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chaudronpotter

 

03.

LES DESCENDANTS

DES GARDIENS DES ARBRES

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.


 

        Chères lectrices, chers lecteurs, je profite tout d’abord de ce billet pour vous souhaiter de bonnes vacances, y compris à celles et ceux qui les ont déjà eues. Et pour mieux profiter des senteurs estivales, ce mois-ci, le chaudron se met au vert.

        Le cliché de l’homo fleuriste, vous connaissez ? Vous savez bien, ce jeune homme qui compose ses bouquets avec art, coupant une rose ici, ajoutant là une touche de verdure, le poignet ferme mais voletant comme un papillon. Toutes les villes ont le leur. À tel point que l’on s’étonne parfois de trouver des fleuristes masculins hétéros.

        Qu’on le veuille ou non, Francis, votre fleuriste préféré dont le compagnon est paysagiste (je n’hésite pas un seul instant à vous asséner ce cliché supplémentaire), fait partie d’une très grande famille. Un groupe ethnique auquel peu d’entre nous échappent en fait. Andrew Ramer les appelle « les gardiens des arbres ». Et c’est vrai qu’on a tous quelque chose en nous d’herbacé, de feuillu. Une empreinte d’humus qui nous colle à la peau.

        Quoi, vous n’avez jamais dragué dans un parc, vous ? Vous ne vous êtes jamais enfoui dans les broussailles avec une proie sortie de l’ombre pour y goûter un moment de plaisir ? Combien de buissons et d’arbres ont abrité nos relations furtives dans leur feuillage complice ? Et cela, depuis la nuit des temps. Et pourquoi le dit-on plus souvent des homos que des hétéros ? Nous pouvons difficilement le nier, nos univers s’interpénètrent volontiers avec celui de nos frères végétaux. Lors d’une promenade contée spéciale « gay » que j’ai récemment suivie, l’animateur a d’ailleurs présenté le parc comme « le principal lieu gay de la ville ». Il est vrai que le soir, un étrange spectacle se joue dans ses ramures. Inutile de le nier, il arrive fréquemment que les rapports homosexuels aient un goût de verdure. Ou, pour le dire autrement, que les rapports sexuels qui ont lieu dans les parcs soient homos. Et ce n’est peut-être pas un hasard.

        D’abord, les arbres sont vraiment très queer, il suffit de se pencher doucement sur leur biologie pour s’en convaincre. Les plantes sont l’exemple même d’un règne vivant qui a fait l’expérience de toutes les sexualités. Chez elles, il est rare par exemple que les sexes soient séparés sur deux troncs différents. L’hétérosexualité pure et dure n’y est pas très fréquente. D’abord parce que le même arbre peut porter des fleurs mâles et d’autres, femelles. Les deux sexes sont alors sur un même individu. Pendant qu’ils éjaculent leur pollen dans l’air chaud, ils recueillent la semence de leur partenaire, c’est aussi simple que cela. De vraies tapettes, vous dis-je. On y pense rarement, mais en fait, ils baisent au dessus de nous quand nous flânons dans leur ombrage. Ils échangent avec grâce leur sperme doré et odorant dans un immense ballet. Une danse tellement semblable, quand on y réfléchit, à celui des homos qui se frôlent à leurs pieds. « Ce qui est en haut est en tout point semblable à ce qui est en bas », a dit le sage.

        Il y aussi pléthore de fleurs qui se livrent, elles, aux joies de l’onanisme. On appelle cela l’autofécondation. Car, dans la nature, une fleur peut aussi être à la fois mâle et femelle. Et dans ce cas, elle se féconde comme une grande de son propre sperme. Enfin, quand je dis comme une grande… il arrive parfois que le concours d’une abeille soit nécessaire pour cela, mais bon. Nous n’allons pas l’en blâmer si elle se fait branler par quelqu’un d’autre, n’est-ce pas ?

