1. Arthur Rimbaud et Paul Verlaine : une saison en enfer
Dans la France des années 1870, l'amour entre hommes n'est pas punissable, mais il demeure sujet à railleries et honte sociale. Ainsi en témoigne la
relation tumultueuse entre les poètes Paul Verlaine (1844-1896) et Arthur Rimbaud (1854-1891). Après avoir reçu quelques poèmes et une lettre du jeune prodige de Charleville, ébloui
par le génie de son cadet, Verlaine invite Rimbaud à Paris. Il tombe aussitôt amoureux de l'adolescent et abandonne femme et enfants. Sortant ensemble dans les théâtres parisiens, le
couple sera vite l'objet de ragots. Ainsi, Jules Renard commentera dans son journal la relation entre les deux hommes : "Est-ce que le fils de Verlaine ressemble à Rimbaud ?" Dès
1872, les deux amants errent à travers l'Europe, entre Londres et Bruxelles. S'ensuit leur période de création la plus intense. Rimbaud laisse éclater sa passion pour son aîné : "Je
suis à lui chaque fois / Si chante son coq gaulois". A noter que l'écrasante majorité des éditions ont délibérément ôté le caractère érotique de ce vers, en imprimant: "Salut à lui,
chaque fois / Que chante le coq gaulois."
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Arthur Rimbaud
Paul Verlaine
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Dans Une Saison en enfer, le seul texte publié par Rimbaud de son vivant, écrit juste après l'incident de Bruxelles pendant l'été 1873, où
Verlaine, dans un moment d'ivresse, tire deux coups de feu sur son ami, Rimbaud relate les tumultes de leur relation. Verlaine est "l'époux infernal" et lui-même se représente sous
les traits de "la vierge folle" : "Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s'emporte contre moi, c'est un démon, vous savez, ce n'est pas un homme. Il dit : 'Je n'aime pas les
femmes'. L'amour est à réinventer, on le sait (...) Nous nous accordions. Bien émus, nous travaillions ensemble. Mais après une pénétrante caresse, il disait : 'Comme ça te paraîtra
drôle, quand je n'y serai plus, ce par quoi tu as passé. Quand tu n'auras plus mes bras sous ton cou, ni mon cœur pour l'y reposer, ni cette bouche sur tes yeux. Parce qu'il faudra
que je m'en aille très loin un jour' (...) Un jour peut-être il disparaîtra merveilleusement ; mais il faut que je sache, s'il doit remonter à un ciel, que je voie un peu l'assomption
de mon petit ami. Drôle de ménage !" Accusé par un Rimbaud désespéré, Verlaine sera condamné à deux ans de prison pour son acte de folie. Pendant son incarcération, il veut oublier
son amant et se reconvertir à la religion de son enfance. Mais dès sa sortie de prison, il s'empresse de rejoindre Rimbaud à Stuttgart. Ce dernier relate ces retrouvailles dans une
lettre à son ami Delahaye : "Verlaine est arrivé ici l'autre jour, un chapelet aux pinces. Trois heures après, on avait renié son Dieu et fait saigner les quatre-vingt dix-huit plaies
de Jésus-Christ." Ce sera leur dernière entrevue avant l'exil définitif de Rimbaud en Abyssinie. C'est Verlaine qui publiera toute l'œuvre de son ami et le fera passer à la postérité,
au grand dam de la famille de Rimbaud, qui ne souhaitait pas voir diffusés les écrits sulfureux du poète.
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