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FILMS : Les Toiles Roses


Fiche technique :
Avec Peter Finch, Glenda Jackson, Murray Head, Peggy Ashcroft, Tony Britton, Maurice Denham, Bessie Love, Vivian Pickles, Frank Windsor et Thomas Baptiste. Réalisation : John Schlesinger. Scénario : John Schlesinger et Penelope Gilliat. Images : Billy Williams. Montage : Richard Marden. Musique originale : Ron Geesing.
Durée : 110 mn. Disponible en VO.

Résumé :
Lui, Daniel Hirsh dit Dany (Peter Finch), médecin prospère, la cinquantaine argentée, membre influent et estimé de la communauté juive à laquelle il appartient ; elle, Alex (Glenda Jackson), d’une très bonne famille de la bourgeoisie fortunée qui s’occupe à recycler ceux que l’âge condamne au « Bloody Sunday » du chômage. Elle et lui pourraient entretenir une liaison qui serait confortable si chacun n’avait pas une faille pour ces bonnes sociétés, du Londres de 1970, auxquelles ils appartiennent. Lui est homosexuel, elle est divorcée. Et puis il y a l’autre (Murray Head). Il se doit d’y avoir un autre pour qu’existe une histoire. Cet autre est un jeune homme qui partage tour à tour leur lit. Un téléphone omniprésent assure la liaison entre ces trois personnages. Un Dimanche comme les autres n'est pas une histoire d'amour triangulaire, mais plutôt deux histoires d'amour parallèles que nous suivons durant les dix derniers jours de ces relations. Daniel et Alex ne se connaissent pas, mais ils n’ignorent pas leur existence respective. Bob est tendu vers un espoir, le départ vers l’Amérique. Il abandonnera elle et lui à la solitude des dimanches où il ne se passe rien, sinon la mort d’un chien...
L’avis de Bernard Alapetite :
Il nous a fait courir ce film, il nous a ému. On en a parlé et reparlé. Beaucoup de jeune gays (le mot existait-il en France alors ? Je ne crois pas…) se sont identifiés à Bob. Ils voulaient eux aussi partir, même si l’Amérique d’alors faisait moins rêver les français que les jeunes anglais, mais ils sont restés et avec beaucoup de chance, ils ressemblent aujourd’hui à Daniel. Une vie est passée.


C’était sans doute la première fois que l’on voyait deux hommes nus s’embrasser dans un lit. L’un aurait pu être le fils de l’autre et ils s’aimaient ; ça, on ne l’a pas beaucoup revu depuis. Il est étonnant de voir combien le cinéma gay comporte peu d’histoires d’amour intergénérationnelles, comme on dit maintenant. Est-ce l’un des derniers tabous ?
Ce film, célèbre en son temps, a disparu des écrans. Pourquoi ? Est-il devenu obsolète ou dérangeant ? Il n’existe qu’un DVD américain mais dépourvu de sous-titres français.
Il se passe en un temps qui me parait si ancien, si différent de nos jours. La libération sexuelle balbutiait. Sida était quatre lettres dénuées de sens. Dans une Angleterre d’avant Margaret Thatcher et Tony Blair qui venait d’à peine prendre conscience que sa grandeur lui avait échappé et que son empire s’était évanoui, mais où pourtant on pouvait avoir le sentiment que s’inventaient les prémisses de la civilisation du lendemain. Mais le royaume se sentait surtout menacé par la grisaille de ce fameux dimanche britannique avec sa tacite loi qui voulait que le repos soit associé à l’ennui.
Le film a mûri de longues années et son tournage ne fut pas simple comme l’expliquait John Schlesinger à sa sortie : « L’histoire du film a commencé il y a presque dix ans, au moment où je venais d’achever Billy Liar, Penelope Gilliat m’avait apporté un scénario intéressant, que je n’ai pas retenu à l’époque mais dont les éléments de base m’ont amené beaucoup plus tard, à tourner Sunday Bloody Sunday. Aussi en 1967 j’ai demandé à Penelope Gilliat de préparer un nouveau script. Je voulais faire un film sur l’amour avec un homme et une femme d’un certain âge, ayant des racines dans une société stricte, lui parce qu’il était juif, elle parce que son père était banquier, et se trouvant chacun confronté à un garçon d’une vingtaine d’années, très moderne, sans attaches et psychologiquement disponible... Il était important pour moi que ce garçon rêve d’Amérique... J’ai travaillé en étroite collaboration avec Penelope Gilliat et nous avons fait ensemble quatre scénarios avant la version définitive. Dès le début néanmoins, nous étions d’accord pour montrer les dix dernières journées d’une crise et pour respecter l’unité de temps et de lieu... Après le tournage, lorsque nous avons vu le film bout à bout, ça n’allait plus. Le jeu de Glenda était trop fort et celui de Murray trop faible. Étant responsable de ce déséquilibre, j’ai coupé mais ce n’était pas suffisant et j’ai eu l’idée de donner du papier collant à Murray. Avec ce scotch enroulé autour de la main, il créait un objet, il pouvait ainsi montrer ce goût de la manipulation, des gadgets, en accord avec le métier de sculpteur qu’il incarne dans le film...

Je suis fatigué de voir des films où les homosexuels sont des hommes malheureux, hystériques et dont le public peut et doit penser qu’ils sont des monstres. Je crois qu’il était temps de montrer sans tricher un fait naturel de la vie...
C’est un film optimiste. Alex décide de rester seule, et c’est en définitive un choix. Quand au médecin, il sait que le garçon ne l’accompagnera pas en Italie, mais malgré tout, il apprend l’italien et il fera le voyage. À la fin du film, il s’adresse au spectateur et lui dit en substance : “Ne me jugez pas, ce n’était pas grand-chose.” et il ajoute : “Je suis seulement venu pour ma toux.” Cela parce que c’est lui qui est devenu le malade, mais sa maladie n’est pas bien grave. Seuls, nous le sommes tous, l’essentiel est de chercher, de trouver un compromis pour supporter cette condition.
 »


Plus que par l’intrigue, fort mince, le film est remarquable par sa plongée dans des milieux bien particuliers du Londres de 1970 : les drogués, la bohème artistique, la bourgeoisie la plus compassée... On constate alors que John Schlesinger est dans la droite ligne de la prestigieuse école du documentaire anglais qui doit tant à Robert Flahertie et qui a donné David Lean, John Grieson, Pat Jackson, Thorold Dickinson qui ont engendré le free cinéma des Tony Richardson, Richard Lester, Clive Donner dont John Schlesinger est l’héritier direct. Avant d’être un raconteur d’histoire, il est un observateur des mœurs et cela dès son premier film Terminus, un documentaire sur la gare de Waterloo à Londres qui lui valut un Lion d'Or à Venise en 1961, et plus encore avec Billy Laird qui racontait la découverte de Londres par un jeune provincial. Lorsque le réalisateur présente Un Dimanche comme les autres, il est auréolé de l’immense succès remporté l’année précédente par son Macadam Cowboy pour lequel il remporta trois Oscars, celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure adaptation. Il lui aura fallu aller aux USA pour instiller l’homosexualité dans un de ses films. Elle sera aussi présente, mais plus discrète dans Marathon man.
À son talent de cinéaste, Schlesinger ajoute celui de découvreur de talents ; Daniel Day-Lewis, âgé de treize ans fait sa première apparition à l’écran dans Un Dimanche comme les autres, c’est le garçon dont on célèbre la bar-mitsva. Julie Christie, Alan Bates, Tom Courtenay, Rita Tushingham lui doivent beaucoup, sans oublier Terence Stamp qui aurait sans doute été plus convaincant que Murray Head dans le rôle de Bob, l’objet de tous les désirs qui, en outre, parait un peu trop âgé pour incarner la légèreté de la jeunesse.


Le seul (peut-être) point faible du film est que nous avons un peu de mal à nous convaincre que Murray Head puisse provoquer une telle passion chez un homme et une femme de cette qualité, qu’il bouleverse la vie de l’un et de l’autre. Mais ne nous sommes nous jamais dit que l’objet de notre amour ne nous méritait pas ? Ainsi l’histoire d’amour passe au second plan derrière la subtile peinture de mœurs même si nous voyons bien que c’est pour échapper à la pesanteur de l’establishment que Alex et Dany s’entichent de ce médiocre gigolo.
Mais Bob est-il ce médiocre gigolo ? Se vit-il ainsi ? Ses velléités artistiques sont-elles sincères ou sont-elles des leurres pour se mentir comme pour mentir à ceux qui l’aiment ? Le film ne répond pas à ces questions et laisse le spectateur libre de son intime conviction. À la fin, il semble que Daniel, apaisé, se soit convaincu que la beauté de son amour résidait dans le pari qu’il avait fait sur le jeune homme. À ce moment, le film est aussi audacieux dans la forme que dans le fond puisque c’est en regardant la caméra que Daniel exprime la leçon de vie qu’il tire de cette aventure : « Les gens me disent : il ne t’a jamais rendu heureux. Moi je leur dit : mais je suis heureux. Excepté qu’il me manque. Toute ma vie j’ai cherché quelqu’un de courageux et de débrouillard. Il n’était pas ce quelqu’un. Mais il a quelque chose. Nous avions quelque chose. »
Peut-être plus que l’amour, le sujet profond du film est la solitude, la solitude des dimanches anglais d’alors. Bob, lui est à l’âge d’être hors dimanche. Pour lui cette solitude est une fête. Il est la disponibilité même, allant de Daniel à Alex, sans mensonge, en donnant ce qu’il appelle l’amour. Il donne ce qu’il peut donner, bien trop peu, par rapport à ce que Daniel et Alex espèrent...
L’intelligence du cinéaste est d’avoir réussi à personnifier cette solitude par le téléphone en en faisant un personnage à part entière, à la fois technologique mais surtout humain par l’intermédiaire de la standardiste (Bessie Love) des abonnés absents.
Le film nous suggère que la solitude serait le prix à payer pour la lucidité, pour la vérité... Pourtant Daniel dit : « Tout est préférable à l’absence d’amour. » Mais de quel amour parle-t-il ?
Schlesinger a l’art de nous en dire beaucoup par le seul truchement de l’image, comme dans cette scène où un prostitué arrête la voiture du docteur, bloquée à un feu rouge, la gêne de celui-ci, son geste impatient pour le faire monter quand l’arrivée d’un policeman risque de provoquer un scandale, son lâche soulagement quand il constate que le garçon s’est enfui... Nous en apprenons ainsi plus sur la psychologie de Dany et sur la société anglaise que par bien des dialogues.

Un Dimanche comme les autres est un film qui supporte de nombreuses visions sans en perdre complètement ses mystères comme celui, par exemple, de son titre original l’énigmatique : Bloody Sunday, soit « dimanche sanglant ». Il serait erroné d’y voir une allusion au tristement célèbre dimanche sanglant d’Irlande du nord, celui-ci s’étant déroulé en 1972, un an après la sortie du film. On ne voit pas bien ce qui le rapproche de l’autre célèbre dimanche sanglant de l’histoire celui du 22 janvier 1905 lorsque à Saint-Pétersbourg la troupe ouvrit le feu, faisant de nombreux morts parmi les ouvriers qui manifestaient pacifiquement, marchant vers le Palais d’hiver du tsar Nicolas II pour lui demander des réformes. Sinon qu’il pourrait arriver la même chose en Grande-Bretagne, frappée à ce moment-là par une grave récession économique, présente dans le film par des bulletins d’information de la radio et de la télévision, traitant de ce sujet, que l’on entend plusieurs fois en fond sonore.
Un Dimanche comme les autres est un film extrêmement ouvert qui ne juge pas et encore moins condamne, invitant ses spectateurs à considérer ces trois protagonistes à la recherche du bonheur (empêtrés dans les paradoxes, parfois drôles, parfois déchirants) de leur vie, selon leurs propres critères et leur propre histoire.
C’est l’œuvre la plus personnelle du cinéaste, d’ailleurs c’est ainsi qu’il le considérait. Le personnage de Daniel ressemble beaucoup au réalisateur, comme lui il est juif et homosexuel, comme lui il a une passion pour la musique classique et en particulier l’opéra. La musique de Mozart est très présente dans le film.
Plus de trente-cinq ans après sa sortie, alors que John Schlesinger, décédé en 2003, connaît un immérité purgatoire artistique, ce qui frappe en revoyant Un Dimanche comme les autres c’est que outre sa grande qualité, il n’a rien perdu de sa singularité cinématographique.

Pour plus d’informations :

  

Fiche technique :
Avec Gao Yang, Liang Hao Bin, Qiao Bin et Ge Ying Han. Réalisation : Cui Zi’En. Images : Zhang Hui Lin. Son : Yuan De Qiang.
Durée : 85 mn. Disponible en VO et VOST.

Résumé :
Night Scene est une suite d’interviews de jeunes gigolos dans le Pékin d’aujourd’hui. La plupart de ces garçons, peu instruits, viennent de la campagne où il est difficile de vivre leur homosexualité. Les bouleversements économiques de la nouvelle Chine leur offrent peu de choix… à par celui de se prostituer. Ces témoignages recueillis (et/ou joués ?) dans les lieux de drague et dans des clubs, où certains sont danseurs, nous renseignent sur une partie de la vie gay en Chine en ce début du XXIe siècle.


L’avis de Bernard Alapetite :
On ne dira jamais assez combien est importante l’amorce d’un film. Night scene débute de bien belle façon par la confession d’un jeune et mignon gigolo, filmée à travers un aquarium. Ainsi les poissons qui passent et repassent, oblitèrent le visage du garçon, le temps de leur musardise hésitante. Les situations crues, décrites par l’interviewé, sont en complet décalage avec la belle image apaisante sur l’écran. Dès cette première séquence, on peut vérifier avec quel soin le personnage est mis en scène dans l’espace et avec quelle inventivité a été choisi le cadre de son épanchement. Cette qualité de l’image ne se démentira pas durant tout le film. On remarquera aussi avec quel raffinement chaque interview est traitée, dans une gamme de couleurs différente des autres.
En voyant les premières séquences, on peut espérer que l’on est en présence d’une sorte de Cléo de 5 à 7 chinois. La référence à la Nouvelle Vague française est tout sauf gratuite, tant son influence est patente dans tout le film, en particulier en ce qui concerne le traitement du son… très godardien. Malheureusement, à l’inverse d’Agnès Varda qui ne lâche pas sa Cléo pendant tout son film, Zi’En abandonne trop vite Yangyang qui aurait pu être le fil rouge de Night Scene, reliant par sa présence ce patchwork de confidences.
Il est curieux que le point faible du film soit le scénario et non l’image pour un cinéaste qui vient de l’écrit. Il est l’auteur du scénario du Protégé de madame Qing dans lequel il mêlait habilement fiction et documentaire.
Zi’En n’est pas le premier cinéaste à nous présenter un film entre fiction et documentaire, composé d’une mosaïque de fragments d’interviews de gigolos. La démarche du polonais Grodecki dans Body without soul et Angels we’re not angels est semblable. Il est bon de se remettre ces deux films européens en mémoire pour s’apercevoir que le regard porté sur les protagonistes est le véritable enjeu de ces films. Mais alors que celui de Grodecki sur les jeunes prostitués praguois est salace, celui du réalisateur chinois – s’il n’est pas dénué de désir – est surtout rempli de sympathie.
Il ne faut jamais perdre de vue que Night scene s’attaque à un des plus grands tabous en Chine contemporaine : la prostitution masculine dans la rue. Zi’En nous donne un portrait unique d'un monde crépusculaire de parcs en clubs à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Il a filmé de vrais gigolos et des acteurs qui jouent les prostitués, sans préciser qui est vraiment un gigolo et qui ne l’est pas. Il ressort du film qu’il semble n'y avoir aucune distinction stricte entre les homosexuels et les prostitués ! On n’y trouvera pas de jugement moral.

