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FILMS : Les Toiles Roses

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Fiche technique :

Avec Maïk Darah, Jann Halexander et Sandro Bassonnato. Réalisation : Jann Halexander et Jeff Bonnenfant. Scénario : Jann Halexander. Compositeur : Jann Halexander.

Durée : 50 minutes. Disponible en VF. 

 

 

Résumé :

Le résumé de notre film « Une dernière nuit au Mans [les gens de couleur n'ont rien d'extraordinaire] » se veut simple : Marianne, veuve aisée, artiste à ses heures, vit au Mans, avec son neveu, Antoine. Elle tombe amoureuse de François, professeur de mathématiques… qui tombe amoureux d’Antoine…

Jeff et moi voulions montrer aussi un visage de la petite bourgeoisie française d'origine antillaise (ou africaine, ça dépend) que l'on peut retrouver un peu partout en France, notamment dans le grand Ouest et dans la région bordelaise. Un fait sociologique malheureusement peu étudié. Marianne et son neveu vivent dans un petit appartement mais ont une résidence secondaire (qu'on pourrait imaginer dans les Alpes Mancelles). Marianne, campée par mon amie complice Maïk Darah est la bourgeoise française par excellence : boit du vin, mange des rillettes et aime son pays en rappelant qu'il est la terre d'Alexandre Dumas. Elle a aussi cette façon bien française de collectionner les amours. Avec le personnage de François, interprété par Sandro Bassonnato, nous avons intégré la non-hétérosexualité, aussi normale que l'hétérosexualité. En parler, le montrer, le filmer, tout en sensualité mais le montrer. J'avoue que la musique de Chopin sur la scène d'amour entre Antoine et François fut bienvenue.

Si notre film devait avoir un message, puisque paraît-il, il en faut, ce serait celui-ci : ne pas avoir peur d'aimer, quelque soient les circonstances et les conséquences.


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L’avis de Pascal Françaix (BBJane Hudson) :

Créateur polymorphe et compulsif (auteur, compositeur de chansons qu’il interprète, scénariste, réalisateur, acteur de films distribués directement en DVD), Jann Halexander est un homme de dichotomies. Celles qu’induisent le métissage et la bisexualité sont les plus évidentes et récurrentes dans son œuvre musicale et filmique. Mais il en est une autre qui, pour être moins explicite, infuse son univers de façon tout aussi prégnante : la tension entre le réalisme et l’irrationnel la fidélité au premier, correspondant à un souci d’objectivité morale et d’ancrage dans son époque ; la tentation du second, témoignant à la fois d’un élan transcendant et d’une attirance du gouffre. Dans le domaine musical, sa fascination pour le mythe du vampire lui a inspiré un spectacle (Confessions d’un vampire sud-africain), et une chanson (Déclaration d’amour à un vampire) ; son premier scénario pour Rémi Lange (Statross le Magnifique [2006]), et ses deux réalisations précédentes (J’aimerais, j’aimerais [2007] et surtout Occident [2008]) témoignent de son goût pour l’insolite (le caractère fantomatique de ses personnages), jusque dans ses déclinaisons horrifiques (le finale d’Occident). Jann Halexander s’avère de plus être un fin connaisseur de cinéma fantastique, et un grand amateur de « séries Z » psychotroniques (pour l’anecdote, il voue un véritable culte à Troll 2 [Claudio Fragasso, 1990]). Dans le même temps, il est un observateur sagace de son temps, en pleine phase avec le réel malgré les aversions qu’il lui inspire.


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Son troisième et dernier film, Une dernière nuit au Mans (coréalisé par Jeff Bonnenfant), semble vouloir résoudre cette dichotomie en optant pour un sujet résolument réaliste (la liaison d’un jeune homme avec l’amant de sa tante) et un traitement en adéquation. Aucune échappée vers l’incongru, aucune déviation sur les sentiers de l’étrange : dialogues, cadrages, mise en scène, tout relève d’un « cinéma-vérité » presque ascétique à force de quotidienneté. Les échanges d’Antoine et de sa tante Marianne, dans la cuisine au petit déjeuner, ou autour d’un pot de rillettes et d’un verre de vin ; leur promenade insouciante et bucolique dans la campagne mancelle, sont des exemples étonnants (pour qui connaît les précédents films de Jann Halexander) d’une recherche de naturel confinant au prosaïsme (nous sommes loin de la scène éberluante des retrouvailles de la mère et du fils d’Occident, donnant lieu à un plan fixe et muet d’une minute.) J’avoue que cette approche m’est d’abord apparue frustrante et restrictive : elle donne au film une tonalité très Strip-Tease (l’émission de télévision belge diffusée par France 3), le regard corrosif en moins, puisque le vidéaste s’interdit toute distanciation et filme ses personnages au ras de leur quotidien, dans leur indolence bourgeoise un brin désabusée (il déclare avoir voulu rendre compte d’un état de la bourgeoisie française d’origine africaine ou antillaise).


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Le sous-titre d’Une dernière nuit au Mans fait office d’avertissement : le propos est ici axé sur la démonstration d’une banalité en l’occurrence, ceux des « gens de couleur » qui n’ont « rien d’extraordinaire ». On sait ce que ces revendications d’homologie qu’elles émanent de minorité ou d’ethnies recèlent d’ambiguïté : le déni répété d’une singularité résulte bien souvent d’une conscience trop aiguë de sa différence, et produit généralement l’effet inverse de celui escompté. Artiste marginal et anticonformiste, qui se définit lui-même comme « underground », Jann Halexander s’applique, contre toute attente, à jouer la carte du naturalisme, et n’y réussit guère : à bien y regarder, c’est cet échec, ou plus exactement les failles que son film recèle, qui en font à la fois le charme et l’intérêt. Chassez l’artifice par la porte d’entrée, et il s’immiscera par celle de service…

Ainsi, c’est la première fois que l’on rencontre le Camp dans le cinéma d’Halexander, avec le personnage de la tante Marianne, qui soliloque en s’alcoolisant à une table de bar, les épaules couvertes par un boa de plumes ; une autre scène nous la montre effondrée devant son miroir alors qu’elle se maquille « moment Camp » classique et iconique. L’un de ses discours adressés à la caméra, où elle évoque son statut de femme de couleur dans un pays où la tolérance et l’acceptation tardent à s’affirmer, accuse son irrémédiable singularité bien plus que son espoir d’intégration ce n’est plus Marianne que nous voyons, mais une artiste parlant à son public, avec un certain maniérisme…

Fort peu naturaliste est également le jeu de Jann Halexander, dont la nonchalance très élaborée et la résignation sarcastique nous rappellent à nouveau son personnage de Statross. On peut citer encore la scène d’amour entre Antoine et François sur les accords lyriques de Chopin, qui vient soudainement rompre le traitement en creux de leur relation, présentée jusqu’ici avec une grande économie d’effets et de sentiments.


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Qu’un jeune homme ait une liaison avec l’amant de sa tante n’a donc rien d’extraordinaire, selon Jann Halexander ; tout comme d’être noir, d’être gay, voire de nourrir des sentiments incestueux (plusieurs scènes du film suggèrent que la seule harmonie amoureuse possible ne peut s’épanouir qu’entre Marianne et Antoine). Étrange et difficile démarche que de donner à voir la banalité avec tant d’insistance ; singulier défi, qui ne va pas sans paradoxe sans cette intime contradiction qui est peut-être au cœur de l’univers d’Halexander.

Signalons, pour conclure, qu’Une Dernière nuit au Mans est le premier de ses films où un personnage féminin trouve une place aussi conséquente ; comme il le précise dans l’interview-bonus du DVD, c’est de propos délibéré qu’il voulut rompre avec le contexte essentiellement masculin de ses précédents films, et se confronter à la psychologie féminine. La vision qu’il en offre au travers de Marianne est typiquement homosexuelle : elle est une figure maternante et sécurisante, dont la sexualité est à la fois sublimée par un halo Camp, et inhibée par la crainte du vieillissement et par l’infidélité de son amant. Cette image de femme-femme séduisante mais blessée, sexuellement désincarnée sauf d’être ramenée dans le giron rassurant des amours familiales/œdipiennes, n’échappe pas totalement au profil de l’icône-diva gay, mais en offre une déclinaison très attachante, en grande partie grâce à l’interprétation de Maïk Darah, comédienne subtile qui sait ne pas abuser de ses atouts (un visage expressif où l’espièglerie le dispute à la candeur, une voix profonde et mobile, une authentique présence physique), et les nuancer au service d’un rôle qui pouvait appeler les excès. Pour sa découverte, et pour l’intégrité et la ténacité de son auteur, l’un des rares réalisateurs authentiquement indépendants du paysage français, ces cinquante minutes au Mans méritent amplement le voyage.

Pour plus d’informations :

 

Fiche technique :
Avec Jean Gabin, Arletty, Roland Lesaffre, Marie Daëms, Jean Parédès, Maria Pia Casillo, Simone Paris et Ave Ninchi. Réalisé par Marcel Carné. Scénario de Jacques Viot, Marcel Carné et Jacques Sigurd. Directeur de la photographie : Roher Hubert. Compositeur : Maurice Thiriet.
Durée : 110 mn. Disponible en VF.

 

 

Résumé :
À Paris, en 1954, un ancien boxeur, Victor Le Garrec (Jean Gabin, prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de Venise en 1954) qui eut une carrière très brève, dirige une salle de boxe. Il rencontre un jeune homme, André Ménard (Roland Lesaffre) qui a fait un peu de boxe. Victor s’intéresse à lui. Il l’entraîne pour en faire le champion qu’il n’a jamais été. Bientôt il l’installe chez lui. On ne s’explique pas l’attitude de Victor s’il n’est pas l’amant d’André. Carné s’est cru obligé d’ajouter une ridicule histoire d’amour entre le jeune boxeur et une non moins jeune... antiquaire. La femme de Victor, Blanche (Arletty) jalouse le jeune homme. Elle reproche à son mari son engouement pour André. Quant à Victor il reproche à André sa liaison avec la jeune antiquaire. La jeune femme ayant conscience qu’elle entrave la carrière d’André s’éloigne. Le jeune homme retrouve Victor et se consacre entièrement à la boxe.


 

L'avis de  Bernard Alapetite  :
L’air de Paris n’est pas un film gay à proprement parler, disons que c’est un film crypto-gay. En politique, comme en dessin industriel, il y a une vue de droite et une vue de gauche et bien je vais vous donner une vue « de gay » d’Un air de Paris.
Deux passionnés de boxe, Marcel Carné et son scénariste Jacques Viot, décident de traiter le sujet en mettant en évidence l’arrière-plan social de ce sport. Jean Gabin est dès le début associé au projet. Dans son autobiographie, La vie à belles dents, Marcel Carné explique ses motivations : « Ce qui m’intéressait, en plus de l’atmosphère particulière du milieu, c’était d’évoquer l’existence courageuse des jeunes amateurs qui ayant à peine achevé le travail souvent pénible de la journée, se précipitent dans une salle d’entraînement pour ”mettre les gants” et combattre de tout leur cœur, dans le seul espoir de monter un jour sur le ring... » Plus prosaïquement, on peut penser que la possibilité d’offrir un premier rôle à son jeune ami Roland Lesaffre n’a pas été pour rien dans le choix du sujet. Les deux hommes se sont rencontrés par l’intermédiaire de Jean Gabin qui a présenté Roland Lesaffre en 1949 au cinéaste qui aussitôt le fait débuter dans La Marie du port.  Mais nous ne sommes plus au temps du Front Populaire, les producteurs se défilent les uns après les autres. Robert Dorfmann se laisse convaincre mais il amène avec lui comme financier principal, le très conservateur Cino Del Duca. Ce dernier, alors spécialisé dans la presse du cœur et les romans à l’eau de rose (il publiera une novellisation du film encore trouvable chez les bons bouquinistes) veut une vraie histoire d’amour. Il pousse le cinéaste à développer une liaison entre Lesaffre et une jeune femme Corinne, ce qui renvoie Gabin dans son coin, et le film aux plus banales conventions. Jacques Viot se retire du projet. Jacques Sigurd le remplace et remanie l’histoire dans le sens demandé par Del Duca. Le nouveau traitement augmente l’importance du rôle de Lesaffre mais diminue celui de Gabin. Ce dernier ronchonne mais reste à bord. L’air de Paris, tel qu’il était écrit avant que ces changements de dernière heure ne modifient l’histoire était centré sur le développement d’une relation affective profonde entre deux hommes et se rapprochait d’un contexte homosexuel. Carné doit subir une autre avanie. Il a destiné le personnage de Corinne à Agnès Delahaie (à la ville madame Dorfmann) mais celle-ci se dispute avec l’épouse du co-producteur italien, engagée elle aussi dans le film ! Qui exige son remplacement. Carné engage ainsi Marie Daëms à quelques jours du premier clap.


 

 

Le tournage a été houleux car si le scénario de Jacques Viot faisait la part belle à Gabin, les dialogues de Jacques Sigurd, sur la demande de Carné, mettent en évidence le rôle de Roland Lessafre, l’ami de cœur de Marcel Carné, ce que n’appréciait pas du tout Gabin. Lessaffre, comédien médiocre, est pourtant dans ici convaincant, bien que trop âgé pour le rôle, il a alors 27 ans, mais il est choisi entre autres parce qu’il a été lui-même boxeur amateur. Il y a aussi dans Lessaffre quelque chose du Gabin jeune de ses grands films d’avant-guerre, Le jour se lève, Pépé le Mocko... où il incarnait les fils du peuple.


 

 

En outre, Gabin ne voulait pour rien au monde que l’on pense qu’il jouait un homosexuel, même refoulé, comme le confiait Marcel Carné à Jacques Grant (l’habituel directeur de casting de Téchiné) pour le défunt Masque : « Gabin avait une peur terrible de ça. Quand à la fin du film, il venait retrouver le jeune boxeur, je lui dis : Tu lui passes la main autour du cou et tu l’emmènes : Pas question, je ne veux pas avoir l’air d’un pédé. Il n’était pas content du tout. » En tout état de cause L’air de Paris marquera la rupture définitive entre Carné et Gabin.


 

 

Le film tombe dans le ridicule et l’incompréhensible pour n’avoir pas voulu rendre explicite la liaison entre Victor et André. Pourtant l’image de Victor, la main tendrement passée dans la ceinture de la culotte de son protégé au moment de la minute de repos entre deux rounds... Il est amusant, mais pas vraiment surprenant, tant l’homosexualité irrigue tout le cinéma de Melville, de retrouver la même scène, avec un cadrage presque identique, dans L’aîné des Ferchaux, Belmondo est le boxeur et Andrex remplace Gabin. Mais la scène la plus torride est celle dans laquelle le manager masse son poulain vêtu que d’un mini slip. La caméra s’attarde longuement sur le corps imberbe de Lesaffre, Marcel Carné n’avait pas toujours mauvais goût !


 

 

Arletty, qui avec L’air de Paris retrouvait Gabin quinze ans après Le jour se lève), dans les années 80 voyait très lucidement la faiblesse du film : « Il aurait fallu aller très loin dans le film. Je pense que Gabin ne voulait pas passer pour un homo ; au fond en réalité, il aurait dû se taper Lessaffre ouvertement, l’aimer d’amour. Tandis que là, c’est pas dit, c’est pas fait. Fallait faire l’escalier, des mecs qui sortent ensemble. Je crois que ça enlève beaucoup. »
Carné n’était pas le courage incarné au sujet de ses mœurs, c’est un euphémisme. Le film a aussi un intérêt historique pour le spectateur gay d’aujourd’hui. Le petit rôle caricatural joué par Jean Parédès illustre bien comment le cinéma français d’alors voyait l’homosexualité masculine. Que le rôle soit tenu par le délicieux Jean Parédès ne change rien à l’affaire. Il refera son numéro de folle de contrebande dans Fanfan la tulipe. Il faut lire l’émouvant portrait de ce comédien que dressent Olivier Barrot et Raymond Chirat dans leur indispensable Noir & blanc, 250 acteurs du cinéma français 1930-1950 (ed. Flammarion).


 

 

On peut également voir une touche de lesbianisme dans la relation entre Corinne et sa protectrice Chantal (excellente Simone Paris) parallèle pas assez développé avec le duo Gabin–Lessaffre.
Techniquement le film est parfait. Carné a soigné particulièrement l’aspect documentaire, pour cela il a engagé trois boxeurs : Séraphin Ferrer, Legendre et Streicher, l’entraîneur Roger Michelot ainsi que les speakers et les soigneurs du Central Sporting Club de Paris. On doit se régaler du beau noir et blanc qui balaye toute la gamme des gris et des cadrages soignés qui échappaient alors à la dictature actuelle de la caméra portée et de son trop fréquent corollaire : le bord du cadre tremblotant. La lourdeur des caméras de 1954 n’avait pas que des inconvénients. Admirons les décors d’une parfaite justesse tant pour la salle de boxe que pour l’appartement petit bourgeois du couple Aletty–Gabin, sans oublier l’intérieur bien dans le goût de l’époque de l’antiquaire.
Curieusement Carné, cinéaste de plateau par excellence, a utilisé des images complémentaires tournées par André Dumaitre pour rendre l’atmosphère de Paris, celle-ci est très documentaire de première partie dans le style Plaisir de France.


 

 

Si on replace le film dans l’histoire du cinéma français, on peut y voir les derniers feux du néo-populisme d’après-guerre où pointe déjà le psychologisme qui triomphera avec Claude Sautet.
Mais ne cherchons pas Carné où il n'est pas : dans le lieu clos factice où un ouvrier soudeur marqué par le destin attend que le jour se lève, ou parmi les masques en liesse du Boulevard du Crime. Face à la vulgate, il est urgent de le situer à sa vraie place : un petit maître des faubourgs, une sorte d’Utrillo de la caméra, entraîné à son corps défendant dans des entreprises trop grandes pour lui dont on le crédite abusivement. C'est le moment de reposer la vieille question : qui est le véritable auteur d'un film ?

L’air de Paris est le type même du film d’un réalisateur qui n’a jamais eu le courage et la lucidité de sortir son homosexualité de la clandestinité. Cette attitude timorée explique en partie le naufrage du deuxième volet de la carrière de Marcel Carné, après sa brouille avec Prévert. Elle explique aussi peut-être l’abandon de La fleur de l’âge, son projet sur la révolte du bagne de jeunes de l’île de Ré. Le tournage sera abandonné au bout d’une semaine. On retrouvera ce thème dans le beau téléfilm Alcyon de Fabrice Cazeneuve...
Un air de Paris est édité en DVD par Studio Canal dans une bonne copie mais avec seulement pour bonus les filmographies sélectives de certains protagonistes du film.
Pour plus d’informations :

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Chekib Tijani, 700 millions de gays geis, L’Harmattan 2010. Retiré de la vente pour l’instant.

