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STONEWALL : 40 ANS !

 

http://www.espacestemps.net/docannexe/image/1068/img-3.jpg


« Nos amours ? Répétons-le : une vespasienne qui pue, de la merde et des bouteilles pleines d'urine, des croûtons de pains poussiéreux, disposés là exprès, comme pour nous dire : voilà ce que tu es : une merde rien de plus. Et les années qui foutent le camp, la solitude pour seule compagne, avec – en arrière-plan – l'insupportable idée : je n'aurais pas vécu. »
(Extrait du 
Rapport contre la normalité du FHAR, symptôme 3, éditions Champ Libre, 1971)



« Nous sommes plus de 343 salopes !
Nous nous sommes fait enculer par des Arabes !

Nous en sommes fiers et nous recommencerons !»
Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, 1971.



« L'homosexualité n'ayant pas d'autre raison d'être que le désir, elle est la négation vivante des fausses valeurs, des institutions sacro-saintes et de tous les rôles. Elle est la négation absolue du monde tel qu'il est. »

« Lesbiennes et pédés, arrêtons de raser les murs. Sortons des boîtes et des ghettos ! »

« C'est l'hétérosexualité qui nous alimente et nous produit. Mais en nous constituant politiquement, nous créons nos propres forces. Mais que les hétérosexuels se contentent de nous produire ! Nous nous éduquerons nous-mêmes et nous éduquerons leurs enfants qui seront comme nous !»

Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, in Gulliver n°1, novembre 1972.


« À bas la société fric des hétéro-flics !
À bas la sexualité réduite à la famille procréatrice !
Aux rôles actifs-passifs !
Arrêtons de raser les murs ! »

« Prolétaires de tous pays, caressez-vous ! »

« Nationalisation des usines à paillettes ! »

« CRS, desserrez les fesses ! »

« Camarades ! Soyez folles, demandez l'impossible ! »

« Je jouis dans les pavés ! »

« Nous sommes un fléau social ! »

« Vive le matérialisme hystérique ! »

« La solution : Enculons Mao ! »

Slogans du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (F.H.A.R.), 1971/1972.


 

« Nous ne sommes pas contre les “normaux” mais contre la société “normale”. » Proclamation du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire dans la revue Tout en avril 1971.






Le Père Docu s'appelle Gérard Coudougnan, il est né en 1962 et a pour qualification « enseignant-documentaliste », vous savez la dame qui râle au C.D.I. (centre de documentation et d'information) : c'est lui. Pour des raisons indépendantes de sa volonté, il est en ce moment éloigné de son lieu de travail habituel mais a toujours un C.D.I. (contrat à durée indéterminée) avec les bouquins pour qui il a une vraie A.L.D. (affection de longue durée).

Au hasard de ses lectures, il a croisé Marc-Jean Filaire puis Môssieur Daniel C. Hall (« The Boss ») qui lui a proposé de regrouper ici quelques « recensions » d'ouvrages à thématique LGBT.

Toute remarque, toute suggestion sera la bienvenue. Les avis, sous forme de commentaires, pour échanger des points de vue encore plus !

La bibliothèque rose est ouverte… vous avez lu Le Club des Cinq d'Enid Blyton ? Claude, le « garçon manqué » est peut-être alors votre première rencontre avec une petite lesbienne ou une future transgenre ? Ah bon, vous n'avez pas connu les Bibliothèques Rose et Verte ? Qu'importe, entrez (couverts !) ici et faites ce que vous voulez entre les rayons, ne soyez pas sages ...



Pascal Pellegrino, Papa gay : Lettre à mon enfant interdit,

Favre, Lausanne – 2009, 135 p.

 

Parmi les thèmes sur lesquels des progrès demeurent institutionnellement possibles pour nous dans les démocraties occidentales, figure l'homoparentalité. Ce mot (qui, comme homophobie, est souligné par mon correcteur d'orthographe) recouvre plusieurs situations.

Celle que décrit Pascal Pellegrino est sans doute la plus provocatrice. Dans un contexte de Reproduction non autorisée (1), ce jeune Suisse décide de faire un enfant avec une amie lesbienne vivant en couple. Son sous-titre, Lettre à mon enfant interdit, indique que même dans la Communauté Helvétique, ce genre d'opération n'est pas du goût de tout le monde.

À commencer par ses propres amis gays, dont Octave, metteur en scène français qui rassemble avec férocité et humour beaucoup des réticences et appréhensions des homosexuels face au désir d'enfant. L'auteur est à ce propos d'une sincérité absolue : il veut « faire » un bébé.

Adopter un enfant ? « Faire peser sur ses épaules l'adoption et l'homoparentalité, c'est beaucoup trop à mes yeux » ( p. 25) et il écarte donc de ce vaste revers de main un argument que tant d'autres couples vont cultiver d'une toute autre manière.

Pascal Pellegrino nous entraîne avec lui, sur des chemins qu'il éclaire avec justesse, sensibilité et intelligence. Que l'on soit ou non concerné par ses désirs, ses convictions, il en détaille tenants et aboutissants avec clarté : conception, échecs « techniques », réaction des entourages familiaux et amicaux, grossesse, accouchement et baptême catholique, le Papa gay assume fermement tous ses choix.

Voyageant souvent en France, il est en mesure de comparer les divers contextes juridiques : son expérience de donneur de sperme (p. 61 à 65) est pour l'immense majorité des lecteurs gays français impossible à vivre. Le livre est complété (p. 127 à 131) d'intéressantes annexes faisant Le point sur l'homoparentalité en Suisse, en France et en Belgique.

Roxane, fille de Pascal, n'aura pas besoin de s'attarder spécialement sur la Lettre à ma fille (pour quand elle sera en âge de comprendre), p. 117 à 125 : l'ensemble du livre, de la première à la dernière ligne n'est qu'un cri d'amour à cet enfant pour lequel il réussit à prendre à témoin un lecteur qui ferme ce livre avec le sentiment d'avoir découvert une somme impressionnante d'amour.

Pour en savoir plus :

Le superbe blog de l'auteur : http://papagay.canalblog.com/ avec une multitude de liens en rapport avec ce livre et son vécu.

Le site de l'éditeur : http://www.editionsfavre.com/, avec nos remerciements à Anouk Zurbuchen , attachée de presse aussi sympathique qu'efficace !

 

(1) Reproduction non autorisée, Marc Vilrouge, Le Dilettante - 2004, 160 p.

 


Pascal, pourrais-tu te présenter aux lecteurs des Toiles Roses qui viennent de lire cette présentation de ton récit ?

Professionnellement, je suis journaliste et je travaille pour l’édition suisse du quotidien « 20 minutes ». Côté privé, je suis un homme de 44 ans, qui n’a accepté son homosexualité que très tardivement (vers 22 ans) et qui n’a connu son vrai premier amour que vers 28 ans. Je suis resté dix ans avec cet homme. On s’est quittés en 2005. Puis, alors que je me croyais perdu pour un nouveau coup de foudre, celui-ci est survenu en septembre 2008. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer ! Aujourd’hui, ce garçon, Leandro, est devenu mon mari, ou mon « partenaire enregistré », pour reprendre le (très laid) terme suisse pour les homos qui se pacsent (le pacs suisse est réservé aux homosexuels, les hétéros ne peuvent pas en conclure un). Je suis devenu père en janvier 2007 et aujourd’hui, ma fille, mon mari − mais également la mère de ma fille − font de moi le plus heureux des hommes sur cette planète.

 

Ce qui touche dans ton livre, c'est ta sincérité absolue et ton respect infini pour tous les êtres qui t'accompagnent dans ta démarche…

Merci ! La sincérité était le mot-clé pour parvenir à toucher les lecteurs et lectrices. Le but de mon récit était de raconter une belle histoire de vie, et surtout de donner chair à ce mot « homoparentalité ». Le but était aussi de rassurer ceux et celles à qui ce mot fait peur. Lorsqu’on referme le livre, on s’aperçoit que je suis un père comme les autres et que ma préférence sexuelle n’entre en rien dans l’éducation de mon enfant. D’ailleurs, les parents traditionnels ne sont jamais qualifiés d’« hétéroparents ». Ce sont des parents tout simplement. Tout comme le sont les homosexuels qui se lancent dans un projet d’enfant.

 

À ce propos, dans ton livre, tu sembles être contre des projets d’adoption par des couples homosexuels ou le recours à une mère porteuse…

Je suis heureux que tu abordes cette question, car je me suis aperçu à la relecture du livre que ma position n’y était pas assez clairement exposée. Je ne suis bien évidemment pas contre les autres formes de parentalités que sont l’adoption ou le recours à une mère porteuse. Au contraire, je suis sincèrement admiratif du courage et de la volonté de ceux et celles qui vont au bout de tels projets. Simplement, je ne parvenais pas à les concevoir pour moi-même. J’ai donc exposé les raisons pour lesquelles ces deux options ne me convenaient pas. Mais cela ne signifiait pas que j’étais contre ceux qui les choisissent. L’avantage majeur de l’adoption (comme de la mère porteuse) est que l’on élève un enfant au sein d’un même couple. Dans le cas d’une coparentalité comme la nôtre, il y a deux foyers, un principal (celui de la maman) et un secondaire (celui du papa). Cela implique que je ne voie pas ma fille tous les jours.


