Née, comme son nom l'y prédestinait, sur les Causses du Lot, Michèle Causse a obtenu un diplôme de traductrice à l'Université de Paris, (Sorbonne), a enseigné brièvement en Tunisie, vécu dix ans à Rome où elle a étudié le
chinois et écrit un essai sur la condition des caméristes-concubines-courtisanes dans les romans Ming (inédit).
Rentrée en France, elle a écrit L'encontre dont Monique Wittig fut la première lectrice.
Elle a vécu pendant huit ans en Martinique et écrit, pour le compte du ministère des droits des
femmes, une étude sur la stratification ethno-sociale des femmes en Martinique, puis dans la même île, Lettres à
Omphale.
Elle a ensuite brièvement vécu à New York où elle a rencontré Djuna Barnes,
Jill Johnston, Catherine Stimpson, Joan Nestlé, Kate Millet. En Floride, elle a séjourné pendant un an dans la communauté de Barbara Deming où elle a pu côtoyer Sonia Johnson (ex candidate à la présidence des USA).
Elle a ensuite émigré au Canada où elle a publié quatre de ses principaux
ouvrages. Désormais elle vit, écrit et est éditée en France, Contre le
sexage, et autres.
Michèle Causse a été professeure invitée à Rome (chaire d'éducation des adultes), consultante à
l'Unesco (département d'alphabétisation, où elle a utilisé la méthodologie créée par Alice Ceresa “l’Unité de bibliothèque”), professeure invitée à Montréal à l'Université Concordia. Elle a
traduit de l'anglais et de l'italien une trentaine de romans (Melville, Gertrude Stein, Djuna Barnes, Mary Daly, Silone, Pavese, Natalia Ginzburg, Alice Ceresa, Luigi Malerba,
etc.).
On s’aperçoit qu’à force de s’identifier au modèle viril dominant,
le mimétisme gay est passé en trente ans de la simple stratégie
de défense face à un environnement hostile, à une véritable offensive
politique qui leur a permis de conquérir plus de liberté sexuelle,
plus de droits, plus de visibilité, et peut-être plus de paternité,
sans avoir à remettre en question l’ordre phallique…
Marie-Jo Bonnet
En raison du harcèlement, de la discrimination dont les gays et les lesbiennes font l’objet dans un régime hétérosocial, certaines lesbiennes croient juste de mener une action de résistance
avec les gays, dans des structures communes (1). Les uns et les unes vivent en effet dans une culture misogyne, sexiste, homophobe, où
règne d’abord l’oppression des femmes : expression qui n’est plus de mode au prétexte que les femmes ne sont pas un groupe homogène et que ladite oppression aurait disparu en même temps que la
domination masculine. Nombre de lesbiennes jugent les gays moins sexistes que les mâles hétéros parce qu’ils ne les importunent pas sexuellement. Et elles croient à tort que des intérêts
communs les unissent. Or le mouvement de lutte des Uns n’a pas les mêmes objectifs que le mouvement des Unes.
Les gays, en effet,
a) appartiennent à la classe des hommes et jouissent des privilèges de cette classe ;
b) ont un culte du pénis ou de la synecdoque (la partie pour le tout) ;
c) privilégient l’hommosocialité ;
d) laissent aux lesbiennes un statut inférieur.
a) Homo = homme
L’appartenance à la classe des hommes confère aux gays l’accès à tous les droits des hommes (salaires plus élevés, élection aux postes de responsabilité politique – maire, député –
universitaire, financière, etc.). Tant il est vrai que, privés des droits liés au genre masculin-universel à cause de leur « orientation sexuelle », les gays font édicter des lois visant à leur
rendre au plus vite leurs privilèges. Pour autant, les gays ne veulent pas savoir que les « Droits de l’Homme » (comme on dit si obstinément en français) ne sont pas ceux des femmes ni des
lesbiennes. Traités d’efféminés ou de femmelettes, ils ne se sont pas rangés du côté des opprimées premières de la société (à l’exception des rares « effeminist faggots » des années 70
(2) et de quelques autres) mais ont revendiqué leur mâlitude et entendent bien garder leur citoyenneté privilégiée. Ce faisant, ils signent
leur loyauté à la suprématie masculine.
