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LA CRYPTE AUX GAYS

par  BBJane Hudson

 




Fiche technique :

Avec Roddy McDowall, Chris Sarandon, William Ragsdale, Amanda Bearse, Stephen Geoffreys, Jonathan Stark, Dorothy Fielding, Art Evans, Stewart Stern, Nick Savage, Ernie Holmes, Heidi Sorenson, Irina Irvine, Bob Corff et Pamela Brown. Réalisation : Tom Holland. Scénario : Tom Holland. Directeur de la photographie : Jan Kiesser. Musique : Brad Fiedel.

Durée : 106 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

 


Résumé :

Fanatique de films d'horreur, le jeune Charlie Brewster (William Ragsdale) soupçonne ses nouveaux voisins – le séduisant antiquaire Jerry Dandridge (Chris Sarandon) et son assistant Billy Cole (Jonathan Stark) – d'être des vampires. Après avoir assidûment surveillé leurs agissements, il parvient à les démasquer et décide de les anéantir. Pour l'épauler dans cette mission, il fait appel à un présentateur de films d'épouvante de la télé locale : Peter Vincent (Roddy McDowall), qui s'avère aussi froussard que peu compétent en matière de surnaturel. Informé des intentions de Charlie, Jerry Dandridge riposte en séduisant la fiancée du jeune garçon, et en transformant l'un de ses amis, "Evil" Ed (Stephen Geoffreys), en « créature de l'ombre ». Charlie et Peter Vincent investissent la demeure de Dandridge et se préparent à l'affrontement.



L’avis de BBJane Hudson :

L'un des films d'épouvante les plus ouvertement gay des années 80, Vampire, vous avez dit vampire ? continue d'être ignoré comme tel par l'ensemble de la critique et des fantasticophiles. L'analyse queer très complète et étayée offerte par Harry M. Benshoff dans son indispensable ouvrage Monsters in the closet – Homosexuality and the horror film, n'a pas changé grand-chose à cet état de fait. L'aveuglement des aficionados du cinéma fantastique, relativement au contenu homosexuel de certains de leurs films-cultes, n'a jamais cessé de m'étonner, et le cas de Vampire, vous avez dit vampire ? en constitue un exemple assez hallucinant. Je me propose, dans cet article, de recenser divers éléments scénaristiques et esthétiques qui font du film de Tom Holland l'une des œuvres gay les plus caractérisées du "genre". Suite à cela, j'aimerais soulever une question qui, en tant que fantasticophile homosexuel, me turlupine depuis nombre d'années : pourquoi les fans d'horreur, dans leur grande majorité, manifestent-ils un tel rejet de tout discours queer appliqué à leurs œuvres fétiches ? Pourquoi cet entêtement à ignorer – ou nier avec véhémence – ce qui, dans le cas de Vampire, vous avez dit vampire ? ou de classiques encore plus respectés du genre (La Fiancée de Frankenstein, Les Maîtresses de Dracula, Théâtre de sang...) relève de l'évidence ? D'ores et déjà, je convie chaudement mes lecteurs, si l'envie leur en prend, à m'apporter leur point de vue sur cette question troublante...

Plutôt qu'une critique proprement dite (on ne les compte plus sur le Net, et je ne vois pas l'intérêt d'ajouter mon caillou à l'édifice), je soumets à votre appréciation la liste des éléments queers du film.

J'ai presque honte de les répertorier, tant ils tombent sous le sens – mais il est parfois nécessaire d'enfoncer le clou (à défaut du pieu...)

Jerry Dandridge et son assisant Billy Cole sont présentés comme un couple gay (les fans du film ignorent généralement ce fait, lorsqu'ils ne le nient pas purement et simplement.) La mère de Charlie Brewster, affriolée par le voisinage du playboy Dandridge, en conçoit d'ailleurs une certaine amertume, dont elle fait part à son fils.

 

Ceci N'EST PAS un couple gay.

 

Charlie Brewster éprouve une fascination immédiate et obsessionnelle pour Dandridge. Dès le début du film, son intérêt pour ce nouveau voisin le détourne des étreintes de sa fiancée, Amy Peterson, qui le lui reproche vertement et l'accuse de chercher un fallacieux prétexte pour ne pas coucher avec elle.

La première attaque de Dandridge contre Charlie fait écho aux innombrables scènes de séduction vampirique que l'on trouve dans les grands classiques du genre : intrusion du monstre dans la chambre de sa victime, frayeur de cette dernière, mélange de rébellion et de fascination. À ceci près que, dans les œuvres classiques (disons, celles de la Hammer, auxquelles Vampire, vous avez dit vampire ? se réfère le plus explicitement), le vampire s'introduit chez des proies féminines. Le potentiel érotique et la charge de sensualité sont préservés par Tom Holland, mais prennent ici une coloration nettement homophile. Bien que les adversaires soient tous deux masculins, le jeu de la séduction est respecté.

 

Charlie et Jerry : « Tu veux un baiser ? »


Autre objet de fascination pour Charlie Brewster (décidément porté sur les figures masculines) : Peter Vincent, comédien raté mais idole du jeune garçon, qui lui prête une autorité et des compétences (en matière de vampirisme) dont il est totalement dépourvu. Substitut du père absent (celui de Charlie n'apparaît pas dans le film, et n'est guère évoqué), Peter Vincent est aussi objet d'adulation (Charlie passe ses soirées à l'admirer à la télévision), et l'“éducateur” rêvé par Charlie – le protecteur chargé de le guider dans le monde terrifiant des différences (monstrueuses/sexuelles) qu'il veut affronter.


PERSONNE ne brandit quelque chose dans ce film.

 

"Evil" Ed, le souffre-douleur du lycée, mais ami de Charlie, est le prototype de l'adolescent homosexuel tel qu'Hollywood, réactionnaire et puritain, s'applique généralement à en atténuer la représentation. Jeune garçon "bizarre", instable, excentrique, potentiellement révolté et de mauvaise compagnie, "Evil" Ed apparaît comme le descendant d'une longue lignée de « rebelles sans cause », sexuellement ambigus, dont le modèle peut-être vu dans le Sal Mineo de La Fureur de vivre. S'il n'est jamais nommément fait allusion à son homosexualité, sa différence est en revanche copieusement illustrée.


Ceci N'EST PAS une proposition malhonnête.

 

La scène de la mort d'"Evil" Ed (transpercé, sous la forme d'un loup, par le pieu de Peter Vincent, le jeune garçon recouvre son apparence humaine dans d'horribles douleurs et d'interminables contorsions) a traumatisé toute une génération de fantasticophiles, comme en attestent d'innombrables témoignages de fans, qui y voient généralement le sommet émotionnel du film. Elle est aussi placée sous le signe d'une compassion rare dans le cinéma d'épouvante, manifestée pour le monstre par son exterminateur. Peter Vincent, atterré par les souffrances de l'adolescent, observe son agonie avec les larmes aux yeux, et demeure prostré devant son corps nu. Pour les spectateurs gays, cette séquence prend une dimension symbolique, et apparaît comme emblématique des souffrances morales et/ou physiques auxquelles les expose leur différence.

 

"Evil" Ed et Peter Vincent. Le monstre mourant et son exécuteur. L'homme est un loup pour l'homo.


