Fiche technique :
Avec: Nouraddin Orahhou (Kamel Raoui), Lubna Azabal (Touria), Hicham Moussoune (Pipo), Noor (Yasmine), Mohamed Majd (Le commissaire), Hammadi Tounsi (Driss Tahiri), Faycal Boughrine (Bougemza), Leila Allouch (Ramses), Anouar Mohammed Alami (Hakim Tahiri), Abdeslam Akaaboune (Damoussi). Réalisation : Nabil Ayouch. Scénario : Malika Al Houbach et Nabil Ayouch. Adaptation & dialogues en arabe : Zoubeir Benbouchta. Images : Joël David. Montage : Vanessa Zambernardi. Musique : Natacha Atlas, Hamid El Shari, Madioko et Bassim Yazbek.
Durée : 98 mn. Difficilement trouvable en DVD.
Résumé :
Kamel Raoui, un jeune inspecteur de police, est chargé d'enquêter sur la mort d'Hakim Tahiri, un important trafiquant de drogue, assassiné dans sa villa tangéroise. La première suspecte est son employée et maîtresse : Touria, une jeune femme qui vit sur les lieux du crime avec son petit frère, Pipo. Alors que Touria est placée en garde à vue, Kamel recueille chez lui Pipo avec qui se tisse une complicité très forte.
Par la force des choses, la jeune femme est amenée à les rejoindre. En observant Touria, Kamel comprend peu à peu l'amour qu'elle porte à son jeune frère, gravement malade, et ce qu'elle a fait pour lui permettre de vivre. Touria est aussi un témoin capital, suspectée de meurtre, dans l'enquête que Kamel mène sur la mort de Tahiri.
Il démêle pourtant, grâce à elle, tous les noeuds de l'enquête, ce qui le mènera à démanteler un important réseau de trafic de drogue. Au-delà des circonstances qui ont réuni Kamel et Touria, c'est aussi une histoire d'amour qui les surprend, révélatrice et tragique.
L’avis d’Olivier Barlet :
Puisant dans les ficelles des films d'action américains, Nabil Ayouch fait un cinéma efficace. Son troisième long métrage en use et en abuse, avec systématisme : musique à coups de poing pour soutenir un montage serré de flashs, décomposition des mouvements en arrêts sur image, steadycam mouvant pour filmer les déplacements, incrustations d'images pour illustrer les idées qui s'imposent, effets de flou sur les paysages dans les scènes d'intérieur-voiture, cadrages coca-cola, traits de lumière dans la pénombre… Kamel est un vrai flic, on le reconnaît : on l'a vu déjà mille fois, ce flic sombre et renfermé, qui ne montre pas ses sentiments, qui habite une chambre austère et n'a pour toute relation qu'un travesti au grand cœur… Au hasard d'une enquête débarquera dans sa vie une jolie femme et un enfant malade– et son cœur s'ouvrira.
Pourtant, c'est bien là que ce film aux effets si agaçants trouve un nouveau rythme. Au point que même lorsque sa voiture se met à flotter dans le ciel comme dans Mary Popins, la poétique fonctionne. Sans doute parce que le gamin est interprété par Hicham Moussoune, un des enfants du précédent film d'Ayouch, Ali Zaoua, qui conserve tout son naturel. Sans doute aussi parce que les scènes qui renoncent aux appâts faciles trouvent une juste épaisseur, picturales sans esthétisme, où gestes, regards et positions suffisent à suggérer sans lourdeur. Sans doute surtout parce que la connivence qui s'installe entre tous ces paumés renforce l'ubiquité du film, cette ambiguïté sans cesse attisée entre le sentiment et l'intérêt, la générosité et la manipulation. Le double jeu du flic fait écho aux ambivalences de cette femme qu'il peine à reconnaître coupable de meurtre, à la nature des relations sexuelles évoquées ou montrées, à la présence du travesti, aux suspicions de tous styles. Personne n'est vraiment clair et on ne sait à quel saint se vouer. Comment ne pas y voir un écho du Maroc de Mohammed VI où chacun se demande ce qu'on peut croire et pour combien de temps ?
L’avis de Bladi :
Avec ce polar qui ose s'interroger sur l'identité sexuelle, le Marocain Nabil Ayouch transgresse plusieurs tabous – au point d'avoir été diabolisé par ses compatriotes. Il faut dire que l'image du policier que renvoie le cinéaste n'est guère conforme aux normes de la société marocaine : Kamel a pour « meilleur ami » un travesti, tombe amoureux d'une femme – Touria – qui se comporte comme un homme... Le film met en lumière quelques questionnements essentiels sur la sexualité, qui bousculent l'hypocrisie d'une société muselée. D'une beauté étrange, Une minute de soleil en moins a bénéficié d'un travail exceptionnel sur la photo et d'une bande son magnifique. Quant à l'actrice Lubna Azabal, elle est inoubliable.
