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FILMS : Les Toiles Roses


Fiche technique :

Avec Victor Carril, Alexandre Carril, Anaïs Demoustier, Katrin Sass, Fernando Ramallo, Patrick Hauthier et Samir Harrag. Réalisation : Pascal-Alex Vincent. Scénario : Pascal-Alex Vincent & Martin Drouot. Directeur de la photographie : Alexis Kavyrchine. Compositeur : Tarwater.

Durée : 80 mn. Actuellement en salles.



Résumé :

Antoine et Quentin, frères jumeaux de 18 ans, décident, à l'insu de leur père, de se rendre à pied en Espagne afin d'assister aux funérailles de leur mère qu'ils ont peu connue. La route va mettre à nu leurs différences de manière insoupçonnée.



L’avis de Cyril Legann :

Pascal-Alex Vincent est un type sympathique, je l'ai rencontré il y a quelques années et on sent chez  lui une authentique passion pour le cinéma, c'est pourquoi j'attendais son premier film avec bienveillance. Il nous avait gratifié de quelques courts-métrages intéressants comme Les Résultats du Bac ou le sucré Far West.

Malheureusement, croulant sous les influences, son premier long métrage nous fait regretter le temps du court. Même avec beaucoup de bonne volonté, difficile de s'intéresser au sort de ces deux jumeaux dont on comprend dès le premier plan qu'ils sont fort beaux (bof), et que leur relation est plus forte que tout, et qu'au bout du tunnel jaillira la lumière...

Il faut donc subir un récit (?) initiatique sur la différence où le sens du mot « contemplatif » est mis à rude épreuve. Car n'est pas Claire Denis qui veut, et il ne suffit pas d'enchaîner les séquences mutiques au milieu de paysages chatoyants pour créer du sens et de l'émotion. À force d'économie (de mots, de narration), l'ennui apparaît dès le début et ne nous lâche jamais. Là où Claire Denis et Sébastien Lifshitz puisent la force de leur cinéma, dans le non-dit et l'ellipse, Pascal-Alex Vincent enchaine les séquences « obligées » du genre avec assez peu d'inspiration.

Alors on s'ébroue dans l'eau, on s'aime au clair de lune, on s'éveille à une sexualité nouvelle, on se désespère sur les quais d'une gare... sans que jamais frissons ne vienne nous caresser l'échine. Peut-être la faute à des comédiens (amateurs) trop légers pour porter un tel film, où l'on sent la volonté appliquée de bien faire mais aucune authenticité... Dommage !



L’avis de Nicolas Maille :

Après plusieurs courts-métrages remarqués, Pascal-Alex Vincent retrouve les jumeaux qu’il avait fait tourner dans Bébé Requin et les place au cœur d’un road movie envoûtant. Le film, très peu dialogué, mise avant tout sur l’esthétique des paysages traversés ainsi que sur l’ambiguïté de la relation entre les deux frères. Une marche contemplative, donc, où le réalisateur parvient à instaurer une esthétique des non-dits parfois contrebalancée par quelques poncifs sur la découverte des sens.

Non, vous n’entendrez pas de Sheila dans Donne-moi la main. En effet, le titre n’est pas un hommage à la petite fille du Français moyen, mais fait référence au refrain de la chanson Melocotón, hymne mélancolique rendu célèbre par Colette Magny et que l’un des deux frères interprète d’ailleurs a cappella au cours du film. Donne-moi la main est même plutôt éloigné de l’univers un poil kitsch des premiers courts-métrages de Pascal-Alex Vincent (comme le très drôle Far West où une bande de jeunes gays excentriques passaient un week-end à la campagne), même si l’on retrouve des thématiques qu’il a déjà développées comme le passage de l’adolescence à l’âge adulte, la découverte de l’homosexualité ou la gémellité.



