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(5.14)


Avertissement au lectorat : ce billet contient des propos homosexualophobes susceptibles de choquer les chochottes victimisées, les gens anormalement normaux et leurs voisins normalement anormaux qui ne se reconnaîtront pas dans la communauté artistique, ainsi que la communauté lesbienne dont les membres souffrent d’être des femmes dans un monde d’hommes et d’être comme des hommes dans un monde de femmes, mais aussi d’être une minorité de femmes qui aiment les femmes au sein d’une communauté où les hommes qui aiment les hommes sont majoritaires. 

 

 

Écrire sur commande, ce n’est pas mon truc. C’est le genre de choses qui flingue l’inspiration. Aussi, quand le patron m’a demandé d’écrire sur les émeutes de Stonewall, ai-je un peu regimbé. Après tout, en 1969, je n’étais pas né (mais lui, si !). Je ne peux donc parler de cette époque prézanzienne comme le ferait un témoin visuel, fouillant le tiroir de ses souvenirs dans l’armoire de fer de sa mémoire. Tel n’est pas le sujet. Le Boss veut que je dise ce que Stonewall m’a apporté, à moi. C’est là que je sèche comme un littéraire devant un devoir de maths.

Tout d’abord, la première génération qui a ressenti les effets de l’après Stonewall n’est pas la mienne. Partant du principe qu’une génération « sexuelle » est plus courte qu’une génération selon les statistiques traditionnelles, et dure, de mon point de vue, dix ans, je suis donc né deux générations plus loin. Dès lors, comment répondre à la question posée par le patron : « Qu’est-ce que Stonewall t’a apporté, en tant que gay » ?

Dois-je dire que, sans Stonewall, je vivrais dans un monde moins friendly pour ma condition d’homosexuel ? Je n’en ai pas la moindre idée. Au passage, je doute encore que ce monde soit très friendly, nous-mêmes ne sommes pas amicaux les uns envers les autres, n’est-ce pas Philippe ? Alors, imaginer ce que m’apporte Stonewall, mythe fondateur de la revendication LGBT, c’est imaginer le monde dans lequel je vivrais s’il n’avait jamais eu lieu. Vous me suivez ? Accrochez-vous, car ma pensée va zigzaguer avec la furie d’une Peugeot 306 conduite par Ray Charles sur un lac salé.

 

 

Avant Stonewall, il y avait des homosexuels, des bars, des bears, des hommes nus qui s’aiment au bord de piscines luxueuses ou dans l’intimité protectrice d’une chambre en ville ou d’un cottage à la campagne. Même du temps de la reine Victoria, époque veuvage. La « rigueur victorienne », c’est la rigidité des sexes en érection. Vous allez me dire : « Mais Oscar Wilde, blablabla… ». Oui, il y avait une loi interdisant l’homosexualité. Le tort d’Oscar Wilde ne fut pas d’être homosexuel mais d’avoir une liaison avec le fils d’un marquis pair d’Ecosse, descendant d’un fils illégitime du roi Charles II et cousin du très riche duc de Buccleuch et de Queensberry (1), plus grand propriétaire terrien du Royaume-Uni, donc assez puissant pour lui causer des problèmes. Quand on veut frayer avec les grands de ce monde, il vaut mieux s’assurer au préalable de leurs bonnes dispositions naturelles.

Je pense donc que si j’avais vécu avant Stonewall, on m’aurait aimé et accepté quand même, car je suis un artiste. Le commun des mortels nous tolère et nous respecte ainsi : différents, flamboyants, géniaux. Écrivains, poètes, peintres, etc. : les artistes ont le droit d’être les amants de leurs semblables et de ceux à qui ils consentent d’ouvrir les portes de leur monde fabuleux, celui du rêve, du fantasme, de la transgression de ce qui est tabou… au-delà du mur de pierres. L’artiste gay est la porte qui donne sur un monde qui se départit de la réalité et de sa triste et froide routine.

