18.
DE LA PRÉHISTOIRE DE
L'HOMOPHOBIE...
Papy Potter
Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit
au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le
chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses
spiritualités du monde.
« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on
le fait avec une femme, car ce serait une abomination ». (Lévitique 18.22)
« Si un homme couche avec un homme comme le
fait avec une femme, ils seront tous deux punis de mort. Leur sang retombera sur eux » (Lévitique. 20.13)
Voilà des phrases bibliques tristement célèbres. Et qui, dit-on, explique la plus grande
part de l’homophobie, encore aujourd’hui. L’opinion la plus répandue est en effet que la haine envers les homosexuels est d’origine religieuse. Plus encore, que les trois grandes religions
monothéistes en sont la source. C’est sans doute la raison pour laquelle l’IDAHO interpelle cette année, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’homophobie, les pouvoirs
religieux à se positionner clairement contre l’homophobie.
Il est vraisemblable, cependant, que cette haine dont nous faisons l’objet ait des
racines beaucoup plus anciennes que ces textes. Je pense, mais ce n’est là que mon opinion personnelle, que ces écrits n’ont fait que se réapproprier un sentiment déjà présent avant l’apparition
des religions monothéistes.
Je défends personnellement l’hypothèse que c’est l’idée de la domination de l’homme sur
la nature qui est une des racines de l’homophobie. Un phénomène qui était déjà bien présent avant que les anciens testaments ne soient écrits.
L’homosexualité existe depuis toujours. L’homme préhistorique avait aussi ses homos. On
voit mal pourquoi il en serait autrement vu que l’homosexualité est pratiquée dans tout le règne animal. Je ne crois pas, cependant, que cette pratique ait causé problème chez les humains de la
Préhistoire. En tout cas pas avant que certaines valeurs ne se soient développées. Mais quelles valeurs du cheminement humain a provoqué l’émergence de l’homophobie ?
Aux temps préhistoriques où l’homme était chasseur-cueilleur, l’animal et le végétal
étaient perçus différemment d’aujourd’hui. Nous autres, humains dits civilisés, avons tendance à croire que l’homme est supérieur à l’animal. Et que cela justifie que nous puissions l’exploiter.
On peut d’ailleurs se demander en quoi l’homme serait supérieur. Tout dépend, finalement, du point de vue sous lequel on se place. Si on prend par exemple comme critère discriminant la
force, ou l’efficacité de nos cinq sens, ou la vitesse à la course, c’est déjà beaucoup moins évident. L’homme chasseur-cueilleur avait avec la nature un rapport de respect et de crainte bien
plus prononcé qu’aujourd’hui. Nous avons vu ensemble dans les précédents billets que l’homosexualité était sans doute déjà pratiquée à l’époque et que des fonctions spirituelles étaient
vraisemblablement confiées aux homos dans le cadre religieux chamanique où vivaient les humains d’alors. Les principales étant la connaissance des végétaux, l’intermédiation conjugale et les
rites funéraires, pour ne citer qu’eux. Des fonctions toujours observées dans les tribus dont le fonctionnement est l’héritage de ces chasseurs-cueilleurs.
Ces chasseurs-cueilleurs sont nomades. Ils sont constamment confrontés à l’inconnu. Ils
marchent. Et leurs chamans marchent avec eux. Ils sont les sentinelles qui avancent dans l’inconnu. Marcheurs d’entre les mondes. Ils vont au pays des défunts et en reviennent. Ils entrent dans
le royaume des esprits animaux et y collectent des informations qu’ils retransmettent ensuite aux humains. Ils sont toujours entre deux mondes, entre deux univers, entre deux états. D’où le fait
que les hommes efféminés et les femmes masculins aient été perçus comme des chamans très puissants, car ils sont eux, aussi, voyageurs entre les sexes. Souvent autorisés, par leur statut, à
épouser quelqu’un de leur sexe biologique, ils étaient dits « deux esprits ».
