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FILMS : Les Toiles Roses

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Fiche technique :

Une pièce de Douglas Carter Beane, adaptée par Jean-Marie Besset. Une mise en scène de Jean-Luc Revol.
Avec Raphaëline Goupilleau, Julie Debazac, Edouard Collin, Arnaud Binard...
Décors : Sophie Jacob. Costumes : Aurore Popineau. Lumières : Bertrand Couderc.
Théâtre Tristan-Bernard • 64, rue du Rocher • 75008 Paris
Réservations : 01 45 22 08 40
À partir du 22 janvier 2008, du mardi au samedi à 21 h et samedi à 18 h
De 20 € à 34 €, mercredi 15 € à 28 €

Voir la page MySpace de la pièce et de nombreux slides : cliquez ici.
 

IMG_2087L'avis de Bernard Alapetite :
Quand je me suis précipité pour acheter un billet pour l’une des premières représentations de la pièce Une Souris verte de Douglas Carter Beane, dont le titre anglais est The Little Dog Laughed, je ne savais rien de celle-ci sinon que son metteur en scène était Jean-Luc Révol dont les deux derniers spectacles, Le Cabaret des hommes perdus et Vincent River restent parmi les plus belles soirées de théâtre de ma vie, que son adaptateur était Jean-Marie Besset, un des plus intéressants dramaturges français contemporains, qu’on se souvienne des Grecs et le meilleur adaptateur sur la place de Paris du théâtre américain d’aujourd’hui sans oublier que l’acteur principal était Edouard Collin, le plus sexy des jeunes acteurs français du moment qui m’avait d’abord conquis par son talent, au cinéma dans Crustacés et coquillages de Ducastel et Martineau (le comédien vient de nouveau de tourner avec le duo, cette fois pour la télévision dans Né en 68 qui sera diffusé sur Arte à l’automne 2008 dans lequel il joue un garçon qui découvre à 22 ans qu’il est séropositif) et au théâtre dans Cœur sauvage. Je n’ai pas été déçu car ces trois talents (et les autres) conjugués nous offrent une belle soirée de théâtre, drôle et intelligente.
La pièce nous fait pénétrer dans les coulisses du cinéma hollywoodien. Elle explore la fascination que nous avons tous envers la sexualité des célébrités. Diane est une femme de caractère, du mauvais côté de la quarantaine, agent du jeune premier qui monte. Elle est venue de Los Angeles à New York pour chaperonner Mitchell, son acteur vedette lors de la réception du prix du meilleur acteur décerné par la critique cinématographique. Il faut dire que son protégé a une forte tendance à l’homosexualité et à la consommation immodérée de vodka, autant de penchants qu’elle se doit de dissimuler pour le bien de la carrière de son poulain et de leurs comptes en banque respectifs. Elle essaye de persuader Mitchell qu’à Hollywood, pour arriver en haut de l’affiche, il faut aussi occuper le terrain médiatique. Pour qu’on parle de vous quand on est un jeune acteur en pleine ascension, quoi de plus efficace pour cela qu’une belle histoire d’amour - si possible avec une femme ? Mais Mitchell ne voit pas complètement sa vie comme ça. La star fait venir dans sa chambre d’hôtel un gigolo, Alex (Edouard Collin) dont il va tomber amoureux. Ce qui va le mettre face à son homosexualité qu’il n’assume pas. Pour compliquer le tout, Alex est affublé d’une petite amie aussi mignonne que collante (Julie Debazac) qui, à son tour, s’entiche de l’acteur. Ce dernier se voit proposer un rôle d’homosexuel dans l’adaptation d’une pièce à succès écrite par un auteur ombrageux.
Le star système est dépeint avec dérision et humour dans cette comédie décapante où les apparences tiennent lieu de vérité.

 

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La mise en scène de Révol est astucieuse et précise. Elle est à la fois très théâtrale et cinématographique. Pour ce faire, Révol utilise deux mécaniques qu’il manie avec habileté : un plateau tournant permettant de faire apparaître la chambre de Mitchell, principalement le lit, lieu des coupables ébats, que l’on imagine délicieux, et un placard qui de temps à autre expectore tout à coup Eve, tantôt au téléphone accoudée à un minuscule bureau, tantôt sur le trône... des toilettes. On peut seulement regretter que le décor de la chambre de l’acteur soit un peu cheap, plus conforme à celui d’un deux étoiles new-yorkais qu’à une suite où descendrait un acteur connu.
On ne cesse de rire tant les répliques sonnent juste et font mouche sans que l’on sache si on les doit à Besset ou à l’auteur américain (mais on peut aisément le vérifier puisque le texte américain est publié en librairie, contrairement malheureusement au texte français). Le portrait de cet acteur dans le placard sous la domination de son agent est plus vrai que nature et bien des noms américains et français viennent à l’esprit... Mais contrairement à un confrère américain, voir ci-dessous, dont l'avocat, à la différence du mien, ne doit pas être surmené, je n'en tire pas des conclusions peut-être trop hâtives...

 

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Les rires sont surtout provoqués par les réflexions cyniques sur le cinéma et sa faune, de Diane jouée avec un abattage formidable par Raphaëline Goupilleau. Les quatre comédiens sont parfaits. Les garçons n’hésitent pas à montrer tout d’eux même. On voit ainsi le corps d’apollon de Grégoire Collin, nu dans son intégralité (de dos seulement) mais il passe la moitié de la pièce en slip, scènes dévoilant des formes prometteuses...
Le “costume” récurrent d’Edouard Collin nous vaut cette succulente réplique de Diane : « Alex, c’est la première fois que je ne vous vois pas nu, les habits vous vont très bien, le t-shirt est votre couleur ! »
Raphaëline Goupilleau balance son texte d’une voix que l'on croirait sorti d'un Tex Avery et qui nécessite un petit moment d’adaptation, à un rythme de mitrailleuse qui jamais ne s’enraye. Il faut souligner la bonne diction des quatre comédiens, ce qui permet au spectateur de savourer les spirituelles répliques, en un temps où souvent les acteurs ont tendance à parler dans leur barbe ou leur giron et à bouler leur texte.
Même si ce n’est pas mon jardin, je ne voudrais pas omettre de souligner que la moitié féminine de la distribution est aussi fort agréable à regarder. Restons sur les corps, il est de bon ton en France de dénigrer la plastique de nos comédiens, en parant les acteurs américains de tous les avantages. Et ceci le plus souvent sans avoir approfondi la question et encore moins traversé l’Atlantique. Pourtant, dans le cas présent, il suffit de comparer la photo de scène de la représentation américaine de la pièce off Broadway, voir ci-dessous, avec les acteurs français pour se rendre à l’évidence que l’avantage esthétique est largement au bénéfice des français.

 
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A Broadway

 

 
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A Paris

 

 

Il est dommage qu’il n’y ait pas de programme, pas plus que d’extraits ou de photos en ligne d'Une Souris verte. Le soir où j’ai assisté au spectacle, une caméra qui semblait égarée, filmait. Il est à souhaiter qu’une captation soit réalisée. Ce qui augmenterait le nombre de personnes ayant accès à ce réjouissant spectacle.   
Petite incise, Edouard Collin est un cas presque unique. Il est plus beau en réalité que sur ses photos ! Je peux en témoigner : d’abord parce que j’ai pu l’admirer du deuxième rang de l’orchestre du théâtre Tristan Bernard et ensuite pour l’avoir rencontré en privé. Il serait encore mieux (si si c’est tout de même possible) s’il faisait un peu plus pétiller ses yeux et s’il troquait son teint un peu grisâtre contre une meilleure mine, pour cela il devrait peut-être se laisser plus caresser par le soleil et abandonner la cigarette. Mais peut-être aussi que ce teint est causé par l’éclairage que je n’ai pas trouvé au top durant toute la représentation.
Je me permets de lui faire encore une suggestion au vu de ses photos, en particulier celles du magazine Têtu de février 2008, tout de même assez moches, celle de confier ses courbes affolantes à de meilleurs photographes ; quelques noms me viennent spontanément à l’esprit, Pierre et Gilles, Jean-Philippe Guillemain , Vincent Flouret... (liste en rien limitative).
On peut aussi vérifier que Arnaud  Binard est crédible en vedette de cinéma américain autant par son jeu que par son corps...

 

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Jouissive pour tous, Une Souris verte offre néanmoins une plus value pour ceux qui connaissent le milieu du show bizz tant la charge de Douglas Carter Beane tombe juste. Les audacieux, qui se sont frottés à cette faune, auront tous rencontré des agents ressemblant à Diane, des acteurs comme Mitchell et des... “assistants” tel Alex ou encore des auteurs semblables à celui dont il est question dans la pièce. Il faut dire que l’auteur est autant un familier d’Hollywood que de Broadway.
Il faut aussi louer Jean-Marie Besset pour avoir fait passer par des répliques drôles et acerbes toute l’ironie condescendante qui existe à New York envers Los Angeles.
Comme vous l’avez compris, vous pouvez aller les yeux fermés voir Une Souris verte, cependant rouvrez-les à proximité du théâtre Tristan Bernard car la rue du Rocher mérite votre attention en particulier un bâtiment, “la cours du rocher”, presque en face de ce beau théâtre.

 

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Le rire et la sensualité (aaaah quand les deux acteurs sont nus dans leur lit...) n’empêchent pas l’émotion qu’Arnaud Binard et Edouard Collin savent faire naître pour nous toucher devant leur amour impossible.
Un autre point de vue très intéressant ici

 
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Fiche technique :

Avec Kwoo-seong Kam, Jin-yeong Jeong, Seong-Yeon Kang, Jun-gi Lee, Hang-Seon Jang, Hae-jin Yu, Jeong Seok-yong et Seung-hun Lee. Réalisation : Lee Jun-ik. Scénario : Seok-Hwan Choi, d’après l’oeuvre de Tae-woong Kim. Image :  Gil-woong Ji. Montage : Jae-beom Kim & Sang-Beom Kim. Son : Tae-young Choi. Musique : Byung-woo Lee.
Durée : 119 mn. Actuellement en salles en VO et VOST.



Résumé :
Le clown Jang-sang (Woo-seong Kam), après avoir occis un notable qui en voulait au corps de son partenaire Gong-gil (Jun-gi Lee), un éphèbe efféminé et timoré avec lequel il entretient une relation de fraternité incestueuse, décide de monter à Hanyang (l’ancien nom de Séoul) avec son ami. Arrivé dans la capitale, doué et charismatique, Jang-sang forme rapidement une troupe et monte un spectacle satirique dans lequel il se moque du roi Yeonsan (Jin-yeong Jeong) et de sa dépendance envers sa maîtresse, l’autoritaire Nok-su Jang (Seong-Yeon Kang). Il devient vite une petite célébrité. Mais un proche du roi assiste au spectacle. Il fait emprisonner la troupe pour s’être moquée du roi. Pour sortir de prison, Jang-sang prétend pouvoir faire rire le roi. Il obtient l’autorisation de montrer son spectacle devant lui, mais si le monarque ne rit pas, ils seront tous décapités... Le roi reste de marbre. Soudain, Gong-gil, travesti en geisha, se met à parler d’une voix de fausset en faisant des pitreries ; le roi éclate enfin de rire.

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Les deux hommes deviennent les fous du roi. Ils vivent désormais dans le luxe au palais royal. Ils présentent un spectacle où ils raillent les ministres corrompus. Le roi apprécie beaucoup...
Puis, la troupe donne une opérette décrivant les conflits secrets entre les femmes du palais. Le roi Yeonsan se souvient alors de sa mère morte empoisonnée. Il décide de faire tuer les concubines du précédent roi. Lors de chaque spectacle, le palais connaît des effusions de sang. Les saltimbanques se décident à quitter le palais. Cependant, Gong-gil insiste pour y rester... 

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L’avis de Bernard Alapetite :
De la première image à la dernière seconde, Le Roi et le clown est une constante féerie pour les yeux. Il nous emporte dans un territoire dont la quasi totalité de ses spectateurs occidentaux ne soupçonnaient même pas l’existence : une cour royale au XVIe siècle en Corée. Les décors sont tellement somptueux et inattendus que l’on écarquille les yeux durant toute la projection de peur d’en rater un détail. Le Roi et le clown est entre bien d’autres choses (une fable philosophique, un mélodrame, un film gay, un film politique, une aventure initiatique...) un passionnant documentaire sur la Corée moyenâgeuse avec ses costumes, ses fastes et aussi ses bouges, ses mœurs, monde tantôt bigarré et grouillant, tantôt somptueux et figé, magnifiquement servi par une grâce maîtrisée et une direction d’acteurs où ils sont tous formidables, parfaits.

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Mais cette toile de fond, ô combien animée, ne serait qu’enluminures si une poignante tragédie ne se déroulait pas devant elle. Et je ne vois que celles du grand Shakespeare pour être comparée à celle du Roi et le clown. On y trouve passion extrême, intrigues de palais, jalousie exacerbée, fourbe reine, marâtre criminelle, névrose du monarque, complots politiques, homosexualité inavouable, éphèbe aveugle à l’amour qu’il provoque, truculence... Il faut préciser que jamais le décor, qui est somptueux on ne le répétera jamais assez, n’écrase ou ralentit l’action, et du mouvement il y en a même si le pitch est simplissime : un roi tombe amoureux de son fou qui lui fait découvrir l’amour en même temps que les turpitude de sa cour. Il recouvre bien des péripéties et des abîmes psychologiques. Dès les premières minutes, on peut apprécier combien la célérité du montage sert le propos du réalisateur qui ne sait jamais s’arrêter sur un détail de son époustouflante reconstitution ou s’attarder sur une émotion. Il est dommage que Lee Jun-ik ne parvienne pas cependant à tenir tout à fait la rigueur de son montage jusqu’à la fin.

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On sent qui ne se résout pas à quitter son film, mais la dernière séquence est inoubliable...
Habilement insérés, les numéros interprétés par les deux clowns allègent régulièrement la tension du film. On passe ainsi presque sans transition de la bouffonnerie au drame sanglant. En contrebande par le biais du théâtre burlesque coréen, c’est toute l’histoire du théâtre qui défile, des pantomimes romaines avec leurs grasses blagues scatologiques à la tragédie shakespearienne en passant par la tragédie antique grecque, la commedia dell’arte, le théâtre de rue, les comédies de Molière... On découvre aussi au début l’existence d’une petite troupe de saltimbanques qui sont avant tout des mendiants soumis au bon vouloir des riches et trop souvent victimes des exigences de leur directeur autoritaire qui n’hésite pas à prostituer certains de ses acteurs...

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Rarement on a vu sur un écran, un amour aussi fort entre deux hommes. Autant d’émotions dégagées par le fragile, tendre et désirable Gong-gil.
Une scène est très originale sexuellement parlant, celle où le jeune clown sert de stimulant sexuel au roi qui reproduit dans ses ébats avec sa maîtresse, les postures grivoises représentées par le jeune homme à la beauté androgyne.

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On s’aperçoit à la fin du film que l’intrigue principale n’est pas l’amour que le roi voue à son nouveau favori mais la passion amoureuse entre les deux acteurs. Elle n’est pas sans faire penser à celle d’Adieu ma concubine de Chen Kaige. Mais l’atmosphère et la réalisation évoquent plus à la fois Ran de Kurosawa et L’Impératrice Yang Kwei Fei de Mizoguchi.

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Outre être un beau spectacle émouvant, Le Roi et le clown est aussi un film politique ; c’est une réflexion sur la satire, avec sa fonction cathartique, sur l'art qui n’est pas seulement une liberté d’expression qu'il faut conquérir, sur la tyrannie mais une manière d’éclairer le pouvoir en le remettant en question tout en la légitimant. C’est aussi un regard sur la manipulation des artistes par les gouvernants, rien que de très contemporain et qui n’est pas seulement exotique.

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Le film est inspiré par la pièce de théâtre Kiss, dont l’histoire se déroule sous le règne du roi Yeonsan durant la dynastie Joseon. Un court encart didactique nous apprend que la dynastie des Chosun (1392-1910) a régné sur la Corée durant plus de six siècles et cela jusqu’au début du XXe siècle. Pour chaque monarque, un mémorialiste tenait le journal du règne. Ces écrits nous sont parvenus et sont à l’origine du scénario. Le réalisateur s’exprime sur le pan historique du film : « Il paraît que les tyrans n'apparaissent que dans les périodes de paix. L'empereur Néron et le roi chinois Jin font partie de cette catégorie. Le roi Yeonsan est connu pour être le tyran le plus cruel. Néanmoins, au regard de son histoire personnelle, l'individu mérite notre compassion. Ce qui m'a intéressé dans Le Roi et le clown c'était l'aspect humain du personnage. Mais je veux insister sur le fait que Yeonsan n'est pas le personnage principal du film, il est un type d'individu dans la société. L'histoire principale, c'est Jang-Sang et son spectacle. »

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L’histoire a été un peu modifiée pour les besoins du film. Contrairement à la pièce de théâtre dans laquelle Gong-gil est le personnage principal. Lee Jun-ik a réévalué le rôle de Jang-sang et sa relation avec Gong-gil.