Night scene nous donne des nouvelles de la Chine gay et ce n’est pas son moindre mérite. « Mon homosexualité ? Je la considère comme une source de créativité », affirme Cui Zi’en. Rares sont les homosexuels militants qui, comme lui, assument ouvertement leur identité. En Chine, dans une société qui nie l’aspiration au plaisir et la libre disposition de son corps, l’homosexualité n’est pas punie par la loi, même si le délit de « crime crapuleux », qui punit les rapports sexuels dans les lieux publics, a longtemps servi à réprimer les homosexuels, qui se rencontraient dans les parcs. Ce qu’illustre bien le film East Palace, West Palace. La loi a été abrogée depuis plusieurs années, mais l’attitude du corps médical chinois reste ambiguë. Au nom de la stabilité sociale, la vie sexuelle n’est pas considérée comme une affaire personnelle : l’homosexualité est susceptible de briser les familles et elle est considérée comme un mode privilégié de transmission du sida. Historiquement dans la tradition confucéenne, chaque homme a vocation à fonder une famille, pour s’assurer une descendance mâle qui perpétuera le culte des ancêtres. Si bien qu’aujourd’hui encore, un grand nombre d’homosexuels chinois se marient pour sauver les apparences et vivent une sexualité clandestine. C’est un des thèmes de Lan Yu. En ville, la tradition pèse moins, note la sociologue Li Yinhe, qui met cette évolution sur le compte de la politique de l’enfant unique : quand un couple donne naissance à une fille, le respect de la tradition devient impossible. De plus, la plus grande mobilité professionnelle, dans les métropoles, permet aux jeunes de fuir la pression parentale... « En Occident, on n’a pas le droit de critiquer les homosexuels et encore moins de leur faire sentir qu’ils sont différents, constate Cui Zi’en. Moi, je comprends qu’un hétéro réagisse avec surprise en voyant un homme très efféminé. La société chinoise bouge, mais il y aura toujours des gens qui auront un réflexe de dégoût, de même que certains sursautent devant un serpent. On ne va pas leur dire qu’ils doivent se mettre à aimer les serpents, non ? »
Le cinéaste espérait que son film puisse être diffusé en Chine. Pour cela, il avait envoyé le pitch aux autorités. N’ayant pas obtenu son autorisation, il a changé l’orientation de Night Scene en cours de tournage, ne laissant qu’une partie congrue à la fiction et tirant le film vers le documentaire militant.
Le dit pitch était le suivant : « Un jour, Yangyang découvre accidentellement que son père est gay. Après avoir fouillé dans son passé et tenté de découvrir de vieux secrets, Yangyang confronte le partenaire de son père, Xiaoyong. Alors que tout cela n'apporte aucune réponse à Yangyang, il commence à se questionner lui-même. Étonnamment, il tombe en amour avec un autre homme, Haobin, mais lorsque la véritable profession de ce dernier est découverte, leur amour ne tient plus qu'à un mince fil. » On peut regretter que Zi’En n’en soit pas resté à cette première idée. Il est amusant de noter que c’est ce résumé qui figure au dos de la jaquette de l’édition américaine. De là à penser que certains éditeurs ne visionnent pas les films qu’ils éditent...
Sur la jaquette du DVD français, aux éditions Pêcheurs de rêves, dans lequel Night Scene est en compagnie d’un autre film de Zi’En, An interior view of death, on peut lire : « La naissance du cinéma gay chinois. Il faut tout de même préciser qu’il s’agit de la Chine dite continentale, car à Taiwan, l’homosexualité irrigue toute l’œuvre de Tsai Ming-Liang (La Rivière, DVD chez Films sans frontières). Il en va de même à Hong-Kong pour celle de Stanley Kwan (Center Stage, DVD Canal vidéo) et de Yonfan (Bishonen) ? Deux très beaux films gays chinois qui sont antérieurs ou contemporains à ceux de Zi’En : East Palace, West Palace, (DVD Raimbow) sous-titré, derrière la cité interdite, de Zhang Yuan et Lan Yu (DVD Eklipse) du réalisateur de Hong-Kong Stanley Kwan, mais tourné en partie à Pékin.
Zi’En est avant tout le plus important activiste du mouvement gay en Chine. Il est aussi, professeur, cinéaste, écrivain, acteur. Il a écrit plusieurs pamphlets et des romans gays  vendus (forcément) sous le manteau. En 1991, alors qu’il était professeur de littérature à l’institut du cinéma de Pékin, il fut privé de cours et de salaire, empêché d’enseigner pendant dix ans pour cause d’homosexualité avouée. Il a retrouvé ses classes en 2001. Son interdiction formelle d'exercer tout emploi lui permettant de gagner un salaire ne l'aura pas empêché de continuer à militer. Depuis le début des années 90, il est une  figure légendaire du mouvement gay. Zi'en a réalise huit films dont The Old Testament (2002) dans lequel des références bibliques accompagnent les trois thèmes principaux : la sexualité, l'homophobie et le sida, Whithered in Blooming Season (2006), une histoire de ménage à trois entre deux garçons et la sœur de l'un d’eux avec pédophilie, inceste et amours homosexuels. Un film destiné à provoquer la pudique Chine et à étaler les démons de son réalisateur sur le grand écran. Il a écrit également le scénario du Protégé de Madame Qing de Liu Bingjian dans lequel il joue.
On peut rattacher le cinéma de Cui Zi’En à l’école dont Jia Zhang-Ke est le chef de file. 

Pour plus d’informations  :


Fiche technique :
Avec Lee-Kang-Sheng, Chen Chao-Jun, Miao Tien, Hsiao Kang, Wang Yu-Wen, Lu Hsiao-Ling et Lu Yi-Ching. Réalisation : Tsai Ming-Liang. Scénario : Tsai Ming-Liang. Photos : Liao Pen-Yung. Musique : Huang Hsu-Chung. Montage : Wang Chi-Yang. Production : Hsu Li-Kong. Décors : Lee Pao-Ling.
Durée : 90 mn. Disponible en VO et VO sous-titrée anglais.


Résumé :
Deux jeunes gens, Ah-Tze (Chen Chao-Jun) et Ah-Kuei, sur leur moto slaloment entre les voitures. Ils dépassent un taxi conduit par un homme d’âge mûr (Miao Tien), avec à ses côtés son fils Kang-Sheng (Lee Kang-Sheng) auquel il a proposé de l’emmener au cinéma. L’adolescent semble fasciné par le couple à moto, image de liberté et de sensualité. Quand le feu passe au rouge, les deux-roues se faufilent au premier rang, bloquant le taxi. Le chauffeur s’impatiente et klaxonne. Ah Tze se laisse dépasser, puis le re-dépasse et brise le rétroviseur latéral du taxi. Le taxi fait une embardée et va heurter une autre voiture... On entre bientôt dans la famille de Kang-Sheng. Le garçon est flanqué d’une mère mystique (Lu Hsiao-Ling) et d’un père démissionnaire. Kang-sheng retrouve le vandale quelques temps plus tard et le suit. Lassé du travail scolaire – il a abandonné ses études au grand dam de son père – il piste le jeune loubard dans des rues où la pluie ne semble jamais cesser. Il est secrètement amoureux du motard, sans que rien ne soit explicite. Le jeune homme abandonne sa moto pour rentrer dans un hôtel. Kang-sheng en profite pour détruire l'engin. Il laisse une signature sur le sol : « Le prince Ne Cha est passé »...
L’avis de Bernard Alapetite :
Les Rebelles du Dieu Néon est le premier long-métrage de cinéma de Tsai Ming-Liang. Il est aussi le premier volet d’une trilogie, suivront Adieu l’amour puis La Rivière, son chef d’œuvre (ces deux films sont réunis dans un DVD aux éditions Films sans frontières). L’essentiel des obsessions du metteur en scène s’y trouve déjà. L’eau est omniprésente. Les garçons souffrent en silence et portent leur croix de solitude et de frustration. Et pourtant, la première scène du film est une scène joyeuse, de jouissance passagère : un garçon et une fille sur une moto, un couple uni par le hasard. Le jeune homme, Ah Tze, a rencontré... dans les toilettes de son appartement une fille, Ah Kuei, qui vient de faire l’amour avec son frère. Ce dernier l’a laissée là comme une chose périmée, dans une scène mémorable de machisme : la fille est allongée nue sur le lit, l’homme est déjà habillé, il lui glisse sa carte de visite dans la main et lâche une réplique incongrue : « Si tu comptes acheter une voiture, appelle-moi. » Ah Tze lui propose de la raccompagner. Mais ils ont un accident. C’est une séquence typique du cinéma de Tsai Ming-Liang dans lequel on part d’une image joyeuse pour arriver à un échec, toute action, tout désir se délite La famille est un tombeau. Sans oublier une obsession qu’il partage avec un bon nombre de cinéastes asiatiques, mais aussi curieusement britanniques : les salles de bains et toilettes en tous genres.
Autre caractéristique de son cinéma : l’aphasie généralisée des personnages qui les font déambuler la nuit, en silence dans des paysages urbains sinistrés.
Ces paysages hiératiques sont illuminés par la grâce de Lee Kan Shen, le double juvénile du réalisateur, non un double à la façon du Doisnel de Truffaut, mais un double dont il aurait un impérieux désir sexuel. La scène où le garçon saute sur son lit, puis s’y abandonne vêtu que d’un provoquant slip blanc immaculé est un des sommets érotiques du cinéma gay, et pourtant dénué de tout acte sexuel. La grande force de Tsai Ming-Liang est de respecter son spectateur et de le vouloir aussi intelligent que lui-même. Le choix de la sexualité de son héros est clair pour ceux qui savent voir. La scène où il détruit la moto du loubard (pour le punir de son hétérosexualité et combler momentanément sa frustration ?) pendant que celui-ci fait l’amour à sa petite amie est la scène-clé du film.

  

La moto et le scooter sont des échappatoires pour les jeunes gens. La ville pullule de contre-lieux à l’espace familial clos, (arcades de jeux vidéo, boutiques de mode, patinoire, discothèques) où la liberté peut s’exercer sans frein. Les Rebelles du Dieu Néon s’articule autour d’une opposition, qui atteindra sa splendide apogée dans La Rivière entre l’espace stérile, coincé, exigu, de la vie domestique et le champ ouvert de la ville, dont Tsai Ming-Liang capture l’infinie mouvance, les jeux des rencontres fortuites, les séductions dangereuses, la solitude aussi...
Hsiao Kang, personnage récurrent de toute une œuvre, est dans sa posture favorite, celle du voyeur, lorsque Ah Tze découvre sa moto vandalisée. Hsiao Kang, seul dans sa chambre d’hôtel observe sa victime, filmé en contre- plongée, vêtu de ses seuls sous-vêtements blancs immaculés, le garçon danse, saute sur le lit, se cogne la tête contre le plafond et s’écroule sur la couche dans une sorte d’orgasme ! On ne sait pas si Hsiao Kang veut être Ah Tze ou être aimé de lui, sans doute les deux. Tout le film joue de cette ambivalence. Mais ne serait-ce pas la relation qu’entretient Tsai Ming-Liang avec Lee Kang-Sheng ? Discret sur celle-ci, voilà comment il raconte la découverte de sa “muse”: « J’ai découvert Kang-Sheng dans une de ces arcades où les ados vont jouer sur des écrans vidéo. J’étais à la recherche d’un ”mauvais garçon”. Kang-Sheng n’a pas l’air d’un mauvais garçon, mais il donne l’impression d’avoir juste fait quelque chose de mal... Quand je l’ai rencontré, il essayait de passer l’examen d’entrée à la fac, qu’il avait déjà raté quatre fois de suite. Et ça le tracassait beaucoup car dans son système de valeurs, aller en fac représentait quelque chose de sérieux. Alors il faisait des petits boulots pour gagner de quoi payer les frais d’inscription dans une boîte à bac, tout comme le personnage qu’il joue dans Rebelles... J’ai écrit le scénario de Rebelles pour lui. J’ai créé un personnage qui lui ressemble beaucoup, de façon qu’il puisse être vraiment lui-même en le jouant. »


Tsai Ming-Liang est né en Malaisie dans l’état de Sarawak en 1957. Il est élevé par ses grands-parents, qui étaient vendeurs de nouilles, c’est sans doute ce qui explique dans son cinéma les fréquentes présences de petits marchands. La principale distraction de l’enfant est le cinéma. Il se gave de films américains, hongkongais, indiens... Au lycée, il découvre Chaplin avec Les Lumières de la ville, à propos duquel il écrit sa première critique de cinéma. Il s’installe à vingt ans à Taiwan où il obtient, quatre ans plus tard, son diplôme d’art dramatique. Il écrit alors plusieurs pièces de théâtre (dont Instant bean sauce noodle en 1981, et A sealed door in the dark en 1982). Il crée un one-man-show expérimental (Wardrobe in the room en 1983) traitant de la solitude dans les grandes métropoles. Il écrit des scénarios pour la télévision jusqu’en 1989 et aussi pour le cinéma notamment pour Wang Tung. En 1989, il commence à réaliser des téléfilms. (The happy weather, For away, All corners of the sea , Li hsiang’ love line, My name is Mary, Ah-Hsiang’s first love, Give me a home, dans lequel joue Miao-Tien qui est le père de Lee Kang-Sheng, dans Rebelles et La Rivière, The Kid 1991). C’est dans The Kid, en 1989, que Tsai Ming-Liang fait tourner pour la première fois Lee Kang-Sheng. Il y joue un délinquant qui vole l’argent du repas d’un écolier. Tsai Ming-Liang filme ce racket comme une drague. Lee repère le gamin dans une salle de jeux vidéo, le regarde longuement et intensément et le suit dans le labyrinthe des ruelles de la vieille ville. Il entre en contact avec lui en allant pisser à côté de lui contre un mur. C’est ce qui devient le prétexte du racket : « Petit, on ne pisse pas ici pour rien » (on pense beaucoup au Kid return de Kitano qui possède un homo-érotisme proche de celui de Tsai Ming-Liang.).
Typiquement asiatique dans son rythme, la référence la plus immédiate du film est pourtant américaine. Lee Kang-Sheng, affublé d’un tee-shirt de James Dean, tombe en arrêt devant une affiche de celui-ci. C’est donc très ouvertement de La Fureur de vivre dont il est question dans Les Rebelles du Dieu Néon. Et de ce qu’il y a moyen de faire avec la jeunesse quand elle vous dévore les entrailles, quand elle brouille la vue et détraque les sens... Mais ici le centre n’est pas l’avatar de James Dean (Ah Tze) ou celui de Nathalie Wood (Ah-Kuei), mais de son amoureux transi Plato incarné par Sal Mineo, Plato dont Lee Kang-Sheng est le successeur.
La mise en scène épouse la fièvre de ces adolescents qui n’arrivent pas à rester en place. La caméra se focalise sur les entrées ou sorties de champ. Elle est mobile tout en étant tenue d’une main ferme. Elle joue avec l’espace. Elle passe d’un acteur à l’autre tel un imprévisible insecte, parfois rejetant un personnage dans le hors champ, parfois le suivant avant de l’abandonner au profit d’un autre sans que ce mouvement soit dicté par le dialogue ou l’action. Elle capture au passage l’intensité d’un regard qui demeure invisible à celui qui en est l’objet. Elle suggère, au moyen d’un panoramique brillant ou d’un contrechamp hardi, des équivalences, des parallèles...
Alors que maint cinéastes de par le monde s’évertuent encore à plagier les codes, vieux de près de cinquante ans, de la Nouvelle Vague, Tsai Ming-Liang, dans ce premier opus, a su en capter l’esprit, en particulier celui des Quatre cents coups. On y retrouve la même alacrité à capter les images de la rue ou d’une vie socialement simple et pourtant émotionnellement riche. On y retrouve aussi ce même balancement entre l’action et la contemplation, ici celle d’un beau garçon viril et inaccessible. Malheureusement, il semble que les mânes de la Nouvelle Vague, à Taiwan comme en France, atteignent rapidement leur date de péremption. La grâce chez le cinéaste taïwanais n’aura duré que le temps de sa trilogie, à laquelle on peut ajouter The Kid, film pour la télévision qui marque l’apparition de Lee Kan Chen ; si ses films suivants, The Hole, Goodbye, Dragon inn, La Saveur de la pastèque, Et là-bas quelle heure est-il ? où la référence à Truffaut est trop appuyée, ne sont pas négligeables, ils n’ont plus cette liberté qui enchantait Les Rebelles du Dieu Néon. Petit à petit un certain systématisme a quelque peu étouffé la création et la sensualité du metteur en scène.
Si Tsai Ming-Liang est un cinéaste ouvertement systématique c’est surtout le plus sensuel, le plus délicat, peut-être le plus érotique des cinéastes actuels. Parce qu’il prend le corps pour une machine mystérieuse et malléable, étrange et triviale. Il a fait un film d’une douceur extrême, élégant et délié, poétique et envoûtant.
Un DVD existe en zone 1, VO sous-titrée en anglais.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Atsushi Ito, Sora Toma, Teruyuki Kagawa, Takizawa Ryoko, Kunimura juin, Mitsuishi Ken et Serizawa Reita. Réalisation : Agata Akira. Scénario : Kenji Aoki Kenji. Photographie : Masami Inomoto. Éclairage : Junichi Akatsu. Son : Shoji de Hosoi. Directeur artistique : Hidefumi Hanatani. Montage : Shuichi & J.S.E. Kakesu. Musique : Shinichiro Ikebe.
Durée : 130 mn. Disponible en VO et VO sous-titrée anglais.