Pour Pascal-Alex Vincent, le Japon est une grande histoire d’amour. Il semble donc naturel qu’il en fasse allusion et ce dès les premières images du film, une séquence animée d’inspiration manga. Implicitement, c’est aussi pour lui une manière de marquer la transition avec ses œuvres antérieures puisque son dernier court-métrage, Candy Boy, était également dans l’esprit des dessins animés japonais. Dans cette scène d’ouverture, l’un des frères vient chercher son jumeau dans la boulangerie paternelle avant de prendre la route pour l’Espagne. Ils se mettent à courir dans la rue, l’un essayant perpétuellement de dépasser l’autre et l’on devine déjà que toute leur relation est construite sur un rapport de force. Néanmoins, il faudra attendre près de 20 minutes pour connaître l’objet précis de leur voyage : « Nous partons en Espagne pour l’enterrement de notre mère. Nous ne l’avons pas beaucoup connue » explique de manière lapidaire l’un des jumeaux à une jeune femme rencontrée à une station service. Depuis le début, les deux garçons ne parlaient pas beaucoup. La suite de leur marche est du même acabit, marquée par leur mutisme et ponctuée par des affrontements, des rencontres de passage (on retrouve notamment Fernando Ramollo, le jeune blondinet révélé dans Krámpack), et des corps à corps virils. Le réalisateur avoue se placer dans la mouvance des road movies américains des années 1970, avec un goût prononcé pour filmer les routes, les voies ferrées, les paysages qui défilent à travers une voiture, un camion, un train, en somme tous les moyens de locomotion utilisés par les deux frères au cours de leur traversée. Le film joue clairement la carte du contemplatif et mise plus sur le suggestif (d’où l’économie de dialogues) que l’explicatif. Par là-même, il ne fait qu’accentuer l’absence de communicabilité entre les deux frères, réduits à exprimer leurs instincts les plus primaires (« J’ai faim, je suis fatigué ») et pervers (quand l’un des jumeaux "vend" son frère à un homme dans une gare). Le parti pris est risqué, mais même si Donne-moi la main prend du temps à démarrer, Pascal-Alex Vincent arrive à nous captiver par la force de ses images, sa façon de cadrer les paysages ou d’instaurer l’espace (on pense par exemple ce travelling avant qui nous fait pénétrer dans le self glauque d’une gare de province).



Il semble évident que Pascal-Alex Vincent a une fascination pour les jumeaux Alexandre et Victor Carril, et que le film a été écrit pour eux. Le réalisateur ne s’en cache pas. Il dit s’être beaucoup inspiré des échanges qu’il a eus avec les deux acteurs et leur avoir laissé une bonne part d’improvisation au cours du tournage. Forcément, on n’échappe pas à une certaine érotisation du duo avec toujours en filigranes la fantasmagorie homosexuelle que peut véhiculer la gémellité. Deux scènes peuvent être mises en miroir : quand Quentin épie Antoine faire l’amour avec la jeune fille de la station-service, puis quand inversement, au crépuscule, Antoine voit son jumeau enlacé avec un garçon. Ces deux scènes traduisent à la fois les différences sexuelles des deux frères, mais elles se construisent également sur un rapport légèrement pervers de voyeurisme et de transfert. Pascal-Alex Vincent reste suggestif et se garde certes de tout regard racoleur. Mais on aurait presque préféré qu’il assume plus sa fascination pour les jumeaux, un peu à la manière d’un Gaël Morel qui, dans Le Clan, se fait avant tout plaisir à filmer les torses dénudés de ses acteurs.



Au lieu de cela, Donne-moi la main donne parfois l’impression de se rassurer en réactivant bon nombre de poncifs sur le deuil, le voyage comme cristallisateur de différences ou la découverte de l’homosexualité (l’initiation de Quentin passe par un jeune beur garçon de ferme, la scène où Antoine essaie de vendre son frère semble sortie d’un film de Téchiné de la fin des années 80). Tous les chemins pris par ce film ne sont pas convaincants, mais il y a dans cette marche bucolique vénéneuse un trouble permanent qui suffit à nous rendre captifs. En passant du court au long et à l’image de l’évolution des deux personnages de Donne-moi la main, le cinéma de Pascal-Alex Vincent est en tout cas sur le point d’accéder à une maturité que l’on prédit prometteuse.