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Le film a connu un immense succès en Corée avec plus de 12 millions de spectateurs. Un succès qui fut rapidement suivi d'une collection impressionnante de récompenses. Depuis, le film a fait le tour des festivals, remportant au passage le Prix du Jury au Festival du Film Asiatique de Deauville 2007.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Guy Marchand, Marisa Berenson, Fanny Bastien, Patrick Bruel, Agnès Garreau, Jacques Maury, Said Amadis, Riton Liebman, Jacques François, Christiane Jean, Jean-Claude Adelin et Jocelyn Henriot. Réalisateur : Gérard Lauzier. Scénario : Gérard Lauzier & Edouard Molinaro. Directeur de la photographie : Gérard de Battista. Compositeur : Vladimir Cosma.

Durée : 87 mn. Disponible en VF.
 

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Résumé :

Romain est un cadre supérieur sans problème et plutôt bien dans sa peau. Un jour, il rencontre la belle Eva et tombe instantanément sous son charme. Mais bientôt, cette jeune femme transforme sa vie en cauchemar, tandis qu'un jeune requin menace sa situation professionnelle.

 



L’avis de Jean Yves :

Satire bouffonne et cruelle de certaines mentalités, ce film est plein de bonnes intentions mais cela ne suffit pas.

Les personnages du film de Lauzier sont à l'image de ceux d'une bande dessinée : croqués, découpés, pris en flagrant délit de caricature par la caméra comme par la pointe d'un crayon impitoyable, celui du dessinateur Lauzier. C'est le côté le plus réussi de La Tête dans le sac.

Pourtant cette acuité des portraits ne masque pas un manque de cohérence de l'ensemble : une succession disparate de moments, de numéros – même brillants – où les acteurs cabotinent un maximum, ne suffisent pas à faire un film. Encore faut-il offrir aux spectateurs un minimum d'articulation entre chaque scène.

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Le véritable propos du film, qui est la crise causée chez un quinquagénaire dans les domaines importants de sa vie par l'ébranlement de ses certitudes, est trop relégué à l'arrière-plan : cette succession débridée de situations comiques est difficile de regarder autrement que comme une seule suite de gags.

Romain (Guy Marchand) est directeur d'une grande agence de publicité : c'est un homme arrivé. Argent, bel appartement truffé d'objets de valeur, une belle voiture avec téléphone, une maîtresse habillée par les grands couturiers (Marisa Berenson/Véra) et un valet de chambre maghrébin de grand style (Saïd Amadis/Saïd). Le voilà, mâle poilu et sûr de lui, au faîte de sa réussite sociale : il n'offre de tous côtés qu'une façade enviable ! Cet édifice est pourtant très fragile, et Romain apparaît rapidement comme un géant aux pieds d'argile. À peine tombe-t-il amoureux d'une minette de vingt ans, Eva (Fanny Bastien), à peine est-il un peu bousculé dans le confort de son travail par le jeune Dany (Patrick Bruel), qui s'essaye à la chanson.

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Pauvre Romain ! Obligé de suivre la minette de ses rêves et de supporter ses copains, ne voilà-t-il pas qu'il est poursuivi par le tendre Patrick (Riton Liebman), lui-même poursuivi par le docteur Choulet (Jacques François), vieille folle de service qui prend Romain pour une copine. À la fin, Patrick, faute de mettre la main sur le quinquagénaire de ses rêves, partira avec le valet de chambre.

Lauzier a tiré de tous ces malentendus plus qu'il en fallait : les lieux à la mode, les restaurants chic et les boîtes gays sont allègrement fréquentés. Pour compléter le tableau, il y a aussi le petit couple de lesbiennes (avec la fille-macho-qui-fait-du-karaté et qui sait où frapper les mâles importuns) et le petit couple de pédés vu au second plan.

Je n'ai éprouvé pour ce quinquagénaire en déséquilibre aucune empathie : il ne subit qu'un juste retour de boomerang, lui qui n'a franchi les échelons qu'en écrasant les autres, et qui n'aime les femmes que pour lui-même… Mais les autres personnages ne sont pas plus sympathiques : Lauzier est d'une férocité plutôt délicieuse et traite ses personnages, obsédés par le sexe, comme des fauves dans une jungle.

Pour plus d’unformations :

Pink Narcissus

Fiche technique :

Avec Bobby Kendall. Réalisé par James Bidgood.
Durée : 70 mn. Disponible en V0.



L'avis de Jean Yves :
Un film américain datant de 1971 devenu culte, ultra-kitsch, qui présente les archétypes du désir homosexuel, le cuir, les matadors, l'Antiquité etc.
Les phantasmes érotiques d'un beau jeune homme qui devient tour à tour toréador, esclave romain ou participe à la débauche des nuits orientales. Suivant les époques, la production cinématographique underground a dû, pour montrer la sexualité, flirter, de manière plus ou moins affirmée, avec le talent artistique. Cette sorte de passage obligé, du fait de la censure et du regard social sur l'obscénité, a conduit nombre de productions à se cacher derrière des façades « acceptables ». C'est dans ce contexte que James Bidgood a réalisé, entre 1963 et 1970, un des premiers films de l'underground gay.
Ce film, présentant une orgie d'images aux couleurs saturées et hyper stylisées, met en scène Bobby Kendall, jeune modèle d'une beauté stupéfiante, que Bidgood a filmé dans les décors les plus kitch et les plus oniriques et ce, durant sept ans ! En effet, pendant ces années il partage sa vie avec Bobby, le personnage central du film.


Quand, en 1971, Pink Narcissus sort enfin sur les écrans de New York, les lois sont devenues plus tolérantes et certaines productions font alors du nu. Ce qui n'empêche pas Pink Narcissus, de par son style subtilement décalé, de devenir un film culte. Il sera projeté, pendant trente ans, sans qu'on en connaisse l'auteur, dans les festivals homosexuels du monde entier.


Signé « anonymous » on l'attribua, tantôt à un producteur d'Hollywood qui aurait voulu cacher son homosexualité, tantôt à un poète ou à des auteurs tel Kenneth Anger.


Les travaux de Bidgood furent publiés, en 1999, par les Éditions Taschen. Ils situent parfaitement la frontière entre l'art et l'érotisme homosexuel : les costumes et les décors ajustent les fantasmes les plus variés qui s'enchaînent dans une vision parfaitement jubilatoire. Bien plus que « kitch », les photographies de Bidgood, par l'excès des couleurs et des décors excentriques, stigmatisent la négation de l'authentique, le refus du réel : elles offrent la représentation surréaliste d'un monde peuplé de corps désirés et d'objets sublimés.

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Le film de Bidgood est bien l'art du bonheur, celui de mettre en scène des rêves et des désirs, mais c'est sans doute aussi la trace indélébile d'une histoire d'amour personnelle dont James Bidgood garde le secret.

Pour plus d’informations :

 

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Fiche technique :

Avec Adam Sandler, Kevin James, Jessica Biel, Dan Aykroyd, Steve Buscemi, Candace Kita, Richard Chamberlain, Nicholas Turturro, Jim Ford, John Boyd et Cole Morgen. Réalisation : Dennis Dugan. Scénario : Alexander Payne, Barry Fanaro et Jim Taylor. Directeur de la photographie : Dean Semler. Compositeur : Rupert Gregson-Williams.
Durée : 110 mn. Bientôt en DVD en VO, VOST et VF.



Résumé :
Chuck Levine et son copain Larry Valentine font honneur à la confrérie des sapeurs pompiers de Brooklyn par leur bravoure et leur sens du devoir. Rien n'arrête ces solides gaillards, liés par une amitié et une solidarité à toute épreuve. Larry, veuf, n'a qu'un but dans la vie : la protection et l'éducation de ses deux jeunes enfants ; Chuck, cavaleur impénitent, n'a qu'une ambition : continuer à mener sa vie de célibataire endurci.

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Ayant sauvé la vie de Chuck au cours d'une intervention à haut risque, Larry sait qu'il peut tout exiger de lui. Cela tombe bien, car il a un grand service à lui demander... Sachant qu'il est interdit à un parent seul de souscrire une assurance-vie pour ses enfants, Larry aurait besoin de se marier en toute hâte. Mais un mariage blanc demande une confiance aveugle entre partenaires. Chuck est le seul à répondre à ce critère : ne voudrait-il pas cosigner l'assurance à titre de... compagnon de Larry. Facile, assure ce dernier. Et personne n'en saura rien.
Mais lorsque le bureaucrate Clint Fitzer se mêle de vérifier le statut des deux prétendus pacsés, l'affaire éclate au grand jour et fait la "une" de tous les journaux...

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L’avis de Clément Graminiès :
Chuck et Larry sont pompiers et amis de très longue date. Chuck (interprété par un Adam Sandler cabotin au possible) est un célibataire endurci qui occupe son temps libre (et surtout ses nuits) à vivre de folles passions sexuelles avec une horde de bombasses complètement crétines. Larry, son meilleur ami, est tout son contraire : veuf et père de deux enfants, il ne vit que dans le souvenir de son épouse défunte. Les deux gaillards sont des hommes, des vrais, et s’inquiètent de voir que le fils aîné de Larry pourraient bien être une "tante" parce qu’il fait des claquettes, le grand écart et des cookies.

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Pour pouvoir toucher la pension de son épouse, Larry doit se remarier et, n’ayant foi que dans cette amitié virile qui le lie à Chuck, lui demande de se PACSer après lui avoir sauvé la vie lors d’un incendie. D’abord réticent, Chuck finit par accepter mais tous les deux peinent à convaincre l’administration new-yorkaise de l’authenticité de leur union. Pour anéantir les soupçons, les deux hommes décident donc d’emménager ensemble, de se marier au Canada et de dormir dans le même lit. Bien évidemment, ils savent faire preuve d’une finesse inouïe pour lever tous les doutes sur leur homosexualité.

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Chuck répète à qui veut bien l’entendre qu’il s’enferme dans sa chambre pour écouter du Boy George tandis que Larry pense qu’il faut acheter des serviettes hygiéniques pour donner à leurs poubelles un aspect plus « gay ». Bref, on nage en pleine beauferie même pas drôle où pointe progressivement un discours totalement lénifiant sur l’acceptation des homosexuels (avec la condescendance requise pour rester à juste distance).

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Le plus hallucinant dans ce film édifiant du début jusqu’à la fin, c’est finalement ce besoin de revenir en permanence à une hétérosexualité rassurante et normative. La seule scène de désir aura lieu entre Chuck et l’avocate sexy (Jessica Biel) engagée dans la défense des droits des gays. En dépit d’une morale bien pensante sur l’acceptation des différences qu’on aurait peut-être pu trouver courageuse vingt ans plus tôt (notons tout de même que dans la section « produits hollywoodiens grand public », Philadelphia a quand même remis les pendules à l’heure dès 1993), les corps masculins de Chuck et Larry ne se risquent jamais à la moindre ambigüité : même un simple baiser sur les lèvres devient ici une affaire d’état comme la preuve d’une compromission peut-être sans retour.

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Mais bien heureusement, l’arnaque dévoilée leur permettra de redevenir aux yeux de la société ce qu’ils sont après tout : des êtres génétiquement programmés pour être hétérosexuels. On aurait encore préféré que ce film n’existe tout simplement pas.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :
Avec Jake Gyllenhaal, Heath Ledger, Michelle Williams, Anne Hathaway, Randy Quaid, Linda Cardellini, Anna faris, Scott Michael Campbell et Kate Mara. Réalisé par Ang Lee. Scénario : Larry McMurty et Diana Ossana, d’après la nouvelle d’Annie Proulx. Directeur de la photographie : Rodrigo Prieto. Compositeur : Gustavo Santaololla et Rufus Wainwright.
Durée : 134 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :
Eté 1963, Wyoming.
Deux jeunes cow-boys, Jack et Ennis, sont engagés pour garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain.
Isolés au milieu d'une nature sauvage, leur complicité se transforme lentement en une attirance aussi irrésistible qu'inattendue.
À la fin de la saison de transhumance, les deux hommes doivent se séparer.
Ennis se marie avec sa fiancée, Alma, tandis que Jack épouse Lureen.
Quand ils se revoient quatre ans plus tard, un seul regard suffit pour raviver l'amour né à Brokeback Mountain.

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L’avis du Dr Orloff :
Les hasards sont parfois malheureux puisque je découvre ce secret de Brokeback mountain (lion d’or à Venise, tout de même) le jour même où l’on annonce la mort de son interprète principal : Heath Ledger. Sans sombrer dans les pleurnicheries des traditionnelles oraisons funèbres, il m’apparaît pourtant difficile de taper aujourd’hui sans coup férir sur ce film. D’un autre côté, on va m’accuser de manquer de recul si j’affirme que Heath Ledger est à peu près la seule vraie qualité du film. Et pourtant, c’est ce que je pense ! Le film d’Ang Lee ne vaut, à mon sens, que par ses comédiens et comme j’estime que Jake Gyllenhaal a le charisme d’un gastéropode, vous constaterez comme moi qu’il ne reste plus qu’une personne en haut de l’affiche pour susciter l’intérêt (j’aime bien les seconds rôles et toutes les actrices, un brin sacrifiées, sont très bien. On reconnaîtra avec plaisir Anna Farris, la vedette du médiocre Smiley face actuellement à l’affiche).

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Mon rapport avec Ang Lee est étrange car depuis que la critique semble le porter aux nues, il me paraît beaucoup moins intéressant. J’aimais bien ses premiers films (Garçon d’honneur, le très beau The ice storm) et je reste un admirateur de Tigre et dragon, que détestent les docteurs ès cinéma asiatique.

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Par contre, Hulk me paraît très mauvais et ce Secret de Brokeback mountain ne m’a procuré que quelques bâillements. Vous connaissez désormais tous l’histoire de ces deux hommes engagés un été pour garder un troupeau de moutons et qui vont vivre une passion fulgurante. Mais comme l’homosexualité chez les cow-boys n’était pas, à l’époque (le film se déroule entre 1963 et le début des années 80), encore très bien vue ; les chemins des compères se séparent. Ils se marient chacun de leur côté, font des enfants mais parfois, se retrouvent pour des escapades enflammées à Brokeback mountain…

Si je m’attarde un peu sur le résumé du film, c’est qu’Ang Lee ne se préoccupe finalement que de son « sujet ». Ce qui l’intéresse, c’est de tourner un « western gay » (ce fut le terme employé à la sortie du film alors qu’il est bien moins un western qu’un mélodrame) et de filmer cette histoire d’amour sur fond de grands espaces. On sait gré au cinéaste de ne pas trop nous servir le couplet convenu de la « victimisation » : il ne s’agit pas de se poser en héraut de la cause homo (les deux personnages affirment d’ailleurs, à un moment du film, qu’ils ne le sont pas) mais de filmer simplement une histoire d’amour. Que cette histoire concerne exclusivement deux hommes et non pas un homme et une femme, un homme et une brebis ou un homme et une naine cul-de-jatte n’est finalement qu’une question de désirs personnels ne regardant personne d’autres qu’eux ! (Zut alors ! l’ami anonyme qui voulait dénoncer, en bon français, à un quelconque organisme « citoyen » mon blog comme  homophobe va voir ses certitudes vaciller !)

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Pas de grands discours et c’est tant mieux ! Pas de style non plus pour raconter tout ça et c’est dommage ! Le secret de Brokeback mountain est un monument d’académisme où se succèdent mornes plans d’ensemble en forme de cartes postales (ô la belle rivière ! Ô la belle montagne !) et des plans plus rapprochés toujours très explicatifs. Un exemple parmi mille : lorsque Enis fait l’amour à sa femme au début de son mariage alors qu’il a perdu de vue Jack, le cinéaste prend bien « soin » de nous le montrer en train de la retourner. Le spectateur comprend alors que son compagnon lui manque et qu’il préfère les accouplements de ce style !). Tout est de cette teneur : souligné et lourdement explicite.

Pour filmer cette liaison, Ang Lee aurait du se souvenir du génial La rivière rouge de Hawks où le cinéaste parvenait à faire naître du trouble et de l’ambiguïté en filmant ses cow-boys en train de comparer leurs revolvers ! De la même manière, comparer ce film à In the mood for love me paraît une hérésie tant le film de Wong Kar-Waï reposait sur le non-dit et une manière unique de jouer sur le temps qui passe (même si les acteurs sont grimés pour paraître plus vieux, on ne croit pas à l’écoulement des années dans Brokeback mountain).

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Je vais sans doute passer pour un sans-cœur mais j’avoue n’avoir jamais été ému par le film d’Ang Lee, trop ripoliné pour suggérer le désir, la passion, le trouble, le manque ou pour filmer la violence des sentiments. D’une certaine manière, les personnages qui touchent le plus sont ceux qui sont délaissés (la femme et les filles d’Enis, la petite serveuse…).
Le reste n'est pas méprisable (il y a du métier, dirons-nous), juste très académique et plutôt soporifique.

Pour plus d’informations :

 


Fiche technique :

Avec Gitte Lederer, Hans Gerd Mertens, Bernd Broderup, Orpha Termin, Peter Fahrni, Dieter Godde, Klaus Schnee, Bernd Kroger, Markus Voigtlander, Irmgard Lademacher, Gregor Becker et Frank Ripploh. Réalisation : Frank Ripploh. Scénario : Frank Ripploh.
Durée : 92 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :
Frank, instituteur d'une trentaine d'années, raconte sa vie, sa relation avec son ami, avec ses élèves et tous les autres. Qui sont ces autres ? Des mecs rencontrés dans des bars. Les infidélités de Frank provoqueront la séparation de son couple avec Bernd.
Taxi zum Klo n'est pas un film militant mais un film à mi-chemin entre la fiction et le reportage. Il se contente de nous montrer un mode de vie, celui de Frank et de son homosexualité. Une autre façon de la banaliser.

