Accueil

Ensembles-copie-1.jpg
pedeblog_kek_logo2.png
Blog LGBT du rédac' chef :
Daniel Conrad

twitter_logo_header.png

Daniel Hall


secondé par :

Gérard Coudougnan


L'équipe des "piliers" en exclusivité
ou en reprise autorisée :

Jean Yves
, Bernard Alapetite, Zanzi, Neil, Kim,
Matoo, Mérovingien02, Juju, Chori,
Shangols, Boris Bastide, Stéphane Riethauser,
 
Niklas,
Robert Wagner,
 Jag1366, Hari3669, Maykel Stone,
Marc-Jean Filaire,
Isabelle B. Price, Psykokwak,
Rémi Lange
, Henry Victoire, Didier Roth-Bettoni
et
BBJane Hudson...

Mais aussi, depuis, Cyril Legann,
Gérard Coudougnan (Livres), Voisin Blogueur,
Nicolas Maille, Sullivan Le Postec, Vincy Thomas,
Jann Halexander, Tom Peeping
, Lucian Durden,
Papy Potter, Nico Bally, Marie Fritsch,
Sir Francisco, Laurent Fialaix
et Hugo Rozenberg.

Special Guest Star : Philippe Arino.

Un grand merci à Francis Moury,
Olivier Nicklaus et à
Yann Gonzalez.
Et en special guest star gay-friendly... Dr Orlof !


et bien d'autres depuis le début et d'autres à venir...

Ce blog est partenaire de

Dreampress.com

Avec l'aide graphique de

Calendrier

Mars 2024
L M M J V S D
        1 2 3
4 5 6 7 8 9 10
11 12 13 14 15 16 17
18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30 31
             
<< < > >>

Recherche

W3C

  • Flux RSS des articles

POUR SURFER SUR CE BLOG...

Les Toiles Roses  est un blog collaboratif, indépendant et bénévole optimisé pour Mozilla Firefox (cliquer ici pour le télécharger)

TOUTES LES CRITIQUES DE FILMS : ICI
LES CRITIQUES DE LIVRES (Gérard Coudougnan) : ICI
Nos chroniques vedettes : Zanzi and the City (Zanzi), Et les filles alors ? (Isabelle B. Price),
Derrière les masques : Homollywood (Marc-Jean Filaire),
Merci Bernard (Bernard Alapetite),
Le Bazar de l'Homo Vincy (Vincy Thomas),
L'Histoire de l'homosexualité,
Dans l'ombre de Jann Halexander (Jann Halexander), Spécial Abdellah Taïa (Daniel C. Hall),
La Crypte aux gays (BBJane Hudson), Certains l'aiment camp (Tom Peeping),
 
Le Chaudron rose (Papy Potter), Petits Contes Dark-en-ciel (Nico Bally),
Marie de traverse (Marie Fritsch), Spécial Salim Kechiouche, Si j'étais homo ou hétéro...,
Spécial Stonewall, 40 ans, La gâterie du chef (Daniel Conrad Hall), La Garac'Ademy (Jean-Louis Garac)
A tort ou à travers (Laurent Fialaix), Rencontres de tous les types (Hugo Rozenberg),
 
Le Phil de l'araignée (Special Guest Star : Philippe Ariño),
Dossier et chronique-soutien
à l'association "Le Refuge" (Daniel C. Hall).

Venez rejoindre la rédaction, les lectrices et lecteurs sur le groupe Facebook :
http://www.facebook.com/group.php?gid=61890249500#/group.php?gid=61890249500

LE CHAUDRON ROSE

chaudronpotter

 

06.

ASUSHUNAMIR,

OU COMMENT LES GAYS VINRENT AU MONDE...

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.



Le mythe de Perséphone de la mythologie grecque est bien connu. Mais il ressemble à s’y méprendre à une histoire bien plus ancienne issue de la splendide Babylone.

 

L’être de lumière

Inanna, en ces temps reculés, était la Reine des Cieux. Enki le sage lui avait donné toute licence nécessaire pour régner sur les royaumes de l’amour, de la justice, de la féminité, de la fertilité. Elle était entourée de prêtresses et de femmes sacrées et du fruit de ses vignes coulaient les meilleurs vins. Mais Inanna avait une sœur, la Reine du Royaume des Ombres : Ereshkigal.

Un jour, Inanna s’en alla rendre visite à sa sœur, dans ce monde d’où personne ne revient. Ereshkigal la fit capturer et enfermer dans les grottes souterraines du monde des ténèbres. Inanna y tomba malade et sombra dans un profond sommeil. Aussitôt, les arbres sur la terre se mirent à dépérir, les fleurs à se faner et le monde terrestre plongea dans les rigueurs froides de l’hiver.

Enki créa alors une créature fabuleuse, un être lumineux qu’il façonna dans la poussière incrustée dans ses ongles (certains textes parlent cependant de plusieurs êtres). Cet ange de lumière, il le nomma Asushunamir, le brillant, l’étincelant, le resplendissant. Asushunamir, cependant, n’était ni homme, ni femme. Il possédait le privilège d’appartenir aux deux genres à la fois.

Le superbe être de lumière descendit à son tour dans le royaume des ombres. La Reine Ereshkigal tomba aussitôt sous son charme, tant il est vrai qu’il était la plus belle créature jamais créée sur cette terre. Elle lui offrit du vin et des mets succulents. À la vérité, elle rêvait de régner avec lui sur le royaume des morts et de le coucher dans ses draps. Mais Asushunamir prit soin de ne pas toucher une seule miette des plats qu’elle proposait et n’avala bien sûr aucune goutte de vin. Ce qu’il voulait, disait-il, c’était goûter à la source de vie. Une eau si miraculeuse qu’on disait qu’elle pouvait ressusciter les morts et donner la vie éternelle. Ereshkigal était si désireuse de combler tous ces vœux qu’elle ordonna aussitôt qu’on apportât une cruche de cette eau merveilleuse.

Plus tard, alors qu’elle s’était endormie. Asushunamir s’empara de la cruche et chercha la cellule où gisait Inanna. Il la trouva. La déesse reposait, froide et blanche sur la roche de la grotte. Il l’aspergea alors de l’eau miraculeuse et aussitôt Inanna revint à la vie.

Ausushunamir l’aida ensuite à se relever. Ensemble, ils remontèrent les 7 escaliers terrifiants qui relient les enfers au monde vivant. Quand Inanna déboucha à la lumière du jour, les arbres se redressèrent, les rivières se remirent à couler, les fleurs à bourgeonner, et les animaux à frayer. Avec elle, le printemps balayait à nouveau le pays de ses forces vivifiantes. Inanna était sauvée. Le monde entier revenait à la vie.

Quand Ereshkigal se réveilla, elle entra dans une colère terrible. Asushunamir n’était pas encore arrivé, lui, à la lumière du jour. Il avait encore un talon sur les marches de l’enfer quand il fut frappé par un sort lancé par la terrible sorcière :

— Tu ne mangeras que la fange des égouts, tu ne boiras que l’eau des caniveaux. Tes proches te haïront et te mépriseront. Les gens n’auront de cesse de vouloir te détruire. Je te condamne à te cacher éternellement et à vivre dans l’ombre.

Asushunamir reçut le sortilège de plein fouet et jeta un regard désespéré à la déesse qu’il venait de sauver. Autour d’eux, le printemps gonflait déjà toute la terre de sa magie puissante et vivifiante. Inanna se pencha sur celui qui venait de le sauver, cet homme-femme scintillant, porteur de tellement de lumière. Elle ne pouvait rien faire pour annuler le charme lancé par sa sœur, mais elle pouvait, au moins, l’adoucir, l’arrondir, le rendre moins pénible :

— Oui, c’est vrai, ceux qui comme toi, préfèrent les hommes, femmes sacrées et voyageurs d’entre les sexes, subiront le courroux de leurs proches. Ils seront considérés comme des étrangers dans leur propre maison. Leurs familles leur diront de se cacher et ne leur accorderont aucune aide. Les ivrognes vous frapperont. Et les puissants vous enfermeront. Mais si tu te souviens que tu es né des étoiles et que tu m’as sauvée des ténèbres, je ferai de toi et de ceux comme toi mes enfants favoris, mes prêtres. Je te donnerai la connaissance magique des puissances de la terre et de la lune. Tu auras le pouvoir de guérir. Tu sauveras mes enfants comme tu m’as sauvée, moi. Et lorsque tu revêtiras une de mes robes, je danserai avec toi par tes pieds et je chanterai par ta bouche. Aucun homme ne résistera à tes enchantements. Quand la cruche de l’eau de vie sera ramenée sur la terre, les lions s’enfuiront et tu seras libéré du charme qu’Ereshkigal t’a lancé. À nouveau, vous serez, toi et les tiens, les Asushunamir, les êtres éclatants, ceux qui sont venus renouveler la lumière, ceux qu’Inanna a bénis.

 

 

Asushunamir, père-mère des gays ?

En lisant cette légende, on ne peut s’empêcher de ressentir une impression de déjà-vu. Des pères en proie à la colère, des mères en larmes, des portes qui claquent. Des compagnons mis à la porte. Et surtout le placard. Ceux qui se taisent, qui font tout ce qu’ils peuvent pour que « cela » ne se voie pas et qui s’inventent des fiancées imaginaires. Des familles qui refusent de voir « l’étranger de la famille », celui qu’elles ne voudront jamais accepter comme étant le compagnon ou la compagne. Des fuites à l’anglaise parce que « les beaux-parents arrivent ». De sombres histoires d’héritages. Bref, toute cette mélasse à laquelle les homos des deux sexes ont dû s’habituer pendant des siècles, et même des millénaires. Se cacher. Se taire. Passer toujours en second plan. Choisir entre une carrière prometteuse et une relation affective assumée. C’est cette vie d’ombre, de honte et, parfois, de misère qui a été le lot des homosexuels pendant longtemps et qui le reste en bien des lieux de la planète.