Résumé :
Après la mort de son père, Michio (Atsushi Ito), un garçon de 15 ans, est envoyé par son oncle dans un pensionnat catholique pour garçons ; maladroit, mal à l’aise et incapable de parler sans bégayer, il se mêle peu aux autres dans son nouvel environnement. Mais bientôt le délicat Yasuo (Sora Toma), soprano vedette du chœur de l’école, le sort de son isolement et arrive à le convaincre de se joindre au groupe de chanteurs. Les deux garçons deviennent rapidement amis. Le film dépeint dans le huis clos du pensionnat l’entraînement des jeunes choristes en vue d’une compétition entre chorales qui aura lieu à Tokyo. Mais tandis que leur chorale répète avec celle d’une école voisine de filles, Yasuo devient jaloux de la fascination soudaine de Michio pour le sexe opposé...
Une intrusion va bouleverser cette routine studieuse, celle de Satomi (Takizawa Ryoko), ancienne camarade de classe de Seino (Teruyuki Kagawa), le maître de chœur, qui vient se réfugier dans le pensionnat après avoir fait exploser une bombe à Tokyo. Satomi convainc Seino de faire chanter à ses élèves des chants révolutionnaires lors de la grande compétition annuelle des chorales à Tokyo. Mais un soir, deux policiers en civil viennent arrêter Satomi qui, désespérée, se suicide à la dynamite sous le regard horrifié de Seino et des deux garçons. Après avoir passé l’été à Tokyo à participer à des manifestations de jeunes et à pleurer la mort de Satomi, Yasuo retourne à l’orphelinat et tente en vain de transmettre sa ferveur révolutionnaire au reste du groupe...

    

L’avis de Bernard Alapetite :
Il est un peu vain de résumer un film aussi riche et aussi subtil qui est malgré tout d’abord une histoire d’amour entre deux garçons.
Le dispositif ambitieux du film s’appuie sur deux piliers de la culture de la jeunesse japonaise de la fin des années 60 : d'une part, la croyance en l'imminence de la révolution mondiale, ce qui a produit une génération d’activistes fanatiques ; de l'autre, la vaste popularité du chœur des garçons de Vienne. Le début du film nous montre l’attirance, l’un pour l’autre, de deux garçons à priori fort différents. Nous pensons assister à un classique huis clos des amours adolescentes dans un pensionnat, agrémenté d’un documentaire sur l’apprentissage des jeunes choristes, un peu comme dans Adieu ma concubine où Chen Kaige nous faisait découvrir le dressage des futurs jeunes acteurs de l’opéra de Pékin… Le fait que cela se passe au Japon ajoute une note exotique ; on pense alors beaucoup à Grains de sable, avec une maîtrise technique bien supérieure pour Boy’s choir. Mais par l’intermédiaire de l’intrusion de l’ex-amie de leur maître de choeur, qui entraîne les deux héros dans l’activisme, Agata nous emmène sur une autre voie en parvenant alors à mêler habilement chant et politique, deux pôles qu’à première vue tout oppose. Graduellement, la musique et la politique fusionnent.
À cette période, une génération entière d’étudiants japonais a été engloutie dans l’utopie d'une nouvelle société. Les jeunes ont pris la rue et de violents accrochages les opposaient aux forces de l’ordre. Je me souviens d’avoir vu aux actualités télévisées d’alors, ces hordes à la fois sauvages et disciplinées, armées de longues perches d’aluminium, chargeant la police ; on trouve des échos de cette situation dans le génial dessin animé uchronique Jin roh. Certains ont attendu dans l’expectative la marée de la révolution mondiale. Ils pensaient qu’elle allait atteindre inéluctablement les rivages du Japon. Alors que d'autres incitaient aux émeutes et aux attentats. Un nouveau monde a semblé presque à portée de leurs mains. Mais comme la génération suivante a approché de l'âge adulte, le mouvement s'est effondré. Le nouvel impératif sera bientôt d’être pour la prospérité économique et le consumérisme, rien de plus. Un sentiment de frustration a alors envahi bien des cœurs. Boy’s choir est situé à la fin de cette période troublée.
Mais le scénariste ne se contente pas de ses ingrédients déjà fort riches. Il rajoute bientôt une autre péripétie elle aussi « dramatique », celle de la mue d’un jeune chanteur.
On ne peut pas comprendre complètement ce film, comme beaucoup de films japonais, si on ne garde pas en mémoire que pour un japonais les années collèges sont les années de référence et surtout celles, où malgré le cadre strict de l’éducation, l’individualité de la personne est le plus pris en compte. Cette période a encore beaucoup plus d’importance que pour les anglo-saxons parce que touchant aussi une plus grande proportion d’une classe d’âge. Le manga est un bon miroir de cette omniprésence de ce cadre, certes un peu déformant puisque s’adressant prioritairement aux adolescents.

    

Voilà un film où, paradoxalement, il est difficile d’être complètement attentif à l’image tant l’émotion nous submerge ; celle-ci toujours soutenue et provoquée presque toujours avant l’image par la magnifique musique qui est la chair même du film : un régal pour les amoureux des voix séraphiques. Pourtant, on ne peut être qu’admiratif devant la maîtrise dont fait preuve le metteur en scène en jouant de toutes les valeurs des plans, passant d’une caméra portée à un beau panoramique bien posé, variant les dominantes de couleur suivant les scènes dans un même lieu, par exemple des bleus aux bruns dans les scènes à l’hôpital au début du long métrage.
Akira Ogata est né en 1959 au Japon dans la préfecture de Saga. Ogata a rencontré Sogo Ishii tandis qu'il était étudiant à l'université de Fukuoka. Plus tard il sera assistant d’Ishii. Le cinéma de ce dernier influence grandement Boy’s choir, qui est le premier long métrage d’Ogata.
Le versant politique du film est à l’unisson de l’expérience politique du réalisateur qui a été un de ces étudiants qui protestaient contre la prolongation du Traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon, mis en place depuis 1945, et qui implique de nombreuses bases militaires américaines sur le sol japonais.

Boy's choir  a été sélectionné en 2000 au festival de Berlin où il remporta le prix Alfred Bauer pour la meilleure œuvre de fiction. En 2005, Ogata a tourné The Milkwoman.
Un DVD avec des sous-titres en anglais existe aux USA chez Picture this.
Un film magnifique et ambitieux, parfaitement maîtrisé techniquement qui réussit à faire de la musique un ressort dramatique dans cette histoire d’amours de collège entre deux garçons sur fond de violence terroriste des années 70.

Pour plus d’informations :

Fiche technique :
Avec Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme, Chiara Mastroianni, Brigitte Roüan, Grégoire Leprince-Ringuet , Jean-Marie Winling, Alice Butaud, Yannick Renier et Esteban Carvajal Alegria. Réalisation : Christophe Honoré. Scénario : Christophe Honoré. Photo : Rémy Chevrin. Musique : Alex Beaupain.
Durée : 100 mn. Actuellement en salles en VF.


Résumé :
Ismael vit avec Julie mais un jour cette dernière, pour pimenter leur relation, fait entrer dans leur lit Alice. S’installe alors un ménage à trois qui pratique ce que l’on appelait naguère « l’amour libre ». Mais Julie s’aperçoit bientôt qu’elle ne trouve pas son compte dans cette nouvelle géographie amoureuse, ce qu’elle confesse lors d’un repas de famille. Mais avant qu’elle prenne une décision sur le devenir de son couple, elle meurt brusquement d’un arrêt cardiaque au sortir d’un concert. Ismael et la famille de Julie parviennent mal à faire face au deuil. Heureusement, dans la vie d’Ismael surgit Erwann qui tombe immédiatement amoureux de lui et qui va le sauver du désespoir.


L’avis de Chori (Lieux Communs) :
Halte ! Ne bougez plus ! Reculez, s'il vous plaît, oui oui circulez, ceci est MON film, mon film à moi, rien qu'à moi... Dire que j'ai hésité l'autre soir, entre Après lui et Les Chansons d’amour (sot que j'étais, mais je ne savais pas, alors...) Les films de Christophe Honoré sont pour moi comme un ascenseur : il y a Louis Garrel presque à chaque étage, et, à chaque fois on monte un peu plus haut que la fois précédente. Là, en ce qui me concerne, j'ai le sentiment que le sommet est atteint. Oui oui je sais c'est vachement prétentieux et tout et tout mais c'est vraiment comme si il avait réalisé ce film-là rien que pour moi.
Je partais quand même avec un sentiment mitigé (une certaine méfiance vis à vis des films chantés, mais contrebalancée par quelques mots encourageants de Malou – genre ça devrait te plaire, mais on en reparlera...), d'autant plus que nous n'étions que trois dans la salle à la séance de 16 heures (grmblll ville de bourrins mais non mais non c'est peut-être l'orage qui les a dissuadés), mais dès le tout début vraiment j'étais plouf ! dedans, et si bien dedans qu'il m'a été un peu difficile à la fin de le quitter (et surtout avec les yeux secs ! si j'avais été une fille, j'aurais eu les joues toutes barbouillées de rimmel... ah bon ? maintenant c'est waterproof ?)
Un générique nocturne et tout en noms communs (pfff il faut qu'il fasse son malin cet Honoré, c'est plus fort que lui, hein ?) et hop c'est parti. Première surprise : tiens mais ils parlent ! Je pensais qu'il n'aurait pas fait les choses à demy, et que ça chanterait tout le temps... Mais non, au début, ils parlent, comme vous et moi. Et quand les chansons arrivent, c'est tout naturellement, sans hiatus. Et je dois dire que j'ai été bluffé par la qualité desdites chansons, et ce dès la première (j'ai commandé la BO aussitôt en sortant, vive le ouaibe !) C'est pop ? rock ? Plutôt ligne claire, en tout cas, ça sonne très juste, naturel. Je le redis (faudrait-il que je vous le chante ?) je n'avais encore jamais entendu de chansons aussi bien intégrées dans un film...
Et de quoi que ça cause, à part ça ? Et bien ça parle des relations entre les gens d'une façon générale et d'amour en particulier. D'amour boum quand votre cœur fait boum et de sexualité il faut bien que le corps exulte aussi. Mais d'une (bi)sexualité comment dirais-je... adolescente, angélique et... rêveuse (?) J'emploie à dessein le mot adolescent, non pour le côté acnéique et mal dans sa peau, mais plutôt pour son approche ludique, funambule, désinvolte... Décomplexée. Insoutenable légèreté et tout ça... Pourquoi rêveuse ? Euh juste parce que je trouvais que « angélique et rêveuse » ça sonnait bien...
Un ménage à trois, une famille, des collègues de travail, un voisin de concert, un couple hétéro, un couple homo... tout ça, ce sont juste des manières différentes d'être ensemble. Des regroupements affectifs. Pour ne pas vivre seul... Sans qu'il soit fait vraiment de hiérarchie morale sur ce qui est bien ou ce qui est mieux. Juste un besoin vital, quoi. Au début, Ismael (Louis Garrel, ce gars-là est énervant tellement il est bien) partage son lit (et sa vie) avec Julie (Ludivine Sagnier) et Alice (Clotilde Hesme). Et c'est assez joyeux, (et joyeusement filmé aussi) d'ailleurs. Première partie : on s'ébat.
Puis quelqu'un va mourir (tiens, encore un film où il est question de cimetière) et la donne affective est donc modifiée, l'équilibre (précaire) chamboulé. Séisme dans le couple, dans la famille, flottements... Deuxième partie : on se débat.
Le temps, justement, de réussir à faire son deuil, de se reconstituer, d'accepter de (re)prendre position (et figure humaine), et d'être capable d'aimer à nouveau, grâce à (oui c'est bien le mot) un genre de séraphin breton. Troisième partie : on combat ?
Ça a l'air théorique et chiant, dit comme ça, mais ça ne l'est pas du tout du tout. La pose dramatique est éludée (on y pleure très peu, finalement), le pathos n'est jamais lourdement surligné, bref sans cesse le film chantonne susurre fredonne (même quand les acteurs ne font que parler), avec peut-être ce genre de légèreté apparente, d'insouciance, qu'affectent les équilibristes. Qui sifflotent, mine de rien. Et se produit ainsi pour le spectateur une osmose empathique, une contamination positive. On m'a parlé de drame musical, de solitude glacée, désolé quand à moi je n'ai vu/entendu qu'une mélodie complice, un gazouillis (oui, parce que gay comme un pinson ?) une ritournelle de galopin dont le dernier couplet se terminerait par les histoires d'amour finissent mal en général mais ici pas vraiment. Et toc !
Oui, je le redis, cette chanson de gestes (et de mémoire aussi) fait un bien fou, peut-être parce que, comme dans les « vraies » chansons d'amour, on s'y retrouve on s'y reconnaît, on y entend des mots faciles des mots fragiles qui font écho, et surtout parce qu'elle est sans cesse tirée vers le positif, du côté de la lumière (alors que c'est un film plutôt nocturne), du côté de l'espoir. Oui, Ismael a beau zébulonner, faire le clown, le marionnettiste, sauver la face, il n'en est pas moins malheureux perdu pendant un certain temps. Parce que ça n'est jamais forcément facile de se donner les moyens d'être heureux. Je n'ai parlé jusqu'ici que de Louis Garrel mais ne vous y méprenez pas, tous les autres autour sont au diapason, à l'unisson (pour rester dans les métaphores choralesques) et tous chantent avec leur vraie voix et on a vraiment envie d'applaudir toutes ces belles âmes qui papillonnent de concert. Ludivine Sagnier, hyper parapluies de cherbouresque, Chiara Mastroianni retrouvée avec un immense plaisir, impériale, et le tit mimi Grégoire Leprince-Ringuet (le séraphin que j'évoquais plus haut), celui par qui l'amour (qui est un enfant de bohème) arrive (sur la pointe des pieds, la première fois on ne verra de lui que ses mollets velus) et qui va en faire fondre plus d'un(e).
Car ça faisait longtemps que je n'avais pas vu ainsi représentée une relation entre deux mecs (donc homosexuelle) vécue aussi simplement, égalitairement, tendrement. Normalement devrais-je dire (devrait-on TOUJOURS dire). Et ce final de comédie musicale avec son duo d'amour sur le balcon me terrasse (!) complètement. « Il va falloir dire je t'aime... ». Et ce qui n'était qu'une scène banale (quoi de plus normal que deux mecs qui se chantent qu'ils s'aiment sur un rebord de fenêtre ?) se transfigure, grâce à un travelling arrière et le rond de lumière d'un coup de projo hollywoodien, en sublime moment de cinéma. Je vous jure, j'ai failli rester assis pour assister à la séance suivante. Je sais bien pourquoi Malou m'a dit que ça devrait me plaire...


