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, Lucian Durden,
Papy Potter, Nico Bally, Marie Fritsch,
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et Hugo Rozenberg.

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Un grand merci à Francis Moury,
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FILMS : Les Toiles Roses

Fiche technique :
Avec Sami Frey, Gian Maria Volonte, Anna Karina, Jacques Lippe, Marie-Christine Barrault, Johan Leysen, Pierre Dherte et Marie-France Pisier. Réalisateur : André Delvaux. Scénario : André Delvaux, d’après l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Directeur de la photographie : Charles Van Damme. Compositeur : Frédéric Devreese.
Durée : 108 mn. Disponible en VF.

Résumé :

Les Flandres, au milieu du XVIe siècle. Sébastien Theus, médecin alchimiste, dont le véritable nom est Zenon, revient clandestinement à Bruges, sa ville natale. Malgré de puissants protecteurs – dont le Prieur des Cordeliers – Zenon, recherché depuis longtemps pour dissidence et écrits subversifs, va être arrêté, jugé et condamné au bûcher.


L’avis de Jean Yves :
Le héros est un marginal de la fin du Moyen Age, un alchimiste pourchassé pour son non-conformisme religieux, politique et sexuel, et en quête de la connaissance.

Sur les canaux du vieux Bruges, le cinéaste André Delvaux a du considérablement simplifier le roman, notamment réduire le nombre des personnages.
Dans le livre de Marguerite Yourcenar, on suit Zenon de l'âge de vingt ans à l'âge de soixante ans, lorsque, sous un faux nom, il revient à Bruges, où il est démasqué et traduit en justice. Le cinéaste a décidé de centrer son film sur cette seconde partie : Zenon (Gian Maria Volonte), âgé, revient dans sa ville natale grâce à la complicité du prieur (Sami Frey), et il devient médecin du dispensaire du prieuré. Le spectateur revit toutes les rencontres qui l'ont marqué et fait passer pour hérétique, illustrant cette vérité intemporelle que « la police ne referme jamais un dossier ».
On pourra toujours critiquer la manière dont Delvaux a procédé à son adaptation et la structure plutôt banale des retours de Zenon sur les étapes les plus marquantes de son passé, de son enfance avec son cousin et complice Henri Maximilien (Philippe Léotard) aux épisodes d'autodafés, en passant par l'évocation de sa carrière médicale tout entière tournée vers la recherche, avec ses implications de modernisme qui la mettent hors la loi, en passant aussi par les allusions à la liberté de mœurs de Zenon qui pratiquait sans vergogne la bisexualité (il fut donc accusé aussi pour ses amours masculines). Sans oublier la quête alchimique qui ponctue tout le film.
Il reste que L'œuvre au noir est un film intimiste, qui scrute à travers les gros plans le mystère des gens, et qui, à l'image de Zenon venu se replier sur ses origines, referme l'espace : très rares sont les scènes d'extérieur donnant une impression d'évasion.
Dans le livre de Yourcenar, Zenon maîtrise plusieurs langues. André Delvaux a conservé la pointe d'accent de ses comédiens flamands. Il a banni tout accent parisien.
C'est un film du Nord : un mélange de voix très harmonieux.
Delvaux ne montre pas les bûchers, les scènes de torture dont parle le livre. Il a banni l'aspect spectaculaire du film d'époque. Il ne réalise pas une illustration. Ce qu'il fait avec ses acteurs a un côté purement matériel. Il a tourné un film pauvre d'allure, qui se révèle riche à l'arrivée.
À la suite du roman, ce film est aussi un plaidoyer universel en faveur de la liberté, contre l'intolérance et l'asburdité de l'ordre moral. « Les temps sont à la sottise et à la cruauté », dit au début le prieur à Zenon, une réflexion répétée à la fin du film comme pour en accentuer le caractère universel et intemporel.

Pour plus d’information :

    
Fiche technique :
Avec Noel Palomaria, Charles Lanyer, Malcolm Moorman, Michael Waite et Mitchell Grobeson. Réalisation : John Huckert. Scénario : John Huckert & John Matkowsky.
Musique : John Huckert & Phil Settle. Montage : John Huckert. Réalisation : John Huckert. Scénario : John Huckert & John Matkowsky. Musique : John Huckert & Phil Settle. Montage : John Huckert.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :

Jack (Malcolm Moorman) est un beau mec, super macho, mais c’est surtout un serial killer gay qui sévit à Los Angeles. Il s’attaque aux jeunes prostitués et autres auto-stoppeurs qui ont le malheur de croiser sa route. Il ne stocke pas, comme un de ses célébrissimes confrères, les morceaux des corps de ses victimes dans son réfrigérateur en prévision de festins cannibalistiques savoureux. Les quelques victimes qu’il n’étrangle pas et ne châtre pas, immédiatement après les avoir torturées et sodomisées, sont transportées dans le sous-sol caverneux d'un théâtre abandonné où elles sont bâillonnées et ficelées comme des rôtis dans l’attente de davantage de sévices et de l’exécution libératrice.

Raymond Vates (Noel Palomaria), un jeune inspecteur fraîchement promu, enquête sur cette série de meurtres. Il se trouve que Raymond est gay mais profondément enfoui dans le placard. La nuit venue, Raymond redevient Ramon, un hispano-américain homosexuel draguant dans les bars et accumulant les aventures sans lendemain… Ses deux grandes peurs sont que ses collègues découvrent qu’il est gay et que les mecs qu’il lève s’aperçoivent qu’il est flic. Un soir de drague dans son bar préféré, Raymond branche Jack qu’il emmène chez lui pour faire l’amour. Si Jack est un psychopathe froidement persuasif, il est aussi habile pour la séduction que pour les homicides. Mais quand le détective se réveille au matin, il se retrouve menotté à son lit. Au lieu de libérer Raymond, Jack le défie en lui avouant qu’il est le tueur. Un implacable jeu du chat et de la souris s’engage...


L’avis de Bernard Alapetite (
Eklipse) :
Le film de John Huckert vérifie la maxime de William Carlos Williams : « La terreur tout comme la joie agrandit son objet. »

Une fois que l’on a reconnu ce que doit Hard au Cruising de Friedkin et aussi aux films traitant du fonctionnement de la police américaine comme Serpico et à ceux qui s’intéressent aux serial killer tel Seven, il faut reconnaître qu’avec ses moyens minuscules Hard en dit plus et mieux que les films cités sur les tueurs en série, la police et la perception de l’homosexualité par la société américaine. Contrairement à Cruising qui était un peu le cuir gay expliqué aux hétéros, Hard n’est jamais démonstratif. Ne barguignons pas : Hard est plus intéressant que la plupart des films chroniqués ici, d’abord parce qu’il résulte d’un vrai projet nourri par une urgence – celle de dénoncer l’incurie de la police devant les meurtres perpétrés sur de jeunes prostitués homosexuels. La police classait ces affaires sans même faire d’enquête. Ce qui ne veut pas dire que le film soit sans défaut.

Une des scènes les plus originales et les plus vraies du film est celle où Raymond, après avoir baisé avec un amant de passage, va dans sa salle de bain enlever la capote de son sexe qui bande encore et examine prosaïquement sa queue pour voir si tout va bien de ce coté-là. Une scène d’une parfaite banalité, pourtant je ne l’avais jamais vue au cinéma. En revanche nous avons tous vu, des centaines de fois, une tête éclatée par un gros calibre ou par une batte de base-ball. J’aimerais que vous vous posiez cette simple question : est-ce normal ?

Un des intérêts du film est son aspect documentaire sur la police. Il nous renseigne sur son attitude envers les gays et plus particulièrement envers les policiers gays. Une partie du scénario s’attache à décrire les avanies que subit Raymond, l’archétype du gay clandestin divorcé et père d’un enfant, de la part de ses collègues homophobes après qu’ils l’aient outé. Ces épisodes sont tirés de ce qu’a vécu le premier policier gay de Los Angeles à avoir révélé son homosexualité, Mitchell Grobeson qui, clin d’œil, interprète un petit rôle de flic qui profite de ses vacances pour devenir l’amant d’un soir de Vates. Mitchell Grobeson a été surtout l’un des conseillers techniques du film pour tout ce qui avait trait au quotidien des policiers.

John Huckert, toujours par souci de réalisme, s’est inspiré de la vie de Jeffrey Dahmer pour créer le personnage de Jack. Dahmer a avoué avoir assassiné dix-sept jeunes hommes entre 1978 et 1991. Il ne tuait pas pour le plaisir de tuer ou de voir souffrir mais pour assouvir ses fantasmes nécrophiles. Son but était d'avoir un contrôle total sur le corps de ses victimes. Dans notre cas Jack mélange bondage, torture et mutilations en tous genres. Il aime la mise en scène ainsi que d’espionner les forces de police lorsqu’elles s’activent autour de la scène du crime.

Le film met en parallèle la vie du policier et celle du tueur. D’une certaine façon, ils essaient de se sauver l’un l’autre sans jamais y parvenir. Leur relation est un mélange d’attirance et de répulsion. Une lutte d’influences, mêlée de désir, de soumission, de violence et de tendresse se développe entre eux. Elle se matérialise dans la scène d’amour entre les deux hommes qui se déroule sur une chanson de Georges Michael !

Le réalisateur a eu l’habileté d’enrichir la trame principale d’intrigues secondaires, comme celle de la relation amicale qui se tisse entre Raymond et son partenaire Ellis (Charles Lanyer), un vétéran de la police qui au début rabroue le jeune inspecteur mais qui au final sera son unique soutien. Faisant miroir à cette amitié, dans un bel équilibre scénaristique, nous suivons aussi le rapport qu’entretient Jack avec Andy, un homme marié (Michael Waite). Leur rencontre nous vaut une des séquences les plus réussies du film, lorsque Jack aborde franco ce qui nous apparaît comme un hétéro de base, pas particulièrement appétissant, et ne tarde pas à lui demander : « T’aimes la bite ? » On s’attend à ce qu’il prenne un sévère pain mais l’autre d’une petite voix lui réplique : « J’ai un endroit... » C’est ainsi que Jack parvient à se faire héberger au domicile conjugal d’Andy en tant qu'invité. Il ne tarde pas à peloter, puis menacer le jeune fils de son hôte. Après quelque temps, il s’arrange pour que la femme d’Andy le surprenne en pleine relation sexuelle avec son mari...

Le film est rythmé par les découvertes des meurtres des jeunes victimes. Le choix de celles-ci, genre crevettes larguées, rend le film beaucoup plus crédible qu’un Cruising dans lequel le tueur s’attaquait à des cuirs mastards. Le dernier des gîtons a la vie sauve, c’est moral car c’est le plus agréable à regarder et la mise en scène ne nous cache rien de son anatomie. À ce propos, la réalisation n’est pas plus pudibonde que voyeuriste. Les assassinats se déroulent hors champ, ce qui stimule l’imagination. Il est dommage que le film ne garde pas sa rigueur scénaristique jusqu’au bout. La fin verse dans le grand guignol surenchérissant sur le Seven de David Fincher.

Hard
a été tourné à l’arrache avec un budget misérable, pour un long métrage, de 100 000 $. Ce manque d’argent ne transparaît pas à l’écran grâce notamment à la multiplicité des lieux de tournage et à l’abondante figuration. C’est d’autant plus méritoire que la production s’est heurtée pendant tout le tournage à l’homophobie. Elle a culminé quand deux des principaux laboratoires californiens refusèrent de développer le film. Ils se dirent choqués, non par les scènes de crime mais de voir que des hommes s’y embrassaient ! Le tournage a été bouclé en 32 jours pendant lesquels toute l’équipe a du se montrer polyvalente. Le réalisateur, lui-même, joue un petit rôle d’inspecteur.
La première scène, autant solaire que le reste du film est sombre, par ses beaux plans et son travail sur le cadre est bien représentative de la qualité d’ensemble de la mise en scène qui est souvent directe, brutale et frontale, au diapason d’un scénario riche en thèmes et en ressorts dramatiques qui ne juge pas ses personnages, laissant ce soin aux spectateurs. L’alternance de séquences filmées caméra à l’épaule, celles de la découverte des meurtres par exemple, avec d’autres posées, aux cadrages soignés, renforce le côté documentaire et dynamise la narration. Les éclairages mettent en évidence la brutalité, par des lumières blafardes pour les extérieurs, qui sont souvent légèrement surexposées et qui contrastent avec la violence des rouges et bleus dans les scènes nocturnes.

Les acteurs sont incroyablement motivés et impliqués et cela se sent. Ils n’ont pas été rémunérés. Le tournage du film s’effectua dans la quasi clandestinité en ce qui concerne les séquences urbaines.

John Huckert a non seulement mis en scène et écrit le scénario mais il a aussi produit et monté son film. Il est même le coauteur de la musique !

On ne peut que féliciter les Éditions du Chat qui Fume (!!?) d’avoir exhumé ce film enfoui malgré une certaine renommée après sa tournée des festivals gays. Si la jaquette est assez moche, l’habillage du DVD est bien dans la tonalité de l’œuvre. Le contenu est aussi complet que passionnant. S’il est dommage que l’éditeur français n’ait pas reconduit les commentaires audios du réalisateur et de son acteur principal, présent sur le DVD américain – sans doute en raison du coût de leur traduction, il les a néanmoins remplacés par ceux, très pertinents, du critique Francis Barbier. Mais le bonus le plus intéressant sont les interviews du public filmées (mal) lors de la présentation du film dans différents festivals gays. À ne pas manquer celle de Mitchell Grobeson racontant ses expériences de flic gay, ni les réactions très « politiquement correct » du public des festivals gays choqué par le film, qui est bien sûr proposé en version intégrale. Il en existe une censurée pour les télévisions américaines, dans laquelle la scène de la capote et celle de sexe entre Jack et Ramon/Raymond ont été coupées !

