Fiche technique :
Avec Ana Cristina de Oliveira, Nuno Gil, Joao Carreira, Carloto Cotta et Teresa Madruga. Réalisé par Joao Pedro Rodrigues. Scénario : Joao Pedro Rodrigues et Paulo Rebelo. Directeur de la
photographie : Rui Poças.
Durée : 101 mn. Disponible en VO et VOST.
Résumé :
Odete travaille dans un hypermarché à Lisbonne. Elle rêve d'avoir un enfant avec Alberto, son fiancé, qui travaille dans le même hypermarché
comme vigile. Mais lorsque Odete lui fait part de son désir, Alberto prend la fuite. Le rêve d'Odete, restée seule, devient une obsession.
Pedro et Rui, deux jeunes garçons, s'embrassent devant un bar. Ensemble depuis un an, ils échangent bagues de fiançailles et promesses d'amour. Pedro rentre chez lui en voiture et Rui retourne au
bar où il travaille de nuit. Quelques pâtés de maisons plus loin, et quelques minutes plus tard, Pedro a un accident de voiture. Il meurt dans les bras de Rui, accouru pour le secourir. Désormais
Rui se sent perdu, sans espoir ni envie de vivre.
Mais l'amour de Pedro et Rui est éternel. Leur destin va étrangement croiser celui d'Odete, appelée par le fantôme de Pedro.
L’avis de Greg :
Lisbonne, de nos jours. Rui perd son amant, Pedro, victime d'un tragique accident de voiture. Odete, au lendemain d'une rupture amoureuse,
assiste par hasard aux funérailles de Pedro et se persuade qu'elle est enceinte du jeune homme décédé.
Le réalisateur d'O Fantasma, filme avec finesse une génération à contre courant. Les homos ne rêvent que de se stabiliser dans une vie de couple et les filles n'attendent qu'un
bébé même si elles ne sont pas prêtes à l'assumer. Ce double sujet, qui reflète l'avènement de nouveaux idéaux d'un point de vue largement novateur, est plutôt finement analysé. Le réalisme
inhabituel des premières minutes du film est, en effet, saisissant et criant de vérité ; il n'est en alors que plus décevant d'assister aux scènes suivantes, toutes poussives, redondantes et
creuses...
Si les deux thèmes principalement abordés sont douloureux et audacieux (le deuil de l'amour naissant de Rui pour Pedro et le transfert psychologique d'Odete pour cet impossible père), leur
traitement reste malheureusement très basique et peu fiable. Les situations et les relations tissées entre les deux protagonistes autour de ce même manque (Pedro) ne sont pas crédibles. Les
parallèles entre l'évolution psychologique de Rui et d'Odete sont maladroits (Rui s'en sort à peu près, Odete s'enfonce inexorablement...). Le scénario prend de plus en plus de tournants
hasardeux. L'histoire, qui s'étire alors interminablement, n'éveille plus aucun véritable intérêt chez le spectateur qui commence à s'ennuyer ferme, d'autant plus qu'il pressent qu'aucun
dénouement n'est envisagé.
L'image est certes magnifique et certains plans inoubliables (Odete, allongée sur la tombe de Pedro, entourée de bougies alors que la caméra prend son envol) mais le développement du sujet et son
message ne passent pas. Dommage.
L’avis de Sébastien Bénédict :
Demandez à un cinéphile quels sont ses films préférés : en bonne place parmi son panthéon intime, vous avez de grandes
chances d'y trouver Vertigo. Tout y est. Deux images finissent par se rejoindre dans l'intime tragédie d'un deuil impossible, deux femmes en une s'offrent à
l'amoureuse orchestration d'un metteur en scène fou d'amour.
Beaucoup ont vu là le lieu du cinéma, son point limite. Y retourner, c'est prendre un risque. En d'autres termes, soumettre l'image à l'épreuve
de la croyance. De la foi. Là où le mensonge nous parle autant que le vrai : l'image devient icône, génératrice de toutes les propagandes, de tous les désirs aussi, et sans doute, c'est
bien là que vient se dire l'amour fou. La vérité, s'il y en a une, n'est dès lors plus dans l'image mais dans celui qui la regarde. Elle s'efface dans la commotion, la déchirure qu'elle provoque,
devient ce trou par où il faut descendre pour peut-être n'en plus revenir.