Roxanne avec son papa Pascal (en médaillon la journaliste Virginie Matter venue en reportage).


Et pourtant tu dis que ta fille ne te manque pas quand elle n’est pas là…

En effet, le fait d’avoir ma fille environ deux jours et demi par semaine était une donnée de base de notre aventure. Si je n’étais pas d’accord avec ça, c’était au départ qu’il fallait le dire. Pas après. Dès le début, j’ai intégré le fait que ce serait une perte de temps et d’énergie que d’être attristé par son absence. Donc pendant qu’elle n’est pas avec moi, je m’occupe de moi et de mon couple. L’avantage est que les retrouvailles sont toujours un moment intense. Et puis, la complicité que j'ai tissée avec la maman est telle qu’on se voit souvent en famille. On élève notre fille dans deux foyers séparés, mais dans la réunion de deux dons d’amour pour notre enfant.

 

Dans ton livre, on te découvre blessé par des propos rapides et catégoriques sur ton envie d’être parent alors que les clichés, brillants, humoristiques mais assez conventionnels d’Octave, ton prof d’art dramatique, ne te font pas mal…

C’est parce qu’il y a une différence de taille entre, d’une part, la stupidité ordinaire de certaines personnes qui font par exemple des raccourcis terrifiants entre les mots « pédé » et « pédophile » et, d’autre part, le côté provoc’ d’Octave, qui est un homme intelligent. Comme pas mal de gays que j’ai pu rencontrer, Octave désapprouve ce désir que j’ai « d’imiter les hétéros » en désirant me marier ou en voulant faire des enfants. Mais il agit davantage comme un avocat du diable plutôt qu’en terroriste de la morale.


Je pense que les lecteurs des Toiles Roses peuvent parfois se reconnaître dans certains propos de ton ami et que tous connaissent des monstres de stupidité ordinaire. Ce qui pourra étonner les lecteurs français, c'est cette possibilité de donner son sperme en Suisse avec beaucoup moins de contraintes qu'en France.

Merci de l'avoir remarqué. En France, contrairement à la Suisse, le don de sperme est limité aux hommes qui sont déjà pères d’un enfant au moins. De surcroît, si l’homme vit en couple, sa conjointe doit donner son accord. Cela implique que les hommes gays sont implicitement exclus du don de sperme en France. Je suis sidéré que cela ne choque pas plus que ça. Qu’est-ce qui pousse la France à réglementer le don de sperme de façon à le limiter aux hétéros ? De quoi a-t-on peur ? Est-ce que c'est aussi lié, comme pour le don du sang, au risque plus élevé de transmettre le virus HIV ?

 

Tu viens de me faire prendre conscience que ce ne sont pas moins de 10 800 hétéros donneurs de sang qui m'ont aidé à survivre à une maladie : merci à eux .Puisque les pédés et les gouines sont des parias du don, il m'est impossible de devenir donneur : grâce à toi je comprends mieux nos différences de législation ! Cela dit, puisqu’on parle de don de sperme, ce thème-là est une occasion de rire dans ton bouquin !

Il est vrai que ma première expérience de donneur de sperme a été plutôt mouvementée et surtout très drôle. La raconter était une façon de ne pas parler du sujet de l’homoparentalité comme d’un sujet grave uniquement. Notre histoire est une aventure de vie, avec ses rires et ses pleurs. C’est une aventure humaine, la plus belle qui puisse être. Et franchement, depuis la naissance de notre fille, les occasions de rire ont été mille fois plus nombreuses que les occasions de pleurer.


Il ne me reste plus qu'à te remercier pour ta disponibilité et la richesse de ton témoignage. Pour beaucoup de gays de ma génération, choisir de vivre son homosexualité était automatiquement lié à un deuil du désir d'enfant. Tu nous prouves que les choses évoluent ici.

Merci à toi ! Je suis très touché de ta volonté de donner un éclairage à mon livre sur ce blog des Toiles Roses. Quant à l’évolution des mentalités, je reste, moi aussi, assez optimiste. J’en tiens pour preuve un message d’un jeune de Genève sur le blog du livre : papagay.canalblog.com. Ce jeune m’a écrit qu’il avait acheté le livre après un coming out pénible et que notre aventure lui avait redonné espoir de devenir papa un jour. Rien que pour cette réaction-là, il valait la peine que ce livre soit publié !

 

Ce fut un vrai plaisir de discuter avec toi : ta voix chaude, posée et ce léger délicieux accent doivent donner beaucoup de sérénité à ta belle Roxane !

 

 

« Il faudrait tous les tuer ces pédés ! »

par  Antonio Manuel

 

Antonio Manuel a eu pour berceau la fiction orale d'un exil. Il n'est donc pas étonnant que ses études l'aient conduit vers la littérature qui sait si bien travestir le réel afin qu'il soit conforme à ce que l'on pouvait l'imaginer. C'est donc tout naturellement qu'il choisit à l'université la voie qui va lui offrir l'art de voiler et de démystifier le réel : les Lettres modernes. Professeur de français, il continue d'être le lecteur très assidu qu'il fut dès l'enfance. L'écriture est vécue comme un prolongement du terme où les auteurs lus déposent les armes, et le questionnement perpétuel d'une réalité dont le mystère ne cesse d'exercer sur lui son grand pouvoir de fascination. Atteint d'une grave maladie auto-immune, il considère plus que jamais la littérature comme un espace de déambulation où toute rencontre se diapre de mystère et où toujours il rêve de plonger pour que tout lui soit révélé.

 


Je ne me souviens plus de l’émoi suscité par ces mots en moi. Cela m’étonne d’autant plus qu’ils furent souvent répétés, peut-être même commentés, leur affirmation développée, la pensée les sous-tendant affinée.

Mon père les prononça. Mais je sais que tous les hommes de ma famille auraient pu les prendre à leur compte. Tous partageaient cette opinion.

Être homosexuel n’était pas acceptable. Il s’agissait d’une hérésie, d’un scandale, d’un crime. Un crime bien plus condamnable à leurs yeux que le vol, le viol, le meurtre sans doute. D’ailleurs, j’ai entendu dire à de multiples reprises qu’il était préférable d’avoir un enfant délinquant que pédé.

C’est dans un tel climat d’homophobie que j’ai grandi.

Parallèlement, certaines après-midi, je jouais dans le salon devant le poste de télévision que ma mère regardait en repassant. Je voyais Dominique Fernandez, glorieux écrivain primé par le Goncourt, qui discutait avec la présentatrice de la célèbre émission des années 70 : « Aujourd’hui madame ».

Je savais que ma mère l’aimait beaucoup et admirait son talent. J’ai donc implicitement décidé d’épouser l’âme de cette femme qui reconnaissait l’art comme la cause d’une fascination qu’aucune circonstance liée à un quelconque attrait sexuel n’était susceptible d’altérer.

Quelques heurts sporadiques au collège : vindicte massive d’adolescents pubères excités par leur nombre et l’incertitude de leur développement à l’encontre de celui en qui ils ne percevaient pas le même respect pour la loi du sexe fort. Incongruité impardonnable pour leurs esprits trop peu certains d’avoir raison. Poussière de doute que seule une larme de joie mauvaise doit pouvoir laver.

Le lycée.

Puis l’université. Épanouissement souverain d’une homosexualité presque brandie comme un comportement d’un intellectualisme ultime. Il faut dire que François Mitterrand avait dépénalisé l’homosexualité entre temps.

L’enseignement, fruit de ces années d’études universitaires, droit vaincu de délivrer la parole savante, au prix de l’obtention d’un concours ardu et sélectif, allait me rappeler la rigueur de la réalité quant au bannissement social de l’homosexualité.

Il n’était donc pas uniquement le fait de mon père et de la plupart des hommes de ma famille, non. Ils l’avaient eux-mêmes appris dans la rue, à l’école, dans la vie de tous les jours, dans les dénis, les reniements, les mépris, les discours fascisants, les silences éloquents, les sourires ironiques et les regards avilissants.

Alors, afin qu’aucun soupçon d’incompétence sur soi ne pèse, il faut se taire. N’avoir nulle existence amoureuse ou bien ne point en faire état. Même si vos collègues évoquent sans le moindre souci l’accouchement de l’épouse, le baptême du petit dernier ou les nuits blanches occasionnées par la santé fragile d’un nouveau-né, partager leur allégresse, le récit de leur insomnie, l’attente inquiète du mari de la parturiente ou la fierté du futur marié, tout cela vous est autorisé, voire même fortement conseillé, mais oser faire allusion à l’homme avec lequel vous allez vous pacser faute de pouvoir l’épouser, il n’y faut pas même songer.