b) Hors le pénis point de salut
En phallocratie, dite aussi benoîtement androcratie, le pénis est fétichisé, mythifié, montré, exalté – voir le roman de Moravia Io e Lui, les bd, les films – et ce sont des hommes qui
ont tranquillement affirmé que la femme était un homme castré, avec les dommages que l’on sait, Simone de Beauvoir allant jusqu’à entériner cette vision inculquée. Le pénis (Lacan enseigne) est
détenteur du Tout pouvoir, symbolique, économique, etc. Or rien, dans la culture gay n’infirme cette prétention, bien au contraire. Ici plus que partout, le pénis est le vecteur de la
toute-puissance. Il n’est que de voir la gay parade où il est totem sans tabou, exhibé à des milliers d’exemplaires avec ou sans condom. Et le sort de ce pénis fait l’objet de publicité
envahissant tous les écrans à toute heure. On n’en a jamais vu autant pour quelque organe lié à la jouissance lesbienne... et pour cause : notre corps ne saurait se morceler ! Il reste
pourtant, simple détail, que des millions de clitoris sont, dans une grande partie du monde, coupés et jetés aux chiens. Sans que les mâles gouvernants s’en indignent. Après tout, adoubés par
leurs pairs complices, n’ont-ils pas quelque légitimité à ignorer le sort de ces subsumées que sont les femmes ? Sexcisées dès la naissance en tout pays et simples commodités reproductives.
La lutte contre le sida, ô combien nécessaire, a emphatisé l’importance du pénis. De machine à jouir il est devenu machine à mourir. Le sida a terrassé les gays de tout âge. Et leurs sœurs
lesbiennes, épargnées, de se précipiter au chevet du malade. Toutes en antigones qui pour prix de leur dévouement se virent promptement oubliées et remisées. Il n’est pas de bon ton de rappeler
que le sida est désormais une maladie évitable (à l’inverse du cancer), le préservatif faisant même l’objet de distribution dans les écoles. Et soulignant par sa présence précoce que la seule
bonne sexualité est la phallique, homo ou hétéro. Un seul désir, celui qu’exprime le détenteur dudit organe. Préservé ou non. Or ce pénis, choyé par les gays, soigné, vanté, exhibé, est redouté
par maintes femmes et complètement rejeté par les lesbiennes. Du moins avant l’apparition « œcuménique » des queers (3). Car le pénis
a été et continue d’être l’arme la plus utilisée de l’asservissement depuis l’enlèvement des Sabines et des petites Afghanes jusqu’aux guerres « ethniques » : l’instrument servant à ensemencer
les ventres d’un maximum de femmes « ennemies ».
Les lesbiennes posent un regard politique sur l’usage du pénis. Jusqu’à ce jour, tel n’a pas été le souci des gays.
c) Men in groups
Si les gays, en général, ne « baisent pas les femmes », enfreignant ainsi un des commandements du régime hétérosexiste, c’est parce qu’en toute logique ils ne s’approchent sexuellement que des
êtres qu’ils estiment égaux à eux-mêmes. À savoir des êtres supérieurs dans la hiérarchie sociale et humaine. Il va de soi que les gays, à l’instar des hétéros et plus encore qu’eux,
admirent, fréquentent, favorisent, aiment les hommes. Tout le monde, il est vrai, aime les hommes, c’est une prescription explicite qu’il ne fait pas bon transgresser. Depuis la Grèce antique,
les « sodomites » n’éprouvent reconnaissance, respect et amour que pour leur caste selon une parfaite cohérence avec le régime dans lequel nous vivons. NE PAS AIMER LES HOMMES à l’instar des
lesbiennes, est perçu comme le crime social par excellence, ne pas les servir, les reproduire, les admirer, les copier, ne pas penser comme eux est dangereux. Cela, toutes les femmes le savent
intuitivement. Et se comportent en conséquence (4). C’est dire quel abîme sépare les gays – loyaux aux principes de la société
androcratique et artisans souvent heureux de certaine législation réformiste (pacs, homoparentalité, etc.) – et les lesbiennes, loyales à la classe des opprimées premières et
guérillères plus souvent vaincues que vainqueurs (pas de féminin pour ce vocable, comme par hasard) dans leur lutte pour la reconnaissance d’un statut d’individue, voire de citoyenne.
