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FILMS : Les Toiles Roses


Fiche technique :

Avec Yaniss Lespert, Pierre Mignard, Rodolphe Pauly, Jérémie Lippmann, Marie Bunel, Dominic Gould. Réalisation : Christophe Honoré. Scénario : Christophe Honoré, Diastème. Image : Rémy Chevrin. Musique : Alexandre Beaupin.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.



Résumé :

Marcel est un enfant de 11 ans. Un soir, il entend un secret : son frère Léo a contracté le virus du sida. Marcel est le plus jeune d’une fratrie de quatre, ils ont toujours été proches, heureux, complices. Ce drame soudain vient jeter une ombre au sein de cette famille unie. Les parents ont imposé ce secret pour protéger Marcel, pour se protéger eux aussi, faire comme si tout était normal. Mais il n’en est rien, la tension est palpable, et Marcel se rebelle contre le non-dit, il ne veut pas être écarté de son frère même dans le drame.

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L'avis de
Jean Yves :
C’est l’histoire d’un enfant, Marcel, qui allait faire la bise à ses parents avant de se coucher, mais il s’arrête dans les escaliers et entend un secret. Ce secret on a pu le découvrir dans Tout contre Léo livre pour la jeunesse écrit par Christophe Honoré et édité par « L’Ecole des Loisirs », puis M6, pour sa collection « Carnet d’Ado » a demandé à l’écrivain de mettre en image son roman. Les enfants ont pu lire le livre, mais les téléspectateurs français n’ont pas encore eu le loisir de voir ce très beau téléfilm - qui a pourtant été adoubé par tous les festivals où il est passé, et qui est aujourd’hui sorti en DVD dans de nombreux pays (USA, Allemagne, Espagne…) - à cause d’une scène jugée trop osée entre deux hommes, que le réalisateur a refusé de couper à la demande de M6.

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« C’est très énervant de voir que l’homosexualité à la télévision passe s’il n’y a pas d’homosexualité. Dès qu’on veut parler du désir, du corps, et de cette sensualité un peu différente, les gens se crispent et pensent – comme M6 – que c’est susceptible de choquer les gens. » Christophe Honoré.

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Pourtant ce téléfilm n’a rien de polémique. Il relate l’histoire de Léo, 20 ans, il est beau, il a trois frères, il est gay, ses parents l’aiment. Mais Léo apprend qu’il est séropo, et comme c’est grave on ne dit rien à son plus jeune frère, Marcel (11 ans) pour le protéger. On ne sait pas qu’il a tout entendu, et devant ce non-dit, Marcel se rebelle contre l’attitude des adultes. Ce film âpre et émouvant traite de la place de la maladie au sein d’une famille unie, une famille qui doit se préparer à l’inacceptable, faire face à la violence de la mort qui semble si injuste lorsqu’elle touche un jeune de 20 ans. Le sujet est abordé avec justesse. Il évoque les maladresses, les émotions, les élans du cœur autant que la douleur, avec un humour et un style désinvolte toujours pudique.

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Tout contre Léo touche au cœur car ni démagogique, ni mélodramatique, cette histoire demeure avant tout profondément humaine. Christophe Honoré dit ne pas avoir d’imagination et que tout lui vient de sa vie, de la vie des gens qui l’entourent, ainsi que de l’observation. Cette vérité du quotidien, la finesse du regard porté sur cette famille donnent une grande force au film, elle met à nu le spectateur qui ne peut que se laisser porter par l’émotion. Peut-être aussi que la beauté du film réside dans le fait qu’il ait été écrit pour quelqu’un, et que dans ce cas il n’y a pas de faux semblants possibles. « J’avais cette histoire, je voulais dire à quelqu’un qui était en train de mourir de cette maladie-là que je n’arrivais pas à l’aider, et cette personne-là je voulais lui dire ça, que j’étais là. »

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Une des gageures de Tout contre Léo est le portrait que Christophe Honoré donne de Marcel, le plus jeune frère, il y excelle particulièrement à décrire le monde d’un enfant tel qu’il est réellement, un univers débarrassé des poncifs habituels, un enfant avec ses interrogations, son parler vrai et sa franchise qui se heurte au monde des adultes. Il est des drames que les enfants ne peuvent ni ne veulent ignorer. Marcel ne veut pas être séparé de son frère par un mensonge, même si c’est pour son bien. Ce film est la première réalisation de Christophe Honoré, avant 17 fois Cécile Cassard, et déjà on trouve tout le talent de mise en scène qu’on lui connaît. Une réalisation inventive mais sobre qui réussit par une suite de tableaux de la vie quotidienne à rendre captivant ce sujet délicat. Christophe Honoré n’a pas peur des silences, ni des temps morts. Il ne cherche pas à dire l’indicible, il le montre. L’image en demi-teinte, comme une bougie qui vacille, parle d’elle même, à cela une économie des dialogues afin de se concentrer sur une contemplation poétique, étrange et sombre qui touche par instants au sublime.

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L’avis de Polo :
Que dire de ce film si ce n’est qu’il est magnifique. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître que réussit l’écrivain Christophe Honoré puisqu’il s’agit de son premier film avant la réalisation de deux autres drames : Dix-sept fois Cécile Cassard et Ma mère. À noter qu’il travailla également avec Gaël Morel sur le scénario de son film Le Clan.

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Jamais larmoyant, ce film grave explore d’une façon juste et sans fausse note les réactions d’une famille unie face à un drame qui les touche. Christophe Honoré explore avec pudeur les sentiments et les réactions d’un père, d’une mère ou d’un frère face à la maladie frappant un jeune de 20 ans à peine.
Aucune fausse note également du côté des acteurs, il faut néanmoins souligner la justesse du jeu de Yannis Lespert dans le rôle pourtant pas si simple de Marcel, le plus jeune frère qui fait passer les émotions de manière formidable.
La réussite de ce film tient principalement au fait qu’il évoque deux sujets tels que l’homosexualité et la maladie sans aucun tabou mais avec tout de même beaucoup de pudeur, loin de certains mélodrames comme on a déjà pu en voir. C’est ce qui fait son originalité et qu’on en tire une bonne leçon de vie tellement on se sent proche de cette fratrie.

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On ne peut s’empêcher de se mettre à la place du petit Marcel et on se rappelle, si on les avait oublié, des valeurs importantes telles que l’amour et la solidarité. On a envie de dire à nos proches qu’on les aime, qu’ils comptent pour nous, ces petites choses si importantes mais qu’on ne dit jamais lorsque tout va bien, ces petites choses auxquelles on pense lorsque le temps nous est compté.

Pour plus d’informations :
Site de Christophe Honoré


Fiche technique :
Avec Johan Libéreau, Salomé Stevenin, Florence Thomassin, Jean-Philippe Ecoffey, Aurélien Recoing, Claire Nebout, Pierre Perrier et Denis Flagoux. Réalisé par Anthony Cordier. Scénario de Anthony Cordier. Compositeur : Nicolas Lemercier. Directeur de la photographie : Nicolas Gaurin.
Durée : 102 mn. Disponible en VF.


 



Résumé :
A 17 ans, Mickael est capitaine de l'équipe de judo et prépare le bac. Tout irait bien si sa famille n'avait pas des problèmes d'argent chroniques. Et surtout s'il n'était pas étrangement tenté de partager sa petite amie, Vanessa, avec Clément, nouvellement débarqué, dont le père est devenu le sponsor de l'équipe.

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L'avis d’Oli :
Mickaël est en terminale, judoka et d'une famille sans le sou. Il est bien avec sa copine, Vanessa. Et puis fait la connaissance de Clément, le fils du gros entrepreneur local, et son nouveau remplaçant au judo. Tout va bien. Mais cette amitié se transformera en une certaine connivence, un triolisme façon 2+1, que Michaël ne va pas tarder à ressentir en 1+2. Système ternaire en « profiteur-liant-jaloux ». Antony Cordier, le réalisateur, va essayer de nous montrer à l'écran le ressenti de chacun, du jaloux en particulier.

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L'idée de départ est intéressante. Tout système ternaire est déséquilibré, nous vivons nos sentiments dans un espace à deux dimensions (soi, attirance de soi pour l'autre, attirance de l'autre pour soi), qui empêche, sauf heureux hasard, une stabilité à long terme d'une relation à trois, encore davantage si le troisième élément est perturbatif d'un équilibre antérieur. Les interactions des deux premiers avec le troisième seront inégales, et pour celui qui se sentira refoulé, les sentiments négatifs apparaîtront : jalousie, colère, envie de tout foutre en l'air. Une volonté de rupture, parfois soumise à une subjectivité trop déconnectée de la réalité. Et c'est encore plus facile quand le bac approche et quand la famille a ses problèmes.

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Idée intéressante, donc. Mais alors la réalisation n'est pas du tout à la hauteur. On vogue de clichés (une scène du dentifrice pathétique et superflue) en maladresses (mettre des produits de beauté haut de gamme dans la salle de bain d'une famille pauvre), le rythme est irrégulier, souvent lent, souvent chiant. Dès la première demi-heure, on sent que ça ne prendra pas. L'acteur principal, Johan Libéreau, manque de conviction, Salomé Stevenin s'en sortira bien mieux. La musique est imposante et pénible. Les personnages secondaires sont mal définis (sauf le père de Mickaël, seul personnage intéressant), tellement de flou dans un film qui manque déjà pas mal d'ambition.

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Alors certains voudront le voir pour une scène de triolisme qui ferait passer le dimanche soir sur M6 pour le Journal du Hard, d'autres aimeront voir les scènes de nudité sous la douche. Mais il est à craindre que la plupart se feront bien chier, comme moi.

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L’avis de Romain Le Vern :
Douches froides, c'est l'histoire d'un trio d'adolescents.
C'est également l'histoire de parents pauvres face à des parents riches. On y explore les problèmes cruciaux des jeunes gens de 17 ans : Comment supporter une mère qui coupe l'électricité à la maison pendant deux semaines ? Qui est le plus fort du judoka ou du karateka ? Peut-on reprocher à son père de trop picoler ? Comment perdre huit kilos en six semaines ? Comment faire sortir le reste d'un tube de dentifrice vide ? Y a-t-il vraiment des gens qui désirent les catastrophes ? Comment aller à l'hôtel faire l'amour à trois ?


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Douches froides, premier long-métrage d’Anthony Cordier, porte bien son titre. C'est un film déroutant parce qu’il ne répond à aucun critère auquel on serait tenté de le réduire. Déjà, il ne s’agit pas d’une simple radiographie d’ados d’aujourd’hui mais un film sur les différences sociales. Des différences (trop) clairement martelées entre d’un côté les riches qui écoutent Mozart et de l’autre, les prolos qui économisent l’électricité. Infime part de tous un tas de clivages manichéens déclinés de façon très caricaturale dans ce film qui aimerait sans doute lorgner vers le cinéma de Claude Miller mais ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes.

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Loin de céder à la frivolité, Antony Cordier instille de fausses zones d’ombre, de faux sous-entendus, de fausses ambiguïtés... Et n’enregistre finalement pas grand-chose du côté du tohu-bohu intérieur et de l’ambiguïté sexuelle. Ce qui est gênant dans Douches Froides, c’est que le réalisateur prétend donner un souffle neuf à la chronique ado alors qu'il n'aboutit qu'à l'effet inverse. La caractérisation démonstrative de ses personnages a vite fait de couler dans le plomb tout espoir de cinéma. Malgré des acteurs très justes (surtout le couple Florent Thomassin - Jean-Philippe Ecoffey), une accumulation pesante de saynètes maladroites... Dans le même registre, il n'est pas interdit de préférer La vie ne me fait pas peur, de Noémie Lvovsky. Ou alors de revoir Les Amants criminels, conte de fées sur l’homosexualité refoulée et même – encore mieux – Y tu mama Tambien, vrai film d’ado moins guindé et plus bandant.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Ariane Ascaride, Jonathan Zaccai, Jimmy Tavares, Hélène Surgere, Lucas Bonnifait, Nicolas Pontois, Frédéric Sendon, Marcelle Lamy, Frédéric Voldman, Aliette Colas, Hanako Bron, Camille Dumalanede et Magali Hervieu. Réalisé par Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Scénario de Olivier Ducastel et Jacques Martineau. Directeurs de la photographie : Matthieu Poirot-Delpech et Pierre Milon. Musique : Philippe Miller.
Durée : 97 mn. Disponible en VF.

 



Résumé (dos du dvd) :

Pour filmer ses entraînements de patinage artistique, la grand-mère d’Etienne lui offre un caméscope. L’adolescent se met alors à enregistrer sa vie quotidienne avec ses amis et sa mère, à Rouen, sans voyeurisme, par jeu et pour se constituer des souvenirs. S’il s’intéresse de près à un de ses professeurs, c’est, croit-il, parce qu’il serait un compagnon idéal pour sa mère. La relation qui s’installe entre eux lui donne rapidement raison, mais lui fait aussi découvrir que son propre désir était plus ambigu qu’il ne le croyait.

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L’avis de Shangols :
Ma vraie Vie à Rouen
me réconcilie franchement avec les Martineau/Ducastel, après l'expérience éprouvante de Crustacés et Coquillages (j'ai vu leurs films dans le désordre). Celui-ci est un film franchement intéressant, au niveau purement formel en tout cas.
Un jeune gars, patineur de haut niveau, ado soucieux des mêmes choses que les autres ados (les copains, l'amour, le sexe, le beau-père, la maman...), se voit offrir une caméra vidéo, et tente de filmer sa vie, dans son quotidien le plus banal aussi bien que dans ses drames et ses doutes. Par ce dispositif très simple, tout le film étant tourné par cette caméra légère, les réalisateurs réussissent parfaitement à montrer un cinéaste en train de se faire. Les images montrées, de mieux en mieux maîtrisées, cadrées, intéressantes, au fur et à mesure du film, donnent une nette impression que, en même temps que Etienne raconte sa vie, il trouve les moyens esthétiques de la raconter. On assiste donc à toute une « naissance » du cinéma, des plans heurtés et accidentels du début aux très jolis cadres sensibles de la fin.

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Etienne tente tout ce qui fait le cinéma : caméra emportée sur son vélo, caméra cachée, image par image, gros plans, travellings, raccords subtils, décadrages, regards caméra, et surtout mise en scène progressive de son monde (il fait « jouer » sa mère, filme son copain en train de dire du Corneille, traque ses souvenirs d'enfance par la seule magie du plan...). Le journal intime et maladroit de l'adolescence devient un plaidoyer de plus en plus adulte sur la différence et le monde moderne (une manifestation anti-Le Pen réelle, de longs plans d'ouvriers qui déchargent des camions, etc.), jusqu'au coming-out final : tout cela n'a servi qu'à dévoiler l'homosexualité du filmeur. Ce qui est montré est mis parfaitement en parallèle avec la façon dont on le montre. Bien vu : Martineau et Ducastel ont compris que le cinéma montre non pas le filmé, mais le filmeur. Les quelques scènes où un autre personnage attrape la caméra d'Etienne sont révélatrices : il n'est pas acteur, il est metteur en scène de sa vie, et sa caméra-stylo ne sert qu'à filmer son intimité la plus profonde.
Le film rappelle souvent le superbe Ten de Kiarostami, par cette tentative, vaine bien sûr, d'effacer le réel metteur en scène pour laisser le champ libre à la caméra seule. On sent que c'est effectivement le jeune acteur qui filme la plupart des scènes (on voit son ombre se profiler sur le paysage). Mais le film arrive à se retourner complètement, par une mise en abîme subtile et intelligente : petit à petit, les deux réalisateurs reviennent à l'attaque. C'est bien Ducastel/Martineau qui filment Etienne qui filme sa vie.
Alors bien sûr, le scénario du film est un peu trop écrit pour être sincèrement crédible, trop pensé pour donner vraiment cette impression de direct. Bien sûr, les acteurs sont bien souvent mauvais (Hélène Surgère surtout, qui a du mal à trouver le naturel de la chose), mis à part Ascaride, très émouvante. Bien sûr, cette métamorphose de l'ado en homo assumé est un peu cousue de fil blanc. Mais Ma vraie Vie à Rouen reste une très belle expérience formelle, quelque chose entre un bel hommage au cinéma et une expérimentation contemporaine. Chapeau bas.