La vampirisation de "Evil" Ed par Jerry Dandridge dans une impasse obscure, a toutes les apparences d'une scène de séduction homosexuelle. « Tu n'as pas à avoir peur de moi, déclare Dandridge à sa victime. Je sais ce qu'être différent signifie. Désormais, plus personne ne se moquera de toi ou ne te fera de mal. J'y veillerai. Tu n'as juste qu'à me tendre la main. Allons, Edward, tends-moi la main. » Et Dandridge d'envelopper lentement le jeune garçon dans les pans de son trench-coat...

Comme le souligne de façon amusante Harry M. Benshoff dans son ouvrage Monster in the closet, la plupart des scènes d'agressions vampiriques nous montrent le vampire attaquant sa victime par derrière, (je cite : « comme s'il allait la sodomiser plutôt que la mordre. »)


PERSONNE ne tire dans cette scène.

 

De nombreux plans jouent sur une symbolique d'actes homoérotiques. Le plus fameux d'entre eux (évoqué par le comédien Jonathan Stark lors d'une table ronde réunissant plusieurs artisans du film) nous montre Billy Cole agenouillé devant Jerry Dandridge afin de soigner sa main blessée, le cadrage suggérant une fellation. Stark, qui assure n'avoir d'abord pas compris l'insistance du réalisateur à le faire s'agenouiller devant son partenaire, eut les yeux dessillés en découvrant le film sur l'écran.

 

Ceci N'EST PAS une pipe.

 

Pour conclure, impossible de ne pas noter la présence essentielle dans le casting d'au moins trois personnalités ouvertement homosexuelles (et pour deux d'entre elles, plutôt militantes) : les comédiens Roddy McDowall, Stephen Geoffreys (qui mena une carrière parallèle d'acteur dans le porno gay), et Amanda Bearse (qui déclara, lors d'une Gay Pride à l'Université de Californie du Sud, que l'intention de Tom Holland, en réalisant Vampire, vous avez dit vampire ?, était de dépeindre un vampire queer, et que chaque allusion homosexuelle était intentionnelle – voir Monsters in the closet, page 250.) Du reste, un simple survol de la filmographie de Holland, en tant que scénariste ou réalisateur, dénote un intérêt prononcé pour les thématiques queers, avec des œuvres aussi fortement connotées que Psychose II, Class 1984, Child's play ou le très "horrific-homo" The Beast within. Notons également que le comédien Chris Sarandon débuta sa carrière cinématographique en incarnant l'aspirant-transexuel amant d'Al Pacino dans Un Après-midi de chien de Sidney LUMET – ce qui lui valut une étiquette gay-friendly dont il ne put jamais se débarrasser (si tant est qu'il le souhaita...)

 

Du Cauchemar de Dracula (Terence Fisher - 1958)...

...au supplice d'"Evil" Ed (1985)... 27 années d'identiques souffrances pour le monstre queer, lesbien ou gay.

 

Lorsque Vampire, vous avez dit vampire ? sortit en salles, la presse évita soigneusement toute allusion aux connotations homosexuelles du scénario et de la mise en scène – difficile de croire qu'elle ne les perçut pas, à moins d'une faiblesse analytique fort dommageable à la profession de critique.

Ce silence est encore plus "criant" relativement aux commentaires émanant de la presse dite "spécialisée" (dans le cinéma de genre), qui se targue pourtant assez facilement d'une liberté de vue et de ton bannie des revues mainstream.

En France, les deux magazines les plus populaires en ce domaine, L'Écran fantastique et Mad Movies, louèrent les qualités du film (sur l'air du : « Bien joué, bien filmé, de chouettes effets spéciaux, et on a peur et on rigole... ») sans esquisser la moindre réflexion sur son contenu – mais il est vrai que la réflexion n'était guère, à l'époque (et à peine davantage aujourd'hui), un point fort de la presse dite "spécialisée"...

D'autres films contemporains de Vampire, vous avez dit vampire ?, et faisant appel, eux aussi, à une thématique clairement gay (La Revanche de Freddy, Génération perdue) subirent le même (manque de) traitement.

En mars 2008, plusieurs membres de l'équipe du film furent réunis pour une interview commune, dans le cadre de la Fear fest ayant lieu à Dallas. Le caractère queer du film n'y fut évoqué qu'une seule fois, brièvement, et pour faire l'objet d'une dénégation de la part du comédien William Ragsdale – lequel estime, en substance, que certains critiques racontent trop facilement n'importe quoi, et que Vampire, vous avez dit vampire ? n'est rien d'autre qu'un « film de vampires tout simple ». Propos mitigés par Jonathan Stark, qui rappelle avec humour l'anecdote de "l'agenouillement", évoquée plus haut.

Tom Holland, pour sa part, demeura silencieux.


No comment...

 

Pour plus d’informations :

Une partie de l'équipe du film fut réunie pour une interview, en mars 2008, à l'occasion de la deuxième édition de la Fear fest, à Dallas, Texas. La transcription intégrale de la rencontre, et quelques extraits vidéos, sont consultables ici – par la grâce de l'indispensable site Icons of fright.

Conflit de générations : rencontre entre deux gays issus d'époques différentes. Difficile de ne pas discerner, dans la confrontation Peter Vincent/"Evil" Ed, l'incommunicabilité entre deux représentants d'une manière différente de vivre son homosexualité : l'un peinant à sortir du placard (McDowall), l'autre fraîchement et fièrement affirmé (Geoffreys). Deux scènes aussi sombres que lumineuses, visibles sur YouTube.

• Une excellente approche queer du film (et quelques liens utiles), à découvrir sur Outcyclopedia, l'encyclopédie gay et lesbienne du web.

par  BBJane Hudson

 




Fiche technique :

Avec : Gina Philips, Justin Long, Jonathan Breck, Patricia Belcher, Eileen Brennan, Brandon Smith, Peggy Sheffield. Réalisation : Victor Salva. Scénario : Victor Salva. Directeur de la photographie : Don E. FauntLeRoy (ben tiens ! le petit Lord...). Musique : Bennett Salvay. Montage : Ed Marx. Producteur exécutif : Francis Ford Coppola.

Durée : 91 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

 


Résumé :

Trish (Gina Philips) et Darry Denner (Justin Long), en route vers le domicile parental, sont pris en chasse par une camionnette vétuste, dont le conducteur leur apparaît quelques kilomètres plus loin, à proximité d'une église abandonnée. L'étrange personnage (Jonathan Breck), tout de noir vêtu, jette d'encombrants paquets de forme humaine dans une sorte de goulot de tôle. Résolu à percer ce mystère, Darry entraîne sa sœur vers l'église, dans le sous-sol de laquelle il découvre un amoncellement de cadavres. Son incursion dans l'antre du meurtrier n'a pas échappé à ce dernier, qui se lance à nouveau à ses trousses...


Pause pipi...