Le respect de ces anciennes cultures pour ces hommes et ces femmes particulier(e)s est
mondialement répandu. On le retrouve dans toutes les cultures chamaniques, que ce soit en Asie ou en Amérique, voire en Australie. Ces êtres étaient honorés, admirés, respectés et craints. Le
fait même que les traditions « deux esprits » soient si proches les unes des autres suggère qu’elles existaient avant même que les grandes migrations humaines n’aient lieu. Et que les
hommes les ont tout simplement emportées avec eux.
Les choses se sont sans doute gâtées quand est apparue l’agriculture. L’homme commença à
modifier son rapport avec la nature. Certes, il était toujours dépendant des forces naturelles, des pluies et du soleil. Mais une nouvelle notion apparaissait dans son cadre de vie : celle
de propriété agricole. La nature devint ainsi source de possessions. L’homme décréta que la terre et tout ce qui y poussait ou paissait lui appartenait.
Mais l’agriculture est difficile. Elle nécessite des bras. Et à qui reviendra la terre
cultivée une fois son propriétaire mort ? Quand l’humain se décida maître de la terre, il faisait déjà sien la phrase biblique « allez et multipliez-vous. Et dominez la terre ».
Multipliez-vous ! Comment sinon la cultiver ? Comment sinon y aurait-il héritage ? On peut raisonnablement penser que toute attitude sexuelle contraire à la reproduction a, dès ce
moment, été perçue comme dangereuse. Les homosexuels ne participaient pas à l’acte reproducteur permettant la croissance humaine et la domination agraire. Déjà à l’époque, ils étaient donc
répudiés.
Sans doute cela n’a t-il pas été si drastique. Les homos, on l’a vu, étaient aux portes
de la vie et de la mort à leur manière, en tant que détenteurs des secrets des plantes et passeurs funéraires. De ce fait, il était nécessaire qu’ils continuent, eux, à se déplacer pour aller
d’un foyer à l’autre, d’un village à l’autre, afin d’y pratiquer les rites funéraires, les soins, les mariages. D’une certaine manière, ils restèrent, eux, nomades. Et évoluaient donc à
l’extérieur des villages.
Tout le monde sait en quoi « celui qui vient de l’extérieur » est perçu comme
dangereux. C’était d’autant plus vrai que les « deux esprits » étaient nantis de certains pouvoirs. Et qu’ils étaient vus comme plus puissants que les autres. La frontière entre le
respect et la crainte est ténue. Et la crainte conduit facilement à la haine. Une crainte renforcée par le fait que ces gens ne vivaient plus dans le village Les « deux esprits » ne
transmettaient, de plus, aucun héritage autre que spirituel.
Je suis sincèrement convaincu que les racines de l’homophobie plongent dans ce
terreau-là. La sédentarité. L’homme est devenu homophobe en devenant sédentaire. Et parce qu’il se mit à craindre ces chamans puissants qui étaient devenus extérieurs au village. Ce qui fait
remonter l’homophobie à bien plus longtemps que les monothéismes.
Les temps où la nature était respectée évoluaient, de plus, dans la lumière d’une figure
divine beaucoup plus présente. La Déesse Mère. C’est assez normal car la Terre était perçue comme un centre d’où sortent les végétaux. L’homme efféminé pouvait donc raisonnablement être perçu
comme supérieur aux autres. Tel ne fut plus le cas lorsque Dieu le Père dépassa la Déesse dans le cœur des hommes. L’homme efféminé ne fut plus perçu que comme un traître. Un monde où l’homme
reste perçu comme supérieur à la femme méprise ceux qui par leur attitude ou leur sexualité se comportent « comme » des femmes.
Alors, étant à ce stade de mes réflexions, je paraphrase une formule célèbre :
« j’ai fait un rêve ». Dans ce rêve-là, la femme était perçue comme l’égale de l’homme. L’homme se percevait comme l’égal de ses frères animaux et végétaux et retrouvait un lien sacré
avec la nature. Un lien de respect, non de domination. Dans ce monde-là, peut-être, le « deux esprits » pourra sourire à nouveau.
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