Asushunamir, le brillant, est vu comme étant à la fois masculin et féminin. Est-il un « deux-esprits » comme on en voit encore dans bien des civilisations primitives ? Est-il la représentation des transgenres, des gays efféminés et des lesbiennes masculines ? Certains néopaïens le pensent. Le placard ne serait que la geôle où la déesse des ombres a enfermé Asushunamir. Pas une geôle comme on l’imagine, mais une prison plus terrifiante encore : un exil éternel, un bannissement perpétuel. Tous ceux qui sont pareils à lui seront chassés de leurs familles. Étrangers n’importe où. Mais que veut dire ce « comme lui », ces « semblables » si ce n’est ce qui semble si évident quand on y songe vraiment ? Sommes-nous les fils et les filles spirituelles d’Asushunamir ? Ne sommes-nous pas soumis à la même condamnation que lui ?

Le fait qu’Asushunamir soit à la fois mâle et femelle n’est pas sans évoquer le « double esprit » des anciens peuples. Mais il peut également signifier que ses « semblables » appartiennent aux deux sexes.

On peut aller plus loin encore en évoquant cette merveilleuse bénédiction qu’Inanna prononça afin de le sauver. Dans ces images de danse et de chants, on ne peut s’empêcher d’imaginer les drag-queen fabuleuses, les divas magnifiques, ces ponts entre les sexes que chaque travesti incarne. Un parfum de spectacle, une ambiance chaleureuse imprègne les mots de la déesse : « Lorsque tu revêtiras une de mes robes, je danserai avec toi par tes pieds et je chanterai par ta bouche ». Les chars de la gay-pride résonnent de ces paroles.

Il est un autre peuple cependant que l’on affirme parfois être les descendants d’Asushunamir. Il s’agit des fées. Des êtres mythiques avec lesquels nous partageons beaucoup de choses en effet. Ce sont des créatures de l’ombre, dont le travail est de plus en plus oublié, voire méprisé. Êtres de l’invisible, on les craint tout autant qu’on ne les respecte. Elles aiment la danse et les chants qui sont, pour elles, magiques.

Mais n’est-ce pas de « faeries » qu’on qualifie parfois les gays dans les pays anglo-saxons ? N’est-ce d’ailleurs pas par ce mot qu’un mouvement gay spirituel s’est nommé de lui-même : les « Radical Faeries » ? Ce n’est pas un hasard. Les fondateurs du groupe se sont bien intéressés à cette similitude en le créant.

Que ce soit des fées ou des gays qu’il est question quand on évoque la succession d’Asushunamir, finalement, cela importe peu. Le destin des uns et des autres est peut-être lié. Fées et gays en ressentent le même rayonnement. Nous sommes issus de la brillance de l’ancien dieu. Certains parlent d’esprits pour le qualifier, disant même qu’il n’y avait pas un seul Asushunamir mais plusieurs. C’est bien possible mais cela n’enlève rien au propos.

Le mythe illustre bien à la fois cet aura de prestige dont bénéficient les gays, en même temps que le marasme où l’histoire les a plongés depuis très longtemps. Respectés et maudits. Étrange contradiction qui se retrouve d’ailleurs dans de nombreuses traditions.

Mais le dernier détail, et sans doute le plus important, est le pouvoir qu’Inanna offre à Asushunamir. Grâce à elle, il devient guérisseur. Ce mythe, quand on le regarde, parle de la succession des saisons. Nombre d’anciennes religions font référence à des divinités solaires ou à des déesses de fécondité de passage par le royaume des ombres. Qu’on songe à Perséphone par exemple, ou même à Ra. Qu’il s’agisse d’évoquer le cycle des saisons ou le rythme des jours et des nuits, cet enfermement, ce séjour en enfer fait partie intégrante de bon nombre d’anciennes mythologies. Inanna ne fait pas exception à la règle. Son voyage dans le monde des ténèbres se combine à la venue de l’hiver. Mais on le sait, l’hiver n’est jamais éternel, et il se trouve toujours un héros ou un dieu pour tirer des ténèbres la déesse prisonnière. Ainsi en est-il d’Asushunamir. C’est lui qui sauve Inanna de sa perdition. C’est lui qui rétablit le bon ordre des saisons. Pour ceux qui prétendraient que les gays perturbent l’équilibre du monde, voici un mythe qui annonce le contraire. Nous sommes juste nécessaires à la beauté du monde.


Lire le précédent billet


À suivre le mois prochain :

Les animaux totems gays

chaudronpotter

 

05.

PASSEURS DES MORTS :

ET SI HALLOWEEN ÉTAIT UNE FÊTE HOMO ?

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.



       

Nous voici arrivés à une époque que j’apprécie pour ses squelettes en plastique pur et ses toiles d’araignée kitchissimes. Quand la fête d’Halloween a débarqué chez nous dans les années 90, j’étais aux anges, si je peux me permettre l’expression. Chaque année, mon Grand secoue la tête quand, à la mi-octobre, je transforme la baraque en manoir hanté. Toiles cotonneuses, potirons éventrés, chauve-souris, vieux chandeliers gothiques, cercueils et cartes de tarots, tout y est. Tout irradie de lumières chaudes. Et, le soir dit, je dresse moi-même un repas de l’étrange. J’adore ça.

On m’objectera qu’Halloween est une importation américaine. C’est vrai. Et c’est faux en même temps. Notre Toussaint n’est pas beaucoup moins morbide quand on y songe, avec ses chrysanthèmes et ses croix battues par le vent. C’est aussi la période où les celtes fêtaient Samain, elle aussi liée à la mort.

Mais que se passe-t-il vraiment en cette nuit du 31 octobre ? Les sorcières disent que les portes de l’autre monde s’ouvrent à nous, ce qui donne lieu à une multitude de rituels. On peut, par exemple, laisser une place à table pour les chers disparus lors d’un repas de famille. Ou leur faire des offrandes aux pieds de vieux pommiers qui sont, dit-on, une des multiples portes des âmes. Mes parents, eux, se contentent d’aller porter des fleurs sur les tombes de « leurs » morts, et en profitent pour observer quelles « nouvelles têtes » sont arrivées dans le cimetière. Chacun son truc.

Je connais peu de gays qui s’intéressent à Halloween même si le prétexte est souvent bon pour organiser une chaude petite sauterie dans un bar. Pourtant, Halloween pourrait très bien être une fête homo. Les mauvaises langues diront que les Gay Pride ont l’air déjà parfois de cortèges funèbres mais ce n’est pas de cela que je vais vous parler.

Effectuons d’abord un petit retour en arrière. Nous avons déjà évoqué précédemment l’idée des « homos gardiens des arbres ». Ce rapport privilégié des gays avec le monde végétal est une hypothèse défendue par certains auteurs comme A. Ramer et C. Penczak.

Prolongeons-la un peu et remontons aux sources de l’humanité, en ces moments où l’homme se percevait encore comme un maillon de la nature. La Préhistoire. On le sait aujourd’hui, les premiers hommes se soignaient déjà avec des plantes. On peut difficilement imaginer comment il pourrait en être autrement vu que les animaux eux-mêmes utilisent parfois des herbes pour se soigner.

En tant que partenaires privilégiés du monde végétal, il est probable que les homos aient été du même coup les premiers herboristes et donc aussi les premiers guérisseurs.

On les retrouve de cette façon aux frontières de la vie, quand l’être lutte pour sa survie, que l’on appelle l’esprit des plantes pour le guérir. Parfois, la guérison est effective. Parfois, elle ne l’est pas et le malade franchit les portes de la mort. C’est là qu’A. Ramer défend cette hypothèse hardie : parce que l’homo est partenaire du végétal, et donc de la guérison, il est aussi passeur des morts. Car la médecine, hélas, n’est pas toujours victorieuse.

L’idée est-elle si saugrenue ?

Symboliquement, l’arbre est central à la plupart des anciennes cultures. Ses racines plongent dans le cœur de la terre, là où les morts sont enterrés, là où les vers transforment les chairs. C’est là que s’étend le monde souterrain où la sève s’en retourne à l’approche de l’hiver. C’est là aussi que le soleil passe davantage de temps pendant les jours d’automne. Les branches de l’arbre, quant à elles, sont des caresses pour le ciel, des antennes où les pattes des oiseaux viennent se poser délicatement, elles touchent au domaine des anges, des dieux du ciel et des ancêtres ascensionnés.  Et nous les hommes vivants, où sommes-nous ? Nous, nous sommes près du tronc, sur la terre dite du milieu. Nous nous trouvons entre les racines et les branches.



Traditionnellement, le chamanisme s’organise autour de ces trois mondes : inférieur, moyen, supérieur. Aucun des trois ne peut se passer des deux autres. Chaque culture a son arbre de vie, une sorte d’axe du monde, un arbre sacré. On le nomme Yggdrasil chez les vikings, Turge chez les mongols, Asvattha chez les indous, Yaxche chez les mayas. On pourrait réaliser ainsi un tour du monde des arbres sacrés, dont les racines conduisent à la cité des morts et les branches amènent, elles, vers l’univers des anges. Les Chrétiens ont d’ailleurs leur pommier (qui serait plutôt un figuier) au pied duquel Adam et Eve se découvrirent nus.

Dans l’alphabet celtique, le chêne correspond à la lettre « duir », qui a donné le mot anglais « door », la porte. Ross Heaven insiste dans son livre Plant spirit wisdom sur le fait que les arbres sont, pour les chamans, des portes vers les autres mondes. Certains d’entre eux sont plus précisément liés au monde des morts. L’if, par exemple. Ou encore, le pommier.

Alors ? Si l’arbre est en lui-même ce passage entre les trois mondes, s’il est la porte vers la terre des morts, est-il inattendu que ses gardiens soient à la fois « passeurs des âmes » ?

Qu’on le veuille ou non, la vie humaine est totalement dépendante du monde végétal. Il produit l’oxygène que nous respirons, il est la base de la pyramide alimentaire, il fabrique même des molécules pharmaceutiques qui sont utiles pour nous et non pour lui-même ! C’était encore plus vrai aux origines de l’humanité. Celui qui connaissait les plantes se trouvait aux portes de la vie.