C’est ainsi qu’on se souvient des paroles de papa et que l’on se demande s’il n’avait pas raison, dans le fond, de préférer un enfant délinquant à un rejeton dénigré par la société…

Surtout lorsque cette branche mauvaise, cette herbe folle, malgré le désherbant puissant de la pensée ségrégationniste, s’est obstinée à croître et qu’elle a déposé, au creux du jour, un fruit, le seul qu’elle ait su engendrer, que de trop nombreux libraires refusent de voir figurer sur les étagères de leur boutique, prétextant que leurs lecteurs ne s’intéressent pas à cette pseudo littérature, avant de vous raccrocher au nez tout simplement.

En regardant Dominique Fernandez, dans le petit écran du poste de télévision, avec maman, j’avais cru qu’ « une œuvre d’art est bonne si elle est née d’une nécessité », comme l’a écrit Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un jeune poète. J’avais fini par penser que « c’est la nature de son origine qui la juge » et non l’orientation sexuelle de son auteur…




 


 

HOMOUREUX DE TOUS PAYS,
UNISSEZ-VOUS !

 

 

G comme Géhenne.

Parfois j’ai l’impression que les êtres humains aimant des personnes de même sexe résident dans la Vallée de Géhenne, cet endroit près de Jérusalem qui accueillait les pestiférés, pécheurs et lépreux. Car ne nous leurrons pas. Pour ceux qui vivent dans une grande métropole « mondialisée » d’un pays démocratique, il est facile de faire son coming out, de tenir l’autre par la main en public, ou même de trouver l’âme sœur pour un fantasme à la carte. Mais pour la plupart, être « homo-amoureux » demeure un risque si le fait est révélé. Un risque affectif au sein d’une famille, un risque professionnel et même un risque pénal. Ne croyons pas qu’il s’agisse d’un combat de luxe dans une civilisation « prospère » et « libre ». La liberté d’aimer est aussi essentielle que la liberté d’expression. Et avec l’amour se décline d’autres droits : celui de transmettre (l’adoption ou le parrainage), d’être solidaire (l’union civile sans restrictions, le don du sang) et par conséquent l’abolition de toutes formes de discriminations. Sans cette liberté, nous faisons germer une tolérance insoutenable à l’homophobie. Nous nous sentons exclus, car nous ne nous pouvons pas aimer, vivre comme les autres. C’est une des raisons pour laquelle je suis contre le terme « homosexuel », car ces liaisons amoureuses ne sont pas que charnelles, ou toute signification qui segmente (« gays, bi, lesbien, trans »), qui, à force de tout agglomérer, divise. Toutes les luttes sont donc essentielles. Si les Marches des fiertés occidentales peuvent nous porter préjudice en terme d’image ou deviennent des foires marketing pour attirer des touristes, elles ont leur utilité dans des pays où notre cause est illégale (je pense ici à la Russie, la Chine, les pays arabes…) ou méprisée pour des causes religieuses (Italie, Brésil, Portugal…). Dans les pays où c’est de mieux en mieux accepté, il y a encore un long chemin à faire pour bousculer les mentalités et les lois. Les préjugés sont tenaces. Il s’agit là aussi de faire preuve de pédagogie et de disposer d’argumentaires intellectuels ou d’outils juridiques et politiques pour aider ceux qui sont le plus vulnérables.

 

A comme Adoption.

« Dans cette vie, ma douceur du danger a été substituée par la torpeur du confort. La peur de se tromper. L'idée de suivre un chemin "classique" pour élever des enfants n'est qu'un rempart pour affronter la société et ne pas s'ouvrir plusieurs fronts, de multiples luttes...

Car nous allons être jugés. Et pas au tribunal. En permanence : aux sorties des écoles, dans les médias, au bureau, aux Impôts...

Les enfants auront à supporter le terrible "et ta mère elle s'appelle comment ?" ou le stupide "faîtes un beau dessin pour votre maman, c'est la fête des mères dimanche prochain !" On peut compter sur le tact de ces gens dits progressifs que sont les enseignants et professeurs, complètement inadaptés aux nouvelles règles familiales.

La parenté ne peut pas être purement biologique ou purement sociale. Au Kenya, des femmes se marient entre elles pour élever les enfants sans les pères. En Belgique, l'insémination est légale. L'adoption par les "gays" est autorisée. En France, l'hypocrisie conduit à ce que des homos puissent être parents, s'ils ont été hétéros ou s'ils sont célibataires. Mieux vaut une famille homoparentale que l'orphelinat. L'orientation sexuelle – parce qu'elle peut varier, parce qu'elle dépend aussi des amours, donc de ce grand amour prôné par les Chrétiens depuis 2000 ans – devrait être neutre au niveau du droit, comme en Espagne. "On est hétéro par défaut", disait Irwin Welsh dans Trainspotting. »

Extrait de Bye-bye Bahia

 

Y comme Yatagan.

Phallus au vent, seins à l’air, sabre au clair, dressons-nous contre l’obscurantisme de notre époque, contre ces régressions sociales et morales qui s’érigent au nom d’un « vivrensemble » mensonger et d’un dogme religieux tacite.

Il faut exiger l’égalité. C’est la condition essentielle à la liberté. Quitte à verser du sang, des larmes, de la sueur et des bits pour l’obtenir. Rien n’est encore véritablement acquis. Il faut que la normalité ne soit pas synonyme de majorité mais de diversité.

 

Lire la précédente chronique


 

TO BE CONTINUED...

 

Vincy (17 juin 2009)

 

 

Le mur murant nos esprits

rend nos esprits délirants

par  Gérard Coudougnan


Stonewall ? Trop américain pour moi, trop vieux aussi même si je suis né en 1962. Ma culture de la différence s'est construite avec Dominique Fernandez et Yves Navarre, le Gai pied des années Hocquenghem et Le Bitoux, avec quelques polars crypto-gays (Maurice Périsset) puis un éditeur (H&O), devenu ma (p)référence. J'ai lu dans Pulp Friction (déjà commenté ici) qu'une littérature où les gays sortaient de l'ombre était, aux USA, en ébullition avant les émeutes de Stonewall. L'école historique marxiste, oui, celle de la « lutte des classes », comme la Nouvelle Histoire de Braudel mettent en avant des mouvements de fond qui semblent donc avoir ici atteint leur paroxysme dans cette rue, devant ce bar, cette nuit-là mais qui ne pouvaient pas ne pas aboutir à un autre résultat, fût-ce ailleurs et sous une autre forme : il fallait que cela explose !

Au pays de Cambacérès (de Pétain et de Pierre Seel) nous avons connu un cheminement différent, à ne pas dissocier sans doute de la laïcisation de la société. Laïcité, terme intraduisible en arabe, ce qui promet sans doute à nos « frères » musulmans (en général : Iran, Indonésie et Afrique inclus) un combat encore plus rude dans des sociétés où la contestation la plus structurée se concrétise dans une volonté de retour aux temps idéaux d'un Prophète (la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui) du VIIe siècle…

Nous avons en occident des lieux où copuler tranquillement « entre nous » moyennant un droit d'entrée, certains quais, certains bois, certaines dunes offrent en plus le « piment » supplémentaire de l'illégalité. Ceux qui veulent se pacser peuvent signer un contrat minimal qui leur donnera le droit de jouer au couple installé, et, en cas de malheur, de vraies protections : merci à ceux qui se sont battus pour ce point de départ vers de nouvelles conquêtes juridiques et humaines, car il y a encore bien des murs à faire tomber.

Stonewall : le mur de pierre. Une chanson de Mecano (« Une femme avec une femme », excusez l'indigence de mes références) dit : « Avec mes pierres, elles construiraient leur forteresse ». J'ai construit les premiers contreforts de la mienne avec celles fournies par une famille catholique pour qui les pédés sont des malades dangereux, des exilés volontaires qui peuvent crever.