 

L’avis de Audrey Banegas de Yagg.com :

Dans la série des livres nauséabonds de l’été, après Les homosexuels font-ils encore peur ? écrit avec la collaboration de Christine Boutin, voici 700 millions de gays geis par Chekib Tijani, sorti le 3 juin dernier aux Éditions L’Harmattan.

Le titre est moins provocateur que le précédent mais le contenu n’en est pas moins édifiant. Cet ouvrage nous propose d’étudier ce que l’auteur appelle les GEI, les « personnes de Genre Endogène Inversé ». Et voici comment la maison d’édition nous le présentait sur son site et sur sa quatrième de couverture, il y a encore quelques [semaines] :

« L’auteur démontre qu’un corps masculin peut être investi d’une identité féminine et un corps féminin d’une identité masculine. Les sujets de cette nature sont désignés ici par le mot « geis » signifiant personnes de Genre Endogène Inversé. Les homosexuels ou gays sont en fait dans leur grande majorité ces personnes de genre inversé, les geis. Cet état d’inversion identitaire doit être considéré comme un dysfonctionnement qu’il est possible et nécessaire de prévenir pour l’épargner aux enfants à naître ».


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Cette présentation n’est qu’un avant-goût des théories stupéfiantes que l’auteur présente dans l’ouvrage lui-même, mais elle a déjà suffi à faire suspendre sa vente.

Quelques jours avant sa suspension, Yagg s’était procuré une version électronique de ce livre, et peut confirmer: il s’agit d’un savant mélange de clichés totalement rétrogrades, de considération sexistes, de contradictions, de postulats pseudo-scientifiques totalement absurdes qui ne reposent sur aucune étude et d’amalgames nauséabonds. Voici quelques extraits choisis de ce que l’on pouvait y lire :

« Alors que le jeune hétérosexuel est tout excité quand il découvre sa barbe naissante, son congénère gei est effrayé par ces poils qui viennent entacher la pureté féminine de son visage; il demeurera le reste de sa vie hostile à cette barbe, ainsi qu’à toute la pilosité de son corps (…). De même pour la chevelure. Dernier des soucis pour un homme hétérosexuel, elle devient une affaire de première importance pour le gei. La perspective de devoir un jour perdre ses cheveux est pour le gei une pensée effroyable. Même cas de figure en ce qui concerne les filles ». Que dire…

« LA TERRIBLE SENSATION DE SENTIR VOS SEINS BALLANTS »

L’auteur fait, tout au long du bouquin, l’amalgame systématique entre homosexualité et transsexualité : « nous savons qu’une personne au genre inversé ou gei est un homme ou une femme possédant un genre anatomique différent de son genre psychologique. Nous sommes ici en présence d’un décalage identitaire fondamental », affirme-t-il.

Et de proposer des travaux pratiques, pour imaginer ce que peut ressentir une lesbienne : « Pour bien comprendre cette situation, je vais vous demander de tenter l’expérience suivante. Vous êtes un homme au genre concordant, c’est-à-dire un homme de corps et d’esprit. Vous vous réveillez un beau matin avec un corps de femme bien que psychologiquement vous restiez un homme viril. Vous goûtez alors la terrible sensation de sentir vos seins ballants accrochés à votre poitrine. Vous vous regardez dans la glace. Votre visage est devenu petit et lisse. Quand vous marchez, vos hanches beaucoup plus larges se balancent bizarrement de gauche à droite. Vos mains sont d’une blancheur délicate et vos jambes fuselées vont, à coup sûr, attirer le regard des hommes. Vous mourez de honte de sentir cette femme en vous, alors que vous êtes un homme, un vrai ».

Un peu plus loin : « L’identité de genre de l’individu s’exprime également à travers les activités qu’il entreprend. Un homme s’épanouit dans des activités d’hommes et une femme dans des activités de femmes. (…) Par voie de conséquence, un homme gei s’épanouira dans des activités que sa psyché de femme ressent comme féminines, et une femme gei dans des activités que sa psyché d’homme considère siennes. Alors que la jeune fille gei meurt d’envie d’aller jouer au football dans son quartier, elle se heurte à la réprobation générale. Elle devra, sous la pression des siens, s’ennuyer à mourir à faire le ménage, qui demeure dans beaucoup de sociétés un devoir féminin. Alors que le petit garçon gei rêve de jouer à la poupée dans sa chambre, il est contraint à la brutalité des jeux de garçons, ce que refuse profondément son âme de petite fille ».


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Chekib Tijani (cliquez sur la photo)


« L’INVERSION IDENTITAIRE N’EST PAS UNE FATALITÉ »

Quant aux causes de l’homosexualité, contrairement à ce que la quatrième de couverture suggérait, l’auteur affirme, avec des arguments simplistes et sans avoir mené la moindre étude : « L’inversion identitaire n’est pas une fatalité, on ne naît pas gei, on le devient. Une telle inversion, qui est seulement perçue et qualifiée comme homosexualité par l’ensemble des sociétés, est causée par l’environnement humain dans lequel évolue l’enfant (…). L’explication semble être ceci, si l’enfant trouve un modèle de son sexe dans son entourage, tout ira pour le mieux. En revanche, si l’enfant ne trouve pas de modèle de son sexe il s’identifiera au modèle disponible, même s’il est de sexe opposé, et développera ainsi une inversion identitaire. Ceci pour dire que si un petit garçon est entouré d’une manière prédominante par des filles et des femmes et que l’on note autour de lui une présence masculine défaillante, il a de fortes chances de s’identifier au groupe féminin. Il en ira de même pour une petite fille qui, au milieu d’une forte présence masculine et sans modèle féminin, développera un genre identitaire masculin ».

« LA CARENCE DE PARTENAIRE… LE DRAME QU’IL VIT CHAQUE SECONDE DE SA VIE »

Autre considération surprenante de l’auteur, les homosexuels ne sont pas en couple : « Nous allons voir maintenant le deuxième aspect caractérisant la condition des sujets de genre inversé, celui de la carence de partenaires. Il est un fait que les geis ne trouvent pas de réels partenaires sexuels désireux de les rencontrer. (…) Les geis, dans les capitales occidentales, disposent maintenant d’une pléiade de discothèques et de bars réservés où ils peuvent se rencontrer comme bon leur semble. Ils ont formé des quartiers, des villages, des villes entières où ils peuvent vivre leur vie dans la liberté la plus totale. La vérité est que, même dans ce contexte, un gei type est un gei seul. (…) On remarque que le gei est la plupart du temps sans partenaire réel ».

« En revanche, si nous observons la communauté hétérosexuelle, nous constatons cette équation toute simple: la moitié masculine de la population se met en couple avec la moitié féminine. (…) Il est erroné de croire que pour les geis, les attirances homosexuelles se produisent entre geis eux-mêmes. Il n’y a pas d’attraction amoureuse et sexuelle entre geis du même sexe et, cela va de soi, encore moins entre geis de sexes opposés. Rappelons-le: un homme gei est une âme de femme dans un corps d’homme, et lorsque deux hommes geis se rencontrent, ils se savent mutuellement femmes de l’intérieur et ne peuvent donc pas s’aimer. Un homme gei est lui-même efféminé et il n’aime pas les hommes efféminés, il aime les hommes virils. De même, une femme gei étant elle-même masculine, n’aime pas les femmes masculines comme elle, elle les veut féminines. Le corps d’un gei est un déguisement. Il affiche l’inverse de sa véritable appartenance identitaire ».

« Deux hommes geis sont deux femmes qui se regardent et qui ne s’attirent pas mutuellement. Le même schéma est vrai pour deux femmes geis. Elles se savent mutuellement hommes de l’intérieur et ne se désirent pas. Ainsi, si les geis sont attirés par le même sexe, il reste à définir ce qu’est le même sexe.(…) Il ne suffit pas à un homme gei d’avoir un rapport avec un autre corps d’homme pour être satisfait, encore faut-il que ce dernier porte une âme d’homme. (…) Alors que l’équilibre et l’épanouissement de tout individu reposent fondamentalement sur sa relation de couple, il se trouve que le gei est, sauf exception, voué par nature à passer une existence privé de cette ressource. C’est là tout le drame qu’il vit chaque seconde de sa vie. Vivre sans amour, c’est porter un poids sur les épaules tout au long de son existence. Tout dans la vie devient pénible quand on est seul, même les choses les plus banales comme se lever le matin, travailler, regarder un arbre, se mettre au lit, se réveiller au milieu de la nuit, ou tout simplement penser à quoi sera fait demain. (…) Mais encore une fois, l’exception existe. Quelques rares geis ont la chance d’échapper à ce sort en trouvant un partenaire de genre concordant ».

« Une autre possibilité de vivre en couple pour le gei serait avec le sexe opposé. C’est la plus cruelle de toutes. Cette liaison contre nature, nous l’avons définie précédemment comme un autre faux accouplement qui s’impose au gei par la force des conventions sociales ».

« L’HOSTILITÉ DE LA SOCIÉTÉ »

L’auteur assure tout au long du texte ses louables intentions de lutter contre les discriminations et renouvelle très régulièrement ses incitations au respect de la personne homosexuelle. Il condamne, par exemple, à de nombreuses reprises « les sociétés répressives vis-à-vis des geis » et dit rejeter « le conformisme social ». Il écrit notamment « avec une telle condition sur les épaules, inhérente à sa nature, le gei n’est malheureusement pas au bout de ses peines. Il doit de surcroît faire face à l’hostilité de la société ». Il ajoute un peu plus loin : « L’exclusion et la haine dont fait preuve la société à l’égard des geis peuvent changer ou tout du moins évoluer. Il en fut ainsi pour l’esclavage, le racisme, et bien d’autres aberrations humaines. Ainsi, un jour viendra où la société, consciente de ses erreurs, innocentera la communauté gei ».

Il termine malheureusement ce paragraphe par : « Quand ce progrès se réalisera nous aurons fait une partie du chemin, mais pas la totalité, loin s’en faut, car le problème de fond restera l’inversion identitaire elle-même. (…) Il semble légitime de considérer l’inversion identitaire comme un dysfonctionnement. Le corps humain possède différentes fonctions, et à chacune d’entre elles correspond, hélas, un dysfonctionnement. Ainsi le dysfonctionnement de la vue est la cécité, celui de l’activité musculaire, la dyskinésie ou encore celui de l’ouïe, la surdité. De la même manière, notre organisme possède une fonction qui consiste à acheminer le sexe psychologique de chaque enfant vers son sexe génital d’appartenance. S’il s’agit d’un bébé garçon, cette fonction lui attribuera un sexe psychologique masculin et si c’est une fille, cette fonction lui donnera un sexe psychologique féminin (…). Quand cette fonction est perturbée, elle engendre l’inversion identitaire. C’est parce que cette fonction essentielle dans notre organisme n’a jamais été identifiée comme telle (c.à.d. comme une fonction) que son dysfonctionnement, soit l’inversion identitaire, n’a jamais été reconnu comme tel (c.à.d. comme un dysfonctionnement) ».

Mais le pire se trouve certainement dans les conclusions de ce livre : « Le Genre Endogène Inversé n’est ni une faute, ni une variante de la nature, c’est un dysfonctionnement. Le Genre Endogène Inversé est sans nul doute, par son ampleur, la plus grande tragédie humaine de l’histoire car elle touche une personne sur dix. (…) Il est pourtant permis d’espérer que la dignité humaine qui a toujours triomphé par le passé, se lèvera un jour pour mettre à terre ce triste vestige de l’erreur humaine ».


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Site de Chebik Tijani protégé (demandant une identification)


« UN LIVRE QUI EST À LA FRANGE », SELON L’HARMATTAN

Après cette douloureuse lecture, Yagg a souhaité interroger la maison d’édition. Denis Pryen, directeur des éditions L’Harmattan, nous l’affirme : « La vente du livre a été suspendue parce que dans la puce, c’est-à-dire le petit résumé du livre que l’on pouvait trouver sur le site, il manquait une phrase qui faisait que le propos portait à confusion. On a eu de nombreuses réactions de sociologues très remontés par ce qu’il ont pu lire dans la puce ».

« Je comprend que cela puisse choquer. C’est un livre qui est à la frange, ajoute-t-il. Les propos de l’auteur reposent sur sa propre croyance et sa propre perception des choses. Mais ses arguments, si on les lit bien, sont plutôt des appels à la tolérance. Notre position est que l’on a une liberté totale. Tant que l’auteur appelle à la tolérance et ne prononce pas de discours haineux ».


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Site des éditions L'Harmattan (plus aucune indication sinon le nom de l'auteur)


« C’est un bouquin écrit de Tunisie et il faut bien avoir ça en tête. Il tente de lutter contre les discriminations qui existent à l’égard des homosexuels dans son pays. Il s’intéresse juste à ce sujet. Notre position est de travailler avec de nombreux écrits de pays arabes et la façon dont ces sujets sont traité peuvent sembler ici rétrogrades mais pas là-bas. Il attire l’attention sur les questions de genre inversé, il provoque une étude de ces questions et ce livre émane d’une zone où il y a une forte répression contre les homosexuels. Lui appelle à la tolérance. Le contexte dans lequel il est écrit est important et ce n’est pas un livre destiné au grand public, il est dans une collection particulièrement destinée aux sociologues, et les sociologues comprennent parfaitement bien le contexte qui entoure ce livre. Pour nous, il est important qu’il y ait de plus en plus de livres dans ces pays-là sur ses sujets. »

« Il y a en effet des passages qui peuvent faire débat, et c’est tant mieux. Je pense que ce livre permettra des débats en Tunisie et j’invite d’autres sociologues à venir faire ces débats, qui peuvent faire réfléchir, là-bas, dans le monde arabe. »

« Pour moi c’est un bouquin parmi une dizaine d’autres que publie notre maison d’éditions. Ce mois-ci sort par exemple chez L’Harmattan un autre livre intitulé Santé Gaie. Ce qui montre la diversité des ouvrages que nous publions sur ce sujet. Nous publions également une revue sur les questions de genre. Pour nous cette diversité et la liberté totale des opinions est importante. C’est tout cela qui est intéressant. Et notre position est très claire, nous sommes pour le respect et la tolérance de tous et de toutes les sexualités », conclut-il.

 

Article publié avec l’aimable autorisation de Yagg.com (Bisous Judith).

 

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Alain Quemin

 

L’avis d’Alain Quemin :

Il est lamentable que L'Harmattan prête son concours à la diffusion d'idées qui sentent le ranci. Si l'on en croit le résumé ‒ qui ne semble avoir posé aucun problème ni à l'auteur, ni à l'éditeur de la collection, ni aux responsables des éditions l'Harmattan ‒, l'homosexualité constitue un « dysfonctionnement qu'il est possible et nécessaire de prévenir pour l'épargner aux enfants à naître » !!! Ce type d'idées réactionnaires ne relève pas de la liberté d'expression, car formuler des âneries est une chose, mais propager des idées dangereuses en est une autre. On se souvient comment, pendant la seconde guerre mondiale, d'aucuns ont cherché à remédier au "dysfonctionnement" (sic) qui touchait les homosexuels, pour leur plus grand bien, évidemment...

Alors que les dernières décennies ont vu remarquablement progresser l'acceptation sociale de l'homosexualité en France, les éditions L'Harmattan offrent la tribune d'une maison d'édition scientifique pour défendre des positions stupides, insoutenables, passéistes et dangereuses. Et L'Harmattan de se ridiculiser tout autant que l'auteur lorsque celui-ci prétend "démontrer" (sic) la thèse défendue.

Je trouve ces dérives très graves car elles témoignent d'une inadmissible carence du processus éditorial et scientifique aux éditions L'Harmattan. Cette maison aurait-elle laissé passer avec la même légèreté, la même inconscience même, un ouvrage tenant des propos révisionnistes ? Vu la gravité des propos tenus par l'auteur, on est en droit de se poser la question.

Je pense que tous les auteurs ayant déjà publié chez L'Harmattan voient remettre en cause le sérieux de leur travail, car il est clair à partir d'un cas aussi énorme, que le processus éditorial de L'Harmattan présente des failles et même des abîmes. Et en tant qu'auteurs, effectifs ou potentiels, de Sociologie de l'art et des actes relatifs aux rencontres Opus, nous sommes tous atteints par la diffusion par l'Harmattan d'ouvrages comportant des thèses détestables et qui, sous le couvert de la science, ne font que propager des idées réactionnaires insoutenables.

Seule consolation, l'ouvrage litigieux n'a pas été publié dans une collection de sociologie, mais de psychologie.

Vu la gravité des faits, je vous invite à protester comme je l'ai éjà fait auprès du service de presse de L'Harmattan à l'adresse suivante : presse.harmattan5@ wanadoo.fr.

Il me semble indispensable que L'Harmattan assume ses responsabilité s vis-à-vis du directeur de collection qui a laissé passer ce texte aux thèses détestables et présente des excuses pour retrouver un minimum de crédibilité auprès de la communauté scientifique.

J'ai toujours défendu qu'il existait de bons ouvrages publiés chez l'Harmattan lorsque j'ai débattu des maisons d'édition avec mes collègues, que ce soit au comité national du CNRS, au CNU puis à l'AERES. Mais que l'Harmattan publie maintenant des ouvrages aux thèses passéistes voire réactionnaires sous le couvert de la science, je trouve cela inadmissible et s'il ne s'agit pas d'une faute que L'Harmattan décide d'assumer comme telle, je me rallierai aux positions de ceux qui ont toujours marqué leurs distances avec cet éditeur.

Cordialement.

Alain Quemin

Professeur de sociologie

Université Paris-Est / Institut Universitaire de France / LATTS

 

Fiche technique :
Avec Alessandro Gassman, Francesca d’Aloja, Halil Ergun, Serif Sezer, Mehmet Gunsur et Carlo Cecchi. Réalisé par Ferzan Ozpetek. Scénario de Ferzan Ozpetek et Stefano Tummolini. Directeur de la photographie : Pasquale Mari. Musiques de Pivio Aldo De Scalzi.
Durée : 94 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé (dos du dvd) :
Architecte italien, Francesco apprend qu’il est l’héritier de sa tante Anita, qui vivait en Turquie. Il décide de partir à Istanbul afin de régler la succession. Arrivé sur place, il découvre que ce qu’il croyait être une maison est un réalité un hammam… Envoûté par Istanbul, Francesco retarde son retour en Italie et hésite à vendre le hammam. Sans nouvelles de Francesco, sa femme Marta se rend à son tour en Turquie et découvre un homme bien différent de celui qu’elle croyait connaître…

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L'avis de Daniel Conrad Hall :
Le hamman, ce lieu mystérieux si emblématique de la culture turque ou arabe. Derrière les portes et les brumes duquel, les hommes (ou les femmes) partagent des secrets et des rites qui titillent notre imagination. Et bien Hammam porte bien son nom et tient toutes ses promesses. Avant tout, c’est un film qui envoûte. Le terme n’est pas trop fort, un charme étrange opère dès les premières minutes du film. Tout d’abord grâce au talent et à la sensualité de son acteur principal, Alessandro Gassman, remarquable de justesse et de sobriété.