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L’avis de Matoo :
Christophe Honoré est un putain de bon réalisateur, et il le prouve encore dans ce film. Car non seulement il sert une très fine et remarquable comédie musicale, mais en plus il affirme encore ses talents de cinéaste, avec une photo superbe, des plans (des visages, des corps, des « liens » entres gens) et des mouvements de caméras très expressifs.
Autre chose aussi, comme dans Dans Paris, il choisit de montrer le « vrai » Paris, pas celui des cartes postales et des grands monuments, pas celui des rues proprettes et ensoleillées. Non là, il n’est plus dans le 15e arrondissement, mais dans le 10e et le 11e (Et comme certains l’ont remarqué, MA grisette est même au générique, yeaaaah !), donc j’ai été encore plus sensible à sa manière de saisir ces quartiers qui me sont si familiers, et c’est une sacrée réussite.
Par contre, il faut se rendre à l’évidence, et je n’attendais pas vraiment autre chose de sa part, c’est un film de bobo avec un scénario bobo et des personnages bobos, dans des quartiers bobos. Si à la base, c’est un truc qu’on ne peut pas supporter, autant ne pas se forcer à le regarder. Mais en se distanciant un peu de cela, on peut pleinement profiter d’une belle histoire, servie par une poignée de chansons de très bonne qualité, et surtout des interprètes, comédiens, comédiennes qui relèvent le défi avec brio.
Il y a trois parties dans cette comédie musicale, qui sent bon l’hommage à Jacques Demy, et c’est l’histoire (d’amour) d’un couple un peu atypique : Ismael (Louis Garrel) et Julie (Ludivine Sagnier). On comprend rapidement dans la première partie que les deux héros pimentent leur relation amoureuse, en y incluant Alice, qui travaille avec Ismael. Julie aime beaucoup Alice, mais Ismael commence sérieusement à prendre ombrage de ce trio. Et là, arrive un drame : Julie décède d’une crise cardiaque brutale et inattendue. Ismael gère alors son deuil, entre la famille de Julie qui tente de le soutenir, et une confusion des sentiments et d’orientation sexuelle qui prennent la forme d’un croquignolet lycéen breton (Grégoire Leprince-Ringuet, dont je me demande s’il est de la famille du scientifique).
Et au milieu de tout cela, des chansons, à la manière d’On connaît la chanson qui illustrent certaines parties du film, et sont plus comme des dialogues chantés (vraiment à la manière de Demy). L’histoire prend justement un tour un peu moins niais que dans une comédie musicale (bobo), ou bien dans un « film français », par ce décès de Ludivine Sagnier, qui représente une rupture d’une brutalité assez inattendue dans la narration. Et on peut apprécier encore plus le jeu et l’aura de Louis Garrel, que j’aime décidément beaucoup.
Christophe Honoré, en tout cas, ne rechigne pas sur l’expression d’une liberté sexuelle tout à fait assumée, que ce soit les couples libres, les relations homos et la valse des choix qui s’offre à des gens ouverts d’esprit. En cela, le film est très rafraîchissant, et il ose avec beaucoup de candeur et d’espièglerie, et pas d’artifices ou de symbolique surpondérée comme chez Ozon. Il nous rajoute même deux petits marins, avec pompons règlementaires, véritable vision de « Pierre & Gilles » qui tombe comme ça en plein milieu d’un plan de rue banal.
C’est un film vraiment agréable à voir, et qui a le mérite de montrer Paris, tel qu’elle est vraiment. Il s’agit surtout d’une comédie musicale réussie tant pour son histoire (d’amour pour midinettes romanticôôônnes que nous sommes), que ses chansons, et avec en plus un souffle moderne indéniable dans son propos.


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Lire la fiche n°1

Fiche technique :
Avec Louis Garrel, Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme, Chiara Mastroianni, Brigitte Roüan, Grégoire Leprince-Ringuet , Jean-Marie Winling, Alice Butaud, Yannick Renier et Esteban Carvajal Alegria. Réalisation : Christophe Honoré. Scénario : Christophe Honoré. Photo : Rémy Chevrin. Musique : Alex Beaupain.
Durée : 100 mn. Actuellement en salles en VF.


Résumé :
Ismael vit avec Julie mais un jour cette dernière, pour pimenter leur relation, fait entrer dans leur lit Alice. S’installe alors un ménage à trois qui pratique ce que l’on appelait naguère « l’amour libre ». Mais Julie s’aperçoit bientôt qu’elle ne trouve pas son compte dans cette nouvelle géographie amoureuse, ce qu’elle confesse lors d’un repas de famille. Mais avant qu’elle prenne une décision sur le devenir de son couple, elle meurt brusquement d’un arrêt cardiaque au sortir d’un concert. Ismael et la famille de Julie parviennent mal à faire face au deuil. Heureusement, dans la vie d’Ismael surgit Erwann qui tombe immédiatement amoureux de lui et qui va le sauver du désespoir.


L’avis de Bernard Alapetite :
Les Chansons d’amour est le plus beau film français depuis... Depuis si longtemps que je ne me souviens plus du précédent film qui pourrait rivaliser dans mon panthéon cinématographique avec lui... Depuis peut-être Laisser-passer de Tavernier qui n’a strictement rien à voir avec Les Chansons d’amour...
Les amoureux de Paris, et particulièrement ceux des parages allant de la Place de la Bastille jusqu’à la Gare de l’Est en passant par la Porte Saint-Martin, doivent se précipiter pour voir le film, tant Christophe Honoré a le talent de nous faire redécouvrir la ville et de l’inscrire dans la trame de son histoire avec la géniale idée d’avoir toujours filmé ses scènes d’intérieur, soit au premier étage, au rez-de-chaussée ou à l’entresol si bien que la vie de la ville est toujours en arrière-plan du champ. Déjà il nous avait fait partager cette faculté d’habiter les lieux dans Tout contre Léo et surtout Dans Paris où il n’y avait guère que cela à sauver et la dernière scène. Le Paris de Christophe Honoré est le Paris d’aujourd’hui, dans lequel apparaît notre nouveau président au détour d’une affiche, un Paris multicolore, de nuit et de jour, de la fête et du travail. À mille lieues du Paris momifié et fantasmé d’Amélie Poulain mais aussi bien loin de la ville de Dans Paris qui n’était qu’un musée de la cinéphilie. Le tour de force du cinéaste est d’avoir réussi le mariage du réalisme de la ville avec le comble de l’artifice qu’est par essence la comédie musicale. Le cinéaste s’explique de son choix : « Le Xe est l'un des rares arrondissements où l'on travaille dehors, avec des gens qui déchargent des camions de livraisons... Il ne s'agissait pas de bloquer des rues pour tourner, je voulais que la vie s'infiltre le plus possible dans les plans, et aussi respecter la géographie des lieux. Je m'étais donné cette contrainte non pas tant pour produire un effet de réel que pour m'empêcher de fantasmer un film. » Ce qui nous vaut parfois des regards caméra des passants tout à fait surprenants mais qui curieusement donnent l’impression d’authentifier l’action qui se déroule sur l’écran.
Mais Christophe Honoré et son chef opérateur Rémy Chevrin ne se bornent pas à être des paysagistes, ils parviennent aussi à rendre la texture du moindre objet. On a envie de tendre la main pour toucher l’écharpe de Julie tant elle existe.
Pourtant c’est peu dire si j’allais voir le dernier opus de Christophe Honoré à reculons, craignant une nouvelle déception de celui qui semblait tant promettre après Tout contre Léo. Bien sûr, il y a encore deux ou trois scènes ratées : celles où Louis Garrel se prend encore pour Jean-Pierre Léaud et quelques allusions cinéphiliques lourdingues comme ces marins, sortis du Lola de Demy, en tenue d’été, croisés sur un trottoir parisien en plein hiver. Mais ce film, toujours sur le fil du rasoir, parvient à nous émerveiller et à nous émouvoir presque constamment si bien que l’on regrette de ne pas rester quelques minutes de plus sous l’enchantement et que certains personnages ne soient pas plus développés tel celui de la sœur cadette de Julie (Alice Butaud) ou celui du frère aîné d’Erwan, sans oublier le personnage du père de Julie remarquablement interprété par Jean-Marie Winling que l’on aurait aimé voir plus.
On peut légitimement penser que quelques imperfections du film sont dues à sa vitesse de tournage et de production comme en témoigne le plan sur l’affiche du film Les Ambitieux, sorti en janvier 2007. C’est un tour de force que Les Chansons d’amour soit présent au Festival de Cannes en mai, quatre mois après son tournage.


La très bonne surprise est de découvrir que des comédiens français comme leurs homologues anglais sont capables de chanter et de faire passer l’émotion de leur scène par leur chant dans des morceaux poétiques, irrévérencieux, qui ne sont jamais plaqués sur l’intrigue mais qui, au contraire, la font avancer. Christophe Honoré réussit à ce que le passage du parlé au chanté, puis le retour au parlé, paraissent naturel. Contrairement à ce qui se passe dans la plupart des films avec chansons, ces dernières ont souvent tendance à mettre une distance entre le spectateur et l’émotion alors que dans Les Chansons d’amour elles la suscitent. Leur texte souvent d’une salutaire crudité, « du bout de ta langue nettoie-moi partout », est le vrai hommage à La Maman et la putain de Jean Eustache que certains voudraient voir, surtout dans le triolisme du début. Honoré les a écrites avec Alex Beaupain, son ami d’adolescence, dans un registre entre Delerme et Daho. Ce sont de vraies belles chansons avec couplets et refrains et non des dialogues chantés comme chez Demy. En voici un petit avant-goût :

« As-tu déjà aimé
Pour la beauté du geste
As-tu déjà croqué
La pomme à pleines dents
Pour la saveur du fruit
Sa douceur et son zeste
T'es-tu perdu souvent
Pour la beauté du geste...
 »

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Christophe Honoré n’a pas renoncé à son obsession référentielle mais heureusement avec beaucoup plus de légèreté que dans son film précédent. Le premier plan de Ludivine Sagnier, de dos, est la copie de celui de Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg : même coiffure à barrette, mêmes cheveux blonds mais heureusement Ludivine Sagnier est moins rigide que la Deneuve d’alors. Par ailleurs, comme Les Parapluies de Cherbourg, le film est divisé en trois parties par des intertitres identiques à ceux du film de Demy : Le départ, L’absence, Le retour. Il faut dire que l’adulation de Christophe Honoré pour Demy vient de loin. Lorsqu'il était journaliste aux Cahiers du cinéma, il écrivait sous le pseudonyme de Roland Cassard, le diamantaire que Deneuve épousait dans Les Parapluies de Cherbourg, et Romain Duris chantait la chanson de Lola à la fin de 17 fois Cécile Cassard.
On peut être encore agacé par l’imitation de scènes entières des films de Truffaut, avec le même jeu et le même cadrage. Quant à la scène des trois lisant dans un lit chacun un livre, on l’avait vu aussi dans Changement d'adresse d'E. Mouret, déjà inspirée de celle de Domicile conjugal avec Jean-Pierre Leaud/Claude Jade, le ménage à trois étant celui de La Maman et la putain (Bernadette Laffont, Françoise Lebrun/Jean-Pierre Léaud). On l’avait déjà dans Dans Paris. Le réalisateur a poussé le mimétisme jusqu’à mettre des lunettes à Ludivine Sagnier comme en portait Claude Jade. À noter que si les films de la Nouvelle vague se passaient essentiellement rive gauche à Saint-Germain et Montparnasse, Christophe Honoré déménage sur la rive droite vers la Bastille comme il l’avait déjà fait dans Tout contre Léo, mais à la fin du film retour épisodique sur la rive gauche avec la très belle scène du cimetière Montparnasse au coucher du soleil, avec en fond la tour. Les cinéphages du quartier reconnaîtront leurs cinémas préférés dans les plans sur le fronton de deux cinémas de Montparnasse : Le Bretagne et l’UGC Montparnasse.
Si les références au cinéma sont multiples, les livres sont très présents : normal pour un écrivain avec de nombreux plans sur des couvertures de romans d’Hervé Guibert, Edmund White, A. L. Kennedy, James Salter... comme chez Godard...
On peut aussi reprocher à Christophe Honoré de nous raconter, aussi bien dans ses livres que dans ses films, toujours la même histoire : celle d’une famille traumatisée par la disparition tragique d’un de ses jeunes membres. Toute son œuvre est placée sous la trinité de la famille, du sexe et de la mort.