Pour plus d’informations :




Fiche technique :

Avec Peter Berlin, John Waters, Armistead Maupin, Wakefield Poole, Jack Wrangler, Robert W. Richards, Rick Castro, John F. Karr, Dan Nicoletta, Robert Boulanger et Guy Clark. Réalisation : Jim Tushinski. Production : Lawrence Helman & Jim Tushinski. Montage : Clarence Reinhart et Jim Tushinski. Musique : Jack Curtis Dubowsky.
Durée : 80 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
Comment devient-on Peter Berlin ? Comment cet homme est né une deuxième fois en s’inventant un physique et un look, jusqu’à son nom, pour devenir une des plus célèbres icônes gays du XXe siècle ? Le documentaire de Jim Tushinski répond à ces questions en parcourant la vie de Peter, de son enfance, durant l’immédiate après-guerre en Allemagne, à sa vie actuelle à San Francisco. Artiste doué, photographe et cinéaste, Peter Berlin nous explique qu’il est sa plus grande création, soigneusement construite et... inaccessible. Ses admirateurs et ses amis offrent avis et anecdotes. Mais Peter Berlin est un excellent commentateur de sa propre vie. Le film est agrémenté de stupéfiantes photos d'archives et d'extraits de films.


L’avis de Bernard Alapetite :
Peter Berlin interroge sur le statut de documentaire, tant il fait naître l’émotion et tant, par définition, il dépasse le document.
La conjonction du double fait que, premièrement, aujourd’hui nous possédons pour quelques personnes, et pas seulement pour des personnalités, des images fixes mais surtout des images qui bougent de leurs premières années à leur fin et que deuxièmement, en particulier pour l’homosexualité, nous assistons à la quasi suppression de la frontière entre la sphère publique et la sphère privée, et participe à l’émergence de films, comme celui-ci, où le documentaire s’avère plus romanesque que la plupart des fictions.
En observant bien Peter Berlin, on voit certes un bel homme, mais presque un homme ordinaire. Pourtant cet homme a eu le talent de se rendre extraordinaire. Il a construit un personnage qu’il vivait 24 heures sur 24, pour le plaisir des autres, mais surtout pour le sien. Son histoire extraordinaire est ainsi emblématique du parcours de beaucoup d’hommes ordinaires qui sont devenus extraordinaires à force de volonté et aussi d’avoir su capter l’attente d’une époque. Ils ont ainsi fait l’Histoire. Pour Peter Berlin, ce n’est pas l’histoire avec un grand H mais la petite histoire du mouvement gay qui heureusement commence à nous parvenir enfin, grâce à l’influence des gays studies américaines.
Peter Berlin, le « Greta Garbo du porno » comme il est qualifié dans ce documentaire, n’a fait que deux films, Nights in Black Leather, réalisé en 1973 par Ignacio Rudkowski, mais sur les idées et les instructions de Peter, et That Boy en 1974. Il a aussi figuré dans quelques courts-métrages, tournés en 16 mm, diffusés d’une façon confidentielle. Il est donc plus une icône qu’un acteur. (Tous les films sont achetables en dvd sur son site officiel)
Peter Berlin peut être, à mon sens, considéré comme un artiste majeur du body art à l’instar par exemple, d’hier Pierre Molinier ou d’aujourd’hui, Anthony Goicolea. Il a une capacité de se mettre en scène, seul, avec un polymorphisme aussi remarquable que, parfois, presque obscène. Peter est un être multiple. Il passe de maigre à baraqué, de normalement musclé à hyper dessiné. Au fil des séances, il apparaît si différent, et pourtant toujours avec le même sex-appeal. Ses poses ont quelque chose d’à la fois de vraiment triviales (la bouche entrouverte, le visage incliné, les yeux mi-clos), très salope, et d’à la fois sophistiquées, félin, aristocratique avec un sens aigu du détail dans les tenues, les gestes, les regards... Dans le film, il est tantôt content de lui et même infatué, tantôt peu sûr de son « œuvre » : « Je me suis toujours photographié seul, dans mon intimité, avec un miroir pour mettre au point les images, et des marques sur les décors pour me repérer. Mes images n’étaient pas destinées à être montrées. C’est après la sortie de Nuits en cuir noir que j’ai accepté d’en diffuser. Je trouve mes films médiocres mais je suis très fier des images que j’ai réalisées. Là est mon vrai travail. » On ne sait pas s’il parle des photos elles-mêmes, ou de ce qu’elles représentent, c’est-à-dire lui…
Il invente le nom de Peter Berlin en 1973, aux USA , parce que lorsqu’il répondait Armin aux américains qui lui demandaient son prénom, ceux-ci ne parvenaient pas à bien le prononcer. Armin Hoyningen Huéné, lui, est né en 1943 dans une famille d’aristocrates allemands ruinés, mais cultivés. Il est le petit-neveu du grand photographe hollywoodien et gay George Hoyningen Huéné. Dans sa prime jeunesse, il travaille comme photographe pour la télévision, habite Berlin. Il voyage beaucoup en Europe, Rome, Paris... suivant son riche ami Joachem Lahiola avant d’arriver aux États-Unis en 1970 d’où il ne repartira plus. Il réside d’abord à New York, puis à San Francisco où il crée Peter Berlin. Un être déjà décalé dans l’univers des clones qui surgissaient alors. Un clone inclonable, puisque si Peter ne ressemble à rien de ce qui a existé jusqu’alors, rien ni personne ne lui ressemble depuis.