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Ensuite c’est Istanbul, la ville de tous les fantasmes, qui nous séduit grâce à ses charmes discrets (même les plus vénéneux). Istanbul, personnage à part entière de ce film, que l’on sent vivre, respirer, palpiter et qui, insidieusement, nous captive et nous capture. Mais aussi ce vieil hamman qui va abriter les amours interdits de deux jeunes hommes et qui va les conduire au drame. Et cette narration, assez étrange, entre poursuite des aventures du personnage principal, lecture de vieilles lettres très émouvantes, arrivée de la femme de notre « héros »… Tout participe à se sentir véritablement intégré à la trame de l’histoire et même au décor. Vous l’aurez compris, ce n’est pas tant l’intrigue qui compte, mais les sensations et les sentiments, le mystère et l’envoûtement, la sensualité et la suggestion, la poésie et la musique… Alors il faut bien admettre que si la magie a parfaitement opéré sur moi, d’autres resteront peut-être froids et détachés, car insensibles à cette tentative de séduction.

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Saluons tout de même le jeu remarquable de Gassman, de Halil Ergun et de Francesca d’Aloja, mais aussi la réalisation sobre et efficace de Ferzan Ozpetek qui réussit l’exploit de nous faire aimer Istanbul de l’intérieur et les turcs, dont cette famille si attachante. Hammam est une puissante invitation au voyage, une plongée dans les vapeurs moites, purificatrices et sensuelles d’un univers masculin décalé et pourtant bien réel. Acceptez de faire ce voyage, vous ne le regretterez pas…

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L'avis de
Yann Gonzales (avis donné à la sortie du film en 1998) :

Dans le marasme actuel du cinéma italien décrit depuis longtemps par de nombreux critiques et historiens, Hammam, présenté l'année dernière au Festival de Cannes dans le cadre de la "Quinzaine des réalisateurs", vient rappeler la diversité de la cinématographie italienne, dont le Festival d'Annecy se fait l'écho chaque année.
Francesco (Alessandro Gassman, talentueux fils de Vittorio), un jeune architecte romain, doit se rendre en Turquie pour hériter d'un hammam légué par une tante qu'il n'a jamais connue. Il y rencontre les membres de la famille chez qui vivait son aïeule. Ceux-ci l'adoptent très vite et, peu à peu, Francesco tombe amoureux de la Turquie et de son nouveau mode d'existence, avant de se décider à rénover le vieux hammam...

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Ferzan Ozpetek, dont Hammam est la première œuvre, a longtemps vécu entre la Turquie et l'Italie, ce qui permet au film d'échapper à un exotisme de pacotille, à un regard touristique dans l'appréhension cinématographique de l'univers turc (la représentation de l'Italie étant réduite à un lieu unique : l'appartement du couple).
Ozpetek parvient ainsi à créer un climat envoûtant et chaleureux, à travers sa vision de l'architecture orientale, son amour de la culture turque, et surtout l'indolence qui semble bercer le pays, malgré la menace d'un urbanisme grandissant qui le ronge telle une gangrène.
C'est d'ailleurs de son hédonisme revendiqué que Hammam tire ses séquences les plus touchantes. Les repas, par exemple, sont traités sur un mode festif dont les signes les plus aisément identifiables sont l'abondance de la nourriture et de la parole.

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Par contre, le film est d'une trop grande timidité dans son approche des corps. Car le véritable sujet du film est finalement celui du rapt d'un corps (celui de Francesco puis, plus tard, celui de Marta) par un pays. Malheureusement, Ozpetek l'élude quelque peu en privilégiant une sorte de suspense facile autour des amours de son héros.
Ainsi, Hammam joue le jeu des fausses pistes manipulatrices et roublardes, avant une scène de révélation qui s'apparente à un climax voyeuriste contrastant avec la limpidité du reste de l'entreprise.
Il devient alors évident que le film souffre d'une mise en scène trop approximative (utilisation un peu abusive de la caméra subjective pour souligner la situation de l'étranger, par exemple) pour aborder un thème aussi magnifique.
Malgré tout, Hammam demeure une belle œuvre de résistance dans sa façon de célébrer une civilisation qui risque de rendre l'âme (au sens fort) à tout moment.

P
our plus d’informations :




Fiche technique :

Avec Lara Flynn Boyle, Stephen Baldwin, Josh Charles, Alexis Arquette et Martha Gehman. Réalisé par Andrew Fleming. Scénario : Andrew Fleming. Directeur de la photographie : Alexander Gruszynski. Compositeur : Thomas Newman.
Durée : 90 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :

Eddy et Stuart partagent la même chambre dans leur campus universitaire. Suite à une erreur administrative, le troisième colocataire se trouve être une fille, Alex. Rapidement, les sentiments prennent place dans leurs vies, des sentiments croisés... Cette improbable situation va finalement les rapprocher pour le meilleur et pour le pire.

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L’avis de Dr Devo de Matière Focale :
Le sujet est inscrit dans le titre : lors d’une rentrée universitaire, trois étudiants sont amenés à partager un logement sur le campus – un macho fêtard (Stephen Baldwin), un jeune à l’homosexualité encore refoulée (Josh Charles) et une superbe jeune femme (Lara Flynn Boyle), qui va naturellement tomber amoureuse du gay, lequel est lui-même attiré par son colocataire qui pour sa part n’est pas indifférent aux charmes de, etc. On est donc, une fois de plus, face à un « film de college », genre fréquemment visité sur mon site (voir Slackers ou Les Tronches par exemple), et qui est loin de provoquer chez moi l’enthousiasme, ou du moins, pas systématiquement –je n’aime pas American Pie, par exemple. Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître les caractéristiques et le potentiel d’un genre à part entière, bien qu’il soit typiquement américain, et donc assez peu reconnu dans nos contrées (malgré quelques tentatives d’imitation redoutables du type Sexy boys), et même d’avoir beaucoup de sympathie (College attitude) ou parfois d’estime (Les Lois de l’attraction, ou le superbe Rushmore, à mes yeux le meilleur travail de Wes Anderson) pour une partie de ces films.

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Pourquoi ? Sans doute, tout simplement, parce que le film d’Andrew Fleming m’a semblé assez réussi – je n’aurais peut-être pas fait l’effort d’y jeter un œil si mes collègues ne m’avaient pas promis un très bon film, et j’avoue honnêtement que je n’en attendais pas grand-chose. D’autant plus que Fleming ne m’avait jusqu’alors pas impressionné par ses talents de cinéaste avec des films comme Panics ou encore, avec toujours un pied dans le film de « college », The Craft (Dangereuse alliance), film médiocre qu’il faut tout de même faire l’effort de voir pour la très belle performance de la trop rare Fairuza Balk.

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Attention : je ne suis pas en train de dire que 2 garçons, 1 fille, 3 possibilités est une merveille de mise en scène, loin de là : la réalisation n’a d’autre qualité que celle d’être fonctionnelle dans un registre purement illustratif. Mais les comédiens font un excellent travail, et apportent beaucoup de spontanéité au récit. Plus encore, la sexualité, qui dans ce genre de film est toujours omniprésente mais dans une approche assez creuse et parodique, est ici abordée de façon frontale, non sans parfois une certaine gravité ; le film traite de l’érotisme, de la sensualité, avec un indéniable tact, qui parvient à rendre assez touchant un métrage qui ne dérape, à l’occasion, que dans quelques scènes de comédie plus maladroites ou dans certains dialogues un peu téléphonés (dont une voix-off un rien lénifiante). La vraie limite du film, c’est surtout sa mise en scène conventionnelle (séquences-montages d’une insondable banalité, références appuyées à Jules et Jim, qui est un film que je déteste), mais on sent un projet sincère, qui n’évacue pas certains aspects très cruels du récit (le trio humilie une fille un peu cruche dans une séquence drôle et méchante à la fois) et qui parvient à développer un ton relativement personnel et attachant dans le cadre d’un genre aux pentes bien savonneuses. Un peu fabriqué, certes, mais loin d’être inexistant.

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L'avis de Surfeur51 :
Cette histoire d'une amitié amoureuse entre trois étudiants dans un campus américain, précurseur d'un genre qui allait fleurir dans les années suivantes, est d'un niveau beaucoup plus relevé que les American Pie et autres Allumeuses ! Les dialogues sont savoureux, et les situations cocasses mais crédibles. Alex, la fille, est attirée par Eddy, un garçon sensible et réservé, un peu intello, mais gay. Donc malgré le caractère extraverti, macho et grossier de Stuart, c'est plutôt vers lui qu'Eddy est attiré, alors que Stuart lorgne sur la belle Alex qu'il rêve de mettre dans son lit... Cette situation où les attirances physiques contrarient les connivences intellectuelles, et où l'amitié doit composer avec les peines de cœur et une certaine jalousie, conduit à des rebondissements scénaristiques traités à la fois sur les modes comiques, tendres, romantiques et quelquefois sérieux. Ce méli-mélo inextricable est aussi à l'origine de la seule vraie faille du scénario, à savoir trouver une fin satisfaisante. Ni triste, ni heureuse, la fin laisse le spectateur un peu sur sa... faim.

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Les trois acteurs principaux sont absolument parfaits dans leur rôle, d'un grand naturel (à aucun moment on ne se dit qu'ils jouent la comédie), et l'alchimie entre eux est étonnante. Ils sont tellement dans leur rôle que le réalisateur leur a laissé improviser de nombreuses scènes. Alex (Lara Flynn Boyle), d'abord contrariée de se retrouver avec deux garçons, révèle une nature généreuse, au caractère affirmé, légèrement extravertie (son hobby est de jouer au théâtre), un rien exhibitionniste. Eddy (Josh Charles) est sérieux et réservé. Il ne prend d'ailleurs conscience de son homosexualité qu'en côtoyant ses deux colocataires. Quant à Stuart (Stephen Baldwin), il est excessif, pas très fin, un tantinet macho et limite obsédé sexuel.

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Ces trois caractères dissemblables se rapprochent néanmoins dans une amitié sincère, que les attirances sexuelles vont compliquer. Le scénario approfondit essentiellement cette dualité amitié-sexualité, ce qui donne l'occasion à plusieurs épisodes d'un érotisme assez poussé, mais jamais gratuit. Ce ne sont d'ailleurs pas les scènes de nudité qui sont les plus osées (la baignade dans le lac est plutôt sage), mais celles où le réalisateur cadre les orgasmes d'Alex sur son visage particulièrement expressif. Les comédiens se sont d'ailleurs apparemment lancés sans retenue dans leur rôle, comme nous le révèle le réalisateur dans ses commentaires. Andrew Fleming fait preuve de beaucoup de tendresse envers son attachant trio de personnages, et il a inséré dans le scénario de nombreuses anecdotes personnelles vécues quand lui-même était en faculté. Son traitement de l'homosexualité masculine est par ailleurs d'une grande modernité pour un film tourné en 1993.

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Cette petite comédie n'a pas eu le succès qu'elle mérite, peut-être de part son classement restrictif lié au caractère érotique des scènes et à certains propos à la limite du scabreux. Mais cette peinture alerte, amusante et sans temps mort des rapports amour-amitié de jeunes adultes est une réussite notable, à voir ou revoir avec délectation.

Pour plus d’informations :

L'homosexualité dans le cinéma classique :

de la fascination inavouable au néo romantisme


— par Francis Moury —


Note : ce texte est paru initialement en deux parties dans les n°3 (Mars-Avril 1995) et 4 (Mai-Juin 1995) de la défunte revue Cinémascope, puis publié dans sa version intégrale, de surcroît revue et augmentée sur cineastes.net en 2003. Il a été retravaillé spécialement pour notre blog avec l’amical concours de son auteur.

 

Francis Moury est né en 1960 à Versailles. Ancien élève du lycée Louis le Grand (Paris) en 1979-1981, D.E.A. de philosophie de Paris-IV (Ontologie et métaphysique) en 1983. Agrégatif et doctorant à Paris IV (1984) et Paris I (1998). Membre de la S.A.C.D. (1991), Moury contribue régulièrement (en français comme en anglais) à divers sites Internet d'histoire et d'esthétique du cinéma mondial ainsi qu'au catalogue annuel de L'étrange Festival parisien. Certains écrits plus purement philosophiques, politiques et littéraires ont paru dans des revues (notamment Dialectique, Contrelittérature, La Soeur de l'Ange, Les Temps modernes)  ; d'autres sont édités en ligne sur le "blog" de Juan Asensio, Le Stalker-Dissection du cadavre de la littérature.

 

*

« À gratter à peine le joli vernis dont Gilling enduit ses réalisations, on trouve toujours à la base de cette atmosphère équivoque une véritable universalité (si l’on peut dire) de la perversion sexuelle. Non que la perversion constitue jamais un "sujet" pour Gilling; mais elle est constamment sous-jacente, inhérente à sa vision du monde. Nécrophilie (The Flesh and the Fiends), bestialité (The Reptile), homosexualité (The Plague of the Zombies) sont les constituants psychologiques de personnages qui, privés d’eux, n’auraient pas d’existence filmique. »
Jean-Marie SABATIER, Les classiques du cinéma fantastique, article John Gilling, p.182, éd. Balland, Paris 1973.

« Que l’amour ose ou n’ose pas dire son nom; qu’il soit, comme disent les gens, "normal" ou "anormal", les vérités de l’amour restent les mêmes. Et d’abord celle-ci : l’amour relève de la tragédie. Et L’ Escalier, film d’amour, est un film tragique. »
Jean-Louis BORY, Dossiers du cinéma - Les films, tome 2, article L’Escalier/The Staircase, p. 74, éd. Casterman, Belgique 1972.

I

 
Mis à part le domaine du cinéma pornographique (et de sa version aseptisée “soft” nommée pompeusement “érotique” par la critique), la représentation de la sexualité au cinéma est soumise à de multiples règles.
Les industriels du cinéma ont toujours eu pour but la rentabilité et ont toujours conçu leurs films comme des produits destinés à un marché. Ce marché étant le public le plus large possible, il était quasiment impossible de représenter le sexe d’une façon trop vériste et prégnante dans des produits de grande consommation. Les producteurs hollywoodiens ont toujours répété depuis 1920 que leurs films devaient pouvoir être vus, compris et aimés par des gens de 7 à 77 ans. Dès lors, les femmes et les enfants constituant une part non négligeable dudit public, ainsi que les personnes âgées, il n’était pas question de montrer au cours d’un film grand public une scène tant soit peu choquante. Les films étaient, avant tout, une distraction pour “toute la famille”.
De fait, jusqu’en 1950, la dichotomie était claire : courts-métrages pornos clandestins d’une part ou films grands publics d’autre part. Vers 1955 et plus encore vers 1960, les mœurs ayant évolué en Europe occidentale et en Amérique du Nord, les producteurs décidèrent finalement d’introduire des références plus explicites à l’amour physique dans leurs films. Ainsi “Tant qu’il y aura des hommes / From here to Eternity” (1953) de Fred Zinnemann provoqua un certain émoi du fait d’une torride étreinte entre Deborah Kerr et Burt Lancaster.
Il y avait eu des précédents : scène d’orgie dans la partie babylonienne du film de D.W.Griffith, “Intolérances” (1917) ou encore les plans fétichistes de Bunuel dans “L’âge d’or” (1930) et le “Chien andalou” (1928) sans parler du fameux “Erotikon” tourné en Tchécoslovaquie par Gustav Machaty en 1929. Une histoire précise du sexe au cinéma peut d’ailleurs en repérer bien davantage (Lo Duca & Maurice Bessy, Gérard Lenne, Jean-Pierre Bouyxou, pour ne citer qu’eux, y ont contribué dans leurs célèbres ouvrages sur ce sujet) mais ces précédents correspondaient à des tentatives isolées, marginales.

 

II

 

Il est certain que les années 60 ont été celles de la libération de l’image. De l’image mais aussi des sujets abordables par les scénaristes, et d’ailleurs effectivement abordés. Dont l’homosexualité explicite.
Certes les films français comiques des années 30 regorgent d’allusions comiques concernant l’homosexualité (féminine ou masculine) et cette tradition bien gauloise se perpétue régulièrement (Poiret et Serrault ont repris le flambeau, puis Depardieu et Michel Blanc plus récemment). Jacqueline Audry a déjà dépeint les aventures amoureuses des “Garçonnes” (1957), elle va bientôt s’attaquer à plus délicat : “Le Secret du chevalier d’Éon” en 1960 ! Quant à Jean Delannoy, il dépeint avec classe “Les Amitiés particulières” en 1964.
Mais le salut vient d’ailleurs. “The Servant” en 1963 et “L’Escalier” en 1969 adaptés d’ Harold Pinter par Losey puis Donen décrivent en profondeur les affres de la relation homosexuelle tandis qu’aux États-Unis le réalisateur
Mark Rydell recrée en 1967 avec une sensualité impressionnante la relation lesbienne décrite par D.H.Lawrence dans “The Fox/Le Renard”. “Un dimanche comme les autres / Sunday, Bloody Sunday” de John Schlesinger (1971) dépasse le simple constat enregistré dans “Midnight / Macadam Cow-Boy” deux ans plus tôt et oriente l’analyse vers la bisexualité et sa résonance psychologique. En 1968, “Flesh” de Morrissey invente un nouveau langage adapté à la réalité décrite : Joe Dallesandro chemine à la recherche de la pureté, entre drogue, transexuelles et climat social d’un New York quotidien et désabusé. Idem pour le deuxième volet : “Trash” (1970) et le troisième volet « Heat » (1972).
Cela n’empêche pas Gordon Douglas de dénoncer la traque policière dont sont victimes les homosexuels à l’occasion d’une enquête menée par “Le Détective” (1968) dans lequel Sinatra descend aux enfers new-yorkais. Même chose pour Henri Fonda qui est amené à deux reprises à fréquenter les lesbiennes et les homosexuels de Boston dans “The Boston Strangler / L’Étrangleur de Boston” (1968) de Richard Fleisher.
En 1969 Tony Tenser, le sémillant producteur de la britannique Tigon Pictures, lance sur le marché le premier film érotique anglais explicitement consacré aux amours lesbiens : “Monique” avec Sibylla Kay et Joan Alcorn ! Quant aux Nordiques, ils n’ont pas attendu pour aborder les aspects les plus réalistes des variétés de l’amour : “Je suis curieuse - version jaune” de Sjöman date de 1967. Les Italiens ne sont pas en reste puisque “Les Garçons” de Bolognini datent de 1963.

