by Lucian Durden
Lucian Durden a 34 ans. Il est membre fondateur des Écrivains mendiants de Paris.
Ancien chef de la succursale des Flandres de l'École des tripes et amis du foie de veau. Publications dans le Bulletin de la société Jules Verge N° 45, 2ème trimestre. Il occupe les fonctions de
directeur de la WithoutBooks Publishing en Pennsylvanie. Ah oui, il est aussi hétérosexuel. C’est notre quota légal dans l’équipe du blog Les Toiles Roses.
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Deuxième aventure
…bar du Coxx… j’ai pas mal bu… dois écrire un article pour Hall… Paris-plage… librairie… où en
étions-nous ? Ah oui…
Je reviens donc au bar après ma tentative de branlette avortée, m’accoude sur le zinc patiné et songe à une
multitude d’alternatives acceptables à cette soirée bien mal partie. À ma droite un type, forcément, que peut-on trouver d’autre ici ? Qui me demande si je veux boire un verre. Fallait que
ça arrive, je comprends alors ces nanas qui se plaignent de ne pouvoir rester deux minutes à siroter leur boisson sans qu’un gros lourdaud vienne leur casser les ovaires. Je lui dis que je dois
sortir pour prévenir ma femme que je rentrerai tard – « Ah oui, je sais ce que c’est » qu’il répond tandis que je m’éloigne. Louanges à toi qui que tu sois ! J’ai réussi à tomber
sur le seul hétéro du rade, si ce n’est pas de la chance ça ! Il sait ce que c’est… il sait ce que c’est…
— Oui chérie c’est moi… Ne m’attends pas… Je suis avec des copains, on prend quelques verres… Et puis… Mais
non, t’inquiète, pas de filles… Y sont pédés… Ben ouais… C’est pour ça, t’inquiète… Bisou oui…
À présent que ce problème est réglé je peux retrouver mon nouvel ami de bistrot et voir ce qu’il propose
pour le reste de la nuit. Au bar nous buvons sa bière, puis la mienne, puis la sienne encore et ainsi de suite jusqu’à ce que je doive me concentrer une minute trente pour formuler une phrase de
cinq mots, il me propose finalement d’aller boire ailleurs. Sur le trottoir j’allume un clope et le suis, il semble connaître le quartier, pas mal de monde, avec de la chance il va nous trouver
quelques nanas, avec encore plus de chance je me ferai sucer avant demain matin, je lui en parle, il sourit et me dit que tout est possible. Pas besoin de parler des heures, entre hétéros on se
comprend.
Nous arrivons dans un bar bondé, devant moi au loin des types à poil prennent leur douche dans des cabines
surélevées et off course, pas opaques pour un sou. Je suis excité en songeant que l’on arrive à temps, qu’après c’est au tour de quelques superbes femelles de se trémousser en caressant leurs
courbes dingues à grand renfort de gant de toilette, la nuit s’annonce de folie. Nous passons à la vitesse supérieur mon ami et moi – je ne sais toujours pas comment il s’appelle – et commandons
des vodkas. La musique électronique est aspirée par un trou noir, elle est lointaine de plus en plus et devient simple chuintement vaporeux, mon nouveau pote de fête s’étire tel un songe – je
suis complètement cuit. Blackout.