Ce que révèle surtout le film, c’est que cet homme, d’un ego surdimensionné, est très fier de son sang bleu et de son exhibitionnisme, mais il sait être d’une grande pudeur et d’une grande justesse lorsqu’il parle de l’histoire d’amour qu’il a eu pendant 20 ans avec son ami James et du sida qui l’emporta. C’est la partie la plus belle et la plus touchante du film. Elle nous apprend qu’il ne faut jamais rester à la surface des images, même celles d’une icône gay...
Jim Tushinski a recueilli les différents témoignages avec beaucoup de tact et de pertinence, puis a su tricoter habilement ces séquences, toujours élégantes, avec un nombre impressionnant de films et de photos d’époque pour en faire ce documentaire exemplaire : le portrait d’un homme qui ne cherchait pas à être célèbre, seulement à être désiré et aimé.  
Peter Berlin n’a que très peu confié son corps à quelqu’un d’autre que lui-même. Il n’a accepté d’être photographié que par Robert Mapplethorpe, un peu par Warhol, et dessiné que par Tom of Finland dont on voit les œuvres. Les noms cités démontrent qu’il ne manque pas de goûts.

Pour plus d’informations :
Site officiel de Peter Berlin
Site officiel du film


Fiche technique :

Avec Mark Lee, Arthur Dignam, Paul Goddard, Tom Kennedy, Paul Davies, Alen Carey, Heather Mitch, Alexander Brown et Dennis Miller. Réalisation : Michael Thornhill. Scénario : Frank Moorhouse, d'après son recueil de nouvelles The Everlasting Secret Family and Other Secrets. Chef Opérateur : Julian Penney.
Musique : Tony Bremmer. Montage : Pamela Barnetta.
Durée : 93 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :
Un important sénateur d’âge mûr (Arthur Dignam) se rend dans une école privée de garçons pour y choisir son nouvel amant. Au sein d’un groupe de beaux jeunes gens, il désigne un blondinet (Mark Lee). On arrange alors plusieurs rencontres entre eux. Le garçon accepte les avances du politicien, et bientôt il est introduit dans un groupe composé de notables homosexuels et de leurs jeunes amants. Notre héros est ensuite intronisé dans cette confrérie, « la famille », lors d’un rituel vaguement maçonnique. Il apprécie bien vite le pouvoir et le prestige auxquels il a droit en tant que garçon-objet du sénateur.

Pour parfaire sa carrière, le sénateur doit se marier. Il choisit une jeune femme de la meilleure société, brushing et coupé Mercedes. Et voici notre garçon-objet jaloux et inquiet pour son confort. Un jour le chauffeur du sénateur, Eric (Dennis Miller), apprend au garçon que lui aussi a été un des amoureux du politicien mais le temps ayant fait ses ravages, il n’est maintenant plus que son chauffeur. Plus tard, le jeune homme devient l’amant d’un juge distingué (John Meillon) avec lequel il entretient des rapports sadomasochistes dans lesquels il est le dominant. Le jeune homme, terrifié de voir que son statut privilégié s’érode, exige que le juge lui fournisse le nom d'un médecin qui connaîtrait le secret de l’éternelle jeunesse... Pour améliorer son image, le sénateur a un enfant. Il amène son amant au domicile conjugal pour s’occuper de son fils.