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L’avis de Jean Yves :
Ce long métrage montre la crudité de la sexualité sans l'avilir. Il questionne la quête jamais désarmée de nouveaux partenaires, sans la réduire à une pathologie et fréquente le ghetto homo sans laisser croire qu'il est le seul centre d'intérêts.
Un film sans complaisance et sans pudeur, beau de sa seule sincérité qui parle du désir de liberté que la peur de choquer n'arrête pas.

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Derrière un titre provocateur (« Taxi pour les chiottes ») le réalisateur, Frank Ripploh, qui s'est mis en scène lui-même en se dénudant physiquement et surtout moralement, réussit à faire partager ses joies, ses doutes, ses choix.

La vertu de ce film est que chacun peut s'y reconnaître entier, autrement dit multiple, parfois généreux, parfois désabusé ou cruel, tendre, salaud, amoureux, désiré, drôle, égoïste... Ce film fait échec au manichéisme de la représentation de l'homosexuel qui peut aider une vieille dame à traverser la rue, et, cinq minutes plus tard, sucer le premier sexe disponible dans des toilettes publiques tout en corrigeant les devoirs de ses élèves.

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Peggy (Frank Ripploh), homosexuel berlinois, est un instituteur adoré dans son école, un dragueur invétéré la nuit qui affronte la vie avec bonne humeur et une santé morale et physique à toute épreuve : avec le vocabulaire d'aujourd'hui, ce héros serait qualifié de « 
cool », « sympa », « convivial ».
Grand amateur de tricks (référence à Renaud Camus), Peggy, raconte le développement d'une liaison, vite passionnée, qui devient un grand amour. Mais ce dernier se transforme lentement, il s'édulcore et s'accommode mal du désir sexuel libéré et multiforme que Peggy, qui tout en restant sincèrement épris de son amant Bern (Bern Broaderup), veut continuer d'assumer.

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Ce demi-échec vécu par son amant qui rêve de s'installer à la campagne et de fidélité conjugale, sera plutôt l'apprentissage d'un nouvel ordre amoureux.
La première scène d'amour entre Peggy et son amant, dans une baignoire, est un moment de partages érotiques particulièrement vibrant, rarement montré au cinéma.

Ce film montre le respect de l'autre, alors que Peggy est dans une recherche continuelle de sensations interdites : chacun avançant avec l'autre, au-delà de ses propres inhibitions initiées par sa propre éducation ou propagées par ceux qui règlent l'ordre répressif.

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La jouissance peut-elle aller de pair avec le partage ?
Un film qui évite tant la mièvrerie, que le misérabilisme ou l'exhibitionnisme gratuit : des fragments de vie qui pulvérisent les stéréotypes et font apparaître un homme, Frank Ripploh.
Ce film a reçu le prix « Max Ophüls » en 1981.

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Un bonus de Jean Yves prolongeant cet avis :
Direction : la tasse !
Film autobiographique qui raconte l'histoire d'un couple d'hommes.
Peggy (Frank Ripploh), instituteur, drague Bernd (Bernd Broaderup), ouvreur dans un cinéma. Ils se rencontrent plusieurs fois, s'essayent à la vie commune dans un quotidien à la fois drôle et grinçant, mais sont vite piégés par les stéréotypes du couple hétéro le plus traditionnel : Bernd est la femme au foyer, fidèle et bonne cuisinière, attendant que Frank, le mari, rentre du boulot.
Mais Frank continue de draguer par-ci par-là, pilier des « Klo » (tasses) berlinoises pendant le week-end et professeur modèle en semaine.

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Une histoire banale, entre deux hommes, dans la routine d'une relation. Histoire agressive, impertinente, qui ne propose aucun modèle ni aucune solution, et qui peut donner des homosexuels une détestable image d'eux-mêmes.
Film qui peut gêner, car écrit avec ces milliers de détails qui font et défont la vie de tous les jours, loin des théories et des grands discours, et criant le besoin insatiable d'amour et de tendresse de chacun.
Réalisé en 1980, Taxi zum Klo est le terme d'un come-out : Ripploh était enseignant et il a été licencié en 1978 après parution dans Stern – le Paris Match allemand – d'un article où plus de 250 pédés allemands avaient accepté de laisser publier leurs photo, nom et adresse.

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Taxi zum Klo : film qui exprime tous les conflits, les angoisses, les contradictions de son réalisateur. Combat pour le quotidien, une histoire d'amour, qui, certes, se déroule dans le milieu homosexuel, mais pourrait tout autant être transposée dans le milieu hétérosexuel. Film calme et humoristique. Film qui provoque des émotions plus qu'à défendre des idées.
Taxi zum Klo, film qui pose une seule question : pouvons-nous faire mieux que nous répéter sans cesse ?
Le film, vu par Renaud Camus (merci à Jean Yves) :
L'image est à peine un peu crasseuse pour mon goût, et je n'aime pas trop la scène où le narrateur-auteur se déguise en femme, tombant ainsi dans l'un des clichés dont il est si heureusement exempt partout ailleurs : il y a bien entendu des homosexuels qui aiment se déguiser en femme, et c'est le moindre de leurs droits ; mais on les a déjà beaucoup vus.
Taxi zum Klo à force d'éviter la tragédie rituelle, s'approche ici de la farce codée qui lui fait face et la soutient en grande stéréotypie. Le reste du temps, il suit son chemin, et l'invente.

Je ne souhaite pas d'embellissements de la réalité, ni ne crois qu'ils l'entraîneraient à leur suite, la forçant à se faire plus douce. Rien se serait plus imbécile que de prétrendre imposer telle ou telle image supposée « positive », et d'interdire ou rejeter les autres. Mais les maîtres de la manière noire me paraissent en retard sur la vie. L'homosexualité a ses bonheurs, je ne les ai tout de même pas rêvés. Pourquoi les voit-on si peu cinéma ? « Montre les toi-même, fais ton propre film, puisque ceux des autres ne te suffisent pas », me disent mes amis, lassés par mes doléances. Chiche ! Mais j'aurais besoin d'un fameux conseiller technique.

Renaud Camus

Pour plus d’informations :
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Fiche technique :

Avec John Fordyce, Ferdy Mayne, Matthieu Carrière, Lionel Stander, Pauline Challoner, Denis Gilmore, Jenny Agutter et les enfants de l’école primaire Savo Pejanovic de Titograd. Réalisateur : Andrzej Wajda. Scenario : Jerzy Andrezewski & Donald Kravanth. Images : Meczyslaw Jahod. Son : Pierre Pamier & Kevin Connor. Directeur artistique : Miomir Denic. Musique : Waro Swingle.
Durée 78 mn. Difficilement ou totalement introuvable.

Résumé :

En 1212, un jeune berger, Jacques de Cloys (John Fordyce, d’une beauté et d’une blondeur à damner un saint. Né en 1950, il n’aurait tourné que ce film) au charisme indéniable, prêche une nouvelle croisade sur la foi d’une vision qu’il prétend avoir eue. Il décide que, là où les croisades précédentes ont échoué, une autre menée avec l’innocence et la pureté des enfants réussirait. Des milliers d’enfants et d’adolescents quittent leurs villages en entendant l’appel de Jacques et partent pour libérer le tombeau du Christ du joug des infidèles. Un moine franciscain, ancien chevalier croisé (Lionel Stander), est chargé de la direction spirituelle des enfants qu’il entend en confession le long de la route. Le monologue du moine alterne avec les confessions des enfants qui lui apprennent que la vraie nature de leur enthousiasme est homosexuelle. Très vite, il lui sera aussi révélé que l’inspiration de Jacques vient d’un homme dont il a été amoureux, le comte Ludovic (Ferdy Mayne, 1916-1998, un pilier de la Hammer qui a tourné une multitude de films tant pour le cinéma que pour la télévision), un seigneur homosexuel qui a abusé de la naïveté de Jacques. En fait, si les enfants suivent Jacques, c’est plus pour des raisons amoureuses que religieuses. Ils prennent au pied de la lettre la fameuse phrase : « Aimez-vous les uns les autres ». Bientôt le comte Ludovic est très épris d’Alexis (Matthieu Carrière), l’un des adolescents de la croisade, qu’il a recueilli et dont il a fait son fils et son amant... Le moine tente désespérément d’arrêter la marche des enfants. En vain, c’est la mort et l’esclavage qui les attendent.


L’avis de Bernard Alapetite :
Le film est l’adaptation assez fidèle du roman de Jerzy Andrezewski, Les Portes du paradis, paru en France en 1961 aux éditions Gallimard. Jerzy Andrezewski qui a participé à l’adaptation de son livre, est un écrivain catholique homosexuel qui s’est rallié au régime communiste, puis est passé à la dissidence après l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie à Prague, en août 1968. Il devient un ardent défenseur des droits de l’homme. Le roman est inspiré de faits historiques, c’est d’ailleurs plus un poème d’une centaine de pages qu’un roman.
À l’image du roman, le film est d’un seul mouvement, la marche des jeunes croisés vers Jérusalem. De longs et incessants travellings décrivent et accompagnent la marche des enfants. L’utilisation systématique de ces travellings en plan large, où le blanc domine dans un Technicolor souvent surexposé, procure une sorte d’hypnose dont le spectateur est périodiquement sorti par des gros plans sur de sublimes visages. Le montage fait alterner la foule, un peu chiche tout de même pour figurer cette levée en masse de la jeunesse d’occident, en plan très large et quelques groupes en plan moyen qui ainsi, s’en distinguent. Quatre adolescents s’en détachent. Chacun racontera son histoire par le truchement de la confession au moine qui accompagne la croisade, pas toujours joué dans la finesse par Lionel Stander, vieux routier des plateaux américains. Ces confessions rendent le film très bavard et paradoxalement assez théâtral alors qu’il est tourné presque exclusivement en extérieur. Quatre récits traités en plan-séquence, coupés et illustrés à l’aide de retours en arrière qui ne parviennent néanmoins pas à rompre complètement la monotonie du film ; il faut d’ailleurs attendre la trentième minute pour que ceux-ci arrivent. Si le décor est superbe, une vaste plaine rocailleuse bordée de montagnes violines, le réalisateur n’en change pratiquement pas, d’où l’impression que nos croisés font du surplace un peu à la manière des deux zigotos (Jean Rochefort et Bernard Fresson) du film très recommandable de Fabio Carpi, Les Chiens de Jérusalem, qui avaient décidé qu’il était tout aussi profitable pour leur âme de faire le tour de leur château pendant un an plutôt que d’entreprendre le voyage fort périlleux vers la terre sainte. Pourtant, habilement, Wajda varie les optiques avec une prédilection pour les longues focales qui isolent les protagonistes lors de leurs dialogues, réduisant les figurants à des silhouettes floues. Des recoupements d’images permettent aux récits successifs de s’emboîter sans pour autant se recouvrir. Et finalement, sur le plan de l’espace comme sur celui du temps, de s’assembler, de se souder comme les élément d’un puzzle.
Wajda a cherché des équivalences au texte poétique, d’une part en entrelaçant le présent de la croisade avec les souvenirs des jeunes garçons, ces séquences sont plus poétiques que narratives ; d’autre part en balayant la pérégrination des adolescents par ces longs et lents travellings, images très picturales proches de celles que faisaient à la même époque Miklos Jancso dans Rouges et blancs (DVD édité par Clavis) par exemple. Beauté des adolescents, beauté aussi de leurs vêtements conçus sans le moindre souci historique, des hardes qui ne sont pas vraiment des loques, mais plutôt des costumes assez simplifiés comme des costumes de théâtre avec le souci qu’ils soient signifiants, dans des tons clairs et lumineux pour les jeunes, sombres pour les adultes.

(c)  Renata Pajchel

La mine des deux garçons tenant les rôles principaux convoque immanquablement l’iconographie adolescente tant ils sont proches des modèles de prédilection de deux des plus grands dessinateurs friands du sujet. Avec son cou flexueux et son corps à la fois gracile et noueux, Matthieu est un pur Mac Avoy. Tandis que John Fordyce avec son visage à l’ovale parfait et sa frange blonde semble tout droit sorti d’un Signe de piste illustré par Pierre Joubert.

La lente progression des garçons se fait dans un paysage de rocailles à la blancheur crayeuse. À l’opposé du dépouillement de ce décor Wajda, soudain, nous propose un monument de « kitcherie » homo avec le château du comte et sa piscine aux paons dans laquelle s’ébattent les adolescents !
Le film, loin de tout naturalisme, s’apparente au conte… un conte noir qui rappelle celui dans lequel les enfants de la cité de Hamelin sont entraînés dans la mort par le pipeau du chasseur de rat.

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La vraie question qui se pose à la vision de ce film est : quelle a été l’idée directrice qui a présidé à la réalisation de La Croisade maudite ? À cette question, qui devrait être celle que l’on se pose après avoir vu chaque film, on est bien en mal d’y répondre tant le film peut être interprété de façons contradictoires : l’innocence d’enfants et adolescents crédules et naïfs, trop aisément manipulés ; mais aussi leur cruauté naturelle, leur homosexualité comme perversion et péché ou comme une tendance profonde les portant à se dépasser ? L’absurdité de leur aventure mais aussi la force d’une passion et d’un amour qui bousculent le rationnel et les conduisent à la transcendance, au mysticisme ? On peut aussi lire le film comme une charge contre toutes croyances en quelque chose de supérieur à l’animal humain. N’oublions pas que Wajda œuvre dans la Pologne marxiste. Partant d’un fait historique qui confine à la légende, il peut nous montrer que l’homme est une créature infiniment complexe qui ne saurait sublimer totalement ses pulsions les plus instinctives et que la foi mystique qui peut dicter ses actions, en apparence les plus désincarnées et les plus pures, ne lui vient pas de la part de divin qu’il recèlerait mais au contraire de ce qu’il y a de plus fragile et de plus charnel dans sa nature. L’innocence que certains veulent voir dans l’enfance, appelée à vaincre les forces du mal, n’existe pas. Ce n’est pas l’appel de Dieu qui se fait entendre des enfants, c’est bien plus prosaïquement celui de leur dieu. Et ce dieu est un des leurs. Un garçon blond sorti d’un livre d’images dont le charme physique exerce sur eux un attrait irrépressible. Les motivations de leur guerre sainte ne sont pas plus divines que celles, colonisatrices, de leurs aînés. Tout un peuple de chérubins se met en marche à l’appel d’un dieu de chair qui ne sait pas mieux que lui résister aux tentations et qui s’est laissé soumettre par l’amour d’un homme.
Si il n’y a pas – semble-t-il – de morale claire à ce film, on peut tout de même discerner que le souci principal de Wajda a été de gratter les apparences pour découvrir l’essentiel.
La métaphore politique est elle aussi fort ambiguë : critique de toute foi aveugle, du stalinisme (?), de la soumission à la parole d’un maître, d’un chef ? Comme est ambiguë cette phrase dite au début puis à la fin du film : « Ce ne sont pas les mensonges mais la vérité qui tue l’espoir. »
L’attirance qu’exerce Jacques sur les êtres de tout sexe met au premier plan l’histoire d’amour entre Ludovic et Alexi. Wajda n’a pas tergiversé sur l’homo érotisme du film qui s’ouvre par une scène où l’on voit un homme dévêtu par d’autres hommes habillés de robes ! Le cinéaste réitérera l’exercice en faisant commencer Danton de la même façon.

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Historiquement, les croisades des enfants se constituent de deux cortèges qui partent, dans l’euphorie des croisades, indépendamment l’un de l’autre, de l’Allemagne et de la France. Elles se situent entre la quatrième et la cinquième croisade, dans l’année 1212. Elles ne sont pas en réalité constituées que d’enfants mais d’« enfants de dieu », principalement des paysans pauvres. Elles ne sont pas couronnées de succès : l’une échoue dans les villes d’Italie et l’autre à Marseille. Ce site fait le point sur la question.
La Légende de la Croisade des enfants, est relatée dans le petit livre de Marcel Schwob, La Croisade des enfants (1896). Mais le plus beau roman sur les croisades, La Joie des pauvres (éditions Gallimard) est signé Zoé Oldenbourg.
Pour en revenir au cinéma, Serge Moati en 1988 a consacré un téléfilm beaucoup plus sage que La Croisade maudite à la croisade des enfants.
Si la lecture des génériques, qui ont tendance à devenir de plus en plus pléthoriques, est fastidieuse, elle révèle parfois de savoureuses surprises. Ainsi dans celui de La Croisade maudite, nous découvrons le nom de Pierre Kalfon en tant que coproducteur. Cette présence explique peut-être la scène particulièrement gratinée de fouettage sado-masochiste d’Alexis par le comte. Scène qui n’est pas sans en rappeler une d’un film réalisé par ce même Pierre Kalfon, La Cravache, dans laquelle on voit un père cravacher avec un plaisir non dissimulé le fessier très tentant de son grand fils.