Hard
est un film gay d’une étonnante authenticité avec des scènes crues mais jamais gratuites, mises en images avec un tact et un talent évidents et jouées avec beaucoup de conviction. Il n’en est pas moins avant tout un thriller implacable.
Pour plus d’informations :

L'éditeur parle sur sa page d'accueil de
cette critique
    

Fiche technique :
Avec Jimmy Smallhorne, Chris O'Neill, Bradley Fitts, Joe Holyok, Terry McGof, Michael Liebman, Ronan Carr, Leo Hamill, Seamus McDonagh, Kimberly Topper, Conor Foran et James Hanrahan. Réalisation : Jimmy Smallhorne. Scénario : Terry McGoff & Jimmy Smallhorne. Directeur de la photo : Declan Quinn. Montage : Scott Balcerek & Laure Sullivan. Musique : Nigel Clark & Jerome Di Pietro.
Durée : 90 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
Dans le New York de la fin des années 90, Johnnie (Jimmy Smallhorne), un émigré irlandais à la trentaine virile, travaille comme contremaître pour son oncle (Chris O'Neill) entrepreneur marron qui construit des bureaux. Bien qu’il ait une petite amie (Kimberly Topper), Johnnie, les soirs – fréquents – de beuverie et de défonce ne répugne pas à s’offrir un gigolo. C’est ainsi qu’il rencontre Christian (Bradley Fitts), un jeune immigré australien, pour qui il est surpris d’éprouver quelque chose qu’il ne connaît pas. Ce garçon perdu en demande de tendresse sauvera-t-il Johnnie de sa dérive destructrice ?
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Il est tout compte fait rare que le cinéma mette en scène le monde ouvrier et c’est encore plus rare pour le cinéma gay. Pourtant, l’ouvrier musculeux est l’un des fantasmes gays, surtout américain (voir un des Village People avec son casque de chantier). C’est justement sur les chantiers de New York où nous emmène 2 by 4. Johnnie, le personnage principal, est un contremaître qui travaille à la construction de bureaux pour le compte de son entrepreneur d’oncle. Il dirige une équipe d’émigrés clandestins irlandais. Sans nous infliger un pensum sur le travail dans le bâtiment, Smallhome (si j’ose dire) plante le décor avec efficacité. Nous apercevons un New York inhabituel, ni celui des touristes ni celui des bas-fonds glauques mais celui des rues anonymes du Village, de l’East River ou du Bronx ; Johnnie habite Riverdale, subtilement mais modestement cadré dans la lumière grise de l’hiver lorsque les sommets des buildings se confondent avec le gris métallique du ciel. Si les personnages de cette histoire ne sont pas pour une fois de jeunes mecs aux pectoraux sculptés, le héros n’est cependant pas repoussant avec son corps sec mais massif et son visage façonné par la vie, qui avoue bien sa trentaine bien tassée et qui nous raconte déjà une histoire bien raccord avec celle que l’on voit sur l’écran, toute nourrie par la psychologie des protagonistes que nous découvrons petit à petit. On est néanmoins surpris par le physique de l’oncle que l’on verrait plus en tailleur bessarabien qu’en patron magouilleur irlandais. Cependant, ce choix se révèle judicieux ; le physique inhabituel de l’acteur rajoute du mystère à ce personnage dont on pressent dès le début la noirceur. Il faut dire que Chris O'Neill, qui devait décéder peu de temps après la fin du tournage, est remarquable dans ce rôle de salaud.
Il faut rendre hommage à Smallhorne dont on perçoit bien que la motivation est totale et pour qui 2 by 4 reste malheureusement le seul film à ce jour. Il a tourné,
écrit et joué le rôle principal et avec quelle maîtrise ! Il atteint une authenticité incroyable dans la peinture de ces travailleurs. On pense beaucoup au cinéma de Mike Leight. Le casting mélange acteurs et non professionnels ; tous s’expriment dans le vrai dialecte irlandais de New York au lieu de se contenter de l'habituel accent approximatif. Le réalisateur a été très soucieux de la bande son, un mixage de chansons traditionnelles irlandaises et de bruits de New York, comme le grincement typique de son métro.
Si la première heure d’expositio
n du cadre et des personnages est remarquable, toute la fin du film qui consiste à nous faire découvrir quelles images enfouies rongent Johnnie est moins convaincante. Le cinéaste ne parvient pas vraiment à nous faire entrer dans la psyché et les terrifiants cauchemars de son héros. Au fur et à mesure, on s’aperçoit que Johnnie est hanté par des fantômes qu’il refuse de regarder en face et que la drogue et l’alcool ne sont que des échappatoires à cette confrontation. On peut voir en Christian une possible figure rédemptrice qui sauvera Johnnie de son enfer. Le film se termine par une image domestique apaisée qui peut nous faire espérer un avenir pour Johnnie.
2 by 4 bénéficie d’un directeur de la photo de grande classe, Declan Quinn, qui a travaillé sur de nombreux clips dont ceux des Smashing Pumpkins et de U2 et de non moins nombreux films dont Breakfast on Pluto. Il a choisi de délibérément refroidir les couleurs où dominent les bruns dans des images assez granuleuses. Les plans, souvent en plongée, réussissent bien à transcrire le vertige et la stupéfaction d’un émigré perdu entre les gratte-ciels de Manhattan.
2 by 4 est un essai fort convaincant auquel il n’a manqué qu’un peu de métier pour être un grand film. Son âpreté restera néanmoins longtemps dans la mémoire de son spectateur.
Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Une pièce de Christophe Botti
Avec Violaine Brebion, Edouard Collin, Julien Alluguette
Scénographie de Sébastien Siloret
Mise en scène de Christophe et Stéphane Botti
Musique de Albus et Jérôme Rossi
Costumes de DDP
Durée : 80 mn. Disponible en VF.

 

 


Résumé :
À 17 ans, Mathan trouve qu’il est douloureux d’être soi, douloureux aussi de tomber amoureux, surtout quand cet amour ne ressemble pas aux autres ! Entre deux étés, aux côtés de ses amis François et Virginie, il lui faudra découvrir ses désirs, affronter l’homophobie et surmonter sa peur de ne pas être accepté tel qu’il est. Cet apprentissage lui fera frôler la mort. Mais à la suite de sa tentative de suicide, il pourra enfin saisir le goût de la vie... Un cœur sauvage est une pièce romantique sur l’adolescence. Elle mêle le rire et les larmes et parle de la vie et de la mort en plaçant la question de l’identité au centre des interrogations...


L'avis de David Tong (La Lucarne) :
Au début, il y a l'affiche, placardée un peu partout à Paris. Trois regards nous épient, observent le spectateur potentiel. Deux jeunes hommes, une jeune fille : trois possibilités ? Ensuite, il y a un lieu, particulier, puisqu'il s'agit d'une boîte de nuit dans le troisième arrondissement de Paris. Le cadre, déroutant et déconcertant, oblige aussi le spectateur à s'adapter à une autre manière d'envisager le théâtre, et les pièces. Enfin, il y a la pièce : Un cœur sauvage, celui de Mathan, que les spectateurs fidèles de Christophe Botti et de la Compagnie des Hommes Papillons ont déjà vu dans Un cœur de père. Une sensation, une découverte : le personnage central, au cours d'un été de fin d'adolescence, ressent qu'il est différent, qu'il n'est pas vraiment attiré par sa copine Virginie (avec laquelle pourtant il a des liens très forts) mais plutôt par le nouveau pote de celle-ci, François, sportif, beau et troublant. Et Mathan s'entiche, il s'éprend, il est troublé par ce beau jeune homme. Lui qui a pourtant décidé de ne jamais aimer, parce que ça fait trop souffrir, il tombe fou amoureux de François – ce qui n'aura pas pourtant les effets escomptés, et mènera Mathan à la tentative de suicide… et les trois amis à réfléchir, avec leurs mots et leurs attitudes d'adolescents, à la question de l'identité sexuelle, à la difficulté de se découvrir homo, de l'annoncer aux autres, de le faire accepter, même à une époque où la société se veut tolérante. Le tout appuyé par des jeux d'images, des battements de cœur, revenant régulièrement entre les scènes, à des rythmes différents ; des musiques, sans paroles la plupart du temps ; mais avec, le temps de deux chansons, l'une interprétée par le rôle principal, au milieu de la pièce, et l'autre à la fin, par les trois protagonistes. Une pièce qui parle au cœur, touchant par là aussi l'esprit des spectateurs.
La pièce veut parler au cœur, et tout ce qu'elle contient parle au cœur, au cœur de tous ceux et toutes celles qui assisteront à cette pièce de Christophe Botti. Les acteurs sont formidables de vivacité, de vie, de fougue et de spontanéité. Ils incarnent à merveille, parce qu'ils ont leur jeunesse et un certain talent, des adolescents en proie au doute, à l'incertitude, au désarroi. Ils bougent, crient, s'embrassent, ne miment ni ne feignent quoi que ce soit. D'entrée de jeu on n'a aucune peine à entrer dans leur questionnement, et à quasiment répéter en même temps qu'eux les mêmes phrases, les mêmes angoisses. Un texte particulièrement bien léché, avec juste ce qu'il faut de répliques lapidaires et fortes, de mots d'humour très efficace, et d'expressions fortes. La mise en scène y est pour beaucoup aussi, les faisant se déplacer, sans cesse, ajoutant encore à la densité des thèmes : l'adolescence n'est-elle pas un constant louvoiement entre plusieurs états, entre plusieurs idées, entre des pensées contradictoires, entre l'instabilité de son corps et de son esprit, et la stabilité à laquelle tous nous aspirons ? Nul temps mort, donc, des phrases qui sonnent juste, des images qui illustrent magnifiquement ce qui passe par la tête des ados. Les musiques, enfin, collent tout à fait bien au jeu des acteurs, à leurs gestes, à leurs idées ; et, lorsqu'en plus de la musique, on entend des voix chanter, ce sont celles des protagonistes – des voix belles et interprétant adéquatement les paroles qui naturellement parlent aussi au cœur. On peut seulement regretter un grand foisonnement des sujets traités : à trop embrasser, on étreint mal, et la pièce est terriblement dense, trop dense par moments, à force de coups de théâtre parfois un peu forcés. Mais en tout état de cause, on passe un très agréable moment, et on quitte la salle avec l'impression d'être retourné sur le lieu de sa propre adolescence, qu'on soit homo ou pas. Une histoire de cœurs qui parle au cœur : une alchimie réussie.

Pour plus d’informations :

Merci à Antiprod pour l'autorisation et le matériel photographique

Fiche technique :
Avec Alex Frost, John Robinson, Elias McConnel, Eric Deulen, Jordan Taylor, Carrie Finklea, Nicole George, Brittany Mountain et Alicia Miles. Réalisation : Gus Van Sant. Scénario : Gus Van Sant. Directeur de la photographie : Harris Savides. Monteur : Gus Van Sant.
Durée : 81 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
En ce jour d'automne, les lycéens, comme à leur habitude, partagent leur temps entre cours, football, photographie, potins, etc. Pour chacun des élèves, le lycée représente une expérience différente, enrichissante ou amicale pour les uns, traumatisante, solitaire ou difficile pour les autres. Cette journée semble ordinaire, et pourtant le drame couve...


