de
Nico Bally
MON DERNIER PREMIER BAISER
Nico Bally a publié une multitude d'histoires étranges sur
divers supports, du webzine à l'anthologie, en passant par le livre photo-musical.
Après avoir sillonné les villes les plus exotiques et palpitantes du globe (Dunkerque, Manchester), il
vit aujourd'hui à Lille où il fête tous les jours son non-anniversaire (trente ans tout rond) avec un lapin gay, une chatte blanche déguisée en chatte noire, et la fée Clochette.
En marge de l'écriture, il travaille comme contrôleur de contenu pour Recisio Music malgré de longues
études en sciences, informatique et philosophie. Il respecte les lois du TATBAR (Touche À Tout, Bon À Rien) en s'adonnant à la photographie naïve, la musique noise-ambiant expérimentale, les
courts-métrages DIY, l'auto-pornographie, le rot tonal et la peinture sur vélo.
Pour Les Toiles Roses, il élargit ses univers fantastiques-oniriques en développant les thèmes
LGBT qu'il avait trop souvent mis de côté.
Quand je n'avais pas encore trente ans, je m'amusais déjà à ressasser plein de souvenirs : le lycée,
les soirées, les flirts...
Quel idiot j'étais. La jeunesse doit être vécue pleinement, car une fois vieux on a tout le temps pour le
souvenir, on n'a plus le temps que pour ça.
Encore que... ma mémoire s'étiole... Mes histoires de lycée, je n’en ai plus qu'une ou deux, et une
impression générale qui est probablement faussée par le temps.
Tout ça pour dire que je passe mon temps à trier mes vieilles histoires plutôt qu'à en vivre de nouvelles.
Quand vous aurez comme moi passé la retraite depuis dix ans, vous comprendrez ce que je veux dire.
Et hier soir j'ai repensé à mes baisers, je les ai triés, classés. Le premier, je m'en souviendrai toujours,
évidemment. Mais le deuxième est déjà oublié. Sûrement parce qu'il était partagé avec le même compagnon.
Le deuxième premier est donc plus facile à mémoriser. Je veux dire par là la deuxième fois que
j'embrassais une personne pour la première fois.
Je n'étais pas le plus beau, mais je savais m'entretenir. Il suffit de faire un peu de sport, se tenir au
courant de la mode sans sombrer dans l'extrémisme, écouter les bons conseils, et tout essayer...
J'ai donc eu quelques « conquêtes » respectables. Je ne saurais pas vous dire combien, même si le
nombre ne doit pas être si extravagant que ça. Je n'étais pas le Casanova du coin, alignant les coups d'un soir avec une facilité déconcertante. Il me fallait du temps pour séduire, et j'aimais
souvent revoir mes amants, sans pour autant chercher une relation sérieuse.
Mais l'âge aidant, les rencontres se firent de plus en plus rares.
Qui était celui que j'avais embrassé pour la dernière fois ? Oh, je m'en souviens ! Depuis quelques
temps, à chaque nouvel amant, je me disais que ça serait sûrement le dernier, que j'étais déjà trop vieux pour le mériter.
Et pour celui-là, j'ai eu raison. Il faut forcément un dernier.
Mais de notre premier baiser, je n'ai étrangement aucun souvenir. Comme si à force ils perdaient de leur
éclat.
Pourtant je sais que ça n'était pas le cas. Certains premiers baisers n'avaient que peu de saveur, mais
quand ça fonctionnait, c'était superbe. Ça aurait dû rester dans ma mémoire.
Voilà.
Voilà pourquoi je me suis remis à pleurer bêtement, hier soir, chez moi, incapable de me rappeler de mon
dernier premier baiser, échangé il y a trop longtemps.
On devrait mourir juste après. À quoi ça sert de rester, si on n'embrasse plus personne ? Et qui voudrait de
moi maintenant ? Je ne suis même pas sûr de pouvoir embrasser sans baver partout ou sans que mon cœur s'affole au point de déraper.
Triste soirée. Jusqu'à... Jusqu'à l'apparition incroyable de cet homme en collants. Des collants roses, avec
un slip blanc par-dessus, et une cape arc-en-ciel. Comme Superman !
« J'ai entendu ton appel ! » m'a-t-il déclaré.
Il s'est avancé, lentement, avec un sourire sublime. Et il m'a embrassé. Je n'ai pas bavé. Mon cœur a fait
des bonds, mais sans me lâcher.
Et l'homme est reparti comme il était venu, me lançant : « Celui-là, ne l'oublie pas ! ».
J'en ai parlé à Debbie, qui m'apporte tous les jours mon repas, en pensant qu'elle se moquerait.
Mais non.
« Ça devait être Mister Queer, m'a-t-elle annoncé, Il se prend
pour un super-héros.
— C'en est un,
ai-je répondu en souriant d’un air béat, c'en est un ! »
Je sentais et sentirais toujours la chaleur de ce dernier premier baiser.
© Nico Bally – 2010.
Tous droits réservés.
Direction littéraire de la série : Daniel Conrad & Pascal Françaix,
avec l'aide de Gérard Coudougnan.
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