Et quand l’immense pharmacopée se révélait être impuissante ? Souvent alors, le malade mourait. Ce qui ne signifie pas que la tâche du chaman s’arrêtait. En tant que gardien des arbres, il a le privilège de voyager entre les mondes, rappelons-le. Et donc d’accompagner les âmes dans le royaume des morts, de les guider, de les aider à franchir le passage. Il se rend avec eux parmi les racines de l’arbre là où s’étend la terre des ancêtres.

Aujourd’hui encore, ces pratiques demeurent. Si vous me suivez depuis le premier billet du Chaudron, vous connaissez mon affinité pour les cultures amérindiennes. C’est chez eux, à nouveau, que je vous conduis. Souvenez-vous du winkte (homosexuel sioux). Cet être aux deux esprits donne par exemple leur nom sacré aux enfants et joue un rôle de conseiller matrimonial. Dans son article « Persistance and change in the berdache tradition among contemporary lakota Indian », Walter L. Williams de l’université de South California interroge des winkte sur leurs fonctions sacrées. On y voit que les winkte sont aussi guérisseurs et qu’ils sont bien aux portes de la vie. S’ils donnent un nom sacré aux enfants, cela ne se fait pas en une seule journée. Pendant un an, le winkte s’occupera de l’enfant, interrogera les esprits, avant de composer pour lui un sachet médecine dans le but de le protéger contre la maladie. C’est un présent sacré et très personnel, qui est destiné à l’enfant en question et à lui seul. Il s’agit du résultat de quêtes visionnaires où le winkte rencontre les esprits qui protègent cet enfant. En cas de maladie, c’est également le winkte que l’on appelle. Un des témoignages repris dans cet article explique ainsi l’histoire d’un homme dont un winkte guérit la jambe cassée en une seule journée.

Et lorsqu’une personne décède ? Dans ce cas, c’est également le winkte qui se présente le premier. Il aide à la préparation de la cérémonie et des rites funéraires. C’est une de ses fonctions sacrées. Il conduit le défunt à sa dernière demeure.



La persistance de cette tradition chez un peuple si proche des cultures préhistoriques tend à montrer que l’hypothèse de Ramer n’est finalement pas si saugrenue que cela. Il est tout à fait possible que les homos aient été ces passeurs des morts depuis les origines de l’humanité. Ils le faisaient Outre-Atlantique quand les colons ont débarqué.

Par ailleurs, nous verrons très bientôt un mythe fondateur datant de l’époque sumérienne, où un être « aux deux esprits », Asushunamir, s’avère être le seul capable d’affronter le royaume des morts. Mais je lui consacrerai un article pour lui seul. Patience ! En outre, de nombreux dieux, proches du royaume des ombres, sont en fait très liés aux gays, aux lesbiennes ou aux transgenres.

Kali, par exemple, déesse indoue ceinte d’un collier de têtes de morts. Ses adorateurs masculins la célèbrent en portant des masques et des robes. Ils procèdent également à des incisions rituelles figurant une castration symbolique.

Tlazoteotl, déesse aztèque, transforme les horreurs et les douleurs du monde en or. Déesse de la vie et de la mort, elle protège les lesbiennes et les gays. En tant que déesse de l’anus, elle est aussi liée à l’homosexualité masculine. Elle est en outre associée au travesti chaman Lord Fanny dans la célèbre série Les Invisibles de Grant Morrison.



Et maintenant ? Qu’en est-il à notre époque où ces pratiques ancestrales sont ignorées du plus grand nombre ?

La mort, les gays la connaissent bien. Trop bien, même. Les homos ont fait l’objet de plusieurs génocides au cours de l’histoire. La seconde guerre mondiale nous en a fourni l’exemple le plus frappant. Mais il y en a eu d’autres. Ceux de l’Inquisition par exemple. Et, aussi, il faut bien l’avouer, le génocide du sida. Étrange comme cette garce nous poursuit jusque dans les suicides des victimes de l’homophobie et les pendaisons outrageantes en Iran.

Je ne peux, à ces mots, m’empêcher de me souvenir de cette fois où je l’ai regardée dans les yeux. La grande faucheuse. J’avais vingt ans. Je tenais la main de mon grand-père aveugle. Il était allongé sur son lit d’hôpital. Et je savais qu’il allait mourir dans l’heure. Je ne sais pas pourquoi mais je le savais. J’étais le seul à être à ses côtés. Toute la famille était assise à l’autre bout de la chambre. Parfois, je les regardais. Je sentais une sorte de frontière entre eux et moi. Entre eux et nous. Il transpirait beaucoup. Je l’essuyais. Il serrait ma main. Puis… il m’a regardé très profondément de ses grands yeux aveugles. Étrange comme sensation. J’ai eu le sentiment qu’il me voyait vraiment. Son regard a alors dérivé comme s’il fixait quelque chose derrière moi. Et là, il a rendu son tout dernier soupir.

Quand j’ai lâché sa main, j’ai senti que quelqu’un d’autre la prenait.

Mais il n’y avait personne.

Qui était-ce ? Je n’en sais rien. Mais cette sensation, je m’en souviens parfaitement. J’avais conduit, bien malgré moi, mon grand-père aux portes de la mort. Sans peur. Sans crainte. Sans tristesse. Parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fît. Ma famille s’est alors mise à pleurer. Et moi je restais là, calme, d’une sérénité presque effrayante. Alors que je venais de voir la mort de si près, je n’en ressentais qu’une grande paix. Conscient que j’avais accompli quelque chose d’important.

Ma route a croisé plusieurs gays qui se faisaient l’écho d’une réalité finalement bien compréhensible : ils furent seuls, ou presque, à assumer la fin de vie de leurs parents. Je suppose que c’est normal que ce soit le célibataire de la famille, ou plus simplement celui qui n’a pas d’enfants à sa charge, qui accomplisse cette fonction. Les frères et sœurs ont, eux, d’autres chats à fouetter. Je me souviens en particulier de Philippe, qui avait quitté son emploi pour s’occuper de sa mère en phase terminale d’un cancer. Voilà un sacrifice auquel peu auraient les moyens de consentir. Néanmoins, dans les quelques groupes que j’ai fréquenté, il s’est toujours trouvé des gays, ou des lesbiennes, évoquant ces moments pénibles. Et surtout, leur solitude face à la maladie de leurs aînés. C’est tout de même remarquable de constater que c’est si souvent le fils homo qui veille ses parents dans leurs derniers instants. Plus qu’une évidence sociale, il s’agit peut-être également d’un héritage lié à l’histoire des homos eux-mêmes. Un reliquat de l’histoire. Après tout, dans les peuples primitifs, ils demeurent les passeurs des morts.

À l’heure où j’écris ces lignes, j’imagine ces couples d’homos qui parcouraient les routes de la Préhistoire. Ils allaient de village en village. Chargés de plantes médicinales et de pierres sacrées.

Et quand ils pénétraient dans la demeure d’un mourant, il se trouvait toujours quelqu’un pour dire : « voilà les messagers de la mort ». Ce à quoi on pouvait répondre : « ils sont aussi les derniers guerriers de la vie ».

Aurions-nous tout au fond de nous cette formidable dualité ? Nous, dont les couples ne peuvent donner la vie, serions-nous ceux… qui autorisent la venue de la mort… ou au contraire qui la lui refusent ? Les indiens sioux sont la preuve que chez eux, au moins, c’est bien le cas.

Et Halloween alors ? C’est l’instant où les portes de l’autre monde s’ouvrent en grand, et où les morts se mêlent aux vivants. Ce jour-là, un drôle de cortège funèbre sort des cimetières déjà fleuris et traverse les villages. Et à sa tête, peut-être, une étrange drag-queen, squelettique, invisible, à la peau blême et à la chevelure flamboyante, danse comme une folle en hurlant des chansons gothiques que personne n’entend. Mais les homos ont l’habitude de ne pas être entendus, pas vrai ? 

Plus sérieusement, cette nuit-là, j’aurai une pensée émue pour mes proches décédés et, également, pour nos ancêtres homosexuels, connus ou méconnus, qui ont, chacun, posé une pierre de la société dans laquelle nous vivons. Des ancêtres qui nous permettent, aujourd’hui, de vivre plus libres qu’hier. Quand le soir sera déjà bien avancé, je me rendrai près des pommiers de mon jardin. J’allumerai les bougies. J’imaginerai la porte ouverte et je les saluerai. Je leur dirai, comme j’en ai l’habitude : « soyez bénis, chers disparus de l’arc-en-ciel. Je vous dis merci. Car vous avez rendu notre monde meilleur. ».



Ne laissons pas éteindre la flamme vivante de nos ancêtres homosexuels. Ils nous ouvert un chemin. Poursuivons-le. Quelle que soit notre action. Afin de rendre demain le monde plus gay-friendly. Et rendons-leur hommage, ils le valent bien.


Lire le précédent billet


À suivre le mois prochain :

Asushunamir, le brillant androgyne

chaudronpotter

 

04.

LE CHÊNE ET LE HOUX,

COUPLE ROYAL POUR L'ÉTERNITÉ ?

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.



        Il est là, qui vous fixe, immobile, au coin de la rue. Son regard vert, profond, éclaire l’endroit depuis tellement longtemps. Ses moustaches feuillues, sa barbe chargée de fruits, son nez dont coulent de singuliers ruisseaux herbeux, tout en lui évoque la nature. Il est parfaitement immuable en apparence. L’homme vert. Son masque trône un peu partout en Angleterre et en Allemagne, souvent même dans les cathédrales. C’est le symbole de la nature qui s’engouffre dans les villes. Une nature invincible dont l’homme dépend, quoi qu’il en dise. Après tout, il en est le fils. L’homme vert, avec cette feuille de chêne qui lui marque le front, est le père de l’écologie, le gardien de la Nature, le guide spirituel de ceux qui savent détecter la présence divine dans chaque plante, chaque pierre, chaque animal.