Ce que fait Odete, l'héroïne du très beau second film de Joao Pedro Rodriguez : elle descend dans son amour perdu, dans le trou, s'effondre sur le cercueil d'un homme qu'elle n'a pas connu,
chargé de remplacer celui qui l'a quittée. Elle veut l'aimer mort, son homme, l'aimer à ce point qu'elle deviendra lui, remplaçante à son tour dans le cœur du véritable amant, laissé en marge de
son deuil pourtant réel par un deuil plus puissant encore, un deuil mensonger d'abord, non moins vrai pour finir : Odete ne s'illusionne pas, pourtant elle le fait exister, son amour hors normes,
elle y croit, s'engrosse même, dans son désir de mère, à vouloir de lui un enfant. Que l'homme qu'elle s'est par hasard choisi en aimait un autre importe peu. La disposition sexuelle
s'efface au profit de l'amour seul, un amour sans corps mais sûrement pas sans image.
C'est le secret des plus beaux mélos, lorsqu'ils vont bien au-delà du vraisemblable, lorsqu'ils se cognent au mythe ; pour ça, il faut oser. Mieux : encore une fois, il faut croire. Se
faisant, risquer le ridicule, s'y fondre et tenter par lui de toucher au sublime ; ça demande des efforts, il faut enjoindre le profane à entrer en religion, ni plus ni moins, une religion
inventée par et pour le film, une religion sans Dieu : ici, il n'y a rien derrière l'icône, rien derrière le visage de l'être aimé ; c'est l'icône seule que l'on adore, où l'on aime moins l'être
que son image, cette photo du jeune homme trop tôt disparu qui orne la pierre tombale, à laquelle Odete inlassablement rend hommage.
Imaginez qu'au plus fort de sa passion amoureuse, Scotty (James Stewart), décide de devenir Madeleine (Kim Novak), l'objet de son obsession. Odete, film moins
« pédé » que résolument transsexuel, voire hermaphrodite, est une transposition de Vertigo, qu'il déplace et prolonge ; où Scotty reste en
dehors, Odete choisi de se fondre dans l'image adorée. Sa figure est celle de la translation, d'un passage qui du corps fait son lieu, corps sans affectation sexuelle précise au fond, puisque les
deux sexes se valent, et ne touchent en rien à l'identité de chacun. Odete n'aura recours qu'au déguisement pour devenir celui qu'elle a choisi arbitrairement d'aimer : elle se coupe les cheveux,
revêt les habits du mort, sa bague de fiançailles volée sur le catafalque ; pour autant, elle reste femme, ce qui ne l'empêche nullement de devenir celui qu'elle veut. C'est le regard de l'autre,
le sien aussi bien, qui seul fait la transformation, amène la croyance à terme. Il est toujours bon de rappeler ce qui meut la croyance : le désir. Ce n'est pas le moindre mérite d'un film qui
pour finir vient faire un tour du côté des fantômes, lesquels regardent paisiblement ceux qui ont composé avec leur douleur et réappris à vivre.
L’avis de Clément Graminiès (Critikat)
:
En 2001, lorsque l’énigmatique O fantasma sort sur nos écrans, les réactions sont très contrastées. Entre fascination ou simple rejet,
ce premier long métrage d’un réalisateur portugais inconnu de tous s’offre une place de choix au panthéon des films gay. Conscient de l’attente que suscite son nouveau projet, Joao Pedro
Rodrigues a préféré se réfugier derrière ses références cinématographiques. Du coup, Odete ressemble davantage à un film d’étudiant prétentieux.
Drôle d’histoire que celle d’Odete. Rui (Nuno Gil) perd en deux minutes Pedro (Joao Carreira), le jeune garçon dont il est passionnément amoureux. Une des voisines du défunt, Odete (Ana
Cristina de Oliveira), laissée par un petit ami qui ne souhaitait pas lui faire d’enfant, est autant confrontée à l’insurmontable absence. Dans un élan de désespoir, la jeune femme va faire une
grossesse nerveuse et attribuer la paternité au petit ami décédé de Rui. Le jeune homme, perturbé par cette perte prématurée, rejette d’abord la jeune femme avant d’envisager que Pedro ait pu
trouver le moyen de se réincarner en Odete.
