Fiche technique :
Avec Tony Leung Chiu Wai, Leslie Cheung et Chang Chen. Réalisé par Wong Kar-Wai. Scénario de Wong Kar-Wai. Compositeur : Danny Chung.
Durée : 96 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :Deux amants, Lai et Ho, quittent Hong Kong pour l'Argentine. Leur aventure tourne mal et ils se quittent. Lai retourne à Buenos Aires et travaille comme aboyeur dans un bar de tango pour économiser l'argent de son retour à Hong Kong. Ho réapparait et s'intalle chez Lai. Il trouve du travail dans un restaurant chinois où il rencontre Chang, qui vient de Taiwan.L'avis de Philippe Serve :Réalisé entre Les Anges déchus (1995) et In the Mood for Love (2000) qui consacrera définitivement dans le monde entier son réalisateur, Happy together frappe fort en 1997, remportant le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes.
Certains critiques ont parlé, à juste titre me semble-t-il, de « film de chambre ». Tout en conservant sa patte très personnelle s'exprimant notamment en quelques vues accélérées (le trafic en ville avec une horloge géante dont les chiffres des minutes défilent à toute allure), quelques ralentis annonçant ceux, plus sublimes encore de In the Mood for Love, les éternelles fumées de cigarettes, la photo dont la brillance est amplifiée par l'usage de pellicule à haut contraste, des images 16-mm filtrées, des séquences coloriées et aussi de subtiles arrêts sur images, si brefs qu'ils en sont presque subliminaux, Wong Kar-Wai réussissait une avancée importante dans une œuvre remarquablement cohérente. On retrouve en effet ses thèmes de prédilection: la solitude, l'amour désiré et impossible, la perte, la mélancolie, la nostalgie, le Temps... Pas très gai, tout ça ? Non, c'est vrai et pourtant les films de WKW ne sont jamais déprimants. Par quel miracle ? Sans doute car il sait, en dernière minute et mieux que personne, laisser une fenêtre (même minuscule) ouverte à l'espoir… Ici, l'espérance apparaît à la toute dernière séquence, brillantissime: Fai, dont le retour à Hong-Kong est filmé en accéléré, esquisse sur son visage un sourire de renaissance, le dernier plan du train arrivant en gare se figeant en arrêt sur l'image… Une gare, symbole d'arrivée (et ici de retour) mais aussi promesse de nouveaux départs…
Comme dans tous ses autres films, WKW filme la ville où se débattent ses personnages, surtout la nuit. La surprise vient de le voir filmer Buenos Aires exactement comme il le fait de Hong-Kong, ce qui tend bien sûr à abolir les distances aussi bien géographiques, spatiales, qu'humaines, transformant ce qui est montré sur l'écran en histoire universelle… Histoire aussi de faire sentir qu'ici ou là-bas, il n'y a pas d'échappatoire à un amour qui se meure… Autre explication à l'universalité du film: le refus (déclaré) de WKW de faire « un film gay » et donc de céder à la « gay attitude » trop souvent à la mode. Ce qu'il nous montre est juste un couple, peu importe leur sexe respectif (si j'ose dire…) : « Ce film n'est pas seulement sur deux hommes mais sur la relation humaine, la communication humaine et les moyens de la maintenir ; ce sont deux hommes mais ça pourrait être n'importe quel autre couple... » (WKW, Conférence de Presse, Cannes, 17/05/97).
Je faisais allusion à la présence, ô combien importante, de l'un des thèmes de prédilection de WKW : la solitude. Ici, à la solitude affective et sexuelle habituelle vient s'ajouter celle des immigrés que sont Fai et Po-Wing. Ni l'un ni l'autre n'ont d'amis argentins, les seuls qu'ils rencontrent étant des partenaires sexuels de passage dans des toilettes publiques ou au cinéma porno…
Si Happy together reste un magnifique exercice sur le plan formel, WKW « esthétise » moins ici (on ne trouve quasiment plus d'images déformées par des focales « œil de poisson ») qu'il ne l'avait fait dans ses trois films précédents: Les Cendres du Temps, Chungking Express et Les Anges déchus, ce dernier apparaissant comme le point d'orgue d'un style alors poussé à son extrême et qui commençait d'ailleurs à être copier ici ou là…
Ni poursuite aveugle du style, ni rupture, Happy together fut bien le chaînon qui devait mener à l'apothéose de In the Mood For Love. La bande son en est un parfait exemple: aux morceaux de Frank Zappa viennent s'ajouter les tangos d'Astor Piazzolla (« Je choisis ma musique de façon très exacte. La musique est là pour représenter la ville. Le film est un tango. » WKW, id.), pont musical menant aux irrésistibles mélodies latinos de son film suivant…
Enfin, concernant l'interprétation, je ne peux que la louer et en tout premier lieu la performance de Tony Leung Chiu-wai, justement récompensé par un trophée du Meilleur Acteur à Hong-Kong et qui semble ne l'avoir raté à Cannes que d'une voix (il se rattrapera trois ans plus tard avec… In the Mood For Love !!). Cet acteur est un vrai bonheur à voir jouer tant ses interprétations, intériorisées, dépouillées, sobres, crèvent l'écran… Face à lui, Leslie Cheung est efficace même si, peut-être, un tout petit ton en dessous. Quand à Zhang Zhen (ou Chang Chen), il prouvait après A Brighter Summer Day d'Edward Yang et avant Tigre et Dragon d'Ang Lee, qu'il faudrait désormais compter avec lui….
Et puis, bien sûr, une critique louant un film de Wong Kar-Wai ne saurait oublier d'y associer Chris Doyle, le fidèle et formidable directeur photo des films du réalisateur cantonais !
Un superbe film à ne surtout pas rater et à ne pas hésiter à revoir car, comme tous les films de WKW, il y gagne !Pour plus d’informations :
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