        La raison pour laquelle nous allons nous intéresser à lui est qu’il est double. Il existe en effet sous deux formes : le roi chêne et le roi houx. Chacun de ces rois règne en fait sur une partie de l’année. Le chêne domine ainsi les mois où fleurs et feuillages se réveillent. On célèbre l’apogée de son règne en juin, lors du solstice d’été. Le houx, par contre, parcourt les mois d’hiver, quand les feuilles tombent et la faune dort dans ses terriers. C’est en décembre qu’on le célèbre, en l’accrochant aux portes et aux fenêtres, en le semant sur les tables de Noël. Le sommet de sa prestance, il l’atteint, lui, au solstice d’hiver. En voici une superbe illustration réalisée par Angela Barnett (dont le site est www.angelabarnett.com).



Les deux rois représentent chacun une des facettes de l’homme vert. Le chêne est lumineux, ivre d’abondance et de croissance, gorgé de sève et de force. Il grandit sur un monde fertile, doré et chaud, il souffle une vie grouillante et riche d’entre ses lèvres feuillues. Le houx est, lui, plus sombre et insensible aux rigueurs de l’hiver. Il est la persistance, plus que la force. Il est la protection que ses feuilles épineuses incarnent contre le monde hostile. Il croît sur une terre glacée. Et son visage se dresse sur une vie endormie. Les deux rois n’ont rien en commun. Ils sont en fait complémentaires. Ils forment, ensemble, la grande boucle de la vie.

Il y a pourtant deux périodes de l’année où ils s’approchent, se frôlent et mélangent leurs magies. Au printemps tout d’abord, quand les froids se retirent. Le roi houx, affaibli, voit le jeune chêne qui se dirige vers lui. Tant de chaleur et tant de vie émanent de ce beau corps  tout en bourgeons encore. Dans le vacarme des pluies de mars, ils s’approchent l’un de l’autre, se hument, s’apprennent, conversent et se caressent. Le roi de l’hiver le sait bien. Son règne est terminé. Les glaces ont disparu et les animaux se réveillent. Il faut laisser la terre revenir à la vie. Que les bourgeons éclosent. Que le pollen s’envole. Il a veillé pendant six mois. Il peut aller se reposer. Mais avant, il se penche sur le jeune chêne tout parfumé de sève.

« Faut-il que l’on combatte ou qu’on fasse l’amour ? »

Il faut les deux, peut-être.

Alors commence un étrange ballet. Le houx et le chêne mêlent leurs corps, dans une étreinte à vif. Chacun connaît l’issue de cette chaude étreinte. Et pendant que le chêne essuie ses toutes premières blessures, le houx, lui, s’abandonne, murmure, love sa cime pointue contre la jeune écorce. Dans le ciel, le soleil se bat avec la pluie des grêles, dans une lutte sauvage qui ne cesse d’étonner les hommes. Comment diable se vêtir quand le temps est si incertain ? C’est l’équinoxe, le temps où la journée est égale à la nuit. Les deux rois savent qu’ils sont de force équivalente, mais que l’issue, elle, est inévitable. Le houx devra laisser la place. Mais qu’il aime cet étrange combat, où son amant cherche à tout prix, à prendre le dessus. Il le mord, le chatouille, profite de cette odeur terreuse, synonyme de vie foisonnante. Il la fait sienne, l’absorbe. Il griffe la jeune peau nue. Le chêne tressaille.

— Pourquoi ? demande-t-il, attristé.

Et le vieil arbre sourit :

— Toute nuit d’amour a ses épines. Toute nuit d’amour est une offrande. Si je te sacrifie mon règne, tu me sacrifies, toi, ta juvénile ignorance. Laisse-moi t’apprendre, mon jeune amant, les lois impitoyables de la vie.

Dans la forêt, des cris d’oiseaux, le brame d’un cerf, le grognement d’un sanglier saluent la fin d’une formidable nuit d’amour sous forme de combat. Le houx s’est endormi. Le chêne se penche sur lui et pose un baiser sur ses feuilles, ces feuilles piquantes, ces fruits empoisonnés, qui viennent de lui apprendre les dangers de la vie. Il a appris, c’est sûr. Le houx lui a livré un peu de sa sagesse. Il en aura besoin pour régner sur l’été.

Pendant que le vieux roi s’endort, le chêne redresse la tête. Six mois. Il règnera sur cette partie du monde pendant six mois. Avant que lui même ne s’avance, fatigué, dans la forêt prête à dormir. Il y rencontrera le houx, frais, dispo, pour tout dire rajeuni. Par une nuit d’automne, ils s’aimeront encore. Mais cette fois, le « daddy », ce sera lui.



Dans le monde païen, ce mythe a, bien sûr, plusieurs acceptations. La plus courante est celle où le vieux roi transmet son pouvoir au plus jeune lors d’un combat où il sera battu. Mais il résonne avec une tonalité particulière dans le cœur des homos qui y voient davantage une lutte amoureuse. Une forme d’initiation. Les équinoxes font alors l’objet de célébrations où un homme jeune symbolisera un des deux arbres. Et un homme plus âgé incarnera l’autre. Penczak cite dans son livre, Gay Witchcraft, les particularités du chêne et du houx. L’homme-chêne sera jeune, né entre décembre et juin, plutôt solaire, extraverti, créatif, énergique. L’homme-houx sera, quant à lui, plus vieux, né entre juin et décembre, plutôt lunaire, introverti, économe en effort. Deux êtres complémentaires que ce mythe fait se rencontrer. Voilà un acte amoureux qui réunit deux hommes mais qui est néanmoins clairement basé sur la différence des êtres. Qui a dit que « homo », cela veut dire « semblable » ?

Quand le 21 septembre sonnera à vos réveils, regardez bien celui qui dort à vos côtés. Demandez-vous de qui vous êtes l’héritier. Du chêne ? Ou du houx ? Et votre amant, duquel des deux est-il le digne représentant ? En ces temps où le jour est égal à la nuit, aimez-vous. Soyez l’espace de quelques heures ce fabuleux couple royal. Par ce moment d’amour, c’est sa magie que vous sèmerez sur le monde. Ennemis, frères ou amants, peu importe, ils font partie de l’éternel mystère masculin.

 

Découvrez d’autres aspects de l’homme vert dans ces livres :

The Path of the Green Man, Gay men, wicca and living a magickal life, de Michael Thomas Ford.

Walking with the green man, Father of the forests, spirit of Nature, de Bob Curran et Ian M. Daniels

Gay Witchcraft, de Christopher Penczak


Lire le précédent billet


À suivre le mois prochain :

Passeurs des morts, et si Halloween était une fête homo ?

chaudronpotter

 

03.

LES DESCENDANTS

DES GARDIENS DES ARBRES

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.


 

        Chères lectrices, chers lecteurs, je profite tout d’abord de ce billet pour vous souhaiter de bonnes vacances, y compris à celles et ceux qui les ont déjà eues. Et pour mieux profiter des senteurs estivales, ce mois-ci, le chaudron se met au vert.

        Le cliché de l’homo fleuriste, vous connaissez ? Vous savez bien, ce jeune homme qui compose ses bouquets avec art, coupant une rose ici, ajoutant là une touche de verdure, le poignet ferme mais voletant comme un papillon. Toutes les villes ont le leur. À tel point que l’on s’étonne parfois de trouver des fleuristes masculins hétéros.

        Qu’on le veuille ou non, Francis, votre fleuriste préféré dont le compagnon est paysagiste (je n’hésite pas un seul instant à vous asséner ce cliché supplémentaire), fait partie d’une très grande famille. Un groupe ethnique auquel peu d’entre nous échappent en fait. Andrew Ramer les appelle « les gardiens des arbres ». Et c’est vrai qu’on a tous quelque chose en nous d’herbacé, de feuillu. Une empreinte d’humus qui nous colle à la peau.

        Quoi, vous n’avez jamais dragué dans un parc, vous ? Vous ne vous êtes jamais enfoui dans les broussailles avec une proie sortie de l’ombre pour y goûter un moment de plaisir ? Combien de buissons et d’arbres ont abrité nos relations furtives dans leur feuillage complice ? Et cela, depuis la nuit des temps. Et pourquoi le dit-on plus souvent des homos que des hétéros ? Nous pouvons difficilement le nier, nos univers s’interpénètrent volontiers avec celui de nos frères végétaux. Lors d’une promenade contée spéciale « gay » que j’ai récemment suivie, l’animateur a d’ailleurs présenté le parc comme « le principal lieu gay de la ville ». Il est vrai que le soir, un étrange spectacle se joue dans ses ramures. Inutile de le nier, il arrive fréquemment que les rapports homosexuels aient un goût de verdure. Ou, pour le dire autrement, que les rapports sexuels qui ont lieu dans les parcs soient homos. Et ce n’est peut-être pas un hasard.

        D’abord, les arbres sont vraiment très queer, il suffit de se pencher doucement sur leur biologie pour s’en convaincre. Les plantes sont l’exemple même d’un règne vivant qui a fait l’expérience de toutes les sexualités. Chez elles, il est rare par exemple que les sexes soient séparés sur deux troncs différents. L’hétérosexualité pure et dure n’y est pas très fréquente. D’abord parce que le même arbre peut porter des fleurs mâles et d’autres, femelles. Les deux sexes sont alors sur un même individu. Pendant qu’ils éjaculent leur pollen dans l’air chaud, ils recueillent la semence de leur partenaire, c’est aussi simple que cela. De vraies tapettes, vous dis-je. On y pense rarement, mais en fait, ils baisent au dessus de nous quand nous flânons dans leur ombrage. Ils échangent avec grâce leur sperme doré et odorant dans un immense ballet. Une danse tellement semblable, quand on y réfléchit, à celui des homos qui se frôlent à leurs pieds. « Ce qui est en haut est en tout point semblable à ce qui est en bas », a dit le sage.

        Il y aussi pléthore de fleurs qui se livrent, elles, aux joies de l’onanisme. On appelle cela l’autofécondation. Car, dans la nature, une fleur peut aussi être à la fois mâle et femelle. Et dans ce cas, elle se féconde comme une grande de son propre sperme. Enfin, quand je dis comme une grande… il arrive parfois que le concours d’une abeille soit nécessaire pour cela, mais bon. Nous n’allons pas l’en blâmer si elle se fait branler par quelqu’un d’autre, n’est-ce pas ?