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La Croisade maudite fit scandale en Pologne où il fut critiqué tant par le pouvoir marxiste que par l’Église et où il n’eut qu’une brève carrière. Il ne sortit qu’en catimini dans le reste du monde alors que c’est un film européen « type » : production britannique, réalisateur polonais, tournage des extérieurs en Yougoslavie (aux alentours de Titograd), acteurs anglais et allemands, figuration yougoslave. En 1972, le réalisateur battait déjà sa coulpe : « J’ai suivi le script trop aveuglément. Je pensais que l’amoralité de la liaison entre le jeune homme et le comte pouvait être l’écho retentissant du drame véritable. J’avais tort. En même temps, ce que j’avais cherché dans le sujet, la cruauté de l’image des enfants tentant d’accomplir la tâche des adultes en rétablissant l’ordre dans le monde, n’est pas apparu dans le film. Les enjeux moraux y sont à peine évoqués... J’ai eu de la chance de faire un film sur la contestation avant la lettre, sur des événements qui, peu après l’achèvement de La Croisade maudite allaient occuper le devant de la scène. » par un plan d’un jeune garçon nu faisant sa toilette dans un baquet, une scène qui ne semble pourtant pas indispensable à la progression dramatique du film.
Aujourd’hui Wajda, devenu beaucoup plus consensuel, récuse le film et ne le fait pas figurer dans les rétrospectives qui lui sont consacrées. Il est devenu très difficilement visible.

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Pour plus d’informations, le témoignage du réalisateur :
« It was my idea to make the children's crusade the subject of my next film, based upon Jerzy Andrzejewski's story. When I shared this project with Andrzejewski, he responded with his usual enthusiasm. It took us months, however, to produce the first scenes from which the plot of the future film would emerge:
The rejection of the project by Polish Cinematography Committeee meant that the delicate, poetic substance of Gates of Paradise would be exposed to the brutal realities of international film coproduction. The dialogues were translated into English and I have never learnt whether the translations conveyed anything beyond the bare message. Young actors were summoned, with Mathieu Carri(e)re as the only veteran (of Schlöndorff's wonderful film Die Verwirrungen des Zöglings Törless). Two male roles were given to actors I knew from films by Polanski who was trying to help me with the difficult casting. Finally we decided on Yugoslavia as our location. The film was so dominated by the rocky mountain landscape that the crusade seemed to be standing immobile on the screen, rather than marching on for weeks on end.
I felt trapped and confined.
Gates of Paradise, which had inspired me with such high hopes for so many years, might have been the dream film of my life. Today, as I look at the photographs of the boys' faces, so beautiful and clear, or leaf through the sketches done on odd bits of paper and featuring Blanka's windblown hair enveloping Alexis' head or two boys, dressed up as angels, carrying a third one, whose wings are broken; or when I recall the breathtaking beauty of the Yugoslav landscape, now in ruin and decay, I really cannot say why I failed to show all this on the screen. The only answer I have is that I had trusted my most intimate dreams to a group of chance people - producers, actors, technicians - who reduced them down to match their own tastes and sensibilities, leaving me absolutely helpless. »
Andrzej Wajda

 



Fiche technique :

Avec Gordon Warne
cke, Daniel Day-Lewis, Roshan Seth, Saeed Jaffrey, Derrick Branche, Shirley Ann Fiels, Rita Wolf, Souad Faress, Richard Graham et Charu Bala Chokshi. Réalisé par Stephen Frears. Scénario de Hanif Kureishi. Directeur de la photographie : Oliver Staplton. Compositeur : Stanley Myers et Ludus Tonalis
Durée : 93 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :
Omar, jeune pakistanais de la banlieue Sud de Londres, prend la gérance d'une vieille laverie automatique appartenant à son oncle. Il est aidé de Johnny, qui devient son amant.
Quand son cousin Salim blesse un membre de l'ancien gang de Johnny, une bagarre éclate...

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L'avis de Jean Yves :
My Beautiful Laundrette n'est pas, à proprement parler, un film spécifiquement gay. Il ne faudrait tout de même pas traduire «laundrette» par lavette, mais par laverie. Qu'il n'y ait pas de méprise.

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Petit historique du film : Au départ, la chaîne britannique Channel Four avait commandé à Stephen Frears, auteur déjà affranchi et émérite du petit et grand écran (Gumshoe en 1971 ; The Hit en 1983), un film-télé. Présenté au Festival d'Edimbourg, My Beautiful Laundrette a reçu un accueil si chaleureux que Channel Four a décidé de l'exploiter en salles.

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La petite histoire : Un journaliste avait demandé à Stephen Frears pourquoi il n'avait pas essayé de monter son film avec un plus gros budget pour tourner en 35 mm. Réponse de l'intéressé : « Sérieusement. on ne pouvait pas aller voir un financier et lui dire : "Je vais faire un film sur un Pakistanais homosexuel, propriétaire d'une laverie automatique." Personne n'aurait jamais mis un sou dans l'affaire. » Comme quoi il ne faut jamais jurer de rien.

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Pourquoi un tel engouement autour de ce film ? Son sujet, sans aucun doute, mais aussi sa pudeur. A Londres, les Pakistanais, c'est un peu nos beurs. Omar (Gordon Warne
cke) a l'admiration et la reconnaissance de tout le clan familial. Son père en premier lieu, un journaliste socialiste dans son pays, maintenant désabusé, et qui préfère noyer ses rancœurs et ses désillusions dans l'alcool, tout en gardant un œil avisé sur l'avenir de son fils. Omar, capitaine courageux, profite de l'opportunité que lui offre son oncle Nasser, fin connaisseur du système D et des petites magouilles qui font florès, pour reprendre une affaire qui périclite, une laverie automatique, située aux confins d'un quartier d'immigrés et de marginaux. Il veut relever le défi et ne pas se laisser aller à l'amertume des exclus et des laissés pour compte.

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Un bonheur n'arrivant jamais seul, il rencontre Johnny (Daniel Day-Lewis), un ami d'enfance et de lycée. Anglais pure souche, pour lequel il en pinçait déjà. Ce dernier, désemparé au cœur de la perfide Albion, s'était retrouvé parmi un gang de jeunes frappes, plus proches du Front national que des enfants de Baden-Powell. Leur belle histoire, au vu et su de tout le monde, peut commencer. Les « lavandiers » vont pouvoir laver leur linge sale en famille : restauration de la laverie, et inauguration de celle-ci en compagnie des familles médusées mais attendries.

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Stephen Frears n'a pas recours aux enzymes gloutons ou autres poudres à récurer pour arriver à ses fins. Ne vous attendez pas à un cours moralisateur sur les vertus de l'homosexualité et de la vie de couple, encore moins sur les problèmes d'insertion des jeunes immigrés deuxième génération au sein des capitales européennes. Il observe avec tendresse à travers son hublot qui lui sert de caméra, sans prendre parti. A vous de trier votre linge avant de choisir le programme. Blanc ou couleur ?

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Un film décapant, efficace comme un lavage à sec.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Lionel Baier, Natacha Koutchoumov, Alicja Bachleda-Curus, Stéphane Rentznik, Bernabé Rico, Luc Andrié, Anne-Lise Tobagi, Lech Dyblik et Michal Rudnicki. Réalisation : Lionel Baier. Scénario : Lionel Baier. Directeur de la photographie : Séverine Barde. Compositeur : Maurice Ravel. Interprète : Dominique Dalcan.
Durée : 112 mn. Actuellement en salles.




Résumé :
Un couple s’enfonce dans la nuit au volant d’une voiture «empruntée» à la Radio Suisse, comme des voleurs. C’est Lucie et son frère Lionel, enfants d’un pasteur vaudois, et potentiellement descendants directs d’une famille polonaise. Mais rien n’est moins sûr. Ce qui est sûr, c’est la course-poursuite en Slovaquie, les usines désaffectées de Silésie, la voiture volée, le mariage blanc, l’étudiant de Cracovie, les faux passeports, les vrais ennuis, la route pour Varsovie, l’aventure, enfin. Et quelque part en Pologne un cheval qui se noie, nuit après nuit.

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L’avis de Arnaud Hée du site Critikat.com :
Comme des voleurs (à l’Est) est le premier volet d’une tétralogie consacrée aux quatre points cardinaux et à l’Europe, elle s’avère aussi prometteuse que le jeune réalisateur suisse qui l’entreprend. Omniprésent mais essentiellement hors champ dans son précédent film (Garçon stupide), Lionel Baier endosse cette fois sans complexe l’habit du cinéaste-acteur-personnage et embarque le spectateur dans une aventure où l’emboîtement complexe des identités et la difficile construction des individus se mêlent aux relations entre un frère et une sœur.

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Première des nombreuses bonnes nouvelles, Comme des voleurs (à l’Est), histoire d’identités individuelles, collectives et familiales, ne se présente pas sous la forme d’un pensum moralisateur ou plombant. Il s’agit plutôt d’un réjouissant et fantaisiste jeu de piste, finement écrit et interprété par des acteurs dont l’adhésion au projet et au propos crève joyeusement les yeux. Le dispositif de mise en scène est ici moins sophistiqué que dans Garçon stupide. Dans ce dernier, Lionel Baier se maintenait, dans la scène finale mise à part, hors champ, à la fois partie prenante de l’histoire et sorte d’interviewer distancié. Il se recentre ici sur un récit qui s’apparente à une aventure tout à fait assumée. Et la présence de réalisateur en tant qu’acteur et personnage (son homonyme) à l’écran dicte ici, en quelque sorte, la mise en scène. De ces choix, il résulte un alliage de simplicité et de spontanéité maîtrisées au service de la précision, de l’efficacité et de beaux moments de comédie, rares si rares sur les écrans.

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Lionel, 30 ans, journaliste lunaire à la radio suisse romande, est bouleversé d’apprendre qu’une partie de sa famille est originaire de Pologne. Il se lance alors, entraînant en même temps qu’il est entraîné par sa sœur Lucie, à la poursuite trépidante de son identité. Ce mouvement centrifuge travaillait déjà le film précédent, mais il est ici encore plus affirmé, et surtout le décentrement géographique se réalise. Cette quête se fait sous le patronage de L ‘Or de l’écrivain franco-suisse Blaise Cendras que le personnage a toujours sous la main et qui se termine ainsi : « Qui veut de l’or ? Qui veut de l’or ? ». Lionel bien sûr. Ce dernier vit la chose par le fantasme et l’imaginaire, notamment par l’intermédiaire de cet ouvrage. Sa soeur Lucie, plus pragmatique, n’a de cesse de le tirer en dehors de ce rapport fictionnel au réel.
Un peu à la manière de poupées russes, le cinéaste organise une sorte d’emboîtement des identités. D’abord celle de Lionel Baier-personnage et de Lionel Baier-cinéaste, mais aussi celles de sa sœur, de sa famille, de la Suisse et de l’Europe. Aimant « qu’un personnage soit la rencontre de deux entités : une créature fictionnelle et un être bien réel », c’est avec un culot certain que le jeune réalisateur endosse ce statut de cinéaste-acteur-personnage. Mais la remarque vaut pour les autres personnages qu’il parvient à faire exister à l’écran. Outre le patronyme du héros, la dimension autobiographique pointe puisqu’il faut souligner la ténuité du lien de parenté entre le personnage et le cinéaste qui partagent un grand-père polonais et le fait d’être le fils d’un pasteur. Lionel Baier fait de cette permanente ambiguïté un jeu de piste, n’excluant pas le spectateur, au contraire le conviant toujours habilement et généreusement, laissant à celui-ci le soin et la possibilité de déambuler dans les tours et détours de la fiction.

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Cette découverte de ses origines polonaises est pour Lionel l’occasion de se réinventer une identité. Épousant la Pologne, il s’invente littéralement, devient autre : du point de vue vestimentaire et linguistique, aussi en supporter de l’équipe nationale. Mais surtout, surprenant son monde, un nouveau genre sexuel s’impose à lui : il annonce son « mariage d’amour arrangé » avec Ewa, belle et jeune fille au pair, travailleuse clandestine exploitée. Autour de ces questions, Lionel Baier flirte avec un joyeux politiquement incorrect lorsque son personnage joue avec les pires clichés nationaux (fameux couple de hooligans slovaques !) ou interroge son entourage quant à son type physique : une forme des yeux et du crâne qui feraient de lui un slave. Aussi, à mesure que son personnage et le film s’éloignent de la Suisse, il est aussi évident que le propos s’en rapproche. D’où ce double mouvement, à la fois centrifuge (le départ) et centripète, qui traverse le film. Notamment une dénonciation, subtile car jamais formulée en tant que telle, du raidissement identitaire helvète qui a résonné dans les urnes en octobre dernier. Le paradis helvète reçoit ainsi quelques coups de griffe bien sentis : lorsque Lionel demande à ses parents s’ils ont bien des origines polonaises, on lui répond qu’il vient du canton de Vaud...

Comme des voleurs (à l’Est), par le biais de ces jeunes adultes que sont Lionel et Lucie, est aussi une superbe évocation du rapport entre un frère et une soeur. Au tiers du film, le réalisateur se recentre sur cette relation qui prend la forme d’une échappé belle façon road-movie à travers l’Europe centrale avant d’aboutir en Pologne. L’hétérosexualité « retrouvée » et le mariage à venir arrangent les parents, tout heureux de ce retour à la norme du fiston. Lionel Baier prolonge ainsi sa réflexion sur ce thème, n’oublions pas que papa est pasteur et que l’on se trouve en Suisse. Seule Lucie, dont le couple est en échec, y voit une sorte de trahison matinée de jalousie. Troubles et ambigus sentiments fraternels. C’est en tous les cas à ce moment que se produit le pétaradant départ, en contrebandiers de l’identité plus qu’en voleurs. Cette échappée entre frère et sœur est l’occasion, peut-être la dernière, d’écrire, enfin, sa propre histoire et de s’inventer un futur. Les personnages saisissent cette chance au vol, celle d’être à part entière. Dans le roman de Blaise Cendrars, Johann August Suter, dans un premier temps richissime pionnier américain, vit une chute tragique. Au terme de Comme des voleurs (à l’Est), c’est plutôt Lucie qui fait fortune. Mais Lionel, dépouillé de tout, notamment de ses illusions, n’est pas perdant pour autant.

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L’interview de Lionel Baier par Arnaud Hée :
A l’occasion de la sortie de Comme des voleurs (à l’est)
À 32 ans le lausannois Lionel Baier n’a pas perdu de temps. Après La Parade (2001) et Garçon stupide (2004), son troisième long métrage, Comme des voleurs (à l’Est), sort en France le 5 décembre 2007. Il est également chef du Département cinéma de l’École Cantonnale d’Art de Lausanne depuis 2002. Une rencontre avec Lionel Baier est l’occasion de saisir toute l’acuité d’un regard sur son propre travail de réalisateur, mais aussi sur le cinéma, la Suisse et le monde.

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Vous dites aimer qu’un personnage soit la rencontre d’une créature fictionnelle et d’un être bien réel. Or, après votre omniprésence, mais essentiellement hors champ dans Garçon stupide, dans Comme des voleurs (à l’Est) vous endossez complètement l’habit du réalisateur-acteur-personnage, ce dernier s’appelle Lionel Baier. Comment ce statut s’est-il imposé à vous ?

Il était présent dès l’écriture avec Marina de Van, coscénariste, en sachant que j’allais le jouer. Les situations ont été millimétrées pour que je puisse les faire. La narration a donc été pensée et organisée en le sachant. Le fait que le personnage principal porte mon nom, et que ce soit moi qui l’incarne, permet d’aller beaucoup plus vite sur des éléments fictionnels habituels. Notamment d’apprendre que je suis polonais, ce qui dans un film normal, avec un autre acteur, demanderait à être justifié : pourquoi maintenant ? Comment cela se fait que cela lui ait été caché ? Le fait que ce soit moi et en mon nom donne une sorte de vérité documentaire : le spectateur adhère plus vite et plus facilement à cette idée. Si je prends la scène de discussion entre Lionel et son ami : est-ce que je ressemble à un Polonais ou pas ? Est-ce que j’ai une tête de polonais ou pas ? Cette séquence fonctionne parce que c’est moi qui suis à l’image et non un acteur qui aurait été choisi parce qu’il ressemblerait à un Polonais. Ce qui m’amusait et m’intéressait, c’est que la limite ou le vertige entre la réalité et la fiction soit poussée encore un peu plus loin, tout ça devient encore un peu plus opaque. Étonnamment, je crois que ça aide la fiction à exister, ce que lui permet d’aller plus vite que si on devait créer complètement un personnage qui m’était extrêmement différent.

Y a t il des références cinématographiques en la matière qui auraient pu vous mettre sur cette voie ?

La personne dont je me sens le plus proche sans qu’il y ait une volonté d’imitation, de pastiche ou autre, est peut-être Nanni Moretti, même si dans la plupart de ses films son personnage se nomme Michele Apicella. Mais dans Caro Diario et Aprile, il joue son propre rôle et en son nom. Toutefois, je n’ai pas réfléchi ma présence en ces termes, je ne voulais pas que le personnage soit réalisateur ou ait une profession directement liée au cinéma, imposant alors une mise en abyme de la création cinématographique. On peut penser aussi à François Truffaut, particulièrement à Ferrand qu’il incarne dans La Nuit Américaine, ce n’est pas lui mais ils se ressemblent par certains aspects. Le titre, Comme des voleurs, est d’ailleurs tiré de ce film puisque « partir la nuit comme des voleurs » est une phrase qui est prononcée dans le film-support, Je vous présente Pamela, que Ferrand tourne. C’est un clin d’œil et un hommage à François Truffaut.