L’avis de Petit Ian :
Que les choses soient bien claires : non, non, dix fois non, Elephant n'évite pas les explications. Il a suffit que Gus Van Sant soutienne le contraire pour que l'ensemble de la critique en fasse la promotion (en France) ou la condamnation (aux États-Unis). Déjà à la sortie de Bully en 2001 (film de Larry Clark sur le meurtre d'un ado par deux de ses camarades), on a entendu dire que rien n'expliquait le crime. Pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, Elephant raconte le même genre d'histoire, sauf qu'il n'y a pas une unique victime. Et, hélas !, Gugus reprend les mêmes causes que Larry (parents mi-absents mi-démissionnaires, jeux vidéo super offensifs), auxquelles il ajoute, ô rage !, d'autres raisons (le Grand Méchant Internet et l'exclusion d'au moins un des tueurs par ses camarades, le tout auréolé d'une référence au nazisme certainement pas anodine – même si sans influence directe, comme l’ont fait remarquer Les Cahiers du cinéma). Il faut avouer que sur ce coup-là, Gugus craint pas mal. D'autant que le film ressemble à la caricature parfaite des séries américaines (après tout, Elephant était d'abord destiné à la télé) : un bahut supergénial avec plein de couloirs où tout le monde se croise et se connaît (bon, ok, Barbie vient seulement d'apprendre que Ken a déjà une copine), avec un directeur sympatoche qui t'engueule à peine quand tu multiplies les retards – en fait ce n'est pas tellement grave car ici il n'y a presque pas de cours (pour être précis, Gugus n'en montre qu'un [en revanche, il y a des animations supercool, style une discussion sur la visibilité homo aussi plate que bien filmée]), avec des pétasses anorexiques (ouf ! l'humble Gugus a pensé à compatir avec l'unique thon du lycée. La pauvre, elle est victime aussi bien des élèves que des profs, sauf du documentaliste car, comme chacun sait, y a pas meilleure église que le CDI)... Bon, si on ne s'en tient qu'à ça, Elephant c'est pas génial, mais nous n'attendions pas de Gus Van Sant un scénario très fin (tiens d'ailleurs il n'y en avait pas, même si le générique se doit d'en mentionner l'auteur !), quand on sait à quel point sa filmo est inégale [Du bon côté : Mala Noche, Drugstore Cowboy, My Own Private Idaho et Gerry ; de l'autre, déjà moins folichon : Even Cowgirls Get the Blues, Prête à tout, Will Hunting et À la recherche de Forrester ; entre les deux : Psycho] et comme son roman, Pink, est médiocre. Néanmoins, Gugus et le bon côté de sa filmo (surtout Mala Noche et My Own Private Idaho) sont essentiels dans l'épanouissement de la culture gay.
Ne conclure en aucun cas de sa maladresse qu'Elephant n'est qu'une balourdise. Le film de Gus Van Sant témoigne avant tout d'une maîtrise incroyable des techniques filmiques. Il n'est pas une seule séquence qui ne regorge d'effets visant à épaissir le mystère contextuel de ce fait divers déjà connu. Ainsi toute la banalité des situations est-elle ancrée dans une entreprise plastique extrêmement soignée. Depuis le début jusqu'à la fin (le film a été tourné dans l'ordre de l'histoire), Gus Van Sant prend le temps de travailler ses plans jusqu'à la perfection : le générique d'ouverture apparaît sur un ciel à éclairage variable accélérant le déroulement d'une journée (métaphore de l'événement, survenu aussi vite et naturellement que le passage du jour à la nuit). Le plus remarquable est de toute évidence la façon dont la caméra suit les personnages : toujours derrière eux (à qui la palme de la plus belle nuque ?), souvent à contre-jour, elle évolue dans les couloirs au balancement de leur pas (dommage pour les deux ralentis tape-à-l'œil), si bien que le spectateur a l'impression d'avancer dans le corps des personnages. Mais elle croise de nouvelles personnes qui sont autant de perspectives dramatiques (voir par exemple la séquence répétée où Eli photographie John, vue à travers trois regards successifs), et la caméra vogue, suit celui-ci, puis celui-là, fluidement, joliment. Elephant est une œuvre très courte mais au rythme lent, vrai. L'histoire s'étale sur deux jours au maximum, mais la chronologie est éclatée (on pense un peu à Mulholland Drive, autre événement cannois, autre prix de la mise en scène, autre projet télévisuel, autre montage décousu). Gus Van Sant présente de façon originale des banalités, il interpelle, il séduit, il envoûte, son film transporte parce qu'à la volonté contemplative est associée une transfiguration de l'ordinaire (clichés certes, mais démarche documentaire : les comédiens improvisent, n'usurpent pas leur identité [John s'appelle bien John], jouent ce qu'ils font quotidiennement [Elias est bien féru de photographie]).
On peut aussi considérer Elephant plus simplement. On peut encore ignorer qui sont JT Leroy et William Burroughs, crédités au générique, mais le casting de Gugus n'est pas sans trahir son (bon) goût pour les jeunes garçons (oui, bien sûr, John est magnifique, mais Elias l'est encore plus !) La scène où les deux tueurs se donnent leur premier baiser sous la douche est très touchante et filmée avec tant d'amour que la cruauté de la suite s'en trouve d'autant plus impressionnante. On déchante un peu en apprenant que Gugus a dû agiter deux cents dollars pour que les ados acceptent de s'embrasser mais, après tout, cela fait partie de leurs séduisantes manipulations. Car il faut les voir se trémousser devant la caméra, aguicher Gugus et le spectateur ! La pose que prend John pour la photo d'Eli en dit long sur leurs intentions ! Et quand on sait que ces ados sont les nouvelles images de marque des publicités américaines ! Quand en plus on voit les autoportraits d'Elias McConnell (sans chemise... pas sans pantalon) ! Ne nous cantonnons pas à leur seul charme physique : leur jeu est excellent, des plus naturels (bel exemple : la diction mignonne de John admettant qu'il est en train de pleurer). Esthétique, mise en scène, interprétation rattrapent-elles les clichés dans lesquels Gugus saute à pieds joints ? Que les choses soient bien claires : oui, oui, dix fois oui, Elephant est un chef d'œuvre !



L’avis de
Matoo :
Après Ken Park, on essaie de voir dans Elephant une filiation quelconque ou bien un rapprochement quant aux thèmes abordés. En fait, Ken Park est un peu la version « cliché » et « concentrée » d’un Elephant, qui est le regard objectif et froid du documentaire. Ce film est une fiction plus qu’animée d’un souffle authentique, puisqu’il s’agit d’un épisode de la réalité. Elephant est le récit circonstancié à travers la narration de plusieurs protagonistes tout au long de cette fatale journée où la folie de Columbine a eu lieu.

La mise en scène nous donne à regarder le film comme un documentaire, comme l’émission Strip-tease, un simple exposé de séquences qui illustrent bout à bout une série d’événements. Mais là où Gus Van Sant va plus loin, c’est justement dans cette impression de récit froid d’une réalité objective qui est pourtant tout à fait réglé au cordeau pour livrer une telle impression globale. En effet, la manière dont les personnages ont été choisis et interprétés, le montage, la musique distillée tout au long du film et cette incursion dans l’intimité de l’école (un monde complexe de souffrance et d’initiation) sont gérés avec une minutie et une précision redoutables. Ainsi, le film déroule cette journée en empruntant le regard d’une poignée d’élèves (dont les deux tueurs), et nous dévoile les dessous de l’affaire en quelques regards, dialogues, plans, qui nous plongent dans un univers complexe. Car les tueurs ne sont pas deux êtres diaboliques et psychopathes par l’opération du saint-esprit, et tous les adolescents américains ne sont pas non plus les êtres névrosés et borderline de Ken Park ou Kids.

Les protagonistes ont l’air d’être un peu piochés au hasard, mais évidemment il n’en est rien. On suit les pérégrinations de chacun et on ressent les frustrations, les blocages, les humiliations et aussi leurs raisons de vivre et d’espérer, en définitive la démonstration même de la vie adolescente ici ou ailleurs. La différence résidant peut-être dans la manière dont l’éducation entre en jeu, aussi bien celle des parents que celle dispensée à l’école, ainsi que la façon dont on peut se procurer des armes – tout simplement. Certains moments sont filmés un peu à la manière de Jackie Brown, on suit les points de vue de différents personnages sur une même scène et dans un même intervalle de temps. Ce subtil effet met en abîme avec habileté les acteurs dans leur environnement, et souligne la tension qui grandit et un dénouement qu’on sent imminent.

La musique vient aussi souligner certaines scènes avec beaucoup de virtuosité et d’intensité. Le jeu de ces classiques de Beethoven rend certains instants surréalistes et créé une puissante émotion. La caméra glisse sur les personnages et ne tient pas à nous expliquer le fond des choses, simplement à montrer avec dextérité, la triste réalité. On sent que Gus Van Sant ne propose pas une explication complète et argumentée de cette journée, mais veut seulement faire partager les différentes hypothèses qu’on peut ébaucher à partir de ce film-témoin. Et surtout, comme on sait dès le début qu’on est dans une recopie d’un moment passé, on est encore plus sous le choc. Cette sobriété de traitement contribue d’ailleurs à renforcer cette impression de documentaire, et elle place parfois les spectateurs dans un état d’inertie et de prostration incroyable. À certains moments, on a le souffle coupé et dans la salle un même silence d’incompréhension et d’impéritie inonde littéralement l’atmosphère.

J’ai vraiment trouvé que c’était un excellent film, qui a déjà le mérite de raconter cette histoire avec et par les yeux des adolescents (qui sont excellents comédiens) à la fois victimes et bourreaux, proies et prédateurs. En outre, je me dis qu’une fiction qui relaterait ce genre d’événements aurait été considérée comme irréaliste et grossière, et certainement même censurée. Cela ne fait que plus entériner le malaise et faire réfléchir sur la manière dont on doit prendre en considération l’adolescence et ses souffrances, ainsi que la responsabilité de chacun face à ce genre d’actes qui échappent à toute raison humaine.



L'avis de Nachiketas Wignesan :
Gus Van Sant s’est expliqué sur le titre Elephant… Remake d’un film éponyme d’Alan Clarke puis référence philosophique à une parabole bouddhique où un groupe d’aveugles examine médusé un éléphant. Chaque aveugle a son idée propre de l’animal, mais aucun ne peut l’appréhender dans son ensemble. Pour Van Sant nous sommes ces aveugles, plutôt que de nous révéler une illusoire vérité il tente simplement de nous convaincre de cet état de fait. Apprenons à mieux voir !
Elephant revient sur un fait divers qui a traumatisé les USA, le massacre du lycée de Columbine, en donnant la parole aux victimes… Aussi combine-t-il plusieurs points de vue en suivant des élèves en longs plans-séquence dans les couloirs d’un lycée qui devient vite un labyrinthe. La mise en scène de Van Sant multiplie les entrées dans le film, refuse les coupes, efface la présence de la caméra. Elephant devient ballet lorsque l’on comprend que l’on assiste aux mêmes quelques minutes sous des angles et des point de vue différents.
Bowling for Columbine de Michael Moore proposait un coupable… Loin du documentaire militant, Gus Van Sant joue avec des clichés auxquels il redonne vie dans un lycée fantôme. Point de travail moral, d’explication ou de jugement. Il offre avant tout du plaisir cinématographique.
Mais pourquoi alors que l’on espèrerait compassion, pleurs et cours de morale ? Il rappelle simplement que les enfants morts étaient des êtres humains… qu’il transforme en un seul regard grâce aux répétitions des actions. Nous sommes au centre du film. Ainsi il n’y a pas d’acteur principal ou secondaire dans Elephant. Van Sant nous transforme en élève-fantôme, revenu suivre le cours de sa vie. Nous incarnons une autre dimension du titre : la mémoire. Parler de pachyderme c’est aussi évoquer sa légendaire mémoire : Elephant capte un moment passé, une trace de réalité, une portion de vie : une dimension parallèle.



Elias « shoote » des photos dans un parc. Il capture des moments de vérité, il fige le temps… rapproche un couple de la mort ! Nous n’avons jamais le point de vue de l’appareil photo. Van Sant met en parallèle l’acte de prendre en photo et de tuer (to shoot en anglais).



Plan fixe de footballeurs (au ralenti) à l’entraînement au lycée qui courent dans tous les sens en habits de ville. C’est en quelque sorte la représentation photographique qui nous été volée plus tôt. La panique finale est déjà présente. Un des jeunes joueurs, vient chercher au pied de la caméra un sweater rouge arborant une croix blanche et l’inscription Lifeguard (« sauveteur » en anglais) et l’enfile. La caméra s’anime alors, le suit et pénètre dans le lycée en un long plan-séquence. La croix au centre du plan associe le point de vue de la caméra à l’idée de vie (elle redonne vie l’instant du film aux fantômes du lycée), avant qu’il ne devienne la cible du jeu vidéo ou le fusil d’assaut des tueurs… Quand le porteur de la croix (symbole christique) est tué dans la chambre froide, le film s’arrête net. Les travellings d’accompagnement prennent sens : ce sont des fils de vie et chaque coupe du montage nous rapproche de la fin fatale du film.




On pense suivre les parcours de John, Elias puis Michelle mais en fait ils ne font qu’un (la trinité ?)… Ils sont déjà un peu morts. Elephant propose sous leurs trois points de vue différents une scène centrale où Elias prend en photo John qui se donne une claque sur la fesse et Michelle court. Là encore Gus Van Sant figure ce qui parait immontrable : l’horreur du massacre qu’il présentera de manière elliptique par la suite. La claque sur la fesse au moment du déclic fait office de coup de feu et la course de Michelle de panique…



La représentation artistique tue un peu plus… Elias le chasseur d’images examine son « gibier » dans la chambre noire où il développe des photos. Après un très long noir qui évoque la dangerosité qui opère dans la chambre noire, Elias admire ses prise de la journée… là encore elles ne nous sont pas offertes mais on les devine par transparence. La photo du couple remplace son visage ! Il s’agit d’art : le portrait est toujours une représentation de soi.



Eric et Alex, les tueurs, apparaissent en cours de physique sur l’électron… ils rêvent de devenir les électrons qui s’agitent dans les tubes cathodiques. Ils s’absorbent devant des jeux vidéo shoot’em up ou contemplent des écrans de TV tout aussi violents… Mais l’image devient miroir car ils en sont simples spectateurs… Ils transformeront le lycée en champ de bataille et intègreront leur jeu vidéo : ils ne sont plus que le bout d’un fusil, une cible.