        Dans le règne végétal, on est donc hermaphrodite, bisexuel, voire autosexuel. Tous les possibles existent dans une immense célébration fleurie de la diversité des sexes et de la sexualité. Allez, lecteur, admets-le, ils sont plus proches de nous que des hétéros, non ? Quand je vous dis que les arbres sont queer.

        D’ailleurs, les plantes nous sont liées jusque dans le langage. Le fenouil, par exemple, concerne à ce point les homos qu’il les désigne en italien (finochio). On dit que sur ces terres du sud, le fenouil pousse avec une telle facilité que même si on le fait disparaître, il s’en revient toujours. Un peu comme nous… Nul n’est besoin d’avoir recours à la reproduction, nous avons toujours été là, de tous temps et en tous lieux et cela sera toujours ainsi. En anglais également, une fleur nous désigne, c’est la pensée (pansy). L’expression « pansy without a stem » (pensée sans queue) désignait d’ailleurs les lesbiennes dans les années 60. Certains des vocables dont on nous affuble sont, on le voit, très fleuris.

        Dans son livre Gay Witchcraft, Christopher Penczak nous apprend en outre que plusieurs plantes sont associées, en sorcellerie, aux homosexuels. Les pommes sont par exemple liées aux amours lesbiens. L’abricot, lui, est mis en rapport avec l’androgynie, tout comme le lilas. La jacinthe et le narcisse sont utilisés, quant à eux, par les gays dans la confection de charmes amoureux. Au Chili, la papaye symbolise l’amour entre hommes. En Chine, il s’agit de la pêche. Dans la Grèce Antique, les homos amoureux s’offraient des roses, paraît-il. Par ailleurs, cette fleur était associée également aux prêtresses d’Aphrodite sur l’île de Lesbos. Elle représente l’amour inconditionnel. Et quand on parle d’amour inconditionnel, cela veut dire aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être un homme pour aimer une femme. Pas plus qu’il n’est obligatoire d’être une femme pour aimer un homme. On le voit, beaucoup de plantes touchent en fait aux amours homosexuels.

 

 

        Dans son bouquin Two Flutes Playing, Andrew Ramer va beaucoup plus loin. Il affirme, lui, qu’« être gardien des arbres » fait partie des fonctions sacrées que les homos assument depuis la nuit des temps.

        Expliquons son point de vue. Et pour cela, remontons à la Préhistoire. Déjà à l’époque, deux symboles différents désignaient l’homme et la femme. Le trait vertical était mâle. Le cercle était femelle. De ces deux signes découlaient trois symboles. D’abord, la spirale. C’est le cercle auquel le trait vertical donne une impulsion. La spirale est un symbole d’évolution et en même temps d’éternel retour. Elle repasse toujours par des points semblables sans être jamais les mêmes. Comme les cycles des saisons et de la vie en général. Tout est cycle. Et pourtant tout évolue. C’est le symbole de la reproduction, l’hétérosexualité.

        Par contre, deux cercles concentriques désigneraient les lesbiennes. Et deux traits verticaux représenteraient les gays. Ils forment un cylindre, un tronc. Selon Andrew Ramer, les couples homosexuels pouvaient (et peuvent sans doute encore) communiquer avec les arbres, les soigner, les comprendre, recevoir leur enseignement, bref, interagir avec eux. De cette manière, ils se chargeaient de leur médecine. J’ai moi-même constaté l’intérêt de nombreux sorciers gays pour les plantes magiques. C’est le cas de Penczak qui leur consacre une part de ses recherches actuelles. C’est également celui de Scott Cunningham qui a d’ailleurs écrit une des plus grandes encyclopédies existant sur les plantes magiques.

        Cela dit, je prends certaines distances par rapport aux théories exposées par Andrew Ramer dans son livre. D’abord, parce qu’elles ne me semblent pas étayées par des recherches scientifiques. Elles me semblent plutôt argumentées sur base de contacts de types médiumniques. À ma connaissance, aucun préhistorien n’a pu démontrer le rôle de « gardiens des arbres » chez les homos de la Préhistoire. L’idée est séduisante, certes. Mais je dirais qu’elle reste à prouver.

 

 

        Un autre point de vue intéressant est abordé par Ross Heaven dans son livre Plant Spirit Wisdom. Selon lui, les anciens chamans voyaient les arbres comme des portes vers l’autre monde. Je ne peux m’empêcher de songer que dans de nombreuses cultures, les homosexuels sont appelés justement « marcheurs d’entre les mondes ». Souvenez-vous du Winkta sioux à qui sa condition homosexuelle ouvre à la fois le cercle des hommes et celui des femmes. Si l’arbre, symboliquement, est une porte ouverte entre les univers, n’est-il pas normal qu’il symbolise celui qui voyage d’un monde à l’autre ? On a vu souvent l’arbre comme la porte entre la terre et le ciel. Mais il est plus encore, il est aussi le passage entre le masculin et le féminin. Cela dit, Ross Heaven parle du chamanisme celte. Et il ne discourt jamais des homos ni des trans dans son livre. Dans l’état de mes connaissances, rien ne me permet d’affirmer un rôle précis des homos dans le chamanisme celte. Si l’existence d’une culture homosexuelle est bien étayée chez les amérindiens, je n’ai encore rien rencontré de pareil chez nos ancêtres les plus directs. Si un lecteur s’y connaît en chamanisme celtique et a sa propre idée sur la question, qu’il me le fasse savoir, ça m’intéresse.

        Les chamans ont cependant cette particularité étonnante, que l’on rencontre partout dans le monde. Que cela soie en Europe ou en Amérique. Ils communiquent avec les esprits des plantes et comprennent ainsi en quoi elles peuvent soigner. Ramer prétend que les premiers herboristes que la planète a portés étaient ses chers homosexuels gardiens des arbres. En tant que dépositaires du savoir des plantes, ils soignaient leurs congénères. Mais là encore, je n’ai trouvé nulle part de preuve de ce qu’il avance chez les européens. Chez les amérindiens, oui, mais pas chez nous.

        Pour terminer cette excursion dans le monde des arbres, écrivons donc ce mot : Faeries. Les fées. C’est par lui que les anglais désignent à la fois les homosexuels et ces petits protecteurs du monde végétal. Un simple mot qui veut dire beaucoup. Fées et homos. Tous deux gardiens des arbres. Peut-être. Mais nous verrons dans quelques mois que ce parallélisme entre les homos et les fées est beaucoup plus riche de sens qu’on peut le supposer à première vue.

        Alors ? Que conclure ? Serait-il étonnant que les homos aient été, comme le prétend Ramer, « frères des arbres » dans la Préhistoire ? Je n’en sais rien. J’accueille l’idée et la trouve séduisante, c’est tout. Jusqu’à ce qu’on me l’ait démontré ou infirmé.

        Néanmoins, lorsque je vois mon compagnon penché sur son jardin de plantes qu’il aime tant, les nourrissant, les soignant, les chérissant ; quand je me vois marcher, rêveur, entre les fleurs, m’allonger au pied de mon orme, soigner ce pommier affaibli, je me dis que, à notre manière, notre couple est peut-être, en effet, « gardien des arbres ». Et parce que nous les aimons, passons du temps pour les connaître et surtout pour les protéger, nous avons allumé en nous une étincelle inattendue de l’identité gay. Une de ces belles couleurs de l’arc-en-ciel. Le vert ! Exactement comme Francis, ce charmant fleuriste homo de province, flanqué de son ami paysagiste.

 

Lectures conseillées :

Gay Witchcraft, empowering the tribe, de Christopher Penczak aux éditions Red Wheel, Weiser.

Two Flutes Playing, a spiritual journeybook for gay men, d’Andrew Ramer aux éditions Lethe Press.

Plant spirit wisdom, sin eaters and shamans, the power of nature in celtic healing for the soul, de Ross Heaven aux éditions O books.

Encyclopédie des plantes magiques, de Scott Cunningham, aux éditions Ada.


Lire le précédent billet


À suivre le mois prochain :

Le chêne et le houx, couple royal pour l'éternité ?

chaudronpotter

 

02.

VENT D'OUEST ET LE DIEU AILÉ

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.



Dans la mythologie des indiens d’Amérique, certaines unions ont de quoi étonner. Les dieux rouges sont beaucoup moins machos qu’on pourrait le croire. Ainsi, quand le vent s’unit au tonnerre, le drapeau arc-en-ciel se met, lui, à crépiter.

On se souvient du billet précédent qu’ANUKITE était l’épouse du vent, TATE. Et qu’ils avaient quatre fils. Le plus âgé d’entre eux se nommait YATA et régnait sur le nord. OKAGA, lui, soufflait sur le sud, YANPA sur l’est et EYA sur l’ouest.

Un jour que les quatre frères marchaient dans la montagne, ils entendirent un fracas effrayant. Ils en cherchèrent la provenance et découvrirent une hutte dressée tout près d’un nid, à l’ombre d’un cèdre. À l’intérieur, un œuf énorme vibrait, comme si quelque chose ou peut-être quelqu’un cognait de l’intérieur. Le bruit assourdissant se mêlait à celui que causait une autre créature cachée, elle, dans la hutte. Les quatre frères ne voyaient donc aucun des deux fauteurs de trouble. Ni celui de l’œuf, ni celui de la hutte. OKAGA s’approcha. Une voix grave et tremblante le menaça aussitôt :

— Qui ose s’approcher de la hutte du dieu ailé ? 

OKAGA se présenta. Le personnage, toujours invisible, lui ordonna alors de poursuivre leur chemin. Les quatre frères s’éloignèrent donc, non sans passer devant la hutte. EYA, le vent d’ouest, ne put, lui, s’empêcher de s’arrêter. C’était le plus coiffeur des quatre. Impossible pour lui de ne pas chercher à savoir. Ce pouvait être une source de potin au salon. La voix gronda une fois encore :

— Que veux-tu ? 

— Qui, moi ? Eh bien, c’est queeeeuuuuu, vous voyeeeeez, j’aimerais teeeeellement savoir qui vit dans cette hutte.

Une hirondelle s’échappa alors de la tente :

— C’est la maison du dieu ailé.

— Pourrais-je le voir ? hasarda vent d’ouest, battant des cils.