Seize ans ont passé. Le fils du sénateur, influencé par son mentor, devient homosexuel et est aussi initié à la « famille ». Le sénateur et son fils dépendent alors de l'amour du jeune homme qui est devenu, au fil du temps, le point central de leur vie.


L’avis de
Bernard Alapetite :
Ce film pourrait être inquiétant à plus d’un titre, d’abord parce qu’il traite de l’abus sexuel perpétré par des nantis et notables sur une jeunesse naïve mais surtout par ce qu’il présente une sorte de théorie du complot avec comme d’habitude une secte secrète, cette fois de dépravés sexuels qui mènent le monde uniquement pour assouvir leurs fantasmes libidineux. Heureusement, on ne croit pas une seconde à cette fable abracadabrantesque issue de la plume d’un gros frustré. Cela dit, on comprend qu’un tel film puisse se faire sur le terreau de l'hypocrisie sexuelle de la société australienne des années 60 et 70, qui est par ailleurs assez justement dépeint.
The Everlasting Secret Family mélange une étude psychologique et de milieu presque naturaliste avec un scénario complètement barré, avec ce médecin qui peut donner la jeunesse éternelle à un Dorian Gray version éphèbophile. L’étrangeté du film est renforcée par son environnement bucolique, la ville de Camberra et ses alentours, la capitale nationale de l'Australie, ville uniquement administrative et assez artificielle, située au milieu de nulle part. Ensuite l’intrigue se transporte à Sydney, qui est vécue par le garçon curieusement comme un lieu claustrophobique dont on ne verra que le port de plaisance, vu de la fenêtre de l’appartement, à la reconstitution soignée, très design chic année 70, dans lequel le sénateur a installé son amant sous la garde de son chauffeur... Autre bizarrerie : on ne connaîtra jamais ni le nom du garçon ni celui du sénateur.
Si on laisse de côté le fatras ésotérico-fantastique, le rite crypto maçonnique pour être coopté dans « la famille » étant d’un ridicule achevé et devant déclencher une franche rigolade, on découvre un film sensible qui nous raconte la difficulté d’un homme politique à vivre son amour homosexuel, les accommodements qu’il doit faire pour parvenir à maintenir son rang, comme épouser une femme qu’il n’aime pas et avoir un enfant qui l’indiffère. On peut noter avec quelle habileté il se sert de ce dernier pour amener au domicile conjugal son amant. Ce sénateur, qui a des faux airs du « bon » docteur Goebbels, n’est pas le prédateur cynique qu’on pourrait croire à la lecture du pitch du scénario. Il aime sincèrement le garçon mais il ne veut pas lui sacrifier son statut social. Il ne laisse pas tomber non plus son ex, recyclé en factotum. On perçoit que sa femme n’est pas dupe et préfère ces arrangements plutôt que de perdre elle aussi le rang dans la société auquel son mariage lui a permis d’accéder. Elle ne veut pas plus perdre l’amour de son fils qu’elle accepte de partager avec l’ancien amant de son mari... Mais ce film sans l’habillage du scandale et du bizarre était sans doute plus difficile à réaliser mais c’est celui-là qui intéresse le cinéaste.

Le chef opérateur réussit un beau travail de mise en images, mention spéciale pour la scène d’ouverture avec tout le collège s’ébattant en petite tenue blanche sur un stade au gazon tout britannique, bien aidé par un décorateur soucieux du moindre détail. On peut regretter le puritanisme du filmage. Pourtant le film commençait bien avec le bouchonnage du garçon nu par le sénateur, malheureusement cette scène croquignolesque restera veuve même si l’on a plusieurs fois l’occasion d’admirer Mark Lee, qui a été la co-star avec Mel Gibson de l’excellent Gallipoli de Peter Weir, en culotte fort seyante. En dehors de son physique accorte, tout de même pas assez juvénile pour le rôle, il joue très bien comme le reste de la distribution : des habitués des plateaux de la télévision australienne. On reconnaît dans le juge adepte de la fessée John Meillon, un des rôles principaux des Crocodile Dundee. Dans ce panorama non exhaustif, je m’en voudrais d’oublier la musique de Bremner, façon chœur liturgique, interprétée par de mâles voix, qui intervient régulièrement à des moments où elle est complètement décalée !