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L'avis de Mat :
Ma vraie vie à Rouen est un film hybride, une première, une expérimentation de part le choix de la réalisation. La caméra des réalisateurs se confond en effet avec le caméscope offert à Jimmy Tavares qui joue Etienne dans le film. Un concept original que les deux réalisateurs français vont utiliser de bout en bout de leur film. Celui-ci commence donc avec la mise en marche du caméscope, clos une scène prématurément avec l’arrêt du caméscope, saute une période à cause d’une réparation nécessaire au caméscope, bref Etienne est LE réalisateur de ce film, c’est lui qui détient la caméra, c’est lui qui montre aux spectateurs ce qu’il a envie de montrer... jamais dans l’histoire du cinéma on a été aussi loin pour traduire à l’écran la vie d’un personnage. Et donc jamais dans l’histoire du cinéma on a été aussi proche du héros d’un film. Il met en scène sa vie sous nos yeux ébahis !

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Alors bien sûr, le contenu de l’histoire doit nous satisfaire pour adhérer totalement au film. Sur le fond, la partie la plus intéressante est celle où Etienne se cherche en amour. L’homosexualité est l’un des combats mené tambour battant par Ducastel et Martineau. Etienne est un personnage presque autobiographique : Olivier Ducastel ayant passé son enfance à Rouen et Jacques Martineau ayant pratiqué le patinage artistique ! S’inspirant de souvenirs, ils ont construit un ado qui leur ressemble avec un entourage qu’ils ont connu... L’adolescence étant la période de grands chamboulements intérieurs, d’affirmation de soi, de découverte de son corps : tout était bon pour parler de l’amour à cet âge là.
Deuxième engagement pour Ducastel et Martineau : la lutte contre le Front National. Alors que les scènes de réactions à l’élection présidentielle 2002 étaient déjà en boîte, la "surprise" de voir le FN en deuxième position à la suite du premier tour, remet en cause totalement ce qui a déjà été tourné... Appelant en urgence Jimmy Tavares, Ducastel et Martineau (avec Ariane Ascaride, le chef op’ et le preneur de son) s’engouffrent dans les immenses bains de foule venus manifester leur opposition au groupe d’extrême droite. Une vraie manifestation dans un film qui devient engagé, c’est fort et beau à la fois.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :
Avec Boy George, James Layton, Lee Williams, Margaret Towner, Rita Davies, Rosemarie Dunham, Kevin Moore, David Prescott, Angharad Rees, Matthew Dean, Leila Lloyd-Evelyn et Mr. Powell. Réalisation : Will Gould. Scénario : Charles Lambert & Matthew Read. Directeur de la photographie : Laura Remacha. Compositeur : Basil Moore-Asfouri.
Durée : 93 mn. Disponible en VO et VOST.




Résumé :

Kromer : un petit village anglais très ordinaire. En apparence. Dans les bois vivent deux jeunes loups très beaux, presque humains, Seth et Gabriel. Ils s’aiment dans un monde où on n’aime ni les loups, ni l’amour, encore moins le sexe. Une grande maison proche des bois : deux vieilles bonnes diaboliques préparent leur coup. Après avoir assassiné leur maîtresse, elles accusent les loups et entraînent les villageois, trop contents de l’aubaine, dans une traque sans pitié. Une fable moderne, présentée par Boy George, dans laquelle s’affrontent instincts primitifs et hypocrisie sociale : sexe, amour, haine, jalousie, intolérance...

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Les Loups de Kromer, c’est la rencontre entre Agatha Christie et les frères Grimm. À la fois comédie noire et love story, toute la vitalité du film, l’extraordinaire magie qui s’en dégage proviennent de cette étonnante juxtaposition.
Le récit, fondé sur la dualité, se déplace constamment entre la complicité malsaine des servantes pour tuer leur maîtresse, Mrs. Drax, et la relation grandissante qui unit les deux loups. D’emblée, le fiasco meurtrier des servantes introduit dans le film un jeu de personnages plus conventionnels incarnés par le fils de Mrs. Drax et sa famille.

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L’étonnante diversité des personnages et la vivacité du récit trouvent leur équivalent dans l’aspect lumineux autant que dans la structure du film. Là encore, c’est le jeu des contrastes qui est mis en évidence. Les jeunes premiers sont naturellement raffinés, sophistiqués, élégants, s’expriment dans un jargon moderne, sont confrontés à des questions d’actualité, et pourtant le monde dans lequel ils vivent est très éloigné de la cité. En réalité un monde de collines et de vallées, de cascades et de lacs, hors du temps ; scènes d’amour en bordure de rivière, au cœur des bois, éclairées par la lune. Ce paysage idyllique peut aussi être perçu comme en contraste radical avec l’atmosphère de sorcellerie, de morne cachot dans laquelle les servantes sont confinées, et ce grâce à l’ingéniosité tant du décor que des prises de vues.
L’équipe a été tout entière constituée par Charles Lambert, titulaire d’un doctorat en écriture de scénario de l’université de East Anglia. Pour Les Loups de Kromer, il a fait appel à un metteur en scène de 22 ans, Will Gould, lui aussi diplômé de East Anglia, ainsi qu’à Laura Remacha et à Carol Salter, respectivement chef opérateur et monteur de l’École nationale du film. La partition musicale a été composée par Basil Moore-Asfouri, étudiant au conservatoire de Bologne, sous la supervision de Ennio Morricone.

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Des acteurs anglais confirmés, tels que Angharad Reed (Poldark, une série populaire de la BBC), Rita Davies (Holy Grail dans le film des Monty Python) et Margaret Towner (Prequel dans Star Wars) sont réunis avec deux modèles, Lee Williams et James Layton, qui, pour leurs débuts en tant qu’acteurs, font preuve d’une présence imposante. À cela s’ajoutent une brève apparition du Premier ministre du cabinet, John Biffen, et la narration de Boy George. Le film a été tourné en quatre semaines. Il a été vendu dans huit pays pour des sorties en salle. La première nationale a eu lieu en novembre 2000 aux USA et en octobre 2002 au Royaume-Uni.


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L’avis du Dr Devo :
Après L’œil violeur de la 8e dimension, difficile de croire qu’il est possible de surenchérir dans le grotesque. Et pourtant, dans un tout autre style, Les Loups de Kromer relève le challenge. Par quel bout le prendre pour vous le présenter… Bon… Alors voilà… Ça se passe dans un monde contemporain, mais un peu onirique sur les bords. Il y a la ville, et dans la ville, deux vieilles servantes qui se font leur propre adaptation des Bonnes de Jean Genet en assassinant leur maîtresse.
Et puis il y a la forêt, et dans la forêt vivent des loups-garous qui pourraient encore vous surprendre : ce sont des minets (tout droit sortis d’un David DeCoteau ?) aux oreilles pointues, aux ongles itou, piercings, yeux de biches, vêtus de manteaux de fourrure qui laissent dépasser leur queue (de loups, hein, on est bien d’accord). Et bien sûr, ils sont gays. D’ailleurs, la voix-off est assurée par Boy George. Et les deux vieilles vont naturellement tenter de faire porter le chapeau à deux d’entre eux, Seth et Gabriel, lycanthropes amoureux l’un de l’autre.

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Voilà voilà voilà voilà… Bien, bon, ben, vous l’aurez compris vous-mêmes, ce film ahurissant, souvent surnommé « Gay Werewolves in Love » outre-Manche, adapté d’une pièce de théâtre anglaise, est une métaphore avouée de l’homosexualité, métaphore rendue lisible (ou risible ?) jusqu’au ridicule le plus achevé, bien que le film ne renie pas totalement ses aspects humoristiques. Seth vient de faire son howling-out (vous avez une meilleure façon de le dire, vous ?), lit des numéros de Loup Hebdo, et a encore un peu de mal à accepter son identité – il faut dire que, pendant toute son enfance, sa maman a cherché à dissimuler sa queue tandis que son père s’était enfermé dans le déni. Au début du récit, il commence à s’assumer, tombe amoureux de Gabriel, et ce gentil petit couple va être confronté au drame, aux préjugés et à l’intolérance d’un petit village mené par le prêtre, peut-être le plus virulent des anti-loups gayrous (mais on découvrira qu’il cache une queue sous sa soutane, comme quoi, ça touche un nerf !).


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C’est une pente bien savonneuse sur laquelle s’engage ce métrage, et malgré la petite qualité de certaines parties du film (principalement autour des deux vieilles meurtrières), le résultat ne tarde pas à sombrer dans une démonstration foncièrement grotesque – d’autant plus que la mise en scène et le scénario, maladroits et naïfs jusqu’à la niaiserie, tapent très largement en dessous d’un traitement qui, tant qu’à faire, aurait dû être bien plus iconoclaste. On est ici confrontés à un sujet complètement excentrique, mais qui ne fait rien de ses idées en termes d’esthétique ou de narration. La juxtaposition de références (Jean Genet, le petit chaperon rouge…) tombe donc franchement à plat, et abandonne le spectateur face à une parabole tendance « hymne à la Tolérance » qui affiche des velléités d’insolence et d’originalité pour aboutir à un énoncé passablement imbécile et visuellement plus risible qu’absurde ou surréaliste – voir cette séquence finale au paradis, où les héros s’éclatent sur la chanson « Spirit in the Sky ». Au rayon des Grands Improbables, on préfèrera de très loin L’Étrange monsieur Peppino (fort bien réalisé, émouvant, et dont le seul défaut est de ne pas assumer jusqu’au bout ses aspects esthétiques et narratifs les plus abstraits et les plus intéressants) ou The Killer Eye (dont l'idiotie est plus franche et décomplexée) à ces
Loups de Kromer qui tentent, assez lamentablement, de transcender un matériau absurde pour en faire une œuvre à message à l’originalité pour le moins filandreuse.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Steve Sandvoss, Wes Ramsey, Rebekah Johnson, Jacqueline Bisset Amber Benson, Khary Payton, Joseph Gordon-Levitt, Rob McElhenney, David Poser, Erik Palladino et Mary Kay Place. Réalisé par C. Jay Fox. Scénario : C. Jay Fox. Directeur de la photographie : Carl Bartels. Musique : Eric Allaman.
Durée : 97 mn. Disponible en VO et VOST.

 



Résumé (dos du dvd) :

Aaron, jeune mormon, tout frais émoulu de son Idaho natal, débarque pour prêcher à Los Angeles avec deux autres compagnons. Il n’a encore aucune idée des épreuves qui l’y attendent.
Christian, son voisin, un gay volage pensant davantage à combler ses sens qu’à trouver un sens à sa vie, a lancé un pari auprès de ses amis : dévergonder un de ces jeunes prédicateurs…
Sous des dehors de comédie romantique, La Tentation d'Aaron est un film provocateur aux thèmes engagés. Il parle du fanatisme religieux et des choix que l’on fait pour être plus libre. Le portrait d’une Amérique à deux visages qui fait sourire à moitié, mais où l’amour reste encore possible.



L'avis de
Kriss :
Deux garçons que tout oppose et un pari idiot : un synopsis qui peut paraître un peu simpliste mais qui donne l’occasion à C. Jay Fox de traiter l’apparente opposition entre foi et amour d’une manière magistrale. Nous avons donc d’un côté Aaron, jeune mormon, fort d’une foi inébranlable (vraiment ?) en la religion et le mode de vie de ses parents, qui effectue sa « mission » d’évangélisation à Los Angeles en compagnie de trois autres jeunes hommes. De l’autre, Christian, voisin des quatre mormons, qui ne croit en rien si ce n’est qu’il va se faire un nouveau mec chaque soir… Christian travaille dans un restaurant et va faire le pari avec ses collègues qu’il arrivera à « convertir » un des mormons. Son choix se porte sur Aaron...
Les premières rencontres sont plutôt comiques mais donnent déjà un aperçu de l’intensité des sentiments qui vont suivre. Question sexualité, Aaron doute, Christian est sûr de lui, question foi, c’est l’inverse. L’histoire qui va se dérouler ensuite est le long chemin parcouru par chacun pour rejoindre l’autre, notamment sur ces deux points.

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Tout en montrant la force et l’acharnement du dogme et de la foi mormone face à l’homosexualité à travers l’homophobie des colocataires d’Aaron (« Dieu n’aime pas les homosexuels. », suivi d’un « Ni les français. » ) et l’envoi d’Aaron dans un centre de thérapie d’inversion, C. Jay Fox réussit à nous convaincre que ce combat n’est qu’apparent. Aaron ressort fort d’une foi plus grande encore, mais une foi en la vie, en l’amour plus grand que le dogme. Christian, de son côté, découvre que la foi est nécessaire à la vie, une foi en l’autre, notamment en participant à un programme d’aide à domicile pour les malades du sida. Et oui, le sujet de la maladie est également abordé, mais encore une fois pour nous convaincre de la force de la foi en la vie.

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En résumé, une histoire d'Amour avec un grand A, qui transcende la simple sexualité des personnages, histoire de rappeler que dans homosexuel, il n'y a pas que sexuel, mais aussi deux personnes qui s'aiment.

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L'avis de Rémi :

Il y a des choses qu'on voit ou qu'on entend et qui marquent. La Tentation d'Aaron est parmi celles-là.
Ça fait une semaine que j'ai vu ce film pour la première fois. Je l'ai acheté aussitôt après et depuis je le regarde en boucle. Je ne sais pas pourquoi j'ai pu louper une histoire pareille. Profonde, forte, qui exprime nos tourments, nos doutes, nos peurs, notre légèreté aussi, mais aussi et surtout toute la splendeur de notre capacité à nous surpasser quand on aime.

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La Tentation d'Aaron
(Latter Days) est une histoire avec des mots brefs mais intenses. Mais ce qui m'a frappé le plus, c'est la mise en scène de notre déroute quand on est placé devant des choix que nous savons déterminer le futur. J'ai été confronté, comme beaucoup je pense à de tels choix. D'un côté il y a l'angoisse de savoir si on va faire le bon ou non, et de l'autre l'angoisse de ce qui se passera si on le fait ce choix ou non. C'est pour ça que je dis qu'il y a des films qu'on regarde avec émerveillement à cause de leurs effets spéciaux, mais celui-là ne s'adresse pas aux sens, mais au cœur, et jamais film n'a su me captiver autant, sauf peut être Amen de Costa Gavras. Je revois à travers ce film tous ces jeunes gens qui ont traversé des périodes terribles de tourments psychologiques, entre le moment où ils s'aperçoivent de leurs penchants terribles, et celui où ils décident d'ouvrir la porte et de s'ouvrir au monde tels qu'ils sont. Quelques uns n'y survivent pas et pour eux je lance une pensée tendre et amicale.
Je recommande à tous ce film. En dehors de l'angle poignant sous lequel il aborde l'homosexualité, ce film est une véritable ode à l'amour, la joie, la tolérance contre l'oppression des hommes, et surtout une question : l'essentiel, c'est quoi pour toi, au fond...
Et ce beau Steve Sandvoss me fait craquer littéralement...

Pour plus d'information :
Site du film avec photos & trailer (US) : http://www.latterdaysmovie.com

Photos : Merci à Antiprod.

 

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Fiche technique :

Avec Barbra Streisand, Mandy Patinkin, Amy Irving, Nehemiah Persoff, Steven Hill, Allan Corduner, Ruth Goring, David de Keyser, Bernard Spear, Doreen Mantle et Lynda Baron. Réalisé par Barbra Streisand. Scénario : Barbra Streisand et Jack Rosenthal, d’après l’œuvre d’Isaac Bashevis Singer.  Directeur de la photographie : David Watkin. Compositeur : Michel Legrand.
Durée : 135 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :

Au début du 20e siècle, une Polonaise répondant au nom de Yentl enfreint la Torah en se déguisant en homme pour étudier les textes sacrés.
Assoiffée de connaissance, la jeune Yentl se déguise en garçon à la mort de son père pour parcourir la Pologne. Elle rencontre Avigdor, dont elle tombe amoureuse mais ne peut lui révéler son secret car il doit épouser la belle Hadass. Pour réunir les deux êtres qui lui sont le plus cher, Avigdor a l'idée de marier Yentl à Hadass.