(Rions un peu !)
d) Les ratées du bon sexe
Le mépris qu’affichent les gays envers les lesbiennes est le corollaire direct du Symbolique viriocratique. Parfois dissimulé sous une bienveillance de surface, il est volontiers assorti de
violence pornographique. Ce mépris est diffus, absolu, et il imprègne toute manifestation de la vie publique et privée, de la culture, au point qu’il n’est souvent même pas senti par la
majorité de celles qui en sont victimes. La haine des femmes et des goudous, si bien perçue par les lesbiennes historiques, s’étale dans la mode, dans l’enseignement, dans le divertissement.
Elle s’accompagne d’une dérision qui fait passer pour « plaisanterie » le plus constant dénigrement et harcèlement dont les femmes font l’objet (5). Certes, les gays aussi font les frais de plaisanteries salaces (ne sont-ils pas baisés et enculés, réification « normalement » réservée aux femmes
?) et ils vivent alors, le temps d’une insulte, le temps d’une bastonnade parfois fatale, ce que les femmes endurent toute leur vie. Pour autant, s’allient-ils aux lesbiennes afin de lutter
contre cette assimilation à la classe indigne des femmes ? Contre l’invisibilité systématique des lesbiennes ? Se sont-ils indignés de la mise à l’écart des lesbiennes dans la création, par
exemple, des archives parisiennes de l’homosexualité ? Ne sont-ils pas à l’origine de cet « oubli » ?
Performances
Les gays mimétiques affirment souvent leur allégeance à la classe des hommes en arborant une hypervirilité, moustaches, cuir, fouet, mise en scène du sado-masochisme, multi-tricks ou alors
recourent aux artifices caricaturaux de la féminité la plus exacerbée, la plus ridicule, montrant ainsi qu’ils maîtrisent les deux pôles de l’aliénation humaine. Et s’en jouent. De la « pénible
évolution vers la féminité » (Freud) ils ne voient que la poupée Barbie et dénoncent sans le vouloir la construction des genres, l’artificialité d’une assignation à vie. Assignation que la
grammaire, sans failles, reconduit : le masculin l’emportant sur le féminin en toute impunité et sans troubler les genres. Exemple : « Dix lesbiennes et un cochon sont entrés dans la salle. Ils
ont été reçus froidement. »
Le vrai débat politique, la vraie mise en accusation des normes qui définissent les statuts, qui l’a menée sinon les lesbiennes radicales (6) ? Aussitôt accusées de frigidité ! Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage.
Des maux et des maudites
L’objectif des gays est d’obtenir impunément l’accès au corps de leurs semblables dans une société hétérosexiste sans pourtant remettre en cause les fondements de l’hétérosocialité (qui leur
convient à plus d’un égard), mais en visant plutôt à l’intégration-assimilation. Certes, réclamer le droit de baiser et d’être baisé (voire aimer et être aimé) par le seul sujet exalté dans le
socius est considéré par les législateurs hétéros du monde entier comme une chute ontologique, un amoindrissement de l’être alors que le gay est le produit le plus cohérent d’un régime
planétaire où tout le monde aime les hommes y compris et surtout la classe de sexe des femmes, appropriée dans son ensemble et dressée à servir les intérêts des hommes (cf. Colette
Guillaumin).
L’objectif des lesbiennes est d’échapper à cette contrainte en faisant exister sur la planète ce qui n’a jamais eu son lieu, à savoir l’amour philogyne (le contraire de la misogynie). Cet
objectif est considéré comme un privilège indu dans la mesure où les femmes appartiennent aux hommes. La relation lesbienne doit rester un fait isolé, clandestin, qui ne dépasse pas le cadre de
l’expérience intersubjective. Hommes et gays continuent aujourd’hui à dévaloriser le mouvement associatif féministe et lesbien quand il opère dans des structures non mixtes. Les lesbiennes ont
donc un objectif politique en contradiction absolue avec les règles des sociétés dans lesquelles elles vivent puisqu’elles préconisent ce qui n’a jamais existé : l’alliance entre Individues et
la disparition des classes de sexe gardiennes de la hiérarchie des pouvoirs. Elles ne demandent pas moins que de se soustraire aux registres dont les hommes disposent depuis toujours, le
normatif et le prescriptif, issus directement du symbolique phallique.