 

L'avis de BBJane :

Jeepers Creepers présente la particularité d'être le premier film fantastique « à succès » dont le caractère homosexuel fut unanimement reconnu, dès sa sortie en salles, par les fans du genre. La raison de cette clairvoyance inaccoutumée peut être trouvée dans le « scandale Salva », présent dans toutes les mémoires, bien que vieux d'une bonne dizaine d'années quand le film parut sur les écrans. En 1989, le cinéaste purgea quinze mois de prison pour abus sexuels sur la personne de l'un des jeunes comédiens de son premier film : Clownhouse. Gageons que si le public n'avait eu connaissance de ce fait-divers copieusement répercuté par la presse, Jeepers Creepers serait simplement considéré comme un excellent film de trouille, point barre. Un peu plus malsain que les autres, peut-être ? Quant à savoir pourquoi, on s'en branle, les mecs !... L'important, c'est qu'ça foute les j'tons !..

Comme dans la majorité des films fantastiques à caractère queer, l'homosexualité est ici assimilée à l'élément monstrueux, générateur de peur. Si Jeepers Creepers est aussi efficace sur le plan de l'angoisse qu'il génère (il fut d'emblée salué par le public et la critique comme l'une des œuvres les plus flippantes du début de la décennie), c'est que son auteur met ouvertement en scène ses propres démons, qui se trouvent relever de l'un des tabous les plus redoutés de notre époque : la tentation pédophile – ou plus exactement, la pédérastie, dans le cas qui nous occupe.

N'envisageant évidemment pas d'en faire l'apologie, Salva ne peut néanmoins renoncer à en tenter la justification – non sans mauvaise conscience, d'où une certaine ambiguïté dans le propos du film, et le déséquilibre qui l'affecte.

La réussite exemplaire des quarante premières minutes tient, d'une part, au fait que Salva s'abstient de tout effet de terreur surnaturelle, et d'autre part à ce qu'il épouse exclusivement le point de vue des proies du Creeper – particulièrement de Darry, le seul qui soit véritablement concerné par les visées du monstre. Or, il se trouve que l'adolescent, malgré la terreur que lui inspire son poursuivant, éprouve à son égard une irrésistible attraction, qui le conduit, tout au long du film, à aller à sa rencontre.

Si l'on prend Jeepers Creepers pour ce qu'il est (une allégorie pédérastique), on ne peut qu'être frappé par l'attitude qu'adopte la victime envers son agresseur, et qui témoigne d'autant d'attirance que de répulsion.

Il y a fort à parier qu'un tel propos, énoncé dans un contexte réaliste, et non sous le couvert du "fantastique", aurait de quoi susciter une rude polémique, propre à fermer à son auteur les portes des producteurs (et le soutien des spectateurs) pour nombre d'années, comme le fit son incartade passée.

Dès la première scène, la suspicion d'homosexualité pèse sur Darry. Ses efforts pour affirmer sa virilité (vitesse inconsidérée au volant, propos machistes envers sa sœur) sont ruinés par une malencontreuse série d'« actes manqués » (dans le « 6A4EVR » d'une plaque minéralogique, il lit « Gay forever », au lieu du plus judicieux « Sexy forever » indiqué par sa sœur ; plus tard, il constate que le linge lavé par sa mère a fâcheusement déteint : « J'ai douze paires de caleçons roses ! », lance-t-il à Trish, qui lui réplique ironiquement que « c'est peut-être un signe ».)

Après avoir tenté d'effrayer les occupants d'un camping-car en se ruant sur leur véhicule, il est à son tour harcelé de la même manière par la camionnette du Creeper – qui n'hésite pas, pour sa part, à lui rentrer dans le train (oserais-je parler d'« enculeur enculé » ?.. Oui, j'ai osé...) Une conjonction pulsionnelle est ainsi signalée entre le poursuivi et son poursuivant.


Suck my truck !!!

 

Première indication d'une menace pédérastique : la camionnette de l'agresseur accuse plusieurs kilomètres au compteur (« Une vieille caisse toute pourrie », commente Darry, avant de s'insurger, non sans une pointe d'admiration : « Il a gonflé son moteur, ou quoi ?.. »)

Ancêtre boosté au Viagra, franc du pare-choc et avide de collision : le truck vétuste du Creeper est une image transparente du « monstre pédéraste ». (L'influence du Duel de SPIELBERG, évidente durant le premier tiers du film, et revendiquée par Salva, me confirme qu'il ne serait pas malvenu d'apporter une lecture queer au chef-d'œuvre du papa d'E.T.)

Quelques kilomètres plus loin, Darry et Trish découvrent la camionnette à l'arrêt près d'une église abandonnée, et son conducteur occupé à jeter de sinistres paquets dans une sorte de boyau de tôle. Darry ne sera pas long (Long, vous avez dit Justin ?..) à vouloir retourner sur les lieux, contre l'avis de sa sœur. Il inaugure ainsi la série des "rétrogradations" que j'ai signalées plus haut, témoignant de son empressement à se jeter « dans la gueule du loup ». Si la peur lui interdit de répondre spontanément aux avances du monstre, il ne peut néanmoins s'en détourner.

Trish lui reproche sa coupable envie « d'aller voir s'il n'y a pas un truc sordide ».

« Dans les films d'horreur, y a toujours un con qui déconne. T'es ce con-là ? » ajoute-t-elle, comme pour anticiper la réaction des spectateurs. Ce réflexe récurrent chez les protagonistes de films fantastiques, qui consiste à se diriger résolument au devant du danger, suscite invariablement les sarcasmes des adversaires du genre. Pour sa défense, les fans ont coutume d'objecter que, sans ce comportement des victimes, il n'y aurait jamais d'affrontement – et, partant, pas de film... Justification un peu courte, et argument fort pratique pour éluder la question sensible : l'attirance de la future victime pour son futur bourreau (et, dans le cas de films au sous-texte queer, l'irrésolution des héros dans leurs choix sexuels.)

Attiré par « les trucs sordides », Darry ira donc se pencher sur le curieux orifice dans lequel le Creeper balance ses cadavres. Ce conduit menant aux entrailles de l'Enfer, et qui exhale une forte puanteur, n'est autre que l'anus du Mal (qui a dit du Mâle ?.. Désolé, on l'a déjà faite, celle-là...), objet de curiosité autant que d'appréhension pour notre hétéro vacillant, et source de révélations prodigieuses.

La scène de la chute de Darry dans Le Trou multiplie les allusions olfacto-scatologiques à tendance homoérotique – depuis l'insistance de Trish à évoquer l'odeur de chaussettes et de baskets crades de son frère (on sait le fétichisme homo relatif aux « skets et panards » – et cette référence abonde dans le film...), jusqu'à la dégringolade dans « toute cette merde », en passant par les multiples cadrages accusant l'aspect organique du conduit.


Le trou du cul du Mal


Forcément, cet œillet ne sent pas la rose...


Ce que découvrira Darry dans le sous-sol, sera – selon ses propres termes – « la Chapelle Sixtine d'un fou » (l'allusion à Michel-Ange, de qui l'on connaît les inclinations sexuelles, n'est certainement pas innocente, dans le contexte.) Les parois de l'antre et sa voûte sont tapissées d'un enchevêtrement de cadavres pourrissants, vision dantesque empruntée au Frayeurs de Lucio FULCI (l'exploration souterraine du cimetière de Dunwich), mais également évocatrice des charniers de la Seconde Guerre Mondiale. Salva – comme la plupart des auteurs spécialisés dans le fantastique – semble suggérer que le retour du refoulé, et son déchaînement, ne peuvent qu'aboutir sur l'horreur du serial killer ou sur celle du nazisme – encore ne faut-il pas oublier que le refoulé n'existerait pas, et, de fait, n'aurait aucune raison de se déchaîner, sans les contraintes entretenues par la Raison Sociale. Ce sont les garde-fous qui engendrent les fous, ce que le "fantastique", essentiellement réactionnaire et puritain, répugne à considérer.

