Le commentaire de Salim Kechiouche :
Saïd (Salim Kechiouche) - (c) Pierre & Gilles, tous droits réservés.
Ambiance plus dure que pour À toute vitesse. Ozon est distant, manipulateur, en retrait et en même temps très professionnel. C'est surtout la rencontre avec Yasmine et Jérémie qui sont encore mes amis très
proches, comme des frères. Le cinéma t'offre des rencontres comme celles-là que tu n'aurais peut-être jamais faites dans la vie. Rencontrer un mec d'Aubervilliers et un autre de Bruxelles,
je ne pense pas que je les aurais rencontrés ailleurs. Le travail avec Ozon est intéressant, très technique, ça permet de voir une autre façon de travailler.
Ça me faisait un peu chier d'être tout le temps mort. Un mec me dit « tu es dans la cave, on
t'enterre la jambe », c'était pour de vrai, dans la terre, j'avais l'impression qu'il y avait des fourmis, des asticots, des bêtes qui commençaient à me ronger la peau. C'était
inconfortable, sans bouger, entouré par une couverture affreuse, et la cerise sur le gâteau c'est quand on m'a dit qu'on allait me poser cinq rats dessus, des gros rats, « mais
t'inquiète pas, les rats sont apprivoisés ». On a fait vingt fois la prise. Je me rappelle des moustaches des rats qui venaient frôler mon visage, je sentais leur petite mâchoire qui
commençait à s'approcher de ma joue, là c'était incroyable.
© Pascal Faure pour salimkechiouche.com
Alice manipule son petit ami, Luc, pour qu’il assassine un de leurs camarades de lycée. Le couple tue Saïd, puis dissimule son corps dans
la forêt. Leur sinistre besogne est épiée par un homme des bois qui bientôt enlève et séquestre le couple…
L’avis de Bernard Alapetite :
Les Amants criminels, c’est un peu un bonzaï de Tueurs nés
dont le jardinier velléitaire serait Michel Tournier.
Dès les deux premières scènes du film, on comprend qu’il ne peut être réussi. Dans la première, une jeune fille, Alice (Natacha Régnier découverte par Zonca dans La Vie rêvée des
anges), dans la chambre de son petit ami, Luc (Jérémie Renier découvert lui par les frères Dardenne dans La Promesse), se livre à un faux strip-tease. Le garçon est
assis sur son lit les yeux bandés. Debout, face à lui, Alice ment. Elle dit qu’elle se déshabille, qu’elle a les seins nus, qu’elle les mouille de sa salive alors qu’elle reste vêtue. Luc la
croit sans la voir. Elle l’excite verbalement pour le faire bander. Hélas, quand la fille baisse le slip du garçon, l’objet du désir, aperçu furtivement, est très sage. Le but du film sera de
faire bander Luc !.. La scène suivante nous montre deux jeunes beurs (Salim Kechiouche et Yasmine Belmadi, le héros des Corps ouverts et de Wild side de
Lifchitz) à moitié nus dans une chambre où ils évoquent leurs désirs pour les filles. L’un caresse son copain sous le prétexte de lui montrer comment il a caressé Alice. Dans ces deux scènes,
autant les corps des garçons sont érotisés autant celui de Natacha Régnier est filmé avec une froideur et un désintérêt patent. Cette inégalité dans le traitement rend le film bancal et nous
empêche de nous intéresser aux événements improbables qui vont suivre.
Alice pousse Luc à tuer l’un des deux beurs, Saïd (Salim Kechiouche à la vidéofilmographie gay déjà riche : Le Clan, Grande école, Vie et mort de Pier Paolo Pasolini, superbe
tant par son jeu que par son corps), en lui faisant croire que Saïd l’a violée. Ozon traite le personnage de Saïd comme un fantasme de sexualité bestiale ou un fantasme raciste ? On désire
son corps mais on hait ce désir, c’est pourquoi il faut le tuer, tant dans l’esprit d’Alice que bientôt dans celui de Luc. Le crime est filmé comme un acte sexuel, un grand morceau de cinéma,
hommage brillant au fameux crime sous la douche de Psychose. Le couple décide d’aller enterrer leur victime dans une forêt. Au passage ils commettent un hold-up minable. Là, le film
devient carrément mauvais à la limite du ridicule, mais peut-être est-ce du second degré, avec Ozon le doute est toujours permis et ce n’est pas là un mince mérite. Ayant enfin trouvé leur
forêt, ils enterrent le cadavre, scène aussi pénible que celle analogue dans Sang pour sang des frères Cohen auquel on ne peut s’empêcher de penser.
Ils se sentent épiés. Pris de panique, ils s’enfoncent dans les bois où ils se perdent, poursuivis par une mystérieuse présence invisible, séquence impressionnante et très réussie. Ils
découvrent une cabane dans une clairière. Ils s’y introduisent, mais bientôt l’ogre (Miki Manojlovic, l’acteur fétiche de Kusturica, ici beaucoup plus sobre que chez le Yougoslave parce que
mieux dirigé !) revient et les séquestre. À ce moment commence un autre film, celui qui intéresse vraiment le réalisateur et qui nous réveille tant il était difficile de se passionner pour
ces deux adolescents, ces deux blocs de bêtise, tentés par l’expérience du mal.