— Si tu le vois, tu seras obligé de devenir un « heyoka ». Mais si tu vois l’oiseau-tonnerre, tu n’y seras pas obligé. Que choisis-tu ?

EYA était gourmand. Pourquoi ne se rincer les yeux que sur un seul personnage ? Le dieu ailé ou l’oiseau-tonnerre ? Les deux doivent être sexy, non ?

— Les deux, dit-il en chevrotant, je veux voir les deux.

C’est alors que sortit la terrible créature, l’oiseau-tonnerre, celui dont les yeux crachent des éclairs et dont la voix est plus puissante que le tonnerre. Une créature terrible, au bec hersé de quatre rangées de dents, portant huit serres d’aigle terrifiantes et même quatre ailes claquant au vent. Même dans les bars les plus SM de la région, on ne voit pas de pareil uniforme.

L’oiseau ouvrit le bec :

— Puisque tu n’as pas fui en me voyant, tu deviendras le compagnon du dieu ailé, cracha la créature. Ensemble, vous irez par les cieux et vous nettoierez le monde de ses maux et de ses déchets.

— Charmant, minauda le jeune EYA en se rongeant l’index. Mais puis-je au moins avoir le privilège de voir cet ange du ciel ? Celui que vous nommez le dieu ailé.

L’oiseau grinça :

— Le dieu ailé, c’est moi. L’oiseau-tonnerre et lui ne sont qu’une seule et même personne. Et je suis cette personne. Je suis le dieu ailé ET l’oiseau-tonnerre.***

L’histoire ne dit cependant pas quel sex-appeal EYA trouva à l’horrible créature. On peut imaginer qu’il dut sentir le chaud frisson qu’éprouve un jeune techno quand il se fait draguer par un homme tout en cuir et hérissé de clous. Pourquoi pas ? On sait par contre que l’hirondelle, qui gardait la hutte de l’oiseau, clôtura la conversation en ces termes :

— En outre, tu auras la préséance sur les trois autres directions du vent à chaque cérémonie des hommes, acheva l’hirondelle.

En voilà un de privilège, bombardant du même coup EYA au plus haut sommet de la hiérarchie divine.

EYA rejoignit ses frères d’un pas vif. Puis, il leur demanda de choisir un oiseau qui leur servirait d’allié. Le vent du nord choisit la pie, le vent du sud une alouette, le vent d’est prit une corneille et vent d’ouest, bien sûr, choisit une hirondelle.

Depuis lors, les hirondelles tournoient haut dans le ciel, où elles escortent le dieu ailé, que l’on nomme Wakinyan, ainsi que son éternel compagnon « vent d’ouest. » et on les voit tourner quand le couple sacré se présente quelque part.

 

 

La turbulence des clowns sacrés

 

WAKINYAN, le dieu ailé, n’est donc en fait autre que l’oiseau-tonnerre. Son importance spirituelle est fondamentale chez les sioux. En effet, il vole toujours à contre-sens, dans le sens opposé à celui des aiguilles d’une montre. De sorte que ceux qui rêvent de lui deviennent des heyoka. Des hommes inversés, qui font tout à l’envers des autres. Ils se promènent nus en hiver et se couvrent en été. Ils se plaignent de la faim quand tout est en abondance et prétendent être parfaitement repus en période de disette. On les nomme quelque fois clowns sacrés car il est vrai que leur comportement fait rire. Mais ils font également réfléchir. Ils prennent le contre-pied systématique de tout. De cette façon, ils ouvrent le monde des idées, ils l’élargissent, ils rendent la nouveauté possible. Ils permettent de relativiser les événements et l’importance des situations. Ils posent la question du tabou et du bien-fondé des règles, ils font éclater les frontières du monde connu. Chaque chose que nous faisons a une fonction. Les heyoka nous invitent à réfléchir à cette fonction, à ce qui est logique et à ce qui ne l’est pas, à ce qui doit et ne doit pas être fait, ils nous posent simplement la question du « pourquoi », et de la légitimité des choses. Le heyoka est ce fou du roi qui peut tout se permettre. Le plus souvent, il se maquille d’un éclair blanc qui n’est pas sans rappeler le tonnerre qui sort de la bouche de wankinyan.

 

 

On ne peut pas s’empêcher d’établir également un rapport avec la sexualité. Mais faire autrement que les autres à ce niveau ne se limite pas à l’homosexualité, bien sûr. Cela inclut bien d’autres formes de sexualité, en ce compris l’abstinence.

Revenons-en à présent au couple que  ‘vent d’ouest’ forme avec son compagnon le dieu ailé. Est-ce un couple homosexuel ? Voire ! Dans ce domaine, les relations et les genres sont plus complexes qu’il n’y paraît.

Il est vrai que « vent d’ouest » est un des fils du vent et d’ANUKITE. Cela n’empêche pas qu’on puisse lui attribuer un genre plus féminin. Vent d’Ouest est en effet le deuxième enfant d’ANUKITE. Or, le deuxième enfant d’une famille sioux a un prénom très peu différencié qu’il soit fille ou garçon. Ce sera Hapan dans un cas, Hepan dans l’autre. Deux mots semblables pour ne pas dire quasiment identiques. À titre de comparaison, le premier enfant d’une famille sera prénommé Caske s’il s’agit d’un garçon et Winuna s’il s’agit d’une fille. La sexualisation du nom est donc plus marquée pour le premier enfant de la famille que pour le deuxième. Le troisième enfant d’une famille est par contre nommé Hepi quand c’est un garçon et Hepistinna quand c’est une fille. Nous avons là une autre définition des genres. Le nom de la fille étant une extension de celui du garçon. Hepi dérive lui-même de Hepan qui est le nom donné à un deuxième fils.

Dans la filiation du dieu du vent, le vent du nord est le premier. Il possède une dominante masculine marquée. Cela se traduit par des actes d’une exceptionnelle violence. Le vent du nord est froid et destructeur. Vent d’ouest, en tant que deuxième enfant, appartient à un degré de filiation où la sexualisation est peu marquée. William K Powers affirme que Vent d’ouest est à dominante féminine, ce qui se traduit par le fait qu’il soit compagnon (compagne) du dieu ailé. Pourtant, on pourrait facilement objecter que son degré de filiation ne plaide ni pour un sexe ni pour l’autre. Le couple peut donc parfaitement être homosexuel.

Par ailleurs, la masculinité du dieu ailé se marque dans sa violence. Il règne en effet sur la foudre, les éclairs, le tonnerre, tous attributs de force et de virilité. Pourtant, le dieu ailé abrite un œuf près de sa hutte. Son œuf ! Qui donnera d’autres oiseaux-tonnerre. On pourrait donc y voir une expression de sa féminité. Certes ! Mais ce ne sont pas toujours les femelles qui couvent les œufs… On le voit, le couple que forme « vent d’ouest » et « oiseau-tonnerre » est ambigu, hétéro et homo à la fois.

Le mythe dote en outre le couple d’une fonction bien précise : nettoyer le monde de ses déchets et de ses maux. Le dieu ailé est porté par le vent d’ouest. Ils accomplissent ensemble une mission purificatrice. Voilà qui rejoint le fait que les heyoka sont quant-à-eux souvent des guérisseurs. Mais cette mission de purification, de nettoyage, va bien plus loin encore car le clown sacré se comporte à l’envers et pose la question du bien fondé des règles. Il est celui qui questionne toutes les légitimités. Il permet donc aux anciennes traditions devenues inutiles, aux habitudes sclérosantes et aux règles désuètes d’être transformées. Dans le fracas du vent, des flammes et de la pluie, l’orage transforme. L’œuvre du couple mythique est une transformation, une métamorphose.

Il est tentant de poser la question : les homosexuels n’opèrent-ils pas la même action ? Leur amour questionne également la notion de famille et de normalité après tout. Et, au-delà, ils posent l’interrogation de ce qui fonde le couple. Est-ce la seule procréation ? Les homos ne sont-ils pas des heyoka à leur manière ?  Ne dit-on pas par ailleurs qu’ils sont les précurseurs des modes et de la nouveauté, donc des transformateurs ?

Un dernier point que l’on peut soulever est celui de l’invisibilité. Si le vent, lui, peut bien être senti, ou entendu, on ne peut en fait voir que ses manifestations. Le vent est invisible. De même en est-il de l’oiseau-tonnerre qui ne tient pas à être vu. Le couple se cache. Et quand il se présente quelque part, c’est un vol d’hirondelles qui l’annonce. L’hirondelle est, on ignore pourquoi, un symbole récurrent chez les travestis ou les drag queens, bref, le peuple du visible. Car on peut dire ce que l’on veut, le monde des travestis rend visible ce qui ne l’est pas. Ils sont les premiers militants de la visibilité des gays.

S’il est justement une chose que le couple mythique déteste, c’est le mensonge. L’oiseau-tonnerre foudroie celui qui ne dit pas la vérité. Une punition qui effraierait la plus virile des honteuses du Marais. Être sodomisé, oui, mais foudroyé, quand même… L’union de vent d’ouest et de l’oiseau tonnerre tient à un événement bien précis et qu’il est bon de souligner. Vent d’ouest a accepté de voir le dieu tel qu’il était. Sans le fuir, sans avoir envie de le détruire. Il l’a vu. Et il n’en a éprouvé aucune peur. Je ne peux m’empêcher de songer à tous ceux qu’une homophobie intériorisée afflige. Et que la haine submerge quand ils voient celui qui s’affiche. Formidable question que celle de la visibilité. La vérité est une chose, la mettre en forme en est une autre. Que penser de ces couples d’hommes qui se promènent en rue sans se tenir la main mais qui ne mentent jamais quand on leur pose la question sacrée : « En êtes-vous ? » ? Vent d’Ouest et le dieu ailé ne se montrent d’ailleurs pas. Mais ils ne mentent pas non plus. La nuance est là. Elle est au cœur de la problématique du coming-out.

En conclusion, on peut se poser la question : « Et si les gays posaient simplement la question de ce qui fonde la légitimité d’une relation ? Procréation ou autre chose ? »

 

 

À lire : La Religion des sioux oglala, de William K. Powers aux Éditions du Rocher.