Darry regagnera l'air libre et la surface terrestre dans un état de stupeur identique à celui d'une victime d'un viol. Sa sœur, assez peu soucieuse de sa traumatisante expérience, ne cessera de lui marteler qu'il « sent la merde » – inévitable conséquence de l'exploration des fondements...

Comme s'il prenait soudain conscience de s'être aventuré (et d'avoir entraîné son public) dans des régions décidément trop obscures et trop intimes, Salva fait dès lors basculer son film dans le fantastique pur.

Plus question de laisser planer le doute sur l'origine surnaturelle du Creeper ; tout est mis en œuvre pour que le spectateur renonce à s'interroger plus longuement sur les motivations profondes (trop humaines ?) du monstre. Textuellement, il devient un épouvantail de plus dans la galerie des famous monsters.

L'accumulation frénétique de détails abracadabrants et d'invraisemblances scénaristiques témoigne de la panique de Salva, atterré par les implications profondes de son œuvre, et par le ton de confession qu'il avait jusqu'alors adopté.

Décidé à se ressaisir, le cinéaste fait sombrer son film dans le n'importe quoi : intervention soudaine d'une voyante noire qui connaît tout sur tout et nous assène l'historique complet du monstre en deux coups de boule de cristal ; scène parfaitement superfétatoire de la « Vieille aux Chats », victime du Creeper ; introduction de gimmicks ineptes et jamais justifiés (pourquoi la chanson "Jeepers Creepers" annonce-t-elle inévitablement le surgissement du monstre ?.. pourquoi se manifeste-t-il uniquement « tous les 23 printemps pendant 23 jours » ?..)


"La Vieille aux Chats". On déplorera que Victor Salva n'ait rien trouvé de mieux à offrir que ce rôle ridicule à la sublime Eileen Brennan.

Jezelle, la voyante black, dans tous ses états...
(Divine avec du cirage ?..
Non : Patricia Belcher)


Pour excuser ces lacunes, Salva fait remarquer par sa providentielle voyante black que ses révélations ne sont pas « comme un film... il y manque des bouts, parfois... »

De-ci de-là, cahin-caha, le sous-texte rejaillit pourtant à la faveur d'un plan ou d'une réplique. Ainsi, le Creeper est décrit comme « une créature avide, échappée de la face cachée du Temps » (ou du "placard" de l'Histoire ?...) ; on nous apprend également qu'il est « habillé en homme pour cacher qu'il n'en est pas un », et qu'il « mange des organes qui le renouvellent » (retour au croquemitaine pédéraste, trouvant dans la jeunesse de ses proies matière à tromper son vieillissement).

De même, au plus fort du danger, Darry continue de renâcler lorsqu'il s'agit d'échapper au monstre : « Ralentis ! Tu vas nous tuer ! », lance-t-il à sa sœur, qui les exposerait pourtant à une mort plus sûre en roulant plus lentement...

Dans la plus totale confusion scénaristique (ou en raison de cette confusion), Salva laisse néanmoins certains indices lui échapper. Ainsi, à l'issue de la première confrontation entre le Creeper et « la Vieille aux Chats » : « Qu'est-ce que TU m'as ramené ? », lance cette dernière à Darry, en lui balançant la crosse de son fusil dans les parties. Elle suggère par-là que l'adolescent (non sa sœur) est la proie d'élection du monstre. Ce que nous confirme le finale : ayant reniflé tour à tour Darry et Trish, le Creeper envoie dédaigneusement valdinguer le jeune fille, et prend la poudre d'escampette avec son frère.

Trish a beau prétendre désespérément, pour inciter la créature à la choisir, qu'elle a « la même chose que Darry en elle » ("chose" qui, là encore, n'est jamais explicitée, mais est très clairement un parfum d'homosexualité), rien n'y fera : le croquemitaine n'en pince résolument que pour les garçons...


Encore un bel exemple d'« acte manqué »...
Comment réparer les outrages homosexuels ? En nouant un slip rose à son pare-choc arrière, bien sûr !..


Le dernier plan du film nous montre le Creeper regardant la caméra à travers les orbites vides d'un Darry fraîchement dépecé. Ces yeux qui nous fixent, brillant de haine – ou de convoitise – sont ceux du jeune garçon, que le monstre vient de se greffer. Par cet acte, il consacre l'union avec sa victime – et par ce regard, il nous rappelle qu'au fond, tous deux ont toujours partagé le même point de vue.


Par le petit bout de la lorgnette : « l'enculeur enculé ».


Parce qu'il amena les fantasticophiles à s'interroger (enfin !) sur le sous-texte homosexuel de leur genre favori, Jeepers Creepers peut être regardé, en dépit de ses faiblesses et de ses regrettables ruptures de ton, comme un film-charnière. En ce sens, on peut considérer qu'il y a désormais un avant et un après J.C.


J.C.

 

N.B. : Sauf erreur de ma part, aucun commentateur n'a signalé l'évidente parenté entre le Creeper et les « Maigres Bêtes de la Nuit » lovecraftiennes – créatures ailées arrachant leurs proies à la Terre pour les emmener vers un ailleurs de cauchemar, qui hantèrent les nuits du « reclus de Providence », sa vie durant. Hommage conscient, ou similaire sublimation onirique/artistique d'obsessions pédérastiques ?.. Je vous laisse en juger...

Liens et pour plus d’informations :

Aucun qui mérite d'être signalé.

par  BBJane Hudson

 

 

 

Fiche technique :

Avec Jerry Lewis, Stella Stevens, Del Moore, Kathleen Freeman, Howard Morris, Buddy Lester, Skip Ward, Med Flory, Elvia Allman, Norman Alden, Marvin Kaplan, Henry Gibson, Howard Morris, Milton Frome et David Landfield. Réalisation : Jerry Lewis. Scénario : Jerry Lewis et Bill Richmond. Directeur de la photographie : Wallace Kelley. Compositeur : Walter Scharf.

Durée : 107 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :

Un timide professeur de chimie, Julius Kelp (J. Lewis), tente de conquérir le cœur d'une de ses élèves, Stella (Stella Stevens), en inventant une potion magique qui le transforme en un irrésistible playboy, Buddy Love (J. Lewis).



L'avis de BBJane :

« Jerry pense rose. » Robert Benayoun

Commençons par un lieu commun doublé d'un euphémisme : Jerry Lewis est un cas à part dans l'histoire du cinéma hollywoodien.

À l'apogée de son succès, dans les années 60, ses films attiraient les foules américaines tout en étant méprisés par la critique. En France, le phénomène s'inversa : notre pays fut le premier à considérer Lewis comme un auteur, tandis que le public réservait à ses œuvres un accueil plutôt mitigé. Il fut l'un des comédiens les plus populaires et les mieux payés de son temps, et il est aujourd'hui l'un des cinéastes majeurs les plus négligés des cinéphiles, privé de la pratique de son art par des producteurs qui le boudent depuis bientôt trente ans.