Dernier plan (en guise de conclusion) : le même cadre que le premier plan du film mais cette fois le ciel est vide (Dieu existe-t-il ?). Les fils ténus ont disparu : quelque chose d’infime à changé… Le fil de la vie a été coupé.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Sami Frey, Maria Casarès, Clémentine Célarié, Patrick Catalifo, André Dussollier et Catherine Rouvel. Réalisation : Jeanne Labrune. Scénario : Jeanne Labrune. Directeur de la photographie : André Neau. Musique : Nina Corti et Anne-Marie Fijal.
Durée : 102 mn. Disponible en VF.
Résumé :
À Nîmes, un accident de moto fait se rencontrer le radiologue Manuel Vasquez et le torero Francisco Jimenez. Le premier mène une vie protégée, à l'ombre de son épouse Marion, avec laquelle il occupe ses loisirs, avec quelques amis, à jouer de la musique classique. Ancien chirurgien qui faillit provoquer un accident mortel lors d'une opération, fils d'un républicain mort dans une arène sous les banderilles franquistes, Manuel a rejeté tout ce qui lui rappelle l'Espagne...
L’avis de Jean Yves :
Un film sur les ambiguïtés entre hommes qui illustre magistralement le thème de la peur : peur de l'autre et peur du monde, et par-dessus tout, plus forte et plus cachée au fond de l'être, peur de soi-même, cet inconnu.
Fils d'immigrés espagnols ayant fui le franquisme, Manuel (Sami Frey) semble couler une paisible existence auprès de son épouse et de ses enfants. Ancien chirurgien, il s'accroche à des certitudes qui le rassurent : la famille, le travail, la répulsion de l'Espagne et de tout ce qu'elle exalte, notamment ce rituel barbare de la corrida où les franquistes ont prouvé que la violence déchaînée pouvait trop facilement remplacer les taureaux par les hommes.
Francisco (Patrick Catalifo), lui, croit n'avoir pour s'en sortir que le métier de torero : il commence à se faire une petite notoriété dans les arènes du sud de la France, il lui faut maintenant conquérir l'Espagne. Pour Francisco, la certitude est dans sa foi de vaincre qui fait de lui un macho sans peur.
La rencontre de ces deux hommes que tout oppose va faire surgir en chacun d'eux les démons enfouis de la remise en cause de soi. Chacun sait confusément qu'il a besoin de l'autre pour se révéler à soi-même et vivre dans la vérité.
On ne peut pas réduire cette sorte de ballet amoureux entre Manuel et Francisco à une simple révélation du sentiment tabou d'un homme pour un homme. Ce pas de deux de l'attirance et de la répulsion inclut évidemment la dimension homosexuelle dont la prise de conscience, notamment par Manuel, participe de cette angoisse de n'être pas comme l'on voudrait être. Il y a assez d'indices pour comprendre que Manuel et Francisco ont au moins une fois une aventure sensuelle : rapide complicité de mains qui s'étreignent, découverte le lendemain d'un Francisco passablement ivre et hagard dont on devine qu'il a voulu noyer son expérience nocturne.
Très trouble aussi est la position d'Emilio (André Dussollier) en manager jaloux de l'influence de Manuel sur son protégé.

Le film évoque le lien presque toujours sublimé entre tout entraîneur sportif et son poulain favori. Tout se dénouera dans les arènes espagnoles de Sanlucar.
La réalisatrice démontre une incontestable maîtrise dans le réalisme des arènes sanglantes autant que dans la sensualité qui auréole le torero : scène où on le voit revêtir l'habit de lumière, images de sa nudité…
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Benoît Delière, Thibault Boucaux, Johnny Amaro, Adeline Ishiomin, Amandine Maugy, Michel Derville, Gaétan Borg, Patrick Esilva, Jean-Christophe Bouvet et Christian Guidicelli. Écrit et réalisé par Bernard Alapetite et Cyril Legann. Équipe technique : Assistants réalisation Olivia Darcol (1ère), Sylvain Daumer (2d) - Chef opérateur Joachim Villain - Assistant Caméra Jonathan Delafon - Ingénieur du son Alexis Aufray - Scripte Delina Pierre - Chef électricien Aurélien Cachoir - Electro Emmanuel Soule - Chef machino Michel Anglio - Casting figuration Jérôme Bonnaffé, Maïka Cordier - Accesoiriste Gaëlle Touati - Maquilleuse Amandine Roberto - Making-of Sebastien Martinez - Régisseur général Emmanuel Meneghini - Régisseurs Anthony Bouinière, Clovis Libert, Suzie Guillermic - Couleurs - Une production Bernard Alapetite / eKlipse
Durée : 55 mn. Disponible en VF et VOST anglais.

    

Résumé :
Sébastien vient de s'installer à Paris, il se fait désormais appeler « Zack » et a totalement changé d'apparence. D'un adolescent timide et renfermé, il est devenu un jeune homme qui aime séduire et se mettre en valeur. Pourtant quelque chose dans son passé à La Baule n'est pas tout à fait résolu : épris de son meilleur ami, Romain, il a vécu une histoire d'amour contrariée qui le poursuit malgré lui. Perturbé par les stigmates d'un départ précipité et ses difficultés à trouver des repères dans sa nouvelle vie, Zack ne demande pourtant qu'une chose : être aimé...

    

L’avis de Zanzi :
Si vous souffrez d’une insomnie, vous pouvez, comme moi, vous endormir devant un film de Wong Kar-Wai, de préférence le très soporifique In the mood for love, ou vous passer le DVD de Comme un frère. S’il ne vous endort pas dès les premières minutes, ce moyen métrage sans queue ni tête vous fera bailler d’ennui pendant 55 minutes et 53 secondes. Encore maintenant, je me demande ce que les auteurs (ils s’y sont mis à deux pour tourner ça !) ont bien voulu raconter comme histoire. Le film nous épuise en d’incessants allers-retours Paris-La Baule, à mesure que le personnage principal, Sébastien alias « Zack », se remémore en flash-back les moments qu’il a passés près de la mer avec ses amis, en particulier avec Romain dont il était amoureux. Malheureusement, si Romain aime Sébastien, c’est… comme un frère. Alors Sébastien fuit, et part en catimini retrouver son père à Paris. D’emblée il lui fait son coming-out au cours d’une scène sans passion ni larmes qui ne restera pas dans les annales. D’ailleurs, cette scène parisienne n’est pas la première du film qui s’ouvre sur une sortie en boîte au cours de laquelle Zack rencontre Bruno qui deviendra par la suite son petit ami. Auparavant, quelques clichés très gay et parisiens vont défiler en boucle autour du personnage de Zack : Zack la pétasse qui se maquille les cils, s’hydrate le visage et les lèvres, et essaie dix mille fringues en se déhanchant sur une chanson de Jeanne Mas avant de sortir en boîte ; la rencontre entre Zack et Bruno ou comment deux mecs s’adonnent à la drague à deux balles, les lamentations de Zack qui est dégoûté d’avoir 20 ans car il trouve qu’il est en train de vieillir, et la scène la plus hallucinante : Zack qui fait un plan cul par téléphone ! À l’heure d’Internet et des sites de rencontres, j’aurais préféré voir un ordinateur portable. Mais peut-être qu’avec la chanson de Jeanne Mas nous étions vraiment dans les années 80 et que, déjà à moitié dans les vaps, j’ai zappé la séquence où apparaît le minitel rose… La scène où Zack rencontre son plan cul téléphonique est peut-être la plus intéressante, car elle illustre assez bien la grande misère des relations humaines et les hésitations que deux personnes qui ne se connaissent pas et se rencontrent pour baiser peuvent ressentir. Pour le reste, c’est un peu n’importe quoi. La juxtaposition des scènes à Paris (le présent de Zack) et des scènes à La Baule (son passé) rend le film plutôt décousu. Quant à la dernière scène, elle laisse le spectateur sur sa faim. Du côté des acteurs, Benoît Delière est mignon mais son jeu n’est pas assez réfléchi ni tourmenté, alors qu’une histoire d’amour contrariée est censée le hanter. Thibault Boucaux (Romain) est lui aussi mignon dans son genre, mais malheureusement, son jeu est aussi expressif que celui d’un bigorneau dans un parc à huîtres. Force est de constater que lorsque Romain vient de se faire larguer par sa copine Sophie et que l’instant d’après, sur un banc, il dit à Zack « Tu es mon meilleur ami » puis l’embrasse tendrement sur la bouche, il n’est pas crédible. La seule à se tirer honorablement de cette œuvre insipide est Adeline Ishiomin qui interprète Marine, l’amie de Zack. Elle a l’air de l’aimer… comme une sœur, mais il semblerait qu’elle ait eu envie de plus. Une demi-heure supplémentaire pour parvenir au long métrage aurait peut-être permis aux auteurs d’explorer cette face cachée des amours mortes de leur héros.
L’avis de Francis Lamberg et Laurent Mullens (La Lucarne) :
Sébastien, 20 ans, a quitté La Baule pour Paris, où il vit depuis 1 an. Malgré son parcours parisien de séducteur en série, il est obsédé par une fixation sur l’amour l’impossible qu’il a vécu avec son meilleur ami… Bernard Alapetite est le fondateur et la cheville ouvrière du label Eklipse qui édite des films à thématique homosexuelle en DVD. La réalisation d’un film était une ancienne envie, non encore accomplie. C’est chose faite avec Comme un frère qu’il a co-écrit et co-réalisé. Par ce film, il avait « le désir de montrer, à travers une histoire simple, sans prosélytisme aucun, que pour un jeune homme, l’homosexualité peut être vécue non comme une malédiction mais comme un accomplissement. »

Cyrill Legann, le second co-auteur et co-réalisateur de Comme un frère est connu pour ses articles sur le cinéma dans Illico et dans Objectif Cinéma. Il a été remarqué pour sa captation de la pièce Vie et mort de Pier Paolo Pasolini.

Comme un frère est la première production cinématographique de la société Eklipse.
Comme un frère bénéficie d’une excellente photo et d’une remarquable utilisation de la lumière. La prestation de Benoît Delière, dans le rôle de Sébastien alias Zack, est, elle aussi, remarquable. Il s’agit littéralement d’une incarnation, à la fois naturelle et détachée. À tel point que les scènes de sexe ne sont pas simulées. Ce qui amène une véritable et intéressante tension testostéronée, ponctuant le déroulement de l’histoire. Nous ne pouvons pas dire autant de bien du jeu plat et à côté de la plaque de Thibault Boucaux qui interprète Romain, l’ami fusionnel dont est amoureux Sébastien. Malheureusement, Comme un frère pâtit de l’usage de lieux communs cinématographiques tels ce corps à corps amical et ambigu sur la plage, ou cette douche prise pour se laver des souillures du sexe compulsif. La narration se traîne dans une langueur qu’elle peine à communiquer et qui s’avère un peu rasoir. Néanmoins, ce film est touchant de sincérité, sans fausse pudeur.
Extrait : « Quand on traîne avec un pédé, doit y avoir un truc louche derrière… »