 

III

 
Cependant le traitement de front de l’homosexualité est beaucoup moins riche que son traitement allusif dans l’histoire du cinéma. Moins riche quantitativement en tous cas. Et c’est par le biais du cinéma de genre qu’il faut passer pour apercevoir la grande richesse du sujet dans l’histoire du 7ème art.
En effet, la France ne cesse de lorgner vers les homosexuels et les lesbiennes dans son cinéma policier populaire classique. Les films de Decoin, de Ralph Habib, de Robert Vernay, de José Bénazéraf qui relèvent de ce genre contiennent de très nombreuses suggestions de relations homosexuelles. Qu’il s’agisse de “Nuit blanche et rouge à lèvres” (1957), “Les Compagnes de la nuit” (1953), “Razzia sur la chnouff” (1954), “La Drogue du vice / Le Concerto de la peur” (1961). Mentionnons bien sûr les films de Bresson “Les Anges du péché” (1943) contant la trouble amitié entre une aventurière maudite et une soeur fascinée ainsi que “Les Dames du Bois de Boulogne” (1944) qui pénètre les tréfonds de la perversité humaine. Aucune vulgarité mais un climat moite, tendu, étouffant plus sexuel que la moindre comédie érotique moderne avec Jane Birkin ou Mireille Darc.
La Grande-Bretagne aborde le thème homosexuel par le biais du cinéma policier - The Victim (GB, 1961) de Basil Dearden, par exemple – aussi du cinéma nudiste d’Harrison
Marks mais surtout par celui du cinéma fantastique, au premier chef celui de la Hammer Film : “Les Maîtresses de Dracula/The Brides of Dracula” (GB 1960) de Terence Fisher contient quelques scènes stupéfiantes par leur force et leur densité dramatique de vampirisation d’un homme par un homme et d’une femme par une femme. Roy Ward Baker reprendra plus explicitement le flambeau dans les années 70 avec “Scars of Dracula / Les Cicatrices de Dracula” (aux options “délibérément fétichistes et homosexuelles” comme l’écrivait Sabatier, op. cit.) et “The Vampire Lovers” qui contient de troublantes scène entre Ingrid Pitt et Madeline Smith d’après “Carmilla” de l’écrivain gothique Sheridan Le Fanu. La peur au cinéma passe par le jeu névrotique avec le désir. L’homosexualité du châtelain, à la tête d’une escouade de jeunes cavaliers blonds et racés, est nettement posée dans “The Plague of the Zombies / L’Invasion des morts-vivants” (John Gilling, 1965) mais elle se double d’un désir de domination et d’un narcissisme, tous deux forcenés. L’héroïne de “The Reptile / La Femme-reptile” vit cloîtrée avec son père, à l’origine d’une malédiction qui la transforme périodiquement en serpent avide.
L’Italie suit le chemin rapidement : Mario Bava centre l’intrigue du sketch d’ouverture des “Trois visages de la peur/ I tri volti della Paura” (1963) sur la lutte entre une lesbienne et un proxénète, déterminés à reconquérir une Michèle Mercier terrorisée. Unité de temps, de lieu et d’action pour ce pur joyau dont la perversité scintille toujours d’un très sombre éclat. Antonio Margheriti orchestre pour sa part une “Danse macabre / Danza Macabra” (1963) placée sous le signe cormanien d’Edgar Allan Poe. La star Barbara Steele y incarne une jeune femme bisexuelle maudite, fantôme condamné à revivre les affres d’une passion brûlante et meurtrière. Comme chez Roger Corman, les éléments du décor et le découpage temporel de l’action renvoient à l’interprétation freudienne des rêves. Margheriti en fera un remake 8 ans plus tard (“Nella Stretta Morsa del Ragno/Les Fantômes de Hurlevent”) avec Klaus Kinski et Michèle Mercier.
Par ailleurs, le peplum italien des années 1955-1965 fourmille de transcriptions de scènes homosexuelles suggérées. Non seulement certains titres (“Sapho, vénus de Lesbos/Saffo, venere di Lesbo” de Pietro Francisci, 1960) mais certaines scènes précises dépeignent les amours interdites : ainsi la rencontre d’Hercule avec les Amazones lesbiennes et bisexuelles tueuses dans “Hercule et la reine de Lydie / Ercole e la regina di Lydia” (1958) encore de Francisci et dont la direction de la photo fut assurée par Mario Bava.
Le film de guerre est régulièrement infiltré par une homosexualité sous-jacente. Elle peut être explicite chez l’un des personnages (comme dans “Aces High / Le Tigre du ciel” réalisé par Ja
ck Gold en 1975) ou suggérée par une misogynie forcenée (Aldo Ray dans “The Naked and the Dead / Les Nus et les morts” de Raoul Walsh en 1958). Elle peut aussi prendre la forme d’un rapport quasi sado-masochiste entre supérieurs et subordonnés (“Between Heaven and Hell / Le Temps de la colère” 1956 de Richard Fleischer) ou entre soldats d’un même commando (“Too Late the Hero / Trop tard pour les héros” 1970 de Robert Aldrich).
Le morceau de roi de la suggestion de l’homosexualité est probablement l’oeuvre d’Hitchco
ck. Cette facette de son oeuvre a d’ailleurs été récemment mise en lumière. Il est certain que l’homosexualité est dessinée et sous-jacente dans le lien criminel qui unit les deux protagonistes mâles de “Stranger on a Train / L’Inconnu du Nord-Express” (1951). Même chose pour les deux étudiants nietzschéens de “The Rope / La Corde” (1948. De même, la relation de Ray Milland et d’Anthony Dawson qui aboutit à la tentative d’assassinat de Grace Kelly dans “Dial M for Murder / Le Crime était presque parfait” (1954).

 

IV

 
Aux États-Unis, vers 1965, un phénomène marginal influence vraiment la donne : la production et la diffusion dans les salles populaires de Californie et de New York de petits films appelés “Nudies” correspondant à nos « érotiques » européens qui rivalisent d’audace visuelle et de modernité de ton. Ils sont consacrés aux déboires de nymphomanes insatiables, aux rivalités amoureuses des nudistes, etc.. Tournés en 16mm noir et blanc ou couleurs, ils sont souvent diffusés en double programme à la suite d’un thriller ou d’un musical tard le soir.
Une libération grandissante transfère ces scènes dans des productions intellectuelles de prestige vers la fin des années 65/70. Ainsi le baiser lesbien de madame Anaïs à Catherine Deneuve dans “Belle de jour” (1966) de Bunuel est diffusé en grande pompe dans les plus prestigieux réseaux de distribution de la cinématographie parisienne.
Cette libération a culminé dans les années 1970-75 (date de l’apparition des salles de cinéma X et des sex-shops en Europe et aux Etats-Unis). À cette époque, les scènes d’amour physique sont monnaie courante dans tous les genres classiques du cinéma. Les films sexy ou érotiques de tous acabits envahissent les écrans, prélude à la vague X qui déferle dès 1975.
Pasolini (“Théorème”), Visconti (“La caduta degli dei / Les Damnés”), Fellini (“Satiricon”), Ken Russel (“Love”) parsèment leurs films des figures variées de la perversion, pour le plus grand plaisir des cinéphiles intellectuels et du grand public. Derek Jarman, mort récemment, se paye le plaisir de tourner une peinture homosexuelle du martyr de Saint-Sebastien, parlée en latin classique : “Sebastiane” (1976). Pasolini montre un coït homosexuel quasiment hard dans “Salo...” (1976). De cette frénésie ambiante de l’époque ressort d’abord l’incroyable liberté de ton qui s’installe en Italie : Edwige Fenech et ses consoeurs (Nadia Cassini, Rosalba Neri, etc.) installent les scènes de lesbienne dans la comédie populaire italienne avec nonchalance et décontraction. Les bonnes soeurs des couvents de Rimini passent leurs temps en orgies lesbiennes animées par les brûlantes Anne Heywood (vedette du “Renard” de Rydell déjà cité) ou Tina Aumont, entre autres égéries. En Espagne, Lina Romay et Jess Franco oscillent avec panache entre les versions soft et hard (“Les Inassouvies N°2 / Plaisirs à trois”, 1973) d’un même film. L’audace d’un film comme les “Les Biches” (1968) de Chabrol est bien dépassée visuellement même si l’art cinématographique n’a pas vraiment gagné au change.
Il est cependant clair que l’homosexualité féminine est bien plus montrée que la masculine. Il y a, à cette époque, très peu de scènes érotiques « soft » entre hommes. Patrice Chéreau passe à l’acte avec “L’Homme blessé” au début des années 1980. Jean-Claude Guiguet, ancien assistant de Vechialli, n’hésite pas à suggérer le viol homosexuel carcérale dans une séquence de “Les Belles manières” (1981) tandis que The Onion Field / Tueurs de flics (USA 1979) d’Harold Be
cker approfondit une veine déjà bien entamée par Riot / La Mutinerie (USA 1969) de Buzz Kulik et certains autres films américains de prisons pour hommes : la description allusive ou explicite de l’homosexualité carcérale, qu’elle soit volontaire ou non. William Friedkin, l’auteur de “French Connection” et “L’Exorciste” réalise un hallucinant document policier sur les boîtes “cuir gay » à New York dans “Cruising” (1981). Al Pacino jouait le rôle d’un inspecteur chargé d’infiltrer ce milieu pour y débusquer un assassin psychopathe. Il réussissait mais la fin suggérait que le masque qu’il avait dû porter finissait par lui coller à la peau. Le film fut très discuté lors de sa sortie.
Cette période de liberté est aujourd’hui en régression. Si le X bi, homo ou hétéro persiste et signe dans le cadre d’une offre pléthorique, paradoxalement le cinéma traditionnel délaisse les excès de la période précédente.
Considérons par exemple le genre à part entière que représente le film de “prison de femmes” aux États-Unis. Il est amorcé dans sa renaissance contemporaine, par les films de Ja
ck Hill et la partie centrale de “Jackson County Jail / La prison du viol” (Miller, 1976) produits par Corman. De 1975 (“Caged Heat / Cinq femmes à abattre” de Jonathan Demme avec Barbara Steele) à 1985 environ (“Caged Heat / Les Anges du mal” (1983) de Paul Nicholas avec Sybil Danning et Stella Stevens, “The Naked Cage / La Cage aux vices” (1985) toujours de Paul Nicholas avec Christina Whitaker), ce genre contraignant en soi est le parfait exemple d’un “art d’assouvissement” destiné à un public avide de sensations fortes. La partie italienne du genre a encore renforcé cet aspect : “Pénitencier de femmes” de Mattéi avec Laura Gemser, par exemple. Cette contrainte engendre des oeuvres surprenantes par leur érotisme et leur liberté de ton, leur violence et leur acuité. Perçus comme complaisants par les critiques (qui reconnaissent à l’occasion leur qualité formelle et leur force dramatique), ces films sont parfois proches du surréalisme qu’Ado Kyrou décelait dans “Gun Crazy / Le Démon des armes” (1950) de Joseph H. Lewis. Notons que dernières années, tout a changé. Les films de ce genre sont conçus comme étant des produits télévisuels et non plus cinématographiques. Ils axent leur thématique sur un réalisme social larmoyant, sur la réinsertion et le rachat...La charge érotique et onirique d’un film comme “I Am a Fugitive From a Chain Gang / Je suis un évadé” (1933) de Mervyn Le Roy est totalement évacuée par ces productions télévisuelles récentes.
Ainsi le scandale provoqué aux États-Unis par le corps nu de Michael Douglas, et ses étreintes avec Sharon Stone (elle-même impliquée par le sujet du film dans une liaison lesbienne avec la toujours bandante Dorothy Malone !) dans “Basic Instinct” (Paul Verhoeven, 1991) est-il bien la preuve du retour en force d’un néo-puritanisme toujours vivace. Même si celui-ci est régulièrement battu en brèche : “Showgirls” (Verhoeven, 1995 avec Gina Gershon), “Bound” (Wachovski Brothers, 1996 aussi avec Gina Gershon), “Boogie Nights” (Anderson, 1998) en constituent trois exemples étonnants.
En France, le C.S.A. (sigle qui ne signifie pas forcément “Carabine Semi Automatique” mais désigne un organisme indépendant de contrôle des images diffusées par les chaînes de télévision publiques et privées) veille au grain. M6, revenant d’ailleurs aux principes fondateurs du code promulgué par William Hays de 1930, annonce d’une voix acidulée que ce film peut être vu par toute la famille ! La boucle n’a jamais été plus bouclée. Mais le paysage audiovisuel français a toujours été un paradoxe dont “Baise-moi !” (V. Despente & Coralie, 2000) n’est pas le moindre exemple.
C’est donc la France qui permet la naissance du premier film grand public sur les amours bisexuels en pleine tornade SIDA : “Les Nuits fauves” (1993) dont le romantisme fiévreux renvoie presque au phénomène qu’avait été “Le Diable au corps” d’Autant-Lara en 1946. Mais la génération d’aujourd’hui ne lutte plus pour l’amour libre, comme celle des adolescents d’après-guerre ou celle des années 70. Elle lutte (surtout celle qui avait 20 ans en 1980 et qui fut frappée de plein fouet) pour sa survie. Ce ne sont plus les contraintes familiales ou sociales qui s’opposent au bonheur des amants mais un ennemi invisible et redoutable : la peur de la mort. Situation dramatique inédite qui s’applique désormais à toutes les formes de sexualité. Le film a eu un très profond retentissement chez le grand public traditionnel de province. Il a été plus discuté par les représentants des communautés urbaines les plus touchées et les plus concernées, à la date de sa sortie. Seul le recul permettra de juger exactement son impact réel.
Ce n’est en tout cas pas un hasard si la peinture contemporaine de l’homosexualité masculine passe souvent par le vieux prétexte du “documentaire social” sur la prostitution. La meilleure illustration de cette tendance est probablement “Forty Deuce / New York, 42ème rue” (1981) signé par l’auteur de “Flesh”, Paul Morrissey. Citons aussi le récent “J’embrasse pas” (1992) de Téchiné qui brosse un portrait intimiste et réaliste de la prostitution à Paris.

 

V

 
Il serait par ailleurs injuste de terminer cet article sans mentionner la pauvreté du regard cinématographique français et étranger sur les transexuelles : nous voulons surtout parler – car ce sont surtout « elles » qui sont l’objet des rêveries cinématographiques les plus érotiques - des transexuelles d’origine masculine devenues androgynes (devenues, pour être plus précis, de ravissantes et ambivalente « she-male » au sens que ce terme recouvre dans la pornographie : une très belle femme avec un sexe d’homme) et le demeurant volontairement, bien davantage que de celles ne voulant pas le demeurer. Mis à part Almodovar (“La ley del deseo / La Loi du désir” 1986) qui confie peureusement le soin à l’actrice Carmen Maura d’incarner (de façon assez convaincante et sexy, il est vrai) une « trans » très « intello » et Imanol Uribe (“Le Sexe du diable” 1987) où la transexuelle (une Espagnole encore une fois) n’est pas spécialement attrayante mais est présentée de façon positive, le bilan est maigre. Car on ne peut pas dire que Jean Carmet/Mona représente exactement la transexuelle typique que l’on peut rencontrer aujourd’hui dans les grandes cités européennes ! Même chose pour la transexuelle psychopathe et caricaturale de “Change pas de main” (1975) de Paul Vechialli, qui prêche en revanche la bisexualité féminine au travers de la belle Miriam Mézière.
Ces reines des nuits occidentales qui débauchent les clients de ces dames depuis maintenant 15 ans n’apparaissent que comme silhouettes d’arrière-plan dans des films policiers parfois ambitieux et collant bien au climat de l’époque où ils ont été tournés (“La Balance” de Bob Swaim 1982 , “Brigade des moeurs” (1986) de Max Pecas).
La variété géographique et esthétique des transexuelles, leur violence et leur exotisme, leur qualité d’androgynes primitives et flamboyantes, leur beauté absolue souvent bien supérieure à celles des femmes « naturelles » pourraient offrir maints sujets aux scénaristes et aux cinéastes mais ne semblent guère exploitées (mis à part, bien sûr, dans l’industrie pornographique : les romans-photos, films Super 8mm, 16 & 35 mm, vidéos dont elles sont les vedettes y constituent même un sous-ensemble à part entière). La raison en est sans doute que la matière première (les « trans » elles-mêmes) n’est guère malléable et ne se plie pas facilement aux impératifs d’un tournage professionnel, en dépit d’exceptions qui confirment la règle. Ce ne sont certes pas les sympathiques oeuvres de Philippe Clair (“Si tu vas à Rio....” avec la brésilienne Roberta Clause) ou Robert Thomas (“Les Brésiliennes du Bois de Boulogne” avec d’authentiques brésiliennes) qui changeront quelque chose à ce triste état de fait.
Il faut en fait, pour trouver l’oiseau rare, quitter l’Europe et revenir au Japon, en 1968. L’un des plus beaux films du monde : “Le Lézard noir / Kurotokage / Kuro tokage” du génial Kinji Fukasaku, est interprété par Akihiro “Miwa”, sublime transexuelle japonaise qui tient le rôle d’une sorte de Fantômas nippone, triste, langoureuse, étincelante, dangereuse. Donnée comme telle par son rôle, la très érotique et très vamp “Miwa” n’a pas pris une ride et provoque toujours, dans les temples de la cinéphilie parisienne où le film est régulièrement projeté, de troubles émois chez les jeunes gens intellos et des rires méchants et jaloux chez les midinettes qui les accompagnent. Mentionnons aussi un étrange thriller d’Alberto de Martino (signé Martin Herbert) tourné avec des capitaux américano-canadiens, intitulé “Una Magnum Special per Tony Saitta / Special Magnum / Blazing Magnum” (1976) avec Stuart Whitman et Carole Laure dans lequel une transexuelle était le moteur de l’intrigue, ultra violente et assez shakespearienne.