Le travail d’écriture est manifestement important dans Garçon stupide et Comme des voleurs (à l’Est), vous obtenez pourtant une très grande spontanéité dans ce qui est rendu à l’écran. Comment procédez-vous à l’étape du scénario et des dialogues ?

Ce sont deux scénarii un peu atypiques. Quand les acteurs le reçoivent, il n’y a pas les dialogues. C’est une sorte de grosse bible, comme pour une série de télévision, qui détaille toutes les caractéristiques des personnages, les choses qui leur sont possibles ainsi que celles qui leur sont interdites. Puis il y a un grand séquencier détaillant les scènes à jouer, avec des indications, les intentions de jeu et de mise en scène. C’est donc là-dessus que l’on se base d’abord. Un jour ou deux avant de jouer, ils reçoivent le texte cette fois dialogué, mais ne doivent surtout pas l’apprendre par cœur. On le lit ensemble, puis on le répète plusieurs fois, texte en main, jusqu’à ce que certaines phrases disparaissent et que d’autres soient trouvées. On stabilise alors en se disant qu’on jouera à peu près ça. Souvent je m’empare de beaucoup de choses qui appartiennent aux acteurs, ça m’intéresse de retravailler les personnages à partir des comédiens que j’ai trouvés et choisis. J’aime beaucoup passer du temps avec eux, faire du sport, aller au restaurant, au théâtre, pour les entendre parler, afin de mieux savoir ce qu’ils peuvent donner aux personnages et ce que je vais pouvoir leur mettre dans la bouche.

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Vous nourrissez donc la fiction de ce rapport ainsi noué dans le réel...

Je m’intéresse à ce qu’ils sont au-delà même de leur métier d’acteur, s’ils ont des passions, des habitudes. Et souvent ça me donne beaucoup d’idées. Par exemple dans Comme des voleurs, le personnage dont la représentation à l’image est la plus redevable de cette méthode est Stanislaw, l’étudiant polonais que mon personnage rencontre à son arrivée. Dans le scénario, c’est un personnage beaucoup plus baroque, un type qui écoute de l’électro, qui va dans des raves au fond de mines désaffectées. Et en rencontrant l’acteur, un non professionnel, qui allait jouer le rôle, on a vraiment adapté à ce qu’il était : quelqu’un de plus sage, plus retenu, davantage cinéphile que fêtard.

Votre triple casquette sur ce film a-t-elle compliqué votre action de metteur en scène et de directeur d’acteur ?

Objectivement, c’était vraiment compliqué. Sur le moment, le plus difficile était de ne pas voir les acteurs jouer. Si vous êtes bon, si vous êtes sincère dans ce que vous représentez à l’image, on ne voit pas ceux à côté de vous, vous n’avez pas conscience de ce qu’ils sont en train de faire. Il fallait donc repasser de l’autre côté de la caméra, regarder sur le combo ce qui avait été tourné, pour comprendre ce qu’ils avaient fait et ce que j’avais fait, pour éventuellement retourner et corriger la scène. Le lendemain, j’essayais de corriger ce qui avait été fait la veille, comme si j’avais constamment une guerre de retard. Cela a peut-être aussi créé de bonnes surprises, des choses intéressantes qui m’ont échappé et qui sont ensuite réapparues au montage. Je pense qu’il faut faire confiance aux techniciens et aux comédiens qu’on a en face de soi pour pouvoir se laisser aller à du jeu d’acteur pur pendant les prises. Mais je trouve ça physiquement fatigant, plus que mentalement. J’étais crevé, vraiment, avec l’impression de faire deux journées à la fois. Mais je l’ai cherché...

Est-ce que cela a modifié votre rapport à la mise en scène ? Le dispositif de mise en scène de Garçon stupide s’avère plus complexe que celui de Comme des voleurs, l’ancrage documentaire encore présent dans le précédent s’estompe...

Oui et non. Je vois très bien ce que vous voulez dire par rapport à l’absence de combinaisons entre des éléments dits documentaires et fictionnels. Malgré tout, je pense que Comme des voleurs est plus compliqué pour un réalisateur, car il y a beaucoup de matériel fictionnel, beaucoup d’interactions entre les personnages. Alors que Garçon stupide était assez simple dans le sens où toutes les relations se jouaient sur un mode binaire : entre Loïc et un autre, que ce soit le personnage de Marie, moi-même hors champ ou bien un de ses multiples partenaires sexuels. Il s’agissait toujours d’un rapport bilatéral alors qu’ici le rapport est tripartite voire davantage. C’était donc plus complexe en matière de mise en scène, disons au moins au moment du découpage.

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Faut-il y voir le positionnement d’un cinéaste davantage axé sur le récit et l’envie de raconter une histoire tout simplement ou même une aventure, car Comme des voleurs en est une authentique ?

C’est un film qui est plus traditionnel, qui a une narration plus linéaire. C’est le genre qui le veut, puisqu’il s’agit d’un road-movie. J’avais envie de cette linéarité assez classique. Le fait que ce soit moins « collage » que dans Garçon stupide est tout à fait assumé.

Après La Salamandre d’Alain Tanner dans Garçon stupide, Comme des voleurs se fait, en quelque sorte, sous le patronage de L’Or de Blaise Cendrars, ressentez-vous le besoin d’une sorte de parrain, dans les deux cas suisse, dans vos films ?

Tiens c’est vrai... Il y a toutefois dans Comme des voleurs une scène coupée qui contredit cela. Dans un motel en Allemagne, Lucie et Lionel regardent un extrait de La Troisième génération de Fassbinder, donc un non suisse. On y retrouve d’ailleurs Bulle Ogier. Ce qui m’intéressait dans Garçon stupide, c’est le fait que quelqu’un de non cinéphile, qui ne soit pas connaisseur des films d’Alain Tanner, puisse avoir accès à ce film alors qu’il est lui-même ouvrier. J’aime cette espèce de retour d’un produit culturel sur le public. L’ouvrier qu’est Loïc commence à rire car la scène est cocasse (N.B. : il s’agit de l’extraordinaire scène où l’héroïne remplit mécaniquement des boyaux de chair à saucisses). Mais comme la scène dure, il arrête de rire et se rend compte que c’est son miroir, qu’il s’agit de lui, de sa vie. C’est un moment très émouvant, que j’aime beaucoup. Dans Comme des voleurs, je pense que ça s’explique par le besoin très fort du personnage principal de s’appuyer sur des éléments littéraires, ce qu’il pense comme étant la vie. Il dit lui-même à la fin du film qu’il a l’impression d’être dans un roman, alors que sa sœur, plus ancrée dans le réel, l’extirpe de cette attitude. Comme il a une connaissance livresque de tout et qu’il ne connaît réellement rien, le fait d’avoir recours à l’exotisme de L’Or était intéressant. D’abord par rapport à la vie de Blaise Cendrars lui-même, très étonnante et romanesque, il change de nom, part en France. Je pense aussi que le rapport à L’Or est lié aussi à mon enfance en Suisse. À l’école, on fait systématiquement lire vers 14 ou 15 ans, quand on est trop jeune, un bouquin de Cendrars, et souvent L’Or. Je ne l’ai pas bien compris quand je l’ai lu, j’ai juste été fasciné par le personnage de Johann August Suter qui part de Suisse pour faire fortune en Californie, avant de perdre tout son argent. Je me souviens que la prof nous a expliqué, avec un ton un peu menaçant : voilà ce qui arrive à ceux qui partent, qui s’imaginent, comme atteint de bovarysme, un destin plus grand. Moi j’étais fasciné par cet anti-héros en me disant qu’il avait bien fait d’essayer. Pour moi, c’était l’exemple inverse de Guillaume Tell, le héros national labellisé : un héros fasciste, réactionnaire, protectionniste, qui est resté pour défendre les siens. Je me suis senti très proche de ce type qui était parti, abandonnant les siens, essayant de découvrir d’autres choses.

On peut penser, d’une certaine manière, que la trajectoire de votre personnage suit, sentimentalement et du point de vue de la construction son l’identité, celle de Johann August Suter. D’abord très riche lorsqu’il découvre ses origines polonaises, on le retrouve en quelque sorte ruiné à son départ de Pologne...

Le livre de Cendrars s’arrête effectivement sur la chute du héros, il meurt sur les marches du Congrès américain. Le mien a perdu ce qu’il avait gagné et imaginé de la Pologne, mais il obtient une relation sincère avec sa sœur, ce qui est le but caché du film. Mais aussi une nouvelle relation à la réalité, puisqu’il est sorti d’un savoir livresque pour parvenir à appréhender le réel. Je pense qu’il gagne beaucoup en perdant. Il a fallu qu’il soit dépouillé au sens propre comme au sens figuré pour regagner quelque chose. C’est un arc assez traditionnel dans le cinéma.

Des dynamiques centrifuges marquent profondément vos personnages, le garçon stupide évoque un assez vague désir de départ, ce qu’il ne fera pas en recentrant finalement son regard sur son environnement direct. Par contre, ce départ vers d’autres contrées est effectif pour Lionel et Lucie dans "Comme des voleurs". Pourquoi cette tendance dans votre cinéma ? Qu’est-ce qui la motive ?

Cela est sans doute très lié à un helvétisme dans le sens où si on a un tant soit peu d’ambition... Comment dire ?... En Suisse, on vit dans un espace qui est incroyablement protégé, sans doute formidable pour élever des enfants ou que sais-je, mais, c’est un peu idiot à dire, mais ce n’est pas vraiment la vie, ce n’est pas le monde. On le voit avec la situation en Europe, il s’agit d’une île, d’un espace protégé de tout, qui a un repli constant sur des valeurs dites suisses, même si je ne sais pas ce que ça veut dire. Quand on a 20 ans, on ne peut avoir qu’une envie, c’est d’en partir, de se barrer. Il n’est pas logique que quelqu’un d’intelligent reste dans ce pays toute sa vie, parce que c’est trop petit, trop confortable. Je pense que ce sentiment est celui du personnage de Lionel, issu d’une famille bourgeoise et qui se pose une question d’enfant gâté : est-ce que je n’aurais pas envie d’être polonais ? Pour les autres pays, certains en souffrent beaucoup, l’appartenance nationale est une réalité intangible. Ce mouvement est une manière pour moi de sauver les personnages. Ils ont tout mais se mettent en danger en partant à la rencontre d’un ailleurs. Or partir à la rencontre, c’est un mouvement que la Suisse ne fait pas depuis longtemps, c’est un pays de repli et qui sert de repli pour plein de personnes. Ce n’est pas du tout ainsi que j’envisage ma vie et ni celle des personnages que je fantasme. Ces derniers ne peuvent avoir envie que de partir, de bouger. J’aime l’idée du road movie, que les personnages soient toujours dans l’action, en mouvement...Moi même, l’idée de rester plus de 5 ou 6 jours au même endroit m’angoisse.

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Mais, les dynamiques sont aussi centripètes, vous parlez beaucoup dans vos films de ce pays marqué par une identité complexe qu’est la Suisse. Vous semblez très travaillé par votre pays...

(il hésite)...c’est le mien, celui dans lequel j’ai un passeport, même si je n’ai pas l’impression d’être suisse, je me sens par contre très lausannois. Chaque fois que je passe un poste frontière, et même à l’intérieur de la Suisse on en passe encore, je sors ma carte d’identité sur laquelle il y a un drapeau à croix blanche. Et à chaque fois ça m’interroge, parce que j’ai vraiment honte, mais vraiment ! J’aimerais bien pouvoir la cacher, mais je ne sais pas tout à fait pourquoi... Peut être par réaction. Mon grand père polonais disait que la seule chose qu’il ait fait de bien était de prendre la nationalité suisse, moi ça me terrifie plutôt. Et comme la Suisse est entourée de pays et de douanes, j’ai un vrai problème... Sur la Suisse elle même, je ne saurais pas dire grand chose sur le pays dans son ensemble... J’aurais de la peine à faire un film sur LA Suisse. Même si le fait que les personnages soient suisses détermine forcément beaucoup de choses. S’ils étaient parisiens, le rapport à l’étranger, et même à la province, serait très différent. En France, un cinéaste parisien qui ne tournerait qu’à Paris avec des acteurs et techniciens parisiens sur des thématiques parisiennes, est complètement intégré. C’est d’ailleurs ce que font beaucoup de mes collègues, mais aussi beaucoup de français dans leur vie de tous les jours, et au fond c’est normal. En étant suisse, c’est impossible de ne pas avoir un rapport à l’étranger, ou alors vous vendez du macramé dans une boutique au bord de la Nationale, et encore... Le fait de se poser la question de savoir où est-on par rapport aux autres s’impose, elle est presque obligatoire.

Comme des voleurs est aussi l’histoire du rapport d’un frère et d’une sœur, vous êtes visiblement très attaché à l’enfance, une période de la vie qu’il ne faut pas trahir. Est-ce de la nostalgie ? Est-ce la peur de grandir, d’être adulte ?

Surtout pas, surtout pas, tout l’inverse ! Je suis très pointilleux à ne pas trahir l’enfance pour ne surtout pas oublier l’horreur que c’était. J’ai pourtant eu des parents aimants, on m’a donné tout ce qu’on pouvait me donner, culture et ouverture sur le monde, mais je pense que c’est une période d’une violence absolue. On parlait de Truffaut tout à l’heure, c’est le seul, peut être avec Doillon, qui a parlé de cette violence dans des films noirs, très durs et désabusés, comme Les 400 coups ou L’Argent de poche. Je n’ai donc pas du tout le syndrome de Peter Pan, surtout pas. J’ai l’impression que les rapports frères-sœurs sont monstrueux dans le cadre de l’enfance. Je me suis battu avec mon frère et ma sœur, je crois comme dans toutes les familles saines, pendant toutes ces années. Avant de les redécouvrir à l’âge adulte et maintenant j’ai une vraie relation avec eux. Mais jamais j’aurais envie de les revoir enfants et moi de le redevenir. Par contre, il y a des choses à rattraper, réussir son âge adulte, c’est aussi vivre mieux son enfance.

Vous évoquez dans votre film une peur des « enfants qui pompent les idées comme des moustiques géants », pourquoi cette peur alors ?

C’est surtout celle du personnage... Même si je peux partager avec lui un certain nombre de choses. Il y a en effet de la part des enfants en bas âge une sorte d’omniscience qui est assez troublante. Ils semblent comprendre et capter des choses de l’ordre de l’indicible. Je suis très intéressé par ce qui est de l’ordre de la communication non verbale. L’histoire du cheval dans le film renvoie à cela : le frère et la sœur semblent avoir eu la même idée sans en avoir parler entre eux. J’ai l’impression que les enfants, les très petits, sont très au courant de tout ça, très éveillés à ce genre de communication. Les enfants m’angoissent assez...

Comme des voleurs ressemble un peu à un jeu de piste, avec ses emboîtements d’identités complexes.

J’aime envisager les films comme des mille-feuilles, sur lesquels il y a plusieurs couches. On peut les manger d’un coup sans se demander ce qui le compose, ou, au contraire, s’amuser à les détailler en se demandant ce qui fait le glaçage, les différentes strates de crème et de pâte. J’aime quand ça fonctionne comme ça, quand le film fait des tours et détours, revient en arrière, donne un indice, en retire un autre. Cela permet au spectateur de cheminer à l’intérieur de celui-ci. J’aime imaginer que le spectateur est intelligent, qu’il va se mettre en relation avec le film, prendre des pistes et pas d’autres. Je déteste le cinéma figé où il n’y a qu’une voie à suivre et à comprendre, ce qui est d’ailleurs plus le cas du film d’auteur que des films commerciaux...

...où il n’y a pas d’espaces de liberté...

...oui tout à fait, où il n’y a pas de sens multiple. Ou bien un sens multiple tellement évident que cela lui ôte tout intérêt, et c’est régulièrement le cas du cinéma européen. Alors que le cinéma commercial dominant, notamment américain, par sa complexité industrielle et sa nécessité de plaire au plus grand nombre, au contraire, stratifie beaucoup plus. On a souvent des niveaux de conscience et de compréhension plus forts et dynamiques que dans un film d’auteur où le type se serait fait plaisir en le réalisant.

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Par rapport à votre documentaire La Parade et Garçon stupide, la question de l’identité sexuelle et de l’homosexualité, toujours présente dans votre dernier film, est toutefois reléguée au second plan, un sujet parmi d’autres, cela a-t-il une signification particulière ? Est-ce le signe d’une évolution ?

Je n’ai jamais eu l’impression que l’homosexualité soit un thème, pas dans mes films en tous cas. Je pense que La Parade, un film qui parle de l’organisation d’une gay pride, s’intéresse surtout au militantisme, à propos duquel j’étais plutôt dubitatif. J’avais envie de tester de l’intérieur, de savoir comment fonctionnait ce militantisme. Garçon stupide non plus, même si évidemment le personnage est homosexuel et se pose la question de son homosexualité. Mais j’ai l’impression que c’est très transversal à toutes les pratiques sexuelles. Quand on a 18, 19 ou 20 ans, on se demande si on a envie de s’envoyer en l’air avec tout le monde, si on doit coucher avec quelqu’un avant le mariage, si on croit à la fidélité... C’est une question que tout le monde se pose : qu’est-ce que je fais de mon corps ? Mon prochain film met en scène un couple hétérosexuel ; sensuellement, il est pourtant le plus proche de ce que je suis. Je n’ai donc pas l’impression que ce soit un thème, mais il se faufile au travers de mes films. Je ne sais pas s’il s’agit d’une évolution, mais j’aurais de la peine à déterminer, dans un de mes films, une thématique qui ne serait qu’homosexuelle.