Ce qui motive le cinéaste, c’est la mise en image de la relation sexuelle entre un adolescent et un homme de cinquante ans (ce qu’il fera avec talent et une totale originalité dans son film
suivant : Gouttes d’eau sur pierre brûlante). Le réalisateur quitte alors le naturalisme de la première partie qui était inspirée par un fait divers réel filmé avec la même
sécheresse que son excellent Regarde la mer, pour une esthétique à la fois trash et kitch. Nous entrons alors dans le monde des contes (il y avait déjà de la fable dans
Sitcom). Malheureusement Ozon est atteint du syndrome Tournier, comme lui il dissimule son homosexualité sous les oripeaux des mythes. Pourtant, toutes les scènes entre Luc et le
monstre sont parfaites et font naître enfin l’émotion dans le film. Leurs relations sexuelles, tant celle où l’ogre masturbe Luc, que celle où il le sodomise sont filmées avec une grande
maîtrise. Scènes à la fois érotiques et pudiques où pour la première fois dans le film, il existe le hors-champ indispensable à l’érotisme.
Ozon déclare préférer à un cinéaste comme Kubrick qui tourna un film tous les dix ans, un cinéaste comme Fassbinder qui réalisa parfois trois films en une année, souvent pas complètement
réussis mais qui contiennent au moins une séquence superbe qui les justifie absolument... Les scènes entre Luc et l’ogre sont de celles-là.
Les vrais amants criminels ne sont pas Luc et Alice, mais Luc et l’ogre. Luc jouit quand il est branlé puis sodomisé par l’homme des bois, pour reprendre l’intitulé du générique. Luc et Alice
ne seront jamais réellement amants. Avant d’avoir fait l’amour avec l’ogre, Luc ne bande pas et à la fin de leur histoire, après s’être enfuis de chez l’ogre, lorsqu’ils font l’amour, nus
dans la nature, ce qui nous vaut un clin d’œil assez ridicule à La Nuit du chasseur, Alice ne jouit pas et Luc n’en a pas le temps, interrompu par les policiers.
La grande faiblesse du scénario réside dans le personnage d’Alice. Alice n’a pas d’épaisseur, elle est juste nécessaire pour amorcer la fiction, à partir du moment où Luc rencontre l’ogre, le
scénario se débarrasse d’Alice en l’enfermant dans la cave de l’ogre... passée littéralement à la trappe pour mieux laisser les deux mâles face à face. Dès que les deux jeunes gens, après
avoir échappé à l’ogre, se retrouvent, la tension du film baisse d’une manière vertigineuse et ce n’est ni la scène de copulation dans laquelle Ozon ne montre que le garçon (merci pour les
beaux plans sur les fesses de Luc) ni surtout le final très convenu qui enlèveront in extremis l’adhésion du spectateur.
Ozon serait bien inspiré de remplacer l’audace à tout prix par plus de sincérité envers ses désirs quotidiens. Messieurs Tournier et Téchiné ne sont pas de bons exemples. Paradoxalement, il
est beaucoup plus franc dans le commentaire de son film : « ... Dans Les Amants criminels, j’aurais aimé peut-être jouer l’ogre, dans l’espèce de passivité de Luc, je
ne me retrouve pas vraiment. Dans mes films, il y a souvent des héros masculins assez faibles, sans identité et justement ils la construisent au cours du récit, tout à la recherche
d’eux-mêmes et de leur sexualité. Je suis en train de me dire qu’à 16 ans je ressemblais plus à Luc. Maintenant je me sens plus ogre… Je pense que les homos seront plus aptes à comprendre ces
aspects du film, son sadomasochisme... Je m’en fous de l’étiquette du cinéma pédé, même si ça me fatigue. Ce qui m’énerve, c’est d’entendre des gens me dire : ”Ras le bol de ces
sujets-là !” alors que personne ne reproche à Claude Sautet de faire des films hétéros. »
Ozon gagnerait aussi à un peu moins appuyer ses allusions qui ne deviennent plus allusives du tout. Appeler son héroïne Alice et lui faire rencontrer un lapin n’ouvre pas automatiquement la
porte du monde de Lewis Caroll. On ne doute pas, qu’il en soit rassuré, que le jeune homme connaisse littérature et cinéma. Était-il nécessaire de convoquer les déjà cités : Hitchcock,
Laughton, Lewis Caroll, Tournier sans oublier Perrault, Grimm, Freud, Bettelheim, Camus, Nicholas Ray, Bunuel... Il n’est pas non plus obligatoire de déconstruire le récit pour faire
moderne.
Il y a aussi quelques bizarreries dans l’élaboration de ce film qui devait être tourné avant Sitcom mais le projet n’avait pas alors obtenu l’avance sur recette qu’il obtiendra un an
plus tard. Le cinéaste s’était rabattu sur Sitcom d’un coût plus modeste. Pourquoi avoir teint en auburn foncé le blond Jérémie Renier, ce qui le dessert plutôt ? Est-ce que
dans l’esprit du cinéaste la chevelure rousse évoque-t-elle plus le monde des contes ? Mais alors pourquoi n’en avoir pas fait un nouveau poil de carotte ? Autre curiosité, alors que le film
a inspiré à Pierre et Gilles une magnifique image qui traduit parfaitement le climat fantastique de la deuxième partie du film qui est de loin la meilleure, cette œuvre n’a pas été utilisée
ni pour l’affiche, où elle aurait fait merveille, ni pour la promotion du film.
Photographie (c) Pierre et Gilles.
Ozon a réussi un film aux trois quarts ratés qu’il faut voir absolument.
Il est conseillé au possesseur du DVD paru chez Film Office de voir la version remontée par le réalisateur qui améliore nettement le film.
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