Il a fait l'objet de l'un des plus beaux livres jamais consacrés à un cinéaste par un critique français – Bonjour Monsieur Lewis, de Robert Benayoun –, et ses films furent abondamment disséqués dans les années 60-70. De nos jours, son œuvre n'est plus évoquée dans aucune revue, et les médias ne s'intéressent à lui qu'une fois par an, à l'occasion du Téléthon, dont il fut l'instigateur.

Dans les nombreuses études qui lui furent jadis dédiées, les commentateurs s'extasiaient sur ses innovations et prouesses techniques, sa maîtrise virtuose du gag visuel, son art consommé de coloriste, le caractère iconoclaste, voire subversif, de son comique résolument ancré à gauche, et empreint d'un humanisme pessimiste.

Si la plupart des exégètes en appelaient à Freud pour élucider les implications sexuelles de ses films et justifier sa critique soutenue du matriarcat, s'ils s'étendaient volontiers sur le caractère conflictuel mais fondateur du duo qu'il forma avec Dean Martin, s'ils tombaient en pâmoison devant ses options picturales bariolées et outrancières, aucun n'a jamais risqué plus qu'une timide allusion à ce qui relève pourtant de l'évidence : l'univers lewisien, visuellement, thématiquement, est l'un des plus totalement queers jamais vus à l'écran.

L'esthétique « gay-kitsch-camp » y est souveraine, et le « personnage Jerry », développé par Lewis de film en film, peut être considéré comme l'une des incarnations cinématographiques les plus accomplies d'un caractère queer en mal d'adaptation au monde straight.

J'aimerais en faire la démonstration à travers l'étude de son film le plus connu (et le plus apprécié en France), Docteur Jerry et Mister Love, œuvre charnière dans sa filmographie, en ce sens qu'elle marque l'aboutissement de son parcours artistique, à l'orée d'une « seconde période » qui, bien que riche en réussites, n'apportera aucun renouvellement notable.

Jerry Lewis, le plus gay des grands cinéastes hétéros ?..

Comment résister à la tentation d'attribuer ce titre à un homme qui, le mois dernier, attisait la colère d'une partie de la communauté homo (en l'occurrence bien bêcheuse et chochotte) pour avoir prononcé – une fois de plus et de trop – le mot "faggot" (pédé) lors d'une interview télévisée ?

Oui, décidément, Mister Lewis est un cas à part...

 Il existe une toute autre façon d'envisager l'intrigue ; une optique moins conventionnelle, mais nullement décalée, et relevant d'autant moins du délire interprétatif qu'elle explique et résout ce que l'approche habituelle soulève d'incohérences scénaristiques.

Voici le résumé alternatif qui peut en découler :

Le professeur Kelp, homosexuel honteux et refoulé, s'emploie à affirmer sa virilité en tentant d'amorcer une relation amoureuse avec l'une de ses élèves, et en suivant des séances de culturisme. Ses échecs successifs le font opter pour une autre méthode, artificielle et chimique : il invente une potion lui permettant de devenir le mâle idéal, l'hétéro parfait, séducteur machiste et baraqué : Buddy Love. Mais il ne peut annihiler sa véritable nature, laquelle réapparaît aux moments les moins opportuns, et l'empêche de concrétiser physiquement la liaison entamée avec son étudiante. Au fil du temps, son autre personnalité, Buddy Love, révèle de plus en plus nettement ses propres inclinations sexuelles – identiques à celles de Kelp. Ce dernier finit par renoncer à l'usage de sa potion – mais non à la dissimulation de ses penchants, puisqu'il épousera son élève afin de donner le change à sa famille et à son entourage professionnel.

Moralité : si l'on n'échappe pas à ce qu'on est, mieux vaut n'en rien laisser paraître !

 

Les saines lectures du Dr Jerry

 

On a beaucoup glosé sur le fait que Lewis (à l'instar de Terence Fisher, deux ans plus tôt, avec The Two faces of Dr Jekyll) inversait les données du roman de Robert-Louis Stevenson dont il s'inspirait, à savoir : Jekyll/beau contre Hyde/laid. En vérité, cette inversion va au-delà de l'aspect physique des personnages. Elle est ici totale : la créature hideuse et le monstre social (car queer), c'est Jekyll/le professeur Kelp ; l'être séduisant et conforme aux attentes de la société, c'est Hyde/Buddy Love.

Le générique du film nous montre le professeur effectuant une expérience en classe. Seules ses mains sont cadrées, tandis qu'elles s'activent autour de diverses cornues et autres objets de chimie phalloïdes, jusqu'à ce que se produise une explosion ayant valeur d'orgasme.

Tentative symbolique de destruction de l'ordre établi, comme l'écrivirent les critiques ? Sans doute, mais également séance d'onanisme exhibitionniste, suscitant la fuite des témoins (les étudiants) d'abord médusés, puis indignés.

 

Fais gaffe, Jerry !.. Ça rend sourd !..

 

De manière significative, c'est dans un placard que Kelp se retrouvera coincé par l'un de ses élèves, qui veut ainsi se venger du fait que le professeur lui ait interdit de se rendre à un entraînement de foot. Car Kelp n'éprouve aucun intérêt pour le sport (carence souvent suspecte aux yeux de la jeunesse américaine), et manifeste même un certain mépris à l'égard de cette discipline.

Pour ne rien arranger, il n'est pas davantage intéressé par les femmes – on se demande, à ce propos, où les commentateurs du film sont allés pêcher l'idée qu'il crée avant tout sa fameuse mixture pour séduire son élève Stella, si l'on considère l'absence totale d'érotisation de leurs rapports.

Dans l'ensemble des films de Lewis, le potentiel érotique des personnages féminins est généralement fort congru (nous sommes loin, sur ce point, des notations graveleuses d'un Mel Brooks, et du cinéma comique américain en général). Même dans Le Tombeur de ces dames (The Ladies' man - 1961), où le pôle majeur de l'intrigue est la séduction féminine, celle-ci n'est appréhendée que comme un objet d'effroi ; elle se manifeste à travers un glamour sacralisé et quelque peu figé, n'ayant rien de charnel – mais typique, en revanche, de l'imagerie gay.

 

Jerry in the closet

 

Si ce n'est de séduire, quelle est l'utilité de la potion ?

Tout simplement de changer son image, de faire naître une personnalité acceptable par ses concitoyens, ne laissant plus rien subsister de la nature profonde de Kelp. La finalité de l'expérience n'est pas d'ordre sentimental, mais social : il s'agit, pour le professeur, de perdre sa voix haut perchée, ses manières efféminées (voir l'extraordinaire scène du bal de l'université, où Kelp se laisse gagner par le rythme de la musique, et entame une sorte de danse immobile où s'exprime la folle cachée en lui), de devenir, non pas ce qu'il rêve d'être, mais ce que les autres souhaiteraient qu'il soit. Un symbole de ce besoin d'en faire accroire qui taraude le professeur, peut être vu dans sa montre-gousset, laquelle, une fois ouverte, laisse échapper les accords tonitruants de la « Marche des Marines » – il la laissera accidentellement choir dans un aquarium, noyant ainsi son effort d'affirmation de ce qu'il n'est pas.