Il s’agit donc avant tout d’une réflexion sur la norme...

C’est peut-être ça, sans doute... Suivre la voie de ses parents ou pas, la vraie grande question de l’homosexualité est celle-là : prendre la décision de ne pas reproduire le modèle. C’est la première dissension qui se vit pour beaucoup de gens, parfois très tôt. Cela permet de réinventer quelque chose, c’est un peu ce que font les personnages à la fin du film. Ils dessinent leur arbre généalogique pour montrer d’où ils viennent, mais décident que ça commence là. Le passé est réglé, maintenant j’en invente ce que je veux. C’est un peu lacanien : la réalité objective des faits importe moins que ce que je peux en raconter. J’ai l’impression que l’homosexualité est un peu la même chose pour le personnage de Lionel.

Vous êtes présent dans de nombreux festivals internationaux, la liste est longue, les choses semblent donc bien marcher pour vous...

Je dois répondre oui ?! (rires)

Sauf si la réponse est non...

Non, oui oui oui ! Mais au-delà des festivals et de la sortie des films, j’ai la chance de vivre de ce que j’aime, d’exercer ma passion. Je pense que le premier jour où j’ai fait une image puis reçu un salaire pour elle à la fin du mois, je m’estime le roi du monde. Je trouve que les choses commencent de là.

Vous avez évoqué un projet en cours, Comme des voleurs est le premier volet d’une tétralogie, comptez-vous la poursuivre dès maintenant ?

Je suis pour l’instant en train de terminer un film qui ne fait pas partie de cette tétralogie. Un tout petit film tourné très vite en noir et blanc l’hiver dernier. Il a neigé la semaine dernière en Suisse, on a retourné des choses dont j’avais besoin. Ce film se déroule dans le milieu du journalisme et reprend la thématique de Bel ami. On suit un journaliste qui parvient à comprendre et à faire connaissance avec la complexité des différentes classes sociales. Et ceci non par sa plume ou ses qualités intellectuelles, mais plutôt par sa capacité d’intrigue et de séduction.

C’est un long métrage ?

Oui. J’ai fait la caméra comme pour Garçon stupide, il y a très très peu d’acteurs, mais toujours Natacha Koutchoumov. C’est un tout petit film... J’écris aussi le deuxième volet de la tétralogie. Rien d’aimable (au Sud) se déroule dans le sud de l’Italie, mais n’a rien à voir avec Comme des voleurs. Ce n’est pas une comédie, il s’avère même plutôt sombre et s’inspire d’un fait divers. Concernant cette tétralogie, l’idée est qu’à travers quatre films qui ne sont pas joints par des thématiques communes, on arrive à tracer une sorte de cartographie affective des européens entre eux. Je mène cela avec l’idée que l’Europe existe en dehors de l’euro, du conseil de l’Europe, et on en sait quelque chose en Suisse puisque nous ne faisons part de rien. Je m’intéresse aux liens que les européens ont tissé entre eux et continuent de tisser. Modestement, je m’attache à faire une sorte d’instantané, au début du XXIe siècle, du continent sur lequel je vis et qui m’est cher.

Propos recueillis par Arnaud Hée, à Paris le 18 novembre 2007.
Un grand merci à Arnaud pour sa gentillesse et son autorisation.

Pour plus d’informations :

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Milan, la nuit (c) D.R.

Fiche technique :

Avec Patrick Lavallé et Jean-François Garsi. Réalisation : Jean-François Garsi. Scénario : Jean-François Garsi. Chef opérateur : Patrick Paolo & Jérôme de Missolz. Chef monteur : Dominique Greussay. Compositeur : Milly.
Durée : 20 mn. Indisponible. Interdit aux moins de 18 ans lors de sa sortie en 1980.
Résumé :
À Milan, dans une chambre d'hôtel, deux homosexuels s'aiment. Dehors, la ville bruyante les cerne de ses paysages bleus.
L’avis et les informations de Jean Yves :
L'histoire de deux hommes se retrouvant à Milan, pour 48 heures, après s'être rencontrés ailleurs une première fois : la voix off parle de ce premier week-end, les images montrent le second.
Un film qui dit la passion entre le porno (ce court métrage n'a pas été classé X) et l'histoire de quai de gare, parsemé d'éléments-hommages, notamment à Pasolini et à David Hockney.
Une ville. Quelques heures. Deux hommes. Milan, un jour, un aéroport. Milan, quelques heures, deux hommes. Milan la brume. Milan la bleue. Deux jours à vivre, une seconde rencontre...
Retrouver en quelques instants, sans autre histoire que ce présent, cette intensité amoureuse déjà vécue la première fois. Retrouver le corps, le goût de la sueur, du sperme. Retrouver l'égarement des étreintes. De la tendresse.
Le film est découpé en vingt séquences, chacune pouvant correspondre à vingt photos « polaroid », supposées avoir été prises durant cette fin de semaine milanaise. Le film unit et outrepasse ces deux moments, en évoquant une ville et une passion. Cette ville est d'ailleurs présente en tant que personnage essentiel. Milan, petits matins blafards, Milan, soleil éclatant.
Alternance des images. Figées et mouvantes à la fois. De pierres, de corps. Rues de la ville, immeubles, flots de voitures, cités désertes des fins de nuit. Rails luisants des trolleybus gravant dans les chaussées - aux pierres identiques accolées - les blessures d'un trafic insensé.
Des courbes de ton corps, de ses méandres. Ma bouche, ma langue - insatiables - s'obstinent à en saisir partout la substance, à faire naître en chaque endroit la folie. Milan, nos corps affolés à en vouloir saisir toute l'étendue. Découvrir chaque recoin de peau. Ne rien en omettre. Le parcourir dans sa totalité, comme ces rues dévoreuses découpant la cité. « De Milan, je n'ai rien vu, comme cette autre à Hiroshima. »
Milan bleu, quelques instants-photos-souvenirs où les lieux, les heures se brouillent dans l'enchevêtrement des corps et des parcours. Et toujours les caresses. Décomptées par la course du temps. Milan des larmes, du cri silencieux de la déchirure. Derniers regards. L'enfance s'enfuit un peu comme au terme de chaque passion.
« Dans tes bras, je retrouverai mes dix ans. »
Ce qu’en disait Jean-François Garsi, le réalisateur :
« En dépit de l'état avancé du libéralisme régnant subsistent encore quelques statuts qui font encore scorie dans ce paysage idyllique. L'homosexualité en est une. Si le vécu homosexuel est chose plus aisée que naguère (?), encore faut-il préciser que les lieux et les temps lui sont d'avance désignés : le ghetto/la nuit (cf. Nighthawks de Ron Peck), et il n'en demeure pas moins vrai que le discours homosexuel reste un acte militant ; en ce sens les films de Lionel Soukaz de Boy friend n°1 à Race d'Ep sont l'expression cinématographique de la militance « gay ».
Il s'agit de combattre une idéologie jugée rétrograde, dangereuse, etc., de tenter de la détruire pour lui substituer de nouvelles valeurs : « normalité de la chose », ou encore d'informer, de donner des éléments pour faire comprendre, faire admettre, etc.
Au contraire, Milan bleu fonctionne comme si « le problème était réglé », non pas pour faire l'économie d'un débat mais pour débarrasser le terrain de vaines interrogations. Le film fait question dans la mesure où il refuse de les poser. Que voit-on ? Une ville et une évidence passionnelle. De la ville on ne voit que quelques rues, quelques murs ; et de la passion, quelques gestes. Peu de chose, donc, mais chaque élément constitutif du film, chaque scène, chaque plan, chaque son exaspère cette proposition : ils vivent, et ils vivent « comme ça ».
C'est cette évidence qui fonde l'aspect provoquant de Milan bleu. Le refus de l'ancrage social a souvent été reproché au film. Il est de fait que si l'on voit ce que font les deux personnages on ne sait pas qui ils sont. Ce refus délibéré de dire, bien que l'appartement où les vêtements portés soient des signes très lisibles, tient au fait que le film se déroule comme une parole tranquille qui viserait l'essentiel : la violence de la passion. Il ne s'agit plus de justifier mais de subvertir, et la subversion ne peut s'inscrire qu'en porte à faux dans le champ idéologique. Alors que la justification emprunte le armes et la démarche du discours « d'en face », se vouant d'emblée à la stérilité, l'injection du passionnel dans la politique vise à créer une faille. L'image et le son de Milan bleu sont de facture très classique. Taxé par certain « d'hollywoodisme », il semble alors paradoxal de dire que le film est expérimental ; et pourtant Milan bleu est un film expérimental si l'on daigne, pour une fois, vider cet adjectif de son sens restrictif: expérimentation formelle.
Le film tente de mettre en œuvre les mécanismes du souvenir et, pour ce faire, opte pour une démarche visuelle très statique : emploi du plan fixe et caméra à hauteur d'homme ; le mouvement naissant au montage et plus tard avec l'adjonction de la voix off, à l'auditorium. Par mouvement, il faut entendre celui qui naît cinématographiquement de la rencontre des images et des sons.
Narratif, le film l'est incontestablement, mais la juxtaposition des moments, visualisés ou dits, brise la narration linéaire pour y substituer un temps et un espace spécifiques. Faire Milan bleu ne signifiait pas raconter une histoire, mais plus difficilement, faire un film.
Film inclassable... si ce n'est par la « Commission de contrôle », puisque celle-ci l'a interdit aux mineurs ; classement par l'exclusion : le retour à la normale. »

Jean-François Garsi

in CinémAction numéro 15, sous la direction de J-F Garsi, Editions Papyrus, 1983, ISBN : 286541048X, pp.125-126
Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Lily Tomlin, Tony Curtis, Susan Sarandon, Whoopi Goldberg, Tom Hanks, Shirley MacLaine, Antonio Banderas, Gore Vidal et John Schlesinger. Réalisé par Robert Epstein et Jeffrey Friedman. Scénario de Robert Epstein, Jeffrey Friedman et Sharon Wood. Directeur de la photographie : Nancy Schreiber. Compositeur : Carter Burwell.
Durée : 101 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



L'avis de Laurent Raphaël :
Un cliché peut en cacher un autre. Comment fonctionne la machine à fabriquer des idées reçues, si utiles, mais tellement redoutables ? [...]
[…] L'influence des médias sur notre perception de la sexualité est un autre bel exemple de perpétuation des stéréotypes. Nous reproduisons, même sans nous en rendre compte, les attitudes et comportements véhiculés sur le sujet par la pub, la télé, le cinéma ou Internet […]

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Une autre minorité est la cible des clichés en tout genre. Ce sont les gays et les lesbiennes. L'histoire de leur représentation dans le cinéma illustre bien ce phénomène. « En cent ans de cinéma, l'homosexualité n'est apparue que rarement à l'écran. Et toujours comme une chose risible, pitoyable ou parfois même effrayante », peut-on lire dans le livre, intitulé The celluloïd closet, que consacre au sujet Vito Russo.
En résumé, entre 1890 et les années 30, le cinéma hollywoodien dépeignait l'homosexualité comme un objet ridicule, un élément comique. Le personnage de l'homo efféminé était populaire et n'avait rien de menaçant à l'époque. Des années 30 aux années 50, des groupes de femmes et d'associations religieuses ont accusé l'industrie du cinéma d'immoralité. Pour se protéger, Hollywood a pratiqué l'autocensure, préférant purement et simplement bannir la figure de l'homosexuel pendant cette période.

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L'avènement des mouvements féministes et des groupes de revendications homosexuels dans les années 60 et 70 va permettre de relâcher la pression. Gays et lesbiennes vont refaire leur apparition à l'écran, mais le plus souvent dans la peau de personnages dangereux ou violents. L'homophobie laisse des traces... Ce n'est qu'à partir de 1990 que la situation va peu à peu s'améliorer. Les personnages homosexuels apparaissent plus nuancés et se rapprochent de la représentation des hétéros. Le succès de films comme Philadelphia, Gazon maudit ou In & out contribuera à ce mouvement. […]
La culture du cliché ne date pas d'hier. Et pour cause, elle renvoie à la question plus fondamentale de l'identité, qui se pose dès qu'un Autre existe. […]

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L’avis de REM :
« En cent ans de cinéma, l'homosexualité n'est apparue que rarement à l'écran. Et toujours comme une chose risible, pitoyable ou parfois même effrayante. De rares images fuyantes, mais inoubliables et qui ont laissé une marque indélébile. C'est Hollywood, ce grand créateur de mythes, qui a enseigné aux hétérosexuels ce qu'ils devaient penser de l'homosexualité et aux gais et lesbiennes ce qu'ils devaient penser d'eux-mêmes. » The Celluloid Closet
Les controverses récentes sur la représentation négative de l'homosexualité à Hollywood ont mis en évidence la manière dont le cinéma a marginalisé et occulté les gais et les lesbiennes. Des organisations comme la Gay and Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD) affirment que Basic Instinct ou Le silence des agneaux, par exemple, diabolisent gais et lesbiennes en les présentant comme des psychopathes.
Dans son livre, The Celluloid Closet, Vito Russo analyse la représentation des gais et lesbiennes dans les films hollywoodiens des années 1980 et 1990 et y décèle une homophobie récurrente, une caricature cruelle et souvent hostile des personnages homosexuels, qui ne sont définis que par leur orientation sexuelle, sans la moindre profondeur psychologique.

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À ses débuts, de 1890 aux années 1930, le cinéma hollywoodien dépeignait souvent l'homosexualité comme un objet de ridicule, un élément comique. Le personnage de l'homosexuel efféminé était populaire à l'époque et, selon Russo, amusait et rassurait à la fois le public. À mi-chemin entre féminité et virilité, son homosexualité n'avait rien de menaçant.
Dans les années 1930 à 1950, groupes de femmes et associations religieuses se sont attaqués au cinéma hollywoodien qui, selon eux, contribuait à l'immoralité publique. En réaction, l'industrie a développé une autocensure qui s'est répercutée sur sa représentation de l'homosexualité. Durant toute cette période, aucun personnage ne pouvait être ouvertement présenté comme homosexuel ; on se contentait de le suggérer par des maniérismes et des particularités de caractère.

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Cette politique rigide s'est relâchée dans les années 1960 et 1970 en même temps qu'apparaissaient les mouvements féministes et les groupes de revendications homosexuels. Gais et lesbiennes devenaient plus visibles et commençaient à faire entendre leur voix, mais leur représentation au cinéma n'en était que plus homophobe. Ils incarnaient le plus souvent des personnages dangereux, violents ou carrément meurtriers.
À partir de 1990, les choses s'améliorent. Les personnages homosexuels sont moins ambigus et on s'efforce de les présenter dans des situations semblables à celles vécues par les hétérosexuels. La popularité de films comme The Birdcage, Philadelphia, Gazon maudit, Quand tombe la nuit ou In & Out démontre aussi que le public peut apprécier des films mettant en vedette des gais ou des lesbiennes. Malgré tout, les critiques trouvent l'industrie encore trop prudente dans le reflet qu'elle donne des personnages, expériences et thèmes homosexuels. Hollywood vise un public aussi large que possible et les producteurs hésitent à s'intéresser à l'homosexualité de crainte d'indisposer une grande partie de leurs spectateurs… et de faire fuir les investisseurs.

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L’avis de AlHolg :
C'est l'histoire de l'homosexualité dans le cinéma anglo-saxon (essentiellement américain) que se propose de dresser Celluloid Closet. Réalisé par deux spécialistes du documentaire et de l'homosexualité en particulier (notamment leur Common Threads: Stories from the Quilt), le film repose sur le travail de recherche de Vito Russo, auteur de l'ouvrage homonyme. Près d'un siècle de cinéma est passé en revue, 120 extraits de films et plusieurs témoignages de producteurs, réalisateurs, scénaristes et acteurs illustrent ce plaidoyer.

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L'intérêt majeur du documentaire réside à la fois dans la démonstration de la présence de l'homosexualité dans des films qui ne sont pas sensés l'aborder, nous permettant de les voir avec un regard différent, mais aussi dans les modes d'évocation de ce thème qui n'ont cessé d'évoluer dans le temps. De la représentation comique de la « tapette » des années 40, du travesti burlesque (mais pas toujours : voir Morocco avec Marlene Dietrich par exemple) qui traverse le cinéma sans discontinuer, à celle, plus complexe, du malaise (The Children's Hour) ou de la perversion (Suddenly, Last Summer) des gays et lesbiennes qui caractérisent les années 70, le cinéma a accompagné les bouleversements socioculturels plus qu'il ne les a précédés. Encadré par le code Hays d'autocensure des années 30 à 60, les professionnels du cinéma ont, le plus souvent, dû avoir recours au sous-entendu ou à la suggestion, voire au symbolisme parfois un peu abstrait pour éviter la réécriture du scénario ou la suppression de séquences.