Pour plus d’informations :
Voir la bande annonce


Fiche technique :
Avec Avec Si Han, Hu Jun. Réalisation : Zhang Yuan. Scénario : Zhang Yuan et Wang Xiaobo. Photographie : Zhang Jian. Musique : Xiang Min. Montage : Vincent Levy.
Durée : 90 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
Les vespasiennes d’un parc public sont devenues le lieu de rencontre privilégié des homosexuels de la capitale chinoise. La police tente de les surprendre afin de les rééduquer par des punitions enfantines. Un policier (Hu Jun) est troublé par un de ces jeunes hommes. A Lan (Si Han), jeune écrivain, aime y draguer. Lors d'une rafle, l'auteur du trouble est fait prisonnier par le policier ; ils vont passer la nuit tous les deux seuls au poste de police. La garde à vue bascule vite dans une évocation inattendue de la vie du jeune homme, son enfance et surtout sa quête incessante d’amour. Des tranches de vie d’un homosexuel masochiste qui plongent le policier dans des sentiments troubles à l’égard de son prisonnier... Une curieuse histoire d’amour est en train de se nouer.
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Tout d’abord, petit éclaircissement sur ce titre mystérieux : East Palace, West Palace est un terme utilisé par les homosexuels pékinois pour désigner les toilettes publiques bordant la Cité Interdite. Ce lieu est leur point de rencontre favori.
Dès les premières images, nous savons que nous sommes dans un film chinois. Le générique s’inscrit sur un lent pano sur une végétation étique dont les branches grises dessinent comme des caractères chinois sur un pan de mur gris-bleu. L’esthétique de tout le film est déjà dans ces images : lenteur des mouvements d’appareils, ton froid avec une dominante des bleus, ambiances nocturnes et grand soin du cadre.
Le film est divisé en deux parties très inégales. La première nous montre A Lan dans son activité de drague. D’abord dans une vespasienne, comme dans Le Protégé de madame Qin film à la fois plus joyeux et plus informatif que celui-ci, mais beaucoup moins soigné formellement, puis dans un parc et cette fois, on songe aux Garçons de cristal de Bai Xianyong, chef d’œuvre de la littérature gay. Les pissotières et les parcs semblent être les épicentres de la vie homosexuelle chinoise.  
Avec ces films, nous découvrions que l’homosexualité existait en Chine, ce qui n’est pas à proprement parlé une surprise, bien que les autorités de ce pays l’ont toujours nié (comme le sida). D’ailleurs le film insiste sur l’impasse d’une sexualité confrontée à un tel déni qu’elle n’a même pas de mot dans sa langue pour la nommer.
Dans la deuxième partie qui commence après le premier quart du film, East Palace, West Palace ne peut renier son origine théâtrale (la pièce a été jouée en France). La suite du film se déroule presque uniquement dans la pièce d’un commissariat vide qui ressemble bien peu à l’idée que l’on se fait d’un commissariat en Chine ou ailleurs, à l’exception de courtes séquences dont certaines très sensuelles illustreront la confession de A Lan à son geôlier. L’interrogatoire va dériver vers une sorte de drague, presque aussi surprenante que si Lino Ventura essayait de séduire Michel Serrault, et vice-versa, dans Garde à vue... Le film intéresse par la qualité des interprètes et l’enjeu qu’il représente dans la Chine d’aujourd’hui. Le fait de montrer des rapports maître-esclave, un policier fasciné par le passé trouble de celui qu’il a arrêté et enfin la séduction déclarée qu’entreprend le jeune écrivain envers le policier, est totalement inattendu par rapport à ce que l’on croit savoir de l’attitude des autorités qui balancent constamment entre permissivité et répression.
Tout le film explique deux itinéraires : un qui sait ce qu'il est mais qui ne peut pas en parler. L'autre qui va vouloir écouter et qui doute de ce qu'il est venu chercher. Les deux hommes se reflètent (il y a plusieurs fois l’image d’un des deux hommes dans un miroir) et illustrent tant l'homosexualité innée que celle dite acquise. Le film montre toutes ses ombres, ses luttes intérieures, cette résistance d'hommes contre ce régime qui les considère anormaux.
Et l'attrait devient de plus en plus irrésistible, on glisse vers les jeux sado-masochistes avec menottes, travestissement… La torture devient amour supplicié. À la fin, ce n'est plus une histoire chinoise. C'est tout notre schéma de tabous qui explose, avec la remise en question totale du policier.
Alors que la mise en scène de cette confrontation se réduit à une suite de champ/contre champ, les courtes scènes très picturales de la vie de A Lan sont filmées aussi bien en travelling qu’en caméra portée ou encore à la grue.
Les deux acteurs sont exceptionnels. Hu Jun, qui joue le policier, est certes un acteur populaire en Chine, du fait de ses nombreuses apparitions dans de nombreux téléfilms ou séries, mais il n’en est pas moins considéré comme l’un des plus grands acteurs de théâtre de sa génération. Il est membre de la compagnie "Beijing People’s Art Theatre", la compagnie de théâtre dramatique et moderne de renom national (RPC). Il excella dans la très célèbre pièce de Beckett En attendant Godot, qui fut présentée tant en Chine qu’en Allemagne. La pièce East Palace, West Palace lui permit également de jouer à l’étranger et de se faire remarquer comme cela fut le cas au festival d’Edinburgh. Hu Jun n’est pas seulement un « théatreux » et certaines productions cinématographiques lui offrent de grands rôles comme pour Liehuo Enyuan en 1990, de Xie Yuzhen, ou bien encore en reprenant la pièce qui le révéla, East Palace, West Palace de Zhang Yuan en 1996. Il obtiendra d’ailleurs, à juste titre, pour ce dernier le prix du meilleur acteur au Festival du Film de Taormina (Italie) en 1997. Le public gay français le connaît aussi pour son interprétation du promoteur amoureux dans Lan yu de Stanley Kwan. Quand à Si Han, c’est sa première apparition à l’écran. Auparavant, il était animateur radio et doubleur de films. À Cannes en 1997, il décrivait ainsi son travail : « La forme du film accorde une grande importance au récit, aux dialogues. Le rôle d’A Lan appelait un accent considérable sur la voix, le rythme, le souffle intérieur. Je lui ai appliqué la technique des “quatre s” : “sad, sensitive, soft, sexy” (“triste, sensible, tendre et sensuel”). J’ai essayé de composer un personnage qui a connu la souffrance, a été fortement ébranlé psychologiquement et cherche l’amour et la reconnaissance de l’autre. »
Zhang Yuan aime se pencher sur les marginaux de la société chinoise : qu'ils soient enfants inadaptés (Mama 1990), ados délinquants (Beijing Bastard 1992), ou donc de jeunes homos. Si l'on ajoute cette obstination à se passer des subventions de son pays, on peut considérer qu'il est l'un des leaders du cinéma indépendant chinois.
Le film a fait partie de la sélection « Un Certain Regard » 1997 à Cannes. Mais le cinéaste n’a pu se rendre en France. Les autorités chinoises ont purement et simplement confisqué son passeport, sans aucune justification, l'empêchant de fait de se rendre à Cannes, et ont fait pression sur le Bureau du Festival pour que son film soit retiré de la sélection officielle (il est arrivé en une seule copie, par valise diplomatique). Le film a pourtant été tourné à Pékin en toute légalité. Remarquons que le tournage proprement dit a été en majeure partie financé par Zhang Yuan lui-même, marquant ainsi clairement sa position d'indépendance vis-à-vis des Studios Officiels chinois. Une fois tourné, les rushes ont été envoyés en France et le montage du film s'est effectué à Paris. Il a bénéficié d'une aide du Ministère des affaires étrangères français. Zhang Yuan n'a d'autre part jamais revendiqué l'étiquette de « dissident ». Il a tourné depuis plusieurs films : Seventeen years (1999), I love you (2001)…
Le film existe en DVD en France. Il est édité par Optimale. Il comporte un making of malheureusement sous-titré qu’en anglais. En outre, la compression du film est médiocre, ce qui rend parfois l’image instable surtout dans la première moitié du film.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Gunter Meisner, David Sust, Marisa Paredes, Gisela Echevarria. Réalisation : Agustí Villaronga. Scénario : Agustí Villaronga. Images : Jaume Peracaula. Musique originale : Javier Navarrete. Son : Ricard Casals. Production : Teresa Enrich.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
À la fin des années 50, Klaus, un ancien médecin Nazi (Gunter Meisner) est confiné dans un poumon d’acier suite à l’échec d’une tentative de suicide. Il vit avec sa femme Griselda (Marisa Paredes) et sa fille Rena (Gisela Echevarria) dans une grande maison isolée située quelque part en Catalogne. Il y habite incognito, car il est toujours recherché par les autorités, mais sa retraite est relativement sûre dans l'Espagne de Franco. Klaus est l’un de ces médecins qui on fait des expérimentations sur les déportés, fonction qui lui a permis en outre de commettre les crimes sexuels les plus effroyables sur de jeunes garçons. La fin de la guerre n’a pas tari sa perversité sexuelle. Poussé par ses pulsions sadiques, dans son refuge, il torture à mort un adolescent. Le désespoir et la honte de son acte le poussent à sauter dans le vide du toit de sa villa. Après son saut, il est paralysé des épaules aux pieds et ne peut être maintenu en vie que grâce à  un poumon d’acier dont il ne peut sortir.
Il reçoit la visite d’Angelo, un jeune homme mystérieux (David Sust), qui offre ses services en tant que garde-malade. Contre l’avis de Griselda, Klaus insiste pour qu’on engage le visiteur. Bientôt un rapport pervers se développe entre Angelo et Klaus, devenant toujours plus morbide quand Angelo lui révèle qu’il a trouvé des journaux intimes détaillant ses activités durant la guerre et qui dévoilent tout de ses agissements dans les camps de concentration avec les adolescents et notamment sur les abus sexuels sadiques qu’il leur faisait subir...

L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Avant toute chose, je tiens à prévenir que si ce film est vivement recommandé aux spectateurs dotés d’un estomac solide et qui ne sont pas facilement offusqués, tous les autres sont invités à l'éviter à tout prix. Dernier avertissement : le résumé ci-dessus n’est que très partiel pour éviter les spoilers.
Le formatage de plus en plus effréné des films interdit quasiment aujourd’hui aux grands malades du cinéma, comme Agustí Villaronga, de s’exprimer. Ce n’est pas un hasard si ce film date de 1987, il serait impossible à réaliser aujourd’hui. Il existe bien chez nous Gaspard Noé et Philippe Barassat mais qui connaît ce dernier auteur avec Mon copain Rachid, (inclus dans Courts mais gay tome 1) une ode à la jeune bite maghrébine et avec Le Nécrophile, un plaidoyer pour la nécrophilie, film diffusé en catimini à la télévision en pleine nuit. De tels cinéastes sont pourtant indispensables. Ce qui n’interdit pas de se poser des questions sur la finalité de leurs œuvres. Villaronga, qui est né à Majorque en 1953, n’a réalisé qu’une demie douzaine de longs-métrages en 20 ans, ce qui ne surprendra guère à la lecture des pitchs de ceux-ci. On peut même se demander par quel miracle ils ont pu être produits.
Villaronga, pour ce premier opus, contrôle la tension et le suspense d'une façon particulièrement efficace. La violence est relativement peu montrée à l'écran en regard du scénario, mais cet hors champ rend le film d’autant plus dérangeant. Surtout lorsque l’on découvre qu’Angelo a été contaminé par le mal absolu. Ce qui se concrétise au fil du film par un mimétisme de plus en plus grand entre le garçon et l’officier SS. L’angoisse se développe, plus intense chaque minute. Le traitement de la relation sadomasochiste, que l’on retrouvera dans une autre œuvre du cinéaste, El mar, évoque celui de Portier de nuit de Cavani, avec lequel Tras el cristal entretient de nombreux liens.
L’insertion de nombreuses photographies d’enfants, prises dans les camps de concentration à la fin de la Deuxième guerre mondiale, rappelle constamment aux spectateurs la vérité historique qui sous-tend la fiction. Le mal et sa transmission, les rapports ambigus entre victimes et bourreaux, voilà les vrais sujets de Tras el cristal. Toutefois, en privilégiant dans la deuxième partie le versant film d’horreur classique et en ne développant pas vraiment la thématique nazie, elle ne reste qu’une toile de fond ; le réalisateur fragilise plus qu’il ne renforce son propos. L’inspiration biblique du film est indéniable. Satan n’est-il pas un ange déchu ? Comme l’est Angelo qui de vengeur devient bourreau. Tras el cristal est au sens propre un film satanique dont la dernière image montre le cycle éternel du mal incarné par un succube.
Le sujet terrifiant du film est encore exacerbé par un filmage froid et distancié au cadre extrêmement travaillé, jouant continuellement sur les reflets et les jeux d’ombre. Agustí Villaronga plonge progressivement la maison de Klaus dans une ambiance gothique à l’aide d’éclairages irréalistes et intenses qui découpent des ombres sinistres, privilégiant les symboles phalliques. Le film fonctionne selon les codes du thriller psychologique et joue la carte du lieu clos coupé du monde. Il s’inscrit dans toute une tradition du cinéma horrifique espagnol qui perdure jusqu’à nos jours avec Amenabar par exemple. Le malaise est entretenu par une image esthétisante traitée dans des tons froids avec une dominante de camaïeux de bleus. Le film déploie une mise en scène très inspirée, ambitieuse et précise. Seule l’utilisation trop fréquente des effets de zoom a un peu vieilli. De fréquents très gros plans comme celui, très insistant, sur le téton d’un jeune supplicié traduisent les désirs explicites du réalisateur. La rareté des dialogues met en évidence la confiance qu’a le cinéaste dans la puissance évocatrice des images pour exprimer les idées et les émotions. Ce qui ne l’empêche pas de porter une grande attention à la bande son qui n’est pas pour rien dans la montée de la terreur, avec le bruit récurrent – presque obscène – de la respiration du poumon artificiel. 
Les comédiens sont remarquables. Gunter Meisner est un de ces acteurs allemands qui furent condamnés pendant toute leur carrière à endosser l’uniforme nazi. Il débuta dans cet emploi dans... Babette s’en va en guerre ! Il a lâché la Wehrmacht et le reste du monde en 1994. C’est avec surprise que l’on découvre l’héroïne d’Almodovar, Marisa Paredes, dans le rôle de l’épouse tentée par le crime. On n’a guère revu le beau visage de David Sust et son accorte plastique, dont on ne profite pas assez à mon goût lors de la relation sexuelle entre Angelo et Klaus, que dans L’Enfant de la lune, le deuxième long-métrage de Villaronga. Le réalisateur explique, dans le bonus du DVD, qu’il a dirigé les jeunes comédiens en leur proposant des jeux qui n’avaient rien à voir avec le scénario pour ne pas les traumatiser. On peut être néanmoins sceptique sur de telles déclarations, qui sont peut-être surtout destinées à se protéger.

Tras el cristal s’est fait remarquer au festival de Berlin. Il n’a jamais eu droit à une sortie en France. Toutefois, le film suivant de Villaronga, L’Enfant de la lune, lui aussi fantastique et surtout crypto-pédophile, sera sélectionné à Cannes et sortira sur les écrans français comme El mar en 2OOO. Tras el cristal n’a été édité en dvd qu’aux USA, chez l’éditeur Cult Epics ; en bonus, il contient une interview de dix minutes du réalisateur.
Ce film très dérangeant est une méditation partiellement réussie sur les profondeurs de la dépravation humaine. Il pose des questions profondes sur les monstres tapis à l'intérieur de chacun de nous, et illustre avec une évidence effrayante la nature cyclique de l'abus sexuel.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Daniel Chilson, Niklaus Lange, Don Handfield, Linna Carter, Seabass Diamond, Lesley Tesh et Ryan Tucker. Réalisation : John Keitel. Scénario : John Keitel. Images : Thomas M Harting. Montage : Matthew Yagle. Musique originale : Tim Westergen. Chanson originale : Jon T. Howard.
Durée : 91 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
Griff est juste un bon garçon sportif, très populaire sur son campus. Mais il a un grand secret : il aime un autre garçon, Pete ! Pete est le contraire de Griff et il désire avoir une vraie relation au grand jour avec lui. Seulement Griff semble avoir un avenir tout tracé de bon hétéro. Quand Pete est victime d'une agression homophobe, son ami en est le seul témoin. Il doit alors choisir entre abandonner celui qu'il aime ou révéler l'identité des agresseurs de son amant et faire face aux conséquences de son choix. À cette occasion, Griff va être amené à prendre conscience de ses désirs et les avouer à tous...



