08.
GANESH ET SES DEUX MAMANS
Papy Potter
Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit
au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le
chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses
spiritualités du monde.
Ganesh est vraisemblablement une des divinités hindoues les plus
connues en Occident. Ses statuettes côtoient celles de Bouddha dans les boutiques, de sorte que son allure nous soit tout, sauf inconnue.
« Celui qui enlève les obstacles » est né de Parvati,
épouse du dieu Siva. On raconte que ce dernier s’était retiré dans l’Himalaya afin de méditer. À son retour, il trouva un jeune homme barrant l’accès de sa maison. « Ma mère prend son
bain », dit-il. « Personne ne peut entrer, ce sont ses ordres. » Furieux d’être ainsi écarté de sa propre maison, Siva dégaina son épée et lui trancha la tête. Parvati, alertée par le
tumulte du dehors, sortit en trombe de son bain et se mit à hurler. Siva venait de décapiter son fils. Mais comment était né ce fils ? Pas de la manière ordinaire en tout cas ! Pour
tromper sa solitude, Parvati avait conçu Ganesh toute seule, au moyen de poussière et des squames de sa peau, en prenant son bain. Siva fut bien surpris d’apprendre que le jeune homme qu’il
venait d’étêter était le fils « auto-conçu » de sa compagne. Pour ne pas décevoir son épouse, il déclara qu’il trancherait la tête du premier animal qu’il croiserait afin de remplacer
celle de Ganesh. Ce fut un éléphant. Ainsi, Ganesh devint le dieu à tête d’éléphant.
On remarquera ici que Ganesh n’est pas né de l’union de Siva et
de Parvati, même si Siva en assuma la paternité. Il existe néanmoins d’autres versions de cette histoire, dont certaines prétendant que Ganesh serait le fils d’une union homosexuelle (1) et (2). Il s’agit, si on y regarde bien, d’une variante de l’auto-conception décrite plus haut.
Malini, déesse à tête d’éléphant aurait ainsi participé à la naissance de Ganesh d’une façon étonnante. Malini est une servante de Parvati. Un jour que Parvati prenait son bain, Malini la couvrit
de pommades, d’onguents, de poudres, pour l’aider à se nettoyer. Ensuite, elle lui racla le corps, récupérant le tout mêlé à la sueur et aux squames de la peau de Parvati (on retrouve là les
éléments de la première version). Les poudres mélangées à la sueur constituent un mélange que l’on appelle « tirtha ». Ce « tirtha » est tenu pour posséder un étonnant pouvoir
magique, dont celui de pouvoir enfanter. Ainsi, au lieu de jeter le « tirtha », Malini l’ingéra. C’est ainsi qu’elle tomba enceinte de Ganesh, qui naquit du même coup avec une tête
d’éléphant. Dans cette version, Ganesh est donc l’enfant de deux femmes. On connaît l’importance du bain pour l’éléphant. Ses maîtres le nettoient plusieurs fois par jour. Ce sont ces mêmes soins
du corps qui sont évoqués ici. Pratiqués par deux femmes, ils donnent, dans cette histoire, naissance au dieu indou le plus représenté en Occident.
Un autre texte encore prétend que le Gange aurait participé à la
conception du dieu. Parvati s’étant lavée, elle confia ses fluides corporels au Gange. Fluides que Malini avala pour tomber enceinte de Ganesh. Ce qui se retrouve aujourd’hui dans ce rituel bien
connu où des indous confient au fleuve des figurines de Ganesh lors de sa fête.
Auto-conçu par Parvati, ou né de son union avec une autre
déesse, Ganesh n’est donc pas né d’une union hétérosexuelle.
Dans la symbolique hindoue, on attribue un sens précis au fait
qu’il n’ait pas de visage humain mais une tête d’éléphant. Cela veut dire que celui qui veut se rapprocher des énergies divines doit faire fi de son intellect. Le fait en outre que Ganesh
protégeait, selon certains textes, la maison de sa mère quand il acquit cette distinction explique qu’il soit considéré comme « le protecteur des foyers ». D’où vraisemblablement sa si
grande popularité.
La naissance de Ganesh est donc déjà teintée d’une forme
d’homo-parentalité. Serait-ce le seul lien de ce dieu avec les homosexuels ? Pas du tout. Pour bien le comprendre, il faut examiner ses nombreux attributs.
Tout d’abord, la trompe molle de Ganesh est un symbole inverse
de sa virilité. On peut très bien y voir une représentation phallique, mais sa flaccidité laisse comme un doute quant à son aptitude à enfanter. De fait, elle s’oppose au phallus érigé de Siva.
La trompe incarne le caractère masculin de Ganesh mais elle est bien trop grosse et surtout bien trop mal placée pour pouvoir servir à des fins hétérosexuelles (2). Cette interprétation psychanalytique a été très discutée et mal vue en Inde où le livre fut d’ailleurs retiré des librairies. De fait, si Ganesh est
parfois décrit comme marié à Riddhi, la richesse et Siddhi, le succès ; il est aussi souvent défini comme célibataire. Sa trompe molle l’associerait même aux eunuques.