Mon mur de pierres s'est agrandi, renforcé et élargi aussi : il y avait de la place pour beaucoup d'amis et de personnes ouvertes, intéressantes. Mais il était toujours là. Il a commencé à vaciller en 2004 et depuis il est en ruine : mon Stonewall est tombé. Je suis handicaPÉDÉbutant : une maladie orpheline m'a rendu pendant deux années tétraplégique, incontinent, muet… J'ai survécu, accroché au seul espoir de recommencer ma route interrompue aux côtés de Bernard, qui ne m'a jamais lâché la main. Pédés de service dans les hôpitaux et centres de rééducation, c'était un nouveau rôle dans un nouveau monde, celui que personne n'ose regarder. Plus facile à assumer au milieu de fracassés de la vie qui ont compris que cela n'a pas vraiment d'importance… et que le pédé en question sait écouter sans juger, comprendre et être le confident de tonnes de détresses, sexuelles et sentimentales. Et avec les gays ? Les amis, les copains de partouzes ou de virées ont montré qu'ils étaient de vrais amis. Je reste un invalide, une PMR, personne à mobilité réduite, j'ai réappris à parler, à manger, à marchouiller avec d'affreuses orthèses, je continue à penser, à partager des idées. Je bande, je baise. Je ne suis plus coté sur le marché gay : handigay c'est un créneau infime, minorité dans la minorité. Aucun lieu de rencontre n'est prévu, les bars et les sex-clubs, les dunes et les fourrés sont inaccessibles à cause du mur de pierres que je trimballe avec moi. Il est aussi et surtout dans le regard des autres : quand on regardait mon mec poussant mon fauteuil avec un air attendri, j'aimais bien dynamiter cette insupportable pitié : « Il me pousse, vous trouvez ça mignon… Vous savez, il peut bien faire ça, depuis vingt ans qu'il me tire ! ». Eh oui, les personnes en fauteuil (souvent impuissants et incontinents), les sourds, les aveugles, les muets ont aussi une sexualité, une orientation sexuelle. La Suisse ouvre la première session de formation d'assistants sexuels, en France, on s'en… branle, quand on peut le faire.

Pour assumer ma différence, après avoir passé des mois à me demander « Pourquoi moi ? » c'est le silence à la bonne question, « Pourquoi PAS moi ? », qui m'avait permis de m'accepter tel quel. Avec une saloperie qui touche une personne sur un million, j'ai posé, dans le même ordre les deux questions : le résultat est moins évident.

Je ne suis pas aigri, juste un peu amer, j'écris sur http://www.handigay.com/ et http://www.handilove.com/. Ici je m'évade dans une Bibliothèque rose à laquelle je rêvais dans mon lit d'hôpital à air pulsé. Une référence romanesque ? Une seule : L'Or d'Alexandre d'Olivier Delorme, chez H&O, bien sûr...

Je voulais juste réagir, sans trop réfléchir, au sujet du mois, sans trop parler de moi, pour attirer l'attention sur des « invisibles » retranchés derrière un mur de pierres qu'ils ne pourront attaquer seuls. Quand vous croisez un mec ou une fille en fauteuil, vous êtes face à une personne : même si sa nuque et son esprit en ont marre de lever la tête vers vous, un vrai regard peut illuminer une journée, une conversation « à hauteur égale » (il suffit de s'accroupir) est un bon moment. Pas de pitié, juste du partage : il y a des murs faciles à abattre.

 

 

by  Lucian Durden

 

Lucian Durden a 34 ans. Il est membre fondateur des Écrivains mendiants de Paris. Ancien chef de la succursale des Flandres de l'École des tripes et amis du foie de veau. Publications dans le Bulletin de la société Jules Verge N° 45, 2ème trimestre. Il occupe les fonctions de directeur de la WithoutBooks Publishing en Pennsylvanie. Ah oui, il est aussi hétérosexuel. C’est notre quota légal dans l’équipe du blog Les Toiles Roses.

 

Daniel me demande si je veux écrire un billet sur « les droits des homosexuels en France ».

— Oui, pas de problème Daniel !

— Ah, Lucian, j’oubliais, ne te documente pas, fais-moi un article qui reflète ce que tu en sais et ce que tu en penses, là, maintenant, à cet instant

— D’accord Daniel…

 

Bien. Je suis devant l’écran de mon ordinateur, j’écoute Nick Cave et avale par lampées de cochon un Coca Light. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire ? Je ne sais rien, il me semble, sur les droits des homosexuels ; pis, cette question n’a jamais effleuré mon esprit, je crois que je m’en tape le coquillard, c’est plutôt triste à écrire, mais c’est vrai. Moi, ce qui m’a emmerdé, c’est qu’on m’interdise de griller mon clope devant ma bière tandis que je plongeais mon regard dans le bois patiné de quelques bars sordides, voilà un droit dont on m’a privé. Les homosexuels en auraient de plus consistants ? On leur a filé le PACS, parce qu’ils avaient la fâcheuse tendance de claquer du SIDA, ce qui laissait le copain pas encore mort sur le trottoir, sans la possibilité de revendiquer un quelconque héritage. Ok, voilà, je sais ça.

Ils ont le droit de se dandiner tous les ans comme des gazelles peinturlurées qui viendraient de se prendre une décharge de plombs de douze dans les fesses – Aïe Aïe Aïe ! – et sur des chars, en pleine rue… Si ce n’est pas l’accession à un droit fondamental ça !

Et puis les gosses, ils peuvent adopter non ? Non ? J’en sais foutre rien. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas se reproduire quand même ! Maintenant ils viennent quémander quelques gamins… Qu’on leur donne ! De toute façon, ce sont les restes…

Je ne vois rien d’autre. Je ne sais ce que légitimement ils peuvent réclamer qu’ils n’aient pas, parce que je ne suis pas homosexuel, parce que je ne suis confronté à aucun de leurs problèmes, parce que leurs voix se perdent dans le tumulte de mes préoccupations… Parce que je suis un hétéro ? Parce que je suis un connard égoïste ? Non, simplement parce que l’on ne s’intéresse au cancer que lorsque sa mère adorée en chope un, parce que l’on voit partout des voitures rouges dès qu’on en a une soi-même…

Faut que je trouve un homosexuel que ça emmerde de ne pas pouvoir fumer en vidant une bière dans un bar, nous aurons ça en commun…

 

TO BE CONTINUED…

 


(5.14)


Avertissement au lectorat : ce billet contient des propos homosexualophobes susceptibles de choquer les chochottes victimisées, les gens anormalement normaux et leurs voisins normalement anormaux qui ne se reconnaîtront pas dans la communauté artistique, ainsi que la communauté lesbienne dont les membres souffrent d’être des femmes dans un monde d’hommes et d’être comme des hommes dans un monde de femmes, mais aussi d’être une minorité de femmes qui aiment les femmes au sein d’une communauté où les hommes qui aiment les hommes sont majoritaires. 

 

 

Écrire sur commande, ce n’est pas mon truc. C’est le genre de choses qui flingue l’inspiration. Aussi, quand le patron m’a demandé d’écrire sur les émeutes de Stonewall, ai-je un peu regimbé. Après tout, en 1969, je n’étais pas né (mais lui, si !). Je ne peux donc parler de cette époque prézanzienne comme le ferait un témoin visuel, fouillant le tiroir de ses souvenirs dans l’armoire de fer de sa mémoire. Tel n’est pas le sujet. Le Boss veut que je dise ce que Stonewall m’a apporté, à moi. C’est là que je sèche comme un littéraire devant un devoir de maths.

Tout d’abord, la première génération qui a ressenti les effets de l’après Stonewall n’est pas la mienne. Partant du principe qu’une génération « sexuelle » est plus courte qu’une génération selon les statistiques traditionnelles, et dure, de mon point de vue, dix ans, je suis donc né deux générations plus loin. Dès lors, comment répondre à la question posée par le patron : « Qu’est-ce que Stonewall t’a apporté, en tant que gay » ?

Dois-je dire que, sans Stonewall, je vivrais dans un monde moins friendly pour ma condition d’homosexuel ? Je n’en ai pas la moindre idée. Au passage, je doute encore que ce monde soit très friendly, nous-mêmes ne sommes pas amicaux les uns envers les autres, n’est-ce pas Philippe ? Alors, imaginer ce que m’apporte Stonewall, mythe fondateur de la revendication LGBT, c’est imaginer le monde dans lequel je vivrais s’il n’avait jamais eu lieu. Vous me suivez ? Accrochez-vous, car ma pensée va zigzaguer avec la furie d’une Peugeot 306 conduite par Ray Charles sur un lac salé.

 

 

Avant Stonewall, il y avait des homosexuels, des bars, des bears, des hommes nus qui s’aiment au bord de piscines luxueuses ou dans l’intimité protectrice d’une chambre en ville ou d’un cottage à la campagne. Même du temps de la reine Victoria, époque veuvage. La « rigueur victorienne », c’est la rigidité des sexes en érection. Vous allez me dire : « Mais Oscar Wilde, blablabla… ». Oui, il y avait une loi interdisant l’homosexualité. Le tort d’Oscar Wilde ne fut pas d’être homosexuel mais d’avoir une liaison avec le fils d’un marquis pair d’Ecosse, descendant d’un fils illégitime du roi Charles II et cousin du très riche duc de Buccleuch et de Queensberry (1), plus grand propriétaire terrien du Royaume-Uni, donc assez puissant pour lui causer des problèmes. Quand on veut frayer avec les grands de ce monde, il vaut mieux s’assurer au préalable de leurs bonnes dispositions naturelles.