L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Les vingt premières minutes sont consacrées à un panorama de la « beaufferie » estudiantine américaine, digne du plus calamiteux des teen movie. C’est mollement réalisé et grassement interprété, à l’exception des deux acteurs principaux qui font preuve d’une louable sobriété, bien que paraissant un peu trop âgés pour leur rôle. Puis on nous dévoile, mais nous l’avions supputé dès le début, que le plus mignon de la fraternité, Griff, en pince pour Pete, un étudiant qui semble moins rustique que la moyenne. En pré-générique, on a découvert au petit matin, Griff quitter avec discrétion un lit dont on n’a pas aperçu l’autre locataire, mais il ne fallait pas être bien malin pour se douter que ce n’était pas une jeune fille...
On reconnaîtra sans mal le thème de Get real (1999), le garçon populaire et sportif amoureux en cachette du bon élève sensible du lycée, avec la bonne idée de voir, cette fois, cet amour du côté du sportif. Hélas, la comparaison avec Get real est catastrophique pour le film américain ; autant le film britannique parvenait à nous émouvoir et nous faire entrer dans la psychologie de ses protagonistes, autant nous restons totalement extérieurs à Griff et Pete que le cinéaste ne réussit jamais à faire vivre à l’écran avant l’annonce de l’agression de Pete. Il a la bonne idée de ne pas nous la montrer ; nous l’apprenons en même temps que le héros par un flash d’informations télévisées.
Les choses s’améliorent (cinématographiquement parlant) après l’agression de Pete. La narration se recentre sur les états d’âme de Griff alors qu’elle s’était trop dispersée dans la première partie. Si l’on ne peut être que touché par cette histoire, c’est bien malgré la langueur extrême du filmage qui étire chaque scène, ce qui est un comble puisque l’activité habituelle de Keitel est le montage ! Defying gravity est sa seule réalisation à ce jour.
Pourtant le film ne manque pas de bonnes idées scénaristiques, comme celle de traiter le processus d'acceptation de son homosexualité par Griff en touches successives à travers les yeux de Todd, son meilleur ami hétérosexuel. Comme également celle de montrer par les regards envieux que Griff porte au couple formé par Todd et sa copine combien il aimerait être à leur place, être hétéro ou vivre son amour au grand jour… L’ambiguïté n’est levée qu’à la toute fin. Defying gravity n’est pas lourdement militant comme certains films qui suggèrent fortement qu’il n’y aurait pas de salut hors la relation homosexuelle. On lui reconnaîtra aussi une vertu documentaire pour les spectateurs de chez nous, celle de nous faire pénétrer dans ces fraternités étudiantes – concept totalement étranger à l’esprit français.
La plupart des acteurs étaient de complets débutants lors du tournage, qui n’a duré que treize jours, sauf Don Handfield qui était déjà apparu dans le court métrage gay de Mosvold, Forsaken. Si Daniel Chilson (Griff) n’a pas récidivé, Niklaus Lange qui joue efficacement son meilleur ami hétéro fait depuis une petite carrière. 
Les bonnes intentions ne font pas forcément de bons films. Il reste que Defying gravity finit par emporter l’adhésion à force de sincérité.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Kai Schuhmann, Friedel von Wangenheim, Ben Becker, Wolfgang Völz, Otto Sander, Meret Becker, Gerd Lukas Storzer, Olaf Drauschke, Monika Hansen et Tima die Göttliche. Réalisation : Rosa von Praunheims. Scénario : Chris Kraus & Valentin Passoni. Images : Elfi Mikesch. Musique : Karl-Ernst Sasse. Montage : Michael E. Shephard.
Durée : 100 mn. Disponible en VF et VO.
Résumé :
Fils d’un médecin juif, Magnus Hirschfeld (1868-1935) (Friedel von Wangenheim) entreprend des études de médecine en 1888. Il est révolté que la science tienne l’homosexualité pour une maladie et une perversité. Son diplôme obtenu, il ouvre son cabinet. Une expérience traumatisante, le suicide de l’un de ses patients, incapable de révéler son homosexualité à ses parents, le pousse à agir.
Hirschfeld écrit Sapho et Socrate et fonde en 1897 un comité scientifique militant pour la dépénalisation de l’homosexualité, l’abrogation du fameux paragraphe 175. La pétition en faveur de la révision du Code pénal est signée par de nombreuses personnalités, mais le projet de loi présenté au Parlement est rejeté.
Il fonde un institut de recherche sur la sexualité. C'était alors un champ de recherche encore inexploré. Des personnes de toute l'Europe le consulte au sujet de leurs propres problèmes sexuels, dont un jeune aristocrate autrichien, le baron Hermann von Teschenberg (Gerd Lukas Storzer), qui devient son ami et son principal soutien financier. De son côté, le préfet de police de Berlin (Wolfgang Völz) s’intéresse aux travaux de Hirschfeld. En sa compagnie, il découvre incognito les milieux homosexuels de la capitale. Cette évolution inquiète von Teschenberg : craignant de devenir l’objet d’un chantage, il fuit à l’étranger…

L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Sous ce titre imbécile, même si « Einstein du sexe » est le surnom que donnèrent à Magnus Hirscheld des journalistes américains durant son séjour à Los Angeles, se cache une biopic d’un des pères de la sexologie et le grand-père de tous les activistes gays de par le monde. Mais ce film est un bien mauvais coup porté au grand homme et à tout le mouvement gay, tant il n’échappe que rarement au grotesque.
La vie d’Hirscheld, plus sa vie privée que son combat pour la reconnaissance des amours homosexuels, est débitée en une série de vignettes sensées être « kolossalement » signifiantes, jouées façon patronage ou cabaret teuton. On y découvre ainsi son amour non consommé avec le Baron von Teschenberg, les longues et heureuses années passées en compagnie de Karl Giese (Olaf Drauschke), la controverse qu’il entretient avec cet autre figure de la défense des homosexuels qu’est Adolf Brand (Ben Becker) chantre de la beauté physique de la jeunesse allemande ou encore la présence de son ami et ange gardien, le travesti Dorchen.
Les acteurs surjouent chaque scène et font des mimiques que l’on aurait déjà trouvées outrées au temps du cinéma muet. Seul Olaf Drauschke, qui interprète l’ami d’Hirsheld, apporte à la fin du film émotion et vérité qui empêchent un naufrage artistique complet. Cela est d’autant plus regrettable que le film se base sur une recherche historique sérieuse et complète, bien illustrée par les inserts judicieux d’images d’archives qui ponctuent le film et nous restituent cinquante ans d’histoire allemande qui servent de décor à cette tragédie. Car la vie d’Hirscheld, comme l’histoire de son pays, est une tragédie. Ainsi, on ne comprend pas du tout le parti pris choisi par Rosa von Prauheim de faire jouer les acteurs sur un ton primesautier et égrillard en complète contradiction avec ce qu’ils nous racontent. Il est curieux de voir combien une certaine Allemagne, terrifiée par un retour possible du nationalisme, éprouve une sorte d’extase à cracher sur son pays car l’Einstein du sexe nous montre un pays qui, de 1880 à 1935, n’est peuplé que de veules abrutis toutes sexualités confondues. Même le kitsch ne peut pas cautionner une scène franchement antisémite, bien sûr involontaire, lorsque l’oncle et la tante du jeune Magnus rechignent à lui payer ses études, une séquence qui n’aurait pas déparé dans les pires films de propagande nazie. Le spectateur attentif pourra se distraire la rétine grâce à de très fugitifs beaux garçons nus dans des galipettes champêtres assez croquignolesques.
Rosa von Praunheim, de son vrai nom Holger Mischwitzky (c’est au milieu des années 60 qu’il a adopté le nom d'artiste Rosa von Praunheim), est né à Riga (Lettonie) en 1942. Il a commencé à tourner au début des années 70 des courts métrages expérimentaux. Il a réalisé en trente ans plus de cinquante films et téléfilms, surtout des documentaires, dont presque tous ont un rapport plus ou moins lointain avec l’homosexualité, dont les récents Rosa, tu crains ! (2002), Fassbinder et les femmes (2000). Toute son œuvre reste marquée par l’underground et l’esthétique des années 70, ce qui la rend difficilement regardable aujourd’hui.

Der Einstein des sex est tout de même instructif mais artistiquement bien triste.
Pour plus d’informations :
Site du réalisateur

Fiche technique :
Avec Yves Afonso, Zabou Breitman, Bernard Farcy, Anna Galiena, Valérie Steffen, Christine Pascal, Odile Schmidt, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Bruneau, Jacky Pratoussy et Agnès Gattegno. Réalisation : Yves Boisset. Scénario : Yves Boisset, Robert Geoffrion, Al James et Alain Scoff, d’après l’œuvre d’Alain Roger. Directeur de la photographie : Louis de Ernsted. Compositeur : François Dompierre.
Durée : 107 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Nicole Armingault fait croire à ses trois amants qu'elle est enceinte. Après que ceux-ci lui aient donné l'argent nécessaire pour se faire avorter, elle dévalise son avocat puis devient travestie à Paris.
L’avis de Jean Yves :
À quelles extrémités peut se laisser porter une femme lorsque s'empare d'elle la haine de tout ce qui ressemble à un homme, j'entends à un être humain de sexe masculin ?
Cette femme peut, par exemple, décider d'emprunter l'apparence ordinaire de l'ennemi, de se travestir pour tromper son monde, pour changer de peau, donc (?) de comportement, pour se venger de ceux qui l'ont tant fait souffrir, pour fuir l'image dégradée d'elle-même, pour « tuer » cette image en entrant peu à peu dans le monde de la folie.
C'est ce que nous montre Yves Boisset dans ce film adapté d'un roman du même titre d'Alain Roger.

Même s'il faut, parfois déchanter au cours de La Travestie, j'admets qu'Yves Boisset a traité un sujet fort, porteur de violence dramatique, et qui permet de fermer un peu les yeux, si j'ose dire, sur quelques carences de mise en scène. Telle celle-ci : selon la façon de cadrer Zabou (Nicole Armingault) lorsqu'elle est travestie en homme, l'illusion (donc la magie, donc le trouble) est totalement créée par des plans moyens où on la voit de demi-profil ou bien carrément ratée par des gros plans au comptoir de l'hôtel où l'on ne peut y croire une seconde, Zabou courant en sortant d'un bar.
Ce film reste toutefois attachant : par le thème, bien sûr, avec cette femme déçue par les hommes, en amour comme dans le travail, et qui, insensiblement, dès lors qu'elle monte à Paris, s'enfonce dans son complexe de persécution, son malheur venant toujours des autres.
Il y a de bonnes scènes lorsqu'elle devient le mac d'une prostituée, empruntant en même temps que la culotte tous les stéréotypes machos ! Des bons moments parfois aussi dans son expérience de l'homosexualité avec une jeune bourgeoise mariée, mère de famille et qui s'emmerde un peu dans la vie. Ou encore dans l'ultime tentative de bonheur qui échoue. Le thème donc, qui se ramène aussi à une allégorie sur le mensonge (mentir aux autres pour mieux se mentir à soi-même), et l'heureuse présence d'une Zabou qui se donne avec générosité à son personnage.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Piotr Kozlowski, Marco Hofschneider, Rene Hofschneider, Michele Gleizer, Sally Perel, Klaus Abramowsky, Julie Delpy, André Wilms, Ashley Wanninger, Halina Labonarska et Delphine Forest. Réalisation : Agnieszka Holland. Scénario : Agnieszka Holland et Paul Hengge, d’après les mémoires de Sally Perel.
Durée : 112 ou 107 mn. Disponible en VO ou VOST.


Résumé :
Inspiré des Mémoires de Sally Perel, Europa Europa raconte l'itinéraire d'un jeune juif contraint pendant la guerre d'épouser l'idéologie communiste lorsqu'il fuit en Union soviétique, puis celle du nazisme lorsque les Allemands envahissent l'orphelinat où il est réfugié. Il en oublie sa propre identité et, pour sauvegarder sa vie, il devient même le meilleur élément d'une école d'élite pour la jeunesse allemande.
L’avis de Jean Yves :
Europa Europa… ou le destin d'un garçon juif allemand à la beauté absolue, happé par l'histoire, pris entre les feux du communisme et du nazisme, et obligé d'entrer dans la peau d'un soldat hitlérien pour sauver la sienne.
Une fable philosophique même si elle est tragique.
Europa Europa… le titre n'est pas un simple redoublement du mot ; sur l'affiche du film, cette répétition sonne comme les deux faces d'une même monnaie, celle par laquelle le siècle a payé : nazisme et communisme.
Pas facile de devenir un homme quand on est pris entre ces deux feux contraires. Quand on est juif allemand et que sa peau ne vaut pas cher.
« Sauver sa peau », l'expression – dans ce film –- prend un sens très concret. Car Europa Europa s'ouvre sur une cérémonie judaïque de circoncision, et se boucle sur l'image de deux frères occupés à pisser côte à côte (à se soulager).
La réalisatrice n'a sans doute pas innocemment encadré son film par ces deux scènes-miroir : son principal personnage n'est-il pas précisément le sexe du héros, l'objet-sexe mis au secret, ravi à lui-même et dérobé à tous ? La circoncision de l'adolescent Sally focalise pour lui les enjeux de sa vie : tout ensemble attestant son identité juive, sanctionnant l'interdit porté sur son désir, cristallisant une initiation au monde.
Lyrique, tumultueux, emporté, Europa Europa est le récit, presque invraisemblable, du destin de ce garçon, antihéros secoué par l'histoire : celui-ci ne devra son salut, au bout du compte, qu'à la séduction sans borne qu'il exerce sur toutes et sur tous.