        Dans le règne végétal, on est donc hermaphrodite, bisexuel, voire autosexuel. Tous les possibles existent dans une immense célébration fleurie de la diversité des sexes et de la sexualité. Allez, lecteur, admets-le, ils sont plus proches de nous que des hétéros, non ? Quand je vous dis que les arbres sont queer.

        D’ailleurs, les plantes nous sont liées jusque dans le langage. Le fenouil, par exemple, concerne à ce point les homos qu’il les désigne en italien (finochio). On dit que sur ces terres du sud, le fenouil pousse avec une telle facilité que même si on le fait disparaître, il s’en revient toujours. Un peu comme nous… Nul n’est besoin d’avoir recours à la reproduction, nous avons toujours été là, de tous temps et en tous lieux et cela sera toujours ainsi. En anglais également, une fleur nous désigne, c’est la pensée (pansy). L’expression « pansy without a stem » (pensée sans queue) désignait d’ailleurs les lesbiennes dans les années 60. Certains des vocables dont on nous affuble sont, on le voit, très fleuris.

        Dans son livre Gay Witchcraft, Christopher Penczak nous apprend en outre que plusieurs plantes sont associées, en sorcellerie, aux homosexuels. Les pommes sont par exemple liées aux amours lesbiens. L’abricot, lui, est mis en rapport avec l’androgynie, tout comme le lilas. La jacinthe et le narcisse sont utilisés, quant à eux, par les gays dans la confection de charmes amoureux. Au Chili, la papaye symbolise l’amour entre hommes. En Chine, il s’agit de la pêche. Dans la Grèce Antique, les homos amoureux s’offraient des roses, paraît-il. Par ailleurs, cette fleur était associée également aux prêtresses d’Aphrodite sur l’île de Lesbos. Elle représente l’amour inconditionnel. Et quand on parle d’amour inconditionnel, cela veut dire aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être un homme pour aimer une femme. Pas plus qu’il n’est obligatoire d’être une femme pour aimer un homme. On le voit, beaucoup de plantes touchent en fait aux amours homosexuels.

 

 

        Dans son bouquin Two Flutes Playing, Andrew Ramer va beaucoup plus loin. Il affirme, lui, qu’« être gardien des arbres » fait partie des fonctions sacrées que les homos assument depuis la nuit des temps.

        Expliquons son point de vue. Et pour cela, remontons à la Préhistoire. Déjà à l’époque, deux symboles différents désignaient l’homme et la femme. Le trait vertical était mâle. Le cercle était femelle. De ces deux signes découlaient trois symboles. D’abord, la spirale. C’est le cercle auquel le trait vertical donne une impulsion. La spirale est un symbole d’évolution et en même temps d’éternel retour. Elle repasse toujours par des points semblables sans être jamais les mêmes. Comme les cycles des saisons et de la vie en général. Tout est cycle. Et pourtant tout évolue. C’est le symbole de la reproduction, l’hétérosexualité.

        Par contre, deux cercles concentriques désigneraient les lesbiennes. Et deux traits verticaux représenteraient les gays. Ils forment un cylindre, un tronc. Selon Andrew Ramer, les couples homosexuels pouvaient (et peuvent sans doute encore) communiquer avec les arbres, les soigner, les comprendre, recevoir leur enseignement, bref, interagir avec eux. De cette manière, ils se chargeaient de leur médecine. J’ai moi-même constaté l’intérêt de nombreux sorciers gays pour les plantes magiques. C’est le cas de Penczak qui leur consacre une part de ses recherches actuelles. C’est également celui de Scott Cunningham qui a d’ailleurs écrit une des plus grandes encyclopédies existant sur les plantes magiques.

        Cela dit, je prends certaines distances par rapport aux théories exposées par Andrew Ramer dans son livre. D’abord, parce qu’elles ne me semblent pas étayées par des recherches scientifiques. Elles me semblent plutôt argumentées sur base de contacts de types médiumniques. À ma connaissance, aucun préhistorien n’a pu démontrer le rôle de « gardiens des arbres » chez les homos de la Préhistoire. L’idée est séduisante, certes. Mais je dirais qu’elle reste à prouver.