Je pense donc que si j’avais vécu avant Stonewall, on m’aurait aimé et accepté quand même, car je suis un artiste. Le commun des mortels nous tolère et nous respecte ainsi : différents, flamboyants, géniaux. Écrivains, poètes, peintres, etc. : les artistes ont le droit d’être les amants de leurs semblables et de ceux à qui ils consentent d’ouvrir les portes de leur monde fabuleux, celui du rêve, du fantasme, de la transgression de ce qui est tabou… au-delà du mur de pierres. L’artiste gay est la porte qui donne sur un monde qui se départit de la réalité et de sa triste et froide routine.

Je conviens que tout le monde n’a pas cette chance. Il existe, en plus grand nombre, sans doute, des gens normaux aspirant à une vie normale. Mais ils ont le tort d’aimer les gens du même sexe qu’eux, et c’est cela qui est troublant et gênant pour la majorité hétéronormée. Des gens normaux qui ont un comportement anormal et prétendent vivre comme des gens normaux, ce n’est pas normal (2). Au fond, chaque homosexuel, chaque lesbienne devrait être un artiste un peu givré dont les fêlures rythment la vie dans un désordre génial admiré de tous, applaudi par tous (3). Il ou elle ne devrait pas être votre facteur, la caissière du supermarché (4), le garçon de café, ou la secrétaire de direction (5) que la majorité hétéronormée côtoie tous les jours. Vous êtes homo ou lesbienne, je vous dénie le droit de vivre une vie aussi banale que la mienne. Alors, quand ils se retrouvent entre eux ou entre elles, dans ces bars à la limite de la clandestinité (je me situe à la fin des années 60), que peuvent-ils ou elles bien faire ? Font-ils, font-elles ce que nous faisons dans nos propres bars, ou osent-ils, osent-elles ce que nous n’osons pas ? C’est insoutenable, il faut organiser une descente de police…

Ai-je tout faux ? Vais-je m’attirer un feu furieux de critiques outrées et un concert de voix outragées m’assenant que je n’ai rien compris à la problématique générale de l’homosexualité et à la signification de Stonewall ? C’est possible et je m’en excuse. La raison est simple : jamais je n’ai revendiqué quoi ce soit, jamais je ne me suis proclamé gay et fier de l’être. Je suis un garçon qui a aimé des garçons, et qui en aime encore. Lorsque je suis entré dans mon premier bar arborant le drapeau arc-en-ciel, c’était comme si j’entrais dans un bar ordinaire. Des couples hétéros le fréquentaient aussi, attirés comme des papillons par la lumière festive de la clientèle joyeuse. Lorsque l’homosexualité fut dépénalisée en France, j’étais encore un enfant, ignorant des choses du sexe, de la politique et de l’actualité parlementaire. J’ai donc quelques bonnes excuses. En fait, je crois que j’ai grandi sans savoir, et me suis réveillé un beau matin dans un monde où tout – enfin presque – était acquis. Vous m’objecterez, avec raison, qu’il reste encore à conquérir l’égalité devant le mariage et le droit à l’adoption dont la majorité hétéronormée détient les droits exclusifs. Tous les murs de pierres qui se dressent devant le droit à la normalité dans ce qui n’est pas la norme majoritaire n’ont pas été abattus (6).

Un vent de liberté sexuelle et de révolte contre l’ordre établi soufflait à la fin des années 60 (toujours dans le monde occidental). Il y eut 1968, puis 1969, l’année érotique, Woodstock, et Stonewall. Tout ceci était dans l’air du temps et dans le sens de l’Histoire. Je n’ai pas envie de la réinventer, ni de me tourner vers le passé. Ma vie est bien trop compliquée pour que je m’offre le luxe de réfléchir au sens réel, ou caché, de cet anniversaire. Et je vous l’écris comme je le pense : même le temps d’après, c’était déjà le temps d’avant (7) ; même mes débuts déjà lointains dans la joyeuseté, c’était le temps d’avant aujourd’hui, avant demain.

La morale de cette histoire : si vous pensez que des murs de pierres se dressent devant vous, alors faites-en ce que bon vous semble. Vous pouvez les abattre, les contourner, sauter par-dessus, ou les peindre aux couleurs de votre vie et de vos amours. Vous n’avez de limites que celles que vous vous fixez, et non celles que le monde veut vous imposer.

 

 

Zanzi, le 6 mai 2009

 

(1) Feu la princesse Alice de Grande-Bretagne, duchesse de Gloucester (1901-2004), tante par alliance de la reine Elizabeth II, était la fille du 7e duc de Buccleuch et 9e duc de Queensberry. Son beau-frère, le duc de Kent (1902-1942), époux de la princesse Marina de Grèce (1906-1968), était notoirement homosexuel.

(2) Première phrase choc homosexualophobe. 

(3) Je ne fais référence qu’au monde occidental. Ne commencez pas à m’ennuyer avec les spécificités orientales, c’est déjà beau que je vous ponde un texte de trois pages.

(4) Sachant qu’il existe des factrices et des caissiers, les métiers sont unisexes, OK. Message aux chiennes de garde : inutile de m’aboyer dessus, ma caravane passe.

(5) Cf. (4).

(6) En relisant ma phrase, je ne la comprends pas très bien mais je crois que je suis le fil de ma pensée qui, je vous ai prévenu au paragraphe 3, zigzague.

(7) Non, je ne paraphrase ni Céline Dion ni Francis Cabrel.


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Dans l'ombre de
JANN HALEXANDER


Jann Halexander est un chanteur franco-gabonais. Il est également pianiste, acteur et producteur. Le chanteur Jann Halexander naît le 13 septembre 1982 à Libreville (Gabon, Afrique centrale). Ancien étudiant en géographie à Angers, dans le Maine-et-Loire, il prend un pseudonyme que lui inspire la personnalité de l'artiste sud-africaine Jane Alexander, dont les sculptures représentent des êtres hybrides. Il est issu d'un couple mixte — père gabonais, mère française — ce qui se fait ressentir au travers de ses créations. Pour découvrir son univers, Jann a accepté de rejoindre l'équipe du blog Les Toiles Roses avec cette chronique qui vous transportera loin dans l'imaginaire fécond et délicieux de ce grand artiste.


05. Après Stonewall, un devoir : témoigner et aider

 

© Cécile Quénum

 

 

Se livrer aux gens quand on est artiste comporte une part d'impudeur. Peut-être même de dandysme voire un mélange de mégalomanie et d'égocentrisme. L'adage de Pascal est formel et tombe comme un couperet : « le moi est haïssable ». Certes, mais à partir de quand le moi est-il haïssable ? Si c'est pour parler de ses dettes, ses problèmes d'érection ou de sa machine à laver qui déraille, je comprends que pour beaucoup ce n'est pas intéressant. En même temps, il est des millions de gens qui lisent Voici...

Un artiste a une image publique. Il est bon de le rappeler à celles et ceux qui se claquemurent derrière leur secrétaire, leur manager, leur attaché(e) de presse. Se créer son ghetto, forcément doré, est tentant... et stupide. C'est prendre les gens pour des cons.

J'ai accepté de discuter bisexualité avec Karine Lemarchand sur la 5 d'abord... parce que je la trouve très belle. Ensuite, je suis membre de l'association Bi’cause, ce n'est pas un secret. Et puis il s'agit de prendre la parole et un espace pour cela. Je n'ai rien à perdre, je n'ai rien à gagner (pour moi), par contre, je suis convaincu que je peux aider des gens. Moi-même jeune, j'aurais bien aimé voir des bisexuels « ordinaires » à la télé au lieu de voir des artistes glamours à paillettes surfant sur le pornochic et qui servaient de maigres références.


Lorsque j'ai participé à l'émission Zoom Afrique pour témoigner de la place des personnes non-hétérosexuelles sur le continent africain, on est venu me voir en disant : avez-vous vraiment besoin de ces émissions pour vous faire connaître ? Et puis on aimerait vous voir chanter à la télévision. C'est bien gentil mais la Chance aux Chansons de Pascal Sevran, qui avait le mérite d'exister et d'inviter les artistes issus de la Chanson à textes, c'est terminé et aucune émission n'a pris le relais. Ensuite Internet est devenu un média incontournable et la télévision passe pour un média dinosaure. Il faut rappeler aussi que la journaliste de l'émission était intègre puisqu'elle m'a présenté comme chanteur/réalisateur et cerise sur la gâteau montra la jaquette d'Occident à la fin de l'émission à la caméra. Je n'en demandais pas tant.


Pourquoi avoir participé à cette émission ?

