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LE MURET DU JARDIN
DE CHEZ MES PARENTS...

 

Un billet d'humeur d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
 

Bernard et Isabelle devant le muret (c) Isabelle B. Price


Mes parents, Denise et Bernard (que j’appelle personnellement maman et papa), ont acheté une ferme quand j’étais encore une toute petite fille qui mettait des robes et qui n’avait pas appris le magnifique terme « Non ! ». Une vieille ferme au cœur d’un petit village, près d’un ruisseau. Une vieille ferme située à côté d’une autre petite ferme et d’un grand pré. Une vieille ferme à quelques minutes à pied de l’école, du boulanger et du boucher. Une vieille ferme qu’ils ont rénovée durant des jours, des mois, des années.

On a vu les choses changer en même temps que nous grandissions. Le grenier est devenu une salle de jeux et ma chambre, tout en haut de la maison. La petite étable est devenue un grand garage où mon père pourrait garer la voiture mais où il préfère entreposer le bois pour la cheminée et les meubles qu’il s’amuse à réparer. Nous n’avons pas vu les principaux changements puisque ce sont des professionnels qui ont fait le gros œuvre mais nous avons vu notre maison devenir NOTRE maison.

Thierry, quand il avait sept ou huit ans, expliquait d’ailleurs très sérieusement aux différents membres de la famille qui lui posaient la question que quand papa et maman seraient morts, Isabelle et Vincent ils iraient habiter ailleurs et que lui garderait la maison. En grandissant nos rêves ont changé mais il est encore très difficile voire impossible pour nous de penser que nos parents pourront un jour revendre la maison.

C’est exactement comme lorsque le pré à côté de la maison – cet immense pré avec des herbes hautes où je pouvais courir en été à condition de taper fort du pied par terre pour faire des vibrations et éloigner les serpents – a disparu. J’adorais ce pré, il semblait n’appartenir à personne tant il était à l’abandon et donc il m’appartenait, à moi, parce que j’avais neuf ou dix ans. On avait une cour tellement grande du coup ; on avait un espace de liberté où l’on pouvait faire ce que l’on voulait. J’avais tout de Laura Ingalls et j’allais cueillir des coquelicots et des pissenlits que j’offrais à ma mère, heureuse comme l’enfant que j’étais. Et un jour, ils ont vendu le pré, mon pré. Un jour des bulldozers sont arrivés et ont tout rasé. Un jour, est né, sur cet espace de vie et de liberté, un hôtel deux étoiles, même pas trois ou quatre, non, seulement deux. Un jour la ville a écrasé la campagne où je grandissais et j’ai eu du mal à l’accepter. Non, je n’étais pas amie avec le fils du voisin, en plus il était snob…

 

Vincent et Isabelle devant le muret (c) Isabelle B. Price

 

Donc imaginer que mes parents pourraient vendre notre maison me fait ce même effet. Un sentiment de trahison et de perte. Bien sûr il faudra s’y résoudre, comme pour tout mais nous y avons tellement de souvenirs, de joies, de pleurs, de disputes, de bêtises en commun…

La maison est entourée d’un jardin sur deux de ses côtés. Un jardin que mon père a fabriqué de ses mains. Quand on s’est installés, ce n’était qu’un énorme tas de détritus. Une montagne de déchets, de tuiles, de pierres, de morceaux de bois, le tout recouvert de mauvaises herbes. Papa avait fait venir une benne, qui, ne pouvant rentrer dans la cour tellement elle était grosse, stationnait au fond du chemin. Il récupérait les pierres une par une et il les portait jusqu’à la benne où il les jetait. C’était en été, il était torse nu, il transpirait et il avait tout du héros pour une petite fille comme moi. Moi, je jouais à côté de lui et je le regardais faire.

Je jouais près de lui assise sur le muret ou je l’aidais à travailler comme le montrent les photos excessivement floues jointes à l’article. J’étais d’une aide indispensable, évidemment, sans moi il n’aurait rien pu faire.

Je me souviens que j’attendais qu’il me déterre le trésor de la maison. Ma maman me racontant tous les soirs des histoires, j’étais persuadée que cette maison renfermait obligatoirement un trésor. Un énorme coffre rouillé, cadenassé, bien enterré qu’il m’aurait donné et que j’aurais ouvert avec un soin particulier. La seule chose qu’il m’a trouvé d’intéressant c’était une bouteille en verre. Une bouteille à la mer, pardon, dans la terre ! Je me suis empressée de m’isoler pour la vider et trouver la carte au trésor. Malheureusement rien, il n’y avait rien que de la terre. Je me rappelle encore de ma déception et de l’éclat de rire de mon père. Ben oui, j’y croyais. Il m’a rassurée en me disant qu’il allait encore creuser plus profondément mais il n’a rien trouvé d’autre.

Bref, où en étais-je ? Ah oui, le muret du jardin. Eh bien, quand je me reposais de 10 minutes d’effort intensif assise à gratter la terre, je regardais mon papa travailler en m’asseyant sur le muret. Ce petit muret, qui délimite aujourd’hui la pelouse à la place de ce tas d’immondices éliminées par mon père, mesure environ 45 cm.

Il est juste à la bonne hauteur quand les petits apprennent à marcher et qu’ils ne sont pas sûrs. Ils peuvent se tenir et avancer doucement, les mains posées sur les pierres plates et les herbes et petites fleurs qui poussent dans les fissures. Ils sont juste à la hauteur pour voir courir les fourmis et les lézards, essayer de les attraper sans y parvenir, cueillir les mauvaises herbes…

 

Vincent et Thierry devant le muret (c) Isabelle B. Price


Ma mère adore ce petit muret, elle le trouve magnifique et considère qu’il donne son cachet au jardin. C’est un héritage d’origine.

Avec Vincent et Thierry, on a joué au petit train dessus. On s’est battus les uns contre les autres, celui qui gagnait étant celui qui restait debout sur le muret. On a coursé Justin le lapin pour le voir sauter d’un coup par-dessus le muret. On a rampé dans la pelouse quand on jouait aux policiers et aux voleurs, cachés par celui-ci, on s’est assis pour discuter, boire et manger. On l’a vu devenir de plus en plus petit quand on s’est mis à grandir.

Et pourtant, alors qu’il a tout arrangé, papa s’est obstiné à ne pas cimenter ce muret. Certaines pierres bougent depuis qu’on est arrivés, rendant amusant et dangereux de marcher dessus quand il a plu. Papa veut qu’il disparaisse ce muret. Il en a marre de l’enjamber pour aller dans la pelouse. Alors depuis plus de 10 ans, le temps fait doucement et inexorablement son effet. Les joints entre les pierres se désagrégent petit à petit, les mauvaises herbes reprennent leurs droits dessus, les pierres sur le dessus sont de moins en moins stables… Mais il est toujours là ce muret, toujours. Il résiste, encore et encore.

Je pense que si un jour mes parents revendent la maison, il sera toujours là. Et quand ils feront visiter le jardin, papa et maman se disputeront encore à son propos. Maman dira quelque chose du genre : « Et voilà le petit muret d’origine qui sépare le jardin de la cour » et papa répondra : « Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir voulu l’enlever celui-là ». Il y a des choses comme ça, qui, même si le temps passe, même si la ville envahit la campagne, restent immuables.

Si un jour vous passez rendre visite à mes parents, asseyez-vous sur le muret, un verre d’eau à la main et écoutez simplement les merles chanter et le ruisseau couler en contrebas… Savourez et dites-vous que quand j’avais dix ans, c’était déjà comme ça…

Isabelle B. Price (15 Mars 2009)

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