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L'avis de Jean Yves :
Émouvant, drôle, superbe. Adapté d’une nouvelle d’Isaac Bashevis Singer, Yentl insiste sur le message féministe mais la comédie reste au rendez-vous. Et la voix de Barbara Streisand aussi…
Barbara Streisand est restée fidèle à la nouvelle de Singer (1). Même si elle en a simplifié l'action. Singer écrit de manière concise, évoque les faits d'un mot ou d'une phrase. La cinéaste a supprimé des personnages pour s'en tenir à l'essentiel.

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Deux pages à peine suffisent à Singer pour que la jeune Yentl devienne le jeune Anshel
, pour que celui-ci se mêle aux étudiants juifs qui vont en ville fréquenter la Yeshiva (école rabbinique où l'on se consacre à l'étude du Talmud) et se lie d'amitié avec le séduisant Avigdor qui semble d'emblée séduit (en tout bien tout honneur) par son jeune compagnon d'étude.
Yentl se passe en 1904-1905, en principe en Pologne, mais on reconnaîtra comme décor naturel le magnifique pont Charles jeté sur la Moldau à Prague, où le film a été en partie tourné.
Yentl (jouée par Barbara Streisand) n'est pas une jeune fille comme les autres :
« Yentl préférait de beaucoup les activités des hommes à celles des femmes. Son père avait étudié la Torah avec elle comme s'il s'était agi de son fils... Elle s'était montrée si bonne élève que son père avait coutume de dire :

- Yenti, tu as l'âme d'un garçon.
- Alors pourquoi suis-je née dans le corps d'une fille ?
- Même le Ciel commet des erreurs. »

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L'étude, selon la tradition, était réservée aux hommes, chaque sexe ayant à respecter ses propres obligations : on considérait la femme qui étudie comme un démon, et pourquoi d'ailleurs aurait-elle eu besoin d'étudier, de s'instruire, puisqu'elle est censée tout connaître d'instinct. (« jolie » pirouette du Talmud pour conserver le savoir au mâle tout puissant).
L'amour de l'étude, la soif d'apprendre, ne vont apparaître tout au long de cette histoire que comme une justification de tous les débordements masculins qui secouent Yentl. C'est en effet un refus total de la condition féminine qui l'anime : pas question de passer sa vie à servir un homme, pas question de s'encroûter dans l'ignorance, pas question de se contenter, pour toute conversation, des jacassements des autres femmes.
Dans la nouvelle (1), Yentl n'attend pas de devoir quitter son village, après la mort de son père, pour se travestir : déjà elle aimait, tandis que son père dormait pendant les après-midi de Sabbat, se vêtir en homme et « étudier son reflet dans le miroir. Elle avait l'air d'un jeune homme sombre et bien fait ».

Une fois réellement travestie, Yentl va vivre une aventure incroyable : jamais on ne la prendra en défaut, car tromper le monde était devenu un jeu. Jeu qui va très loin, puisqu'elle en arrive à épouser Hadass, une jolie fille de la bourgeoisie qui avait d'abord été promise à Avigdor.
On imagine la succession de gags que Barbara Streisand a tirée de la situation, alors que la nouvelle de Singer n'est pas traité sur le mode humoristique. Le comique est l'un des apports essentiels de la comédienne. Mais c'est dans la personnalité profondément ambiguë de Yentl/Anshel, dans cette confusion des sexes ― où le rôle social interfère sur la destination du sentiment et inversement ― que Barbara Streisand se montre particulièrement subtile.
Il y a dans le texte de Singer trois idées que la cinéaste a su utiliser pour créer à l'écran cette impression d'incertitude et de trouble : la nouvelle nous dit que, dans un rêve, Yentl avait été en même temps homme et femme. Elle nous révèle la pensée de Yentl/Anshel, devant la belle et très féminine Hadass : « Dommage que je ne sois pas un homme ».
La nouvelle suggère l'attirance d'Avigdor envers « lui » : « Avigdor s'attachait de plus en plus à ce garçon, de cinq ans son cadet... » Cette amitié entre Avigdor et Anshel a, sans dire son nom, sans passer à l'acte, toutes les apparences d'un lien pédérastique.

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Et l'affection ressentie par Anshel pour la belle Hadass n'est pas très claire non plus. La cinéaste est restée en-deçà du texte de Singer en ce qui concerne cette relation, car l'écrivain précise bien que lors de la nuit de noces, « Anshel avait trouvé un moyen pour déflorer son épouse », ce qui implique qu'il y a contact physique chez Singer, alors que Barbara Streisand fait une tache de vin sur le drap pour faire croire que le sang de l'hymen a coulé.

Yentl est donc un film qui pourrait illustrer, implicitement, que l'amour n'a pas de sexe, et que s'il en a un généralement, c'est parce que le conditionnement est passé par là.
Ce film est un superbe spectacle où les interventions chantées sont autant d'intermèdes qui assurent la liaison et la respiration entre les moments. Quant à Barbara Streisand travestie en garçon, je l'ai trouvée beaucoup plus crédible que Julie Andrews dans l'excellent Victor-Victoria. Elle parvient beaucoup mieux que Julie à camper un personnage androgyne. Et l'entourage n'a aucun mal à tomber dans le panneau des apparences trompeuses.

(1) La nouvelle "Yentl" est éditée dans le recueil Yentl et autres nouvelles de Isaac Bashevis Singer, Editions Stock, 1998.
Pour plus d’informations :

 



Fiche technique :

Avec Brad Davis, Laurent Malet, Jeanne Moreau, Franco Nero, Günter Kaufman, Burkhard Driest et Hanno Pöschl. Réalisé par Rainer Werner Fassbinder. Scénario de Rainer Werner Fassbinder et Burkhard Driest, d’après le roman de Jean Genet. Compositeur : Peer Raben.
Durée : 120 mn. Disponible en VF.



Résumé :

Le « Vengeur » vient d'accoster à Brest. Sur le pont, l'équipage s'affaire à ses dernières tâches avant de descendre à terre goûter à des plaisirs éphémères, le temps d'une escale. Parmi eux, Querelle, le beau marin, au puissant pouvoir de séduction, qui ne laisse pas insensible son supérieur, le lieutenant Seblon.
Pénétrant à l'intérieur du bar-bordel le plus réputé du port, Querelle retrouve son frère, Robert, barbeau et incompréhensible image morale de lui-même. D'étranges rapports de haine et d'amour lient les deux frères. Fasciné par Lysiane, chanteuse, épouse du patron et maîtresse de Robert, Querelle doit cependant se soumettre au désir et au fantasme de Nono, le tenancier du bordel. Séduction... fascination... Querelle rencontre Mario, le policier, un habitué des lieux, puis Gil, le sosie de son frère.
Bien que poussé par un formidable instinct de vie qui le force à vivre, Querelle tue ceux qui lui ressemblent, de peur de les aimer comme lui-même... Lentes et inévitables étapes du chemin vers la mort.

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L'avis de
Jean Yves :
Le Vengeur vient d'accoster à Brest. Sur le pont, l'équipage s'affaire aux dernières tâches avant de descendre à terre. Parmi eux, Querelle, beau marin au pouvoir de séduction immense, qui ne laisse pas insensible son supérieur, le lieutenant Seblon. Pénétrant à l'intérieur du bar-bordel le plus réputé du port, Querelle retrouve son frère Robert. D'étranges rapports de haine et d'amour lient les deux hommes. Fasciné par Lysiane, la maîtresse de Robert, Querelle doit cependant se soumettre au désir et aux fantasmes de Nono, le tenancier du bordel.
Ce film est un mythe cinématographique. Querelle, l'histoire du matelot assassin si beau qu'il fait évanouir officiers et policiers, si lâche et si traître qu'il livre tous ses amis, intéressé par lui seul, mortel et sublime.

Querelle, le roman le plus radical de l'histoire de la littérature. Avec sa mythologie si prolifique qu'elle est à elle seule une jungle. Non pas un roman sur l'homosexualité et le crime, mais le crime homosexuel comme roman et poème.
Relisant, pour la cinquième fois, ce texte redoutablement non-visuel, j'ai compris le choix, lisible dans les images, qu'a fait Fassbinder. Celui d'un Brest surréel, entièrement reconstitué en studio par le décorateur Rolf Zehetbauer : bateau de guerre (le Vengeur où sert Querelle), bar (la Feria, le bordel où Querelle erre le soir), nature, remparts, citadelle, rues, tout est faux, jusqu'à ces tours en forme de phallus pointant vers un ciel rouge sombre.

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On pardonnera à Fassbinder d'avoir écrit que Querelle n'est qu'une « histoire policière de troisième niveau », alors que la mécanique du récit policier y est au contraire d'une admirable précision, parce qu'il a compris le plus important : la nature mythique, sacrée, de ce Brest du crime entre trop beaux garçons.

Querelle, chez Fassbinder, c'est Brad Davis, le béret au pompon crânement posé, connu aussi par le film Midnight Express. Point jeune, car Querelle, quand commence le roman, a déjà plusieurs assassinats sur la conscience dont celui de Joachim, le pédé arménien de Beyrouth.
Querelle, c'est aussi Madame Lysiane, la rêveuse et tendre patronne de La Feria, du bordel de Brest, la seule femme du roman, coincée entre tous ces hommes secrètement pédés et trop virils. Lysiane, jouée par Jeanne Moreau, n'est pas un personnage réel. Elle est un mythe, le symbole de toute féminitude, la définition utopique de toute femme possible.

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Querelle
, c'est encore le lieutenant Seblon, que joue Franco Nero, la folle virile et secrète, amoureuse du matelot Querelle, que ses folies de générosité, sa profonde complicité avec le voyou, perdront un jour.
Querelle, c'est enfin Hanno Pöschl, qui joue Robert, le frère hétérosexuel de Querelle, le mac qui est le doublet du marin ; mais Fassbinder a choisi une ressemblance purement intérieure (Pöschl n'est en rien le sosie de Brad Davis) ; pour retrouver ce « double » (Robert-Querelle) qui hante le roman, Fassbinder a préféré faire jouer à Pöschl deux rôles à la fois, celui de Robert et celui de Gil, Gilbert Turko, l'assassin que Querelle entraîne dans ses filets jusqu'à le perdre.
Si, comme moi, vous avez pleuré, pendant votre adolescence, en lisant le Querelle de Jean Genet, je vous conseille de voir ou revoir le Querelle de Fassbinder.

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Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Mike White, Chris Weitz, Lupe Ontiveros, Beth Colt, Paul Weitz, Maya Rudolph, Mary Wigmore et Paul Sand. Réalisé par Miguel Arteta. Scénario de Mike White. Directeur de la photographie : Chuy Chavez. Compositeur : Gregory « Smokey » Hormel, Tony Maxwell et Joey Waronker.
Durée : 96 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :

Deux amis d'enfance ont évolué de façon diamétralement opposée. Chuck Sitter (Chris Weitz), beau garçon, est cadre dans une société de production musicale où il a rapidement gravi les échelons. Il est sûr de lui et ne manque pas d'ambition. Il possède une maison dans les collines d'Hollywood, une voiture de sport et une ravissante fiancée.
Quant à Bu
ck O'Brien (Mike White), il n'a jamais mis les pieds à l'université, n'a jamais travaillé et habite toujours chez sa mère. Refusant de grandir, il a gardé une âme d'enfant. Il regarde continuellement la télévision, joue avec des voitures miniatures et écoute ses vieux disques en boucle.
Bien qu'ils ne se soient pas vus pendant quinze ans, Bu
ck considère toujours Chuck comme son grand ami. Lorsque les deux comparses sont réunis à l'occasion des funérailles de la mère de Buck, ce dernier croit pouvoir reprendre leur amitié où ils l'avaient laissée.
Cependant, Chu
ck, qui n'est pas de cet avis, éconduit poliment Buck. Celui-ci ne se décourage pas ; il plie bagages, retire toutes ses économies et s'installe à Los Angeles, traquant Chuck aussi bien au bureau que chez lui. Deux univers vont s'affronter pour le meilleur et pour le pire.
Mike White a remporté le Prix Ralph Lauren de la Meilleure Interprétation au Festival de Deauville 2000. Comme Star Maps, le premier film de Miguel Arteta, Chu
ck & Buck est à la fois une comédie noire et le portrait attachant d'un homme qui éprouve des difficultés à s'intégrer dans la société. Ce long métrage a été filmé en numérique.

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L'avis de Thomas Werth :
Effet du hasard ou volonté marquée de la part du réalisateur ? Toujours est-il que le second film de Miguel Arteta (après Star Maps, en 1997) semble constituer une variation autour du chiffre 2 et de toutes ses déclinaisons narratives : ambiguité, bisexualité schizophrénie, balancement, hésitation, opposition, réunion…
Bu
ck (interprété par Mike White, coscénariste du film) est un concentré de nombre de ces aspects : un homme-enfant de 27 ans, homme de par son état civil et physique, enfant de par son mental. On le voit souvent entouré de ses jouets, une sucette à la bouche, enfant gâté, irresponsable et têtu, prêt à fondre en larmes à la moindre contrariété. En somme, le double négatif de Chuck, son ami d'enfance, devenu un homme d'affaires accompli en route vers le succès professionnel, social et matrimonial.
Un enfant tourné vers le passé face à un homme plein d'avenir – et le clash est bien entendu inévitable. Le temps a substitué un dénommé Charles au Chu
ck avec lequel Buck allait jusqu'à s'adonner à des relations « homoérotiques » naïves et innocentes – une substitution à laquelle Buck, ancré dans le passé, ne peut se résoudre. Il développera ainsi mille stratagèmes, poursuivra Chuck jusqu'au harcèlement dans le seul but de ressusciter les relations qu'ils entretenaient dans leur jeunesse – un acharnement inquiétant, malsain qui provoquera le rejet grandissant de Chuck...

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Le film décrit le parcours initiatique de Bu
ck vers l'âge adulte – un parcours présenté ici comme fait de renoncements. Pour grandir, Buck devra apprendre à faire le deuil de son enfance, à renoncer à ces jouets dont il ne se sépare jamais, à accepter le mariage de Chuck avec sa nouvelle compagne – renoncement et évolution vont ainsi de pair, dichotomie soulignée par une musique ("It's time for a new start") venant accompagner chaque perte subie par Buck dans sa progression vers l'âge adulte.
Deux personnages centraux, l'opposition passé/présent, le double-jeu d'un Charles/Chu
ck attiré-effrayé par Buck, la paire renoncement-évolution, etc. Le sentiment de dualité est ici, on le voit, plus martelé que suggéré, et plombe un film qui en finit par démontrer plutôt que montrer. Les traits caractérisants sont multipliés jusqu'à l'indigestion. Le thème musical, à valeur de jingle, répété pas moins de cinq fois au cours du film, participe aussi de ce regrettable manque de confiance en la capacité de compréhension autonome du spectateur.
Le personnage de Bu
ck et la peinture qui en est faite restent cependant l'attrait principal de ce film grâce, en partie, au jeu de Jim White. Homme-enfant, Buck est une anomalie, une créature hybride touchante dans sa naïveté et son optimisme inébranlable mais inquiétante, malsaine dans son acharnement et son obsession. Si le film n'évite pas le cliché de la célébration de l'enfance comme un territoire magique et paradisiaque, s'il ne manque pas de glorifier l'être enfant, il souligne cependant l'anomalie du rester enfant, apportant ainsi quelques nuances à son traitement de l'enfance – nuances que l'on aurait aimé rencontrer à d'autres niveaux d'un film autrement trop didactique et assertif.