Et bien simplement parce qu'il n'y avait personne d'autre. La journaliste cherchait des témoins de couleur aux origines africaines qui parlent à visage découvert. Charles Guebogo, sociologue camerounais dont j'avais géré un moment la promotion en France de son ouvrage La question homosexuelle en Afrique (chez l'Harmattan) aurait bien voulu participer mais il était bloqué au Cameroun et avait donné mon nom et mon téléphone à la journaliste. Pour qui j'étais un cadeau tombé du ciel, sinon l'émission ne se serait pas faite. Alors j'ai accepté. Le voyage était pris en charge, l'accueil était plus que correct, c'était une formidable expérience et l'émission était suivie. De plus j'en ai profité pour expliquer, tant bien que mal, qu'il était stupide d'opposer une Afrique misérable et arriérée à une Europe riche et ouverte, que les choses étaient bien plus complexes que ça. D'ailleurs après l'émission, la journaliste me confia, étonnée, qu'elle ne savait pas qu'il y avait des bars gays à Libreville, au Gabon (le Gabon est un des rares pays africains à avoir signé la charte de dépénalisation mondiale de l’homosexualité). Si j'ai pu apprendre au public certaines choses, tant mieux. Si je peux utiliser ma « force » pour parler à la place des autres, c'est très bien. Et ceux et celles qui ne sont pas contents et me le reprochent n'ont qu'à prendre ma place tout simplement.

TO BE CONTINUED...

 

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Pour en savoir plus sur Jann :

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Les photographies sont © D. R. Le texte est © Jann Halexander. Ils sont reproduits avec l'autorisation de Jann Halexander. Tous droits réservés.

 


chaudronpotter


JE SUIS UN HOMME

Papy Potter



Papy Potter est né en pleine folie hippie de parents qui ne l'étaient pas. Depuis lors, il vit au milieu de ses arbres avec son adorable pirate des trains, tout au bord d'un marais nommé « du ru d'amour ». À quelques kilomètres de là, s'étend une vaste forêt où il travaille. Dans le chaudron rose, comme il est devenu vieux (il a presque 40 ans) et que Moudulard a fermé ses portes depuis longtemps, il glose sur le lien sulfureux et amoureux liant les gays aux diverses spiritualités du monde.


 

1943 : je ne suis pas un homme. Personne, à Buchenwald, ne me considère comme tel. Je suis encore moins que les autres sur cette saleté d'échelle hiérarchique où on pose des triangles, voire des étoiles toutes en couleurs. Moi, je suis un triangle rose. Un jour, on lâchera les chiens sur moi et ils me dévoreront vivant. Mais peut-être qu'avant, on m'aura castré, trépané, opéré au cerveau. Quand la guerre sera finie, je serai un de ces oubliés de l'histoire. Ceux qui auront survécu se tairont, se cacheront, ou s'ils parlent, personne ne les écoutera. Ils auront subi des tortures innommables. Mais alors que d'autres ont le droit de le faire savoir, eux, ne le pourront pas. Ils resteront dans l'ombre, avec ce deuil impossible leur collant à la peau comme un troupeau de puces. Un deuil plus noir que tout car ils n'auront même pas le droit d'en pleurer. Et toi, joli gay du Marais, tu as lu le témoignage de mon ami Pierre Seel ? Non ? Alors, toi non plus tu n'es pas un homme. Tu as peur de regarder les choses en face ? Lis son bouquin, chéri. Ça fait partie des choses que tout pédé doit savoir.

 

1969 : je ne suis pas un homme. Je suis une pauvre tapette que les flics adorent tabasser quand ils descendent dans le bar où je drague. Mais à New York, c'est la révolution. Trois jours que les travelos gueulent leur colère dans la rue. Des types en cuir qui hurlent des choses du style : « Plus jamais on ne va la fermer. Vous allez nous entendre crier jusqu'au fond de vos tombes. » Je suis assis sous une porte cochère et je regarde cette foule de pédés déchainés. Demain, peut-être, plus aucun flic n'osera me frapper. Ça serait trop cool.

 

1998 : je ne suis pas un homme. Un homme, au moins, a le droit de se marier. À moi, on laisse le choix entre un mariage avec une femme et une sorte de sous-mariage auquel on n'a même pas donné de nom convenable. Le PACS, ça s'appelle. Et si je veux embrasser mon mec dans la rue, ou me promener avec lui, main dans la main, il vaut mieux que je soie une femme. Sinon, je prendrais sur la tronche. Tous les amours ne sont pas bons à afficher. Quand je vous dis que je ne suis pas un homme.

 

2008 : je ne suis pas un homme. Je vis en Belgique, ce pays merveilleux où les homos peuvent se marier et adopter des gosses. Mais j'habite un de ces petits coins de province où, si tout le monde sait que j'en suis, on préfère quand même que cela ne se sache pas trop. Et je ne peux toujours pas embrasser mon mec dans la rue. J'ai essayé, un jour. Et je me suis pris un coup de poing dans la gueule. Je n'ai pas porté plainte. Pourquoi ? Sans doute parce qu'au fond de moi, quelque chose me dit que je ne suis pas un homme et que ce coup de poing dans la gueule, je l'ai bien mérité.

 

2010 : je suis un homme. Parce qu'un homme, c'est un type qui a des droits. Les droits auquel il a droit. On m'a donné in extremis le droit de donner du sang. Avant, je ne pouvais pas. Mais il reste un poil qui gratte quand même. Mes amis cathos me disent que j'irai en enfer. Je leur réponds que le dieu auquel je crois m'a fait pédé. Parce qu'il faut des pédés dans le monde. Les pédés, c'est nécessaire à l'équilibre du monde. S'il y avait pas de pédés, le monde il irait mal. Et puis d'ailleurs, les religions les plus homophobes, elles sont monothéistes. Pourquoi ? Ben, parce qu'elles n'ont qu'un seul dieu et qu'elles veulent donc couper tout ce qui dépasse. Mais ça, hein, c'est mon opinion. Et j'ai le droit d'avoir une opinion parce que je suis un homme. Et parce que je suis un homme, j'ai le droit de dire qui je suis et ce en quoi je crois. La dernière des révolutions des homos, elle portera sur la spiritualité. Grâce à eux, les églises, derniers bastions de la haine, deviendront enfin des portes sur l'amour. Vas-y, chéri, dis-nous qui tu es et dis-nous qui tu aimes. Parce que c'est cela, être un homme.







AFTER STONEWALL (USA - 1999) :

Une chronique d'Isabelle B. Price, d'Univers-L
 


Fiche technique :

Avec Anita Bryant, Barney Frank, Harry Hay, Larry Kramer, Sheila James Kuehl et Harvey Milk. Réalisation : John Scagliotti. Scénario : John Scagliotti.

Durée : 88 mn. Disponible en VO et VOST anglaise.



Résumé :

Ce documentaire débute après la révolte du Stonewall Inn. Il aborde les droits et l'évolution de la représentation et de la visibilité gay et lesbienne depuis 1969 jusqu'à nos jours.



Avis personnel :

After Stonewall est un documentaire qui fait suite à Before Stonewall. Comme son prédécesseur, il est courageux et fort. Parfois avec humour, souvent avec tendresse et réserve, tout le temps avec pudeur et sensibilité, ce documentaire qui a tout d’un long métrage, expose les changements survenus après la révolte de Stonewall.

La parole est donnée aux gays comme aux lesbiennes. Les images d'archives et de films sont entrecoupées d'interviews de personnages plus ou moins célèbres, d'écrivains, activistes, producteurs, chanteurs ayant participé à la visibilité homosexuelle.



Ce documentaire est beaucoup plus émouvant et perturbant que son prédécesseur. Parce qu'il aborde la liberté sexuelle apparue après Stonewall. Il montre l'extraordinaire effervescence qui régnait à l'époque, cette prolifération d'écrits, de romans, de poèmes, de réunions, de manifestations. Puis survint la montée du fanatisme et de la religion avec cette Association Chrétienne « Save Your Children » (« Sauvons Nos Enfants », sous-entendu de l'homosexualité). Suivie de nombreux crimes homophobes.



Et il y a la terrible apparition du Sida. L'apparition du HIV est traitée dès les débuts. Qualifiée d'abord de cancer des gays, il fallut de nombreuses années avant de mesurer l'ampleur de la maladie. La polémique qui entoure le virus est traitée de manière incroyable parce qu'elle reprend les faits importants qui se sont déroulés. Le fait qu'elle soit d'abord apparue dans le milieu gay et que les pouvoirs publics l'aient sous-estimée. Le fait que la plupart des gens aient pensé qu'il s'agissait d'une punition pour un mode de vie alternatif. Rien ne nous est épargné. La souffrance des personnes interviewées n'en est que plus touchante et perturbante tout comme les combats d'Act-Up.



Puis le documentaire se termine sur l'homoparentalité qui est effleurée et surtout, le combat des homosexuels pour obtenir les mêmes droits que les hétéros. Mais l'optimisme prime avec la question du mariage gay et la visibilité gay dans les médias, les films et le sport. À la fin, l'homophobie et les crimes homophobes sont rappelés. C'est bouleversant.

Un documentaire réellement complet et bien construit donnant la parole à des personnes ayant participé à cette incroyable révolution. Une question persiste. Pourquoi n'a-t-on pas le même genre de documentaire en France ?



