Lundi 22 octobre
1
22
/10
/Oct
08:14
Photo : (c) D.R.
Julien tient le blog I Love Juju. Ses longs posts politiques ou sociétaux (au milieu d’innombrables potacheries queer d'un mauvais goût jubilatoire) sont, à chaque fois,
des claques. Approuvant à 100 % ses analyses, nous avons décidé de publier dans cette rubrique les plus dérangeants. Les 4 vérités de Juju, ce sont aussi celles de ce blog…
« Je pense que les folles font beaucoup de tort aux gays. »
De la bouche de la mamie du coin, cette phrase est vraiment horripilante, mais quand c’est votre meilleur
ami (lui-même pédé) qui la prononce, on est en droit de se poser des questions. Discours hétéro-normé ou véritable changement de mentalité ?
Mon attention avait été attirée il y a quelques mois par un buzz autour d’un site communautaire sur la plateforme gayattitude qui se
voulait résolument opposé à la Gay Pride. En consultant à nouveau la page d’accueil aujourd’hui, j’ai pu constater que le texte a été délayé, mais le cœur d’origine a néanmoins été
conservé :
parce que nous refusons d’employer une méthode créée et employée depuis des décennies, parce que nous
considérons qu’elle est désormais contre-productive, parce que nous considérons que la Gay Pride fait plus de mal que de bien aujourd’hui aux gays.
parce que nous réprouvons l’image que renvoient les médias de cette réunion, et donc
de nous, lors de ces journées, mais parce que nous ne pouvons pas blâmer les médias de ne faire que photographier ce qu’ils voient.
parce que nous considérons que toutes les images de folles braillardes et peinturlurées, de toutes ces
poufiasses habillées comme des putains de bas étage, de toutes ces morues vulgaires ne font que nuire à notre image. parce que nous pensons même qu’elles sont un danger, pour des jeunes
suicidaires qui se découvrent gays et qui ont peur de devenir comme ça.
parce que cette Gay Pride, loin de nous rendre notre fierté, nous fait HONTE, fait honte à nos amis et
n’aide personne à s’affirmer courageusement, aujourd’hui.
Je vous laisse le soin de l’explication de texte, en particulier sur le troisième paragraphe qui est bien
plus haineux qu’il n’est constructif, mais qui reste toutefois symptomatique de l’évolution de l’« homosexuel » dans l’inconscient collectif, homo ou pas. Le dernier Têtu y a d’ailleurs consacré un dossier autour du thème de la virilité, nous dirons « mâlitude », la présentant comme le graal ou tout du moins le
dernier chic. La folle vit-elle ses derniers instants ?
Chaque pédé qui vit dans un pays où les homosexuels ont un minimum de droits doit ces libertés à la folle.
La folle, par sa gestuelle, son expression, sa présence et son engagement qu’il soit associatif, politique ou médico-social, a contribué à une amélioration directe par son action (mais celle-ci
était également le fait de pédés non folles ou de gouines) mais également indirecte par sa visibilité. Montrer ce qui dérange, quitte à le faire avec une extravagance insupportable pour
certain(e)s, faire sortir du silence, du ghetto, afficher, affirmer, car le silence est ce qu’il y a de pire pour toute minorité (rappelons que la minorité homosexuelle est radicalement
différente des autres – ethniques – puisque l’identité ne se transmet pas à la naissance mais se définit au fil du temps).