Les comédiens sont épatants. Pour Louis Garrel, on peut parler de résurrection après son calamiteux pastiche de Jean-Pierre Leaud dans le précédent film de Christophe Honoré. On regrette que Ludivine Sagnier, très émouvante dans un registre nouveau pour elle, quitte si vite l’écran. Il y a quelques années, on avait découvert Grégoire Leprince-Ringuet, encore enfant mais déjà très bien, dans Les Égarés, ce qui est peut-être le meilleur Téchiné à ce jour parce que le moins téchinien justement... Ici, il campe un lycéen homo sans complexe, à la fois fou d’amour pour Ismael mais qui parvient à maintenir cette passion sous contrôle et s’avère plus mature que son aîné. Un très beau personnage que le jeune acteur parvient à imposer en quelques scènes. Le cinéaste nous explique ce qui a motivé le choix du jeune homme : « Grégoire représente une certaine jeunesse sans être du tout dans les clichés, ni dans le fantasme sexuel d'aujourd'hui. Sa beauté est franche, pas tapageuse. Je tenais à représenter un jeune qui ne doute pas de son homosexualité mais qui n'a pas encore eu d'aventure. Erwann n'est pas tourmenté par sa sexualité mais par ses sentiments. Grégoire avait une simplicité, une sorte de bonté qui m'a très vite convaincu. »
Chiara Mastroianni a bien du mérite à tirer son épingle du jeu dans le seul rôle antipathique, de la sœur aînée de Julie, larguée et qui éprouve la culpabilité du survivant. Une mention spéciale pour Clotilde Hesme, dotée d’un physique singulier avec une certaine androgynéité (pont pour Ismael entre l’hétérosexualité et l’homosexualité), la révélation des Amants réguliers de Philippe Garrel qui confirme son grand talent.
La position de Christophe Honoré sur l’homosexualité est aussi décomplexée qu’originale. Voici ce que l’on peut lire à ce sujet dans le Têtu n° 123 de juin 2007 : « Je ne voulais pas qu’on dise que Les Chansons d’amour racontait l’histoire d’un hétérosexuel dont la copine meurt et qui devient homo. Ça aurait été abominable. Même chose pour la relation entre les deux filles au début du film. Par rapport à l’homosexualité, je n’ai jamais été dans le registre de la revendication, de l’explicatif ou du tourment. Ça ne m’a jamais intéressé de présenter des personnages homosexuels dont le souci était l’homosexualité. Ils ont de plus gros problèmes... Souvent chez les pédés, l’idée c’est que le sexe, ça se faisait hors de la famille. Moi, j’ai toujours pensé que la sensualité était familiale. D’ailleurs, ramener son copain chez soi, faire du sexe dans la maison de ses parents, c’est ultra excitant. »
Quel culot de terminer le film par les belles scènes d’amour entre Erwann et Ismael, certes chastes avec seulement un plan fugitif sur les fesses précocement poilues mais appétissantes de Grégoire Leprince-Ringuet.
...Et puis vous en connaissez beaucoup des films où le héros, au départ hétérosexuel, est sauvé du désespoir par une relation homo ? Ce n’est pas Jules et Jim, c’est Jules avec Jim ! La dernière réplique est la plus jolie déclaration d'amour du cinéma de ces derniers temps : « Aime-moi moins mais aime-moi longtemps ». Et c’est un garçon qui le dit à un autre garçon...
Un hymne à l’amour libre, une tragédie musicale optimiste qui nous offre en finale la plus belle scène d’amour entre deux garçons du cinéma français.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Brittany Murphy, Matthew Rhys, Santiago Cabrera, Samantha Bloom, Catherine Tate, Tony MacMurray, Stephanie Beacham, Elliot Cowan, Dawn French, Michael Lerner, Gwyneth Paltrow, Daniel Lobé et Orlando Bloom. Réalisateur : Alek Keshishian. Scénario : Alek Keshishian. Directeur de la photographie : Pierre Morel. Compositeur : Replicant.
Durée : 90 mn. Actuellement en salles en VO et VOST.


Résumé :
Emily Jackson, Jacks pour les intimes, est une jeune fashionista Américaine de 27 ans qui travaille en tant qu'assistante à la rédaction du Vogue à Londres.
À ses côtés ses meilleurs amis de toujours : Peter, son colocataire gay, et Tallulah, croqueuse d'hommes névrosée, deux amis fidèles auprès desquels Jacks passe son temps à jouer les conseillères et entremetteuses.
Romantiques et exigeants, tous rêvent de la parfaite love story comme dans les films.
Mais voilà, pour l'instant leur vie sentimentale peut être qualifiée en un seul mot : désastre !
Alors, l'amour comme dans les films, fantasme ou réalité ?

L’avis de Matoo :
C’est en lisant le billet « positif » de Patrick que je me suis décidé à aller voir ce film, dont je n’avais d’ailleurs pas du tout entendu parler. Eh bien, bien m’en a pris car j’ai passé un moment très agréable et hilare. Je suis vraiment content de ne pas être passé à côté d’une comédie romantique d’une telle facture : à la fois cocasse, bien sentie, romanticône mais aussi résolument gay ! Le pied quoi (pour une midinette comme moi) !
Je me demande pourquoi est-ce que je n’en ai pas plus entendu parler autour de moi, car c’est bien la première fois qu’une comédie de ce genre propose une histoire qui donne une importance à 50 % à une fille hétéro et 50 % à son coloc homo, et pas ce dernier en classique faire-valoir et personnage trop secondaire. Non là, nous avons une belle équité, et surtout un scénario qui flirte évidemment allègrement avec les clichés, mais tout en étant crédible et bien documenté (quelques copines ont dû, à coup sûr, participer à l’écriture !). Et puis dès que je dis à mes potes homos que c’est un film d’Alek Keshishian, on me répond « Aaaaaaaaaah géniââââââl le mec qui a réalisé In bed with Madonna !!!! » Néanmoins, ça n’a rien à voir avec la choucroute !
Brittany Murphy est « Jacks », elle est assistante rédac pour Vogue à Londres, terriblement bobo londonienne, et en gros un croisement entre Le Diable s’habille en Prada et Carrie Bradshaw. C’est une fille à pédé (FAP) de première, elle se dit avoir un gaydar infaillible et passe son temps à essayer de caser son meilleur ami et colocataire avec des types qu’elle rencontre dans son milieu. Évidemment c’est toujours un fiasco, et Peter (Matthew Rhys) essaie le plus possible d’éviter ces coups arrangés. Jacks prend l’assistant d’un grand photographe, Paolo (Santiago Cabrera, le peintre précog de la série Heroes), pour son petit ami alors qu’il est hétéro. S’ensuivent un classique quiproquo et des péripéties qui amèneront leur lot de cocasseries, calembours et bluettes amoureuses.
Le film a un scénario très classique et cousu de fil blanc, mais il est ostensiblement construit comme cela pour mieux déroger à la règle. L’auteur arrive à insuffler beaucoup d’originalité et de fraîcheur grâce à la fibre anglaise qui permet beaucoup plus d’excentricités, mais aussi un humour plus corrosif, et puis cette incursion de l’homosexualité qui a une importance vraiment pas négligeable. Ensuite, il présente son film lui-même comme s’il s’agissait d’un scénario d’une classique bluette à la Notting Hill ou bien Breakfast at Tiffany’s dont les références sont constantes (on lit de temps en temps à l’écran des indications scéniques comme s’il s’agissait d’un véritable script).
Brittany Murphy est vraiment une fille que je trouve d’une beauté troublante depuis 8 Mile, et là elle assure étonnamment bien dans ce registre comique, avec en plus quelques scènes où elle joue les Audrey Hepburn, ce qui lui va particulièrement bien. Et puis, cette comédie se signale surtout par son humour décapant à certains moments, grâce à des caricatures du milieu de la mode et de l’art contemporain bien acides et burlesques, à des dialogues bien écrits et qui font mouche, et aussi des personnages secondaires bien campés. Évidemment ça reste très bobo, mais la meilleure copine « poète » à fond eurotrash (et sa mère idem…) ou bien le pote galeriste pédé sont de très bons atouts. Il y a aussi quelques moments phares qui m’ont vraiment fait rire comme lorsque la copine lit son poème lors du vernissage d’une expo (TERRIBLE !), ou bien parce que le coloc homo va voir une psy. Et la psy c’est Dawn French (ce qui redonne une touche gay-friendly supplémentaire) !!!! Cette dernière lui explique sa théorie sur le couple en parlant de « pets », c’est délirant et totalement jouissif.
Ce n’est pas le film de l’année, mais en cette période de vache maigre cinématographique, c’est à ne pas rater. Et surtout dans ce genre tellement casse-gueule de la comédie romantique, il s’agit d’une œuvre au charme stupéfiant et qui distrait sans être débile ou mièvre. J’ai vraiment sincèrement bien ri, et on accroche très rapidement à tous ces personnages. (Pensez à emmener votre FAP avec vous.)

Pour plus d’informations :

Fiche technique :
Avec Philippe Vallois, Marie-Josée Béhar, Agathe Bodin, Jackson Elizando, Catherine d’Halluin, André Llévin, Eric Moncolin et Nicole Rondy. Réalisation, images et montage : Philippe Vallois. Son et mixage : Myriam René & Anne Louis. Conformation : Daniel Ricard, Michèle Boig et Christiane Kirik.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Un illuminé vend à Philippe Vallois un caméscope dernier cri. Heureux de sa nouvelle acquisition, le cinéaste filme ses proches. Ils se mettent à exprimer de drôles d’idées qui contaminent bientôt le filmeur lui-même.
Il est bientôt persuadé, qu’à travers cet outil, il peut entrer en contact avec le monde de l’invisible. Il décide de s’adresser à Jean, son bel ami décédé. Éric, son ami du moment, le prend mal et lui fixe cet ultimatum : « C’est le caméscope ou c’est moi. » La réponse de Jean ne se fait pas attendre : une succession de galères, auxquelles le caméscope n’est pas étranger, éprouve l’imprudent cinéaste.
Malgré sa peur, il décide de soigner le mal par le mal. Il se surpasse dans son expérience ”vidéasque”. Il vit une aventure à laquelle le commun des mortels n’a jamais accès ; il a un véritable entretien avec Jean, mais il arrête de crainte de devenir fou. Philippe Vallois apprend que des caméscopes identiques auraient été introduits clandestinement sur le marché. Pour éviter des drames, il juge d’utilité publique de faire circuler une cassette, preuve de son aventure. C’est celle que nous regardons…


L’avis de Bernard Alapetite :
Cette auto-fiction expérimentale, pleine d’humour, constitue la réflexion d’un cinéaste pour qui la caméra est le sésame d’un au-delà des apparences.
Philippe Vallois, qui joue son propre rôle, achète à un curieux personnage un caméscope numérique. Le vendeur lui a laissé le mirobolant appareil après s’être longuement enquis des intentions et de la biographie de son acheteur. Émerveillé par son nouveau joujou, le cinéaste commence un journal, un peu à la Morder, un peu à la Alain Cavalier et beaucoup à la Rémi Lange, la technique en plus, façon Les Yeux brouillés, car comme dans ce film, le filmage du quotidien brise l’histoire d’amour qu’il vit avec son nouvel ami Éric, au look de C.R.S. avantageux, tout du moins si l’on considère encore, à ce moment du film, celui-ci comme un exercice de cinéma-vérité autobiographique. Bien vite le doute nous assaille sur la naïveté du propos quand le cinéaste croit percevoir des images et des bruits par l’intermédiaire de son caméscope que lui-même ne perçoit pas sans le truchement de son appareil. Le caméscope serait-il magique et n’ouvrirait-il pas un passage vers le monde parallèle des morts ? Nous nous apercevons que nous sommes en fait dans une auto-fiction, surtout lorsque Philippe Vallois cherche à entrer en contact avec son ami Jean, décédé du sida il y a quelques années, dont on a découvert l’image radieuse par l’intermédiaire d’un film projeté dans le film. Caméscope passe alors du farfelu humoristique à l’émotion. Mais bientôt celle-ci est dynamitée par l’enquête de notre réalisateur auprès de techniciens amis pour savoir si un caméscope numérique peut enregistrer l’au-delà ! Le film bifurque à nouveau, cette fois vers un burlesque épatant, un peu à la manière d’un Luc Moullet ou d’un Iosseliani. Car une des principales qualités de Caméscope est d’être drôle, à la fois drôlerie de situation et drôlerie dans les dialogues, d’un nonsense très inhabituel dans le cinéma français.
Philippe Vallois définit bien à la fois sa démarche et le cheminement de pensée de son spectateur : « Raconter une fiction en se servant de véritables événements qui surviennent durant le tournage. Pénétrer très profondément dans l’intimité de personnages en laissant parler leur naturel au maximum. Laisser planer le doute quand à l’authenticité des situations, et provoquer une sorte de vertige chez le spectateur qui a du mal à faire la part de la fiction et de la réalité. Les personnages jouent-ils leur vie ? Ou interprètent-ils un rôle ? Le spectateur apprécie-t-il des jeux d’acteur ? Ou devient-il un voyeur qui juge des êtres humains ? Autant de questions et de réflexions sur le véritable pouvoir du caméscope. »
Le film de Philippe Vallois, c’est le bel enfant que le dogme aurait fait à la comédie italienne des années 60-70.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Arye Gross, Tim DeKay, Eric Schweig, Louise Fletcher, George Coe, Veanne Cox, Nan Martin et Corinne Bohrer. Réalisé par Thomas Bezucha. Scénario : Thomas Bezucha.
Durée : 117 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
Big Eden est une petite ville cachée dans les bois du Montana où le temps semble s'être arrêté. C'est là qu'a grandi Henry Hart, un artiste qui connaît succès et renom, mais, qui malgré sa réussite, vit seul à New York.
La maladie de son grand-père ramène Henry à sa ville natale et à ses souvenirs. Son retour et les retrouvailles avec son meilleur ami Dean - dont il est toujours secrètement amoureux - le confrontent à nouveau avec la difficulté d'être gay dans une petite ville de province.
La visibilité n’est a priori pas une chose aisée pour un gay vivant dans une petite ville reculée du Montana. Aidé par sa famille et ses amis, Henry va se reprendre en main et dépasser ses propres préjugés pour se découvrir une deuxième chance de bonheur à Big Eden.

L'avis de Wild (autorisé par Media-G) :
Henry Hart est gay, il a en fait quitté Big Eden pour New York afin d’essayer d’oublier son meilleur ami Dean, dont il est amoureux et pour pouvoir vivre au grand jour son homosexualité.
De retour à Big Eden, il retrouve un Dean transformé : divorcé et père de deux garçons, celui-ci semble désormais éprouver plus que de l’amitié pour Henry, mais a beaucoup de mal à franchir le pas…
Pike, un indien qui tient l’épicerie du village, est lui aussi très intéressé par Henry… mais beaucoup trop timide pour le laisser paraître. Les habitant de Big Eden — que l’ont aurait bien volontiers imaginé homophobes — vont tout faire pour aider Pike dans son entreprise de séduction.