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On apprend, ainsi, que le scénariste de Ben-Hur, Gore Vidal, a réussi à créer une relation amoureuse entre le personnage titre et Massala grâce à la complicité de Stephen Boyd et à l'insu de Charlton Heston. Intéressant, également, la présentation d'une scène coupée de Spartacus entre Laurence Olivier et Tony Curtis, commentée par ce dernier.
L'homosexualité s'affranchit dans les années 80 des limitations dans lesquelles elle était cantonnée (Cabaret, Making Love puis Philadelphia), sans pour autant éviter de figurer comme maladie mentale ou délinquance (Cruising).

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La principale faiblesse de Celluloid Closet est de ne pas explorer le cinéma international, européen notamment. Des citations de Fellini, Pasolini, Fassbinder, Ingmar Bergman, Nagisha Oshima ou Bertrand Blier auraient été bienvenues. De grands absents également dans la liste des films retenus : le Reflections in a Golden Eye de John Huston et le cinéma de Paul Morrissey entre autres.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Andrew Kelly, Elsje de Wijn, Freark Smink, Gees Linnebank, Jeroen Krabbé, Maarten Smit, Moniek Kramer, Rients Gratama et Valerie Valentine. Réalisé par Roeland Kerbosch. Scénario : Roeland Kerbosch, d’après le scénario original de Don Bloch. Directeur de la photographie : Nils Post. Copisiteur : Joop Stokkermans.
Durée : 92 mn. Disponible en VO et VOST.




Résumé :
La rencontre amoureuse de Jeroen, jeune hollandais de 12 ans, et d’un soldat canadien un peu perdu, en pleine guerre mondiale.

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L’avis de Jean Yves :
Pour un soldat perdu décrit l'aventure amoureuse d'un jeune hollandais de 12 ans et d'un soldat canadien à travers les souvenirs du garçon devenu adulte.

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Jeroen est envoyé pendant l'hiver 1944 dans le nord du pays, loin de la faim qui règne à Amsterdam. Le jeune garçon va alors devoir s'adapter à sa famille d'accueil, mais aussi à l'éveil de sa sexualité. Walt, un des soldats canadiens venus libérer le village, va permettre à Jeroen de s'épanouir et de vivre ses premiers émois amoureux, malgré les différences d'âge et de langue.

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Avec For A Lost Soldier (titre original), le cinéaste hollandais Roeland Kerbosch a réalisé une ode sublime à la pédérastie, ou plutôt, au devenir homosexuel.
La force de ce film, c'est que toute l'idylle amoureuse est amenée par les yeux du héros de 12 ans, épris de son splendide lieutenant canadien. La vraie patrie libérée sera dès lors, pour le jeune garçon, celle du sentiment.

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De cet apprentissage de l'amour, au seuil de la puberté, il était difficile de faire un film aussi délicat, romanesque, sans mièvrerie, à la fois pudique et dénué de toute pruderie. Un film où l'homosexualité n'est pas teintée de sombre.

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« Pour avoir su capter si tendrement une telle passion, le film de Roeland Kerbosch rejoint le Au revoir les enfants de Louis Malle, comme autant de souvenirs forts de l'enfance dans la guerre. » Jim Farber/New-York Daily News
Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Ana Cristina de Oliveira, Nuno Gil, Joao Carreira, Carloto Cotta et Teresa Madruga. Réalisé par Joao Pedro Rodrigues. Scénario : Joao Pedro Rodrigues et Paulo Rebelo. Directeur de la photographie : Rui Poças.
Durée : 101 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :

Odete travaille dans un hypermarché à Lisbonne. Elle rêve d'avoir un enfant avec Alberto, son fiancé, qui travaille dans le même hypermarché comme vigile. Mais lorsque Odete lui fait part de son désir, Alberto prend la fuite. Le rêve d'Odete, restée seule, devient une obsession.
Pedro et Rui, deux jeunes garçons, s'embrassent devant un bar. Ensemble depuis un an, ils échangent bagues de fiançailles et promesses d'amour. Pedro rentre chez lui en voiture et Rui retourne au bar où il travaille de nuit. Quelques pâtés de maisons plus loin, et quelques minutes plus tard, Pedro a un accident de voiture. Il meurt dans les bras de Rui, accouru pour le secourir. Désormais Rui se sent perdu, sans espoir ni envie de vivre.
Mais l'amour de Pedro et Rui est éternel. Leur destin va étrangement croiser celui d'Odete, appelée par le fantôme de Pedro.

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L’avis de Greg :
Lisbonne, de nos jours. Rui perd son amant, Pedro, victime d'un tragique accident de voiture. Odete, au lendemain d'une rupture amoureuse, assiste par hasard aux funérailles de Pedro et se persuade qu'elle est enceinte du jeune homme décédé.
Le réalisateur d'O Fantasma, filme avec finesse une génération à contre courant. Les homos ne rêvent que de se stabiliser dans une vie de couple et les filles n'attendent qu'un bébé même si elles ne sont pas prêtes à l'assumer. Ce double sujet, qui reflète l'avènement de nouveaux idéaux d'un point de vue largement novateur, est plutôt finement analysé. Le réalisme inhabituel des premières minutes du film est, en effet, saisissant et criant de vérité ; il n'est en alors que plus décevant d'assister aux scènes suivantes, toutes poussives, redondantes et creuses...

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Si les deux thèmes principalement abordés sont douloureux et audacieux (le deuil de l'amour naissant de Rui pour Pedro et le transfert psychologique d'Odete pour cet impossible père), leur traitement reste malheureusement très basique et peu fiable. Les situations et les relations tissées entre les deux protagonistes autour de ce même manque (Pedro) ne sont pas crédibles. Les parallèles entre l'évolution psychologique de Rui et d'Odete sont maladroits (Rui s'en sort à peu près, Odete s'enfonce inexorablement...). Le scénario prend de plus en plus de tournants hasardeux. L'histoire, qui s'étire alors interminablement, n'éveille plus aucun véritable intérêt chez le spectateur qui commence à s'ennuyer ferme, d'autant plus qu'il pressent qu'aucun dénouement n'est envisagé.
L'image est certes magnifique et certains plans inoubliables (Odete, allongée sur la tombe de Pedro, entourée de bougies alors que la caméra prend son envol) mais le développement du sujet et son message ne passent pas. Dommage.

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L’avis de Sébastien Bénédict :
Demandez à un cinéphile quels sont ses films préférés : en bonne place parmi son panthéon intime, vous avez de grandes chances d'y trouver Vertigo. Tout y est. Deux images finissent par se rejoindre dans l'intime tragédie d'un deuil impossible, deux femmes en une s'offrent à l'amoureuse orchestration d'un metteur en scène fou d'amour.
Beaucoup ont vu là le lieu du cinéma, son point limite. Y retourner, c'est prendre un risque. En d'autres termes, soumettre l'image à l'épreuve de la croyance. De la foi. Là où le mensonge nous parle autant que le vrai : l'image devient icône, génératrice de toutes les propagandes, de tous les désirs aussi, et sans doute, c'est bien là que vient se dire l'amour fou. La vérité, s'il y en a une, n'est dès lors plus dans l'image mais dans celui qui la regarde. Elle s'efface dans la commotion, la déchirure qu'elle provoque, devient ce trou par où il faut descendre pour peut-être n'en plus revenir.

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Ce que fait Odete, l'héroïne du très beau second film de Joao Pedro Rodriguez : elle descend dans son amour perdu, dans le trou, s'effondre sur le cercueil d'un homme qu'elle n'a pas connu, chargé de remplacer celui qui l'a quittée. Elle veut l'aimer mort, son homme, l'aimer à ce point qu'elle deviendra lui, remplaçante à son tour dans le cœur du véritable amant, laissé en marge de son deuil pourtant réel par un deuil plus puissant encore, un deuil mensonger d'abord, non moins vrai pour finir : Odete ne s'illusionne pas, pourtant elle le fait exister, son amour hors normes, elle y croit, s'engrosse même, dans son désir de mère, à vouloir de lui un enfant. Que l'homme qu'elle s'est par hasard choisi en aimait un autre importe peu. La disposition sexuelle s'efface au profit de l'amour seul, un amour sans corps mais sûrement pas sans image.
C'est le secret des plus beaux mélos, lorsqu'ils vont bien au-delà du vraisemblable, lorsqu'ils se cognent au mythe ; pour ça, il faut oser. Mieux : encore une fois, il faut croire. Se faisant, risquer le ridicule, s'y fondre et tenter par lui de toucher au sublime ; ça demande des efforts, il faut enjoindre le profane à entrer en religion, ni plus ni moins, une religion inventée par et pour le film, une religion sans Dieu : ici, il n'y a rien derrière l'icône, rien derrière le visage de l'être aimé ; c'est l'icône seule que l'on adore, où l'on aime moins l'être que son image, cette photo du jeune homme trop tôt disparu qui orne la pierre tombale, à laquelle Odete inlassablement rend hommage.

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Imaginez qu'au plus fort de sa passion amoureuse, Scotty (James Stewart), décide de devenir Madeleine (Kim Novak), l'objet de son obsession. Odete, film moins « pédé » que résolument transsexuel, voire hermaphrodite, est une transposition de Vertigo, qu'il déplace et prolonge ; où Scotty reste en dehors, Odete choisi de se fondre dans l'image adorée. Sa figure est celle de la translation, d'un passage qui du corps fait son lieu, corps sans affectation sexuelle précise au fond, puisque les deux sexes se valent, et ne touchent en rien à l'identité de chacun. Odete n'aura recours qu'au déguisement pour devenir celui qu'elle a choisi arbitrairement d'aimer : elle se coupe les cheveux, revêt les habits du mort, sa bague de fiançailles volée sur le catafalque ; pour autant, elle reste femme, ce qui ne l'empêche nullement de devenir celui qu'elle veut. C'est le regard de l'autre, le sien aussi bien, qui seul fait la transformation, amène la croyance à terme. Il est toujours bon de rappeler ce qui meut la croyance : le désir. Ce n'est pas le moindre mérite d'un film qui pour finir vient faire un tour du côté des fantômes, lesquels regardent paisiblement ceux qui ont composé avec leur douleur et réappris à vivre.

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L’avis de Clément Graminiès (Critikat) :
En 2001, lorsque l’énigmatique O fantasma sort sur nos écrans, les réactions sont très contrastées. Entre fascination ou simple rejet, ce premier long métrage d’un réalisateur portugais inconnu de tous s’offre une place de choix au panthéon des films gay. Conscient de l’attente que suscite son nouveau projet, Joao Pedro Rodrigues a préféré se réfugier derrière ses références cinématographiques. Du coup, Odete ressemble davantage à un film d’étudiant prétentieux.
Drôle d’histoire que celle d’Odete. Rui (Nuno Gil) perd en deux minutes Pedro (Joao Carreira), le jeune garçon dont il est passionnément amoureux. Une des voisines du défunt, Odete (Ana Cristina de Oliveira), laissée par un petit ami qui ne souhaitait pas lui faire d’enfant, est autant confrontée à l’insurmontable absence. Dans un élan de désespoir, la jeune femme va faire une grossesse nerveuse et attribuer la paternité au petit ami décédé de Rui. Le jeune homme, perturbé par cette perte prématurée, rejette d’abord la jeune femme avant d’envisager que Pedro ait pu trouver le moyen de se réincarner en Odete.
Sujet central du film, Odete est un personnage haut en couleur. Grande tige perchée sur ses patins à roulettes dans le centre commercial où elle travaille, elle semble constamment embarrassée de ce corps presque masculin (jambes interminables, absence totale de rondeurs) et pourtant affublé de stéréotypes féminins (mini short, couleurs vives, crinière au vent). Si la jeune femme renvoie son petit ami sous prétexte qu’il refuse de lui faire un enfant, elle vacille rapidement lorsqu’elle est confrontée, désormais malgré elle, à son absence, tout juste compensée par l’envoi d’un SMS méprisant. Constamment agaçante dans ses moindres excès, elle parvient néanmoins à provoquer les attentions de Rui et de la mère de Pedro qui voit en l’enfant qu’elle porte l’espoir d’une réincarnation de son fils défunt.

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Mais en préambule de cette étrange confrontation, le réalisateur n’hésite pas à exploiter tous les possibles – mais s’encombre aussi des limites – du récit parallèle. Pendant de bien trop longues scènes, les parcours respectifs de Rui et d’Odete ne s’entrecroisent jamais car le réalisateur se contente d’exploiter leur incapacité à faire un deuil pour tisser de pseudo liens entre ses personnages. Surtout, bien loin de la structure fantasque et originale de O fantasma - passionnante quête sexuelle décousue d’un jeune éphèbe – Odete s’encombre d’un scénario trop écrit, trop balisé et considérablement pollué de références cinématographiques peu opportunes qui contribuent essentiellement à transformer le projet en un ramassis de clichés. La scène où Rui ressasse sa peine en pleurant à chaudes larmes devant la scène finale de Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s) du grand Blake Edwards tient davantage du clin d’œil cinéphilique que d’une réelle proposition scénaristique. Comme il ne suffit pas de faire apparaître des fleurs bleues ou de peindre les murs de la chambre d’Odete en rouge pour rendre hommage avec pertinence aux grands mélodrames de Douglas Sirk, en l’occurrence Écrit sur du vent. D’autres cinéastes - Pedro Almodovar, Todd Haynes - ont rendu ces emprunts aux couleurs vives du technicolor bien plus passionnants parce qu’ils épousaient une réelle proposition cinématographique.
Ici, Joan Pedro Rodrigues s’en prive littéralement. Les morts et les fantômes n’exercent aucune pression sur les vivants, tristement vidés de toute émotion. Seul constat qui peut susciter un intérêt par opposition aux bluettes particulièrement mièvres (Et si c’était vrai... à tout hasard), la mort triomphe totalement de l’amour, même du film.

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L’avis de Chori (Lieux communs) :
O Fantasma (qui signifie je le rappelle « le fantôme » et pas « le fantasme »), le premier film de ce jeune réalisateur, avait déjà provoqué de vives discussions, et m'avait laissé sur un sentiment mitigé, de fascination troublée dirons-nous, (j'aime bien quand je trouve un réalisateur qui aime et sait filmer les hommes) mais la radicalité et l'extrémisme de la dernière partie du film ne m'avaient pas permis d'adhérer totalement au propos, en tout cas d'en sortir complètement satisfait.
Je dois reconnaître que c'est encore une fois le cas ici.
Il y a dans Odete deux trames narratives au départ hermétiquement disjointes : Rui, un jeune homosexuel vient de perdre son amant Pedro dans un accident d'automobile. Odete, jeune fille en rollers dans un supermarché, désire maladivement avoir un enfant, mais, pas de chance, son amant (fort appétissant ma foi...) vient juste de s'enfuir, suite à une nouvelle scène de ménage.
La nuit et le jour, le deuil et la naissance, le cimetière et la maternité, difficile de faire plus grand écart, et pourtant Joao Pedro Rodriguez va y parvenir, usant de toutes les ressources d'un scénario tordu, tout cela fusionnant dans une scène ultime qui m'a – une fois de plus – légèrement mis mal à l'aise (plutôt comme maladresse que comme mal au cœur).
Le réalisateur, c'est indéniable, prend plaisir à filmer les corps de ces jeunes gens nous gratifiant de quelques images délicieuses .Comme le baiser des deux amants en gros plan qui fait l'ouverture du film, le pré-générique, scène infiniment plus sensuelle à mon goût que celle, quasi-identique pourtant – trouvez l'erreur ! – qui clôture quasiment le film, mais en beaucoup moins fort.
Au couple du début (Rui et Pedro) qui n'en finit plus de se séparer en embrassades passionnées et en attentions exquises (je t'aime tu m'aimes on s'aime etc) mais qui va être séparé illico par la force des choses va succéder le couple d'Odete et de son délicieux ami-dont-j'ai-oublié-le-nom-mais-qui-vaut-vraiment-le-coup d'œil
Le film nous fournit un panorama quasi-exhaustif de la vie homo (le bar, le sauna, le parking, la boîte...), en suivant les pérégrinations plutôt nocturnes de Rui, dans ses tentatives successives de faire son deuil. Ce jeune homme agit comme nous agirions tous en pareil cas, je pense, comme nous pourrions nous comporter dans cette situation de douleur maximale, il agit dirons-nous normalement, alternant douleur et violence, souvenirs et regrets, larmes et coups, recherche désespérée du plaisir et pulsions suicidaires...
Tandis que la demoiselle, l'Odete du titre, nous est présentée dès le début, comme un tantinet déséquilibrée. De par son métier, d'abord, (elle est « patineuse » dans un supermarché) puis par son comportement dans les premières scènes (son obsession de la maternité, sa violence quand elle jette son petit ami tout nu sur le palier, si si !), attitude qui ne va pas se « normaliser » au long du film, bien au contraire... Puisqu'elle oscille perpétuellement entre l'envie de vie (son bébé) et la fascination de la mort (un de ses apports principaux à l'histoire pourrait d'ailleurs se résumer par « tout ce qu'on pourrait bien faire dans un cimetière »)
(oserais-je qualifier cette scène d’un tantinet exhibitionniste ? en tout cas j'en redemande...) qui vont être eux aussi séparés, manu militari, d'un commun accord d'Odete. Et le film va continuer ces allers-et-retours entre l'univers de Rui et celui d'Odete.

