Homoparenté, Jean-Pierre Winter, Albin Michel, 224 p., 18 €.
On peut dire « chapeau et merci » à monsieur Jean-Pierre Winter, pour Homoparenté (Éd. Albin Michel, Paris, 2010), un ouvrage à contre-courant, osé, convaincant, qui devrait être mis entre les
mains de tous ces hommes et de toutes ces femmes qui pensent à un projet de parentalité ou de co-parentalité dans le cadre d’un célibat ou d’un couple homosexuel. Grâce à cet homme de poigne
(que certaines personnes homosexuelles voient à tort comme « un homophobe » parce qu’ils ne lisent pas ses écrits, et parce que ce dernier n’est pas un béni-oui-oui de l’intégralité
des causes homosexuelles), nous avons la preuve qu’il existe encore des intellectuels et des gardiens qui veillent sur nous en portant un regard critique sur les évolutions sociales de notre
temps et en nous empêchant de « signer » des projets de lois sans avoir bien lu la totalité du contrat qui nous engage sur des générations et des générations.
Dépassant le terrain de la simple sincérité du désir de maternité/paternité – sincérité qu’il ne remet pas
en cause –, le psychanalyste, qu’on a vu maintes fois calmer avec brio l’ardeur des militants homosexuels ou féministes à la télévision, fait une nouvelle fois preuve d’une grande lucidité dans
son analyse des enjeux de la transmission de la vie et de l’homoparentalité. Il nous rappelle que la validation légale de la « famille » homosexuelle ne doit pas être de l’ordre de
l’évidence, ni simplement une question de « bon cœur », mais qu’elle peut avoir des conséquences fâcheuses dans la construction des enfants et d’une société puisque cette
revendication se fonde sur un mythe : celui du couple homosexuel procréatif. « Ce qu’on essaie de nous faire oublier dans la revendication d’égalité des couples homosexuels [par
rapport aux couples hétérosexuels], c’est que chez eux ce n’est pas le couple qui fera l’enfant mais un trio. Un trio au minimum, un quatuor dans certains cas, mais pas un couple »
(1). Il soulève ainsi la « violence du refus du réel » (2) étant donné que,
concrètement, le couple homosexuel ne peut pas avoir d’enfant et n’est pas procréatif : « Contre
toute attente, nous sommes là au cœur de ce qui sera le problème de l’enfant élevé par un couple homosexuel. Car ce qu’on lui dit ne correspond pas aux formes qu’il voit. On lui dit qu’il est
l’enfant d’un couple qui manifestement ne peut pas avoir d’enfant ; on lui demande donc d’être le témoin de
l’impossible. Il est à craindre que cette jonction soit particulièrement difficile à faire pour cet enfant »(3).
Il décortique un à un beaucoup d’arguments employés par les défenseurs de l’homoparentalité, et s’attache
à développer des thèses nouvelles pour justifier en quoi le fait d’entériner le droit des couples homosexuels à adopter des enfants (ou à en créer par le biais d’un tiers – personne
généralement non-désirée d’amour) nécessite la prudence, non le refus. Il faut bien comprendre que Jean-Pierre Winter ne cherche pas à s’opposer ni à contrecarrer bêtement la demande de
législation pour les couples homoparentaux, car il n’est pas « contre » en soi : il se contente de dire « Attention, réfléchissons avant de légiférer un fantasme ». Il
n’a même pas repris les arguments classiques des détracteurs de l’homoparentalité (il aurait pu, par exemple, essayer d’expliciter l’une des légendes classiques et clairement homophobes selon
laquelle les couples homosexuels ne doivent pas avoir d’enfant(s) car ils rendraient leur(s) progéniture(s) homosexuel-le-s comme eux. Winter est beaucoup plus fin que cela).