Big Eden est un petit miracle de film comme il en existe peu… un tous les dix ans, peut-être ? Il réussit le tour de force d’être émouvant jusqu’aux larmes, irréaliste jusqu’à l’absurde, surprenant à chaque plan tout en respectant la tradition américaine des grandes comédies romantiques à la Cary Grant/Katharine Hepburn.
A priori, comme le raconte le réalisateur et la productrice, le film n’avait rien pour plaire. Les films orientés gays parlent souvent de jeunes mecs passant la plupart du temps torse nu, dans leur vingt ans et cherchant leur sexualité (avec au moins deux scènes de baise requises pour le cahier des charges). Qui pourrait bien s’intéresser à une comédie dramatique avec des trentenaires célibataires ne correspondant pas aux canons physiques des magazines ni aux aspirations de la clientèle supposée de ce type de films ? Ceci témoigne du mal qu’ils ont eu à trouver un distributeur, malgré les accueils fabuleux que Big Eden a reçu dans chaque festival où il a été présenté.
Sa représentation de la communauté rurale de Big Eden est certes utopique : une petite ville où chacun est accepté pour ce qu’il est : lesbienne, gay, hétéro et où chacun se soutient afin d’apporter réconfort et compréhension. Henry Hart va trouver ce qu’il lui manque : une meilleure acceptation de qui il est et de remplir ce besoin universel de trouver un endroit où chacun est aimé et où chaque personne que l’on aime se trouve apaisé.
La marieuse du coin cherche à placer Henry avec les femmes du coin mais elle remarque qu’il est gay. Pas de problème, elle organise un après-midi de rencontres pour célibataires gays. Une jeune femme apporte le casse-croûte… que sa compagne a oublié avant d’aller travailler à la scierie du coin. La célébration du 4 juillet permet à tous les couples de danser, de témoigner leur affection devant chacun, sans que quiconque ne réagisse de manière étonnée.
Le pari de ce film est de considérer les hétérosexuels non pas comme des antagonistes, tel que le cinéma les représentent souvent, mais comme ayant intégré les mêmes valeurs de communauté pour chaque être humain, indépendamment de l’orientation sexuelle, de l’âge et des races. L’amoureux secret de Henry est Pike, l’épicier du coin : il est d’origine indienne. Mais son origine, sa couleur de peau n’est jamais présentée comme un problème éventuel : il fait partie de la société comme n’importe quel bûcheron ou vieux cow boy du coin.
On pourra reprocher au film son côté idéaliste (et très américain dans sa représentation de toute communauté quelle qu’elle soit) et quelque peu irréalisable de son sujet. Quelques scènes voulant faire typique du coin sont d’ailleurs à la limite du surfait (notamment à l’église, c’est assez croquignolet car Henry s’y ennuie ferme !) Qu’importe, le cinéma est fait pour les rêveurs et il nous est permis de rêver qu’un jour Big Eden existera et que nous serons acceptés non pas comme des citoyens de seconde zone mais comme des êtres humains à part entière, recherchant comme chacun ce qui est essentiel dans la vie : la poursuite du bonheur pour nous et nos proches.
Plus d’une heure de bonus supplémentaires, entre commentaires (très précieux) du réalisateur, des acteurs, des challenges du films mais également des recettes égrenées le long du film que Pike conçoit afin de gagner le cœur d’Henry. D’incurables romantiques, je vous dis.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Denholm Elliot, James Wilby, Hugh Grant, Rupert Graves et Simon Callow. Réalisé par James Ivory. Scénario : K. Hesketh-Harvey et James Ivory. Directeur de la photographie : Pierre Lhomme. Compositeur : Richard Robbins.
Durée : 140 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :
Quelques années avant la Première Guerre mondiale, la découverte par un jeune bourgeois londonien, intelligent et sensible, Maurice, de ses affinités particulières avec un être de son sexe, Clive. Les tourments et les luttes qui en découlent dans une société victorienne et enfin la victoire de pouvoir assumer en toute honnêteté sa différence.
L'avis de Jean Yves :
On a parfois reproché à James Ivory une certaine froideur, une distance à l'égard de ce qu'il montre, alors qu'il s'agit plutôt d'une pudeur dans l'expression des choses décrites, un bon goût très britannique (bien qu'Ivory soit Américain). Les ambiances du début du siècle conviennent parfaitement à sa façon de filmer, à son style de narration précise et feutrée.
Il y a dans l'histoire de Maurice tout ce qu'un garçon peut ressentir dans son éveil à l'homosexualité : cette sensation précoce de différence, la peur d'être rejeté par sa famille et par ses proches, la crainte même de se confier, l'illusion et l'espoir que ce n'est qu'un goût passager, l'espoir (encore !) que la science va venir à la rescousse (mais le médecin de famille de Maurice reçoit cette révélation avec répugnance), l'appréhension d'être découvert dans le milieu professionnel, le chantage qu'une telle découverte peut provoquer, le regard particulier sur le corps masculin (scène dans les vestiaires lorsque Maurice enseigne la boxe – le noble art – aux jeunes prolos de son âge), le chagrin d'être trahi et abandonné par celui qu'on aime, et au bout du compte, l'apprentissage de la solitude, l'amertume devant l'hypocrisie et l'intolérance, la répression légale vécue à juste titre comme une scandaleuse injustice.
Le jeune héros passe par tous ces états, et à ce titre, Maurice est le film exemplaire de la condition homosexuelle vue de l'intérieur, analysée dans tous ses détails sociaux, tous ses aspects psychologiques. Même dans la scène où Maurice découvre les plaisirs de la chair avec le garde-chasse Alec, James Ivory vise juste : perplexité du jeune homme d'être perçu pour ce qu'il est par un autre homosexuel, nouvelle façon, liée au sexe et non plus à l'amitié platonique, d'envisager son rapport avec les garçons.
Non seulement Maurice parvient, au terme de ce parcours quasi initiatique de connaissance de lui-même, à s'assumer, mais il rompt le clivage social : grand bourgeois hétéro, il n'aurait sûrement pas épousé une lingère, mais grand bourgeois homosexuel, il n'hésite pas à vivre avec le jeune garde-chasse qui lui-même, dans une preuve d'amour, renonce à émigrer en Argentine avec sa famille pour rester avec l'élu de son cœur.

Maurice, après nous avoir plongés dans les difficultés sociales et existentielles de l'homosexuel-type, débouche donc sur un bonheur possible dans la différence. Cet optimisme réchauffe le cœur.
Pour plus d’informations :

     

Fiche technique :
Avec Gerard Butler, Lena Headey, Rodrigo Santoro, David Wenham, Dominic West, Vincent Regan, Michael Fassbender, Tom Wisdom, Andrew Tiernan, Andrew Pleavin, Greg Kramer, Stephen McHattie et Eli Snyder. Réalisation : Zanck Snyder. Scénario : Zack Snyder, Kurt Johnstad et Michael Gordon, d’après l’œuvre de Frank Miller. Directeur de la photographie : Larry Fong. Compositeur : Tyler Bates.
Durée 115 mn. Toujours en salle en VO, VOST et VF.


Résumé :
Adapté du roman graphique de Frank Miller, 300 est un récit épique de la Bataille des Thermopyles, qui opposa en l'an -480 le roi Léonidas et 300 soldats spartiates à Xerxès et l'immense armée perse. Face à un invincible ennemi, les 300 déployèrent jusqu'à leur dernier souffle un courage surhumain ; leur vaillance et leur héroïque sacrifice inspirèrent toute la Grèce à se dresser contre la Perse, posant ainsi les premières pierres de la démocratie.


L’avis de Mérovingien02 :
Certains médias en ont décidé ainsi, avec l'appui du pas du tout susceptible gouvernement iranien : 300 serait un objet de propagande nauséeux au service de l'administration Bush. Ha bon… Étrange. Étrange parce que la BD dont le film s'inspire date de 1998, ce qui tendrait à faire du dessinateur Frank Miller un sacré visionnaire. Étrange aussi parce que des séquences capitales ont été ajoutées au scénario pour éviter toute tentative d'analyse douteuse. Étrange enfin parce que le réalisateur Zack Snyder n'a jamais eu aucune autre prétention que de livrer un péplum excessif dans tous les sens du terme, tape à l'œil, poseur, épique et résolument « fun ». Du divertissement jouissif à consommer sans modération, qui sera sans aucun doute dépassé dans 10 ans mais dont on se souviendra pour ses partis pris grotesques et assumés qui en foutent plein les mirettes. This is Sparta ? THIS IS SPARTA !!!!

Léonidas aux Thermopyles (1814), Jacques-Louis David, Musée du Louvres


Ceux qui seront venus assister à un cours d'Histoire sur l'Antiquité grecque risquent la syncope : le combat d'une poignée de Spartiates face aux hordes d'envahisseurs Perses n'a jamais été envisagé sous l'angle des faits mais bien du mythe, de ceux qui nourrissent l'imaginaire et qui sont parfois capables de mobiliser les foules. Le narrateur n'est d'ailleurs autre que le seul survivant de la bataille des Thermopyles, guerrier perpétuant le souvenir et les idées de liberté de Léonidas pour mener une armée d'athéniens à la victoire. Rien de surprenant alors à ce que 300 joue à fond la carte du manichéisme pour verser franchement vers la dark fantasy qu'évitait le comic d'origine : sous le masque des Immortels se cachent désormais des visages ravagés proches des orcs du Seigneur des Anneaux, des créatures monstrueuses comme le Uber ou l'Éxécuteur sont introduits le temps d'une séquence chacun (apparition pour le moins frustrante concernant le second), des orgies macabres se tiennent sous la tente de l'Empereur Dieu Xerxès... À l'opposé, les surhommes Spartiates exhibent des abdos à faire pâlir d'envie les adeptes du bodybuilding et se baladent dans des tenues affolantes assumant pleinement leur imagerie gay.
L'esthétique revendiquée par Snyder est quand à elle totalement léchée, des ciels fantasmés (une lune géante auréolant le Mont des Oracles) aux tons ocres des champs de blé surgissant tout droit de Gladiator en passant par l'extrême stylisation des combats usant et abusant des ralentis/accélérés pour créer de somptueux ballets sublimant à outrance les exploits des guerriers aux slips en cuir et approchant de très près la dynamique d'une case de BD. Certes, le parti pris du tout numérique n'est jamais bien loin de faire basculer l'ensemble du métrage dans le kitsch complet (surtout qu'un paquet d'effets spéciaux et d'incrustations sur fond bleu a de la merde au cul) mais le délire est si outrancier qu'il en devient gonflé. Tout est dans l'art de la pose iconique et de la composition picturale poussée à l'extrême, permettant d'offrir des plans instantanément traumatisants par leur puissance visuelle, comme celui de Léonidas face aux navires brisés par la tempête, l'arbre des Morts ou encore le mur de cadavres s'écroulant sur l'ennemi comme une avalanche.
Si le réalisateur de L'Armée des Morts ne peut s'empêcher de reproduire fidèlement quelques unes des images charbonneuses du roman graphique de Frank Miller, il ne tombe jamais dans le même travers de Sin City. Alors que Robert Rodriguez s'était contenté d'un copié/collé (qui fonctionnait uniquement parce que la bande dessinée possédait un langage proche des codes du film noir), Zack Snyder a su insuffler une vraie part de Cinéma au modèle papier, prolongeant les vignettes et évitant le statisme qui lui aurait été fatal. Certes, le matériau qu'il avait entre les mains n'était pas suffisamment dense pour tenir la durée mais il n'empêche que les développements narratifs ET visuels méritent d'être salués tant ils parviennent à respecter l'œuvre dont ils sont l'adaptation, tout en apportant un supplément d'émotion bienvenu. Il suffit de comparer le traitement réservé à la formation des phalanges poussant l'adversaire dans le précipice chez Miller et chez Snyder pour s'en convaincre : de 4 cases, on passe à une séquence entière magistralement découpée et mettant en avant la stratégie de Léonidas. Même constat pour la séquence de la nuée de flèches ou l'ajout formidable de la charge d'un rhinocéros : courte mais efficace. Seule l'attaque des éléphants se contente d'un traitement illustratif forcément décevant tant son potentiel à l'écran aurait pu être énorme.

Gerard Butler

Généreux dans le spectacle, le réalisateur l'est aussi avec ses personnages qu'il étoffe sensiblement pour éviter toute analogie politique maladroite, notamment via une sous intrigue ajoutée à Sparte pas franchement indispensable et plombant le rythme des affrontements mais accordant un beau rôle à la reine Gorgo tout en renforçant l'impact dramatique du dénouement. Si le peuple Sparte était proche d'un régime fasciste, le film évite l'amalgame entre sujet et discours dès les premières séquences en offrant une vision particulièrement douloureuse des conditions d'entraînement (violence du père pour endurcir l'enfant, absence de l'amour maternel, abandon au froid et aux loups). De même, c'est par orgueil que les guerriers Spartiates périront puisque leur obsession de l'eugénisme les mènera à leur perte (la vengeance du difforme Ephialtes). Enfin, ne manquons pas de signaler les derniers mots de Léonidas, absents du comic, et allant à son épouse, comme si derrière le sacrifice se cachait le regret d'avoir privilégié la force et le courage au détriment de l'amour.
Film d’action génialement pompier mais traversé d'un souffle épique certain, cette ode inoffensive à un peuple guerrier dévoué à l'honneur n'atteint certes pas l'ampleur d'un Seigneur des Anneaux (les 300 du titre n'ont l'air d'être qu'une cinquantaine) mais trouve sa propre identité dans un procédé technique offrant le champ libre à tous les délires possibles. Ça n'a peut-être pas grand chose à voir avec le récit des Thermopyles par Hérodote mais la jouissance est totale et immédiate, largement appuyée par le charisme insoupçonné d'un Gerard Butler incarnant comme personne la virilité à l'état pur. Espérons que la rencontre Alan Moore/Snyder fonctionnera aussi bien sur la prochaine adaptation, nettement plus périlleuse, des Watchmen.

Pour plus d’informations :
Site officiel
du film et celui-là.

     

Fiche technique :
Avec Ian Mc Keilen, Brendon Fraser, Lynn Redgrave, Lolita Davidovich, David Dukes, Kevin J. O'Connor, Mark Kiely, Jack Plotnick, Rosalind Ayres, Jack Betts, Matt McKenzie et Todd Babcock. Réalisation : Bill Condon. Scénario : Bill Condon, adapté du roman Father of Frankenstein de Christopher Bram. Image : Stephen M. Katz. Montage : Virginia Katz. Décorateur : James Samson. Costumes : Bruce Finlayson. Musique : Carter Burwell.
Durée : 90 mn. Disponible en V.O.