Ensemble séparément
L’association des gays et des lesbiennes ne saurait avoir lieu sans une critique radicale de la phallogocratie et des privilèges qu’elle confère aux mâles dans leur ensemble. C’est aux gays que
revient le devoir de se désolidariser de leur classe de sexe, de refuser l’intégration-assimilation aux hétéros et de mener une vraie politique contre le déterminisme génétique dissimulant le
fait que l’hétérosexualité est un régime de pouvoir. C’est à eux de reconnaître que, dans la lutte, la véritable force révolutionnaire est celle des lesbiennes, auxquelles la première place
doit être cédée de toute urgence. Faute de quoi les mouvements LGBT ne seront que l’un des avatars de la mixité revue et corrigée au bénéfice des seuls hommes.
Pour le moment, l’égalité des lesbiennes et des gays est aussi oxymorique que celle des femmes et des hommes.
Notes :
(1) Rien de plus utile, en revanche, que de
collaborer ponctuellement contre des instances de pouvoir phallique, par exemple dans la lutte contre les diktats du Vatican. Ainsi de l’association lesbienne italienne Fuoricampo s’unissant
aux LGBT dans le mouvement Facciamo Breccia (mixte, laïque, dont le slogan est NO VAT) et dans ce but précis.
(2) Je pense hier à Benoit Lapouge, à Jean-Luc Pinard Legry, au premier Guy Hocquenghem, seuls contre la puissante intelligentsia pédophile
masculine : René Scherer, Tony Duvert et autres. Je pense aujourd’hui à quelques gynandres (cf. Contre le sexage, Balland, 2000) conscients des effets du sexisme, ainsi des regrettés Guillaume
Dustan, Léo Thiers-Vidal et quelques autres bien vivants, mais plus souvent québecois que français.
(3) À l’heure actuelle, les queers – mouvement de la mouvance – dans leur volonté de dénaturaliser la bite, jouent à démultiplier le pénis
et à en faire une prothèse ludique, le packing. Dopés à l’Humour, les textes et pratiques des queers, fortement influencés par la culture masculine gay – avec référence obligée aux canons
homosexuels – naviguent dans l’orbe d’un courant sado-maso qui se veut subversif. Mais si l’on voit bien fleurir des lesbiennes dûment nanties d’un gode (de valeur ajoutée, en somme), on ne
voit guère de gays vulviques ou clitoridiens ! Le regrettable mimétisme anatomique ne joue que dans un sens. Celui de la plus-value masculine. L’existence des drag kings, drag queens et la
multiplication des trans, témoignent à la fois de la volonté de transgresser les genres et de l’impossibilité de le faire dans un système phallocratique dont les normes sont sadiquement
appliquées. À tel point qu’un trans f>m est de plus sûre qualité qu’un trans m>f. La faute à qui ?
(4) D’où l’acceptation volontaire ou forcée des lesbiennes à s’associer aux gays, aux bi, aux trans, diluant ainsi leur connaissance
d’elles-mêmes, leur sexualité modelée sur celle des gays (« Viens que j’te bouffe le cul »), leurs buts propres, leur culture – le plus souvent elles ne savent pas qu’elles en ont une – pour
créer une nouvelle mixité mimétique comme dans les « maisons des homosexualités », lieu illusoire de pacification des conflits, où la présence des hommes offre une rassurance (sic), une
crédibilité (sic), une visibilité, des revenus financiers plus importants, etc., bref une vitrine hétéro dans tous ses effets. Ce qui n’empêchera pas, bien sûr, quelques vraies solidarités.
(5) À l’exemple de la mode qui, exhibitionniste, propage l’anorexie, des animateurs de télé homosexuels qui n’hésitent pas à brocarder les
femmes et les goudous, des articles de presse qui laissent la signature aux gays, libres de recenser les ouvrages littéraires qui ne les remettent pas en question, des profs d’université qui
traitent en subalternes les doctorantes dites « consentantes » et ignorent ou pillent les apports théoriques des lesbiennes radicales, etc.
(6) En particulier Monique Wittig et les chercheuses publiées dans la revue Espace lesbien. À paraître La sapiens ou la fin
d’une imposture (Barasc-Causse).
© Michèle Causse, 22 juin l996, publié chez Les Pénélopes en 2002, relu le 8 février
2008
et publié en 2009 sur Les
Toiles Roses avec l'aimable autorisation de Michèle Causse.
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