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L’avis de
Yannis Polinacci :
À première vue, Chuck & Buck ressemble à n'importe quelle autre fiction américaine mettant en scène un idiot au cœur d'or qui a du mal à se faire accepter. On pense à Rain Man, on pense à Forrest Gump, on pense et on frémit. Et il faut dire que tout le début du film ne semble aucunement contrarier cette hypothèse. Buck retrouve son ami Chuck et décide de le coller jusqu'à ce que ce dernier veuille de lui. On ne pense plus, on frémit beaucoup.
Pourtant un détail peut nous mettre sur la voie. Chuck & Buck est filmé en vidéo numérique, une sale vidéo numérique. Un film de cette sorte mettant en scène des imbéciles ? Cela rappelle bien sûr le Dogme et Les Idiots de Lars Von Trier. Dès lors, on peut s'attendre à une version plus trash ou déjantée de l'Idiot du village. Et pour cause, ce n'est pas une boîte de chocolats ou autres crevettes que l'attardé Chuck veut mettre dans sa bouche, mais une certaine partie du corps de son ancien ami, comme ils étaient apparemment habitués à le faire dans leur tendre enfance. Car Chuck & Buck, comme le rappelle une formule récitée par notre charmant héros, ça signifie avant tout « Suck & Fuck ». Et là, c'est sûr, le mythe du héros bêta et naïf, idole de toute une Amérique, en prend un sacré coup.
Voilà donc résumée la seule véritable originalité du film. On peut la trouver vulgaire, mais elle demande un certain culot. Le réalisateur, et son scénariste-acteur, désiraient ainsi montrer comment des héros attachés à l'enfance sont bien loin de l'innocence rose, de l'univers asexué par lesquels les adultes les représentent trop souvent. De fait, cet âge de la vie a depuis longtemps représenté pour l'Amérique puritaine, mais pas que pour celle-ci, le Paradis à cause de l'absence de sexualité, grande malédiction de l'Homme occidental. Dans ce contexte, les désirs de ce vilain petit canard de Buck ont quelque chose de réjouissant. Mais cela risque fort malheureusement de ne pas suffire à faire de ce film une réussite.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Michel Bouquet, Didier Haudepin, Louis Seigner, Francis Lacombrade, Lucien Nat, Gérard Chambre, Henri Coutet, Dominique Diamant, François Leccia, Dominique Maurin, Bernard Musson et Colette Regis. Réalisation : Jean Delannoy. Scénario : Jean Aurenche. Dialogues : Pierre Bost. D'après l'œuvre de Roger Peyrefitte. Directeur de la photographie : Christian Madras. Compositeur : Jean Podromidès.
Durée : 100 mn. Disponible en VF.



Résumé :
Un élève de quinze ans, d'agréable figure et porteur d'un grand nom : Georges de Sarre, entre pour passer sa troisième dans un collège de Pères où son intelligence et sa secrète ambition lui font briguer aussitôt les places d'honneur. Toutefois, privé d'affection et hypersensible, Georges s'acclimate mal à l'établissement. En quête d'une amitié, il remarque au cours d'une cérémonie, un élève plus jeune que lui et d'une grande beauté. Georges qui s'était fait un camarade de Lucien Rouvère est ému par la grâce de l'enfant, n'a de cesse de le connaître, et, usant de toutes les manœuvres de la séduction, finit par rencontrer Alexandre. Une amitié pure et exclusive naît entre eux, ponctuée de rendez-vous furtifs, de lettres rapides, de vers recopiés. Le père de Trennes, brillant, mordant, un peu inquiétant, surprend leurs manèges. Dès lors il s'acharne sur Georges et même sur l'honnête Lucien pour percer à jour le comportement des élèves. Surveillant le dortoir, il commet l'imprudence de recevoir les garçons dans sa chambre la nuit. Georges qui sent monter le danger dénonce anonymement le père de Trennes qui, aussitôt, est chassé du collège. L'enivrante amitié entre Georges et Alexandre va donc pouvoir s'épanouir glorieusement. Un autre père, M. Lauzon, découvre les rendez-vous dans la serre. Il dédaigne d'en référer au supérieur, décide de résoudre lui-même le problème et de remettre les enfants dans le droit chemin. Il met en demeure Georges de déclarer à Alexandre, par son intermédiaire, qu'il a rompu. Décidé à continuer, Georges feint de se repentir et rend ses lettres à son ami, sans commentaires. Après la distribution des prix, Alexandre désespéré ouvre la portière du train et se jette sur la voie. Georges sera informé du suicide par le père Lauzon. Atterré, le jeune homme révèle au professeur que, pour lui, rien n'avait été brisé et qu'il ne désirait qu'une chose : poursuivre cette amitié si semblable à l'amour.

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L'avis de
Jean Yves :
Adapté du roman de Roger Peyrefitte, ce film révèle la culpabilité et le chantage à la religion. Deux jeunes collégiens se prennent de passion l'un pour l'autre tout en aiguisant la curiosité malsaine du père de Trennes, leur directeur de conscience. L'atmosphère du livre de Roger Peyrefitte est parfaitement recréée par Jean Delannoy dans ce film sur l'amitié amoureuse, entre deux jeunes et beaux collégiens dans un pensionnat de Jésuites.

Dans cet univers d'intolérance, ils doivent se cacher, mais ils sont dénoncés par un des Pères qui les oblige à rompre. Michel Bouquet et Louis Seigner complètent la distribution de ce film qui fut à sa sortie en 1964 honteusement « interdit aux moins de 18 ans » Si Georges, à la fin du film, décide de ne pas mourir après tant de dénonciations et de feintes, ce n’est pas par une ultime lâcheté, mais avec la certitude que son ami vivra désormais en lui, qu’ils auront ensemble « quinze ans ». Ce film est aussi une célébration lyrique de cet âge à la fois chaste et trouble, aussi éloigné d’une vaine innocence que de la perversité des hommes, de ce printemps éphémère qu’Alexandre, en mourant à treize ans, choisit de ne jamais trahir. La construction dramatique du film de Delannoy, tiré du roman de Roger Peyrefitte éponyme est sans doute une pierre blanche sur le chemin de la construction d'un cinéma gay même si ce n’est pas le premier film du cinéma a aborder l’homosexualité comme on l’a souvent écrit.

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L’avis de Didier Roth-Bettoni, extrait de
L’Homosexualité au cinéma :
La force du film de Jean Delannoy, fidèle en cela au texte très autobiographique de Roger Peyrefitte, tient à sa peinture du contexte répressif imposé par l’institution religieuse à l’intérieur du collège mais qu’il n’est pas très difficile de transposer à l’ensemble de la société : d’autant que, comme le raconte le cinéaste dans ses mémoires, l’Église catholique a tout fait pour censurer le film, son activisme ayant conduit à son interdiction aux moins de 18 ans. Delannoy relate ainsi une rencontre entre Christine Gouze-Rénal, la productrice, et le président de la Centrale catholique, influent groupe de pression qui avait son mot à dire à l’intérieur de la Commission de censure et dont l’anathème jeté sur un film pouvait lui coûter la moitié de ses recettes : « Vous vous asseyez sur une bombe. Renoncez à ce film. Nous vous aiderons à en produire d’autres. » Laïque et socialiste, Christine n’a pas obtempéré. Elle m’a dit : « J’aurais voulu avoir un appareil enregistreur pour vous faire écouter tout ce que m’a dit ce religieux pour me dissuader de produire notre film. C’est incroyable. » On est ici en plein dans Les Amitiés particulières car c’est un peu la même manière mêlant menaces et chantage, donnant-donnant et interdits, bienveillance bonnasse et répression sans états d’âme qui caractérise l’attitude des prêtres face à ce qui se noue entre Georges et Alexandre, cette émouvante amitié particulière qui finira par le suicide du plus jeune après qu’un religieux lui eut fait faussement croire que son ami l’avait abandonné. (…) Alors, certes, Les Amitiés particulières se clôt sur un drame comme tant de films consacrés à l’homosexualité. Faut-il en conclure que, comme c’est le cas dans les films américains, il s’agit là d’une nouvelle illustration du malheur, de l’impossibilité d’être gay, d’une nouvelle illustration de ce fatum homosexuel qui ne peut que conduire au désastre ? Certainement pas : car ce n’est pas son homosexualité qui tue Alexandre, c’est le mensonge ; ce n’est pas l’impossibilité de son amour avec Georges qui le pousse à se jeter du train, c’est de penser que cet amour est mort. Quant à Georges — dont on peut penser qu’il est le double ici de Roger Peyrefitte — la fin tragique d’Alexandre n’est pas la fin pour lui de ses amitiés particulières mais bien plutôt le début d’une prise de conscience sur sa condition d’homosexuel, ainsi que le dit avec émotion la voix-off finale.

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Ce n’est donc pas un hasard si le film (qui représente la France au festival de Venise) plutôt bien accueilli par la critique et le public à l’époque, suscite à sa sortie beaucoup d’émotion chez les homosexuels français, comme l’écrit Delannoy lui-même : « Bien entendu, les milieux homosexuels revendiquent le film. Nous avons assisté, Christine Gouze-Rénal, son mari Roger Hanin, Juliette et moi, à un banquet de 500 couverts organisé par la revue "Arcadie" dans un vaste local de la rue de Lancry. Quand nous sommes arrivés, ces 500 homosexuels se sont levés dans un silence, dirais-je, religieux. Nous avons gagné une longue table qui dominait la salle, où se tenait le président, un homme d’une grande culture, entouré de personnalités choisies. Après deux ou trois discours de bienvenue, d’un style très vieille France, l’atmosphère a commencé à se réchauffer, en restant toutefois très réservée. J’avais l’impression qu’il y avait, chez tous ces hommes de milieux très divers, une gêne à devenir le point de mire d’hommes et de femmes, étrangers à leurs mœurs. »
Pour plus d'informations :




Fiche technique :
Avec Jamie Bell, Gary Lewis, Jamie Draven, Julie Walters, Jean Heywood et Stuart Wells. Réalisé par Stephen Daldry. Scénario : Lee Hall  Directeur de la photographie : Brian Tufano. Compositeur : Stephen Warbe
ck.
Durée : 110 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :
1984, Yorkshire (Nord de l'Angleterre)… Les mines sont menacées de privatisation et de fermeture. Pour « leurs » puits, les mineurs mènent une très longue grève que le premier ministre d'alors, Margaret Thatcher réprime violemment… Parmi les grévistes les plus durs, Jackie (Gary Lewis) et son fils aîné Tony (Jamie Draven). Le cadet, Billy, 11 ans (Jamie Bell) est voué par son père à aller faire de la boxe. Mais voilà: Ce ne sont pas les poings qui démangent Billy mais les pieds. La vision, après son entraînement, d'une classe de danse de filles dirigée par Mrs Wilkinson (Julie Walters) le fascine et, très vite, il laisse tomber les gants en cachette de son père et enfile les chaussons… Le découvrant très doué, Mrs Wilkinson veut lui faire passer une audition d'entrée au Royal Ballet de Londres. Mais pour son père et son frère, découvrir que Billy se livre à une activité de fille est insupportable. D'où conflit…

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L’avis de Jean Yves :
Début des années 80, les mineurs d'Everington, sont en grève : ils redoutent les menaces de fermeture qui pèsent sur les mines de charbon.

Dans cette atmosphère difficile, le jeune Billy se découvre une passion pour la danse classique, alors que son père l'oblige à pratiquer la boxe.
Deux univers opposés contrastent dans ce film :
● l'un brutal et emporté : c'est celui des ouvriers confrontés à la menace de leur disparition,
● l'autre raffiné et sélectif : c'est celui de la danse classique.

Le parcours de Billy Elliot se résume à faire se rencontrer ces deux univers disjoints en apparence.
Billy doit affronter des réalités particulièrement rudes (mort de sa mère, surveillance de sa grand-mère "désorientée", tendresse de son père et de son frère particulièrement cachée). Le jeune garçon possède pourtant des ressources tant internes (une grande force morale appuyée sur des convictions, de la passion et de la curiosité) qu'externes (un professeur de danse qui croit en lui, une famille qui sait malgré tout être là quand il le faut).
Billy va peu à peu réussir à réaliser ses projets, malgré les normes sociales, culturelles et familiales contraires qui lui sont imposées. Car il a l'aptitude à vivre d'une façon rare, en mobilisant tous ceux qui l'entourent (même les plus réfractaires) de façon positive et attentive.

Le parallèle entre le mouvement des grévistes confrontés à la police et celui des danseuses sous les ordres de Madame Wilkinson est particulièrement bien vu d'autant qu'aucun de ces deux points n'est traité de manière réaliste.
Le réalisateur, grâce à la musique, établit des correspondances entre les deux univers disparates : avec, par exemple, celle particulièrement pathétique du Lac des cygnes pour magnifier le mouvement d'un pont roulant ou celle du boogie-woogie qui permet de faire le parallèle entre la danse de Billy et de Madame Wilkinson et les activités communes de la famille de Billy (le père qui fait sa toilette, le frère qui chante, la grand-mère qui esquisse un pas de danse).
Quand Billy découvre son meilleur ami (qui est d'ailleurs amoureux de lui) habillé avec les habits et les maquillages de sa sœur, il est d'abord surpris mais ne le rejette pas. Billy mettra seulement une tendre et respectueuse distance avec lui : leur complicité et leur affection resteront intactes en se poursuivant dans un réel respect mutuel.
On peut certes penser cette situation idéalisée, il n'en reste pas moins que ce film permet de réfléchir sur l'homosexualité et l'acceptation des choix de chacun.

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L'avis de Philippe Serve :
En sortant de Billy Elliot, on se sent bigrement heureux de l'avoir vu ! Car pendant un peu moins de deux heures, on rit des gags (de situations, en général), on rage et donne des coups de pied dans ces fuckin' brick walls avec Billy sur fond de "A Town Called Malice" (hit du groupe The Jam), on se fait courser par les bastards in blue (ou "Bobbies") pendant les grandes grèves de mineur (tandis que Thatcher, l'amie de Pinochet, déclare à la radio que les grévistes sont des « ennemis de l'intérieur » et montre à cette époque son vrai visage de facho) tout ça sur le "London Calling" des Clash, on pleure (si, si) plus d'une fois devant tant d'émotion, on tape des pieds en rythme sur les chansons de Marc Bolan et T.Rex, on danse jusqu'à plus soif dans son fauteuil rouge de cinéma, on bondit haut, haut, avec Billy sur les ressorts de son matelas, et puis on remet encore des coups de tatane de partout dans le vide pour faire sortir cette rage qu'on renferme quand on a même pas 12 ans, qu'on vit dans une région sinistrée, que sa mère est morte, que le père et le frère, tous deux mineurs et machos, de vrais working class boyos, veulent faire de nous un boxeur, un lutteur, un footballeur, un mineur, alors que nous, on rêve de tutoyer les anges sur les ailes de la danse, aussi léger et aérien qu'un Fred Astaire, et de glisser comme une insensible brise d'hiver sur le Lac des Cygnes...
Oui, ce film vous rend HEUREUX ! Vous sortez de la salle et avez envie d'embrasser les gens autour de vous avant de les emmener faire des claquettes sur le macadam...
L'interprétation est excellente et très homogène, première raison de la réussite de ce film, le premier de son réalisateur, l'inspiré Stephen Daldry.
Mention toute particulière au jeune Jamie Bell (Billy), remarquable dans sa manière de faire sans cesse décoller le film. Danseur vraiment doué dans son énergie brute, il joue ici son premier rôle, pas si éloigné que ça de sa vie réelle (il est élève au Royal Ballet à Londres, vient du Nord de l'Angleterre et a débuté la danse à 6 ans). Incroyablement expressif, il sait passer de la rage au sourire avec un naturel désarmant !
Gary Lewis est très crédible dans le rôle du père mineur acculé le dos au mur par les fermetures programmées des puits du Yorkshire et qui « pète les plombs » en découvrant la passion de son fils avant de s'humaniser et d'aller même jusqu'à s'humilier. Afin de pouvoir payer les études de danse de Billy, il renoncera à sa lutte et ira reprendre le travail, comme les « scabs » (« jaunes ») qu'il vilipendait.
Mention aussi à Julie Walters (Mrs Wilkinson, la prof de danse) découverte il y a plus de 15 ans dans son premier film,
Educating Rita (L'éducation de Rita, Lewis Gilbert, 1983, avec Michael Caine) où elle crevait littéralement l'écran...
J'ajouterai encore une mise en scène formidablement rythmée, un montage nerveux collant aussi bien aux danses de Billy qu'à la situation de chaos social de l'époque et, bien sûr, aux musiques...

