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Le billet apériodique de  Didier Roth-Bettoni

 

 

Cette satanée mémoire !

 




Je reviens à cette satanée histoire de notre mémoire collective que j’évoquais dans le précédent billet parce qu’elle me semble faire partie des questions essentielles qui se posent à nous aujourd’hui. Car le cinéma a son rôle à jouer pour prévenir cette perte de mémoire qui nous guette à tout moment dont il était question. Il peut ainsi réactiver comme on l’a vu avec le film de Jacques Martineau et Olivier Ducastel, Nés en 68 (on en revient toujours là), un moment de notre histoire commune que les plus jeunes d’entre nous (heureux hommes) n’ont pas connu et n’ont même pas l’idée de ce que cela a pu être, et que les moins jeunes (ceux de ma génération notamment, quadras encore verts…) ont tendance à remiser au rayon des mauvais souvenirs dont la brûlure est toujours à vif. Il peut aussi mettre à jour des éléments jusqu’alors occultés de ce qui aurait pu ou dû faire partie de notre histoire homosexuelle au sein de la société et qui a été tu, ou à tout le moins minimisé.



L’exemple le plus frappant de ce qui est notre lot commun permanent, cette reconquête d’une mémoire si souvent passée par pertes et profits, se trouve dans le très médiocre film que Diane Kurys vient de consacrer à une des romancières françaises les plus populaires du siècle, Françoise Sagan. Si on dépasse les très évidentes limites de cette bio filmée, une chose saute aux yeux qu’on n’aurait jamais soupçonné : c’est que Sagan (incarnée ici par une excellente Sylvie Testud) était indubitablement lesbienne ! Pas juste le temps d’une aventure ou d’une expérience comme il était de bon ton dans les milieux intellectuels des folles années 60-70, mais vraiment fondamentalement lesbienne, toutes ses histoires d’amour véritables ayant eu des femmes pour objets. Or qui, à moins peut-être d’être un véritable spécialiste de Sagan (et encore…) avait cela ? Pas moi en tout cas, et pas la plupart des personnes cultivées à qui j’en ai parlé.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la vérité (une part d’entre elle en tout cas) sur la si célèbre auteure de Bonjour tristesse a été masquée, de son propre fait ou non d’ailleurs, parce que cette vérité-là aurait peut-être brouillé le mythe et la popularité de la romancière préférée des Français. Et qu’est-ce que cela signifie pour nous, homosexuels de tous les sexes ? Qu’un pan de notre histoire nous a été interdit.



Ainsi, même un mauvais film peut avoir de l’importance dans la reconstitution toujours nécessaire de cette foutue mémoire gay trop souvent défaillante, quand bien même l’homosexualité n’y est pas particulièrement valorisée. Il est en effet frappant de voir que Diane Kurys, dans ce Sagan comme dans Coup de foudre un quart de siècle plus tôt, est incapable de (se) représenter l’homosexualité féminine autrement que comme une forme d’amitié exacerbée entre femmes : on ne trouve en effet aucune trace de tendresse physique, aucun geste amoureux entre Sylvie Testud et Jeanne Balibar (qui joue la styliste Peggy Roche, compagne de longue date de Sagan), comme il n’y en avait pas entre Miou-Miou et Isabelle Huppert…

Voir Sagan aujourd’hui, c’est donc se réapproprier enfin au sein du riche corpus des artistes homosexuels une romancière connue, fêtée et aimée ; c’est aussi mesurer les progrès qui restent à faire du côté d’un certain cinéma « grand public » dans la perception et la transcription de nos amours de même sexe.

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