Contrairement à ce qui se passe chez Stevenson, Jekyll/Kelp ne libère pas son "Ça" en devenant Hyde/Love, mais son Surmoi.

 

Ceci n'est pas un câlin

(Le professeur Kelp au gymnase)

 

La scène de transformation – moment de bravoure dans toute adaptation du roman de Stevenson – offre une vision grotesque du processus de virilisation. Avant de devenir un mâle accompli, Kelp passe par un stade quasi neanderthalien, devient une sorte d'homme des cavernes couvert de poils, comme si l'accès à la forme idéale de la masculinité impliquait une régression, un retour à la bestialité. Il est intéressant de noter qu'au stade ultime de sa transformation, le professeur se recroqueville sur le sol de son laboratoire dans une mare de produits chimiques aux couleurs de... l'arc-en-ciel.

Malheureusement pour Kelp, si Buddy Love s'avère être l'incarnation parfaite du tombeur hétéro, infatué de son charisme et plein de morgue, il n'en présente pas moins certains traits ambigus. Et si son pouvoir de séduction opère assez largement sur le sexe opposé (non sans certaines réserves que nous verrons plus loin), il ne manifeste aucune envie spontanée d'en user, et semble tirer tout autant de satisfaction – sinon davantage – du prestige qu'il exerce sur les hommes.

 

Over the rainbow

 

Grisé par sa propre apparence, Buddy Love goûte avec délection aux plaisirs narcissiques, s'attirant bientôt cette remarque de celle qu'il est censé courtiser : « Tu auras une longue histoire d'amour avec toi-même. »

Lors de son entrée, filmée en caméra subjective, dans la boîte de nuit "The Purple Pit" (aux couleurs moins pourpres que roses), sa vue arrache un hurlement à l'une des demoiselles qu'il croise. Le visage de Buddy nous est montré pour la première fois suite à ce cri d'effroi, plutôt que d'extase, qui semble faire office d'avertissement : derrière l'image du bellâtre se cache quelque chose de terrifiant, qui ne saurait échapper aux yeux de certaines femmes.

Love se dirige directement vers Stella, l'élève que le professeur Kelp s'est désignée comme compagne possible. Mais la jeune fille sage et un brin timorée de l'Université, apparaît sensiblement plus féminine et libérée dans le cadre de la boîte de nuit, ce que Love semble apprécier modérément (il refusera de l'embrasser parce qu'elle porte du rouge à lèvres). Il manifeste une attention plus décomplexée aux jeunes hommes présents dans la boîte, que ce soit pour s'affronter à eux (il rosse l'un des élèves de Kelp), ou pour les taquiner gentiment (« Je vous laisserai jouer avec mon porte-clef » dit-il à un groupe de garçons pour les inciter à lui céder leur banquette).

 

Les caïds du "Purple Pink"... euh, pardon : "Pit"... À croquer !..

 

Quand Love se manifestera au campus où enseigne Kelp, ce sera pour jouer une singulière autant qu'hilarante comédie de la séduction avec le doyen de l'établissement, poussant ce dernier à dévoiler sa face cachée : celle d'une vieille tante émoustillée par la présence de ce bel homme entre ses murs. Ces scènes de parade amoureuse entre un homme mûr, détenteur de l'autorité ou de la force, et un élément perturbateur plus jeune, sont fréquentes dans le cinéma lewisien. La séquence dans le bureau du doyen en offre une expression définitive : elle s'achève par le déculottage du noble vieillard, après que Buddy lui a tourné la tête en le féminisant verbalement (il ne s'adresse à lui qu'en termes féminins : « Ma grande » ou « Fais pas ta modeste »), et en le comparant à Cary Grant (grande figure de l'homosexualité hollywoodienne, s'il en fut).

 

Pas folle, la guêpe ?

(Del Moore en plein émoi)

 

Mais c'est surtout dans ses rapports avec Stella que se révèle la nature profonde de Buddy Love. Ce séducteur impénitent est incapable de dépasser le stade du flirt, n'embrasse la jeune fille qu'à la sauvette et avec une gêne marquée, et, lorsqu'il est sur le point de passer aux choses sérieuses, doit y renoncer pour cause de transformation inopinée en professeur Kelp ! Sentant sa personnalité initiale prendre le dessus, il s'enfuit à toutes jambes du lieu où doit se dérouler l'étreinte tant attendue – par Stella...

Quand celle-ci se plaindra à Kelp du comportement décidément étrange de Buddy, le professeur lui répondra que Love « cache sa vraie nature pour éviter qu'on lui fasse du mal. »

Quelle « vraie nature » ?... "Quel « mal » ?.. S'il faut trouver une explication à cette réplique sibylline, je ne la vois que dans une réaction de dissimulation protectrice contre les attaques homophobes.

Stella aura cette repartie amère et révélatrice : « Je me sens comme une mariée le soir de ses noces, dont le mari va dîner chez sa mère ! »

C'est précisément le souvenir de cette mère que Kelp invoquera lorsqu'il s'interrogera sur les véritables raisons de sa double personnalité, et sur les effets contrastés de sa potion. Et la vision que nous aurons d'elle sera conforme en tout point à l'image classique de la mère lewisienne : une épouvantable matrone régnant par la terreur sur son entourage, et particulièrement sur son chétif époux – mère forte, père craintif : on connaît la chanson...

 

Notre Mère qui êtes odieuse...

(Elvia Allman)

 

Selon la tradition, le film s'achève par la révélation de la véritable identité de Hyde/Love devant des tiers – ici, tout un parterre, puisque l'événement se déroule lors du bal annuel du campus, où Buddy Love est convié à chanter. Plus que jamais, cette scène classique des diverses adaptations de Jekyll et Hyde prend valeur de "coming-out".

Alors qu'il doit entamer une nouvelle chanson (« Qui plaît beaucoup aux copains du 'Purple Pit' », précise-t-il, avant de prier le doyen transi de lui pardonner d'avoir nommé ce lieu de débauche), notre crooner se retrouve inopinément affligé de la voix de fausset de Kelp, puis recouvre l'apparence disgracieuse du professeur.

Pour s'excuser d'avoir trompé son entourage, il déclare renoncer à se transformer désormais en Buddy Love : « Je ne veux pas être ce que je ne suis pas. Il faut s'accepter tel qu'on est. »

Une résolution d'autant plus facile à prendre que l'identité de Buddy trahit finalement plus nettement ce qu'EST le professeur...

En ce sens, les propos de Kelp, loin de constituer une apologie de la transparence et de la réconciliation avec soi-même, prennent un goût terriblement saumâtre. Ils n'annoncent pas une volonté de s'assumer en tant que gay, mais l'inverse. En demeurant Kelp, le professeur s'expose moins, tout compte fait, à exprimer/trahir sa nature authentique, qu'en continuant d'être le trop fantasque, voyant et tapageur Buddy Love.

Il peut même envisager de convoler avec Stella, qui se révèle être le type parfait de la « fille à pédés » – lorsque Kelp lui déclare : « Je ne serai jamais le mâle que vous voulez », elle lui assure que c'est aussi bien comme ça !

Le film s'achève sur un plan de Stella et Kelp s'éloignant de la caméra, bras dessus bras dessous. Dans les poches arrières du pantalon de la jeune fille, on remarque plusieurs flacons de la potion magique, qu'elle emporte à l'insu de son compagnon...