Lire le précédent billet


À suivre le mois prochain :

Votre fleuriste homo préféré est-il un descendant des gardiens des arbres ?

chaudronpotter

 

01.

ANUKITE, LA FEMME-CERF

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.


 

Quand le soleil trompa la lune avec une simple femme 


Alors que l’église nous menace des pires flammes de l’enfer, les sioux, eux, ont un peu plus de chance. Chez les indiens des plaines en effet, les homosexuels et les transgenres sont sous la protection d’une divinité : ANUKITE.

Mais d’abord, découvrons son histoire. Avant de devenir une déesse, ANUKITE était une femme. ITE était son véritable nom, ce qui veut dire « visage ». WAZI, son père, était le chef du clan. KANKA, sa mère, était une prophétesse. ITE avait une qualité enviée. Elle était d’une beauté rare, pour ne pas dire divine. Son époux chanceux était un dieu : TATE, divinité du vent. Ensemble, ils avaient eu quatre fils, dont nous parlerons d’ailleurs une autre fois. Au moment où se sont déroulés les évènements qui ont tout bouleversé, ITE attendait son cinquième enfant.

Un jour, le peuple des cavernes reçut la visite d’IKTOMI, un dieu menteur, farceur, qui prend souvent la forme d’une araignée. Les parents d’ITE enviaient leur fille qui avait épousé un dieu. Ils auraient tant aimé détenir eux-mêmes quelques pouvoirs Oh, pas grand-chose. Deux ou trois dons du ciel. IKTOMI le savait et il fit un cadeau. C’est ainsi que KANKA, la mère d’ITE, reçut un don extraordinaire des mains du dieu arachnéen. Elle pourrait embellir chaque chose selon sa seule et unique volonté.

IKTOMI aimait intriguer. Il avait l’âme entremetteuse. Il s’approcha alors d’ITE et lui confia ceci. WI, le soleil, serait tombé éperdument amoureux d’elle.

Mais ITE, et on peut la comprendre, en doutait farouchement. Certes, elle était déjà fabuleusement belle, mais pas au point de séduire le soleil. C’est pourquoi sa prophétesse de mère sauta sur l’occasion de tester son nouveau pouvoir. Elle lui lança un sortilège afin qu’ITE devienne encore plus belle qu’elle ne l’était. Et elle y réussit. La jeune femme se transforma aussitôt et devint bien plus chatoyante que les plus colorées des fleurs, plus fraîche que la rosée de l’aube et plus radieuse que le ciel étoilé. En bref, elle était d’une beauté sans pareille. Là, c’était sûr, si le soleil avait déjà le béguin pour elle, à présent, il serait à ses pieds.

ITE ne songea dès lors plus qu’à une chose : se faire remarquer de lui. Car après tout, pourquoi se contenter d’être la femme du vent, si on peut être aimée du plus brillant des astres ? Un jour qu’elle paradait en espérant attirer son regard, WI posa le regard sur elle. Il s’approcha, sourit, multiplia les poses et les phrases aguicheuses. Ils marchèrent quelques heures ensemble et babillèrent. Et c’est sans hésiter qu’elle accepta, quand il baisa sa main, de le joindre à sa table lors du prochain banquet. Le soleil était sous son charme.

De son côté, IKTOMI intriguait. HANWI, la lune, flânait dans ses appartements où des voiles argentés flottaient doucement. Elle chantait, inconsciente du danger. Elle étrangla une note quand elle vit s’approcher la divine araignée, toute hérissée de poils et de soie blanche. Dans quel piège allait-elle tomber, qu’il tissait autour d’elle ? Mais IKTOMI, adroit, prit sa voix la plus douce et ouvrit une fenêtre aux voilages scintillants. Là, en-bas, le soleil minaudait, au bras de la mortelle. Et une sueur glacée mouilla les cheveux de la lune.

— Qui est cette mortelle ?, demanda-t-elle, d’une voix plus blanche que son visage.

— C’est l’épouse du maître des vents, répondit IKTOMI.

— Elle est si belle, constata la déesse.

Une colère sourde lui broyait la poitrine. En bas, visiblement, son mari draguait une humaine. Le fourbe. Le dieu arachnéen se rapprocha alors de la déesse lunaire :

— Elle viendra au banquet. Vous n’avez pas le choix, oh, ma déesse. Belle comme elle est, les invités n’auront d’yeux que pour elle. Vous devrez être exceptionnelle pour l’éclipser. Laissez-moi vous donner ces conseils, très chère lune. Le jour du banquet, travaillez d’arrache-pied. Composez-vous la plus légère des robes, le plus soyeux des maquillages, le plus suave des masques, faites de votre visage une merveille. Ne pressentez-vous pas toute l’ampleur du danger ?

Il s’approcha, une lueur rouge dans son regard octuple :

— Une autre femme convoite votre époux.

Le jour dit, la lune s’attarda donc à sa toilette, tandis que le soleil présidait à la table du banquet. À côté de lui, un siège vide attendait la venue de la lune. Ce fut ITE qui apparut enfin. Et sans attendre, il la convia à s’asseoir près de lui. La lune, elle, hésitait, quant aux voilages à assembler, aux scintillements à réveiller, aux splendeurs à créer sur son visage inquiet.

De sorte que quand elle se présenta, bonne dernière, au banquet, elle ne put qu’amèrement constater que le siège de l’épouse était déjà formellement occupé par la mortelle rieuse. Tandis qu’elle s’approchait, hypnotisée, la lune sentait ses habits se raidir, son maquillage ternir, son visage se faner. Elle se le recouvrit, honteuse, et se mit à pleurer.

L’assistance, bien cruelle, comme il en est l’usage dans ce genre de mondanités, éclata d’un rire gras, amusé, presque heureux du scandale qui jouait son théâtre devant eux.

Les larmes de la lune ruisselèrent dans les cieux.

C’est alors qu’un grondement annonça l’arrivée du grand dieu du ciel. SKAN. Le redouté. Le juste.

Après avoir interrogé les uns, les autres, témoins ou non, sur les raisons de ce désordre, il prononça sans hésiter un jugement sans appel.

— Dorénavant, la lune et le soleil ne pourront plus paraître ensemble dans le ciel.

Les deux astres encaissèrent la sentence, impuissants. Car tous devaient se conformer aux volontés du ciel qui leur donnait asile.

— Les parents d’ITE, eux, deviendront « vieille femme » et « vieil homme ». Ils enseigneront aux plus jeunes de leur peuple, et oublieront, par leur travail, ce qu’ils désiraient être : des dieux.

En, bas, dans l’ombre des cavernes où ils vivaient, WAZI et KANKA, vieillirent en un instant, se recouvrirent de rides, perdant leurs cheveux par poignées. Le poids des ans courba leur dos en l’espace de quelques secondes et le peuple des hommes se mit à hurler de frayeur.

Quant à ITE, il la châtia, elle aussi. Il la punit sur ce qu’elle détenait de plus précieux. Non ses enfants, ni son mari, comme il l’est d’habitude des femmes, mais bien sur sa beauté. La moitié de son visage demeura aussi beau qu’il l’était avant. Mais l’autre moitié fut frappée d’une effrayante malédiction. Elle en devint hideuse et repoussante. Consciente de la terrible épreuve dont elle serait désormais la victime, ITE entra presque aussitôt dans les tourments de l’enfantement. Elle accoucha bien avant l’heure de son cinquième enfant.

Quant au dieu araignée, qui était malgré tout la cause première de ce désordre, que devint-il ? Allait-il échapper à la colère du ciel ? Ne devait-il pas écoper du pire des châtiments ? Ce fut peut-être le cas. Car il fut condamné à errer sur la terre, maudit et craint de tous. Le farceur eut l’audace pourtant de s’en moquer. En effet, dans son châtiment, le dieu du ciel n’avait pas mentionné le peuple des animaux. IKTOMI annonça qu’il pourrait, dès lors, aller librement parmi eux. Qu’est-ce qui l’en empêcherait ? Il en fut donc ainsi, l’araignée ne faisant frissonner que le peuple des hommes, et jamais l’animal.

Et la lune, ah, la lune ! Chacun le sait d’expérience. En souvenir de ce jour-là, il arrive bien souvent qu’elle se couvre le visage. HANWI sera toujours l’amoureuse du soleil, mais elle ne règne plus avec lui dans les cieux. Leur couple est désuni, pour la plus froide des éternités.

 

Sous les ramures de la femme-cerf


Depuis ce jour, ITE porte le nom d’ANOG ITE, ou ANUKITE, qui signifie « double visage ». Il est fréquent qu’elle se transforme en cerf à queue noire, le plus souvent après avoir révélé son message ou pour prendre la fuite. Ce pourquoi on la nomme également « la femme-cerf ». La malédiction qu’a subi la mortelle l’a condamnée à l’isolement et à l’exil.

Ceux qui s’approchent d’ANUKITE sont d’abord subjugués par la moitié splendide de son visage, avant d’être effrayés par la partie hideuse et de s’enfuir. ANUKITE, dans son malheur, a pu garder son mari auprès d’elle. Mais le peuple des hommes la fuit avec constance. Mais quel rapport, me direz-vous, avec les homosexuels ?

C’est simple. Chez les sioux, c’est par le rêve que les dons se révèlent. Qu’en est-il donc de ceux et celles qui rêvent d’ANUKITE ?

Place aux femmes tout d’abord. Celles qui rêvent d’ANUKITE sont ainsi fréquemment dotées, qui s’en étonnera ?, d’un très puissant pouvoir de séduction. Voilà qui rend les hommes méfiants et les condamne souvent à vivre seules. Une femme trop belle, chacun le sait, n’est décidément pas bonne à épouser. Surtout si elle exerce sur les mâles de la tribu sa puissance séductrice. Certaines d’entre ces filles d’ANUKITE sont par ailleurs lesbiennes. Car la mortelle divinisée, en faisant fuir les hommes, n’interdit pas aux femmes de se lier entre elles.