Le recul de l’homophobie et l’acceptation croissante de l’homosexualité dans les sociétés occidentales ont
doucement commencé à éroder les bases sur lesquelles la folle s’était longtemps appuyée. Les ghettos se sont ouverts, les frontières sont devenues plus floues, les gaydars (à commencer par le
mien) accusent de sérieuses pannes ou des dysfonctionnements préoccupants. Qu’on le veuille ou pas, le pédé se normalise, au grand dam des homophobes latents qui regrettent les homosexuels avec
panache, ceux qui flambaient et claquaient à 37 ans 1/2 d’une overdose ou du SIDA (snif snif et bon débarras), rejoint un archétype masculin plus vraiment viril à l’ancienne, mais toutefois en
reconquête d’une virilité perdue (vraiment ?). Combien de profils sur le Web affichent « folles s’abstenir » ? Combien de pédés (de mon entourage d’ailleurs) crachent volontiers sur
ceux qu’ils jugent un peu trop efféminés, maniérés ou staïlés à leur goût, oubliant au passage qu’ils reproduisent par leur jugement ou leur action un schéma de discrimination dont ils ont été,
consciemment ou pas, probablement eux-mêmes victimes ? Tout cela sans se rendre compte qu’ils détruisent progressivement les libertés qui existaient à l’intérieur de la communauté (en substance
du moins, le langue-de-putage ne date pas d’hier non plus), conscients qu’ils sont du cadre plus large dont ils disposent (PACS, droits, voire adoption et mariage dans les pays totalement
civilisés) tout en oubliant que ce cadre n’est dû qu’à l’existence préalable de ce qu’ils sont en train de dépecer méthodiquement à grands coups d’arguments rétrogrades et de virages idéologiques
à droite.
Que les choses soient claires. Pour l’homophobe de base, tous les pédés sont des folles, peu importe qu’ils
roulent du cul ou soient des bears confirmés. Ce n’est pas une question d’apparence mais de sexualité.
L’argument de la discrétion souvent évoqué n’est qu’un cache-misère, une façon de jeter un voile de pudeur sur un sujet qu’on ne préfère pas aborder, parquer les pédés derrière les murs de leur
appartement comme on délocalise les vieux vers des mouroirs pudiquement appelés « maisons de retraite ». N’oublions pas que la dernière fois que la droite dure était dans la rue, elle
gueulait « les pédés au bûcher !” (on a même entendu « camp de concentration », mp3 dispo chez Freaky) et que même si ses idées ne
sont pas reprises par une large majorité, je reste néanmoins sceptique quant à leur recul.
Pour le reste, et surtout pour les pédés, le concept de folle est souvent totalement arbitraire. En général,
est folle celui qui est plus maniéré que soi, souvent avec des critères d’analyses totalement subjectifs et sans aucun fondement. La folle fait peur, car elle appelle à une reflexion identitaire
à laquelle la plupart ne veulent plus se confronter. La virilité rassure, forcément, ça fait 2 000 ans qu’elle est au menu sous diverses formes, c’est dans les vieux pots… Son retour comme une
forme de contre-identité montre la fissure dans le tissu identitaire homosexuel, une volonté de reléguer la sexualité au second plan en affirmant qu’elle n’est qu’accessoire dans la définition
individuelle, que le genre originel reprend le dessus sur l’orientation, argument auquel je persiste à opposer qu’il n’a ni queue ni tête puisque la définition se fait bien plus dans le rapport à
l’autre ou aux autres qu’à soi-même. Et dans ce rapport, l’orientation sexuelle reste un critère – conscient ou inconscient – déterminant, vous n’êtes pas convaincu ? Regardez le comportement de
votre meilleure amie avec un mec hétéro et avec un homo, rien de discriminant en soi, mais une prise en compte de la sexualité de l’autre dans le rapport qu’on a avec lui.
Certains veulent le retour à une forme de « normalité » perçue comme un argument rassurant. C’est
une confusion profonde à mon sens, la virilité affichée comme un mode de séduction est un art, celle qu’on brandit comme un contre-pouvoir aux autres formes de développement de l’individu (et je
pense au-delà des pédés aux trans, aux androgynes, etc…) ou comme une nécessité pour l’homme relève du conservatisme ambiant qui va en se renforçant, car elle masque ce que beaucoup ne souhaitent
pas voir. Ce n’est pas la folle qui fait du mal aux gays, c’est le fait que les voix s’accordent pour dire qu’on en a « fait assez » et que la « cause » homosexuelle n’est
plus une priorité !
Commentaires