Fiche technique :
Avec Wayne Virgo (Cal), Tom Bott (Jonno), Alice Payne (Nessa), Marc Laurent (Olivier), Garry
Summers (Scott), Bernie Hodges (Will), Christian Martin (David), Louise Fearnside (Dayna), Oliver Park. Réalisateur : Simon Pearce. Scénario : Simon Pearce, Darren Flaxtone & Christian Martin. Image : Simon Pearce.
Musique : Barnaby Taylor. Montage : Darren Flaxtone.
Durée : 89 mn. Disponible en VOSTfr.
Résumé :
Bristol, 2009, sa drogue, ses gangs et ses ados mignons et à l’ouest (pas seulement géographiquement) bien
connus des fervents de la série anglaise Skins. Cal (Wayne Virgo), 18 ans, mignon genre lascar mélangé, est membre d’un gang qui à l’occasion
casse du pédé. Mais Cal a un gros secret, non seulement il se mitonne des plans cul avec des amants de passage via le net, mais surtout il est secrètement amoureux du joli dur du gang, Jonno (Tom
Bott que l’on pourrait croire sorti d’un film de Bruno Dumont). Ce dernier est totalement sous la coupe de Nessa, une virago qui hait les “sissies”. Un jour, alors que la petite bande tuait le temps en taguant une palissade (tout du long du film les amateurs de street art sont gâtés) passe
une jeune et gracile follasse revenant de son shopping. Le gang se rue sur cette offense à la virilité. Jonno roue de coups le mignon.
Mais bientôt Cal s’interpose pour protéger le garçon à la stupeur de ses potes. Le voilà désormais tricard
pour le gang, poursuivi par la haine de Nessa... Le dit mignon s’appelle Olivier, jeune français, il est venu à Bristol parfaire sa connaissance de la civilisation britannique. On a vite compris
que Cal ne va pas rester longtemps insensible au charme d’Olivier. Pour corser l’affaire, Olivier a un prof gay, Scott (Garry Summers), qui n’est peut-être pas non plus sans vouloir du bien au
jeune français. Ce prof a été tabassé par Cal à la fin d’un plan cul qui a mal tourné...
L’avis de Bernard
Alapetite :
Shank est d’abord le portrait d’un adolescent, Cal, et montre à quel point il est difficile pour un jeune de se réconcilier
avec sa sexualité, quand tout autour de lui l’oblige à croire que ses sentiments naturels ne sont pas naturels.
L'histoire d'amour atypique qui se tisse entre Cal et Olivier est tendre et étonnamment douce, au milieu des
dangers et de la violence qui entourent les deux garçons...
Souvenez-vous, Bristol est aussi la ville où se déroule la série Skins. En y allant, je ne m’étais pas aperçu que cette jolie ville, dont le décor est bien utilisé par le réalisateur, était la patrie d’aussi jolis garçons
se livrant à autant de turpitudes... Je ne serais pas surpris que Simon Pearce soit un grand fan de la série Skins mais aussi des films de Gregg Araki. Il est certain également que
Pearce a eu l’ambition, pas complètement réussie, en raison des lourdeurs de son scénario, de faire le Beautiful Thing des années 2000.
Mais il n’en est pas si loin. Shank ouvre la voie à un nouveau cinéma gay hyper réaliste et
contemporain, qui n’hésite pas à passer du romantisme à une violence à fleur de peau. Le film prend une résonance tout à fait différente quant à sa crédibilité lorsqu’on apprend que la majorité
du récit a été nourri par des événements réels qui ont eu lieu au Royaume Uni.
Pearce, tout en renouvelant le cinéma gay, réussit à se mettre dans la droite ligne de toute une tradition,
excellente, du cinéma britannique. Comme dans Beautiful Thing, il explore des milieux qui sont rarement visités par le cinéma gay mais dont le cinéma anglais avec Mike Leigh et Stephen
Frears avec son My Beautiful Laundrette s’est fait depuis longtemps le meilleur anthropologue.