 

 

        Un autre point de vue intéressant est abordé par Ross Heaven dans son livre Plant Spirit Wisdom. Selon lui, les anciens chamans voyaient les arbres comme des portes vers l’autre monde. Je ne peux m’empêcher de songer que dans de nombreuses cultures, les homosexuels sont appelés justement « marcheurs d’entre les mondes ». Souvenez-vous du Winkta sioux à qui sa condition homosexuelle ouvre à la fois le cercle des hommes et celui des femmes. Si l’arbre, symboliquement, est une porte ouverte entre les univers, n’est-il pas normal qu’il symbolise celui qui voyage d’un monde à l’autre ? On a vu souvent l’arbre comme la porte entre la terre et le ciel. Mais il est plus encore, il est aussi le passage entre le masculin et le féminin. Cela dit, Ross Heaven parle du chamanisme celte. Et il ne discourt jamais des homos ni des trans dans son livre. Dans l’état de mes connaissances, rien ne me permet d’affirmer un rôle précis des homos dans le chamanisme celte. Si l’existence d’une culture homosexuelle est bien étayée chez les amérindiens, je n’ai encore rien rencontré de pareil chez nos ancêtres les plus directs. Si un lecteur s’y connaît en chamanisme celtique et a sa propre idée sur la question, qu’il me le fasse savoir, ça m’intéresse.

        Les chamans ont cependant cette particularité étonnante, que l’on rencontre partout dans le monde. Que cela soie en Europe ou en Amérique. Ils communiquent avec les esprits des plantes et comprennent ainsi en quoi elles peuvent soigner. Ramer prétend que les premiers herboristes que la planète a portés étaient ses chers homosexuels gardiens des arbres. En tant que dépositaires du savoir des plantes, ils soignaient leurs congénères. Mais là encore, je n’ai trouvé nulle part de preuve de ce qu’il avance chez les européens. Chez les amérindiens, oui, mais pas chez nous.

        Pour terminer cette excursion dans le monde des arbres, écrivons donc ce mot : Faeries. Les fées. C’est par lui que les anglais désignent à la fois les homosexuels et ces petits protecteurs du monde végétal. Un simple mot qui veut dire beaucoup. Fées et homos. Tous deux gardiens des arbres. Peut-être. Mais nous verrons dans quelques mois que ce parallélisme entre les homos et les fées est beaucoup plus riche de sens qu’on peut le supposer à première vue.

        Alors ? Que conclure ? Serait-il étonnant que les homos aient été, comme le prétend Ramer, « frères des arbres » dans la Préhistoire ? Je n’en sais rien. J’accueille l’idée et la trouve séduisante, c’est tout. Jusqu’à ce qu’on me l’ait démontré ou infirmé.

        Néanmoins, lorsque je vois mon compagnon penché sur son jardin de plantes qu’il aime tant, les nourrissant, les soignant, les chérissant ; quand je me vois marcher, rêveur, entre les fleurs, m’allonger au pied de mon orme, soigner ce pommier affaibli, je me dis que, à notre manière, notre couple est peut-être, en effet, « gardien des arbres ». Et parce que nous les aimons, passons du temps pour les connaître et surtout pour les protéger, nous avons allumé en nous une étincelle inattendue de l’identité gay. Une de ces belles couleurs de l’arc-en-ciel. Le vert ! Exactement comme Francis, ce charmant fleuriste homo de province, flanqué de son ami paysagiste.

 

Lectures conseillées :

Gay Witchcraft, empowering the tribe, de Christopher Penczak aux éditions Red Wheel, Weiser.

Two Flutes Playing, a spiritual journeybook for gay men, d’Andrew Ramer aux éditions Lethe Press.

Plant spirit wisdom, sin eaters and shamans, the power of nature in celtic healing for the soul, de Ross Heaven aux éditions O books.

Encyclopédie des plantes magiques, de Scott Cunningham, aux éditions Ada.


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