Au cas où la fade cuisine du couple hétéro aurait besoin d'être relevée par un filet de piment queer ?..

 

La danse de Saint Gay

 

Pour plus d’informations :

La fameuse danse de Saint Gay, justement !... Si vous déniez du génie à ce type, je me refais hétéro !... C'est ici, et sur VouzenTube... in Gorgeous Gay Colors !..

Son remix queer, par Biggie... Pas indispensable, vu que ça souligne l'évidence, mais sympa quand même...

par  BBJane Hudson

 

 



Fiche technique :

Avec Donald Sutherland, Chad Lowe, Mia Sara, Knut Husebo, Rutanya Alda, Eddie Jones, Minnie Gentry, Mark Burton, Adrian Sparks, Tiger Haynes et Blain Fairman. Réalisation : Ralph L. Thomas. Scénario : Alan Scott et Wesley Moore. Photographie : Kelvin Pike. Musique : Charles Gross.

Durée : 97 mn. Disponible en VO.

Résumé :

Amérique, 1927. John Reese (Donald Sutherland), guérisseur itinérant et adepte de la magie blanche, séjourne dans un village de Pennsylvanie. Il soigne les malades, guérit les troupeaux touchés par des épidémies, et à l'occasion "purifie" des lieux réputés maudits. Il fait la connaissance du jeune Billy Kelly (Chad Lowe), adolescent analphabète et solitaire, à qui il enseigne la lecture dans l'intention d'en faire son assistant. La fiancée de Billy, Alice Spangler (Mia Sara), considère d'un assez mauvais œil l'amitié toujours plus étroite et exclusive des deux hommes, d'autant que le comportement du "docteur" Reese ne laisse pas d'être inquiétant. Victime d'un mal inexplicable et sujet à de violentes convulsions, le guérisseur se croit victime d'un envoûtement pratiqué par un vieil ermite du voisinage, Lars Hoeglin (Knut Husebo). Après un séjour à Philadelphie, où il tente de se faire exorciser par une magicienne black (Minnie Gentry), Reese revient au village pour affronter Hoeglin avec l'aide de Billy.

L'avis de BBJANE :

(This post is affectionately dedicated to Miss Wendell.)

Ce film étant inconnu de tout un chacun, j'aurai beau jeu d'affirmer qu'il s'agit de l'une des meilleures allégories jamais filmées sur le thème du refoulement de l'homosexualité, et des ravages qu'il ne peut manquer de causer. En toute humilité (mais certainement pas en toute inconscience), le réalisateur R.L. Thomas se paye le luxe de faire le tour quasi complet d'une question épineuse : en quoi toute forme de Foi (croyance religieuse, superstition populaire ou catéchisme social) est-elle la meilleure entrave que l'homme puisse opposer à son épanouissement ? Dès son premier visionnement, à la faveur d'une sortie vidéo au début des années 90, Apprentice to Murder a trouvé sa place dans le « top 10 » de ma Cinémathèque Idéale, dont les étagères virtuelles sont moins encombrées de chefs-d'oeuvre avérés que de bandes modestes, intègres et soignées, attachantes jusque dans leurs imperfections. À la lisière du fantastique, le film de Ralph L. Thomas explore avant tout les angoisses, les incertitudes et les lâchetés d'âmes bien humaines, confrontées à ce qu'une société répressive et bigote les incite à prendre pour leurs gouffres – alors qu'il ne s'agit que d'aspirations légitimes à l'harmonie avec soi-même.

Les producteurs d'Apprentice to Murder se sont donnés un mal de chien pour vendre leur produit en tant que film d'horreur parfaitement calibré aux attentes des fanatiques du genre. Affiches, bande-annonce, jaquettes des éditions VHS puis DVD, tout concourait à racoler (avec quelques années de retard) la clientèle de L'Exorciste, Rosemary's baby ou Evil dead (et pourquoi pas celle de la fantasy, le visage du "sorcier" sur l'affiche allemande n'étant pas sans évoquer Gandalf.)

Résultat de cette mascarade : le film n'a jamais trouvé son public, que l'on situerait plutôt parmi les amateurs d'un fantastique en demi-teinte, à la fois suranné, poétique et élégiaque. Toutes proportions gardées, Apprentice to Murder évoque plus volontiers le climat nostalgique et la peur subtile de L'Autre de Robert MULLIGAN ou le "fantastique-réel" de L'Enfant miroir de Philip RIDLEY, que la grosse artillerie du demon-flick.

Rien, hormis les apparences, n'est à proprement parler surnaturel dans ce film. Chaque scène relevant du fantastique peut-être interprétée comme une hallucination émanant du cerveau de plus en plus troublé et instable de John Reese – on notera d'ailleurs que le guérisseur est toujours seul lorsque les forces occultes se déchaînent ; il est l'unique témoin de leurs manifestations.

Et d'où vient, me demanderez-vous, que le bon docteur Reese ait l'esprit si troublé ?

C'est – vous répondrai-je – qu'il est tout bonnement amoureux de son jeune disciple.

Ça recommence ! protesterez-vous. Décidément, vous voyez des pédés partout !

Ce à quoi je repartirai : Je n'en vois que là où ils se montrent, ou mettent trop d'insistance à se dissimuler.

Vous : Alors comme ça, Sutherland kiffe Chad Lowe ?... Développez, qu'on rigole un peu...

BBJane : John Reese est épris de Billy Kelly, parfaitement. Au départ, il ne s'agit, semble-t-il, que de l'élan de sympathie éprouvé par un homme vieillissant, pèlerin solitaire marginalisé par ses dons, pour un jeune garçon au profil similaire. Billy est mal à l'aise au sein de la communauté et de sa propre famille (père alcoolique, mère soumise) ; il dissimule ses dons artistiques, éprouve peu d'attrait pour l'existence rurale et laborieuse qui lui est promise. Reese se lie à lui et le prend sous son aile, en vertu d'une sorte de reconnaissance : il distingue, chez le jeune garçon, un tempérament semblable au sien.

Sentiments paternels ?... Pas si sûr...

Leur première rencontre a lieu lors de l'irruption d'un chien enragé dans une rue du village. Reese parvient à calmer la bête par des signes de croix et quelques paroles apaisantes. « Dieu nous a créés, toi et moi », lui dit-il. Les premiers mots de Reese et sa première action appellent à l'union, et à la négation de la notion de différence entre les créatures vivantes – message n'ayant aucun poids sur les villageois : l'un d'eux abattra froidement l'animal, pourtant apaisé.

Billy se rend ensuite chez le rebouteux pour lui demander un remède pouvant guérir son père de l'alcoolisme, et pour faire soigner une blessure que ce dernier lui a infligée.