Sociologiquement, le film est très novateur. D’abord il dépeint un milieu très peu visité dans le cinéma
gay, et même dans le cinéma « main street », les gangs, mais surtout il illustre très justement l’intrusion et la conséquence de média récents, comme le net et le téléphone portable
dans le quotidien.
Moralement, il me parait dans sa fin, qui malgré sa virtuosité n’est pas complètement convaincante, la
dernière demi heure est plus faible, très discutable. Shank suggère quelque chose qui m’a un peu déconcerté car le film nous fait croire que même les pires d'entre nous méritent une
deuxième chance...
La construction du scénario de Shank est complexe avec sa mise en abîme des écrans des téléphones
portables, des ordinateurs dans le grand écran. Elle joue également sur le temps, le dilatant parfois ou du moins utilisant le temps réel, qui n’est presque jamais le temps du cinéma, par exemple
dans la scène de sexe entre Cal et Olivier. À ce propos le cinéaste réussit, au milieu des chauds ébats amoureux entre Cal et Olivier, à placer très discrètement et habilement la mise du
préservatif (ce qui est aussi louable que rare ; ce que pour ma part je n’avais pas réussi à faire dans mon film Comme un frère, ce qui me fut reproché.). A contrario, le scénario
contient également de nombreuses ellipses.
Dans plusieurs courtes séquences, Pearce utilise une figure de style habile (elle me semble assez nouvelle,
ne me venant pas à l’esprit un autre exemple dans le cinéma, sinon un peu dans Parle avec elle d’Almodovar, mais est proche de l’aparté du théâtre), Scott s’adresse à un personnage muet
que l’on ne voit pas. Le cinéaste se sert du champ mais occulte le contre champ qu’il ne montre jamais. Nous découvrirons ce dernier qu’à la toute fin du film, ce qui construira énormément le
personnage de Scott.
C’est justement dans la construction des personnages que le scénario est léger, ce qui est partiellement
masqué par l’excellence et l’engagement des comédiens. Mais par exemple nous ne savons pas ce qui a amené Olivier en Angleterre, ni quel est l’origine des membres du gang qui semblent être nés de
lui. On peut s’étonner aussi de l’aisance financière d’Olivier et encore plus de celle de Cal. Mis à part Scott, les autres personnages ne sont pas situés socialement.
La musique, du compositeur britannique Barnaby Taylor, qui emprunte aussi bien au hip-hop qu’au rap est
conforme sociologiquement au groupe que l’on voit se mouvoir sur l’écran. Mais plus original, elle utilise aussi des solos de piano et de guitare qui sont autant de ponctuations à des moments
clés et les soulignent magnifiquement. Ils aident à amener l’histoire du personnage principal à son plus haut niveau émotionnel.
Ce qu’il y a de bien dans le cinéma anglais c’est que les acteurs sont toujours parfaits, et cela dès leur
premier film. Shank ne déroge pas à la règle, même le jeune français, qui en fait est belge, se tire très bien de son personnage un tantinet caricatural ; il doit y avoir un phénomène
d’osmose ! En outre, dans Shank, les trois principaux protagonistes sont, chacun dans leur genre, très appétissants...
Qui sont-il ? Tom Bott (Jonno) est né dans le Surrey et vit à Londres. Il est apparu dans plusieurs
productions de théâtre et de télévision au cours de sa carrière d'acteur. Shank est son premier rôle dans un long métrage.
Wayne Virgo est un récent diplômé de l'Académie Western South of Dramatic Arts (SWADA). C'est un natif de la
banlieue de Bristol. Il a joué à domicile, comme Alice Payne (Nessa). Shank est son premier rôle professionnel. Depuis Shank, Wayne Vigo a tourné un autre film, cette fois par
les scénaristes de Shank, Christian Marin et Darren Flaxtone, dans lequel l’on retrouve Simon Pearce faisant l’acteur. On peut ajouter que Darren Flaxtone est le monteur des deux films
et que Pearce ne laisse à personne d’autre le soin de signer l’image de son film. L’étonnante polyvalence de ce groupe n’est sans doute pas pour rien dans la qualité de Shank.