Résumé :
Gods and Monsters relate les derniers jours du cinéaste homosexuel, James Whale, réalisateur d’une vingtaine de films dont le célèbre Frankenstein avec Boris Karloff, avant sa mystérieuse noyade dans sa piscine à Hollywood en 1957.
James Whale (Ian Mc Keilen), âgé et malade, dépérit dans sa demeure hollywoodienne, gardé par une domestique dévouée et autoritaire (dès ces premiers plans, on pense à Sunset Boulevard et les réminiscences cinéphiliques ne cesseront plus…) Il a été banni des studios depuis de nombreuses années, en partie à cause de l’échec commercial d’un projet qui lui tenait à cœur (The Road Back) et surtout en raison d’une homosexualité trop voyante. Les suites d’une attaque cérébrale font qu’il ne parvient plus à se concentrer sur un sujet et que des bribes de son passé l’assaillent constamment. Cela ne l’empêche pas de succomber aux charmes et à la beauté de Clayton (Brendon Fraser, depuis devenu la vedette de La Momie et de ses suites), un ex marine déboussolé qui vit dans une caravane et qui est devenu jardinier pour subvenir à ses besoins. Le vieux réalisateur, peintre du dimanche, parvient à le convaincre de poser pour lui. Ils prennent l’habitude de se retrouver chaque jour pour ces séances de pose qui déclenchent des réminiscences douloureuses en flash-back chez le vieil homme : le tournage de Frankenstein, les « parties » gays que Georges Cukor – une grande honteuse – organisait autour de sa piscine et surtout des épisodes de la Première Guerre Mondiale où il connut son premier amour, un étudiant aux joues roses... La relation de tendresse qui réunira les deux hommes bouleversera leur existence...
L’avis de Bernard Alapetite :
Fausse « biopic », ce film est une spéculation sur les derniers jours de James Whale. Il est adapté du roman de Christopher Bram, Le Père de Frankenstein (aux éditions Le Passage du Marais), dont Angelo Rinaldi écrit : « Faute de pouvoir établir la raison exacte de la disparition de James Whale, le romancier en propose une qui devient emblématique du vieillissement et de la fin de tout artiste... On pensera sans doute au drame de Julien Green, Sud, qui exploite un thème analogue, à ceci près que les deux protagonistes sont de même âge. Mais il arrive qu’un humain s’enraye aussi bien qu’un revolver… L’habileté du romancier, dépassant son anecdote comme un danseur s’envole vers les cintres, est de faire en sorte que l’artiste, à la fin, regagne sa véritable place, aux cotés des vaincus de la société. »
C’est une bonne partie de l’histoire du cinéma que Condon a convoquée pour Gods and Monsters, bien sûr les films de Whale lui-même, mais c’est aussi un peu Bunuel chez Attenborough et Mankiewicz qui s’inviterait chez James Ivory. Cela fait beaucoup de monde sur le pont et le navire prend parfois un peu de gîte mais il tient toujours le cap. On croirait feuilleter un chapitre inédit très émouvant, jusque dans ses dérapages « camp » d’Hollywood Babylone de Kenneth Anger. Hollywood est pour Condon un cimetière de luxe qui abandonne ses vieilles gloires, leur laissant le soin de gérer un peu d’argent et leur anonymat.
Ce n’est pas l’ambition artistique qui a manqué à Condon, et il serait bien injuste de lui en faire grief, l’ambition artistique n’étant pas la chose la mieux partagée dans le cinéma et dans le cinéma gay en particulier. Mais le film auquel on pense le plus est le Ed Wood de Tim Burton. L’insuccès de ce dernier a rendu le montage financier de Gods and Monsters difficile.
On sent chez le cinéaste un grand respect pour son modèle. Il n’adopte jamais un ton paternaliste pour traiter son personnage. Il s’attache à son côté obscur, tout en rendant hommage à son œuvre. L’intrusion du fan qui doit interviewer le cinéaste permet à la fois de présenter un type de gay déluré un peu crétin en opposition un Whale brillant qui n’a pas besoin de jouer un rôle de gay, et d’exposer habilement et sans lourdeur la carrière de Whale. Cette scène met aussi en lumière sa cruauté et sa frustration. Il s’en prend à ce jeune homme dès qu’il réalise que ce dernier ne s’intéresse pas à lui en tant qu’artiste.
À travers le cas particulier de la relation Whale/Clayton, Condon traite plus généralement d’une relation intergénérationnelle entre deux hommes de classes différentes, dans laquelle beaucoup pourront se reconnaître. Comme toute interaction entre deux personnes, celle-ci suggère des montagnes russes de sentiments. Quand l’un domine, l’autre est dominé. De manière simple, chacun désire ce que l’autre a dans un pur phénomène d’attraction/répulsion. Whale désire la jeunesse, la beauté et le futur de Clay, voire même son pur américanisme. Clay désire le passé, l’argent, l’accomplissement de Whale, sa capacité de conteur. Mais il se révèle progressivement qu’ils sont plus proches l’un de l’autre qu’ils ne l’imaginent, dès lors qu’ils laissent tomber leurs défenses. Et c’est là que surgit le concept du Dr Frankenstein et de sa créature. Le film suggère, non sans humour, que c’est l’Europe qui aurait créé l’homo-americanus, incarné par Brendan Fraser, corps d’athlète et mâchoire carrée, comme Frankestein a fabriqué sa créature...
Bill Condon, dans une interview, soulevait la fréquente superposition qui existe entre le public gay et celui des films fantastiques : « Je suis gay, Clive Barker est gay et James Whale l’était. Cela va peut être effrayer certaines personnes, mais Clive remarque d’évidents liens entre son jeune public et le public gay. C’est un certain cinéma fantastique qui fonctionne vraiment chez des gens qui ne sont pas encore au clair quant à leur sexualité. Les films d’horreur jouent sur une terreur organique et sur la répression des instincts naturels ; ils trouvent forcément un écho soit chez les homosexuels soit dans un public qui se cherche. »
La mise en scène très classique n’est pas toujours légère légère, en particulier en ce qui concerne les retours en arrière, pourtant ce film est émouvant de bout en bout… comme touché par la grâce. L’impeccable distribution y est pour beaucoup, à commencer par Ian Mc Kelen remarquable dans le rôle de James Whale (comme il l’était dans celui de Richard III), mais Brendon Fraser ne démérite pas en lui donnant la réplique, ni d’ailleurs le reste de la distribution. Leur duo est aussi succulent que celui de John Hurt et de Jason Priestley dans Long Island Place, les deux films étant d’une tonalité proche. Il est plaisant aussi de rapprocher ce film de celui tiré du roman de Archibald Joseph Cronin Le Jardinier espagnol (The Spanish Gardener) de Philip Leacock avec Dirk Bogarde, dans lequel un jardinier est amoureux, plus platoniquement que dans celui de Condon, d’un enfant. Mais dans ces deux œuvres, aux deux extrémités de la vie, les jardiniers soignent la même solitude.
Bill Condon argumente son choix de Brendon Fraser : « Le roman s’attachait à comprendre ce qui avait motivé son geste tragique et se servait à cette fin du personnage inventé de l’américain Clay, joué par Brendan Fraser. Mais je pense que cette fiction n’est pas si éloignée des événements réels. J’ai en partie choisi Brendan Fraser pour sa silhouette qui rappelle étrangement la créature de Frankenstein. Je n’en étais pas sûr au début puisqu’il avait encore ses cheveux longs, hérités de Georges de la jungle. Mais le choix, ne l’oublions pas, était surtout motivé par ses talents de comédien, son sens inné du comique et la manière avec laquelle il modèle son visage. Je savais que j’allais avoir besoin d’un interprète dont les traits dévoilent immédiatement la pensée, et qu’il fallait qu’il soit tout à la fois beau, séduisant et d’une forte constitution physique, presque menaçante, qui contraste avec celle de Whale. Brendan était celui qui s’apparentait le plus au concept de ”monstre doté d’une âme” que nous cherchions. Il est innocent sans jamais paraître stupide. »
Ian McKellen est sans doute l’acteur de la scène anglaise qui lia le plus directement l’annonce de son homosexualité, en 1988, et sa carrière. Car si elle était florissante sur les planches, elle n’était que modeste à l’écran. À 49 ans, McKellen s’est alors affranchi des contraintes, libéré de lui-même en s’engageant dans de nombreux combats, en particulier dans la lutte contre le sida. Il déclare : « Avant mon coming-out, la seule chose dont je me sentais expert, c’était le théâtre. Désormais, je réalise que j’ai un autre domaine où je suis expert, et une source de fierté : ma sexualité. »
Bill Condon nous a fait une bonne surprise avec l’un des films les plus ambitieux de l’année 1998. Il faut bien dire que l’on n’attendait rien de ce deuxième couteau des productions Clive Baker (un des Maîtres du fantastique moderne – Les Livres de sang, Cabale, La Trilogie de l’Art et le magistral Sacrements –, réalisateur, scénariste, peintre et l’un des papes de la production horrifique et gore, qui a été une cheville ouvrière du montage de Gods and Monsters), réalisateur des oubliables Candyman 2, Sister sister ou encore Murder 101. Depuis, il a livré une biopic un peu moins convaincante, celle de Kinsey.
La critique américaine a désigné ce film comme étant le meilleur film américain sorti en 1998. Il a décroché deux Golden Globe pour ses interprètes Ian McKellen et Lynn Redgrave, obtenu aux Oscars trois nominations et obtint l’Oscar du meilleur scénario, ce qui était amplement mérité et ce qui ne l’a pas empêcher de ne pas être distribué en France. C’est l’honneur de Canal+ de l’avoir programmé en prime-time.
Le film existe en DVD aux USA et en Grande-Bretagne. L’éditon spéciale comporte un documentaire de 30 mn sur James Whale, A journey with James Whale.

A gauche : James Whale, à droite : Ian McKellen

JAMES WHALE

Bien que sa filmographie soit assez courte, le réalisateur James Whale n’en est pas moins, par son sens aigu de l’atmosphère et son style, un des auteurs les plus marquants des années 30. Il naît en Angleterre, dans les Midlands, dans une famille modeste, en 1889. D’abord dessinateur satirique, il participe à la Grande Guerre et est fait prisonnier en 1917. Durant sa captivité il découvre le théâtre ! Rentré à Londres, il s’y livre avec passion jusqu’en 1930 : acteur, décorateur, metteur en scène. À cette période, il est fiancé à une créatrice renommée de costumes de théâtre, Doris Zinkeisen ; si les fiançailles ne se concrétisèrent pas, ils resteront néanmoins de grands amis. La mise en scène en 1929 de Journey’s End de Robert Cedric Sheriff lui vaut un grand succès qui le conduit en Amérique où dès 1930 il tourne le film adapté de la pièce de Sheriff. Le New York Times classe le film parmi les dix meilleurs de l’année. C’est dans ces premières années hollywoodiennes qu’il rencontre David Lewis, qui apparaît dans Gods and Monsters, qui sera producteur pour Warner, Paramount puis en indépendant pour divers studios. Ils vécurent ensemble de 1930 à 1951 et restèrent proches amis par la suite. Whale lui laissa 1/6eles Anges de l’Enfer dont il écrit les dialogues. Ensuite, il adapte une autre pièce de théâtre, Waterloo Bridge de Robert E. Sherwood où apparaît Bette Davis. La M.G.M. en tirera deux remakes en 1940 et 1956. Universal confie la même année à Whale une autre adaptation : Frankenstein. Le film connaît un grand succès. La vision du monstre interprété par Boris Karloff sera pour toujours celle de Whale, on le voit bien dans le remake de Kenneth Brannagh. Le climat d’épouvante plaît à Whale. Il récidive avec UneÉtrange soirée, un huis-clos éprouvant d’après J.B. Priestley dans lequel Charles Laughton, autre gay d’Hollywood, est aux prises avec deux vieilles folles. En 1933, L’Homme invisible est un coup de maître, magnifiquement photographié par Arthur Edeson avec des effets spéciaux dus à John Fulton qui font date, malgré leur grande simplicité. Vient ensuite son dernier grand succès critique et public : La Fiancée de Frankenstein. En plus de posséder une extraordinaire maîtrise de son art, Whale disait posséder « un pervers sens de l’humour ». Élégant, ironique et peu conventionnel… et pas seulement par son homosexualité qu’il n’a jamais cherché à dissimuler, il s’identifiait totalement aux outsiders, à ceux qui travaillaient en marge de l’industrie. de sa succession. Puis il collabore avec Howard Hugues pour
Whale ne tarde pas à entrer en conflit avec ceux qu’il appelait « The new Universal ». Il est sans cesse contredit et censuré pour des raisons ”politiques”, probablement en fait pour son état d’esprit gay sans complexe. Après La Fiancée de Frankenstein s’opère un tournant dans la filmographie du cinéaste. Le thème de la Grande Guerre, qui l’a profondément marqué, ce qui est bien montré dans Gods and Monsters, devient récurrent. Il divorce définitivement d’avec Universal après que le studio eut cédé à la pression de l’Allemagne nazie pour le montage de The Road Bach, adaptation d’un roman d’E.M. Remarque. Devenu réalisateur indépendant, Whale tourna encore huit films dans les douze années qui suivirent, mais jamais il ne retrouva la magie de ses débuts. Renvoyé en 1941 par Columbia durant le tournage de They dare not love, il se retire définitivement du cinéma. Il vécut jusqu’à la fin de sa vie grâce au confortable pécule amassé tout au long de sa carrière, s’adonnant à la peinture et à la mise en scène dans un petit théâtre local. En 1951, Whale lors d’un voyage à Paris rencontre un jeune français, Pierre Foegel ; il en fait son homme de confiance et à partir de 1952 ils vivent ensemble. Comme pour David Lewis, Whale lui laisse 1/6e de sa fortune. Au milieu des années 50, une série d’attaques cérébrales affaiblissent grandement le cinéaste. À l’âge de 67 ans, il écrit une lettre d’adieu et se jette la tête le première dans sa piscine presque vide. La police conclut cependant à un accident, ses amis ne révélant la lettre que des années plus tard. Kenneth Anger, dans Hollywood Babylon donne une version différente des faits, évoquant un meurtre et un jeune gay, version fermement contredite par le biographe du cinéaste et par ses amis.
Pour tout savoir sur James Whale il existe deux livres, mais seulement en anglais : James Whale: A Biographie de Mark Gatiss, Cassell édition 1995 ; encore plus complet (455 pages !) et sérieux James Whale : A new world of gods and monsters de James Curtis, Faber and Faber, Londres 1998. Outre le livre dont est tiré le film, en français Le Père de Frankenstein, François Rivière a ciselé un petit chef d’œuvre, une fantasmagorie autour de James Whale : En enfer avec James Whale aux éditions du Masque (1999) où même les fantômes sont gays ! Le fantastique ne veut pas dire informations fantaisistes et l’on apprend beaucoup de choses sur James Whale mais aussi sur Boris Karloff, Forrest J. Ackerman, Gladys Cooper, Carl junior Laemmele, Robert Cedric Sherriff, George Zucco et quelques autres... En passant, Rivière nous glisse que le jeune Laurence Olivier aurait été l’amant de James Whale... mais ne l’oublions pas, c’est un roman dans lequel on retrouve les influences aussi diverses que celles de Jean Ray, Chesterton, Modiano, Kenneth Anger (celui d’Hollywood-Babylone). Ce livre est le second et le dernier paru d’une trilogie : Blasphème. Dans le premier volet, Le Somnambule de Genève, centré autour de la figure de Mary Shelley on y aperçoit néanmoins James Whale et surtout Sherriff. François Rivière n’en a peut-être pas encore fini avec James Whale puisqu’il apparaît à nouveau en 2004 dans son court roman, L’Ombre de Frankenstein (ed. Cahier du cinéma). Pour rester dans la littérature, un grand roman de l’immense Joseph Hansen décrit le Hollywood gay, côté scénariste de ces années-là : En haut des marches, 1999 aux éditions Rivages/noir, en V.O. Living Upstairs, 1993.
Pour plus d’informations :

  


Fiche technique :
Avec Nicole Garcia, Gaspard Ulliel, Mélanie Laurent, Bruno Todeschini, Alysson Paradis, Christophe Malavoy et Thibault Vincon. Réalisation : Rodolphe Marconi. Scénario : Rodolphe Marconi. Images : Hélène Louvart. Montage : Isabelle Devinck. Son : Frédéric Ullmann & Nathalie Vidal.
Durée : 105 mn. Disponible en VF.



Résumé :
Pour Noël, Simon (Gaspard Ulliel), dix-huit ans, un garçon sensible, étudiant aux Beaux-Arts à Paris, débarque chez ses parents (Nicole Garcia & Christophe Malavoy), sur l’île d’Oléron, avec une jeune inconnue (Mélanie Laurent) rencontrée dans le train de nuit. Simon retrouve Mathieu (Thibault Vincon), son ami d’enfance dont il est amoureux. Mais Mathieu va beaucoup apprécier Louise...
Durant le séjour, un coup de téléphone vient bouleverser la famille, faisant resurgir un secret enfoui depuis vingt ans…



L’avis de Bernard Alapetite :
Ça commence fort : première image, Simon donne un coup de boule dans une vitre et sa tête passe au travers de la fenêtre ; suivent, sans transition, quelques belles images des lumières de Paris, alternées avec celles d’un sapin de Noël que l’on suppose familial. Dans les dix premières minutes du film Rodolphe Marconi réussit, avec un minimum de dialogues, seulement par des images et un montage dynamique (beaucoup de plans caméra portée mais pour une fois à bon escient), à installer ses personnages, à nous suggérer les liens qui les unissent, à nous présenter les lieux, à nous indiquer dans quel milieu ils évoluent et à quelle période de l’année. C’est remarquable, une belle leçon de cinéma d’un réalisateur qui fait confiance à sa seule mise en scène. Le cinéaste a l’habileté, tout en gardant un grand mystère notamment sur Louise, de glisser dans son scénario de petites informations qui stimulent notre imagination et nous font parfois partir sur de fausses pistes. Il lui suffit de quelques plans pour nous faire comprendre ce qu’il y a entre Simon et Mathieu. Mais avec ses silences, ses litotes, ses non-dit et ce jeu d'acteurs qui met étrangement mal à l'aise, Le Dernier jour est un film à débusquer aussi dans les hors champs.
Après un début dynamique au montage très cut, la caméra se fait moins mobile, se pose. Les cadres sont très construits. Le metteur en scène a une forte propension dans les fréquents moments de silence à filmer ses acteurs de dos et à utiliser le montage parallèle.
Il est dommage que Rodolphe Marconi scénariste n’ait pas assez fait confiance à Rodolphe Marconi cinéaste et ait éprouvé le besoin de ce coup de théâtre téléphonique, très téléphoné, alors que les rapports entre les membres de cette famille et leur entourage suffisaient à nous tenir en haleine. Le scénario n’est pas sans quelques maladresses avec les rôles secondaires sacrifiés comme celui de Malavoy, ou inabouti, comme ce grand-père (?) qui ne fait que passer. Pourquoi ne pas situer précisément l’action, tournée dans l’île d’Oléron, alors que l’on nous suggère qu’elle se déroule en Bretagne ? Autre bizarrerie : pourquoi indiquer que nous sommes à Noël alors que cela n’apporte rien au déroulement de l’histoire et que cela semble oublié par la suite ? Lors de la fête familiale, il n’y a aucune distribution de cadeaux par exemple et surtout la lumière et les vêtements font plutôt penser à la période de Pâques qui aurait aussi bien convenue. Ce ne sont que vétilles mais elles sont d’autant plus agaçantes qu’elles auraient pu être facilement évitées.