Annexe 2005 : si les thèmes de l’homosexualité masculine comme féminine poursuivent leur histoire du cinéma d’une manière de moins en moins marginale, de plus en plus fouillée, on doit noter que la situation des transexuelles au cinéma a elle-aussi évolué récemment : Wild Side (Fr. 2003) de Sébastien Lifshitz pose sur elles – nous tenons à ce « elles » qui fonde ontologiquement l’ambition esthétique des intéressées même s’il aboutit de facto à un « il/elle » fondamentalement encore plus érotique qu’un simple « elle » pur ! - un regard intimiste très sympathique car beaucoup plus approfondi et lucide qu’à l’accoutumé.
Certes encore une fois, la prostitution est un aspect du sujet mais c’est dans une mesure toute différente. Elle n’est plus tout LE sujet. Et plusieurs films français de la fin des années 1990 et du début des années 2000 – que nous ne pouvons tous citer car ils sont assez nombreux, trop pour une simple annexe - ont accordé, souvent moins dans leur continuité qu’à l’occasion de séquences importantes, une telle qualité de regard aux intéressées.
En revanche, Irréversible (Fr. 2002) de Gaspard Noé persiste à véhiculer, dans les quelques séquences où elles apparaissent, l’image brute : « transexuelle=prostituée exotique et rien d’autre ». Volonté de détruire le cliché par son outrance ? Volonté de le confirmer ? Avec un cinéaste virulent comme Noé, tout est possible et rien n’est sûr. On lui laisse, de justesse et par amitié, le bénéfice du doute. Non sans noter, tout de même, qu’il aboutit rétrospectivement à prendre l’exact contrepied, en somme, du film mesuré et sensible, très ambitieux et tout aussi beau plastiquement de Sébastien Lifshitz.
Le cinéma mondial étranger récent n’est pas en reste : les transexuelles sont devenues un sujet de films relevant de bien des genres. Toujours des comédies, certes, et pas toujours mauvaises ! Après tout, le remarquable film français« Adam est…Ève » (Fr. 1954) de René Gaveau était déjà la preuve la plus étonnante de ce qu’on pouvait faire dans ce domaine avec un tel thème, et le résultat était foncièrement sympathique pour la cause de nos chères reines. Mais aussi des drames psychologiques, des comédies dramatiques, des films d’avant-garde parfois expérimentaux (tendance surréaliste comme hyper-réaliste), des films, enfin, de genres plus populaires ou commerciaux mais efficaces dans lesquels les « trans » peuvent tenir des rôles enrichissant telle ou telle séquence d’un érotisme novateur.

Cette annexe n’a qu’un but fondamental : montrer que l’histoire d’un cinéma de la transexualité (nous n’avons ici évoqué que sa nuance majeure mais bien d’autres existent) demeure à écrire, qu’il s’agisse d’une histoire mondiale ou simplement française.


 
FIN


N.B. : Je me suis volontairement limité au cinéma long-métrage de fiction, distribué dans un cadre commercial. J’ai donc écarté les courts-métrages, les documentaires vidéos, T.V., les films “militants” ou “activistes” des communautés homosexuelles, consacrés, par exemple, aux témoignages sur le combat contre le SIDA. Ils ressortent pourtant, assurément, à l’histoire générale du cinéma.

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Fiche technique :

Avec Yannick Renier, Léa Seydoux, Nicole Garcia, Théo Frilet, Pierre Perrier, Micheline Presle, Gérard Watkins. Réalisation : Sébastien Lifshitz. Scénario : Vincent Poymiro,Stéphane Bouquet et Sébastien Lifshitz. Image : Claire Mathon. Montage : Stéphanie Mahet. Musique : Marie Modiano, John Parish, Jocelyn Pook.

Durée : 90 mn. Disponible en VF.

 

 

Résumé :

C’est l’été, Sam (27 ans) file tout droit vers le sud au volant de sa Ford. Avec lui, un frère et une sœur rencontrés au hasard de la route : Mathieu et Léa. Léa est belle, pulpeuse et archi féminine. Elle aime beaucoup les hommes, Mathieu aussi. Partis pour un long voyage, loin des autoroutes, en direction de l’Espagne, ils vont apprendre à se connaître, s’affronter, s’aimer. Mais Sam a un secret, une ancienne blessure qui l’isole chaque jour un peu plus. Séparé de sa mère depuis l’enfance, ce voyage n’a qu’un seul but : la retrouver.


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L’avis de Frédéric Mignard :

Par le réalisateur de Presque rien et Wild side, un road-movie atteint de jeunisme qui dérape souvent pour ne retrouver sa route que dans sa dernière partie.

Cinq ans après Wild Side, Sébastien Lifshitz, également auteur de Presque rien (2000) et de La traversée (2001) revient au cinéma. Ces longues années d’absence ne confèrent pas plus de maturité au regard du cinéaste, qui se lance dans un road-movie épris de jeunesse, d’insouciance et de révolte à l’égard de la figure maternelle, mais sans la perspicacité de Téchiné ou des Miller, père & fils, dans le récent Je suis heureux que ma mère soit vivante auquel on pense ici beaucoup.

Deux beaux mecs et une jeune femme farouche secrètement enceinte longent les côtes en direction de l’Espagne, dans la voiture d’un inconnu. Lui, la trentaine entamée, silencieux et ténébreux, est forcément magnétique aux yeux du trio de jeunes auto-stoppeurs. La liberté de la route et de l’anonymat aidant, ils vont découvrir leurs corps. Se mettre à nu ou au contraire se murer davantage dans leurs névroses. Se chercher et se trouver. Provoquer l’autre pour réussir à percer ses secrets.

Le point de départ de l’aventure est un trauma de môme. Celui du conducteur du véhicule aux mystères indicibles, dont on perçoit la tragédie par flashbacks, insérés maladroitement. Drôle d’idée que de confronter sa blessure vive aux sempiternels codes homo-érotiques et sensuels. À trop dénuder les corps de ses personnages, sans réelle légitimité, si ce n’est celle de célébrer leur beauté juvénile avec tendresse et générosité, le cinéaste s’écarte souvent de son chemin. Parti pour infiltrer la complexité des douleurs mentales d’un homme brisé dès la petite enfance, Lifshitz ponctue son métrage d’étapes digressives, qui, dans un autre contexte, auraient peut-être pu charmer, mais ici elles desservent un propos qui ne gagne en valeur que dans la dernière partie du métrage, avec notamment l’intervention du personnage de Nicole Garcia, remarquable en femme dépressive sur la voie de la rédemption.


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L’avis de Voisin blogueur :

C’est l’été et Sam (Yannick Renier) a décidé de partir sur la route. Direction l’Espagne pour retrouver sa mère, fraichement sortie de l’hôpital psychiatrique où elle séjournait depuis 20 ans. Avec lui dans la voiture : Léa (Léa Seydoux) et son frère Mathieu (Théo Frilet). La première vient d’apprendre qu’elle est enceinte et ne sait pas si elle va garder le bébé, elle s’ennuie constamment et passe sa vie à fuir. Le second suit Sam comme un petit chien, espérant qu’un jour il daignera répondre à ses avances. Se joint au voyage le joli Jérémie (Pierre Perrier), rencontre de hasard de Léa qui compte bien faire succomber la belle. Alors que les kilomètres défilent entre délires insouciants et prises de tête, les fantômes du passé reviennent hanter Sam. Sa confrontation à venir avec sa mère le rend inquiet. Une mère qui a fait de son enfance un cauchemar. Une enfance marquée par la mort tragique et l’absence de son père. Au milieu des vagues et des fêtes, nos jeunes trouveront-ils l’amour sur leur route ?

Début de film explosif avec un générique sexy et ravageur : Léa Seydoux danse comme une tigresse devant un Yannick Renier perplexe. « Toujours rien ? » lui demande-t-elle. Non. Le personnage de Sam n’est pas très démonstratif, c’est le moins que l’on puisse dire. Un garçon solitaire, même quand il est avec les autres, renfermé sur lui-même, incapable de témoigner le moindre signe d’affection. Le gentil Mathieu le cherche, l’attend, mais rien. Progressivement des flashbacks nous montrent Sam enfant, nous montrent ce qui l’a amené à devenir ce qu’il est, un être incapable de composer avec l’amour des autres, fuyant. Le problème vient de la mère, une relation difficile, complexe, comme c’est souvent le cas dans le cinéma de Sébastien Lifshitz (les mamans de Presque Rien et Wild Side étaient sur le point de mourir, ici maman est folle). Privé d’une enfance normale, Sam se cherche encore et espère peut-être se trouver sur la route. Il a un frère, ils ne sont plus très proches. Sans s’en rendre compte, Sam a finalement trouvé une famille de substitution avec ses amis de passage, Léa et Mathieu, tout aussi largués que lui.


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Plein sud est une véritable invitation au voyage, 1h30 passée entre les routes et les arrêts. Un spectacle de toute beauté, des plans aérés, qui laissent la nature s’exprimer et refléter les états d’âmes vaporeux des protagonistes. Il y a tout le métrage durant une ambiance de vacances, le soleil qui tape sur les têtes, les vagues qui invitent à la baignade mais qui laissent aussi présager la fougue et la fugacité des sentiments, qui rappellent les difficiles souvenirs. Par un montage habile, le réalisateur dessine progressivement les contours d’un garçon abimé par le passé, qui avance sans bien regarder devant lui, peine à s’ouvrir au monde et aux autres. Au devant de sa voiture, Sam a le regard inflexible, il ne s’autorise rien. Si on avait déjà pu admirer la beauté plastique et les talents d’interprétation de Yannick Renier auparavant, Lifshitz lui offre ici indéniablement son plus beau rôle, d’une sensibilité assez inouïe.

Sam garde avec lui un flingue, le flingue avec lequel son père s’est un jour mis une balle dans la tête. Un objet qui représente à la fois les stigmates d’un passé insupportable et qui, en même temps, est la dernière chose qu’il lui reste de cet homme qu’il aura au final peu connu. On pourrait vite dire que le gaillard se tire lui-même une balle dans le pied, qu’il refuse de tourner la page même si son voyage est bien entendu porteur de l’espoir de faire la paix avec lui-même. Si Yannick Renier porte le film en grande partie, il est entouré de jeunes comédiens aux partitions diablement séduisantes. Théo Frilet joue parfaitement l’amoureux transi et l’ébauche de relation entre les deux garçons aura de quoi susciter de vives émotions. Quant à Léa Seydoux, elle est juste parfaite en bimbo malgré elle, refusant de croire à l’amour pour se donner une carrure mais flanchant peu à peu au contact d’une romance de vacances qui pourrait qui sait se muer en quelque chose de bien plus profond. À la fois drame familial pudique et tranche de vie sur une jeunesse en errance, Plein sud regorge de chaleur, de beauté, de moments futiles et de questions propres à un âge sensible. Comme le dit si bien la magnifique chanson de Lesley Duncan , “Love Song, que l’on trouve au centre du film : « The words i have to say well may be simple but they’re true / Love is the opening door, love is what we came here for (…), love is the key we must turn ». On n’aurait pas dit mieux pour ce road-movie sensuel et habité qui caresse nos yeux et notre âme par sa belle et touchante simplicité.


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L’avis de Bernard Alapetite :

Voilà un film pour lequel je suis parti avec les meilleurs a priori. Tout d'abord il est signé Sébastien Lifshitz, un cinéaste dont tous les films précédents, même s'ils n'étaient pas exempts de défauts, ont retenu mon attention tant par leur fond que par leur forme aux savantes déconstructions. Mais c'est surtout l'alléchant casting qui m'y a fait courir à la première séance. Lifshitz a eu l'excellente idée de confier le rôle pivot de Plein sud à Yannick Renier qui me semble être un des acteurs trentenaires français (en fait il est belge) les plus talentueux et malheureusement les plus sous-employés. Il était formidable dans Nés en 68 et très bien aussi dans Un Élève libre, deux films qui (à mon avis) n'ont pas eu les échos qu'ils méritaient. On retrouvera bientôt Yannick Renier, au printemps prochain, dans le nouvel opus de Ducastel et Martineau, L'Arbre et la forêt.

Lifshitz argumente avec beaucoup de pertinence pourquoi il a choisi cet acteur : « La première fois que j’ai vu Yannick Renier, il m’a tout de suite fait penser à un acteur américain. Par son charisme, son physique, son corps très sec, son regard affirmé et très perçant, il me faisait un peu penser à Clint Eastwood jeune, notamment dans les films de Sergio Leone. Pour moi, Yannick possède ce genre de physique-là. D’ailleurs durant le tournage, je lui ai demandé d’avoir très peu d’expressions : son visage se présente vraiment comme un masque. Les très rares expressions qu’il a dans le film sont là pour lui donner une présence physique directe, brutale, sans psychologie. Je voulais que, par sa froideur et sa mise à distance, le présent du personnage fasse contre-point avec son passé, où on le voit dans des situations chargées d’affects et d’émotions. D’où un effet de collage qui fonctionne dans la confrontation du passé avec le présent, et qui peut rappeler certaines attitudes de cow-boy. »

On poursuit par deux des acteurs les plus craquants de leur génération. D'abord Pierre Perrier qui réussit à être bon dans un film aussi mauvais que Chacun sa nuit et surtout Théo Frilet. J'avais admiré autant le jeu que la plastique de ce garçon, les deux sans défaut, lorsque je l'avais découvert dans Nés en 68. Lifshitz explique son choix des deux autres garçons : « Théo Frilet, avec son côté "petit prince", sa gueule d'ange, incarnait immédiatement la part romantique de son personnage. Pierre Perrier, c'est le garçon terrien, charpenté, le surfeur. Ils sont tous une sorte de cliché de la jeunesse d'aujourd'hui. Mais petit à petit, il se dégage de ces "figures" quelque chose de plus profond. »

On continue par Léa Seydoux qui était lumineuse dans La Belle personne et qui ici, en Lolita de Prisunic, est d'une sensualité ravageuse qui m'évoque celle de Brigitte Bardot dans ses premiers rôles.

Je passe sur Nicole Garcia toujours aussi tête à claques mais parfaite dans son rôle de mère borderline, pour en arriver à Micheline Presle qui enchanta jadis ma pré-adolescence dans Les Saintes chéries vers 1965…

Et bien malgré ce casting, pour moi de rêve, qui fait qu'également tous les petits rôles sont parfaitement interprétés, Plein sud est un film raté.

Le plus curieux est que je ne lui vois pas de défauts rédhibitoires et je peine à cerner ce ratage.

L'image est constamment belle et Claire Mathon se hisse au niveau d'Agnès Godard à qui l'on devait les superbe vues de Wild Side, le précédent film du réalisateur, c'est tout dire.

Dans Plein sud les couleurs sont souvent pimpantes, format scope, couleurs saturées. Plus encore qu'à son habitude, Lifshitz s'y montre grand paysagiste. Quelle science du repérage pour nous donner des décors à la fois beaux et inattendus !

J'avancerais que le relatif échec du film (j'ai pris tout de même beaucoup de plaisir à le voir et ses personnages lacunaires habiteront longtemps mon esprit, à tel point que j'aimerais demander au cinéaste de nous donner un Plein sud 2 pour en savoir un peu plus sur eux) tient à son hétérogénéité que le type du film, le road-movie, ne parvient pas à unifier. Lifshitz n'est pas parvenu à fondre son film solaire dans ses obsessions coutumières. Le collage entre une américanité revendiquée, par le type même du film, le road-movie, mais aussi par le choix des acteurs, qui paraissent assez peu français, et l'aspect social de l'histoire ne fonctionne pas. Ce dernier aspect n'est qu’ébauché. Plein sud est encore un film français dans lequel on ne travaille pas, dans lequel les personnages n'ont aucun ancrage professionnel. Ce souci social ainsi que la tragédie familiale vécue par Sam sont d'ailleurs en complet antagonisme avec les personnages stéréotypés du scénario.


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Ses propos sont révélateurs des deux pôles qui écartèlent le film : « J'avais besoin probablement d'aller vers quelque chose de plus lumineux… J'avais envie de filmer une jeunesse brute, magnifiée, érotisée, insolente, presque agressive. Mes personnages n'ont peur de rien, ce ne sont pas des figures réfléchies qui dissertent sur leur situation. Ils sont tous dans la spontanéité. Ils n'ont de flamboyant et de positif que la beauté et le corps. Je voulais absolument montrer que Sam était dans l'obsession du passé, qu'il ne sortait pas de son roman familial. Le film tente de raconter le voyage intérieur d'un jeune homme prisonnier de son histoire, mais qui a la chance de rencontrer des gens susceptibles de l'extraire de cet espace temps très noir dans lequel il est enfermé. Ce sont des questions qui m'ont toujours intéressé : comment on compose l'origine avec l'adolescence, l'enfance, ce qui nous précède. Le passé est comme un fantôme. Sam se souvient, et il se souvient que des choses dures. C'est comme une note incessante qui assène une douleur, une souffrance, une colère. Et c'est effectivement toujours la même note. Je tenais à ce martèlement. » Ce qui est merveilleux avec un cinéaste aussi intelligent et cultivé que Sébastien Lifshitz, c'est qu'après ses déclarations il n'y a plus grand chose à ajouter puisqu'il a dit tout ce qui était important à dire sur son film et a même involontairement pointé ses faiblesses.

« Ils n'ont de flamboyant et de positif que la beauté et le corps » nous dit Lifshitz et c'est un des problèmes de son film qui est de nous proposer des personnages, mis à part celui de Sam, sans épaisseur du fait qu'il n'en dit rien au spectateur. Lifshitz est probablement victime d'avoir voulu prendre le contrepied des films où tout est expliqué et surligné. Mais à vouloir manier en virtuose l'ellipse et faire une totale confiance aux spectateurs, le cinéaste les laisse en déshérence. D'autant que son montage est parfois maladroit, un comble pour cet as de la déconstruction signifiante comme il l'a montré dans Presque rien. Ainsi si l'on arrive à reconstruire le parcours de Sam à son départ vers l'Espagne, en quête de sa mère à force de nombreux flashbacks, on ne sait rien des autres protagonistes qui sont autant de pages blanches tendues aux fantasmes du spectateur ‒ une maladresse, ou est-ce voulu ? ‒ trouble ce dernier. Dans un des flashbacks, on voit deux adolescents, un garçon et une fille, seuls dans une maison bourgeoise avec une femme, que l'on subodore être leur mère. À un moment, les deux jeunes s'isolent dans la chambre du garçon. La fille, pour faciliter l'endormissement du garçon, lui propose de le branler. Le garçon, après avoir hésité, décline l'offre (à ma grande déception). Dans leur échange, on comprend que la fille n'est pas tout à fait la sœur du garçon. À cet instant du film, j'ai pensé que les deux protagonistes que l'on venait de voir étaient Léa et Mathieu quelques années auparavant. J'ai alors élaboré un scénario dans lequel Mathieu avait couché avec sa sœur et l'avait mis enceinte. La première scène du film nous apprend que cette fille, que nous ne connaissons pas encore, est dans les premières semaines de sa grossesse. Et damned, dans le flashback suivant, on s'aperçoit que le garçon qui batifolait avec sa sœur était en réalité Sam. Je ne suis pas sûr qu'un tel risque de confusion soit bénéfique pour le film.