La famille quittant l'Allemagne natale pour la Pologne, Sally envoyé en URSS avec son frère aîné, séparé de lui à la frontière, trouvant refuge dans un orphelinat soviétique et se transformant en Komosol modèle, pour endosser ensuite, prisonnier de la Wermacht », la posture de l'Aryen pure souche, métamorphosé en nazillon exemplaire, promu héros de surcroît et pistonné d'un collège gratin sous la bannière à croix gammée : pas très glorieux, en somme.
Mais les vents contraires de l'histoire stimulent les girouettes, et Sally avait-il le choix ? Seul impératif : planquer « la chose ». Pour survivre.
L'originalité du film tient à cette coïncidence chez le héros, entre la recherche de son identité spirituelle et celle de son identité sexuelle.
La circoncision, c'est un marquage. Son identité, physiquement, est dans son sexe.
D'ailleurs, il la refuse au point de s'automutiler, pour tenter d'effacer sa différence insoutenable.
Mais son identité, c'est aussi cette beauté qui le sauve...
Paradoxalement, le sexe est pour lui une menace de mort, et en même temps ce qui sauve son âme.
Deux personnages, deux Allemands, incarnent aussi, chacun à sa manière, une différence à se réaliser : Robert, l'homosexuel qui cherche à toucher Sally dans son bain et perce ainsi son secret, et la mère de Leni, l'adolescente nazie. Robert est le personnage le plus complexe et le plus attachant du film. C'est, d'une certaine manière, la version mûre du héros. Sally est un candide perdu dans le tourbillon de ses problèmes très concrets. Robert, lui, est un adulte qui vit sa différence avec toute sa conscience. Quand il comprend que Sally est juif, la solidarité l'emporte sur le désir. Il ne peut pas profiter de sa situation de dépendance car ils sont du même bord.
Le cliché aurait voulu que Sally soit sauvé par une fille de son âge. Or il est dépucelé, à son corps défendant, et de façon burlesque, par une nympho quadragénaire nazie... et l'adolescente Leni finira par lui préférer son copain « pur Aryen ».
Pour plus d’informations :

    

Fiche technique :
Un spectacle de Paul Rudnick.
Mis en scène par Christian Bordeleau.
Interprété par Julien Baptist, Loïc Blanco, Emilie Coiteux, Samuel Ganes, Jean Leloup, Cyril Montero, Renato Ribeiro et Edouard Thiébaut.

Actuellement au théâtre Clavel à Paris.



Résumé :
Jeffrey, déstabilisé par les nouveaux rites amoureux apparus avec le sida, décide de cesser toute activité sexuelle et amoureuse, pour jeter toutes ses énergies dans le sport. Mais, dès son entrée dans la salle de gym, Stéphane, le prince charmant tant attendu, désiré, fantasmé, lui «saute» dessus.
Sauf que Jeffrey se l’était juré : « Les aventures, c’est fini! » S’en suit alors une course-poursuite doublée d’un voyage initiatique au coeur des peurs de Jeff et des certitudes de Stéphane.
Au passage, c’est tout notre quotidien d’urbains moyens qui sera mis en abîme. Pour mieux en rire !
Jeffrey cherche un sens à la vie. Le trouvera-t-il ?


Vidéos des répétitions de la pièce (merci Jean-Pierre Noël)

L’avis de Matoo :
Jeffrey, c’est une pièce qui a eu un grand succès à New York, et qui a été adaptée en film en 1994. C’est donc comme cela que je l’ai découvert ce Jeffrey, un peu comme Torch Song Trilogy ou bien Love ! Valour ! Compassion !. D’ailleurs, c’est le même auteur qui a signé les adaptations françaises de Jeffrey et de la version de Torch Song Trilogy que j’avais vue : Christian Bordeleau. Je trouve un sacré talent à ce type du coup pour ces adaptations tant en terme de texte que de mise en scène. Il s’agit de deux bons spectacles, même si Jeffrey ne m’a pas fait une aussi bonne impression.
Ces pièces dont je parle sont des œuvres qui se focalisent à 100 % sur la communauté gay, et qui sont extrêmement datées, il est donc assez difficile de les appréhender aujourd’hui avec le même regard qu’il y a dix ou quinze ans, car il s’est passé tellement de choses depuis. Jeffrey date de 1993, dans une période assez spéciale d’émancipation des homosexuels, une ère dont on saisit aujourd’hui les véritables évolutions morales de la société, et en même temps un moment charnière de l’épidémie de Sida. Ces quelques années, 1992-1995, très particulières, que j’ai à peine connu en tant que pédé (j’ai vaguement fréquenté le Queen en 1994-1995, puis vraiment le milieu gay en 1996), qui ont vu l’émergence des nouvelles thérapies (et surtout la trithérapie en 1995-96).
La pièce Jeffrey traite précisément de la peur du Sida chez son héros éponyme, un jeune comédien-loseur new-yorkais, serveur pour se faire de la thune. Ce dernier aime le sexe, mais il a tellement peur de la maladie et des déconvenues amoureuses qui en découlent, qu’il décide un jour de devenir chaste. No Sex ! Évidemment, alors qu’il a l’idée d’aller faire du sport pour compenser, il tombe sur un superbe mec qui le drague éhontément, Stéphane. Alors qu’il va céder à la tentation, Stéphane lui apprend qu’il est séropositif. Jeffrey prend peur, puis décide de ne pas donner suite. La pièce est alors une succession de rencontres et de saynètes qui confrontent Jeffrey avec ses peurs, ses fantasmes, ses désirs, ses aspirations et son choix de vie.
Le film n’avait pas eu une très bonne presse, mais moi je l’avais vraiment bien aimé. Ce film me parlait carrément, et c’est toujours le cas. Aujourd’hui le truc, c’est que ça a drôlement vieilli et que certaines lourdeurs ne passent plus très bien. Donc d’un point de vue formel, je trouve que l’adaptation française de Christian Bordeleau est excellente, mais je regrette qu’elle n’ait pas été dépoussiérée et expurgée de quelques moments longuets ou carrément superfétatoires. La scène avec le curé, par exemple, ne passe vraiment pas et ne rime à rien. Celle où il se fait casser la gueule aussi, manque un peu de lien avec le reste (et dommage, Mère Thérèsa revient normalement à ce moment dans le film) etc.
Donc quelques moments un peu chiants et qui alourdissent un peu la narration. Mais globalement, le spectacle est bon parce qu’il repose sur une histoire qui accroche et surtout qu’il est servi par de très bons comédiens. Jeffrey (Julien Baptist), surtout, m’a vraiment bluffé. Ce garçon est extraordinaire dans le rôle, et je lui ai trouvé un vrai talent. Sa prestance, sa voix et son jeu qui est tout en nuance et qui suit bien les évolutions du personnage, lui donnent une crédibilité qui porte vraiment le spectacle. Il est très conforme au Jeffrey original, tandis que Samuel Ganes (Stéphane) s’approprie plus le rôle, et avec pas mal de bonheur. Les seconds rôles sont à saluer, les mecs jouent pas mal de personnages et alternent facilement dans des profils vraiment divers, passant du rire au drame… Et puis, l’unique personnage féminin de la pièce, qui joue donc toutes les femmes, Émilie Coiteux, est géniale. Sacrée nana qui donne une énergie folle dans toutes ses interprétations, et qui est un pilier incontestable du show.
La mise en scène est très efficace, elle enchaîne avec beaucoup de fluidité et naturellement, des dialogues (parfois un peu laborieux, comme je l’indiquais) et des chorégraphies, des sortes de sketchs queer assez drolatiques, ainsi que des visions de Jeffrey plus ou moins fantasmées ou oniriques. On joue sur le répertoire de la folle tordue, de la culture et des mœurs gays, et forcément l’auditoire s’y identifie. Du coup, on est vraiment dans le produit très orienté, alors que Torch Song Trilogy distillait pour moi un plus grand (et salutaire) œcuménisme.
Donc globalement, un spectacle sympathique, bien joué, dynamique et rythmé, mais avec pas mal de maladresses ou lourdeurs qu’on doit plus reprocher à la pièce elle-même qu’aux comédiens ou à la mise en scène. Au contraire, la pièce vaut vraiment la peine pour les comédiens et ce qu’ils donnent d’eux-même pendant le spectacle.




Pour plus d’informations (Merci à Samuel Ganes pour son site, les infos et les vidéos ! Sam, nous le retrouverons bientôt sur ce blog pour une semaine spéciale !) :
Jeffrey fut créée à New York début 1993 dans une petite salle de Chelsea. Succès immédiat. Des producteurs à l’œil aiguisé s’en emparent et la mettent à l’affiche du Minetta Lane Theatre, Off-Broadway. Un an et demi de succès et le OBIE (Molières off-Broadway) de la meilleure pièce de l’année 1993.
En 1994, Paul Rudnick, l’auteur, écrit et co-produit la version cinématographique. Présenté l’année suivante au Festival du Film Américain de Deauville, Jeffrey y obtient le PRIX FUN RADIO.
Janvier 2007, Christian Bordeleau, metteur en scène, met un point final, après plusieurs années de travail, à l’adaptation française du texte de Rudnick, en l’actualisant dans une version musicale, pour sa création au Théâtre CLAVEL, à Paris.

À l’origine de Jeffrey :
« J’avais un ami à l’hôpital... Mais, Eddie n’était pas seulement en train de mourir du sida, il faisait des caprices pour tout, insultait les infirmières, se promenait dans les couloirs avec son goutte-à-goutte pour fumer dans toutes les zones non-fumeur possibles... Nous étions nombreux à lui rendre visite. Un après-midi, nous nous retrouvâmes dans le hall de l’hôpital et fûmes tous saisis d’un irrépressible fou rire.
Décidément, Eddie n’était vraiment pas un mourant digne et respectable. Notre rire nous permit de poursuivre les visites. C’est là que je compris que vivre avec le sida requérait aussi une bonne dose d’humour.

Paul Rudnick

L’adaptation :
À l’origine, il y avait l’envie de créer un spectacle qui raconte nos peurs face à la maladie et le désir que ce spectacle ne soit pas seulement le sombre constat d’une tragédie.
Le sida n’est pas un sujet de pièce, ce sont nos changements de comportement qui le sont.
Il fallait donc une comédie puisque c’est le rire qui depuis toujours permet à l’être humain de surmonter les pires tragédies. Aller à la rencontre de l’univers de Paul Rudnick et le transposer dans le mien fut magique.

La mise en scène :
« Jeffrey est une comédie féroce qui parle de l’essentiel : la vie, l’amour, la mort, mais qui choisit l’humour, la dérision et une apparente superficialité pour toucher le spectateur. Le spectacle aura donc le rythme fou des revues de music-hall et les couleurs d’un conte de fée à la Jacques Demy – qui le premier fit chanter sur la guerre. Le sida reste une guerre de tranchées, ne l’oublions pas. C’est pourquoi il fallait trouver un autre chemin que le réalisme pour se réapproprier la réalité ; la voie du rêve… Pour réapprendre l’espérance. »

Christian Bordeleau

Le site de la pièce : c’est ici !

    

Fiche technique :
Avec Derek Magyar, Darryl Stephens, Jonathon Trent, Patrick Bauchau, Emily Brooke Hands, Molly Manago, Matt Riedy, Joël René, Jesse Archer et Chris Bethards. Réalisation : Quenton Allan Brocka. Scénario : Q. Allan Brocka & Philip Pierce, d’après le livre de Mathieu Rettenmund. Directeur de la photographie : Joshua Hess. Musique originale : Ryan Beveridge. Montage : Philip J. Bartell.
Durée : 91 mn. Disponible en VO et VOST. Actuellement à l'affiche en salle.