On peut aussi regretter que Marconi n’ait pas eu la petite audace d’extraire son intrigue du milieu habituel qui envahit nos écrans. Comme nous sommes dans le cinéma français, nous n’échappons pas à la bourgeoisie qui ne semble prospérer que sur nos écrans hexagonaux. Cette famille n’a aucun souci d’argent, habite une grande maison juste un peu délabrée pour ne pas faire nouveaux riches. On ne saura pas ce que fait le père pour faire bouillir la marmite, mais c’est la mère qui semble porter la culotte. Le fils de dix-huit ans fait des études à Paris et quand il rentre, il retrouve sa voiture et pas n’importe laquelle : un coupé des années cinquante... Curieusement cette voiture, comme la caméra super 8 et non un caméscope qu’utilise Simon, la musique, très connotée années 70, semblent vouloir instaurer un certain flou sur l’époque à laquelle se déroule l’histoire.
Le réalisateur et son chef op sont incontestablement de bons photographes ; on remarque à maintes reprises l’intelligence du cadre, le choix judicieux des couleurs ainsi que l’inventivité des angles de vue. C’est d’ailleurs grâce à la photographie que le film a pris corps nous dit le réalisateur : « On m’a proposé de photographier Gaspard Ulliel (pour la sortie du film Les Égarés). J’ai accepté. Gaspard m’a donné envie de faire ce film dont le scénario était dans un tiroir depuis deux ans. Je l’ai réécrit pour lui et il a accepté le rôle. Le plaisir de tourner avec Gaspard ne se limitait pas à sa photogénie et à son talent, mais surtout à la façon dont il s’est fondu dans le personnage. Il incarnait Simon tel que je l’avais imaginé, c’est-à-dire pas très loin de moi. »
Le traitement du son est également soigné, un mixage subtil de musiques de variétés, souvent en décalage, d’airs classiques, de voix sourdes et de bruitages surprenants. Dans ce domaine, le clou du film est une formidable scène à la Demy dans laquelle une palanquée de pécheurs bretons swingue au son de Mamy blue par Nicoletta dans un rade improbable. Marconi devrait se lâcher plus souvent.
Les acteurs sont parfaits, à commencer par le très craquant Gaspard Ulliel qui tient tout le film. Il est presque de tous les plans et le rôle de Simon est peut-être sa meilleure prestation à ce jour. La lenteur de son jeu apporte une sorte d’élégance et beaucoup de mystère à son personnage. Cette indolence est renforcée par le jeu trépidant et agressif de Nicole Garcia. Le contraste fait merveille. Il ne faudrait pas cependant oublier Mélanie Laurent épatante dans le rôle de Louise assez proche de celui qu’elle tient dans Je vais bien, ne t'en fais pas qui l’a fait découvrir du grand public.

Le Dernier jour est d’abord le portrait d’un adolescent, âme pure et tourmentée, trahi par la médiocrité égoïste des siens. Il y a quelque chose de la colère méprisante d’un Montherlant pour les médiocres dans le regard peu amène que porte le réalisateur sur ses personnages secondaires.
Le Dernier jour est le troisième film de Rodolphe Marconi. Il est en gros progrès par rapport à Ceci est mon corps (2001) et Défense d’aimer (2002), qui se caractérisaient déjà en étant des portraits où le personnage principal découvre sa vérité dans des ambiances tendues. Il est difficile de ne pas rapprocher le cinéma de Marconi avec ceux de Chéreau et de Christophe Honoré. Mais il va plus au bout de ses envies que ces derniers. Il est aussi plus libre. Avec Chéreau, il partage entre autre ce grand comédien qu’est Bruno Todeschini, ici largement sous-employé comme tous les seconds rôles. C’est Hélène Louvart, l’excellente chef op du film qui a aussi signé la photo de Ma Mère de Christophe Honoré. J’ai aussi beaucoup pensé au beau Ciel de Paris de Michel Bena.
Un film d’un cinéaste qui ose presque toujours aller au bout de ses désirs de mise en scène, aux constants changements de rythme, beau et passionnant, mais surtout, profondément humain sur un gamin en quête de lui-même.

Pour plus d'informations :
Voir la bande annonce complète

Fiche technique :
Avec Nathan Lopez, Soliman Cruz, JR Valentin, Ping Medina, Bodgie Pascua et Neil Ryan Sese. Réalisation : Auraeus Solito. Scénario : Auraeus Solito & Michiko Yamamoto. Directeur de la photographie : Nap Jamir. Musique : Pepe Smith. Montage : Kanakan Balintagos, Clang Sison & JD Domingo.
Durée : 100 mn. Actuellement en salles en VO et VOST.
 


Résumé :
Dans un quartier pauvre de Manille, Philippines, Maximo 12 ans (Nathan Lopez), très féminin, est le garçon à tout faire de sa famille de petits voleurs. Il fait le ménage, la cuisine, la lessive, recoud leurs vêtements, et parfois même leur sert d'alibi. En retour, son père et ses deux frères aînés qui l'aiment le protègent. Ce bel équilibre va se briser lorsque Maximo rencontre Victor, un jeune policier intègre et séduisant. Ils deviennent amis. Victor (Soliman Cruz) encourage Maximo à changer de vie, ce qui provoque la colère de sa famille...

L’avis de Bernard Alapetite :
L’éveil dont nous parle le titre c’est l’éveil sexuel d’un pré-adolescent dont l’objet de son premier amour est un homme.
Ce qui est le plus troublant pour nous, spectateurs français, c’est l’acceptation de la singularité de Maximo, charmante petite folle, par sa famille de petits malfrats hyper virils qui semblent trouver naturel que le garçon endosse le rôle féminin dans leur foyer en remplacement, en quelque sorte, de la mère trop tôt disparue.
Le film est en partie autobiographique, nourri par les souvenirs du réalisateur de sa découverte, lorsqu’il avait 13 ans, de son homosexualité.
Le tournage de L'Éveil de Maximo Oliveros a duré seulement treize jours, en numérique, avec pour tout budget les 10 000 dollars octroyés par la Fondation Cinemalaya. Auraeus Solito démontre qu’avec le système débrouille, on peut tourner un film lorsque l’on est animé de la passion du cinéma... et que l’on a du talent. Par exemple la maison du policier est ainsi sa propre maison et les figurants sont ses voisins et ses amis...

 

  

Auraeus Solito fait preuve d’un vrai sens du cinéma, même si certains plans sont mal éclairés, mais il y en a de magnifiques ; si le montage est parfois trop brutal et si le rythme aurait été meilleur en resserrant, surtout au début, les scènes. Il inscrit son film dans la grande tradition du cinéma philippin de Lino Brocka, sachant comme lui nous proposer un cocktail équilibré de cinéma social, proche du documentaire, et de mélodrame. Solito pose un vrai regard sur ses personnages et dirige ses comédiens avec talent. Sans mièvrerie, sans tomber dans le glauque, avec une pointe de kitch bien venu et inévitable aux Philippines, il délivre un message d’espoir et de courage.
Le film est riche d’informations sur la vie quotidienne d’un pays que l’on connaît assez peu en occident. On peut être surpris par la façon dont les personnages considèrent l’homosexualité. Dans le dossier de presse, le réalisateur s’explique sur la place de l’homosexualité dans la société et dans le cinéma de son pays : « La société philippine accepte mieux les gays à présent. Je préfère le mot "accepter" que "tolérer" qui implique trop négativement la différence. Dans tout le pays, vous pouvez voir beaucoup de jeunes gays, habillés en femme sans que cela pose de problèmes, même avec leur famille. Peut-être est-ce dû au fait que les anciennes générations philippines croyaient que les meilleurs médiums pour communiquer avec les Dieux étaient les gays : ils possèdent une double sensibilité spirituelle, celle de l'homme et de la femme... Dans les années 70, les personnages étaient des homosexuels oppressés qui ne pouvaient pas s'accepter eux-mêmes. Dans les années 80, les gays au cinéma faisaient pression sur les beaux garçons défavorisés pour qu'ils deviennent des "macho dancers" ou des strip-teaseurs. Enfin, dans les années 90, les homosexuels n'étaient plus que des faire-valoir comiques et hystériques. Dans mon film, je voulais mettre en scène un personnage libéré, aimé pour ce qu'il est. Le fait qu'il soit gay est juste un détail de l'histoire. »
Dans ce genre de film à très petits moyens, qui en plus repose sur les épaules d’un adolescent, le casting pour le rôle principal est essentiel. Le réalisateur avait déjà auditionné plus de cent garçons pour le rôle de Maximo sans être satisfait, lorsqu’il a aperçu deux frères jumeaux, danseurs de hip hop qui se présentaient pour un autre film. L’un deux, Nathan Lopez, avait à la fois le dynamisme et le côté féminin qu’il recherchait. Il est né en 1991 et confesse en interview être un excellent danseur. Les thaïlandais ont pu le voir dans la série télévisée Anghel na walang langit, Mga en 2005 et plus récemment dans Sana maulit muli.
Après un succès inattendu au box-office dans son pays, où il a devancé les grosses productions américaines et hongkongaises, le film a raflé un nombre de prix impressionnant dans les festivals gays, en particulier celui de Berlin où il a reçu le Grand Prix du meilleur premier film, le Prix du public jeune et le Teddy Bear d'Or récompensant le meilleur film du festival. Auraeus Solito a tourné en 2006 son second film, Tuli, au sujet d'un circonciseur et de sa fille, amoureuse de sa meilleure amie. Il a été sélectionné au Festival de Sundance et de Berlin.

L’Éveil de Maximo est la pureté du premier amour d’un garçon de douze ans pour un homme ; confronté à l'horreur et à la corruption des quartiers pauvres, un drame social poignant habillé en un beau mélodrame.
Pour plus d’informations :
Site officiel
du film


Fiche technique :
Avec Joe Lia, Tera Greene, Lance Davis et Allan Louis. Réalisation : Everett Lewis. Scénario : Everett Lewis. Producteur : Christian Martin. Images : Gavin Kelly.
Durée : 86 mn. Disponible en Vo et VOST.


Résumé :
India (Joe Lia), un jeune et mignon SDF fraîchement débarqué à Hollywood et arrivant de son Colorado natal d’où il a été chassé par son père parce qu’il est gay, tourne des pornos minables pour subsister. Un soir, il est agressé par deux casseurs de pédés qui veulent lui faire la peau. Il est sauvé in extremis par une drag queen (Allan Louis), aussi flamboyante que militante, qui l’héberge chez elle où elle a déjà recueilli une jeune lesbienne (Tera Greene). La petite communauté va bientôt s’ouvrir à d’autres paumés. Cette nouvelle famille redonne confiance en lui à India qui, au détour d’une rue, tombe amoureux d’un jeune révolté, Spencer (Lance Davis) qui tente d’entraîner India vers un militantisme gay radical...




L’avis de Bernard Alapetite :
Après un début original, constitué par l’énoncé d’une profession de foi homophobe de républicains texans, le film se poursuit par la énième mouture de l’histoire du pauvre garçon chassé de son Amérique profonde, et néanmoins natale, par un père homophobe et qui se retrouve à vendre son corps sur les trottoirs d’Hollywood pour pouvoir manger ; un des grands poncifs du cinéma gay, qui est en passe de devenir un sous-genre à part entière, dont le meilleur exemple reste, à ce jour, The Journey of Jared Price de Dustin Lance Black.
Mais de réaliste, le film se transforme vite en une fable dont la morale pourrait être : « Pour un monde meilleur, soyons tous homos », avec pour corollaire : « Tout bon hétéro est un hétéro mort ». Les diatribes anti-hétéros rappellent, en leur temps, celles des blacks panthers contre l’homme blanc. Everett Lewis aurait-il inventé les gays panthers ?
Avec Prends-moi, le public français a l’occasion de découvrir un activisme gay qu’il ne pouvait même pas imaginer. Il ne s’agit plus de se défendre mais d’attaquer, ce n’est plus la revendication de soi, mais l’élimination de l’autre.
Au discours violent s’ajoute un message lourdement moralisateur : se droguer c’est mal, baiser sans capote c’est mal, mais apprendre le kung-fu pour bastonner les hétéros c’est bien. La vision du monde du cinéaste semble être parfaitement paranoïaque : tout hétéro est une menace mortelle pour un homo. Au détour d’une scène de sexe, assez bien filmée par ailleurs, on est surpris d’entendre prôner par un personnage, que l’on perçoit comme le porte-parole du réalisateur, un terrorisme gay dont les cibles seraient les hétéros que le prosélytisme ne parviendrait pas à convertir.
Le film paraît d’autant plus dérangeant du fait qu’il glisse petit-à-petit du naturalisme du début vers la peinture idyllique d’une communauté gay qui parvient à convertir aux joies de la sodomie les pires homophobes.


Sur la fin, le discours guerrier se transforme en message peace and love inattendu : « Un baiser entre deux mecs est un tremblement de terre pour le monde hétéro. » Où comment passer d’une utopie à une autre sans jamais être capable de nous parler d’aujourd’hui à travers des personnages auxquels on pourrait croire.
Un des préceptes édictés par Destiny est que l’on doit être fier de son corps. Elle demande donc à Indian d’être nu deux heures par jour en sa présence. Cette bonne idée nous vaut un film indépendant américain moins coincé qu’à l’habitude. On ne perd ainsi rien de l’anatomie d’Indian qualifié, à juste titre, de trognon par Destiny. L’acteur est en effet mignon, même si comme trop souvent, dans le cinéma américain, il semble un peu trop âgé pour le rôle. Mais il assure comme le reste de la distribution.
Le filmage n’est pas tout à fait à la hauteur des interprètes. Le bel effort de cadrage est souvent ruiné par une lumière calamiteuse ou plutôt par une absence d’éclairage. On ne compte plus les plans sous-exposés ou en contre-jour. Il faut le répéter ni la lumière du soleil, ni celles de la ville, ne sont suffisantes. On ne peut pas faire du cinéma sans éclairage d’appoint.
Si en versant dans le militantisme pur et dur Lewis n’a rien perdu de sa qualité de directeur d’acteurs, en revanche il ne reste rien de la légèreté iconoclaste qui faisait le charme de Luster, son précédent film.

Prends-moi est un mélange d’utopie militante et de romantisme qui ne prend pas.
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