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L'avis de Romain :

Nous sommes en 1984, dans le nord de l'Angleterre, dans une ville de mineurs. Billy Elliot, jeune garçon de onze ans, vit avec son père (Jackie), son frère (Tony) et sa grand-mère. Famille désunie depuis la mort de la mère, le père se bat pour conserver son travail (grève contre la fermeture de la mine avec le frère). Dans ce contexte, l'énergie de Billy est particulièrement mal canalisée. Fougueux, agressif, il se bat au jour le jour dans cet environnement de pauvreté et de « bidonville » britannique.
Préférant la leçon de danse à celle de boxe, il se retrouve en fâcheuse posture lorsque son père le surprend lors de répétition au gymnase local : le ballet, c'est pour les filles, pas pour les garçons. Au lieu de dépenser les 50c pour le cours de Boxe, il les dilapide dans un cour de danse. Le grand frère explose «  Comment ? Mon frère est une pédale ? » et la famille continue de se déchirer pendant que la grand-mère perd la tête.
La prof de danse de Billy trouve toutefois qu'il a un sacré talent et propose de lui faire passer une audition pour rentrer dans une prestigieuse école de danse, en même temps qu'elle l'entraîne en secret.
Sur le principe, rien de bien novateur dans le traitement de Billy Elliot. La réalisation est assez effacée, alternant scènes statiques (espace confiné de la maison de Billy) et scène de danse. Même à grands renforts de travelling et de mouvements, la caméra est souvent en dessous de l'aspect aérien de Billy - voir les séquences dans le gymnase ou sur les toits lorsque Billy danse). Les couleurs font transparaître sans abus la tristesse du décor, ses imperfections et accentuent l'aspect pauvre de cette petite ville. Le Nord de l'Angleterre n'est définitivement pas un endroit riche en contrastes et couleurs. L'ambiance terne dénote avec l'énergie de Billy qui se bat pour en sortir.
On aurait tort de bouder les sentiments simples qui nous étreignent (de là à là - voir figure 1, pour copier Desproges) lors de la vision de Billy Elliot, même si parfois les ficelles sont un peu grosses (la lecture d'une lettre écrite pour Billy par sa mère sur son lit de mort, certains revirements de comportements un peu rapides...).
Plus personnellement, j'ai regretté les passages sur la grève et les interventions policières. Cette sous-intrigue ne se limite pas à rappeler le contexte mais à appuyer la dimension dramatique. Au contraire d'apporter quelque chose au film, ces moment plombent le combat de Billy et sa grâce. En revanche, l'impression d'espoir qui se dégage de tous les personnages du film grâce à Billy en fait sa principale force. D'autant que le jeune acteur qui l'interprète est épatant. On sort du film au choix : revigoré et confiant vers l'avenir ou pessimiste et déprimé pour le reste de la journée.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Barney James, Neil Kennedy, Leonardo Treviglio, Richard Warwick, Donald Dunham, Daevid Finbar, Ken Hicks, Lindsay Kemp, Steffano Massari, Janusz Romanov, Peter Hinwood et Gerald Incandela. Réalisation : Paul Humfress & Derek Jarman. Scénario : Paul Humfress, Derek Jarman et James Whaley.  Directeur de la photographie : Peter Middleton. Musique originale : Brian Eno.
Durée : 90 mn. Disponible en VO/VOST (Latin).



Résumé :

Exilé par l'empereur, Sébastien devient le protégé du centurion Severus. Mais son insubordination fera de lui un martyr.



L’avis de Jean Yves :
Des intrigues conduisent l'Empereur Dioclétien à persécuter les chrétiens qu'il tolérait jusqu'alors. C'est pendant une fête célébrant le 20e anniversaire de son règne que son favori, le capitaine des gardes Sébastien, connaîtra le début de son martyre.
Après les danses rituelles, on propose, pour terminer joyeusement la soirée, d'accuser un jeune page d'être chrétien et d'ordonner sa décapitation. Sébastien proteste avec une telle vigueur contre cette ignoble forfait qu'on le soupçonne de protéger les chrétiens. Il perdra son rang et sera éloigné du palais.
Pendant son exil, Sébastien se lie d'amitié avec Justin le seul soldat qui ne l'humilie pas. Dépité, semble-t-il, de se voir préférer un inférieur, le centurion Séverus soulèvera ses hommes contre Sébastien dont on décidera le supplice et la mort.

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À travers le martyre de San Sébastien, Derek Jarman étudie la nature de l'homme, son ambivalence sexuelle.

Ce n'est pas une considération morale sur l'homosexualité qui, ici, est « naturelle ».
L'identification sexuelle du sanguinaire centurion Séverus par exemple, c'est l'amour refoulé qu'il éprouve pour ce « Christ-Apollon ».
Il y a aussi les sentiments amour-haine entre les hommes parqués entre eux et leur prédilection pour les jeux sado-masochistes.
Au sujet de la mort de Sébastien peu d'éléments authentifient la légende selon laquelle il aurait été la cible vivante de jeunes archers. Le film se réfère donc à l'imagination des peintres de la Renaissance qui représentent le martyr attaché, le corps transpercé de flèches.
Les décors sont sobres, le maigre budget du réalisateur ne lui permettait pas une reconstitution fastueuse de l'Empire Romain. Les dialogues ont la particularité d'être en latin.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Thomas Suire, Laurent Soffiati, Thomas Blanchard, Vincent Martin, Pierre-Maurice Nouvei, Roger Guidone, Nicole Huc et Jean-Claude Baudracco. Réalisation : Alain Guiraudie. Scénario : Alain Guiraudie & Frédéric Videau. Directeur de la photographie : Antoine Héberlé. Compositeurs : Teppaz & Naz.
Durée : 107 mn. Disponible en VF.


Résumé :

D'abord, il y a Basile Matin, un jeune gars qui a rêvé de Faftao-Laoupo, le symbole de l'avant-dernier sommeil... Maintenant, il sait que s'il dort encore, il va mourir et le problème, c'est qu'à son âge, on aimerait bien avoir toute la vie devant soi.
Ensuite, il y a Igor, un autre jeune gars qui travaille un peu et fait également des études... Mais il n'a pas d'argent et il s'ennuie. Alors l'histoire de Basile, même s'il n'y comprend pas grand-chose, l'intéresse diablement.
Enfin, il y a Johnny Got. Un peu journaliste bénévole, un peu détective et pas mal voyou, il s'intéresse beaucoup aux histoires qui ne le regardent pas... Et celle de Basile le passionne...

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L’avis de Boris Bastide :
À quoi rêvent les hommes ?
Après des moyens-métrages remarqués (Du Soleil pour les gueux, Ce vieux rêve qui bouge), Alain Guiraudie passe au long. Maladroit et par moments moins réussi, Pas de repos pour les braves n’en est pas moins un film attachant. Avec cette histoire d’initiation, le cinéaste reste sensible aux rêves et aux utopies. Un film pour refaire le monde parce que celui-là, forcément, il ne nous plaît pas.
« Pour comprendre les hommes, il faut étudier leurs rêves. » Cette leçon du Stavisky de Resnais s’applique parfaitement au premier long-métrage d’Alain Guiraudie. Pas de repos pour les braves porte en lui la croyance que la complexité du monde et de l’humain ne peuvent être captés par la logique. Alain Guiraudie a donc décidé de faire exploser toute notion de rationalité. Logique. Pas de repos pour les braves est un film profondément punk. D’ailleurs, on peut y entendre une superbe reprise du Pretty vacant des Sex Pistols par Teppaz et Naz, dans une scène particulièrement délirante et déterminante pour le récit. On retrouve dans le film cette énergie débordante pas toujours bien canalisée, ce mélange festif et politique, cette volonté de détruire pour mieux reconstruire quelque chose de nouveau et d’excitant. Un projet utopique.

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Pas de repos pour les braves fonctionne donc à la manière d’un rêve. Il ne suit aucune logique et refuse toute idée de réalisme. Le film se refuse la routine, l’usure de schémas qui se répètent à l’infini. Des personnages tués réapparaissent plus tard. Un adolescent change de nom d’une scène à l’autre. D’abord Basile, il devient Hector puis redevient Basile. Certaines scènes sont jouées deux fois de manière différente. Un court moment du film est d’abord entendu à la télé par deux des personnages avant d’être revécu en vrai par l’un d’eux. Les rêves sont nourris de ce que chacun peut vivre. Pas de repos pour les braves est un télescopage de formes cinématographiques détournées dans lesquelles Alain Guiraudie a inscrit ses fantasmes, son histoire et ses interrogations sur le monde.
Rêve de film, il en contient lui-même plusieurs. Ceux de Basile/Hector, le personnage principal. Dès la première scène, il confie son dernier rêve à un autre adolescent, Igor. Basile raconte qu’il a vu Faftao-Laoupo, le symbole de l’avant-dernier sommeil. S’il dort encore, il mourra. Basile fait tout pour rester éveillé ou rêver. Film d’initiation, Pas de repos pour les braves est l’histoire d’un jeune adolescent qui va progressivement se réconcilier avec sa vie, les autres et le monde. Alternant rêve et réalité, le film fonctionne entièrement sur le mode du glissement et de l’inversion. Glissement narratif, formel mais aussi sémantique. Dans Pas de repos de repos pour les braves, les villes traversées s’appellent ainsi Oncongue, Bairout, Glasgaud ou Buenozère. Quand un des personnages raconte ses problèmes d’électricité à trois interlocuteurs différents, les réponses varient progressivement autour du sèche-cheveux dont il se servait pour les essais.

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Dans ce film d’initiation, la notion de voyage, de trajet est bien entendu centrale. Basile passe son temps à courir d’un point à un autre. Film de glissement, Pas de repos pour les braves peut être scindé en deux. Dans un premier temps, la fiction évolue en mode semi clos autour d’une petite communauté rurale. Le film nous présente un monde convivial et attachant. On passe son temps au bistro à discuter, boire des coups et faire la fête en musique. Refermé sur lui-même, cet univers montre rapidement ses limites. La figure de l’étranger y est méprisée ; le rejet de l’autre est l’envers de la solidarité du village. C’est ce que Basile découvre après son étonnant voyage en avion. On apprend plus tôt que Dédé et sa femme ont rejeté Roger. Quand tout un village est pratiquement anéanti en une nuit, c’est une sorte d’indifférence générale qui règne. Seule crainte des habitants : le drame n’a eu lieu qu’à vingt kilomètres de chez eux. Pour Basile, cette première partie correspond à la prise de conscience de sa finitude. Il réalise qu’il peut disparaître de la surface de la terre du jour au lendemain et commence des crises d’angoisse qui l’amènent à vouloir fuir et à s’en prendre aux autres. Interrogeant les notions de territoire et d’identité, Pas de repos pour les braves emprunte alors certaines de ses figures au western.

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Poursuivi par le mystérieux enquêteur Johnny Got, Basile quitte son village et part sur les routes de France. Tout se retrouve alors inversé. D’abord diurne et rural, le film devient alors entièrement nocturne et citadin. Après le western, on aborde le genre du polar. Il est question de voyous, de trafics. Les relations sont désormais basées sur la méfiance, l’échange monétaire, la suspicion. La violence physique y est beaucoup plus importante. C’est désormais Basile qui recherche Johnny Got. Pour l’adolescent, cette partie correspond à une découverte du monde et des problèmes de la cité. Sorti d’un univers autocentré, le personnage se soucie davantage des autres. Il vient en aide à Johnny Got quand celui-ci est une première fois en difficulté. Le grand frère apprend à Basile à accepter son sort. Tout le monde doit mourir un jour ou l’autre. Ce n’est pas une catastrophe en soi.

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Film de voyage, Pas de repos pour les braves fonctionne essentiellement grâce à ses rencontres. Ce sont elles qui nourrissent à la fois le film et Basile dans son initiation. Il n’est pas étonnant que, seul, Igor s’ennuie. Alain Guiraudie soigne avec beaucoup d’attention ses personnages secondaires. De Dédé à Daniel, en passant par les deux voyous, le réceptionniste de l’hôtel ou Jack, l’homme de main récalcitrant, ceux-ci sont particulièrement truculents et jouissifs. Ses petites pointes cocasses donnent un ton allègre à l’ensemble. Ils permettent au cinéaste d’intégrer dans son film des interrogations sur la société. Igor aborde la question de la crise du monde rural, Roger par sa tendre relation avec Basile permet à Guiraudie de livrer sa représentation de l’homosexualité. Tout le film fonctionne donc sur ce mouvement vers l’altérité et l’ailleurs. Le cinéaste fait le tour de ses personnages pour en donner une image complète qui ait un sens. Il va voir les limites du terroir avant de débusquer l’humanité des deux truands qui traquent Johnny Got. En s’ouvrant sur le monde et les autres, Basile entre dans un processus constructif. Cette ouverture sur le monde n’est pas une façon de se perdre mais de se retrouver soi-même. Voir le monde pour mieux revenir. Aller vers les autres pour mieux se connaître. Bien éveillé, Basile peut désormais se projeter sans souci dans l’avenir.
Pour plus d’informations :

 

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Fiche technique :

Avec Martin Potter, Hiram Keller, Max Born, Mario Romagnoli, Alain Cuny, Lucia Bose, Salvo Randone, Capucine, Magali Noël, Fanfulla, Tanya Lopert, Danika La Loggia, Giuseppe Sanvitale, Genius, Gordon Mitchell, Luigi Montefiori et Elisa Mainardi. Réalisation : Federico Fellini. Scénario : Federico Fellini, Brunello Rondi & Bernardino Zapponi, d’après l’œuvre de Pétrone. Directeur de la photographie : Giuseppe Rotunno. Compositeurs : Nino Rota & Andrew Rudin.
Durée : 135 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Dans l'Italie de l'Antiquité, deux jeunes étudiants à demi vagabonds, Encolpe et Ascylte, vont d'aventures en aventures, guidés par leur instinct de jouissance.
Pour commencer, ils se disputent les faveurs d'un adolescent vaguement pervers, Giton, qu'Ascylte a vendu à une troupe théâtrale animée par le vulgaire Vernacchio.
Encolpe, éconduit et humilié, va trouver son ami le vieux poète Eumolpe qui l'entraîne à un monumental festin qu'offre Trimalcion, un nouveau riche orgueilleux et cruel. Ambiance sinistre dominée par une sensualité assez triviale.
Encolpe, Ascylte et Giton se retrouvent dans les cales d'un navire, prisonniers d'un notable de la cour impériale, Lychas, à qui il prend la fantaisie d'épouser Encolpe. Après que ces étranges épousailles homosexuelles soient célébrées, Lychas, suite au meurtre de César, est capturé et décapité par un groupuscule de mercenaires.
Les deux compagnons, rescapés de cette escarmouche navale, pénètrent dans une luxueuse villa dont les propriétaires, un couple de patriciens proscrit viennent de se donner serainement la mort. Dans la maison déserte, les jeunes gens découvrent une petite esclave noire en compagnie de laquelle ils passent une nuit de plaisir.
Dans une grotte bizarrement décorée de fresques géantes, un enfant souffreteux et hermaphrodite repose sur une couche. Il est censé accomplir des guérisons miraculeuses. Des pèlerins éclopés apportent leurs offrandes dans l'espoir d'un prodige. Ascylte, Encolpe et un nouveau complice s'emparent de l'enfant afin de l'exploiter à leur tour. La pauvre créature meurt de soif en plein désert.
Encolpe rencontre un colosse déguisé en Minotaure qui le défie en combat singulier. Une foule en liesse assiste à la confrontation... qui se révèle être un jeu organisé par le vieux poète Eumolpe. Vaincu, Encolpe est soumis à une autre épreuve : satisfaire le désir d'une femme gourmande. Impuissant avec Ariane, Encolpe ne retrouve son pouvoir sexuel qu'auprès d'une magicienne noire.
Tandis que Ascylte est assassiné et que les héritiers d'Eumolpe, mort très riche, sont contraint de dévorer son cadavre, Encolpe part pour l'Afrique. Bien plus tard sans doute, les fresques d’une maison en ruine rappelleront ses aventures.