Sujet central du film, Odete est un personnage haut en couleur. Grande tige perchée sur ses patins à roulettes dans le centre commercial où elle travaille, elle semble constamment embarrassée de
ce corps presque masculin (jambes interminables, absence totale de rondeurs) et pourtant affublé de stéréotypes féminins (mini short, couleurs vives, crinière au vent). Si la jeune femme renvoie
son petit ami sous prétexte qu’il refuse de lui faire un enfant, elle vacille rapidement lorsqu’elle est confrontée, désormais malgré elle, à son absence, tout juste compensée par l’envoi d’un
SMS méprisant. Constamment agaçante dans ses moindres excès, elle parvient néanmoins à provoquer les attentions de Rui et de la mère de Pedro qui voit en l’enfant qu’elle porte l’espoir d’une
réincarnation de son fils défunt.
Mais en préambule de cette étrange confrontation, le réalisateur n’hésite pas à exploiter tous les possibles – mais s’encombre aussi des limites – du récit parallèle. Pendant de bien trop longues
scènes, les parcours respectifs de Rui et d’Odete ne s’entrecroisent jamais car le réalisateur se contente d’exploiter leur incapacité à faire un deuil pour tisser de pseudo liens entre ses
personnages. Surtout, bien loin de la structure fantasque et originale de O fantasma - passionnante quête sexuelle décousue d’un jeune éphèbe – Odete s’encombre d’un scénario
trop écrit, trop balisé et considérablement pollué de références cinématographiques peu opportunes qui contribuent essentiellement à transformer le projet en un ramassis de clichés. La scène où
Rui ressasse sa peine en pleurant à chaudes larmes devant la scène finale de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s) du grand Blake Edwards tient davantage du clin d’œil
cinéphilique que d’une réelle proposition scénaristique. Comme il ne suffit pas de faire apparaître des fleurs bleues ou de peindre les murs de la chambre d’Odete en rouge pour rendre hommage
avec pertinence aux grands mélodrames de Douglas Sirk, en l’occurrence Écrit sur du vent. D’autres cinéastes - Pedro Almodovar, Todd Haynes - ont rendu ces emprunts aux couleurs vives du
technicolor bien plus passionnants parce qu’ils épousaient une réelle proposition cinématographique.
Ici, Joan Pedro Rodrigues s’en prive littéralement. Les morts et les fantômes n’exercent aucune pression sur les vivants, tristement vidés de toute émotion. Seul constat qui peut susciter un
intérêt par opposition aux bluettes particulièrement mièvres (Et si c’était vrai... à tout hasard), la mort triomphe totalement de l’amour, même du film.
L’avis de Chori (Lieux communs) :
O Fantasma (qui signifie je le rappelle « le fantôme » et pas « le fantasme »), le premier film de ce jeune réalisateur, avait
déjà provoqué de vives discussions, et m'avait laissé sur un sentiment mitigé, de fascination troublée dirons-nous, (j'aime bien quand je trouve un réalisateur qui aime et sait filmer les hommes)
mais la radicalité et l'extrémisme de la dernière partie du film ne m'avaient pas permis d'adhérer totalement au propos, en tout cas d'en sortir
complètement satisfait.
Je dois reconnaître que c'est encore une fois le cas ici.
Il y a dans Odete deux trames narratives au départ hermétiquement disjointes : Rui, un jeune homosexuel vient de perdre son amant Pedro dans un accident d'automobile. Odete,
jeune fille en rollers dans un supermarché, désire maladivement avoir un enfant, mais, pas de chance, son amant (fort appétissant ma foi...) vient juste de s'enfuir, suite à une nouvelle scène de
ménage.
La nuit et le jour, le deuil et la naissance, le cimetière et la maternité, difficile de faire plus grand écart, et pourtant Joao Pedro Rodriguez va y parvenir, usant de toutes les ressources
d'un scénario tordu, tout cela fusionnant dans une scène ultime qui m'a – une fois de plus – légèrement mis mal à l'aise (plutôt comme maladresse que comme mal au
cœur).