Il faut aller au-delà de la surface de cette bizarrerie australienne – avec sa société secrète d’homosexuels très organisée : « la famille », qui ressemble à la fois à un fantasme de pédéraste et à une phobie de policier homophobe – pour découvrir une histoire humaine dont les antipodes n’ont pas le privilège.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Jonas Bloquet, Jonathan Zaccai, Yannick Renier, Claire Bodson, Pauline Etienne, Anne Coesens, Johan Leysen. Réalisation : Joachim Lafosse. Scénario : Joachim Lafosse et François Pirot. Directeur de la photographie : Hichame Alaouié. Décors : Anna Falguère. Costumes : Anne-Catherine Kunz. Montage : Sophie Vercruysse.

Durée : 105 mn. Actuellement en salles. Interdit aux moins de 12 ans.



Résumé :

Jonas (Jonas Bloquet) est doté de parents évanescents, mère toujours absente et père tout juste bon à verser la pension alimentaire ; à cause de ses résultats médiocres, il est renvoyé de son lycée. Il avait tout misé sur le tennis espérant devenir professionnel, mais les résultats ne sont pas à la hauteur de ses espérances. Son entraîneur lui conseille de ne pas insister. Voilà cet adolescent naïf de seize ans désespéré devant ses rêves qui s'évanouissent. Le salut vient de trois adultes qui décident de le prendre en main et de lui faire passer l’examen de fin d’études secondaires en candidat libre. Petit à petit l’un d’eux, Pierre (Jonathan Zaccai), s’impose comme son unique mentor...



L’avis de Cyril Legann :

Cela faisait un moment que l'on avait pas vu un bon petit film français (ou européen puisqu'il s'agit d'une co-production avec la Belgique) sur le désir naissant et les contradictions de l'adolescence, tout en longs soupirs et plans contemplatifs.

Aussi lorsqu'on voit l'affiche d'Élève libre, l'intérêt s'aiguise pour qui a aimé en son temps Les Roseaux sauvages et autres Presque Rien. D'autant plus que dans le rôle du jeune tourmenté, Joachim Lafosse n'a pas choisi le pire. C'est donc le beau Jonas Bloquet, déniché sur un cours de tennis, boucles blondes et yeux de biche, qui incarne un adolescent délaissé par ses parents, en situation d'échec scolaire, qui trouve du réconfort auprès d'amis plus âgés aux mœurs libérées.

Et c'est vrai qu'on ne voit pas arriver tout de suite le pot aux roses, il faut dire que le film prend complaisamment le temps d'installer la situation, sans toutefois qu'elle soit claire pour tout le monde (on ne sait jamais qui sont exactement ces adultes chez qui Jonas trouve refuge). Mais ce qui s'annonçait comme un film sensible bien qu'un peu maladroit, prend une toute autre tournure beaucoup moins bienveillante lorsqu'il devient clair que le « précepteur » de Jonas, interprété par Jonathan Zaccaï éprouve de l'attirance pour le jeune homme.



S'ensuit une démonstration poussive de la façon dont peut s'y prendre un adulte pour manipuler un pauvre adolescent sans défense. Petit à petit, le réalisateur distille insidieusement une morale plus que douteuse, à travers des dialogues grossiers et répétitifs et des scènes érotiques navrantes, filmées avec une fausse pudeur hypocrite au possible.

Ce qui se veut sur le fil du rasoir est en réalité extrêmement clair, et on comprend trop vite là où il veut en venir, la pseudo ambiguïté du discours ne servant au final qu'à faire passer en douceur la  pudibonderie de l'ensemble. Outre le fait que cette morale n'a rien de neuf, elle est accouchée péniblement par les deux laborieuses heures de ce long métrage, qui s'inscrit dans une sorte de bien-pensance tout à fait actuelle, s'apparentant ainsi à un téléfilm précédant une soirée-débat avec Jean-Luc Delarue.

On est loin, très loin de l'audace politiquement incorrecte d'un Mysterious Skin par exemple, et si cela nous rappelle un peu Noce blanche au masculin par moments, c'est pour mieux souligner le manque de talent qui l'en sépare.