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C'est un rideau bleu soulevé par un coup de vent qui va servir de point d'intersection aux deux récits : Odete va s'immiscer (on ne sait pour quelle raison) dans la soirée de veillée mortuaire de Pedro, puis à la cérémonie de l'enterrement, jusqu'à y revendiquer une place dont le spectateur en vient à se demander si c'est bien ou non la sienne. Dans une trame narrative au départ « réaliste », Joao Pedro Rodriguez glisse quelques éléments qui pourraient s'apparenter au surnaturel : les rideaux bleus déjà évoqués, le doigt d'un mort qu'on suce pour lui voler sa bague (hmm Bunuel aurait adoré...), un bouquet d'anthuriums, une tombe transformée en catafalque avec des bougies, un appel téléphonique d'outre-tombe, une grossesse miraculeuse... mais qui à chaque fois peuvent aussi se justifier pragmatiquement.
Non seulement Odete va se déclarer enceinte de Pedro, mais elle va par cela mettre en route un processus irrévocable, une machinerie minutieuse dont le réalisateur va illustrer les différentes étapes.
Chacune des rencontres entre Rui et Odete est comme un nouveau palier dans cet escalier de l'étrange (des mauvaises langues diraient « du n'importe quoi », mais ce sont des mauvaises langues...) qui met le spectateur à chaque fois un peu plus en déséquilibre, sensible au vertige fictionnel qui fait trembloter l'édifice de la narration. (comme d'un immeuble très haut on hésiterait à se pencher par la fenêtre.)
Pour en arriver, somme toute, à une conclusion du style « l'amour est plus fort que la mort », (oups ! d'ailleurs je viens de m'apercevoir que c'est ce qui est écrit en accroche sur le bandeau du film) mais attention, relevée aux épices de Joao Pedro Rodrigues : un peu d'érotisme, un zeste de surnaturel, un poil d'étrangeté, et un je-ne-sais-quoi de... (Comment dit-on too much en portugais ?)
PS :Tiens pour une fois, je trouve que l'affiche est très honnête : on pourrait dire que
tout y est.
Pour plus d’informations :

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Fiche technique :
Avec Pauline Acquart, Adèle Haenel, Louise Blachère, Warren Jacquin, Serge Brincat, Jérémie Steib et Christophe Van de Velde. Réalisation : Céline Sciamma. Scénario : Céline Sciamma. Directeur de la photographie : Crystel Fournier. Compositeur : Para One (Jean-Baptiste de Laubier).
Durée : 85 mn. Disponible en VF.



Résumé :

L'été quand on a 15 ans. Rien à faire si ce n'est regarder le plafond. Elles sont trois : Marie, Anne, Floriane. Dans le secret des vestiaires leurs destins se croisent et le désir surgit. Si les premières fois sont inoubliables c'est parce qu'elles n'ont pas de lois.


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L'avis de
Chori :

A priori pas trop pour moi : une histoire de filles, avec que des filles, des adolescentes, des qui s'aiment et d'autres pas, des premiers émois, des djeunz, de la natation synchronisée, du gel et des paillettes, des petits dessous (non non rassurez-vous on n'est pas chez David Hamilton...) bref je craignais de bailler au bout de cinq minutes et de m'enfuir au bout du quart d'heure. Pas du tout. Marie, Floriane et Anne. Environ 45 ans à elles trois. La plate, la belle et la dodue, pour résumer trivialement les choses. L'une est amoureuse de l'autre et copine avec la troisième, qui convoite un mec de l'équipe de water-polo qui lui est attiré par la belle en question (comme visiblement tous les mâles du coin). Car l'originalité du film est de présenter les mecs de loin, comme des organismes étranges et étrangers, des quéquettes à pattes, des joyeux bourrins juste bons à ahaner, à sentir la sueur, à faire les cons avec leur maillot sur la tête ou à ricaner en bande. Pas idyllique comme vision, mais plutôt... réaliste, non ?
Serait-ce alors comme l'envers du film de Lou Doillon (Et toi t'es sur qui ?) où il était aussi question de copines qui voulaient le faire. La tchatche et la verve en moins. Mais une intensité poétique indéniable. Un regard juste sur la confusion des sentiments. On aime, mais on ne sait pas exactement ce que ça veut dire. Le corps et le cœur, le cul et les sentiments, à cet âge-là, c'est compliqué, c'est embrouillé. On ne sait pas sur quel pied danser. L'une veut passer pour une salope, mais ne couche pas, l'autre est amoureuse mais ne parvient pas à l'exprimer, et la troisième voudrait qu'on l'aime mais se débat dans sa solitude.
Et avec tout ça, il faut en plus se débrouiller seule(s). Car si le film est focalisé sur ces demoiselles, les adultes n'y existent quasiment pas, les parents en sont tout à fait absents, abstraits. C'est un autre monde. Et son centre est la piscine, un univers idéalement géométrique et désincarné, où justement les troubles et les désirs vont idéalement prendre corps. Que ce soit dans l'eau, lors des compétitons, dans les vestiaires, sous les douches, c'est là, au milieu des carrelages humides, que ça se noue, que ça se joue.


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J'aime ces frémissements, ces maladresses touchantes de faons, ces frôlements, (un regard qu'on croise, une main qu'on cherche, un baiser ébauché) ces espoirs flous, ces égarements, ces attentes, ces déceptions (où le contenu d'un sac poubelle jeté par l'autre sera conservé comme une preuve d'amour puis jeté à nouveau, où le mec qu'on convoitait vient finalement à vous, mais juste parce qu'il n'a pas pu faire son affaire avec l'autre, où le baiser reçu, pourtant tant attendu, sera finalement lavé et effacé à l'eau chlorée de la piscine, où un bijou volé
dans la bouche ! aura un curieux itinéraire circulaire...)
Les friselis électroniques de la bande-son (par le groupe Para One dont je n'avais jamais entendu parler jusque là je dois l'avouer mais dont il serait bien de bientôt reparler) viennent idéalement parfois accompagner, parfois envelopper et parfois juste chatouiller la narration, contrepoint sonore d'une idéale finesse (tristesse ?).
Et, contrairement à certains ces derniers temps (pas mal de réalisateurs à vrai dire), je ne dirais, non pas que ça finit bien, mais plutôt que la réalisatrice le finit bien. Oui, Céline Sciamma sait boucler parfaitement son affaire. La dernière scène est l'aboutissement logique, le point d'orgue. Et montrée comme telle. Tout y est, le rythme du montage, la force des contrastes, la précision, la musique. On en sort quasiment chaviré. Troublant...

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L’avis de Dr Orlof :
A priori, rien de nouveau sous le soleil. Naissance des pieuvres se présente comme une de ces chroniques intimistes qu’affectionne particulièrement le cinéma français. La cinéaste décrit avec minutie les états d’âme de trois jeunes adolescentes confrontées à leurs corps, à leurs désirs et à la sexualité. Pourtant, certains détails nous mettent la puce à l’oreille. Que l’univers du film soit, par exemple, totalement débarrassé de la présence des adultes. Le spectateur se dit alors que ce n’est pas le côté « sociologique » (un film sur la « jeunesse » d’aujourd’hui) de la chose qui intéresse Sciamma et c’est une bonne nouvelle. De la même manière, on appréciera que les personnages n’aient jamais recours au téléphone portable, ce fléau des temps modernes, et qu’ils aient recours à des stratagèmes hors d’âge pour sortir et voir leurs petits amis (demander à la copine de passer à la maison et de faire le planton pendant que le couple batifole). Naissance des pieuvres n’hésite donc pas à rompre avec le naturalisme pour présenter une vision stylisée du monde dont la métaphore (très bonne idée) serait la piscine.
C’est effectivement au cours d’un gala de natation synchronisée que Marie, la jeune héroïne du film, développe une fascination irrésistible pour cette discipline et ses rites. Elle s’attache à Floriane, une nageuse plantureuse dont toutes les filles sont jalouses (on la considère comme la « salope » du groupe, comme celle qui couche avec tout le monde) et s’éloigne de la fidèle Anne, dotée a contrario d’un physique plus ingrat…

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La première partie du film frappe par sa justesse et Céline Sciamma déroule habilement le fil de sa métaphore en montrant cette piscine et ses vestiaires comme le lieu où entrent en conflit l’individu et le groupe. Le passage de l’adolescence est ce moment où il faut intégrer les normes du groupe et synchroniser ses mouvements à ceux des autres. La cinéaste filme parfaitement bien ces corps engoncés dans leurs imperfections (le moment où Anne se fait surprendre nue par un garçon), et la difficulté de les assumer sous les regards des autres ou, inversement, l’arrogance et les privilèges que confèrent la beauté (Floriane et ses regards hautains sur un monde dont elle sait être le centre) dans cette univers.
Ce monde de la natation est un univers violemment normatif (c’est notre monde !), comme le prouve cette scène absolument glaçante (peut-être une des plus fortes du film) où l’entraîneuse de l’équipe « inspecte » les aisselles des nageuses et repère le moindre poil qui dépasse en réprimandant la fautive. Rien de plus caractéristique de ce délire hygiéniste qui caractérise notre époque et il y aurait long à écrire sur cette phobie du poil qui la caractérise, comme si cette dernière trace du vivant était le plus grand crime envisageable (Pascal Thomas dans son délicieux et résistant Le grand appartement l’avait fort bien compris et avait, à juste titre, interdit à Laetitia Casta de s’épiler sous les bras…)
Comme dans le récent Douches froides de Cordier, la cinéaste force l’intérêt par la manière qu’elle a d’inscrire ces corps juvéniles dans le cadre et de les faire exister à l’écran.

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Mais une fois les personnages présentés, il faut en faire quelque chose et c’est là, à mon sens, que le bât blesse. Car au milieu du film (j’ai regardé ma montre parce que la rupture est manifeste), il se produit une cassure où un discours sous-jacent vient malheureusement enrober la réalité de ces corps.
Ce moment, vous me pardonnerez de le déflorer (« l’histoire » n’est pas ce qui importe le plus dans ce film), c’est celui où la belle Floriane avoue justement à Marie qu’elle ne l’a jamais été (déflorée !). En faisant cette révélation, ce beau personnage hautain et dédaigneux devient soudain une « victime ». En fait, la belle est pure et vierge mais si tout le monde la prend pour la «Marie-couche-toi-là » du club, c’est parce que son physique avantageux amène tout le monde à le penser et attire tous les regards. Les coupables, sont donc, bien entendu, les hommes qui gravitent autour d’elle comme les guêpes autour d’un pot de miel !
Le film, qui jusqu’à présent se focalisait assez justement sur une réalité précise, dévie finalement vers l’acceptation de ce monde et de sa nouvelle donne : féminisation à outrance (je disais que les adultes étaient évincés mais c’est la même chose des garçons), disparition du sexuel (nous allons y venir) et victimisation outrancière.
Alors que Floriane a pour elle la beauté, qui est l’arme la plus absolue pour réussir dans les affaires du monde aujourd’hui et le plus grand vecteur d’inégalités, la réalisatrice a le culot d’en faire une victime de tous ces sales bonhommes qui veulent jouir de ladite beauté (voir la scène la plus ratée du film, celle où les deux lolitas – mange Google, mange ! – éconduisent et punissent un « vieux » (au moins la trentaine !) dragueur Soralien à la sortie d’une boite de nuit).
Floriane est donc la victime désignée du regard que portent sur elle les hommes. Et pour être conforme à cette image, elle désire perdre sa virginité avant de coucher avec le garçon avec qui elle flirte. Et c’est là que le film déploie son discours qui, à mon sens, est le plus antipathique ; lorsque la jeune fille, après avoir fait une croix sur le plan « mon premier sera un vieux rencontré en boite » décide de confier cette délicate tâche à… Marie, son amie.

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Outre que la scène est, là encore, assez ratée (qu’on songe, par comparaison, au fameux « fondu au rouge » des Deux anglaises et le continent de Truffaut ou à 36 fillette de Breillat : y a pas photo !), c’est ce qu’elle sous-tend qui effraie : dans notre monde matriarcal, la violence et l’altérité qui naissent de l’acte sexuel peuvent être évincées au profit d’un « petit arrangement entre copines » ne prêtant plus à conséquence.
Bien sûr, les choses sont plus compliquées que ça et Céline Sciamma a le talent d’être plus nuancée (son film est intéressant, je le répète). Cette histoire entre Marie et Floriane peut aussi se lire comme le récit d’une « amitié particulière » à quoi je n’ai rien à reprocher.
Mais on ne m’ôtera pas de la tête qu’il s’agit, dans Naissance des pieuvres, d’en découdre avec le sexuel (en tant qu’il différencie l’homme et la femme) et les hommes qui en sont porteurs (1).
Pour conclure, nous dirons donc que Naissance des pieuvres est un film juste, au deux sens du terme. Juste dans la manière qu’il a de présenter un monde odieusement normatif et prophylactique. Juste dans la manière dont la cinéaste parvient à donner naissance à de jeunes corps et dans la manière qu’ont les trois actrices (parfaites sans exception et étonnamment justes) de les incarner à l’écran.
Juste par contre dans les limites que la mise en scène ne parvient pas à transcender : limites d’un discours sous-jacent assez convenu, limites d’un film qui ne parvient pas à s’élever au-dessus de notre époque et qui finalement semble accepter ses contours de plus en plus fuyants, à l’image de ces deux gamines flottant à la surface d’un grand bain amniotique final.
Ces trois gamines et leur désir de régression sont le monde d’aujourd’hui : infantile, débarrassé du sexuel et outrageusement « féminin ».
Pas sûr qu’il faille s’en réjouir…

(1)
On va dire que j’ergote pour des détails mais il est intéressant de voir comment la cinéaste « déshabille » ses actrices. A celle dont le physique est un peu plus ingrat que les deux autres (tout est relatif), elle offre quelques scènes de nu comme si c’était un droit : puisque vous ne la regarderiez pas en temps normal, je vous « force » à la contempler. C’est presque une mesure anti-discriminatoire (tout comme elle aura droit à une scène d’amour physique). Par contre, les deux autres sont plus jolies et il n’est donc pas question de révéler une seule parcelle de leur nudité : manquerait plus que des « vieux porcs » (c’est ainsi qu’est traité notre dragueur Soralien !) viennent jouir de ce spectacle !

L’avis de Matoo :
Comment ne pas être conquis par un film qui dès les premières images montrent le magnifique théâtre (violet et vert pétant) de mon Cergy natal. Et encore plus, lorsque j’ai réalisé que la piscine qui est montrée (celle du parvis de la préf) est la piscine où j’ai aussi vécu quelques heures (tristes) de mon adolescence. Donc ces passages dans les vestiaires et le bassin et cette ambiance adolescente m’ont particulièrement impressionné de leur authenticité. Et puis je reconnaissais aussi les moindres plans de la ville, des plus connus (comme les colonnes de Saint Christophe) aux plus anonymes (parvis, lotissement de brique, passerelles du boulevard de l’Oise etc.).
Mais ce n’est pas tout car le film de Céline Sciamma possède bien des qualités, et aussi des maladresses, il faut l’avouer. Car oui c’est bien un film un peu marqué : premier film d’une tout juste sortie de la Fémis, et la réalisation est somme toute très classique et convenue. On peut donc lui reprocher d’avoir un peu trop glaner du côté « ciné français intello » et de s’attarder parfois un peu trop sur certaines scènes. Un film aussi intelligent et sensible aurait mérité un traitement un peu moins académique peut-être.
Mais je n’en boude pas moins mon plaisir, car j’ai vraiment beaucoup beaucoup aimé. Evidemment, un film qui évoque l’homosexualité chez des gamines de 15 ans, c’est déjà pas mal. Et la prouesse là est de le faire avec une vérité, une simplicité et une clairvoyance qui m’ont vraiment frappé. En outre, les trois comédiennes Pauline Acquart (Marie), Louise Blachère (Anne) et Adèle Haenel (Floriane) sont épatantes et convaincantes dans ces rôles très délicats.
Marie est amie avec Anne. Cette dernière est un peu la grosse adolescente classique qui fait de la natation, tandis que Marie est étrangement attirée par une autre fille de la piscine : la capitaine de l’équipe de nage synchronisée, Floriane. On suit donc les trois filles, avec leurs problèmes, leurs émois, leurs petites vacheries et autres souffrances adolescentes. Floriane est une « fausse salope », Anne donne son corps faute de mieux, et Marie essaie de voir clair dans ce qu’elle ressent…
Les parents sont totalement absents du film, mais je pense que ce n’est pas tant pour marquer un renoncement que pour ancrer le film dans un univers totalement adolescent. Et en effet, j’ai trouvé que ça fonctionnait très bien, on se retrouve vraiment dans une atmosphère et des codes que nous avons tous connus, et qui n’ont pas bien changé à vrai dire. Le scénario est à ce niveau là particulièrement brillant, dans les intrigues, l’épaisseur psychologique des personnages ou bien les dialogues, il y a énormément de choses qui sonnent très justes, et font mouche.
Le film du coup n’est pas tant une œuvre qui parle d’homosexualité, mais plutôt de femmes et de leur entrée dans la vie adulte. Certaines scènes sont très agréablement soulignées par une bande son originale particulièrement belle et efficace, signée Para One. L’ensemble donne vraiment à cette œuvre beaucoup de charmes et de qualités, et viennent facilement estomper les quelques défauts qu’on pourrait y trouver.

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