Les personnes qu’ANUKITE protège de ses ramures possèdent de nombreuses qualités, pour le tissage par exemple, ou le dessin en général et en tout cas pour de nombreuses tâches spécifiquement féminines, et cela, que l’on soie homme ou femme. De grands artistes sioux se revendiquent ainsi d’ANUKITE.

De nos jours, les femmes que cette déesse protège évoquent souvent une autre féminité que celle dont jouissent les femmes ordinaires. Une féminité plus indépendante des hommes notamment. Elles avancent par exemple le fait que leur activité artisanale demande une telle maîtrise qu’elle est souvent incompatible avec une vie familiale et l’éducation des enfants. Une indépendance par rapport aux fonctions matrimoniales que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de la LILITH judéo-chrétienne. Leur vie entière se consacre dès lors à la maîtrise de la parure, de la beauté, et de l’art visuel, ce en quoi elles incarnent l’esprit d’ITE et la malédiction d’ANUKITE. Femmes célibataires et lesbiennes sont ainsi le deuxième visage de la femme dans le peuple sioux. Une autre facette de la féminité, investie d’un farouche esprit d’indépendance. Une deuxième face qu’ANUKITE exhibe par son double visage.



Et les hommes, direz-vous ? Ceux qui rêvent d’ANUKITE sont, eux aussi, investis de fonctions particulières. Ils sont d’abord soumis à un test de confirmation. On leur propose divers objets parmi lesquels ils doivent choisir. S’ils jettent leur dévolu sur un objet féminin, cela possède un sens : ce sont des hommes « aux deux esprits », que l’on appelle « winkta ». Le terme « winkta », contre toute attente, désigne indifféremment les homosexuels et les transsexuels. Le mot dérive en effet de « win » qui signifie « femme » et de « kta », le suffixe désignant le futur. De sorte que le mot « winkta » signifie littéralement « sera femme ». En conséquence, les « deux esprits » se travestissent fréquemment, accomplissent des tâches féminines aussi bien que masculines et ont aussi le droit d’épouser d’autres hommes. Ils illustrent, eux aussi, le visage double. La féminité présente en chaque homme. Voire la masculinité présente dans la femme. Ils sont l’incarnation de ce deuxième visage.

De par le fait que son visage est double, ANUKITE est ainsi la déesse de toutes les dualités. Elle révèle que chaque chose a en elle-même le germe de son contraire et que les énergies complémentaires cohabitent bien souvent au sein d’une même entité ou d’un même corps. ANUKITE révèle donc l’homme en la femme et du même coup la femme en l’homme. Cette dualité porte également sur le domaine de la sexualité. Les deux visages de la femme-cerf reflètent à la fois les sexualités, correcte et incorrecte. Il serait tenté d’opposer du même coup homo et hétéro-sexualités, mais ce serait réducteur. Le problème n’est pas tant le sexe du partenaire que la fonction du couple. Il est important de savoir qui on est et, en conséquence, de quel type de partenaire on a besoin. Mal choisir son conjoint conduit au désordre et, symboliquement à la mort. C’est la raison pour laquelle on dit souvent que coucher avec une femme-cerf est mortel.

Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si les « winkta » sont souvent investis de tâches matrimoniales. En tant que « deux esprits », ils ont le droit de fréquenter les cercles masculins ET les cercles féminins de la tribu. Voilà qui les pourvoit d’une expérience extraordinaire de la masculinité et de la féminité. Observateurs privilégiés des deux sexes, ils en deviennent les coordinateurs. Dès qu’un problème se pose dans un couple, c’est le « winkta » que l’on s’en vient trouver. Il comprend, lui, les attentes toutes particulières des hommes aussi bien que celles de leurs épouses. Il est ainsi conseiller conjugal. À ceux qui prétendraient que l’homosexualité est une menace pour la famille, on pourrait donc opposer sans problème le modèle des sioux. Les homos n’y sont pas une menace mais au contraire un outil. Ils permettent aux couples hétéros de se comprendre et de rester ensemble. ANUKITE, on s’en souvient, avait tenté de séparer le soleil et la lune, de désunir le couple mythique. Pour cela, elle a été punie. Est-il dès lors si étonnant que celui qui se trouve sous sa protection soie investi de ces fonctions de médiateurs ? Sans doute que non. Ces intermédiaires réparent en fait la faute qu’ITE avait commise avant de devenir ANUKITE. Comme c’est fréquemment le cas, la déesse règne sur un axe, celui du couple. Cet axe rejoint les divers états, les différentes facettes du couple, qu’elle incarne tour à tour. Si elle représente à la fois l’infidélité et la sexualité débridée, elle est aussi liée au célibat et à l’équilibre matrimonial. Finalement, l’important est que chacun soie avec le bon conjoint, si conjoint il doit y avoir.

Les amérindiens, comme plusieurs anciennes autres civilisations, ont donné aux homosexuels des fonctions sociales bien précises qui peuvent être par ailleurs religieuses. Les « deux esprits », comme c’est souvent le cas chez les païens, accomplissent par exemple les rites funéraires. Ils président donc à l’accompagnement des morts, de la même manière qu’ils baptisent les enfants d’un nom sacré. Ce sont les gardiens de la porte.

Il est peu probable que les winkta se soient rassemblés en foyers. Généralement, ils vivaient seuls et étaient craints, ce qui renvoie inévitablement à l’exil que subit ANUKITE depuis des millénaires.

Pour en finir avec cette divinité, on peut également s’attarder au symbolisme du cerf chez les sioux. Les hommes qui sont sous la protection du cerf à queue noire peuvent tuer d’un seul regard, dit-on, ou capturer une âme dans un miroir… On pense alors qu’avoir des relations sexuelles avec une femme cerf est mortel. On peut associer ce symbole au fait que les personnes que la femme-cerf protègent restent célibataires ou s’unissent fréquemment avec des partenaires de même sexe. Dans les deux cas, ils n’ont pas de descendance. Voilà qui contribue à parer d’une aura terrifiante les homos des deux sexes chez les sioux. Ils sont respectés, oui, mais ils sont craints. Car ils mobilisent avec eux des énergies complexes. Ils ne donnent pas naissance physiquement à des enfants. Mais ils leur donnent pourtant un nom sacré. Lequel est d’ailleurs révélé au père biologique de l’enfant après qu’il aie couché avec le « winkta ». Avec nos yeux d’occidentaux, nous parlerions de prostitution, d’un acte sexuel « monnayé ». Je ne peux m’empêcher de songer à Christopher Penczak qui affirme, à l’instar d’Aleister Crowley : « tout comme les relations hétérosexuelles aident les cycles de la vie à se poursuivre sur un plan physique, les relations homosexuelles, ne dirigeant pas leur énergie sur la conception physique, dirige l’énergie à des fins magiques, peut-être en continuant les cycles vitaux des réalités magiques, comme l’inconscient collectif. » Quoi de plus magique et sacré que le nom sacré d’un enfant ? Dans cette prostitution que certains qualifient d’outrageante, il est possible de voir la conception de cet enfant magique, l’enfant sacré. Car c’est après avoir eu des relations charnelles avec le père que le « winkta » enfante, lui, du nom sacré. Il définit de cette manière la personnalité magique de l’enfant. De sorte que la relation homosexuelle, si elle est stérile sur le plan physique, ne l’est pas forcément sur le plan spirituel.

Mais le symbole du cerf est également transgenre dans le cas bien précis de la femme-cerf. Le cerf porte en effet des ramures et respire la puissance, la masculinité. Dans son espèce, les sexes sont particulièrement bien différenciés. On reconnaît aisément une biche d’un cerf. Qu’une femme, comme ANUKITE, se transforme en cerf ne laisse donc aucun doute sur son caractère transgenre. Le féminin devient le masculin. On peut aussi y voir l’illustration du caractère matrilinéaire originel des peuples amérindiens défendu par William K Powers. Cet auteur insiste lourdement sur l’importance de la femme chez les sioux. La femme, ne l’oublions pas, accouche à la fois des hommes et des femmes. L’homme, quant-à-lui, n’accouche pas. Il est hautement probable que cette constatation ait favorisé le culte de la déesse-mère des temps anciens. Les sioux n’ont pas non plus échappé à la règle. Plusieurs femmes sacrées jalonnent d’ailleurs les mythes oglala. ANUKITE en est un exemple, la femme bison blanc en est un autre.

Il est significatif de voir que le mot femme « win » se retrouve dans les différentes appellations qu’une jeune fille prend tout au long de son existence (winona, winu…). Par contre, ce même préfixe n’apparaît pour l’homme que quand celui-ci est adulte et marié. Il devient alors « wicasa » . Le terme « wica » désigne en général la masculinité. « san » ou « sa » voulant dire « rouge ». « wicasa » veut donc dire « homme rouge ». Le mot le plus proche est « winsan », qui veut dire « femme rouge » mais également « vagin ». « wicasa » aurait donc, pour racine, le mot « vagin ». Ce qui est d’autant plus logique que « wicasa » ne désigne que les hommes adultes. La notion de féminité apparaît donc en langue sioux jusque dans le terme représentant la masculinité. Les homosexuels n’échappent pas à la règle vu qu’on les nomme « winkta », donc « seront femmes ». Le fait de définir les homosexuels par rapport au mot « femme » n’est donc pas propre à eux. Par ailleurs, les lesbiennes sont nommées « winkta win », soit « femme sera femme », ce qui indique bien la place centrale occupée par la femme dans la civilisation sioux.



Qu’on songe aussi à l’image forte que le cerf évoquait aux yeux des peuples anciens. Il porte des bois sur la tête. N’est-il pas d’une certaine manière un des rares animaux à unir en lui-même les mondes animal et végétal ? La femme-cerf est alors un symbole puissant : celui de la cohabitation, au sein d’une même entité, d’énergies, d’idées, d’opinions,…certes opposées mais néanmoins complémentaires. Les enfants de la femme-cerf sont donc ces hommes et ces femmes aux « deux esprits », capables d’expérimenter en eux l’homme et la femme et d’accomplir, en fait, l’union sacrée.

 

À suivre le mois prochain :

Vent d’Ouest et Oiseau-tonnerre

Couple mythologique homo chez les indiens sioux

Catégories

Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés