il a été dit que certaines des intrigues étaient trop mélos. Elles sont un peu trop bizarres
parfois. Je pense, vous voyez, que la mort de Dana n’a pas plu aux spectateurs, parce que c’était un personnage très apprécié. De ce que j’ai pu entendre des lectrices, les gens n’aiment pas du
tout Max. Les spectateurs trans comme les nons trans.
Pourquoi à votre avis ?
D’après les retours de notre lectorat, c’est parce que les problématiques des trans n’ont pas été
bien représentées. Je ne suis pas trans, donc je ne peux pas vraiment m’exprimer sur le sujet. Tous les autres ont dit qu’ils ne l’aimaient pas uniquement parce qu’il est énervant.
(rires)
Je n’ai pas l’impression qu’il donne une bonne image des personnes
transgenres.
Non, exactement. Il n’a pas besoin d’être parfait, mais un peu moins caricatural, ce serait bien,
vous voyez. Et puis Jenny est devenue moins agaçante, mais elle n’est toujours pas le personnage préféré des gens.
Qui est votre préférée ?
Ma préférée, je pense, était Dana et aussi Alice. J’adore Leisha Hailey, elle assure !
Interview accordée en novembre 2006 à Yuki Keiser pour le site
Tokyowrestling.com.
Traduction : Magali Pumpkin (05 avril 2010)
Première publication : Univers-L.
Reproduite avec l’autorisation d’Isabelle B. Price, rédactrice en
chef.
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