Néanmoins, parmi les attributs de Ganesh, nous retrouvons des
armes. Elles seraient, elles, une expression presque agressive de sa masculinité. On remarquera qu’elles lui sont offertes par Siva. Siva n’est pas son père mais il en joue le rôle. Il fournit à
son « fils » les accessoires d’une masculinité qu’il n’a pas pu lui transmettre « biologiquement ». Il faut noter aussi que, pour les hindous, la tête est le réservoir de la
semence. En décapitant Ganesh, Siva l’a donc castré symboliquement, ce qu’il a tenté de compenser en lui faisant cadeau de ses armes.
Penchons-nous à présent justement sur les outils du dieu. Ils
sont nombreux.
• D’abord, la hache, arme de Siva. Symbole masculin et agressif,
elle sert pourtant à… détruire le désir et l’attachement. Néanmoins, il s’agit d’une arme, donc d’un attribut guerrier bien utile à Ganesh dans son rôle de gardien protecteur des
foyers.
• Ensuite, nous trouvons l’aiguillon à éléphant, qui permet de
maîtriser le monde. Autre symbole masculin.
• Le nœud coulant sert, lui, à capturer l’erreur. Symbole plutôt
féminin.
• On sait, en outre, que Ganesh ne possède qu’une seule défense.
La rupture de cette défense est une autre manifestation de sa « castration ». La défense de l’éléphant est en effet un symbole masculin. Ganesh est fréquemment représenté avec cette
défense rompue en main. Elle lui sert pour écrire. Dieu scribe, Ganesh est le père de l’alphabet sanskrit dont les lettres lui servent, en outre, de collier. L’écriture naît ici d’un attribut
masculin brisé. Brisé, oui, mais pas absent. Il reste outil de création vu qu’il génère l’écriture.
Ganesh trempe enfin sa trompe dans un bol, rempli de sucreries.
Ce bol est un symbole féminin. La trompe est masculine mais on a vu sa défaillance en termes d’hétérosexualité. Le bol de Ganesh est parfois décrit comme une sorte de récompense
« matérielle » pour les efforts spirituels auxquels les hommes consentent. Il rappelle que l’être purement spirituel n’existe pas et que se détacher totalement de la matière est vain.
Le bol a cependant ici une autre symbolique également. Pour certains, il renvoie à une partie de la légende de Ganesh. On l’a vu au début, il défendait l’entrée de la maison de sa mère contre son
père. Le bol (féminin) dans lequel trempe la trompe (masculinE mais dés-hétérosexualisée) recèle un sens inattendu. La protection des voies sexuelles féminines CONTRE l’intrusion du mâle. Par
extension, Ganesh protège les femmes de l’invasion masculine. Né d’un amour lesbien, Ganesh protège les lesbiennes de l’intrusion des hommes dans cet amour.
Pour terminer, signalons que Ganesh est fréquemment décrit comme
le gardien de la porte qui conduit au serpent de la kundalini. La kundalini est cette énergie tapie au fond de la colonne vertébrale. Elle peut atteindre la tête en se déployant comme un serpent
et ouvrir l’être aux réalités spirituelles. Le tantrisme, qui réunit des pratiques sexuelles, peut aider en cela. Une des portes qui conduisent au serpent de la kundalini est en fait… l’anus.
Ganesh est son gardien, comme il l’est d’ailleurs pour le vagin. Les rapports sexuels anaux ouvrent la porte de la Kundalini, pour autant qu’ils ne soient pas « invasifs ». Entendez par
là qu’ils soient « lubrifiés ». De cette manière, la Kundalini peut être réveillée. Le serpent se déploie alors et ouvre l’être à un état d’illumination. Voici une autre illustration du
lien entre Ganesh et l’homosexualité.
En conclusion, voici un dieu né soit d’un amour lesbien, soit
d’une femme seule, mais en tout cas sans l’intervention d’un homme. Ganesh, pourtant, est décrit comme le protecteur des foyers, ce qui en soi est une vraie gifle à ceux qui disent que les homos
sont une menace pour la famille. D’autre part, il peut être perçu comme protecteur des femmes et de leurs voies sacrées contre l’intrusion invasive des hommes. Enfin, si Ganesh éveille aux mondes
spirituels, c’est en permettant le passage d’une de ses portes. Une porte qui affole beaucoup d’entre nous, vous savez bien, cette rose, dont les feuilles sont une formidable caresse. Comme quoi,
ce trou, qu’on décrit comme infâme, peut être une des nombreuses ouvertures du paradis…
Notes :
(1) Pattanaik, Devdutt (2001). The man who was a woman and
other queer tales of Hindu lore. Routledge.
(2) Courtright, Paul B. (1989). Ganesa: Lord of Obstacles,
Lord of Beginnings. Oxford University Press.
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TO BE CONTINUED...
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