L’avis du Dr Orlof :

Je vais finir par donner raison à mes détracteurs qui me reprochent de ne parler que de films vus à la télévision si je ne me décide pas à retourner en salles. Le problème, c'est que toutes les nouveautés susceptibles de m'intéresser (Schroeter, Serra, Fleischer, Oliveira...) ne sont pas sorties dans ma ville. Du coup, j'ai fait confiance aux critiques et me suis aventuré à aller voir le dernier opus de Joachim Lafosse (Nue propriété) dont je n'avais vu aucun film.

Jonas est un adolescent de son époque : doué au tennis, il passe à côté de sa scolarité et se voit réorienté vers une filière professionnelle (avec, selon ses propres mots, « les ratés »). Il décide alors, pour éviter cela, de passer un examen en candidat libre qui lui permettra d'intégrer une école spécialisée. Pierre, un ami de sa mère, lui propose des cours privés pour le remettre à niveau. Mais très vite, cette éducation dépasse le strict cadre de la scolarité et vire sur les chemins de la sexualité...

Le sujet du film me semblait assez intéressant : le rapport trouble entre adulte et adolescent, la question du désir dans le rapport « maître/élève », celle de l'intimité et de ses limites... À l'arrivée, le résultat est plutôt décevant et convenu. Joachim Lafosse a beau être belge, on a l'impression avoir vu un de ses énièmes « film d'auteur » à la française où les fausses audaces masquent mal un académisme que j'ai de plus en plus de mal à supporter.



Oh, bien sûr, il ne s'agit plus de l'académisme « à la papa » des années 50 et des films bien propres sur eux, illustrant scrogneugneusement des scénarii hyper bétonnés. Les temps ont changé et c'est le cinéma dit « d'auteur » qui s'est figé dans une doxa esthétique inébranlable. Pour prendre l'exemple de Joachim Lafosse, notre bonhomme sait parfaitement éviter l'anonymat du téléfilm en élargissant son cadre, en saupoudrant son récit de quelques scènes « sexuelles » (avec toujours en tête une conscience très précise de ce qu'il ne faut surtout pas dépasser !) et en laissant durer ses plans. Sauf que ces plans-séquences fixes sont devenus une tarte à la crème telle qu'à moins d'avoir été réellement pensés, on n'arrive plus à en saisir les objectifs.

De plus, même si le sujet abordé peut laisser croire à une approche originale et personnelle, Élève libre ne dévie à aucun moment de la ligne choisie par son auteur. Pour être plus clair (?), Lafosse ne se laisse jamais débordé (n'y voyez aucun mauvais jeu de mots !) par son thème ou par l'épaisseur que le film aurait dû conférer à ses personnages.

Pour le dire autrement, Lafosse place tout de suite le spectateur du côté du Bien, à savoir l'Innocent (cet adolescent un peu benêt, très bien joué par Jonas Bloquet). Côté Mal : les adultes qui tentent de s'immiscer sans scrupule dans l'intimité de ce jeune homme. Puisque, d'après le cinéaste, toute éducation est un viol (il s'agit de modeler une personnalité pour qu'elle s'adapte à une société), il déroulera sa métaphore de manière à la prendre au pied de la lettre : le maître « abusera » de son élève. La démonstration est un peu lourde.

J'ai entendu parler certains critiques de « cinéma moral » (le réalisateur dédie le film « à nos limites ») alors que je le trouve plutôt moralisateur. On nous sert encore la sempiternelle attaque contre nos sociétés individualistes où l'adulte ne pense qu'à sa propre jouissance, quitte à empiéter sur l'intimité de l'Autre. Et bizarrement, on retrouve un peu le même problème que dans l'horrible La Belle personne quant à la vision des adolescents. Chez Honoré, on pratique le mélange des genres (l'Autre n'est que le Même : le prof peut forcément coucher avec une élève qui a l'air d'avoir le même âge que lui) tandis que chez Lafosse, l'adolescent reste aussi un Autre fantasmé (c'est l'innocence bafouée, l'éternelle victime...). Du coup, il y a quelque chose de faux, à l'heure du porno à portée de clic et des adolescentes qui s'exhibent sur leurs webcams, à voir ce Jonas totalement ignorant des choses de l'amour et manipulé à sa guise par des adultes pervers. Le film reste toujours une vue de l'esprit et ne parvient pas à s'incarner. Il lui manque à la fois de l'ambiguïté (ce qu'il y a de magnifique dans le Lolita de Nabokov, c'est qu'Humbert Humbert est à la fois le monstre ET la victime de l'histoire), de réciprocité (quid du désir de certains adolescents de séduire les adultes ?) et de « résistance ». Lorsque dans La bouche de Jean-Pierre de Lucile Hadzihalilovic, un adulte tente d'abuser d'une enfant, celle-ci résiste à ses assauts et il reste à l'écran un corps qui se défend.