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L’avis de Thomas Querqy :
Quand ai-je vu pour la première fois ce chef d’œuvre de Fellini ? Seule la date portée sur mon exemplaire du Satiricon de Pétrone devrait pouvoir me le rappeler puisque je l’ai probablement acheté après avoir vu le film. Est-ce parce que je me rapproche de l’âge de son auteur que je crois l’avoir encore davantage apprécié ?
Naturellement, j’ai de nouveau été séduit par la beauté des interprètes d’Encolpe et d’Eschylte qui se disputent au début du film l’esclave et éphèbe Giton dans un monde où les amours homosexuels semblent relever de la normalité (Gabriel a même vu dans leur relation celle d’un couple d’amants et il a par ailleurs capté le début d’un récit faisant référence à nos jumeaux Castor et Pollux).
Mais ce qui m’a davantage touché cette fois-ci, c’est la parabole sur la vie humaine qui pourrait se résumer par la formule suivante : de ta jeunesse profite avant de devenir comme tous ces vieux libidineux et laids qui n’ont d’yeux que pour ta jeunesse, l’argent, le pouvoir qu’il leur procure et leur tombe ; la vie est si courte !
La nature universelle et atemporelle des relations entre vieux qui détiennent argent et pouvoir et jeunes, jouets de leur concupiscence, habite largement l’histoire.
L’angoisse de vieillir s’exprime notamment dans la panne sexuelle subie par Encolpe et dans ses efforts pour retrouver sa puissance sexuelle, cet apanage de la jeunesse.
Dans cette tragédie humaine, le vieillard peut soulager ses angoisses et échapper au ridicule par la poésie mais encore faut-il être un véritable poète, ce qui n’est pas donné à tout le monde, pas vrai Trimalchion ?
Quoi qu’on fasse, la tragédie de l’homme est telle que mieux vaut en rire, ne serait-ce qu’au moins une fois par an à l’occasion d’une journée du rire, à l’instar d’un peuple croisé par les deux compagnons.

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Très belle séquence aussi que celle racontant l’histoire de la matrone d’Ephèse effondrée de douleur sur le macchabée de son époux et qui ne pense qu’à le rejoindre, jusqu’à ce qu’attiré par ses pleurs arrive un beau soldat de garde au pied d’un pilori non loin de là qui la raisonne : « À quoi te servira-t-il de te laisser mourir de faim, de t’ensevelir vivante, et, avant que les Destins ne t’y invitent, de rendre un souffle innocent ? Ne veux-tu pas revenir à la vie ? Ne veux-tu pas, renonçant à un entêtement féminin, profiter, aussi longtemps que tu le pourras, des bienfaits du jour ? Ce cadavre même, étendu en ce lieu, devrait te donner le conseil de vivre ! » De la transfigurer au terme d’une longue étreinte. Mais peu de temps après, c’est désormais lui qui va devoir mourir puisque la famille du supplicié a entre-temps volé le corps dont il avait la garde. Déjà folle à l’idée de devoir de perdre son nouvel amant, la veuve presse le soldat de l’aider à fixer son défunt époux à la place du supplicié : « Aux dieux ne plaisent que je voie en même temps les funérailles des deux êtres que je chéris le plus. J’aime mieux perdre le mort que de causer la mort du vivant. »
L’esthétique des décors comme les situations sont surréalistes : elles relèvent plutôt du domaine de la représentation du rêve en particulier dans ce que ce dernier comporte de représentations symboliques et dans cette succession de bribes d’aventures dont l’enchaînement est non linéaire. D’ailleurs, si on excepte le début du film (la querelle des deux compagnons autour de Giton puis les séquences autour du riche Trimalchion), ce film est non racontable en tant qu’histoire, ou alors quelque chose m’a échappé. Il se peut que le fil conducteur se trouve dans le personnage du poète qui est tué par Trimalchion et qui réapparaît dans le film (à revoir donc ou trouver un commentaire). 
Il est vrai qu’il s’agit d’une adaptation d’une œuvre elle-même en lambeaux et lacunaires dans son contenu. On est loin du  « récit réaliste de la Rome décadente de Néron et des affranchis » de Pétrone (le Larousse) ; Fellini y a-t-il trouvé un moyen de « traiter ses phantasmes homosexuels » comme il est affirmé sur le site ciné du Luxembourg ? Ça me paraît douteux ; Fellini offre-t-il à ses contemporains en cette année 1969 un « miroir inquiétant » ? (La petite encyclopédie du cinéma) Sans aucun doute, tout comme il démontre que le cinéma peut être œuvre d’art.
Sur le thème de la décadence et de son actualité, Trimalchion : « Croyez-moi, qui a un as, vaut un as ; possédez vous serez considéré. (…) »

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L’avis de J.L.L. de
Ciné-club de Caen :
Scène clé : Dans la demeure des patriciens décédés, Encolpe poursuit une jeune esclave tout en étant intrigué (deux contre-champs sur les visages des patriciens suicidés) par les fresques racontant la vie de ces patriciens. Un peu plus tard, Encolpe s’asperge dans la pièce d’eau et découvre, par une ouverture du toit, le ciel étoilé. Ce plan rappelle celui de la fin de La Strada, où prenant conscience du mal qu’il a fait à Gelsomina (Giulietta Masina), Zampano (Anthony Quinn) pleure enfin. Dans cette seconde partie de la séquence encore, l’accession à la spiritualité est effleurée. Mais Encolpe, fidèle à la philosophie épicurienne énoncée un peu plus tôt, préfère cueillir le bonheur présent. Ces fresques et la nature grandiose frappent Encolpe pour la première fois. Auparavant, il avait été indifférent à la fresque peinte durant le banquet de Trimalcion. Mais, dans cette scène clé, il ne sait pas quoi faire de cette révélation. Ce n’est qu’en Afrique qu’il prendra le temps de faire peindre sa vie et d’échapper ainsi, provisoirement peut-être, au néant.

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Message essentiel : La création d’œuvres d’art est un moyen, provisoire peut-être, d’échapper à la mort. Les fresques sont en effet fragiles (ce motif sera reprit dans Fellini-Roma). Comme d’habitude, Fellini condamne les crimes de ses deux vittelloni que sont Encolpe et Ascylte mais compatit à leur souffrance. Pour la première fois cependant, dans ce monde d’avant l’imprégnation christique, la grâce ne peut venir d’un ange mais de la création artistique.
Fellini a expliqué que, gravement malade, il avait retrouvé l'inspiration grâce à ce récit de Pétrone, lu pendant sa jeunesse. Satyricon est le premier roman picaresque européen. Écrit sous Néron, vers le milieu du premier siècle, seulement deux fragments des livres XV et XVI nous sont parvenus; le festin chez Trimalcion occupe plus de la moitiés des vers. Fellini indique que l’aspect lacunaire de l'œuvre l’avait fasciné car elle permettait d’imaginer les épisodes manquants. C’est ce délire d’imagination qui fait la force du film. Plus que jamais, l’intrigue et le suspens ; l’aspect linéaire, contrapuntique, sont traités avec désinvolture pour se concentrer sur l’aspect vertical, harmonique de la mise en scène. Mais le cinéma n’a pas la possibilité de la musique de superposer les images. Fellini profite donc des trous du récit pour surcharger les séquences de plans qui expriment sa vision de l’époque ; Le vaisseau de Lycas, la baleine (premier rappel de La dolce vita) que l’on y pêche, l’hermaphrodite dans sa baignoire, l’immense balançoire du jardin des délices sont autant de symboles, totalement inventés, de la dégénérescence de la Rome antique.
Fellini a indiqué aussi qu’au fur et à mesure que l’œuvre se construisait, il sentait des correspondances avec la société contemporaine. Il ne faudrait toutefois pas voir dans le Satirycon qu'une allégorie moralisatrice sur l'effondrement de la culture et des mœurs de l’Europe. Le Satyricon serait alors l'équivalent du tableau pompier (ou éclectique ) de Thomas Couture; « Les romains de la décadence » (1847), exposé au musée d'Orsay, qui commente ces vers de Juvénal : « Plus cruel que la guerre, le vice s'est abattu sur Rome et venge l'univers vaincu. » C'est probablement ce qu'exprime Télérama dans l'avis suivant : « Dans cet univers livré à la dépravation, l'amour et l'art ne sont plus que des apparences. Seuls la mort et le suicide apparaissent dans toute leur inéluctable rigueur. »

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Certes le suicide des patriciens possède une réelle beauté et est imaginé par Fellini pour faire écho à la mort élégante de Pétrone, l’auteur du Satyricon, telle qu’elle est racontée par Tacite dans Les Annales. Mais Fellini est loin de faire l’apologie du suicide. Ce n’est pour lui une attitude rigide, adoptée par ceux qui sont restés trop attachés aux valeurs du passé (froide détermination de l’intellectuel, interprété par Alain Cuny qui, dans La dolce vita, tue ses deux enfants avant de se suicider). Cette mort est donc loin d’être la solution proposée par Fellini. Juste après ce suicide, il donne une autre piste : l’art permet d’échapper à la mort.
Fellini est probablement persuadé que l'époque contemporaine a balayé les anciennes pratiques mais peut-être pas les anciennes valeurs... ou non-valeurs. Hier comme aujourd'hui, ses héros sont aveugles à la grâce. La correspondance avec la société contemporaine le frappe probablement plus prosaïquement dans son métier de cinéaste.
Fellini trouve dans les valeurs esthétiques de la Rome de la décadence (la surcharge, le foisonnement) des solutions nouvelles qu'il applique avec générosité à toutes les formes d'art. Satyricon multiplie en effet les références aux autres arts : récit (Le corps du mari prenant la place du pendu pour sauver l’amant) ; peinture (les multiples fresques), théâtre (les scènes cruelles du théâtre de Vernaccio) et jeux du cirque (le faux Minotaure).
Loin d'être une
œuvre malade, le Satyricon est bien plutôt une œuvre de renaissance, première d'une série de films où le cinéaste se veut totalement novateur (Fellini-Roma, Amarcord, Le Casanova de Fellini). Elle lui assurera une réputation au moins égale à celle de cinéaste néoréaliste. Le Satyricon a immédiatement séduit un large public.
Pour plus d’informations :

  

Fiche technique :
Avec Lee Kang-Sheng, Chien Shiang-Chyi, Norman Atun et Pearly Chua. Réalisation : Tsai Ming-Liang. Scénario : Tsai Ming-Liang. Images : Liao Pen-Jung. Lumières : Lee Long-Yu. Son : Tu Duu-Chih & Tang Shiang-Chu. Directeur artistique : Yip Kam-Tim. Montage : Chen Sheng-Chang. Décors : Lee Tian-Jue & Gan Siog-King.
Durée : 118 mn. Actuellement en salles en VO et VOST.


Résumé :
Malaisie, de nos jours, un chinois sans abri, Hsiao Kang (Lee Kang-Sheng) est tabassé et laissé pour mort par une bande de truands locaux. Des travailleurs bangladais le trouvent et le transportent, dans l’immeuble, laissé inachevé par la crise, où ils habitent. Ils ont également récupéré un matelas sur lequel ils déposent le blessé qui va être pris en charge par l'un d'eux, Rawang (Norman Atun) qui prend soin de lui en un mélange de dévotion et de désir. Il le panse, le lave, le fait manger et petit à petit le remet sur pied. On verra que le matelas sera le trait d’union entre les personnes qui gravitent autour de Hsiao Kang. Dans l’immeuble, on voit vivre Chyi (Chien Shiang-Chyi), jeune chinoise employée par la patronne d’un coffee shop (Pearlly Chua) pour prendre soin de son fils (Lee Kang-Sheng) qui est plongé dans un état catatonique. Sa situation se rapproche de celle de Hsiao Kang. Les deux hommes partagent également une ressemblance physique. Après avoir récupéré ses forces, Hsiao Kang rencontre Chyi par hasard, et à mesure qu’ils deviennent plus intimes, la jalousie de Rawang s’éveille. Rétabli, Hsiao Kang est l’objet des désirs de Rawang mais aussi de Chyi et de sa patronne...


L’avis de Bernard Alapetite :
Comme à son habitude et comme dans tous ses opus, Tsai Ming-Liang, avec son huitième film de cinéma, nous donne des nouvelles de Lee Kang-Sheng qu'il considère comme son « matériau de départ à partir duquel il peut commencer à créer ». Grand admirateur de François Truffaut, Tsai Ming-Liang tient à suivre son exemple : « ...Si François Truffaut était encore en vie, il tournerait sans doute encore avec son acteur fétiche Jean-Pierre Léaud ! » a-t-il déclaré. Lee Kang-Sheng joue ici un double rôle : celui de Hsiao Kang et celui du fils dans le coma d’une patronne de bar. Je ne résiste pas à citer le malicieux et fort juste portrait qu’en fit, dans Le Monde du 6 juin 2007, Jacques Mandelbaum : « Acteur fétiche, Lee Kang-Sheng, jeune dandy énigmatique, médium impavide et solitaire, déambulant généralement en slip, et attirant à lui, comme le paratonnerre la foudre, toutes sortes de passions muettes, à prédominance sexuelle... » Le réalisateur s’explique sur la passivité (comme toujours) du personnage qu’il fait jouer à son égérie : « Je trouve que Hsiao Kang ressemble beaucoup à ce grand papillon qui vient se poser sur son épaule. Il représente une certaine idée qu’on a de la liberté, une idée qui n’a pas vraiment d’existence dans le monde réel. Sa passivité n’est qu’une apparence, puisqu’à son contact, chacun des autres personnages se trouve. En prenant soin de Hsiao Kang, Norman va se trouver une identité et un rôle dans la vie. Quant à Chyi c’est sa rencontre avec Hsiao et le désir qu’elle a pour lui qui lui fait prendre conscience de l’asservissement dans lequel elle vit. On a tous envie d’avoir quelqu’un à côté de soi quand on se couche... »
Habituellement le cinéaste transpose ses personnages d’un film à l’autre, mais ici les personnages joués par ses acteurs préférés Lee Kang-Sheng et Chen Shiang-Chyi, de tous les films de Tsai Ming-Liang depuis La Rivière, ne sont pas ceux que l’on a déjà vus. Cette fois, ils sont tout en bas de l’échelle sociale.
Pour sa nouvelle réalisation le cinéaste, alors qu’il vit à Taiwan, est revenu dans son pays natal, : la Malaisie. Il faut préciser qu’il est de parents chinois émigrés dans ce pays, comme l’est son héros. Il explique pourquoi : « Je suis né en Malaisie et y ai vécu pendant 20 ans avant de partir à Taiwan et d’y tourner mes films. Mais en 1998, lors de la sortie de The Hole à Taiwan, la critique a été particulièrement virulente avec moi, très blessante. On m’a accusé de me servir d’une partie des fonds publics pour présenter Taiwan sous un mauvais jour, avec une dimension trop sombre de la société. À ce moment-là, je me suis senti comme un réel étranger et j’ai eu envie de repartir en Malaisie pour continuer mon travail. Mais je n’ai pas réussi à réunir les fonds suffisants pour tourner là-bas et j’ai abandonné mon projet, du moins jusqu’en 2005 où, dans le cadre du 250e anniversaire de Mozart, on m’a proposé de réaliser un film. C’est comme ça que I Don’t Want to Sleep Alone est né. »
On y retrouve pourtant la plupart des invariants de son cinéma : plans fixes hypnotiques où parfois rien ne se passe, mutisme des personnages (d’autant plus que le héros du film ne semble pas comprendre la langue du pays où il se trouve), recoins glauques (tout de même moins que dans Goodbye Dragon Inn), attentes, longueur des plans, exposition des corps, présence de la maladie... Il y a toujours de l’eau, ici une mare stagnante au centre de l’immeuble inachevé. On pisse toujours beaucoup chez Tsai Ming-Liang. Cet acte, ô combien utilitaire, nous vaut une des scènes les plus sensuelles, lorsque Rawan baisse le pantalon de Hsiao Kang pour l’aider à uriner, lui tient les hanches ; derrière le torse nu de Rawan, la caméra s’attarde sur les fesses crispées de Lee Kang-Sheng qui brillent dans un rai de lumière. Mais ce dépaysement apporte aussi son lot de nouveautés, dans son cinéma pour la première fois les êtres humains ne sont pas scrutés par un cinéaste entomologiste. L’empathie de Tsai Ming-Liang ici avec ses personnages tient que comme eux il a vécu et travaillé à l’étranger pendant plusieurs années. On sent que la tendresse qui s’exprime entre les personnages a contaminé le réalisateur. On retiendra la belle scène, traitée en plans longs à hauteur d’homme, où Rawang soigne Hsiao Kang avec tendresse, dévotion et amour. Cette relation n’est pas sans rappeler celle qu’entretenait l’infirmier dans Parle avec elle d’Almodovar avec sa patiente. Scène qui contraste avec les plans courts, pris par une caméra surplombant le corps, des soins déshumanisés à l’hôpital. Quelques séquences sont inoubliables comme celle où Tsai Ming-Liang montre une femme qui masse, savonne, talque et masturbe son fils inerte et paralysé. À mettre en parallèle avec celle de La Rivière où un père caresse son fils, joué par le même Lee Kang-Sheng, dans un sauna de rencontres homosexuelles. À l’omniprésence des fluides s’ajoute cette fois celle de la fumée provenant des continuels incendies de forêts (volontaires en Indonésie) qui enserrent Kuala Lumpur. Cette situation donne une scène fort drôle où l’on comprend alors qu’il ne sera pas facile de faire l’amour dans un monde pollué...