Résumé :
Dans une colocation, située à Seattle, habite un trio hétéroclite mais homo. Il y a Andrew (Darryl Stephens), black et romantique qui découvre le milieu gay ; Joey (Jonathon Trent), une sympathique salope à peine sortie de l’adolescence, à la recherche d’amour et de sexe, et surtout X (Derek Magyar), un prostitué de luxe, vivant grassement de ses passes. Il assume pleinement son activité mais n’a aucune relation sexuelle en dehors de son travail. C’est à travers son regard que l’on aborde cette tranche de vie gay. Il est troublé, après plusieurs années de carrière, par un de ses clients, Gregory (Patrick Bauchau), un septuagénaire énigmatique qui vit comme un ermite. Le vieil homme refuse de coucher avec X, tant que celui-ci ne le désirera pas. Cependant, il le paye pour écouter l'histoire de sa vie en attendant que monte le désir. Se raconter n'est pas vraiment l’activité préférée de X. Il est doté d’un caractère plutôt introverti où perce le cynisme, la froideur et le désenchantement mais, paradoxalement, il espère toujours trouver le grand amour ! Très vite, X a l’impression que ses entretiens avec Gregory l’aident à redécouvrir différents aspects de lui-même qu’il avait enfoui aux tréfonds de lui-même : le jeune homme empli d’espoir ; le gay qui commence à s’affirmer ; l’homme qu’il pourrait devenir, heureux d’avoir aimé... L’attirance secrète de X pour Andrew est bientôt remplacée par une chose plus tendre et vulnérable et, bien sûr, plus effrayante, réveillant des émotions que X n'avait pas ressenties depuis des années…
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Boy Culture dose habilement sexe et romantisme. Le spectateur peut à la fois satisfaire son désir de voyeur (trop peu) et s’émouvoir. Sous les couleurs de la comédie, Brocka aborde avec légèreté des thèmes graves dont celui si peu traité, au cinéma du désir, d’un « vieux » pour un jeune homme, mais aussi le couple, la relation du désir avec l’argent, le désir d’avoir un fils... Le cinéaste définit bien son film grâce à cette déclaration : « On peut dire que c’est un ménage à trois impossible, avec tout le jeu des tentations qui gravitent autour et que l’amour vient compliquer. »
Le film est adapté d'un recueil de nouvelles de Matthew Rettenmund, datant d’une dizaine d’années, ayant pour thème l'homosexualité. Une série de 23 histoires qui se terminent généralement par une relation sexuelle. La difficulté de l'adaptation était de réunir l'ensemble de ces récits pour en faire un film cohérent, tout en gardant les questions posées par le recueil sur la vie gay. « Le film est donc très différent du livre, même si les thèmes et les sujets sont les mêmes et finissent par se rejoindre. Il était surtout essentiel de rendre ces histoires plus dynamiques à l'écran » explique le réalisateur.
Mais Boy Culture sollicite beaucoup plus nos références au théâtre que celles se rapportant au cinéma ou à la littérature, tant pour la forme que le fond. La majeure partie de l’intrigue se déroule dans deux appartements, décorés d’ailleurs avec beaucoup de goût. Quant à la voix off, elle est beaucoup plus proche d’un aparté sur une scène que de l’utilisation que l’on en fait habituellement au cinéma. L’intrigue se circonscrit entre quatre comédiens seulement, là encore nous sommes plus en présence d’une troupe que d’un casting de long métrage. Les personnages annexes, mis à part la famille d’Andrew à qui l’on doit la scène la plus savoureuse du film, n’apportent pas grand-chose. Avec ce marivaudage, Brocka et son scénariste réactualisent « version gay » un théâtre à la Bernstein ou à la Guitry comme le fait un peu en France Jean-Marie Besset, mais avec plus de grâce que ce dernier. Nous sommes dans le bon théâtre de boulevard américain, dans la lignée d’un Edward Albee.
Le producteur et scénariste Philip Pierce, au vu du succès de Eating Out, a ressorti le projet de Boy Culture des cartons où il croupissait depuis dix ans. Il supputa que Brocka serait l'homme idéal pour mener à bien son script. Le réalisateur a été séduit par le personnage de X, qu'il considère un peu comme son alter ego : très doué pour la distanciation sur son milieu et ses règles mais dès qu'il s'agit de lui, bloqué par un renfermement émotionnel, doublé d'un cynisme encombrant. Le tournage a eu lieu en novembre 2004 à Seattle. Il dura dix-neuf jours, dont trois de pluie intense... ce qui explique peut-être le peu d’extérieurs.
Filmé caméra à l'épaule, en numérique d’une facture standard mais pas indifférente à la géométrie du cadre, Boy Culture se veut aussi, plus ou moins, un docu-fiction, impression renforcée par la voix off du héros qui nous commente ses choix de vie. Ainsi apprend-on que X n'a couché qu'une seule fois dans sa vie par amour, qu'il a une douzaine de clients qui le payent royalement, et qu'il ne parvient pas à avoir confiance dans les autres. Le film suit les confessions de X sur une sorte de divan virtuel. Le réalisateur en fait le porte-parole du malaise que traversent, selon le film, les jeunes gays en général, malaise dont la cause principale serait la recherche du plaisir dans le sexe par peur de s’engager dans une histoire d’amour. Constat qui ne me parait pas erroné même s’il me semble moins vrai qu’il ne le fut à une époque.
La voix off est trop souvent une béquille pour des réalisateurs incapables de transcrire en images les sentiments de leurs personnages pour ne pas remarquer cette fois la pertinence de son utilisation et la qualité de son écriture, bien servie par la belle voix chaude de Derek Magyar. Elle nous fait part des réflexions de X qui sont souvent en complet décalage avec l’image, ce qui est un des ressorts humoristiques du film. Il n’en reste pas moins que cette figure de style fait de Boy Culture un film très bavard et lui donne un coté théâtre filmé, impression renforcée par le peu d’extérieurs. Le décor de Seattle est sous-exploité : on ne verra de la ville qu'un banc public dans un parc, une terrasse de café et... quelques plans de rue sous une pluie battante, mais tout de même sa célèbre tour émettrice. Même Queer as Folk montre plus Pittsburgh, c'est dire !
Les acteurs sont parfaits et en plus, ils sont aussi très agréables à regarder chacun dans leur genre. J’attends avec impatience de retrouver Jonathon Trent dans le rôle de l’assassin de Versace dans Fashon victim ; quant à Darryl Stephens, c’est un habitué des films gays. On peut le voir dans la série Noah’s Arc, dans Circuit et dans Another gay movie. Il me semble toutefois que Derek Magyar n’a pas tout à fait le physique pour être une escorte irrésistible. Je paierais bien pour avoir les deux autres dans mon lit mais justement pas pour lui, mais cela ne regarde que moi, aussi cher lecteur, excusez cette considération déplacée... Brocka confesse qu’il a eu bien du mal à trouver son interprète : « Je n’aurais pas cru que cela aurait été si difficile, mais c’était une question d’équilibre, de dosage, comment trouver quelqu’un qui soit craquant, mais pas trop, avec juste une dose d’arrogance et de suffisance, mais encore là pas trop, pour que le public puisse l’aimer, et nous l’avons trouvé, finalement, en Derek Magyar, qui a la voix profonde et le look incroyable qu’il nous fallait. » Mais c’est Patrick Bauchau qui domine la distribution, un acteur dont la vie ferait un très bon scénario et qui est tout aussi cultivé et raffiné que son personnage de Gregory. On l’a découvert il y a bien longtemps, en 1966, dans un des premiers Rohmer dans lequel il incarnait Adrien, le jeune dandy qui se refuse sans cesse à l'héroïne du film : La Collectionneuse. Les habitués de la série Le Caméléon l’auront reconnu : il est le protecteur de Jarod. On l’a remarqué également dans La Caravane de l’étrange et dans bien d’autres séries.
Le prostitué est l’une des figures majeures du cinéma gay et pour ma part je le regrette. Il ne me semble pas que cette pratique soit aussi présente dans la communauté gay qu’elle l’est sur les écrans, comme le suggère la pléthore de films qui aborde ce sujet. La prostitution y est présentée généralement sous son jour le plus noir, voir John, F. est un salaud, Twist, Mysterious skin, River made to drown... Ici, au contraire, X semble heureux de son sort, presque fier de son activité. Il me parait douteux que beaucoup de gigolos puissent vivre confortablement de leur activité et surtout en étant aussi équilibré que notre héros. Cette vision me parait relever du même fantasme que l’histoire du clochard qui est riche ou qui a une bonne pension mais qui préfère vivre dans la rue. On se fabrique la bonne conscience que l’on peut.
Quenton Allan Brocka est le petit neveu du cinéaste philippin Lino Brocka, mort en 1991 dans un accident de voiture qui pourrait bien être un assassinat maquillé, dont l’œuvre était marquée par l’homosexualité. Il tourne beaucoup : déjà une dizaine de courts métrages et deux longs à son actif alors qu’il n’a guère plus de trente ans. Il travaille actuellement sur une série de dessins animés gays pour la télévision, Rich & Steve, the happiest gay couple in all the world. Il s’en explique : « Ado, je ne me suis jamais reconnu dans la production cinématographique ou télévisuelle, donc je tourne beaucoup pour offrir aux autres une vision plus gay du monde. » Un beau programme.

Boy Culture a gagné de nombreux prix dans plusieurs festivals, notamment un Prix du Jury du meilleur film au Festival du film international Gay et Lesbien de Philadelphie et un Grand Prix du Jury du meilleur scénario au L.A. Outfest. Toutes les réalisations du cinéaste se passent dans le milieu homosexuel. Avec son premier opus, Eating Out, il a fait un tabac dans les festivals gays. Eating Out 2 est déjà tourné mais Brocka n’en a cette fois écrit que le scénario, la réalisation étant assurée par Bartell, l’habile monteur de Boy Culture.
Boy Culture est une comédie intelligente, bien écrite et bien jouée par des acteurs canons, un film qui dit des choses graves sur la vie gay avec légèreté et qui sait à la fois nous émouvoir et nous faire rire.
L’avis de Matoo :
Ce film c’est LE film pédé du moment, mais disons-le tout de go, il ne rentrera pas dans mon panthéon ! Et pourtant il marque pour moi une sorte de tournant dans la production de films à thématique gay. En effet, au même titre que les chick-movies ou les teen-movies, il s’agit, à mon avis, d’un des premiers véritables fag-movies. Et du coup, je ne l’ai pas trouvé meilleur qu’un épisode de Queer as Folk, avec tout de même en prime pas mal de lourdeurs, maladresses et des moments qui m’ont carrément saoulé. Pourtant, il représente avec pas mal de talent et ironie grinçante une certaine « vision pédé » de la « vie de pédé ».
Le héros, X, est un prostitué de 25 ans, qui a l’air d’en avoir 30 (impossible de dégoter la date de naissance du mec, Derek Magyar), et qui est un mec évidemment extrêmement charmant et totalement « fucked-up ». En effet, ce dernier n’a pas eu de rapport sexuel depuis qu’il fait son métier, et a du mal à s’imaginer dans une relation de cul non commerciale. Mais il habite depuis un an avec deux colocs, Andrew (Darryl Stephens), un superbe black dans le genre assez « sage », et Joey (Jonathon Trent), l’archétype de la jeunette salope et paumée. X craque pour Andrew, mais ne sait pas vraiment comment analyser ses sentiments, et dans le même temps X tombe sur un client âgé, qui n’accepte de coucher avec que lorsqu’il le désirera sincèrement.
À la base, j’allais plutôt voir le film avec de bons a priori, parce que cela se passait à Seattle (et non pas à New York ou San Francisco), et parce que l’histoire me paraissait pouvoir dégager quelque chose qui dépasserait un peu l’orientation sexuelle. J’en ressors à la fois correctement diverti, et aussi un rien agacé. Je pense surtout qu’il n’arrive pas à la cheville d’un Beautiful thing ou d’un Get real. Mais encore une fois, ces deux derniers films sont ceux de mes vingt ans à moi, et je pense sincèrement que Boy Culture est un film pédé pour ceux qui ont vingt ans aujourd’hui. Je ne doute donc pas qu’il plaise à un certain public. Et ils ont au moins cette chance de voir un film qui leur parlera, car il a cette qualité de mettre en scène quelques types d’homos que nous connaissons tous. Au moins, on sort des clichés homos en tant que visions hétéros, et on passe à des portraits de gays d’aujourd’hui relativement crédibles.
Ce qui m’a foncièrement fatigué, c’est le parti pris de la narration. X se la joue héros plus narcissique que Narcisse lui-même, et il est en voix-off pendant tout le film. Et bla bla bla, et il parle de ses problèmes existentiels qui franchement ne sont pas plus captivants que cela, et puis c’est verbeux et pas toujours très bien écrit. Il tergiverse sur des coquecigrues, et ça se termine en boite de nuit ou bien par une crise suicidaire (ils auraient du lui faire écouter du Mylène, tiens !). Bref, on est dans le teen-movie version tafiole, donc c’est normal.
Là où les choses s’arrangent un peu, c’est que l’orientation sexuelle ajoute un peu de piment à des scénarii qui sont normalement complètement cadrés et formatés. Avec des homos, on peut facilement être surpris par des mœurs un peu particulières, ou bien des relations amoureuses alambiquées, et des situations pas forcément standards. Mais finalement, le film s’arrête aux moments où l’on voudrait que le réalisateur, Q. Allan Brocka, explore un peu plus les failles de ses personnages, qu’il pousse plus sa réflexion, qu’il transcende l’orientation sexuelle pour universaliser un peu plus son propos. Il reste plutôt au ras des pâquerettes, et se contente de nous servir son intrigue mollassonne, qui en plus se termine par un happy end des plus conformistes.
Les quelques moments jubilatoires sont trop rares, soit servis par quelques répliques « langue de pute » cinglantes (enfin du niveau de Next hein, faut pas pousser non plus…), et particulièrement par le coming-out d’Andrew et le personnage de la frangine. Mais alors qu’on sentait un potentiel terrible pour cette dernière et cette partie de l’intrigue, il n’est pas du tout exploité… et le soufflé retombe.
Ouuuh là, je voulais dire du bien du film aussi, car je n’ai pas non plus trouvé que c’était un navet, mais force est de constater que ce n’est pas ce qui ressort de ce que j’écris là (et qui me vient tout naturellement, je n’ai pas de plan…).

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