CRITIQUES PRESSE & RÉCOMPENSES :

Nommé aux GLAAD Media Awards en 2000 dans la Catégorie Meilleur Documentaire.

Vainqueur au Festival L.A. Outfest en 1999 dans la Catégorie Meilleur Documentaire pour John Scagliotti.

EXTRAITS :

DOROTHY ALLISON : « Le mouvement féminin a été le lieu où tout a changé. Je n'étais pas un monstre, je n'étais pas seule et j'avais la possibilité de prévenir les autres personnes de ce qui m'étais arrivé à moi. »

JEWELLE GOMEZ : « Il y avait une séparation distincte entre les lesbiennes de couleur et les lesbiennes blanches. »

« Je ne compte pas le nombre de funérailles auxquelles j'ai assisté. Je ne compte pas le nombre de mains que j'ai tenues avant que ces personnes ne meurent. »

 





Fiche technique :
Avec Guillermo Diaz, Frederick Weller, Brendan Corbalis, Duane Boutte, Bruce Mac Vittie, Dwight Ewell, Luis Guzman et Gabriel Mann. Réalisation : Nigel Finch. Scénario : Rikki Beadle-Blair & Nigel Finch. Images : Chris Seager. Montage : John Richard. Musique originale : Michael Kamen. Décor : Charles Ford.
Durée : 98 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :
1969 : le jeune Matty Dean (Frederick Weller) venant de son Middle-west natal débarque à New York où il espère pouvoir vivre son homosexualité de manière plus épanouissante que dans sa province. Dès son arrivée il rencontre, dans les jours qui précèdent les événements de Stonewall, deux hommes que tout oppose : La Miranda (Guillermo Diaz), une drag queen portoricaine flamboyante, et Ethan un activiste gay quelque peu coincé. Ces deux personnes vont devenir ses amants et changer sa vie.


L’avis de Bernard Alapetite :
Pour commencer, un peu d’histoire communautaire : à New York, dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, dans le cadre d’une vaste opération contre les bars liés à la mafia, la police fait une descente au Stonewall, 53 Christopher Street, dans le quartier de Greenwich village, un bar où les gays se rassemblent car ils ne sont pas acceptés dans les autres établissements. Pourtant, en 1966, les tribunaux new-yorkais ont reconnu aux homosexuels le droit de se rassembler dans des débits de boisson.
Le Stonewall comme bon nombre de bars est géré par la pègre locale, lointain héritage du temps de la prohibition. Son patron, Tony Lauria « Fat Tony », paie sa dîme aux « œuvres » de la police locale et reverse les recettes du soir au parrain de New York, Matty The Horse. Le Stonewall cible volontairement la clientèle gay, car elle est d’un bon rapport. Le bar accueille plusieurs centaines de personnes le week-end mais il ne possède pas de licence. Le patron est obligé de graisser la patte des officiers de police du 6e district pour ne pas voir son établissement fermer. Outre des gays et des travestis, sa clientèle comprend de nombreux émigrés clandestins, autant de raisons pour que les autorités s’y intéressent.


Dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, vers deux heures du matin, huit officiers du New York Police Department pénètrent dans le Stonewall. Ils effectuent un contrôle d’identité musclé de la clientèle, majoritairement afro-américaine et portoricaine, qui résiste. Ce raid était différent des interventions précédentes. Habituellement, les propriétaires étaient prévenus à l’avance par un informateur au sein même de la police qu’une descente aurait lieu. Ces « visites » avaient souvent lieu assez tôt dans la soirée pour permettre une réouverture rapide du bar.
Mais cette nuit-là, les policiers ferment l’établissement et jettent les clients un par un à la rue après avoir procédé au contrôle des identités. Deux cents jeunes gens sont expédiés sur le pavé. Au lieu de se disperser dans la nuit comme d’habitude, ils se massent sur les trottoirs aux alentours. Un barman, le portier, et trois travestis sont arrêtés et traînés vers un fourgon de police. Un petit groupe de travestis se lance à leur rescousse. La tension monte. Des bouteilles de bière et des briques volent en direction des policiers. L'histoire veut qu'un travesti, Sylvia Rivera, ait jeté la première bouteille sur les policiers. Les travestis, blacks, latinos, prostitués, étudiants, gays et lesbiennes du quartier sont rameutés. Ils contre-attaquent et disputent le terrain à une police en difficulté. Surpris, les policiers battent en retraite et, comble de l’ironie, se réfugient dans l’établissement. La foule, qui dépasse les 400 personnes, hurle des injures et tente d’enfoncer la porte du bar. Un manifestant essaie de mettre le feu à l’établissement, sans succès. Un parcmètre est arraché et vient coincer la porte du bar, bloquant plusieurs officiers à l’intérieur. La foule continue à grossir. Un feu de rue éclate. Treize personnes sont arrêtées et seront déférées devant la justice. Les renforts demandés sont accueillis par des jets de bouteilles. Des homosexuels prévenus qu’il se passe quelque chose au Stonewall arrivent de toute part. Au petit matin, la foule atteint 2 000 personnes. Elle lance des bouteilles et des pierres aux 400 policiers arrivés sur place. La police finit par envoyer la Tactical Patrol Force, une unité de police anti-émeute, alors habituée à lutter contre les opposants à la guerre du Vietnam. Ces hommes parviennent à disperser les manifestants.


Craig Rodwell, qui avait créé en 1967 dans la Christopher Street la première librairie d'auteurs gays au monde, la Oscar Wilde Memorial Bookshop, a ameuté la presse. Les journalistes assisteront à plusieurs jours de combats, qui se poursuivront dans la rue. En effet, si le 28 juin, l’émeute se calma, la foule revint les jours suivants. Le soir du 29, un groupe de 500 personnes descend Christopher Street en chantant des slogans pro-pédés. La police anti-émeute charge à la matraque avec une extrême violence et fait de nombreux blessés. Le 9 juillet a lieu le premier « Gay Power Meeting ». Au total, les échauffourées durèrent cinq jours, toutes les brimades dont les homosexuels avaient été victimes précédemment refaisant surface. Mais comme le dit un des personnages du film : « À chacun sa légende de Stonewall... »


Retour au calme : la dernière fois que je suis passé dans le Village, en avril 2006, la lumière du printemps irisait les trottoirs proprets de Christopher Street que bordaient de coquets commerces arborant presque tous sur leur vitrine le « rainbow flag ». L’Oscar Wilde bookshop qui a déménagé au n°15 de la rue offre, dans sa tortueuse caverne, toujours autant de trésors que naguère. Ce jour-là, les gardiennes du temple étaient deux charmantes et compétentes lesbiennes qui étaient en âge d’avoir connu les horions de la police dans cette même rue. Le quartier, tout en étant resté gay-friendly, n’a plus grand-chose à voir avec celui du temps des émeutes. Il s’est embourgeoisé et policé comme le reste de New York, aujourd’hui une des villes les plus sûres du monde depuis les actions de son maire Guiliani à la fin des années 90. Guiliani, encore un Républicain atypique (du Great Old Party), dirige la ville depuis 1994, alors qu’aux dernières élections présidentielles le candidat démocrate, John Kerry, a obtenu 74 % des voix.
Depuis, ces événements sont considérés comme l’acte fondateur de la libération des gays. Ils sont commémorés de par le monde, le dernier samedi de juin, le Christopher Street Day, par une gay pride.
Aujourd’hui, peu sont parmi ceux qui se trémoussent en suivant les chars de la gay pride parisienne savent que c’est l’anniversaire d’une révolte de gays quelque part dans le sud de Manhattan qu’ils honorent. Pourtant cette geste n’est pas complètement oubliée, même parmi ceux qui n’étaient pas encore nés alors, comme en témoigne cet extrait de l’excellent blog de Matoo : «  (…) Je sais que je suis un peu le seul à le penser (arf), il s’agit de la commémoration des événements de Stonewall de 1969. Et au-delà, j’y vois la célébration de l’activisme gay depuis 1968 en France. En se pavanant librement et fièrement sur le goudron, on rend finalement hommage à tous ces hommes et femmes qui ont lutté pour notre affranchissement. Et ce ne sont pas les « look hétéros » qui ont été les plus en verve, mais certainement les premiers à en bénéficier aujourd’hui. » ou encore ces phrases signées Conrad sur un site en déshérence depuis 2002 : « Si vous êtes de ceux qui regrettent la présence des travelos aux marches, souvenez-vous qu'ils ont ouvert la voie. Si vous regrettez qu'on ne voit qu'eux à la télé, souvenez-vous que les médias montrent ce qu'ils veulent, ils n'ont pas besoin de nous pour mentir. Le travail de tolérance et de respect doit se faire tous les jours et par tous, travestis ou non. Je ne suis pas out, au boulot. Mais j'admire la force de ces gens qui ont le courage de s'exposer au jugement d'autres gens qui ne les comprennent finalement pas. Je ne suis ni travesti, ni drag-queen et je n'en ai jamais connu d'assez près ni assez bien pour en parler, je pourrais écrire des pages entières à les idéaliser, mais à quoi bon ? Pensez ce que vous voulez, habillez-vous comme vous voulez, moi, le 1er juin 2002, je marche. »