Une des très bonnes idées est d’avoir pris comme décor principal un immeuble inachevé qui, outre son intérêt graphique, nous parle de l’histoire récente de l’Asie. En 1997, une grave crise économique a frappé le continent. La conséquence fut l’interruption de la construction, qui était commencée, de grands immeubles de bureaux. Depuis, ils ont été laissés en l’état et offrent ce curieux spectacle de ruines modernes que le réalisateur exploite à merveille. Avant cette crise, le gouvernement malais a fait venir des milliers de travailleurs étrangers pour ces projets immobiliers, comme les tours jumelles Petronas qui furent un temps les plus hautes du monde. Du jour au lendemain, les travaux ont été stoppés et les travailleurs immigrés se sont retrouvés sans emploi et en situation illégale : c’est apparemment le cas des héros du film.
Si les acteurs, comme à l’accoutumée chez Tsai Ming-Liang, ont bien peu de dialogues à dire, le film n’est pas pour autant silencieux, étant envahi par la musique. On passe de La Flûte enchantée de Mozart à la musique populaire chinoise. De nombreux morceaux de musique retranscrivent les réactions des personnages. Il faut dire que le film est produit par le festival de Vienne 2006 en hommage à Mozart. Le film conserve de La Flûte enchantée l’argument initial : Tamino, mordu par un serpent, est recueilli par des fées qui chantent sa beauté durant son sommeil. Les sons triviaux sont également très présents, héritage direct de Godard.

Hei Yan Quan, le titre original chinois, est beaucoup plus politique que le titre international (I Don’t Want to Sleep Alone, « Je ne veux pas dormir seul »). Il signifie soit « les yeux cernés de noir », soit « les yeux au beurre noir ». C’est cette dernière proposition qu’il faut retenir. Le titre fait allusion à l’état dans lequel Rawang récupère Hsiao Kang, mais surtout à un scandale politique malais. En 1999, le vice Premier ministre et ministre des finances Anwar Ibrahim, qui faisait de l’ombre à l’inamovible Premier ministre Mahathir Mohamad, a été victime d’une cabale montée par ce dernier et s’est ainsi vu accuser de corruption et d’actes de sodomie, pratique fermement prohibée par l’Islam. Il a été finalement condamné à 6 ans de prison. Pendant son procès, Anwar Ibrahim est apparu les yeux pochés, résultat des brutalités policières. Une des pièces à conviction était un matelas souillé, que l’on retrouve dans le film The Hole flottant dans une cuve noire remplie d’eau.
Le réalisateur voulait donner le rôle de Rawang à un acteur indien ou bangladais, mais n’en ayant pas trouvé il a dû se rabattre sur un acteur malais. Néanmoins, l’homosexualité étant interdite dans ce pays musulman, il n’a pas pu tourner les scènes de sexe qu’il avait écrites entre Rawang et Hsiao Kang.

L’homosexualité, sous des formes multiples, irrigue – parfois discrètement – la plupart des films de Tsai Ming-Liang. Elle n’est jamais le point nodal de ses films, comme l’explicitait le cinéaste en 1997, lors de la sortie de La Rivière : « Il y a dans le monde actuel toutes sortes de gens qui vivent des sexualités différentes et je trouve cela parfaitement sain. S’il est vrai que je me sens proche du monde homosexuel, j’ai beaucoup de mal à accepter que l’on classe mes films dans une prétendue catégorie “films homos”. En réalité, on ne sait jamais si Hsiao Kang est homosexuel, on ne peut pas honnêtement considérer que mes films traitent directement de ce sujet. Je cherche au contraire à montrer toutes les formes d’expression sentimentale de la façon la plus naturelle possible, en essayant de briser les différences qu’il y a entre les gens. Je ne fais pas des films sur les homosexuels et je n’irais même pas voir un film présenté comme traitant spécifiquement de ce sujet. »
Il est vrai que l’hétérosexualité n’est pas non plus négligée chez Tsai Ming-Liang, voir le pornographique et fruité La Saveur de la pastèque. Le lesbianisme affleure aussi dans I Don’t Want to Sleep Alone. Mais chez le cinéaste, la sexualité n’est pas qu’un sexe bandé ou humide, elle n’est souvent que cérébrale comme le désir informulé de l’ado des Rebelles du Dieu Néon pour le voyou dont la liberté le fascine, très comparable à l’attirance impossible de l’immigré pakistanais de I Don’t Want to Sleep Alone pour le jeune homme victime d’une agression qu’il dorlote. Si dans ces films l’homosexualité est douloureuse à vivre, elle ne l’est pas plus que les autres formes de sexualité. Mais elle est bien toujours là. Dans Vive l’amour !, un jeune homme se dissimule sous un lit sur lequel le garçon dont il est amoureux fait l’amour avec une fille, et se branle au son des gémissements du couple. Dans La Rivière, qui concluait la trilogie commencée par Les Rebelles du Dieu Néon et poursuivie par Vive l’amour !, c’est un fils et un père qui se retrouvent dans la moiteur d’un sauna homo et qui font l’amour sans se reconnaître. Dans Goodbye, Dragon Inn, sorte de Chatte à deux têtes Asiatique, c’est la drague homo avec ses inlassables chassés-croisés dans les coulisses d’un vieux cinéma décrépi qui s’apprête à fermer ses portes...
Pour terminer, je vais en revenir au scénario. Che(è)r(e) lecteur(trice), ne croyez pas que l’histoire que j’ai assez laborieusement établie dans le résumé ci-dessus vous apparaîtra claire comme de l’eau de roche à la vision du film. Pour parvenir à ce piètre résultat, j’ai dû lire attentivement le dossier de presse, regarder avec beaucoup de concentration le film, avoir une longue pratique de l’œuvre de Tsai Ming-Liang, posséder quelques lumières sur la géopolitique asiatique et enfin partager quelques fantasmes de l’auteur... Encore qu’avec ces mêmes atouts, vous seriez probablement arrivé(e) à un résumé différent. Mais le vrai plaisir devant I Don’t Want ne réside pas dans l’« histoire », pourtant très riche et profonde et ceci sans aucune pesanteur. C’est dans l’abandon devant les somptueuses images en plans larges, aux cadres savants et raffinés avec leur profondeur de champ vertigineuse qui exsudent la sensualité, que vous atteindrez le nirvana cinématographique.

L’avis de Chori :
(en guise de prologue) Où il apparaît que la vision d'un film est par définition subjective : alors que je sortais de la salle, après un générique parfaitement silencieux, tout embrumé encore de la vision du dernier plan, sublime, voilà que m'aborde une connaissance, qui me lance, en souriant, « Y en a marre de ces réalisateurs qui ne savent pas comment terminer leur film... » Je le regarde, étonné, pensant qu'il plaisantait, mais non. Je lui ai juste dit « S'il te plaît, ne me gâche pas mon plaisir » et l'ai salué en tournant vite les talons, de peur qu'il n'en remette une couche...
Les films de Tsai Ming Liang sont lancinants, comme on le dirait d'une douleur, et celui-ci ne faillit pas à la règle. Bien au contraire. Oh, on est dès le départ en terrain connu, avec ces longs plans fixes (et l'art du cadre qu'ils reflètent), plans fixes que certains esprits chagrins pourraient qualifier d'interminables mais dont je dirai juste qu'ils sont pleins, Lee Kang Sheng, le complice acteur de tous les films précédents, est là aussi (et pas qu'un peu) ; on l'a connu mieux coiffé mais on comprendra pourquoi au générique de fin (je ne le suis pas très, fin, moi d'ailleurs !), les dialogues doivent tenir sur un demi confetti (les trois protagonistes principaux ne s'adresseront d'ailleurs pas un mot de tout le film, où tous les dialogues prononcés sont d'ailleurs accessoires), et ce sont les chansons qui les remplacent (mais attention, on n'est pas chez Demy !), sans oublier l'eau, comme d'hab', (dans les films de Tsai Ming Liang, il est toujours question d'eau, sous une forme une autre : rivière, pluie, inondation, voire même sècheresse !), bref les amateurs (et j'en suis, j'irais même jusqu'à « inconditionnel ») de son univers ne seront pas dépaysés...
Kuala-Lumpur, Malaisie. (Je me suis renseigné, vu que ce n'est mentionné nulle part dans le film, il est juste question de langue malaise et de monnaie malaise. Malaise, malaise, oui...) De la même façon que dans le film (et au générique), les personnages ne sont jamais nommés : comment les critiques ont-il donc deviné comment ils s'appelaient ?) C'est donc là que prend place le récit des péripéties (!) qui vont réunir sur le matelas de l'affiche un SDF (au centre), un ouvrier bengladeshi (à droite) qui l'a recueilli et soigné, et une demoiselle qui s'occupe de l'entretien d'un homme dans le coma (à gauche, donc). Le matelas a une grande importance, il est en somme le quatrième personnage du film (et, à ce titre, pas plus bavard que les autres) et on le verra d'ailleurs passer et repasser tout au long du film, porté par les uns ou les autres, d'un lieu à l'autre, d'une histoire à l'autre, crade et pesant toujours, comme la réalité.
Tsai Ming Liang possède le sens du cadrage, mais il a aussi, incontestablement, celui du décor, le plus impressionnant ici étant sans conteste ce bâtiment abandonné où vivent les ouvriers, dès le début à demi submergé (et je ne vous raconte pas l'état à la fin!), prétexte à de bluffants reflets architecturaux dans une eau parfaitement immobile, lors de plans d'ensemble qui viennent aérer un récit (plutôt moite et confiné d'ailleurs) en général proche de (et attentif à) ses personnages, mais toujours avec le plus grand raffinement dans la composition. Il nous parle de pauvres (on est vraiment chez les prolos, comme ceux de Still Life, de Jhia-Zang-Khe) mais dont il transfigure en quelque sorte le quotidien asphyxié et oppressant...
Et il y a l'amour... Sans un mot, sans une déclaration, juste des gestes, des regards, des actes... « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour... » Yes, c'est ça, juste ça. Transporter un blessé, le soigner, le coucher, le nourrir, le laver, le regarder dormir, (j'ai pensé à cette nouvelle de Théodore Sturgeon Parcelle brillante où un attardé mental recueille une prostituée qui s'est fait agresser, la soigne avec dévotion, et quand, elle est guérie et veut s'en aller, la retape un peu sur la tête pour pouvoir la soigner et l'aimer à nouveau...) L'ouvrier et le SDF, donc. Mais c'est un amour qui reste virtuel (hmm je connais ça, j'ai l'habitude, je suis en terrain de connaissance !), dans l'intention, juste dans la douceur d'un regard ému et bienveillant face au corps de l'autre (j'apprends sur allociné qu'il devait y avoir à l'origine une scène d'amour physique entre les deux mecs mais que l'acteur non professionnel qui interprète l'ouvrier n'a pu accomplir, étant musulman et arguant que l'homosexualité est un péché... Hmmm tout ça me navre un peu) Puis le SDF et la demoiselle. Qui eux feront l'amour. (Masque respiratoire inclus). Puis re-les deux garçons (la scène de la boîte de conserve, où une pulsion de meurtre (jalousie ?) se termine en caresse silencieuse, m'a laissé, vous vous en doutez, les yeux rouges et le coeur chaviré, midinons, midinons...), et finalement tous les trois, endormis en silence, en image fixe. Trois corps sur un matelas.
Car il y a les corps. Tout au long du film. Les corps de mecs, d'ailleurs, (moins réalistement prolétaires que ceux de Still Life, oui j'y reviens encore) surtout, torses nus la plupart (il fait si moite, je l'ai déjà dit). Je ne voudrais pas avoir l'air de prêcher pour ma paroisse, mais c'est un fait que le réalisateur les filme sacrément bien, amoureusement je dirais, (avec cette prédilection qu'on lui a déjà connue pour les mecs en slip blanc d'ailleurs). Le corps désirant et le corps désiré, mais comme chantait Gainsbourg l'amour physique est sans issue... Le corps est ce qui reste, ce qui subsiste, même quand la conscience l'a abandonné (et que la demoiselle s'occupe de la toilette d'un jeune homme dans le coma répond, comme en écho, aux soins que prodigue l'ouvrier au corps inconscient et meurtri du SDF). Le corps qu'on lave, qu'on soigne, qu'on caresse, et souvent qu'on désire, qu'on appréhende, en tout cas qu'on regarde, à défaut d'oser (mais hmmm je m'emballe je m'emballe et je m'éloigne du sujet) bref l'intime et l'infime (ne l'ai-je pas aussi déjà dit ? je suis bien vieux et je radote...)
Il y a, dans chaque film de ce réalisateur (c'est pénible d'écrire toujours Tsai Ming Liang, d'ailleurs je ne suis même pas sûr de savoir où est son prénom, il semble que le Tsai soit le nom de famille, non ? vaut-il mieux dire Tsaïchounet ou Ming-Liangchounet?) une scène qui met mal à l'aise, une scène difficilement supportable, ou, en tout cas justifiable (dans La pastèque c'était la scène de la fin, dans The River c'était la rencontre au sauna...) et elle a toujours à voir avec le sexe. Ici c'est celle dite « de la branlette », d'ailleurs, fausse pudeur, filmée indirectement, un reflet dans un miroir piqueté, scène dont la « violence » confine au grotesque (mais bon je suis une petite chose fragile...), et où le bruitage en rajoute encore dans le glauque... Mais peut-être finalement votre serviteur n'est-il qu'un moraliste rigoriste et luthérien qui s'ignore ? Chassez le naturel...
Bref (!) le film est long (d'ailleurs je l'avoue – smiley rosissant – j'ai un tout petit peu décroché à un moment, la mise en place de l'idylle du SDF et de la demoiselle, comme par hasard, Tss tss !), il est exigeant (mais pas d'une exigence prétentieuse comme chez certains), il est sans compromis, il n'est certes pas très facile d'accès, mais recèle en son obscurité humide, en sa désespérance nocturne, en son mutisme délibéré, des instants fulgurants de beauté, sublime, suffocante.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Alison Lohman, Kevin Bacon, Colin Firth, Sonja Bennett, Rachel Blanchard, Kathryn Winslow, Kristin Adams, Rebecca Davis, David Hayman, Shannon Lawson, Anna Silk et Maury Chaykin. Réalisation : Atom Egoyan. Scénario : Atom Egoyan, d’après le livre de Rupert Holmes. Image : Paul Sarossy. Montage : Susan Shipton. Décors : Carolyn Cal Loucks. Costumes : Beth Pasternak. Musique : Mychael Danna.
Durée : 107 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :
En 1959, aux USA, Lanny Morris (Kevin Bacon) et Vince Collins (Colin Firth) sont les deux artistes de music-hall les plus célèbres et populaires du pays avec leur duo, entre crooners et humoristes. S'ils sont si connus, c'est que chaque année, ils animent un marathon télévisuel durant trois jours, afin de récolter des fonds pour le Téléthon contre la Polio, ce qui les a installé durablement dans le cœur des américains. Leur « couple » est basé classiquement sur les contraires/complémentaires. Vince est l’Anglais, pince-sans-rire et bien élevé, là où Lanny, le yankee, joue la forte tête aux blagues clownesques et vaguement salaces.
Un fait divers sordide brise la carrière des deux showmen. La dernière année où ils présentent le Téléthon (en 1959), on découvre dans la suite du palace où ils logent, le corps sans vie de Maureen (Rachel Blanchard), une jeune et accorte femme de chambre de l’hôtel. Les deux comiques sont suspectés. Leur réputation est ternie, mais tous deux fournissent un alibi en béton qui les blanchit. L’enquête conclut au suicide mais le mystère reste entier. Peu de temps après cet événement, le duo se sépare. Ils entament chacun de leur côté une carrière en solo.
Des années plus tard, au début des années 70, Lanny et Vince ne sont plus des têtes d’affiche. Lanny est producteur d'un label musical et Vince est acteur, mais ses films connaissent de moins en moins de succès. Leur temps est passé, tout simplement.
Karen O’Connor (Alison Lohman aperçue dans Big Fish) est une jeune journaliste du plus pur style gonzo. Ambitieuse elle cherche le coup journalistique qui l’imposera au premier plan, lorsqu’un éditeur lui propose d'écrire une biographie de Vince et Lanny, deux vedettes auxquelles elle voue depuis sa plus tendre enfance une admiration sans bornes. Intuitivement elle pressent que la clé des deux hommes est dans la trouble affaire de 1959. Elle décide de faire la lumière sur cet événement. Si Vince accepte assez facilement l'interview (il faut dire qu’il sera largement rémunéré par l'éditeur d’Alison), Lanny, lui, refuse, car il prétend écrire un livre sur le sujet. Il ne consent qu’à une chose : envoyer deux chapitres de son livre à Karen.
Cela se complique encore lorsque Karen prend l'avion pour aller rencontrer Vince. Son voisin de siège n'est autre que... Lanny lui-même ! (petite facilité scénaristique tout de même). Elle panique, et renonce à dévoiler sa vraie identité ! Elle lui cache aussi qu'elle est journaliste et qu'elle écrit un livre sur lui. Lanny, quant à lui, cherche à la séduire... L'enquête commence... Peu à peu, elle entre dans l'intimité sexuelle et affective de chacun des deux hommes. Mais plus Karen se penche sur ces personnages et leur histoire, plus elle éprouve de difficultés à accepter les révélations qu’elle découvre sur eux, mais aussi sur elle-même. Trahison, amour, désir, secrets enfouis et confiance bafouée ponctuent son enquête...

