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Jusqu'au milieu du XIXe siècle, le Japon offre une tradition culturelle de l'homosexualité. Qu'ils exaltent les vertus guerrières du samouraï ou qu'ils se travestissent dans le théâtre nô, les hommes ont tous le culte de la beauté et de l'amitié virile. Illustration de la décadence et de la persistance d'une certaine conception de l'homosexualité purement nippone.



Il existe une tradition culturelle de l'homosexualité. Celle-ci a perduré pendant la période impériale et féodale qui s'étend du VIe siècle jusqu'au milieu du XIXe, avant de disparaître avec l'ère Meiji (1868-1912). C'est à partir de cette époque que commence la lutte contre l'homosexualité : la loi de 1873 condamne à trois mois de prison celui qui pratique la sodomie, avant d'être abrogée en 1883 pour se voir remplacée par l'outrage à la pudeur (quiconque séduisait un adolescent de moins de seize ans pouvait être condamné à un ou deux mois de travaux forcés).


Les premiers documents témoignant de l'existence de l'homosexualité au Japon remontent au VIIIe siècle après Jésus-Christ. Un passage du Nihon Shoki (1) raconte comment une impératrice mythique du IIIe siècle arriva dans la province de Ki, région dans laquelle ne perçait jamais le jour. Curieuse de ce prodige, elle en demanda l'explication. On lui rapporta l'histoire suivante :

« Shino no Hafuri et Aman no Hafuri étaient autrefois de bons amis. Quand le premier mourut de maladie, Aman no Hafuri pleura beaucoup et dit : "Nous étions, de son vivant, l'un et l'autre amis très intimes. Pourquoi ne serait-il pas possible d'avoir la même tombe ?"


Il s'est ainsi tué tout contre le corps mort. C'est pour cela qu'on les a tous deux enterrés dans la même tombe. […] L'impératrice fit ouvrir la tombe en question et trouva que c'était réel. Alors, elle fit replacer les deux morts chacun dans un nouveau cercueil et les fit enterrer séparément, à des endroits différents. Immédiatement le soleil se mit à briller, le jour et la nuit se divisèrent de nouveau l'un de l'autre. » (1)



Ce conte est édifiant à plus d'un titre. D'abord, il définit l'homosexualité bien sûr comme une relation sexuelle mais plus encore comme une relation d'amitié durable et si intense que l'amant vient à préférer la mort à sa propre survie. Rien à voir avec la dimension romantique de l'amour occidental : nulle lamentation, le suicide n'est pas motivé par la reconnaissance d'un manque, sentiment de désespoir qui n'est qu'une saisie de la perte. Non, il s'agit seulement pour l'amant d'être fidèle à l'être aimé, comme les serviteurs suivent l'empereur jusque dans la mort.


L'amour de Shino et d'Aman ne se confond pas au seul code de l'honneur, ni à une éthique purement féodale. Il reflète plutôt une dimension cosmologique et ésotérique de l'amour homosexuel : une nuit perpétuelle pèse sur la région où sont enterrés les deux amants. Unis dans la mort jusque dans la tombe, pour ces deux amants, l'amour signifie-t-il un retour à l'âge du chaos ? Plutôt à l'indistinct, quand l'un faisait corps avec l'autre.


L'homosexualité apparaît donc non seulement comme un principe originel mais aussi comme un principe final, celui qui permet au nom de l'amour de retrouver l'harmonie des premiers temps – rapport à l'Un que l'on retrouvera au coeur du Shudô ou voie des éphèbes (2).


L'impératrice apparaît au contraire comme l'élément démiurgique féminin qui divise ce que l'amour homosexuel parvenait à unir. Certes, la lumière revient, mais avec elle quels cycles infinis du temps !



(1) in La voie des éphèbes : Histoire et histoires des homosexualités au Japon de Tsuneo Watanabe et Jun'ichi Iwata, Editions Trismégiste, 1987, ISBN : 2865090248, page 30

(2) Le shūdō (衆道) est la tradition japonaise d'une homosexualité de type pédérastique pratiquée au sein des samourais de l'époque médiévale jusqu'à la fin du XIXe siècle.

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