En France, il faudra attendre le printemps 1971 pour que soit créé le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) et c’est seulement le 25 juin 1977 qu’eut lieu la première gay pride parisienne.
Le film, qui d’ailleurs devrait plutôt s’appeler Avant Stonewall car seulement les dix dernières minutes relatent en une remarquable synthèse l’émeute, présente habilement mais trop brièvement le contexte historique de cette période : celui international, la guerre du Vietnam mais aussi interne au mouvement gay. Celui-ci était alors représenté par la Mattachine Society qui est montrée ironiquement au travers des réunions auxquelles assistent Matty, le héros du film. Ce groupe œuvrait discrètement pour donner plus de droits aux gays. Le mouvement voulait que les homosexuels se fondent dans la société, s’intègrent et ne soit en rien discernables des hétérosexuels, un peu l’équivalent de ce qu’était en France Acady.
Il faut savoir que si l’intervention de la police a provoqué de telles réactions, c’est certes que Judy Garland venait de mourir mais que surtout cette descente de police inopinée était comme un retour aux années précédentes. En effet, la tendance était à la tolérance envers les gays depuis l’élection en 1965 à la mairie de New York de John Lindsay, un Républicain qui présentait un programme de réformes, et celle de Dick Leitsch comme président de la Mattachine Society à New York. La police diminua sensiblement ses descentes à partir de 1965. Petite précision, le Parti Républicain était bien différent de ce qu’il est aujourd’hui sous la présidence de Bush, en particulier à New York où il était alors dominé par deux libéraux : John Lindsay et Nelson Rockefeller.
Au moins depuis Alexandre Dumas et Walter Scott on sait que la fiction est le meilleur moyen pour immortaliser des jours que l’on veut fameux. Mais pour que le roman ou le cinéma fasse de beaux enfants à l’Histoire, faut-il encore que la fiction soit puissamment incarnée par des héros auxquels le lecteur ou le spectateur puissent s’identifier. C’est ce qu’a imparfaitement réussi Nigel Finch.

 

  


Le film démarre sur des témoignages, ce qui est une bonne idée qui malheureusement ensuite sera abandonnée, puis il nous entraîne très vite dans l’histoire de Matty qui débarque de sa lointaine province et qui tombe amoureux de la première personne qu’il rencontre, un joli travesti latino qui va lui servir de guide dans ce gay New York de 1969, où comme par hasard il va rencontrer immédiatement un échantillonnage de la communauté gay. La ficelle scénaristique est un peu grosse et par conséquent, on a bien du mal à s’identifier à Matty.
Le scénariste ne fait entrer véritablement le romanesque que dans la dernière demi-heure de son film, ce qui est beaucoup trop tard.

Stonewall hésite constamment entre le film militant et sociologique, la comédie romantique et le musical. Cette absence de choix déconcerte le spectateur, le réalisateur ne parvenant jamais à mêler harmonieusement les trois veines de son inspiration. Le choix d’inclure des interviews de témoins des événement était judicieux. Ce procédé a fait flores depuis. Les frontières entre fictions et documentaires tendent à se brouiller. Il était très novateur en 1996 et on ne peut que regretter que Finch ait abandonné cette tentative et ne soit pas allé au bout de son idée. Pas plus qu’il soit allé au bout de sa volonté de transformer ce film historique en musical, ce qui aurait encore plus dynamisé Stonewall dans lequel les morceaux chantés s’intègrent mal. On voit bien que le modèle est Torch Song Trilogy (1988) mais jamais Finch, comme le fait Fierstein, nous prend aux tripes avec son histoire d’amour entre le gay candide et le travesti romantique et blessé par la vie. Il ne parvient pas complètement non plus à mêler analyse sociologique et historique avec ses histoires d’amour. Les personnages sont trop archétypaux pour nous émouvoir. Ils sont cependant servis par des comédiens de grand talent.



On comprend bien que le réalisateur a voulu dépeindre les émeutes par le biais de la vie de ces quelques personnes mais cela manque terriblement de chair. En revanche, il est juste historiquement d’avoir donné le premier rôle à une drag-queen portoricaine car ce sont elles qui furent en première ligne face à la police. Comme de bien montrer l’implication de la mafia dans ce monde de la nuit ainsi que la corruption de la police.
Il est indéniable que le film est parcouru d’une énergie et d'une force de conviction qui ne se démentent jamais. Il ne tombe jamais non plus dans le glauque et le misérabilisme, bien que le film comporte quelques scènes dramatiques.
Il est paradoxal qu’un grand événement de l’histoire américaine, cette prise de la Bastille gay, comme le qualifie Edmund White, soit transposé au cinéma par un cinéaste britannique, tout comme l’un des épisodes du 11 septembre le fut par Paul Greengrass dans Vol 93.


Pour son premier film Nigel Finch s’est entouré de solides professionnels, ce qui n’empêche pas la flamboyance comme en témoigne la vie de son scénariste, Rikki Beadle-Blair (le créateur de l’incroyable série Metrosexuality), qui est un véritable roman. Il naît en 1962 à Bermondsey, au sud de Londres. Il est élevé par une mère célibataire, Monica Beadle, conseillère sociale et lesbienne. Originaire de Jamaïque, elle émigre à l’âge de 12 ans en Angleterre, où elle sera la première enfant noire dans son école à Peckham. À 16 ans, enceinte de Rikki, et alors que sa mère vient juste de mourir, elle est jetée à la rue par sa sœur. Rikki entre à l’école alternative de Bermondsey où les enfants étudient uniquement les matières qui les intéressent. Rikki se consacre exclusivement au cinéma et au théâtre. Il existe dans les actualités télévisées de la BBC un documentaire qui traite de Rikki enfant acteur à Bermondsey dans les années 70. À 17 ans, il donne des concerts a capella dans une librairie gay, The Word, dans le quartier de Londres de Bloomsbury. À la fois danseur, artiste de cabaret, musicien rock, acteur, chorégraphe, metteur en scène, scénariste, il parcourt le monde, danse et monte des shows dans des cabarets, présente une chorégraphie de strip-tease à... Bagdad. Il sera même assistant dans un spectacle de serpents. Il se fixe ensuite à Londres où il dirigera nombre de mises en scène en marge des circuits traditionnels. Il interprète Hamlet, mais son rôle préféré restera Blue, un punk junkie héroïnomane de Liverpool dans le film Sirens au début des années 90. Il obtient le prix du meilleur scénario pour celui de Stonewall. Ensuite, il se consacre essentiellement à l’écriture de scénarios pour la BBC, Radio 4 et Channel 4, de courts métrages et pièces radiophoniques dont il interprétera lui-même certaines. Il participe aussi à des projets en collaboration avec le Théâtre national de la jeunesse. En 1998, Rikki travaille avec le cinéaste David Squire pour Captivated, film à un seul rôle qu’il écrit et interprète, puis A Dog’s Life, un court métrage qui remporte de nombreux prix. L’année suivante il crée Metrosexuality (DVD édité par BQHL), une série en six épisodes pour Channel 4. Il est à la fois scénariste, metteur en scène, premier rôle et compose aussi la musique avec Mark Hawkes. En 2001, il adapte Take it Like a Man, une biographie de Boy George dirigée par Kfir Yefét pour la BBC.



Nigel Finch n’aura pas vu terminé son premier film pour le cinéma. Il meurt du sida avant qu’il soit complètement finalisé. Sa post-production est assurée par sa productrice, Christine Vachon. Cette dernière est une figure importante de la cinématographie gay. Elle a également produit entre autres : Poison, Swoon, Postcards From America, Go Fish, Safe, Kids, I Shot Andy Warhol,  Kiss Me, Guido. Auparavant Finch a été monteur et producteur de la série Arena pour la BBC 2. Arena lui valut cinq Oscars anglais de la télévision et de nombreuses citations internationales. Dans cette série, il réalisa des films sur l'hôtel Chelsea, le photographe Robert Mappelthorpe et une biographie en cinq parties des Rolling Stones. The Vampyr : A Soap Opera fut récompensé par le Prix Italia en 1993. Stonewall est donc son premier et dernier film pour le cinéma.
Chris Seager, le directeur de la photo est aussi, entre autres, celui de Beautiful Thing et d’Indian Summer (deux excellents films gays).
Le film a reçu le premier prix du Festival du film à Londres et le prix du public au Festival du film gay et lesbien de San Francisco.

Stonewall, que l’on doit considérer comme inachevé, est un hymne à la tolérance et au courage de s’affirmer. Malgré ses imperfections, c’est un spectacle agréable et surtout indispensable pour la connaissance de l’histoire de la communauté gay.
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