L’avis de Bernard Alapetite :
Egoyan fait partie de ces chouchous de l'art et essai des années 90, que le triangle des Bermudes de la critique parisienne (soit les Inrockuptibles, les Cahiers du cinéma et Libération, dixit l’excellent Michel Ciment) a encensé, et que cette même critique snobe depuis, une fois la mode passée. Il n’y a pourtant aucune faiblesse dans sa filmographie, bien au contraire. Le Voyage de Felicia était très beau, et son moyen métrage adapté de Beckett, Krapp's Last Tape avec John Hurt était une réussite. Mais malgré cela, il est de bon ton de dire qu’Egoyan, ce n'est plus tout à fait ça. La Vérité nue était en compétition à Cannes en 2005, et le canadien est forcément reparti les mains vides. Alors que bien des festivaliers voyaient Kevin Bacon et Colin Firth recevoir un double prix d’interprétation masculine, ce qui n’aurait été que justice. Remarquons qu’une fois encore, un film dans lequel est présente l’homosexualité n’est pas primé à Cannes, contre toute logique.
L'ouverture est magnifique et rythmée. Elle impose d'entrée de jeu une étrange narration. L’intrigue est commentée plus que racontée par les voix-off de Karen, réfléchissant à posteriori aux événements qui ont eu lieu pendant son enquête, et aussi par celle de Lanny dont on entend par plusieurs voix des chapitres de l’autobiographie qu'il est en train d'écrire. Voix multiples et subjectives, dont on comprend assez vite qu'elles vont tisser un riche réseau d’histoires qui vont se compléter, se recouper mais aussi se contredire. À chaque nouveau témoignage, la narration part sur de nouveaux rails, parallèles certes, mais réservant des différences de taille. Avec Vince, c'est encore un autre éclairage qui nous est livré. Tout cela est habilement tricoté. D’autre part, le film ne cesse de faire des allers-retours entre les années 50 et les années 70.
Le rythme est fluide, jamais monotone. On découvre que tous les protagonistes sont reliés de manière intime aux événements de 1959, Lanny et Vince, bien sûr, mais aussi Karen. Le spectateur est plongé dans l'histoire légendaire de cette étrange mort, mais aussi dans le ressenti et le subjectif les plus intimes des héros. Ce jeu de points de vue mouvants est encore perturbé par un autre facteur. Lorsqu’ils s’adressent à Karen, les deux acteurs lui présentent une version très choisie des événements. Le tour de force du scénario, adapté du roman de Rupert Holmes, Where The Truth Lies, c’est qu’il parvient à un récit crédible à partir de strates de mensonges et de demies vérités. Très vite, on subodore qu’il y a probablement des différences entre les événements décrits à la journaliste et ce qui s'est vraiment passé. Et que la vérité sera beaucoup plus glauque que ce que les deux protagonistes suggèrent. Sinon comment expliquer que la simple annonce que Karen prépare son livre fasse autant de remous, et que derrière son dos, tout le monde tire les ficelles pour la manipuler plus ou moins, et pour protéger un passé que personne ne souhaite vraiment voir resurgir. Voilà un film subtilement rashomonien où l’on cherche la vérité avec des témoignages subjectifs et tronqués, parasités en plus (ça fait beaucoup !) par la propre confusion de l'héroïne, très attachée à ces deux hommes, icônes de son enfance. Elle s'implique bien au-delà de ce que la rigueur professionnelle lui impose. Tout ça parce que, dans l'avion où elle rencontre Lanny, Karen ment sur son identité, détruisant ainsi la position de force que pouvait lui conférer son statut de journaliste, ce qui la plonge surtout dans une intimité forcée avec Lanny ! Après tout, personne n'a intérêt à dévoiler la chose, et surtout les sommes en jeu sont tellement énormes qu'on sent très bien que cette enquête n'est pas sans danger, ni pour l'intégrité physique de chacun, ni pour le cerveau... ni pour l'âme.
La mise en scène rajoute au trouble. Egoyan joue avec ses personnages et avec les spectateurs, en faisant constamment dévier sa narration. Ellipses, ruptures, flou sur les époques (on ne sait plus parfois au début d’une scène si on est en 59 ou en 72 !). Pourtant le chef opérateur Paul Sarossy, éternel collaborateur du cinéaste, par son splendide travail a su tantôt retrouver les couleurs acidulées du cinéma des années 50, tantôt les tonalités chaudes du cinéma de 1970.
Dans ce puzzle tout est biaisé, rien ne s’emboîte. Par moments, à ces sources de lumières contradictoires on croit apercevoir la vérité, et encore, bien fugace. Mais aussitôt elle se dérobe. Tout le monde a menti, et tout le monde est impliqué. On sent que c’est avec jubilation que le cinéaste filme ce monde dont Rupert Holmes lui a donné les clés. À propos de clé, il est difficile de ne pas faire le parallèle entre d’un coté Lanny Morris/Vince Collins et de l’autre Jerry Lewis/Dean Martin. Il faut s’en défendre car ce serait perturbant et même nuisible pour l’accès au film. Surtout que les vies privées des deux comiques réels n’ont rien à voir avec ceux de cette fiction. Pour prendre de la distance avec cette possible référence, Egoyan a fait de Vince un Anglais, ce qui n’est pas le cas dans le roman d’Holmes. Au passage, on en apprend beaucoup sur le monde du show bizz et sur celui de la télévision américaine des années 50/60 et sur l’implication de la mafia dans ce milieu.
Le film semble se diriger vers le film à énigmes. Mais cette tendance est dynamitée par le dispositif global. Egoyan finit par nous perdre, très vite on ne sait plus où vont s'arrêter les chausse-trappes et les faux-semblants.
En nous perdant, mais aussi en nous montrant des évidences, le cinéaste construit un film que l’on pourrait qualifier de cubiste, à la lisière du fantastique. Ça avance, ça recule, on s’égare et l'abîme devient de plus en plus profond. 
Encore une fois Egoyan filme des trajectoires brisées, les déchus, les chutes mais pour la première fois il ose filmer la sexualité sans ambages. On en sort bouleversé.
On pense à Mulholland Drive pour le climat et les procédés cinématographiques mais aussi à La Corde pour le cynisme de Lanny et Vince, comparable à celui des deux assassins du film d’Hitchcock et aussi pour la belle et subtile théâtralité des décors.
Les personnages sont doubles, c'est-à-dire pas forcément avec une face cachée et obscure, mais dans le sens où tous les personnages sont deux ! En tout cas, l'Innocence est définitivement sacrifiée, et la mort plane. Le film aplatit et retourne la temporalité, en confortant un sentiment que, bizarrement, on pourra trouver presque fraternel. Quel beau mystère. On ne peut guère en dire plus sans risquer de gâcher le plaisir à découvrir cette merveille.
La mise en scène, complètement subjective et lyrique utilise toute la grammaire du cinéma avec une évidente gourmandise. Elle est hollywoodienne même par endroits (le restaurant japonais et ses éclairs, le cri de la femme de ménage...) Grande idée que la répétition de la séquence de la petite fille du Téléthon. On la voit sur différents supports, sous différents angles, en champ et contrechamp, et avec une diminution graduelle de l'échelle des plans ! Voilà la définition parfaite, à travers cette scène disséminée, du relief au cinéma. L’utilisation du cinémascope rend hommage aux décors soignés. On ne peut qu’admirer la fluidité des mouvements d’appareils qui pourtant ne sacrifient jamais le cadre toujours d’un raffinement extrême. Comme ce plan de Venice Beach où l’on voit un cabriolet jaune paille se garer devant une maison à la façade coquille d’œuf avec en amorce l’aile bouton d’or d’une limousine. À ce camaïeu de jaunes répondent les bleus profonds de la mer et du ciel et passe en contre-jour un surfeur sa planche sous le bras. Et pourtant Egoyan n’a eu que cinq jours de tournage en Californie ! Le reste du film a été réalisé au Canada et dans les studios Sheperton de Londres où ont été reconstituées en studio les chambres d’hôtel, quant à la vue de New York elle doit tout à l’infographie d’après des photographies d’époque.
La signifiance des dialogues nous montre que nous ne sommes pas dans un film américain dans lequel ceux-ci ne sont presque toujours qu’utilitaires et n’ont que seule fonction que de faire progresser l’intrigue. Une phrase comme : « J’ai toujours été fasciné par la façon dont on passe de celle qu’on est à celle qu’on se laisse devenir » ancre le film beaucoup plus dans la cinématographie européenne.
La B.O. due à Mychael Danna, le complice habituel dans ce domaine du réalisateur participe à la narration. Elle est sous l’influence revendiquée de Bernard Hermann et d’Elmer Bernstein via Wagner. Egoyan, entre la réalisation d’Ararat et de La Vérité nue, a mis en scène à l’opéra La Walkyrie.
Quant aux acteurs, des premiers aux derniers rôles, ils sont d'une précision renversante (l’inoubliable silhouette de mafioso interprété par Maury Chaykin). Une des idées brillantes d’Egoyan a été de confier le rôle d’une toute jeune journaliste arriviste mais en quête de vérité, et indirectement témoin d’un fait divers, à la très jeune Alison Lohmann, plus adolescente qu’adulte ; sa détermination tranche face à deux comédiens blasés et à bout de souffle qu’elle retrouve dans les années 70. La réussite de La Vérité nue tient avant tout dans ce couple trouble, merveilleusement interprété par Colin Firth et surtout Kevin Bacon qui en assume la part féminine. Mais il y a une limite indépassable que ne peuvent franchir ces deux hommes pourtant complémentaires. Cette frontière, c'est peut-être la différence entre les années 50 et les années 70...
La filmographie gay de ces deux acteurs est fort intéressante. Colin Firth a commencé sa carrière à l’écran avec Another Country (1984), quant à Kevin Bacon un de ses premiers films est Forty Deuce (42e rue) de Paul Morrissey en 1982.
Le film est édité en DVD par TF1 vidéo, belle compression, habillage soigné, en particulier en ce qui concerne les pages de chapitrage. Malheureusement, aucun bonus pour un film pour lequel le commentaire du réalisateur qui parle parfaitement le français aurait été très apprécié.
L’avis de Shangols :
La vérité nue, c'est que Atom Egoyan file un mauvais coton. Après quelques très beaux films (Exotica, Calendar, The Adjuster), le voilà qui verse depuis quelques années dans l'académisme creux et dans le film de grand-père. On se demande bien ce qui a poussé ce cinéaste, dont la réputation de « sulfureux » n'était pas imméritée, à réaliser ce Where the Truth lies fade et lisse comme tout. Tout ce qu'il savait faire auparavant se transforme ici en esthétisme de série B, en médiocrité visuelle : les scènes de cul n'impressionneraient même pas Just Jaeckin, tant elles sont filmées tout en fausse sensualité, soutenues par des musiques faussement troubles, avec un summum de ringardise obtenu avec une scène de saphisme improbable entre une jeune journaliste et Alice (celle du Pays des Merveilles, oui monsieur) ; les personnages ne sont que des ombres, portés par des acteurs médiocres (décidément Kevin Bacon n'a été bon que dans Mystic River) ; le scénario, que le gars sût à une époque rendre bien torve, est ici attendu, jamais intéressant, issu d'une veine du polar complètement dépassé, et réservant peu de surprises (le coup de théâtre final est bien décevant) ; le rythme d'ensemble, qui se voudrait sensuel, est tout juste alangui, trop lent. Et puis il y a là-dedans un paquet de scènes en trop, tentant de jouer sur la corde sensible sans que ça ne fonctionne jamais : une scène avec une mère dont la fille a été assassinée, trop mélo, pas tenue, presque gênée d'être aussi plate ; une longue séquence de Téléthon où les rapports soi-disant troubles entre les personnages sont absents à l'écran, étouffés par une reconstitution trop scolaire et appliquée...
Bref, que du mauvais à dire de ce film, mis à part peut-être un travail sur la photo qui marche bien, qui ressemble un peu à ce que Kubrick avait trouvé dans Eyes Wide Shut (lumière par en-dessous, image très lissée, qui donne une ambiance assez inquiétante). Un peu comme Spike Lee, Egoyan semble bien être un cinéaste qui n'a jamais dépassé le stade du prometteur.

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