Je conviens que tout le monde n’a pas cette chance. Il existe, en plus grand nombre, sans doute, des gens normaux aspirant à une vie normale. Mais ils ont le tort d’aimer les gens du même sexe qu’eux, et c’est cela qui est troublant et gênant pour la majorité hétéronormée. Des gens normaux qui ont un comportement anormal et prétendent vivre comme des gens normaux, ce n’est pas normal (2). Au fond, chaque homosexuel, chaque lesbienne devrait être un artiste un peu givré dont les fêlures rythment la vie dans un désordre génial admiré de tous, applaudi par tous (3). Il ou elle ne devrait pas être votre facteur, la caissière du supermarché (4), le garçon de café, ou la secrétaire de direction (5) que la majorité hétéronormée côtoie tous les jours. Vous êtes homo ou lesbienne, je vous dénie le droit de vivre une vie aussi banale que la mienne. Alors, quand ils se retrouvent entre eux ou entre elles, dans ces bars à la limite de la clandestinité (je me situe à la fin des années 60), que peuvent-ils ou elles bien faire ? Font-ils, font-elles ce que nous faisons dans nos propres bars, ou osent-ils, osent-elles ce que nous n’osons pas ? C’est insoutenable, il faut organiser une descente de police…

Ai-je tout faux ? Vais-je m’attirer un feu furieux de critiques outrées et un concert de voix outragées m’assenant que je n’ai rien compris à la problématique générale de l’homosexualité et à la signification de Stonewall ? C’est possible et je m’en excuse. La raison est simple : jamais je n’ai revendiqué quoi ce soit, jamais je ne me suis proclamé gay et fier de l’être. Je suis un garçon qui a aimé des garçons, et qui en aime encore. Lorsque je suis entré dans mon premier bar arborant le drapeau arc-en-ciel, c’était comme si j’entrais dans un bar ordinaire. Des couples hétéros le fréquentaient aussi, attirés comme des papillons par la lumière festive de la clientèle joyeuse. Lorsque l’homosexualité fut dépénalisée en France, j’étais encore un enfant, ignorant des choses du sexe, de la politique et de l’actualité parlementaire. J’ai donc quelques bonnes excuses. En fait, je crois que j’ai grandi sans savoir, et me suis réveillé un beau matin dans un monde où tout – enfin presque – était acquis. Vous m’objecterez, avec raison, qu’il reste encore à conquérir l’égalité devant le mariage et le droit à l’adoption dont la majorité hétéronormée détient les droits exclusifs. Tous les murs de pierres qui se dressent devant le droit à la normalité dans ce qui n’est pas la norme majoritaire n’ont pas été abattus (6).

Un vent de liberté sexuelle et de révolte contre l’ordre établi soufflait à la fin des années 60 (toujours dans le monde occidental). Il y eut 1968, puis 1969, l’année érotique, Woodstock, et Stonewall. Tout ceci était dans l’air du temps et dans le sens de l’Histoire. Je n’ai pas envie de la réinventer, ni de me tourner vers le passé. Ma vie est bien trop compliquée pour que je m’offre le luxe de réfléchir au sens réel, ou caché, de cet anniversaire. Et je vous l’écris comme je le pense : même le temps d’après, c’était déjà le temps d’avant (7) ; même mes débuts déjà lointains dans la joyeuseté, c’était le temps d’avant aujourd’hui, avant demain.

La morale de cette histoire : si vous pensez que des murs de pierres se dressent devant vous, alors faites-en ce que bon vous semble. Vous pouvez les abattre, les contourner, sauter par-dessus, ou les peindre aux couleurs de votre vie et de vos amours. Vous n’avez de limites que celles que vous vous fixez, et non celles que le monde veut vous imposer.

 

 

Zanzi, le 6 mai 2009

 

(1) Feu la princesse Alice de Grande-Bretagne, duchesse de Gloucester (1901-2004), tante par alliance de la reine Elizabeth II, était la fille du 7e duc de Buccleuch et 9e duc de Queensberry. Son beau-frère, le duc de Kent (1902-1942), époux de la princesse Marina de Grèce (1906-1968), était notoirement homosexuel.

(2) Première phrase choc homosexualophobe. 

(3) Je ne fais référence qu’au monde occidental. Ne commencez pas à m’ennuyer avec les spécificités orientales, c’est déjà beau que je vous ponde un texte de trois pages.

(4) Sachant qu’il existe des factrices et des caissiers, les métiers sont unisexes, OK. Message aux chiennes de garde : inutile de m’aboyer dessus, ma caravane passe.

(5) Cf. (4).

(6) En relisant ma phrase, je ne la comprends pas très bien mais je crois que je suis le fil de ma pensée qui, je vous ai prévenu au paragraphe 3, zigzague.

(7) Non, je ne paraphrase ni Céline Dion ni Francis Cabrel.


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