Jusqu'à Plein sud, Lifshitz s'était montré un maître dans le filmage des relations sexuelles, en particulier dans Wild Side et dans Presque rien, rien de semblable ici, où il ne montre pas la même audace dans le rendu des corps à corps que ce soit homosexuel entre Sam et Mathieu ou hétérosexuel entre Jérémie et Léa.

Né en 1968, Sébastien Lifshitz est un enfant attiré par le dessin, il s'oriente d'abord vers le monde de l'art contemporain : après un passage à l'École du Louvre et à la Sorbonne en Histoire de l'art, il travaille auprès du conservateur Bernard Blistène au Centre Pompidou. Il réalise en 1993 son premier court métrage, Il faut que je l'aime, et signe deux ans plus tard un documentaire sur Claire Denis dans le cadre de la collection « Cinéastes de notre temps ». Il sera l'assistant de celle-ci sur Nénette et Boni.

Comme la réalisatrice de Beau travail, Sébastien Lifshitz est moins intéressé par les dialogues que par la représentation des corps, comme en témoigne son moyen métrage très remarqué, Les Corps ouverts, Prix Jean Vigo 1996. Ce portrait d'un ado en plein questionnement révèle le regretté Yasmine Belmadi, acteur-fétiche du cinéaste, disparu en 2009. Belmadi joue le rôle principal des Terres froides, téléfilm qui mêle lutte des classes et sexualité, tourné pour la série d'Arte « Gauche-Droite ». Après cette fiction hivernale, Lifschitz réalise l'estival Presque rien (2000), son premier long métrage de cinéma, une histoire d'amour tendre et douloureuse entre deux garçons. Il change de registre, tout en restant dans le domaine de l'intime, avec le documentaire La Traversée (2001) : il y filme son ami scénariste Stéphane Bouquet, parti aux États-Unis à la recherche de son père. Lifshitz revient à la fiction en 2003 avec Wild Side, qui évoque les relations unissant une transsexuelle, un émigré russe et un prostitué arabe. Cette œuvre discrètement audacieuse est une nouvelle réflexion sur l'identité, tout comme Plein sud (2009).

Avec Plein sud, Lifshitz est fidèle aux thèmes forts de ses films précédents. Il nous en donne ici une version américanisée et relativement plus optimiste qu'à son habitude. Le réalisateur procède ici à une relecture, presque à une continuation des intrigues qu'il nous a déjà proposées. Plein sud, film sensuel contient des thématiques et motifs présents dans ses précédents films : l' homosexualité, dans tous ses films, la quête de ses origines, le road-movie comme dans La Traversée, amours de vacances comme dans Presque rien, l'envahissement du passé dans le présent, la destruction d'une famille, comme dans Les Corps ouverts ou Wild Side, le ménage à trois et la marginalité comme dans Wild Side, les relations difficiles et complexes d'un garçon avec sa mère, comme c’est souvent le cas dans le cinéma de Sébastien Lifshitz.

Pour plus d’informations :

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par Jean Yves


Comment ces deux abrutis de Laurel et Hardy ont pu échapper aux bistouris de la censure ? Parce que, dans leurs films, ça y va franchement : des mollets poilus aux talons aiguille, des pantalons envoyés en l'air, des nuits blanches transpirées dans le même lit, et même, des envie de faire un bébé ensemble…

Alors, le petit Laurel et le gros Hardy seraient-ils l'archétype même du couple homosexuel clandestin ?
Il faut toutefois faire attention aux clichés bâtis à la truelle ! Facile de dire : « Oliver Hardy, le balaise, le moustachu, celui qui lance les ordres et qui bougonne comme un gros ours, c'est l'homme. Et Stan Laurel, le maigrelet aux épaules en forme de cintre, c'est la femme. » Non, c'est plus subtil que cela.


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La mythologie « Stan-Ollie » commence en 1927, avec le film Putting Pants on Philip. On y découvre les premiers signes d'une sex story latente : Laurel, déguisé en Écossais-jupette, débarque en Amérique et retrouve son oncle Hardy. Un Hardy tout efféminé, quasi manucuré, alors que Laurel, lui, sautille de joie (mouvements de jupette) en rencontrant des bouquets de femmes en pâmoison. Outré comme un pape, affligé par cette mascarade, et sans aucun doute jaloux de ne pas pouvoir garder son neveu pour lui tout seul, Hardy va tout faire pour remplacer le kilt de Laurel par un vrai pantalon de bonhomme. Avec une avalanche de gags : on trouve dans ce film le coup de la bouche d'aération (cf. Marilyn, la robe qui s'envole), particulièrement corsé, puisque Stan, jupette au vent, perd en plus sa petite culotte en éternuant. Ensuite, sous prétexte de mesurer sa longueur de jambe, Hardy abuse d'un Laurel abasourdi et complètement désorienté.
Faut-il voir dans ces rapports un symbolisme sexuel ? Quand Hardy impose le port du pantalon à Laurel pour qu'il passe inaperçu, le désir de possession semble clair. Alors qu'en apparence on pourrait attribuer le rôle de la femme à Laurel, il se révèle – quand sa jupe se soulève et que des femmes s'évanouissent - qu'il est un mâle en pleine possession de ses moyens. Viril, donc, Laurel est une menace pour Hardy, lequel a besoin de s'affirmer par rapport à l'autre pour prouver une supériorité, qui, ratée, l'obligerait à reconnaître sa nature véritable.


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Il faudra attendre Early to Bed [Laurel hérite de son oncle], (1928), pour voir s'orienter avec plus d'évidence les rapports des deux compères. Dans Putting Pants on Philip, Laurel est encore un sacré coureur de jupons. Ici, il devient un être quasi asexué, en tout cas nettement moins attiré par les corsages. Après une scène de ménage à vous faire valdinguer tout le mobilier du château de Versailles, après une lutte gréco-romaine orchestrée par Laurel pour envoyer Hardy au lit, le couple se réconcilie avec une chaleur inusitée. Early to Bed ne symboliserait-il pas le passage de Laurel et Hardy devant monsieur le maire ?

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Le comble de l'allusion homosexuelle est atteint en 1929, avec le célèbre Liberty [Vive la liberté] : évadés du bagne, Laurel et Hardy ont enfilé en vitesse deux, trois vêtements civils. Hélas, ils ont interverti leurs pantalons. Tout au long du film, ils vont tenter de s'échanger leurs culottes, sombrant ainsi dans des situations délicieusement scabreuses.



Si les personnages de femmes sont rares dans l'univers de Laurel et Hardy, c'est qu'ils se placent délibérément sur un terrain où les femmes ne sont guère indispensables. Liberty pousserait ainsi, à l'extrême, l'utopie d'un paradis des hommes seuls. Il offrirait – à celui qui sait lire – le geste irréprochable de l'amour contre nature.

Mais si les deux comiques jouent sur des éléments équivoques de l'intrigue, ne faut-il pas y voir qu'un ressort comique, et non pas un hymne à l'homosexualité ?

Il reste que de nombreux films de Laurel et Hardy offrent des éléments concrets au plaidoyer homosexuel : le curieux attachement indéfectible des deux compères, la misogynie qui se dégage de toutes les comédies matriarcales dont ils furent les interprètes, et, plus concrètement, les nombreuses scènes de lit, les déshabillages intempestifs, les jeux de travesti, les scènes de jalousie et les triangles passionnels dès qu'une femme montre le bout du nez. Ainsi, dans Their First Mistake [Bonnes d'enfants] (1932), Hardy, marié, se voit réprimander par sa femme : « Si tu te promènes encore avec ce Laurel, c'est fini nous deux ! »
Embarrassé, Hardy va quand même se confier à son ami : « Elle prétend que j'ai plus d'affection pour toi que pour elle. », ce à quoi Laurel réplique, ingénument : « Et c'est vrai, n'est-ce pas ? », et Ollie, bougon, enchaîne : « N'entrons pas dans ces détails. » Des détails, on le voit, qui laissent pas mal de sous-entendus. Un peu plus tard, dans le même film, la conversation se poursuit :



Stan : Sais-tu ce qui nous manque pour être heureux ?
Ollie : Quoi ?
Stan : Un bébé dans la maison !
Ollie : Je ne saisis pas le rapport.
Stan : Mais si, de cette façon, l'esprit de ta femme sera occupé ! Et tu pourras sortir avec moi, ça lui sera complètement égal !
Ces sous-entendus se trouvent carrément mis au jour quand la femme de Hardy demande le divorce et fait poursuivre Laurel pour « détournement des sentiments de M. Hardy ». On croit rêver !

Dans Brats [Les bons petits diables] (1930), il est toujours question d'enfants, mais, cette fois-ci, c'est à Laurel et Hardy de jouer les papas-poules. Leurs femmes ayant pris la clé des champs le temps d'une leçon de tir, nos deux compères se transforment en parents pour s'occuper de leurs gamins (des Laurel et Hardy en version miniature). Alors, Laurel et Hardy font-ils vraiment tout pour chasser les femmes de leur vie ? Sans doute, si l'on compte le nombre de films où les épouses trahies, jalouses, ou tout simplement excédées, plaquent le nid conjugal et s'en retournent chez leurs parents.


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En 1929, Stan et Ollie tournent That's My Wife [C'est ma femme]. L'histoire est simple : l'épouse de Hardy, minée par la présence de Laurel, fait ses valises une bonne fois pour toutes. Le même jour, Hardy reçoit une lettre d'un oncle richissime. Celui-ci lui annonce qu'il lui léguera sa fortune à condition que la bonne entente continue à régner dans son ménage. Aucun problème : Laurel saute dans un décolleté, et le tour est joué.
Les deux héros n'hésitent jamais à se glisser dans un fourreau, bas de satin sur les guiboles et colliers de perles sur la poitrine ! Laurel et Hardy : des virtuoses du travesti, des amoureux de la jarretelle, des siphonnés du soutien-gorge… En un mot : deux folles divines !



Dans Twice Two [Les Joies du mariage] (1933), Laurel et Hardy sont tous deux travestis, jouant leur propre personnage et ceux de leurs épouses (Stan version « homme » étant le mari d'Ollie version « femme », et vice versa).
Ce double rapport ne suggère-t-il pas, on ne peut plus directement, l'amour physique qui existe entre eux ?



Fiche technique :

Avec Jean-Paul Doux, Philippe Vallois, Jean-Lou Duc, Georges Barber, Manolo Gonzales, Alexandre Grecq, Eric Guardagnan, Walter Maney, Patrice Pascal, Yvan Roberto et Nicole Rondy. Réalisé par Philippe Vallois. Scénario : Philippe Vallois.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.

 

 
Résumé :

Un jeune cinéaste, Philippe Vallois dans son propre rôle, inspiré par l’amour qu’il porte à un garçon, Johan, décide de le mettre en scène dans un film. Mais Johan est arrêté juste avant le tournage. Le jour du premier clap, il n’est pas au rendez-vous. Il est en prison. Le film se fera quand même.  Sa construction est faite du « tricotage » du film en train de se faire sous nos yeux, avec le film que l’auteur rêvait de faire à la gloire de son « égérie ». Nous sommes constamment entre le réel et la fiction. Le réalisateur recherche à travers d’autres celui qui est absent. Sa quête le conduit dans les milieux homosexuels les plus divers dont on ne peut que constater l’optimisme et l’étonnante vitalité. Il évoque le film qu’ils devaient faire ensemble. Portrait en creux, Johan finit par être recréé par ses amis, ses ennemis, ses remplaçants. Succession de séquences de factures différentes où se mêlent reportages, fictions, spectacle... La dernière scène du film est très réussie : toute l’équipe de tournage se donne rendez-vous devant la prison. Johan va être libéré. Le mot « Fin » apparaît à l’écran avant sa sortie, nous ne verrons jamais Johan…


L’avis de
Bernard Alapetite :
Comme le déclare Philippe Vallois, dans l’introduction du passionnant Secrets de tournages, le supplément de cet indispensable DVD : « Le plus difficile est de se remettre dans l’ambiance de l’époque... » Petits malins des années 2000, damoiseaux à l’esprit fort, cette galette n’est pas pour vous. Mais si au contraire, vous êtes curieux du vécu passé des gays dans ces années lointaines de la Giscardie triomphante, d’après la culpabilité et d’avant le sida, suivez le charmant guide qu’est Philippe Vallois. Vous visiterez l’histoire et les lieux mythiques de la communauté, découvrirez le « pédéland » de 1975, au temps des vespasiennes, du drugstore Saint-Germain-des-Prés et, déjà, du jardin des Tuileries qui avait encore ses bosquets ! Vous vous extasierez sur les costumes d’époque : les pantalons pattes d’éph’ avec poutre apparente, les slips kangourou, les chemises près du corps avec col pelle à tarte, mais  soyez vigilant, car les protagonistes de Johan ne gardent pas longtemps leurs atours exotiques. Pas de chichis, nous ne sommes pas dans un film américain avec nudité frontale, interdite dans Johan, mais ça bandent en noir et blanc et en couleurs, ça s’enculent, ça se roulent des pelles à vous « karchériser » les amygdales, ça se malaxent le fessier avec la dernière vigueur, et même scoop du scoop, vous aurez droit à un fist-fucking des deux poings, avec son direct, une première à ma connaissance (mais elle est loin d’être encyclopédique dans le domaine…) au cinéma, « X » compris. Le trivial n’est pas exclu : vous participerez même à une chasse aux morpions… Enfin, vous assisterez à la confession candide d’un sadique et vous vous apercevrez que Strip-tease (l’émission culte de France3, DVD MK2) n’a rien inventé !
Après cet inventaire non exhaustif de ce que vous trouverez dans Johan, il faut tout de même parler de ce qui ne s’y trouve pas. La grande surprise, c’est de n’y trouver presque aucun écho de l’extrême politisation d’alors, mis à part un court propos sur la situation des homos cubains, influence sans doute de Nestor Alemendros, le grand chef op’ à l’époque du cinéma français, lui-même gay et cubain. Il est alors ami de Philippe Vallois. Donc pas de FHAR, pas de pédés révolutionnaires. Vous dites apolitique, ce qui subodore de droite comme souvent les listes électorales qui se réclament de ce flou ? Pas vraiment, nous ne sommes pas non plus chez les nostalgiques de la gestapette qui sévissait encore en ces temps reculés. C’est d’autant plus surprenant cet apolitisme que la politique, au sens noble du terme, sera loin d’être absente dans d’autres films du cinéaste. Encore une originalité de Philippe Vallois : il s’est politisé quand tout le monde se dépolitisait !
C’est seulement une sorte de journal filmé d’un jeune mec, que sa belle gueule permet de réaliser son rêve : tourner un film. À ce propos, en cette période de grande fracture cinéphilique, pas non plus d’échos de cette moderne bataille d’Hernani. Philippe Vallois, sans le savoir, est le grand précurseur de l’autofiction cinématographique, vingt ans avant Rémi Lange et trente avant Tarnation. Sauf qu’avec lui, c’est heureusement beaucoup plus ludique.
Avec le recul, on s’aperçoit que Johan, avec maintenant son inséparable Secrets de tournages, est le premier volet de la saga autobiographique du cinéaste. Il lui donnera une suite, près de vingt-cinq ans plus tard, dans une tonalité toute différente, avec On dansait sous les bombes, sous-titré « Deuils croisés », où il mêle le deuil de son ami Jean, mort du sida, avec celui de Beyrouth détruite. Le troisième épisode, Le Caméscope est un tombeau, au sens littéraire du terme, surréaliste pour Jean. Si le précédent chapitre était une sorte d’adieu à la vie, celui-ci est un peu le film de la culpabilité d’un ressuscité, du survivant qui se pose cette obsédante question : pourquoi est-il mort et pas moi ? Avec Un Parfum nommé Saïd, chant d’amour au Maroc et aussi à un beau marocain, le cinéaste retrouve l’alacrité qui irriguait tout Johan. Un nouvel épisode est annoncé, Sexus dei ; espérons que ce ne sera pas le dernier. Avec beaucoup d’habileté sous une apparente naïveté, Philippe Vallois avec ces quelques films – parfois maladroits mais toujours novateurs (beaucoup de spectateurs auront découvert avec Johan les poppers) et émouvants – nous aura fait parcourir quarante ans d’amour gay.
Si les films de Philippe Vallois sont entre autres des inestimables témoignages sur l’évolution de la sensibilité gay en France, il est cependant intéressant de noter combien l’itinéraire de  leur auteur est singulier, alternant une grande naïveté (feinte ?), un optimisme revendiqué et la plus grande noirceur. Comment passe-t-on de la légèreté de Johan au tragique de Nous étions un seul homme ? Là est le grand mystère d’un créateur plus profond qu’il ne veut le laisser croire.
Il faut tout de même prévenir le voyageur dans cette œuvre que même s’il fait fi de tout cynisme, il aura tout même parfois le sentiment de voir Sodome et Gomorrhe filmé par le ravi de la crèche. Il faut également préciser que Johan est dans l’esthétique underground de l’époque. C’est-à-dire filmé souvent avec les pieds. Mais l’hétérogénéité de la réalisation nous offre de belles surprises, tel ce magnifique plan où l’un des truchements de Johan se prélasse lascivement sur un canapé art déco sous une grande toile représentant des nus masculins. Il faut tout de même beaucoup d’ingénuité pour suivre le réalisateur quand il nous parle de New York en nous montrant Barbès ! Philippe Vallois nous apprend qu’il sort de l’école Louis Lumière, la pépinière des chefs op’ français. Alors de deux choses l’une : ou notre cinéaste n’a pas appliqué ses cours pour le tournage de Johan ou l’enseignement de la-dite école s’est grandement amélioré depuis trente ans ! Vallois nous prouvera avec Nous étions un seul homme qu’il est capable de faire des « images propres » et même des magnifiques et baroques, en 1991, dans son Nijinski.
Rubrique carnet mondain, on reconnaît, au début du film, Pierre de « Pierre et Gilles » avant leur rencontre.
Laissons le dernier mot à Jean-Louis Bory, grand admirateur de Johan : « Quelles que soient les amours, cette absence entraîne la quête et l’inquiétude. Mais il appartient peut-être aux amours homosexuelles d’ajouter à l’entonnoir tourbillonnant de l’absence : le hors-la-loi qui menace l’amour. Comment lui échapper ? Par la lucidité et la franchise du regard. »

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L’avis de Jean Yves :
Un cinéaste inspiré par l'amour qu'il porte à un garçon, Johan, décide de le mettre en scène dans un film. Mais Johan est en prison. Le film se fera quand même…
Johan aurait dû être l'interprète du film que le narrateur veut tourner : il ne sera que l'Arlésienne du film de Vallois. Il sera sans cesse question de lui, de sa beauté, de ses qualités, mais jamais nous n'aurons le bonheur de le voir apparaître.
Le cinéaste est donc en panne d'interprète, il lui faut trouver un remplaçant. Sa quête le conduit alors dans les milieux homosexuels : amis, ennemis, remplaçants de Johan. Mais après avoir fait le tour du milieu gay qui inclut l'inévitable fille à pédés et la maman compréhensive au discours plein d'intelligence, il devra se résigner à attendre la libération de Johan.
Malgré les conventions aliénantes du ghetto, semble dire Philippe Vallois, le cœur a encore sa place et l'amour de deux êtres peut triompher.
Avec son air de reportage, ou même parfois de cinéma-vérité qui nous fait passer des Tuileries (comme si Vallois rendait un hommage malicieux à ce lieu) au sauna, du sauna aux fantasmes dernier cri, Johan est une histoire d'amour entre un jeune cinéaste et son ami incarcéré.