On peut noter aussi que Marc Laurent, qui est né en Belgique et qui a étudié le théâtre avant de venir au
Royaume Uni pour apprendre l'anglais et étudier l'art dramatique à la South West Academy of Dramatic Arts (SWADA), vient donc de la même école que Wayne Virgo. Shank est sa première
expérience dans un long métrage.
Pour insister sur l’homogénéité dans la différence de l’équipe du film, Bernie Hodges, qui joue le rôle de
Will, est professeur dans cette même SWADA et a aidé Pearce dans sa direction des acteurs.
Le filmage fait preuve d’une étonnante maturité quand on connaît l’âge du réalisateur. Beaux plans, caméra
bien posée qui parfois fait place à une judicieuse utilisation de la caméra portée. Le montage très nerveux dynamise le film.
La grande scène de sexe du film entre Cal et Olivier est certainement ce que l’on peut voir de mieux dans le
domaine dans le cinéma gay non pornographique. Je me suis amusé à faire une sorte de roman photo de la scène qui en dit, je crois beaucoup plus qu'un long discours.
C’est paradoxalement son excellence qui m’amène à plusieurs réflexions et qui met en exergue la difficulté
de filmer une scène de sexe vraiment réaliste. Le fait de simuler l’acte de pénétration (sinon on tombe dans le pornographique selon les critères de l’exploitation des films) oblige à des
positions des partenaires souvent à la limite du crédible, même si, cela semble être le cas ici, les acteurs ne font preuve d’aucune inhibition. Pour des problèmes de censure, il est quasiment
impossible de montrer un sexe en érection (les exemples dans le cinéma non pornographique sont extrêmement rares ; les seuls exemples qui me viennent à l’esprit sont une vision fugitive dans
Le Temps qui reste de François Ozon et beaucoup plus évidente dans Le Pornographe de Bertrand Bonello. Il doit en avoir d’autres mais je laisse le soin de nous les indiquer aux
sagaces lecteurs qui j’espère ne manqueront pas de le faire). Avec de telles contraintes, le cinéaste se pose toujours la question de la nécessité de montrer des scènes de sexe à l’écran. Il
devrait se poser la question suivante : « Ne vaudrait-il pas mieux les remplacer par des scènes de tendresse ? » Ce que fait aussi très bien Pearce qui réussit à mêler le hard avec
le romantisme. Ce qui est rarissime au cinéma et particulièrement dans le cinéma gay dans lequel les gestes de tendresse semblent bannis.
Le film n’a pas été sans déranger dans son pays alors qu’il a été sélectionné dans une trentaine de
festivals gay et lesbien de par le monde ; la BFI, organisateur d’un des plus grands festivals gays, celui de Londres, a refusé de le sélectionner, ce qui a provoqué un tollé.
Pour son premier film, Simon Pearce (mais on peut penser que plus que jamais, même si c’est toujours plus ou
moins le cas au cinéma, ce film est autant celui d’une équipe que d’un seul homme), qui lorsqu’il a tourné Shank n’était âgé que de 21 ans, soit à peu près l’âge de ses héros, a frappé
très fort même s’il n’a pas évité tous les écueils du premier film comme de surcharger son scénario et le doter d’une fin peu crédible mais réconfortante. Il réussit néanmoins à renouveler le
film gay, se défiant de l’obligé coming-out et autres conventions du genre, en ancrant son intrigue dans l’univers des gangs. Le sexe y est explicite, la violence est déchirante, et la qualité
d’interprétation des jeunes acteurs est tout à fait impressionnante.
Le DVD :
Shank est édité en France par Optimale qui, comme à son habitude, en fait le minimum question bonus. Il y a bien un macking of
très bien fait où l’on découvre que le réalisateur est un gamin, qui en outre a les plus belles oreilles du Royaume Uni, réussit à être très informatif tout en étant léger grâce notamment à un
remarquable montage. Le seul problème, c’est qu’Optimale n’a pas jugé bon de le sous-titrer ! Et comme toujours chez cet éditeur, on est obligé de passer par les bandes annonces d’autres films du
catalogue pour parvenir au menu principal à l’habillage indigent. La qualité de l’image est correcte.
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