Nabil Ayouche a préféré retirer son film Une minute de soleil en moins du festival international du film de Marakech, pour « échapper » aux foudres de la censure qui visait une scène « osée ». C’est en effet la commission de contrôle marocaine qui a suggéré au cinéaste de couper dix à quinze secondes du film. Le réalisateur avoue sa surprise quant à la demande alors qu’une grande majorité des films sont étrangers. Le nombre de films marocains étant déjà réduit, faut-il encore les censurer ? Malgré tout, Nabil Ayouche qui définit son scénario comme un mélange, histoire d’amour et policier, est prêt à entendre les remarques de la commission et à discuter d’un possible découpage de quelques secondes.
Nabil Ayouch :
Né le 1er avril 1969 à Paris, Nabil Ayouch passe une partie de sa jeunesse à Sarcelles dans un milieu qu'il définit comme « plutôt modeste ». Très tôt, son père marocain laisse périodiquement sa mère, enseignante française, pour créer à Casablanca, d'une part, une agence de publicité qui deviendra l’une des plus prospères du Royaume et, d'autre part, la Fondation Zakoura, une banque sur le modèle de la Grameen Bank du Bangladesh qui prête aux plus démunis à des taux d'intérêt très bas.
Après trois années de cours de théâtre à Paris (1987-1990), en compagnie de Sarah Boréo et Michel Granvale, il effectue ses débuts comme auteur-metteur en scène, et se lance dans la publicité au poste de concepteur-rédacteur chez Euro-RSCG, expérience qu'il considère aujourd'hui comme « une bonne plate-forme d'observation pour comprendre comment marche un tournage ». Parallèlement à cela, le jeune Nabil Ayouch entre en cinéma, non par les écoles, mais par la voie des stages « à peu près à tous les postes » (les citations sont extraites d’une interview publiée dans le journal Le Monde, du 21 mars 2001).
Saisi par la passion, il décide de s'orienter vers la réalisation, ce qui lui permet d'amorcer une réconciliation avec sa seconde culture marocaine. Il navigue alors d'un bord à l'autre de la Méditerranée, plongeant « d'une culture, d'un monde à l'autre, d'un milieu social à l'autre » pour les besoins de multiples projets. En 1992, il réalise Les Pierres bleues du désert, un premier court métrage avec Jamel Debbouze qui raconte l'histoire d'un jeune homme convaincu qu'il existe de grandes pierres bleues dans le désert. Hommage émouvant aux esprits en quête de vérité, ce petit film simple et poétique annonce déjà Ali Zaoua. Puis, il tourne deux autres courts métrages, Hertzienne Connexion (1993) et Vendeur de silence (1994) pour lesquels il reçoit de nombreux prix internationaux très prometteurs.
Toutefois, la relation avec ses pairs marocains n'aura pas toujours été aisée. « Nous récoltons les fruits de leur courage et de leur labeur. Évidemment, ils ont été un peu surpris, même agacés, quand ils ont vu débarquer au 4e Festival national du film marocain à Tanger, en 1995, une bande de jeunes cinéastes de la diaspora. Ce fut comme un raz-de-marée, la pierre angulaire du jeune cinéma marocain bénéficiant de ses contacts dans les pays développés et des facilités accordées par le Maroc ».
Néanmoins, pour éviter l'enfermement, Nabil Ayouch s'oppose à l'idée de créer une association de réalisateurs quand les cinéastes de la diaspora le lui proposent : « Nous avons la chance d'être dans un pays où le cinéma commence à naître après celui de nos voisins africains. Nous devons donc nous solidariser avec les cinéastes installés au Maroc et fonder une association nous réunissant tous. » Estimant que les défis à relever se situent au Maroc et non en Europe, Nabil Ayouch crée alors sa propre maison de production à Casablanca (Ali N'Productions) afin de découvrir de nouveaux talents locaux.
C'est avec une certaine liberté de ton, probablement due à sa double culture qu'en 1997, il met en scène Mektoub, un premier long métrage en forme de “road-movie” policier qui évoque sans complaisance certains sujets tabous de la société marocaine comme la corruption, l'abus de pouvoir, les inégalités, le cannabis... Le film fait exploser le box-office marocain avec plus de 350 000 spectateurs et remporte un succès d'estime en France. L'histoire s'inspire du scandale de l'affaire Tabet, un fait divers retentissant qui a mis à jour un trafic de cassettes pornographiques organisé par le commissaire de police Tabet et impliquant de nombreux hauts fonctionnaires.
En 2002, Nabil Ayouch tourne Une minute de soleil en moins, un téléfilm sur le thème de la parité, qui se déroule à Tanger, pour le compte de la collection “Masculin/Féminin” d'Arte.
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