Il rappelle certaines distinctions lexicales et sémantiques importantes pour dénoncer les abus de langage
et recadrer les choses : notamment, la différence entre « parentalité » et « parenté » ; l’emploi abusif et anachronique de l’adjectif
« judéo-chrétien » ; l’apologie de la Grèce Antique présentée comme un modèle civilisationnel, alors qu’il s’agissait concrètement d’une société esclavagiste ; la différence
entre le couple femme-homme aimant – il insiste énormément sur la notion de couple désirant – et le couple
mythique "hétérosexuel" (4) ; etc. Par ailleurs, il nous sort de l’habituel traitement victimisant de l’homophobie pour la présenter
sous un jour plus réaliste, à savoir comme une hétérophobie masquée, une peur-mépris de la différence (des sexes entre autres) : « Est-ce l’homophobie qui empêche les couples
d’homosexuels de devenir des parents ‘à part entière’ ? N’y aurait-il pas plutôt dans nos sociétés une espèce d’hétérophobie, au sens de la haine de la différence ? »
(5). Jean-Pierre Winter met sur le tapis les conséquences troublantes du rejet d’« altérités fondamentales » (6) telles que la différence des sexes (celle dont nous sommes issus, est-il besoin de le rappeler…) opérée par le couple homosexuel : « le déni de
la différence la plus universelle et la plus lourde de conséquence : la différence des sexes, sous-tendant le déni de la différence entre la vie et la mort » (7). Concernant le projet de loi sur l’homoparentalité, il se situe du point de vue concret de l’enfant, et sort des considérations poétiques
d’« adultes entre adultes » au nom de l’enfant : « on peut se demander si c’est bien l’enfant qu’il s’agit de protéger, ou plutôt le partenaire du parent légitime qui craint
d’être rejeté par l’enfant qui n’est pas légalement le sien. C’est pourquoi il veut établir un lien légal avec l’enfant. La ‘prévention’ protègerait donc le ‘non-parent’, alors qu’il pourrait
adopter, plutôt que l’enfant » (8).
Rares sont les essais montrant une résistance aussi claire (éclairante même !) et aussi peu haineuse
à la revendication d’une minorité de militants homosexuels ou gay friendly – qui se fait passer, grâce aux
médias, pour majoritaire. Qui a dit, lorsqu’on est homosexuel soi-même, ou bien défenseur d’une reconnaissance du désir homosexuel et du respect des couples homosexuels, qu’il fallait
obligatoirement cautionner tous les droits demandés par la communauté homosexuelle au nom de la
sacro-sainte « égalité » ? (droit à l’adoption, reconnaissance des « familles » homoparentales, droit au « mariage gay », etc.). Bien des résistances à
l’homoparentalité et à d’autres droits réclamés par certains militants LGBT zélés sont exprimées, non seulement par des gens non-homos mais aussi par des personnes homos. Certaines réclamations
font presque l’unanimité, d’autres dérangent, divisent, et là encore, on se rend compte de l’extrême diversité des opinions et des désirs au sein même de la communauté homosexuelle. Loin de
nous inquiéter, ces résistances doivent nous encourager à analyser « ce qui coince ». Car ce n’est pas parce que, au niveau des droits, la communauté homosexuelle a besoin de certains
cadres juridiques pour assurer sa sécurité, sa reconnaissance, et son bonheur, qu’elle doit voir se réaliser tous ses désirs sans exception. Même si les mots « droit » et
« désir » commencent par la même lettre, ce n’est pas une raison pour que tous nos désirs personnels – et parfois nos fantasmes les plus farfelus –, même bien intentionnés, fassent
loi, régissent le Réel et l’Universel, et soient gravés sur la pierre pour l’ensemble de la communauté humaine.
Notes :
(1) Jean-Pierre Winter, Homoparenté, Éd. Albin Michel, Paris, 2010, p. 205.
(2) Ibid., p. 115.
(3) Ibid. p. 74. C’est l’auteur qui souligne.
(4) Ibid. p. 192.
(5) Ibid., p. 15.
(6) Ibid., p. 99.
(7) Ibid., p. 135.
(8) Ibid., p. 47.
Première publication : Nonfiction.fr
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