Je pleure. Je pleure comme si je venais de perdre ma mère. Alors que la lumière du dehors commence à se
répandre sur les murs et qu’un souffle tiède s’invite par une des fenêtres ouvertes, je jette violemment la tête en arrière pour ne plus voir le mec à genoux occupé à me sucer. Je pleure et me
laisse faire car à aucun moment depuis le début de cette foutue soirée on ne m’a forcé ni à me bourrer la gueule à mort, ni à avaler des petits cachets. Je me lève et traverse la chambre dans
laquelle je me trouve presque malgré moi, laissant incrédule et frustré le type qui sentait sous sa main la fin imminente. La pièce est éclairée par des bougies branlantes vissées dans leur cire
sur différents meubles, par la télévision qui projette ses spectres stroboscopiques sur la moquette mauve qui recouvre les murs, il y fait une chaleur étouffante. Je me plante devant la jeune
fille dont le mascara coule sur sa figure d’opaline, elle aussi semble n’en plus vouloir, ça fait déjà une heure que deux filles, et un travelo, la baisent tant et plus. Les cheveux de la fille,
noirs comme les ailes d’un corbeau, se collent à ses joues et à sa nuque humide. Elle est jeune, à peine en âge de jouir légalement. Sur sa hanche un tatouage dit qu’on peut la prendre
« dead or alive ». Je pose ma main gauche sur l’un des embryons de seins fatigués de la jeune fille et me termine de l’autre, déchargeant mon sperme d’hétéro sur la moquette épaisse, là
où gisent en vrac des préservatifs dégoulinants. Après quoi, presque aussitôt, je reboutonne mon pantalon et descends les deux étages de l’hôtel par l’escalier de service. Nausées. Je titube en
appuyant des deux mains sur mon cœur dont le rythme ne cesse d’augmenter dangereusement. Extincteur bousculé. Un voile opaque tombe sur mes yeux. Brouillard – merde ! – des marches loupées,
je me casse la gueule ! Et la rampe, la rampe qui se dérobe sous ma main moite !
Sur le trottoir le contraste lumineux est tel qu’il me semble un instant perdre la vue. Magnifique journée
chaude et bruyante me dis-je. Je jette un œil à ma montre : sept heures et quatre minutes. Je ne sais pas combien d’heures j’ai passé dans cet hôtel miteux, comme je ne sais pas non plus si
tout ça a commencé le matin même, la nuit ou la veille. Je ne me souviens plus vraiment de ce que j’ai fait, bien que mon caleçon est frais et humide. Je suis heureux de retrouver ce trottoir
semblable à tous les trottoirs de toutes les villes – un anonymaland sur papier glacé dans lequel je peux me cacher un temps. Je garde une main plaquée sur ma poitrine afin de maintenir un
contrôle de mon activité cardiaque malmenée. Un extraordinaire sentiment de vide s’empare de moi et je me mets à sangloter comme un enfant abandonné… Un type me suçait ! Que se passe-t-il
après ça ? Est-ce que lentement ce truc va envahir mon corps et mon esprit ? Est-ce que je suis contaminé ?
J’ai très peur de devenir un pédé à cause d’un moment d’égarement. Je reprends l’escalier en sens inverse,
il faut qu’il me donne des explications ce salopard qui s’est fait passé pour un hétéro pour mieux me… Sale petite merde ! J’ouvre la porte de la chambre, ils sont là tous qui clopent en
riant.
— Espèce de connard, tu m’as dit que t’étais hétéro !
— Jamais dit ça…
— Si tu l’as dit… Je t’ai dit que je devais téléphoner à ma femme et t’as dit … Oui… Je sais ce que
c’est…
— Je sais ce que c’est, parce que je ne suis pas débile… Pas parce que je suis hétéro…
Je prends à droite à l’angle de la rue, et marche en direction de je ne sais où. La rue sent la friture, la
bière et les parfums de femmes, parfums qui me renvoie à ma condition d’hétéro contaminé, j’ai envie de vomir, je pense qu’il faut que je baise une fille dans l’heure qui vient, que c’est
l’antidote. Plus loin, je le sais, des putes martèlent le pavé de leurs talons usés. Voilà la solution. L’adolescent qui tarde à frétiller de la queue devant les filles on l’emmène voir des
putes, c’est bien connu. Elles sont les derniers êtres vraiment touchants de la planète. Selon moi, toutes les autres femmes se cachent derrière les masques d’une vertu préfabriquée et donnent à
leur mari, appelant ça faire l’amour, leurs organes excrémentiels. Quant à elles, les putes, elles vendent leurs abjections et se moquent de celui qui dépense l’argent familial pour se coller les
dents sur quelques gouttes d’urine et plonger le nez dans la noirceur du cyclope Anus ; elles vendent leur corps mais offrent le remède à la tafiolisation. Ce qu’il me faut ! Je veux
caresser une épaule maigre de femme !
TO BE CONTINUED…
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