Ce film datant de 1976 n'a rien perdu de son intérêt : autant par l'originalité de son découpage que par son aspect documentaire sur les changements qui commençaient alors à bouleverser le mode de vie homosexuel en France. Ce qui aujourd'hui est devenu banal même si tout le monde n'y est pas accroché (poppers, gadgets multiples, conformisme d'une nouvelle uniformisation de l'apparence, etc.) était encore à l'époque très marginal.
La petite histoire : À sa sortie, en 1976, Johan faillit être classé X, si le réalisateur n'avait consenti à la coupure de quelques phallus.

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Interview de Philippe Vallois par Hugues Demeusy
(La Lucarne)

HD : Bonjour Philippe, racontes-nous comment est né Johan... ? 

PV : Je viens de Bordeaux et, comme tout bon pédé provincial, j’ai débarqué à Paris en 1968 (!), plein d’ambitions et surtout, celle de réussir dans le cinéma. J’avais eu le concours de l’Ecole Louis Lumière à Vaugirard, et j’en ai donc suivi les cours. J’ai eu la chance d’obtenir une bourse d’un organisme (le GREC), pour réaliser mon premier court-métrage, Elisa répète, fait avec des copains de l’école et avec très peu de moyens. Ce court a été projeté à Avignon, lors du Festival. Là, j’ai rencontré Bernard Lefort, qui venait d’être nommé directeur de l’Opéra. Il est tombé amoureux fou de moi. Ensemble, nous avons beaucoup voyagé et j’ai rencontré grâce à lui des personnages remarquables. Mais je ne voulais pas être un gigolo, j’avais le désir de faire des choses. J’ai commencé à réaliser des portraits filmés de personnalités artistiques pour la Gaumont (notamment Marcel Jouhandeau, Hervé Bazin, Ionesco...). J’ai ensuite conçu avec une bande de potes un premier long-métrage intitulé Les Phalènes, où trois filles enfermées dans un appartement voient entrer des personnes atypiques et font leur connaissance. Il y avait entre autres un superbe travesti, Julia, et un jeune routier dont j’étais amoureux. Ce film a été projeté au cinéma le Seine, à Saint-Germain. Très transgressif dans son propos, le film a été interdit aux moins de 18 ans. Je suis ensuite parti aux Etats-Unis où j'ai découvert une nouvelle vision de la vie gay beaucoup plus libérée, déjà obsédée par le culte du corps. J’ai visité New-York, San-Francisco, Los Angeles... J’ai participé à ma première gay pride. En rentrant à Paris, motivé à fond par cette découverte, j’ai eu très envie de tourner un film sur la vie des homosexuels à Paris, afin de normaliser les choses, et de mettre en lumière ce qui était dans l’ombre. 

HD : En effet, il faut se remettre dans le contexte de l’époque, où il n’y avait eu aucun film traitant de l’homosexualité en France. C’était donc un véritabe défi de réaliser Johan. D’ailleurs, Johan était-il un personnage réel ? 

PV : Absolument, je l’ai croisé dans un restaurant. Il était magnifique, habillé de cuir, en militaire, avec du strass, très "mauvais garçon", mais très sensuel au lit. Je lui ai proposé de faire un film sur lui, et sur notre relation. Il a accepté, mais dans sa folie des grandeurs, il a exigé des décors somptueux... Evidemment, je n’avais pas de budget. Par contre, j’avais rencontré un chef-opérateur, François About, gay lui aussi, prêt à me suivre dans l’aventure. Entre-temps, Johan a été arrêté et mis en prison, à la Santé. C’était l’été... J’ai pris la décision de faire mon film sur Johan, sans Johan. Le tournage a donc démarré sans vrai scénario, avec une équipe technique réduite mais efficace, des assistants "amis" et des "acteurs" non professionnels, castés sur les quais ou ailleurs. Au-delà du personnage de Johan, à moitié fantasmé, notamment son expérience dans la légion, on découvre la vie "gay" des années 70, en mêlant fiction et reportages comme cette drague aux Tuileries. Il y avait aussi beaucoup de scènes de sexe "hard", qui ont été coupées pour éviter le visa de censure. Ma voix "off" raconte l’histoire de cette liaison peu ordinaire. 

HD : Etais-tu conscient, en tournant, que tu faisait à la fois ton coming-out, et que tu réalisais un film "historique", témoignage des années 70 et premier film montrant frontalement l’homosexualité ? 

PV : J’étais inconscient, fougueux et très amoureux. J’ai tourné sans véritable fil conducteur, si ce n’est cette quête de la véritable histoire de Johan, avec les moyens du bord... Mes amis assistants étaient très fiers d’être sur un tournage. En ce qui concerne le coming-out que vous évoquez, il faut se remettre dans le contexte des années 70 où les médias étaient très peu nombreux Ce film devait rester dans un circuit "underground", donc, je me suis surtout laissé porter par mon enthousiasme et mon opiniâtreté... et j’ai fini ce film, alors que Johan était toujours en prison ! Il a été distribué dans quatre salles à Paris et une à Marseille. Il n’a pas vraiment eu de succès car, comble de malchance, il y a eu à ce moment-là une canicule insupportable à Paris. Et à l’époque, les cinés n’étaient pas climatisés. Par contre, je suis fier d’avoir été sélectionné par le Festival de Cannes, où le film a été très bien accueilli ! 

HD : Il y a des scènes emblématiques sur les pissotières, les fameuses "tasses", qui sont de véritables documents d’archives ? 

PV : Oui, mais sur le moment, je filmais ce qui faisait mon quotidien, ce que je voyais et ce qui constituait notre vie marginale.. 

HD : Pourquoi cette association entre les images tournées en noir et blanc qui traduisent le quotidien et ces passages oniriques en couleurs, qui font la singularité de ce film ? 

PV : J’avais quelques rouleaux de pellicules couleurs que j’ai utilisés effectivement pour certaines scènes, mais la distinction n’est pas aussi marquée. C’est avant tout un problème de moyens ! 

HD : J’ai la sensation que, plus qu’un film sur Johan, c’est un film qui parle de vous et de vos rencontres. De l’auto-fiction avant l’heure ? 

PV : Peut-être, mais je n’en ai pas été conscient. Il y a eu beaucoup d’improvisation, de scènes inventées... En tout cas, Johan est le catalyseur de ce film. D’ailleurs, vous avez constaté que Johan est interprété par plusieurs comédiens, qui ne sont jamais aussi beaux que le vrai ! On pénètre un peu dans la propre vie de ces garçons. Et pour finir, c’est moi qui interprète Johan, et j’émets l’hypothèse qu’il est peut-être mon double ! 

HD : Les scènes hard ont été rajoutées dans ce DVD : le film est donc livré dans son intégralité.

PV : Oui ! Pour la petite histoire, juste avant d’éditer le DVD, le CNC a retrouvé au fond d’un tiroir une bobine contenant les scènes coupées il y a 30 ans afin d’éviter la censure... Je les ai donc rajoutées dans le DVD. Formidable, non ?


Pour plus d’informations :

 

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Fiche technique :

Avec Mark Duplass, Joshua Leonard, Alycia Delmore, Lynn Shelton, Trina Willard, Steven Schardt, Jane Hall et Tania Kupczak. Réalisation : Lynn Shelton. Scénario : Lynn Shelton. Directeur de la photographie : Benjamin Kasulke. Compositeur : Vinny Smith.

Durée : 95 mn. Disponible en VO et VOSTfr.

 


Résumé :

Un soir, Andrew débarque sans prévenir chez Ben, son vieux copain de fac. Les deux hommes ne tardent pas à renouer avec leur bonne vieille complicité de machos hétéros. Afin de distraire Ben de sa petite vie bien rangée, Andrew l’entraîne dans une fête aux mœurs libérées. Sur place, tout le monde ne parle que de participer au festival local de porno amateur et de tourner des films érotiques d’art et d’essai. Andrew semble plus que partant. Ben semble un peu moins concerné... Quelques litres d’alcool plus tard, une idée prend vite l’allure d’un pari : Andrew et Ben coucheront ensemble sous l’œil bienveillant d’une caméra. Ce n’est pas gay, ça va bien au-delà. Ce n’est pas du porno, c’est de l’Art.

Le lendemain, impossible pour eux de se dégonfler. Rien ne pourrait les arrêter... sauf peut-être la femme de Ben, l’hétérosexualité ou certaines questions d’ordre mécanique...


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L’avis de Frédéric Mignard :

Un instantané de cinéma indépendant drôle, frais et surtout libre d’esprit, qui s’introduit avec réalisme dans les doutes d’Américains à l’aube de la quarantaine.

Deux potes se retrouvent après 15 ans de trajectoires différentes. L’un s’est rangé et contemple une vie pépère avec femme, traites de la maison à payer et un bébé à concevoir ; l’autre joue au globe-trotter et mène la vie de bohème avec bonhommie et une immaturité gloutonne. Quand ce dernier revient se poser chez son ami, les doutes de chacun quant à leur itinéraire respectif reviennent sur le tapis. Aussi, comme pour exorciser ces craintes de virilité déplacée (d’une part le couple tue-t-il l’homme et d’autre part le vagabondage libertin définit-il l’essence de l’homme, le vrai), ils se mettent en tête, une nuit de défonce, de coucher ensemble dans un porno amateur pour soi-disant repousser les frontières de l’art.


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Le postulat de départ (le petit X gay entre potes hétéros) est une idée vendeuse car amusante et gentiment polissonne. Le défi entraîne le spectateur dans une mise en abîme rigolote où la conclusion est tirée de manière conventionnelle tellement l’idée de cet exercice artistique est saugrenue. Pourtant, si elle vaut à l’écran, notamment dans la dernière demi-heure beaucoup de ridicule, de complexe et de malaise à nos deux mecs bien sûrs de leur sexualité, ce n’est pas forcément ce qui en définitive nous séduit le plus dans ce métrage.


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Lynn Shelton, femme aimant à travers ses longs redéfinir les rapports entre mecs, joue avec perspicacité la carte du naturalisme à l’américaine. Elle met en scène des instantanés de vie formidable de réalisme. Elle dépeint remarquablement les sentiments générés par les retrouvailles : les deux hommes sont partagés entre la joie de se retrouver, la nostalgie de leur jeunesse complice qui justifiait toutes leurs dérives, et l’embarras face à leurs présentes différences. Mais la cinéaste dessine également à merveille tout un contexte social et sociologique, celui de l’Américain moyen à travers ce couple de la middle-class qui se construit dans le mariage en étouffant sa part de rêve, de folie et d’immaturité.

Le propos n’est pas nouveau, mais le jeu naturel des comédiens ‒ tous formidables ‒ et la petite trouvaille scénaristique qui procure un enjeu comique à ces petits tracas existentiels, permet à Humpday de s’imposer comme un agréable moment de comédie indépendante américaine, dans la pure tradition de ce que le cinéma de Sundance nous propose chaque année.


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L’avis de Voisin blogueur :

Humpday : la comédie qui bande mou…

Ben mène une vie paisible et partage une belle complicité avec sa femme. Mais voilà que débarque son vieux pote Andrew. Jadis ils étaient inséparables, aujourd’hui ils semblent aller vers des directions opposées. Ben est prêt à fonder une famille, Andrew ne cesse de voyager et d’accumuler les amourettes. Alors que les deux amis repassent une soirée alcoolisée ensemble, ils en arrivent à se lancer un défi osé : participer au Hump Festival. Un festival pas comme les autres où sont projetés des films pornos conceptuels. Et leur concept est simple : faire un porno qui met en scène deux vrais hétéros qui couchent ensemble. Ben et Andrew y auront les rôles principaux. Iront-ils jusqu’au bout ?


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Comédie indé fauchée, Humpday dispose d’une idée de départ originale et amusante. Et alors que l’on découvre le casting, avec en tête le duo Mark Duplass/Joshua Leonard, on s’attend au meilleur. Malheureusement, malgré l’énergie de ses interprètes et l’attachement aux personnages, c’est bien le pire qui arrive. Du moins pour un certain public. En effet, Humpday peut s’avérer gênant du point de vue d’un gay. Le malaise que génère les prémices du passage à l’acte avec ce côté « Beurk c’est trop pas excitant de coucher avec un homme » avec rires gras en bonus pourra créer une certaine irritation. Triste mais criante réalité : dans les films lorsqu’un personnage gay essaie de coucher avec une femme il n’y a guère de goujaterie mais quand un hétéro s’essaie aux hommes c’est une autre affaire…


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Si ce point de vue, pas du tout objectif, est donc à prendre à la légère, ce n’est en tout cas pas le seul défaut du projet. Deux hétéros planifient de faire un porno gay ensemble, idée intrigante mais étirée jusqu’à la corde. C’est simple : tout le long-métrage met en place cet « événement » qui finira par ne pas du tout tenir ses promesses. Faussement audacieux, confortant le public dans ses préjugés et en veillant bien à ne jamais aller trop loin, Humpday ne cesse plus de débander. Et ce ne sont pas ses dialogues faussement prises de tête évoquant un Woody Allen en beaucoup moins bien qui sauveront le tout. Une belle déception.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Fabien De Marchi, Johan Libéreau, Christian Giudicelli, Thomas Badek, Alexandre Palmieri, Nathalie Mann et Sabine Bail. Réalisation : Cyril Legann. Scénario : Cyril Legann. Images : Kosta Asmanis & Antoine Aybes-Gilles. Montage : Jean-Luc Simon. Musique : Franck Sforza.

Durée : 50 mn. Disponible en VF (dvd allemand).

 


Résumé :

Jonathan (Fabien De Marchi), un garçon de seize ans, vit en banlieue avec son père et sa belle-mère, mais la cohabitation est difficile, surtout depuis que cette dernière attend un bébé. Il trouve un peu de réconfort auprès du prêtre de la paroisse locale, avec lequel il entretien une relation forte depuis longtemps.

Sur un coup de tête, il vole de l’argent dans le sac de son père (Thomas Badek) et entraîne Steve, son meilleur ami, dans un périple à la capitale où ils espèrent profiter de plaisirs interdits.


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Ils se rendent dans un squat pour acheter du cannabis, et Jonathan décide de s’y réfugier pour la nuit, n’osant plus rentrer chez lui. Alors que Steve (Alexandre Palmieri) est reparti, il s’endort, embué par la fumée du joint. C’est bâillonné et ligoté qu’il est réveillé par Shooter (Johan Libéreau), un dealer qui fuit lui aussi quelque chose. Actuellement recherché pour une affaire qui a mal tourné, il décide de garder Jonathan en otage.


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Profitant d’une absence momentanée, Jonathan tente de s’enfuir. Lorsqu’il est rattrapé par Shooter, c’est l’escalade dans la violence. Devant l’état alarmant de l’adolescent, le junkie est pris de compassion et décide de le soigner.

Une relation ambiguë s’installe entre le bourreau et sa victime.


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Au sortir de cette expérience, Jonathan est bouleversé et décide de rejoindre un pensionnat religieux afin de devenir prêtre.


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L'avis de Bernard Alapetite :

Chemin de croix, c'est un peu Mauriac chez les lascars. Vous supputez déjà l'absolue obsolescence, pour ne pas dire l'ineptie, d'une telle prémisse. Cyril Legann a imaginé et a pris pour héros de son film une créature fort improbable, un adolescent, Jonathan, demi-sel de banlieue touché par la grâce, comme Claudel le fut planqué derrière un pilier de Notre-Dame de Paris.


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Ce qui plombe encore plus l'opération est le choix du chérubin endossant le redoutable rôle de Jonathan dont on devine que ses ancêtres viennent plus du côté de Sidi Bel Abbes que de Lourdes. Par ce déplorable choix on devine que Legann doit être un maraisien de fraiche date, car ces autochtones sont friands de produits exotiques. Faire jouer un garçon mystique à un énergumène dont le regard est moins expressif que celui d'une vache normande est le signe d'une totale cécité de la part du réalisateur, ce qui est gênant pour un cinéaste.


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De plus, Fabien De Marchi se montre un bien médiocre acteur, mais c'est presque tout le casting qui est calamiteux. La palme revenant à « l'actrice » qui joue la mère de Jonathan et qui ânonne péniblement son texte. Dans l'insane médiocrité, elle devance de peu Alexandre Palmieri (trop vieux pour le rôle) qui interprète Steve, le meilleur ami de Jonathan, qui est censé être issu sinon de la bourgeoisie au moins de la classe moyenne, alors que par son aspect et son accent tout chez ce garçon sue la cité...


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Pour sans doute accentuer son erreur, Cyril Legann a affublé le personnage du prénom de Steve qui ne connote pas vraiment une provenance de la classe moyenne. Je ne voudrais pas trop insister, je l'ai fait ailleurs, sur la médiocrité en tant qu'acteur de Johan Libéreau, curieusement très surestimé mais qui a néanmoins la bonne idée de ne pas encombrer les écrans.