Le réalisateur, c'est indéniable, prend plaisir à filmer les corps de ces jeunes gens nous gratifiant de quelques images délicieuses .Comme le baiser des deux amants en gros plan qui fait
l'ouverture du film, le pré-générique, scène infiniment plus sensuelle à mon goût que celle, quasi-identique pourtant – trouvez l'erreur ! – qui clôture quasiment le film, mais en beaucoup moins
fort.
Au couple du début (Rui et Pedro) qui n'en finit plus de se séparer en embrassades passionnées et en attentions exquises (je t'aime tu
m'aimes on s'aime etc) mais qui va être séparé illico par la force des choses va succéder le couple d'Odete et de son
délicieux ami-dont-j'ai-oublié-le-nom-mais-qui-vaut-vraiment-le-coup d'œil
Le film nous fournit un panorama quasi-exhaustif de la vie homo (le bar, le sauna, le parking, la boîte...), en suivant les pérégrinations plutôt nocturnes de Rui, dans ses tentatives successives
de faire son deuil. Ce jeune homme agit comme nous agirions tous en pareil cas, je pense, comme nous pourrions nous comporter dans cette
situation de douleur maximale, il agit dirons-nous normalement, alternant douleur et violence, souvenirs et regrets, larmes et coups, recherche
désespérée du plaisir et pulsions suicidaires...
Tandis que la demoiselle, l'Odete du titre, nous est présentée dès le début, comme un tantinet déséquilibrée. De par son métier, d'abord, (elle
est « patineuse » dans un supermarché) puis par son comportement dans les premières scènes (son obsession de la maternité, sa violence quand elle jette son petit ami tout nu sur le
palier, si si !), attitude qui ne va pas se « normaliser » au long du film, bien au contraire... Puisqu'elle oscille perpétuellement entre l'envie de vie (son bébé) et la fascination de
la mort (un de ses apports principaux à l'histoire pourrait d'ailleurs se résumer par « tout ce qu'on pourrait bien faire dans un
cimetière ») (oserais-je qualifier cette scène d’un tantinet exhibitionniste ? en tout cas j'en redemande...) qui vont être eux aussi séparés,
manu militari, d'un commun accord d'Odete. Et le film va continuer ces allers-et-retours entre l'univers de Rui et celui d'Odete.
C'est un rideau bleu soulevé par un coup de vent qui va servir de point d'intersection aux deux récits : Odete va s'immiscer (on ne sait pour quelle raison) dans la soirée de veillée mortuaire de
Pedro, puis à la cérémonie de l'enterrement, jusqu'à y revendiquer une place dont le spectateur en vient à se demander si c'est bien ou non la sienne. Dans une trame narrative au départ
« réaliste », Joao Pedro Rodriguez glisse quelques éléments qui pourraient s'apparenter au surnaturel : les rideaux bleus déjà évoqués, le doigt d'un mort qu'on suce pour lui voler sa
bague (hmm Bunuel aurait adoré...), un bouquet d'anthuriums, une tombe transformée en catafalque avec des bougies, un appel téléphonique
d'outre-tombe, une grossesse miraculeuse... mais qui à chaque fois peuvent aussi se justifier pragmatiquement.
Non seulement Odete va se déclarer enceinte de Pedro, mais elle va par cela mettre en route un processus irrévocable, une machinerie minutieuse dont le réalisateur va illustrer les différentes
étapes.
Chacune des rencontres entre Rui et Odete est comme un nouveau palier dans cet escalier de l'étrange (des mauvaises langues diraient « du n'importe
quoi », mais ce sont des mauvaises langues...) qui met le spectateur à chaque fois un peu plus en déséquilibre, sensible au vertige fictionnel qui fait trembloter l'édifice de la
narration. (comme d'un immeuble très haut on hésiterait à se pencher par la fenêtre.)
Pour en arriver, somme toute, à une conclusion du style « l'amour est plus fort que la mort », (oups ! d'ailleurs je viens de
m'apercevoir que c'est ce qui est écrit en accroche sur le bandeau du film) mais attention, relevée aux épices de Joao Pedro Rodrigues : un peu d'érotisme, un zeste de surnaturel, un poil
d'étrangeté, et un je-ne-sais-quoi de... (Comment dit-on too much en portugais ?)
PS :Tiens pour une fois, je trouve que l'affiche est très honnête : on pourrait dire que tout y
est.
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