"Avec cette baguette et le sang précieux du Christ, je chasse la douleur et fais le Bien"
(Chad LOWE et Donald SUTHERLAND)


En dédommagement, il offre à Reese un portrait de lui-même, dessiné de mémoire suite à leur première rencontre. Ce portrait, plein d'affection et d'une stupéfiante ressemblance, signale non seulement la fascination éprouvée par l'adolescent pour le guérisseur, mais annonce également l'ambivalence de leur relation future : au verso du dessin est en effet représenté le visage, également "croqué" par Billy, de Lars Hoeglin, le fermier à l'allure démoniaque qui lui inspire une crainte instinctive. En découvrant cette sinistre figure, Reese éprouve un premier malaise – l'association des deux visages sur une même feuille de papier est un symbole transparent de la dualité profonde de Reese, dont ce dernier n'a que trop conscience. D'un côté, le bon docteur affable et souriant ; de l'autre, un être démoniaque – en réalité, un malheureux ermite en qui Reese et Billy croient distinguer l'incarnation du Mal, et qu'ils n'auront de cesse de détruire.

 

Les deux visages du docteur Reese. Recto...

... verso.

 

Vous : Et alors ? Où est l'homosexualité, là-dedans ?...

BBJane : Comme tout hétéro qui se respecte, vous me tendez une perche que je m'empresse de saisir... L'homosexualité, c'est d'abord le portrait amoureusement dessiné puis offert par le jeune garçon à son mentor. Ce sont ensuite les visites nocturnes de Billy à Reese, et les longues heures d'apprentissage de la lecture par l'adolescent, sur un petit ouvrage cher au coeur du guérisseur et intitulé The Long lost friend (L'ami depuis longtemps perdu). C'est aussi, pour ces deux êtres pétris de croyance religieuse et effrayés par les sentiments qu'ils découvrent en eux, le rejet de ce qu'ils croient être leur faute sur une tierce personne : Lars Hoeglin, qu'ils suspectent d'incarner le Démon, quand il n'est que l'incarnation de leur refoulé... Et puis, il y a la fiancée de Billy...

 

Roméo et Roméo

 

Vous : Alors comme ça, Billy a une petite amie ?... C'est la preuve qu'il n'est pas pédé !...

BBJane : C'est surtout la mission fréquemment dévolue aux petites amies : démontrer que le héros est hétéro. Notez que celle de Billy, Alice Spangler, lui apparaît pour la première fois dans un accoutrement masculin (salopette, fichu masquant la chevelure). Mais passons...

 

Mia SARA, plus mignon que jamais.

 

Le comportement du jeune garçon envers la demoiselle s'avère encore plus éloquent. Elle est la fille de la logeuse de Reese, et c'est sous les fenêtres du guérisseur – non sous celles d'Alice – que Billy opère ses factions nocturnes (elle ne manque pas de le lui reprocher...) Il met, du reste, un temps assez long avant de céder à ses avances (un hétéro aux inclinations assurées ne lanternerait pas tant que ça, croyez-moi – d'autant que Mia SARA est plutôt craquante... habillée en mec.) Lorsqu'Alice lui propose de s'enfuir avec elle à Philadelphie, Billy ne cesse de barguigner (synonyme de "lanterner", employé plus haut... j'ai les répétitions en horreur...) ; il n'y consent d'ailleurs qu'accompagné de Reese, au grand désespoir de sa belle.

 

Regard désapprobateur de la Belle sur les Bêtes.
(Notez qu'elle tient le parapluie comme d'autres la chandelle.)

 

L'attitude de Reese est encore plus significative à cet égard. Elle ruine totalement l'allégation de « sentiments paternels » évoqués tout à l'heure. Connaissez-vous beaucoup de pères manifestant un attachement aussi exclusif à leur fils ? La plupart seraient enchantés qu'il se dégotte une belle et bonne épouse – qu'ils ne rechigneraient pas à lutiner un brin. Tel n'est certainement pas le cas de Reese. Non seulement il n'éprouve aucun attrait pour Alice, mais il lui manifeste une hostilité résolue, bien que silencieuse. Si l'on considère Reese comme un père de substitution, force est de constater qu'il adopte un comportement peu commun, et se conduit en vraie mère-poule, jalouse et castratrice.

Vous : Vous voulez à tout prix que Reese soit amoureux de Billy !... Qu'est-ce qui le prouve ?...

BBJane : Une foule d'indices, qu'à moins d'être un crétin fini le réalisateur n'a pu glisser innocemment.

À commencer par ces phrases du guérisseur à son disciple : « J'ai rêvé de toi, Billy... Les hommes vieux auront des rêves, dit le Livre Sacré... Je peux t'apprendre plus que l'écriture... »

Reese demande au jeune garçon de lui dessiner des hexagrammes. Lorsqu'il examine l'un de ceux-ci, la toile sur laquelle est peint le motif se soulève "magiquement", de manière carrément évocatrice d'une érection.

 

Qu'est-ce qui se cache sous l'hexagramme ?

 

Enfin – et plus important que le reste –, lorsque Billy énonce, sans grande conviction, son intention d'aller vivre à Philadelphie, Reese se trouve en proie à de subites convulsions (qu'il attribuera au "démon" Hoeglin), signes d'une "possession" manifeste, et argument fort pratique pour convaincre le jeune garçon de l'emmener avec lui, sous le prétexte qu'il pourra recourir, dans la grande ville, aux services d'une exorciste réputée. La possession de Reese est révélatrice de deux choses : d'une part, sa détermination à suivre Billy où qu'il aille ; d'autre part, la nécessité de rejeter ce qu'il croit être sa faute sur un bouc émissaire (Lars Hoeglin).

 

"Deviendrais-je folle, gentil miroir ?"

 

Lorsqu'il prend conscience de la vraie nature de ses sentiments pour Billy, Reese commence à perdre ses pouvoirs de guérisseur, et s'attire la haine des villageois. Plus que jamais, il devient un paria – aux yeux de la communauté comme aux siens propres. En conflit avec sa Foi, il réagit en l'affirmant avec plus d'ardeur. C'est le processus habituel de la formation de tout fanatisme : on ne s'accroche aussi vigoureusement à ses croyances que lorsque l'on commence à en percevoir l'inanité. Tout est dit dans la formule que Reese lance aux mécréants : « Dieu ? Impuissant ? Quelle arrogance ! » L'impuissance, pour le guérisseur, résulte du trouble causé par la tentation homosexuelle, qu'il identifie non seulement à la perte de ses dons, mais aussi à celle de sa virilité.

Vous : Du délire !... Vraiment n'importe quoi !...

BBJane : Voyez le film... Son finale est éloquent... Je ne veux pas jouer les "spoileuses", mais je dois signaler que le combat de Reese et Billy contre le "démon" – et ce sur quoi il aboutit – est on ne peut plus limpide. Tout n'est que mascarade, faux semblants, auto-aveuglement.

Cette dernière scène peut d'ailleurs être envisagée comme métaphorique du film lui-même, des conditions de son exploitation, et de sa postérité. Pour avoir trop joué la carte du "fantastique" afin de dissimuler son propos, pour l'avoir encombré d'une bimbeloterie d'épouvante, il s'est condamné au Purgatoire cinéphilique... À vous de l'en tirer !...

Vous : Faudrait d'abord pouvoir le voir !...

BBJane : Il est parfois diffusé sur le câble, et peut être commandé ici.

 

Ma plus belle histoire d'amour, c'est vous.

 

Pour plus d’informations :

Je ne vois guère que la fiche imdb et ses commentaires, dont l'un semble plus avisé que les autres... Si je maniais la langue anglaise avec suffisamment d'aisance, je pourrais presque l'avoir écrit...

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