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Il y a tout de même quelques éléments dans Chemin de croix qui sauvent la réputation du métier d'acteur, malheureusement ils ont tous des rôles très secondaires. À commencer par un amateur, l'écrivain Christian Giudicelli, savoureux en prêtre. Il faut encore citer Thomas Badek, un habitué des productions de Josée Dayan, très convaincant en père du héros. C'est avec plaisir que l'on retrouve Nathalie Mann que l'on avait perdu de vue depuis Une autre femme de Jérôme Foulon dans une excellente apparition en mère de Steve.


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Si la direction d'acteur est affligeante et le scénario pas crédible, il est en revanche indéniable que le réalisateur a un véritable sens de l'image. Le cadre est toujours soigné avec un grand souci de la composition et certaines prises de vues, comme celles dans l'église, sont de toute beauté.

 

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Comme cette séquence le démontre, Cyril Legann a un grand sens également des décors et de leur utilisation. La prise de vue en plongé de la nef de béton de l'église est une vraie trouvaille. Belle idée également de perdre ses personnages dans un plan large qui embrasse un bel exemple de Street Art dans la scène d'arrivée au squat. Ce souci des décors et leur choix judicieux parviennent à monopoliser l'attention du spectateur, tant le jeu des acteurs qui s'y agitent est indigent. C'est cette qualité de l'image qui parvient à faire que l'on regarde ce film sans ennui malgré des personnages dénués de vérité psychologique.


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L'éclairage, s'il n'est pas toujours sans défaut, est parfois inventif et suggère une atmosphère, comme par exemple la séquence dans laquelle apparait Johan Libéreau. Le son, quant à lui, est souvent désynchronisé.

Le montage donne beaucoup de fluidité et de nerf au récit, il est seulement dommage que ce dernier nous importe peu...


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Ce film raté, en dépit de ses réelles qualités techniques, démontre une fois de plus que le métier de cinéaste est un métier exigeant et qui fait appel à de nombreuses qualités rarement réunies dans une même main. Cyril Legann devrait éviter d'écrire ses scénarios et encore plus de diriger des acteurs.


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Je lui conseillerais de se consacrer uniquement à la prise de vues, en particulier dans le porno soft, la scène de triolisme est bien filmée, beaucoup mieux que celle dans Douche froide.


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Dans le même ordre d'idée, une autre séquence réunit Steve, Jonathan et le dealer joué par Johan Libereau, nus, dans un songe érotique cinématographiquement d'une totale complaisance...

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :

Avec Xavier Dolan, Stéphane Demers, Julie Beauchemin, Patrick Martin, André Nadeau et Maxime Allaire. Réalisation : Etienne Desrosiers. Scénario : Etienne Desrosiers, d'après le roman Cahier d'été de My Lan To. Images : Stéphane Ivanov. Musique : Pierre Desrochers. Montage : Christophe Flambard.

Durée : 14 mn.


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Résumé :

Julien (Xavier Dolan) est un adolescent mélancolique d'une quinzaine d'années. Il passe ses vacances d'été au bord d'un lac, dans le chalet familial, avec sa mère et l'ami de celle-ci. Ce dernier est accompagné de son fils un peu plus jeune que Julien. Près de là, dans une grande et belle maison, vit Hervé un quadragénaire raffiné que Julien connaissait des étés précédents. Julien rend une visite à l'homme qu'il semble apprécier.


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Mais Julien et Hervé n'ont plus les mêmes regards l'un pour l'autre d'autant qu'Hervé, cette année, habite avec un jeune homme. Petit à petit, Julien s'aperçoit qu'il préfère l'ami d'Hervé aux filles de son âge qui viennent se baigner dans le lac près du chalet...


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L'avis de Bernard Alapetite :

Mon résumé est bien grossier pour un court-métrage dans lequel rien n'est asséné mais où tout est suggéré. Aux spectateurs de mettre un nom sur les relations qu'entretiennent les nombreux personnages qui traversent ces Miroirs d'été dans une atmosphère élégante qui m'a rappelé les ambiances des pièces de Tchekov… comme je l'ai fait moi-même avec quelque impudence.

Il est à noter que le joual que parlent les personnages fait un curieux contraste avec cette atmosphère. Mais on entend peu les protagonistes. Au dialogue, le réalisateur préfère la magie d'un plan, fait d’images lumineuses aux cadrages soignés, qui laisse entrevoir une situation ou suggère un rapport entre les personnages.


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En cela, ce court-métrage est une leçon de cinéma. Etienne Desrosiers, grâce à des scènes d'une concision parfaite, montées avec beaucoup de fluidité, en dit beaucoup d'autant que ce que l'on peut en déduire n'est presque jamais univoque.

Ainsi Miroirs d'été est un film que l'on ne fait qu'affaiblir à trop expliquer, ce qui démontre toute sa richesse et la parfaite connaissance de la grammaire du cinéma de son réalisateur.


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Les acteurs, tous d'une grande présence, réussissent à donner de l'épaisseur à leur rôle dans la moindre de leurs apparitions. Julien est joué de belle manière par le très prometteur Xavier Nolan, le réalisateur de J'ai tué ma mère et actuellement au Festival de Cannes 2010 avec son nouveau long métrage, Les Amours imaginaires.


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Le seul défaut que l'on puisse trouver à ces Miroirs d'été est sa brièveté, tant on est frustré qu'une telle merveille ne dure que quatorze minutes !

Pour plus d’informations :

Blogué par nos amis de Yagg.com :

 

 

Samedi 22 mai, à la veille de la clôture du Festival de Cannes 2010 et de son palmarès officiel, sera remise la Queer Palm, une première dans l’histoire du plus grand festival de cinéma du monde.

La Berlinale a ses Teddy Awards (créés en 1987, et qui ont révélé des cinéastes comme Pedro Almodóvar, Derek Jarman ou Gus Van Sant). Depuis 2007, le Festival de Venise a son Queer Lion. Et Cannes? Rien.

Une initiative “off festival”, que l’on doit au journaliste Franck Finance-Madureira, que Yagg a rencontré.

 


Si vous n’arrivez pas à voir la vidéo, cliquez sur La Queer Palm au Festival de Cannes 2010.

La Queer Palm récompensera un film présenté à Cannes, toutes sélections confondues (Sélection officielle, Un Certain Regard, La Semaine de la Critique, La Quinzaine des réalisateurs), “pour sa contribution aux questions lesbiennes, gays, bi ou trans”.


UN JURY DE PROFESSIONNELS

 
Et qui dit prix dit jury. Il sera composé cette année de Benoît Arnulf (directeur artistique des Rencontres In & Out, Festival du Film Gay et Lesbien de Nice), Florence Ben Sadoun (directrice de la rédaction de Première), Romain Charbon (journaliste cinéma, Têtu, les Inrockuptibles), Mike Goodridge (directeur de la publication de Screen International), Xavier Leherpeur (journaliste cinéma, Studio Ciné Live), Ivan Mitifiot (coordinateur d’Écrans Mixtes, Rencontres de cinéma gay et lesbien de Lyon), Pascale Ourbih (présidente de Chéries-chéris, Festival de films gays, lesbiens, trans et +++ de Paris) et Brian Robinson (programmateur du Festival du film gay et lesbien de Londres).

Le film récompensé se verra offrir des campagnes promotionnelles et sera suivi de près par les médias partenaires de l’opération (Première, Studio Ciné Live et Yagg) lors de sa sortie en salles (ou en DVD). Plus d’infos sur le site de la Queer Palm.


DUCASTEL ET MARTINEAU PARRAINS DE LA PREMIÈRE ÉDITION


Enfin, la Queer Palm est parrainée par les cinéastes Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, L’Arbre et la forêt…).

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Fiche technique :

Avec Björn Hlynur Haraldsson, Damon Younger, Lilja Nott Porarinsdottir, Arnaldur Ernst, Helgi Björnsson, Sigurour Skulason, Porsteinn Bachmann, Björk Jakobsdottir, Hilmar Jonsson, Felix Bergsson et Marius Sverrisson. Réalisation : Robert I. Douglas. Scénario : Robert I. Douglas. Directeur de la photographie : Magni Agustsson. Compositeur : Bardi Johannsson.
Durée : 85 mn. Disponible en VO et VOST.




Résumé :
Ottar Thor est un joueur de football adulé dans son pays. Mais le jour où il décide de révéler son homosexualité, il se fait virer de son équipe, le KR (Reykjavik FC).
Il rejoint alors une équipe de footballeurs gays amateurs, mais là encore il doit faire face à l'homophobie des équipes adverses. Son père, le directeur du KR, veut que son fils retrouve l'équipe à condition qu'il redevienne hétérosexuel. Ottar impose alors une drôle de condition...


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L’avis de Frédéric Mignard :

La sortie d’Esprit d’équipe dissimule mal un opportunisme sur lequel on fermerait volontiers les yeux si, sous couvert d’un hymne à la tolérance, cette production islandaise ne nous assénait pas d’une avalanche de clichés didactiques.


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L’argument : Le footballeur Ottar Thor est une star en Islande. Le jour où il déclare son homosexualité il se retrouve sur le banc de touche de son club. Il rejoint alors un petit club de joueurs gays amateurs où il va découvrir une nouvelle vision du sport, plus ouverte et plus libre...
Notre avis : Généreux et plein de bonnes intentions, le cinéaste islandais Robert I. Douglas brandit l’étendard du film militant pour changer les mentalités de son îlot tristounet et tente de sensibiliser les spectateurs à la cause des gays dans le microcosme du football. Cependant, incapable de filmer un match et de présenter des personnages un minimum charismatiques, il se prend vite les pieds dans le ballon et glisse sur le terrain cinématographique sans jamais pouvoir se relever.


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Sans aucune idée de mise en scène et avec un scénario incroyablement plat, digne d’un programme télévisé à vocation pédagogique, le réalisateur aligne les maladresses en se contentant de présenter des caricatures de personnages, avec d’un côté des hétéros bourrins et misogynes, des blondes pas très futées, et dans l’autre camp une bande de gays fanfarons assez vains. Humainement maladroite, cette production dessert plus sa cause qu’elle ne l’aide à progresser. Les plans laids se succèdent pour le plus grand supplice de nos yeux fatigués qui luttent continuellement contre l’endormissement.


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Les enjeux humains d’Esprit d’équipe manquent finalement de hargne et de rage, tout comme les parties jouées sur le terrain, qui ont des allures de compétitions amateurs. Le cinéaste ne cacherait-il pas là son jeu et sa misanthropie derrière des relents de ringardise ? Les amateurs de foot et la communauté homosexuelle peuvent sortir leur carton rose face à une telle faute de goût dont on n’excusera que les nobles intentions.


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L’avis de JLD :

Que se passerait-il si l'un des meilleurs footballeurs du pays, en l'occurrence l'Islande, star de l'équipe KR, déclarait son homosexualité ? Esprit d'équipe, de l'Islandais Robert I. Douglas, est une fiction, et si le cinéaste vise une société islandaise machiste, vouée au pêcheur viril, grand consommateur d'alcool, sa satire éclabousse tous les pays fous de ballon rond.


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Voilà donc Ottar Thor, beau gosse auquel des pin-up demandent des autographes, qui sème la consternation sous les douches, à l'heure où ses coéquipiers arborent leur engin. « Je suis gay », dit-il à une journaliste trop heureuse de pouvoir sortir un scoop. Ce que le buteur prêt à tout pour décrocher la "une" n'a pas prévu, ce sont les conséquences sociales de son acte. Le film fait l'inventaire des ravages. Condamnant sa mère aux crises de larmes et à la dépression, suscitant le mépris d'un frère phallocrate, Thor est renié par son père, entraîneur du club, risée des joueurs, et persuadé que « ça se soigne ! Je vais te trouver un psy ! » Il consterne son épouse (ancienne miss Islande), qui s'enivre tandis que son fils se mure dans sa chambre. Le président de KR ne veut « pas d'une tapette dans (son) équipe », l'un de ses coéquipiers refuse de jouer avec « un pervers » qui pourrait « contaminer les autres ». Le voilà banni.


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Le cinéaste a choisi le ton de la comédie pour détecter les métastases de l'intolérance. C'est à une radiographie du ridicule qu'il nous convie. Quand Ottar Thor trouve une nouvelle équipe où l'on accueille les gays, c'est l'hémorragie inverse qu'il provoque. Inquiets pour leur réputation, les hétérosexuels ne veulent plus jouer dans un club « de tantouzes », une équipe préfère même déclarer forfait que de frayer avec ces gars-là. « Homos : 3, homophobie : 0. » La pelouse devient le cadre d'insultes...


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Esprit d'équipe se termine par un défilé de la Gay Pride où le club gay a son char, et par des normalisations diversement honorables. C'est sans renier sa « différence » que le héros fera la reconquête des siens, et par pur intérêt financier que le KR acceptera de rencontrer l'équipe honnie. Il en est ainsi dans la vie, où chacun doit lâcher du lest pour pouvoir jouer les prolongations.
Pour plus d’informations :

 

 

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Fiche technique :

Avec Qin Hao, Chen Sicheng, Wei Wu, Tan Zhuo et Jiang Jiaqi. Réalisation : Lou Ye. Scénario : Mei Feng. Directeur de la photographie : Jian Zeng. Montage : Jian Zeng, Florence Bresson et Robin Weng. Compositeur : Peyman Yazdanian.

Durée : 115 mn. Actuellement en salles.

 


Résumé :

Nankin, de nos jours, au printemps. La femme de Wang Ping le soupçonne d’infidélité. Elle engage Luo Haitao pour l’espionner et découvre ainsi l’amour que son mari porte à un homme, Jiang Cheng. C’est avec lui que Luo Haitao et Li Jing, sa petite amie, se jettent alors à corps perdu dans une folle équipée amoureuse. C’est pour tous trois le début de nuits d’ivresse suffocantes, qui égarent l’esprit et exaltent les sens. Un sulfureux voyage aux confins de la jalousie et de l’obsession amoureuse.


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L’avis de Voisin blogueur :

Deux hommes, Wang Ping et Jiang Cheng, ensemble dans une maison isolée. Des étreintes passionnées, des sentiments palpables. Ils se retrouvent souvent en cachette. Wang Ping est marié. Sa femme paie un jeune étudiant, Luo Haitao, pour espionner son compagnon. Elle ne tarde ainsi pas à découvrir qu’il la trompe et le choc que cela soit avec un homme ne fait que décupler le poids de la trahison. Alors que son mariage vole en éclats, Wang Ping attend du réconfort de la part de Jiang Cheng. Mais ce dernier ne supporte plus la complexité et la tournure dramatique que prend leur relation. Il traine dans les bars et finit par se lier avec Luo sans savoir qui il est. Luo, à force de le suivre, s’est épris de lui mais continue d’entretenir une relation avec une jeune femme travaillant à la chaine, Li Jing (qui elle-même a une relation ambiguë avec son patron). Nous sommes à Nankin, c’est le printemps, les fleurs éclosent et les désirs explosent…


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Lou Ye avait déjà marqué les esprits avec ses précédents longs-métrages et en particulier Une Jeunesse chinoise qui avait subi les foudres de la censure dans son pays. C’est ainsi que Nuit d’ivresse printanière fut tourné clandestinement. Beaucoup de caméra épaule, une réalisation très instinctive qui colle parfaitement avec les égarements de ses protagonistes. Voici une œuvre très sensuelle où l’on passe d’un personnage, d’un corps à corps à l’autre avec une grande fluidité. Alors qu’on pouvait s’attendre à un drame classique sur l’adultère, le réalisateur tisse une intrigue aux allures de ballet mélancolique où chacun s’oublie ou tente d’oublier dans des bras trop souvent de passage.


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Les relations ne seraient-elles que des nuits d’ivresse dont on ressort avec un violent mal de crâne et une sensation d’égarement ? Alors que les couples se font et se défont, nous plongeons dans l’intimité de chacun, nous assistons au portrait d’une société perdue entre désir et raison, qui se cherche sans jamais parvenir à vraiment se trouver. Chaque rencontre est l’occasion de s’explorer, l’espoir de se renouveler mais cela ne dure qu’un temps : une saison remplace une autre. Il y a des partenaires, des souvenirs qui ne sont pas interchangeables tant ils sont douloureux. Jiang Cheng va le réaliser peut être trop tard.

Avec peu de moyens, Lou Ye livre une œuvre intense, troublante et très sensible. Un film où tout peut basculer d’un moment à l’autre, où les couples peuvent se former ou se détruire d’une scène à l’autre. Nuit d’ivresse printanière diffuse délicatement et très brillamment son parfum de spleen. Avec en bonus des scènes d’intimité à faire tourner la tête.


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L’avis de Frédéric Mignard :

Portraits d’errances amoureuses en Chine contemporaine par le réalisateur d’Une Jeunesse chinoise et Suzhou river. Le résultat est sensuel, remarquablement mis en scène, mais également abscons et ennuyeux.

De Lou Ye, on se souvient surtout en France de Suzhou river et d’Une Jeunesse chinoise. C’est d’ailleurs à cause de ce dernier, projeté à Cannes en 2006, que le cinéaste s’était vu interdire de tourner chez lui, en Chine, pendant 5 ans, pour avoir utilisé des images d’archives de la manifestation de Tian’anmen. Lou Ye était également passé par la croisette en 2003 avec Purple butterfly, toujours inédit sur notre territoire.


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Avec Nuit d’ivresse printanière, présenté insolemment à Cannes en mai 2009, le cinéaste signe une œuvre trouble et érotique, qui aborde, fait remarquable pour un film chinois, le thème de l’homosexualité. Une nouvelle provocation à l’égard des autorités chinoises ? En tout cas, les corps déshabillés dans l’étreinte et le feu ardent de la passion dévorent l’écran. Avec un sens exquis de la mise en scène, qui empreinte au documentaire à l’image vacillante et à l’exercice de style esthétique, l’auteur n’est pas là pour s’embarrasser de ses choix de réalisation. Son intérêt se focalise sur l’éternel triangle amoureux, source de frustration, de jalousie et de colère. La femme, l’époux infidèle et l’amant se déchirent en beauté sous la caméra bienveillante de Lou Ye, qui ne se pose pas en donneur de leçon. Au contraire, il complique la donne avec quelques variations sur le thème de l’attraction physique.


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De notre côté, l’attrait visuel et l’indéniable parfum de scandale passés, l’on se retrouve vite à s’ennuyer. Trop abscons dans son approche des personnages et étiré inutilement, le récit ne se laisse jamais dompter et déconcerte. Il aurait gagné à être davantage resserré, surtout après l’écho cannois un peu tiède qui était déjà le signe d’une déception mesurée. Au final, ces nuits d’ivresse printanière ne sont pas désagréables, mais qu’est-ce qu’elles sont longues à passer...

Pour plus d’informations :

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