Jonas non. Ce n'est pas un corps mais une idée théorique (encore une fois, l'adolescence bafouée). Il ne s'agit pas d'excuser les actes des adultes qui le manipulent (loin de moi cette idée !) mais d'élargir un point de vue que je trouve assez schématique et convenu (il faut entendre les stupides sophismes que prononcent lesdits adultes).

Pour tout simplement saisir l'ampleur du Réel et de ce que nous appellerions volontiers le « négatif » qu'il recèle.

À vouloir trop se placer du côté du Bien et de la Morale, Lafosse nous livre un film désincarné et assez déplaisant...



L'avis de Bernard Alapetite :

Élève libre démontre, si besoin était, que les classiques travaillent encore la société, tout du moins une infime partie de celle-ci, fut-elle belge, car le film (à l’ exception de sa fin) est sous l’égide des Liaisons dangereuses (on peut aussi convoquer pour le cinéma The Servant, Violence et passion et pour la littérature La Dispute de Marivaux et Les Désarrois de l’élève Toerless entre autres). Ce n’est pas comme le très sous estimé Sexe intentions une version moderne de l’œuvre de Laclos mais une variation sur ses thèmes et son climat. La bonne idée est d'y d’avoir remplacé la petite dinde (des Liaisons) par un veau.

Le film débute par le générique en caractères blancs qui défilent sur un fond noir. Simultanément on entend des ahanements qui pourraient être sexuels mais qu’en vieil habitué des courts j’ai reconnu comme étant ceux d’un joueur de tennis frappant la balle de toute sa force et sa hargne. Puis l’image rejoint le son. Apparaît Jonas, environ seize ans, au très joli minois, qui s'avèrera très vite être un lycéen calamiteux qui ne rêve que de devenir tennisman professionnel (on notera qu’une fois encore l’éveil de la sexualité est associé au sport comme dans Douches froides (Anthony Cordier, 2005) et Naissance des pieuvres (Céline Sciamma, 2007)). Mais malheureusement pour lui, si Jonas n’est pas mauvais dans le sport qu’il a choisi, il n’est néanmoins pas assez bon pour intégrer l’élite de son pays, la Belgique.

L’attention au son que révèle le traitement du générique ne se démentira pas jusqu’à la dernière image.

Jonas est renvoyé de son collège ; la directrice ne veut même pas qu’il redouble une nouvelle fois et elle l’aiguille vers une filière professionnelle. De son côté, son entraîneur de tennis ne lui laisse que peu d’espoir quant à faire une carrière dans ce sport.

Nous voilà donc en présence d’un raté que sa passagère fraîcheur garde encore à l’abri de l’abîme. C’est à n’en point douter cette accorte physionomie qui fait que trois adultes, entre trente et quarante ans, un couple, Didier joué par Yannick Renier (que l’on a vu dernièrement dans Nés en 68) et Nathalie interprétée par Claire Bodson, et un célibataire, Pierre, s’intéressent à son cas. En la quasi absence des parents, ils décident de le prendre en main, dans tous les sens du terme, pour faire son éducation intellectuelle, sociale, sentimentale et sexuelle.

Toutes ces informations nous sont données au fur et à mesure de scènes denses et bien menées où tout est signifiant et néanmoins jamais asséné. Élève libre s’il est limpide, ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas cérébral, demande au spectateur d’être attentif au moindre détail (visiblement jamais laissé au hasard) surtout s’il n’est pas au fait des arcanes du système éducatif belge, et à chaque dialogue, en particulier ceux des nombreuses scènes de repas dans lesquelles, entre la poire et le fromage, il est question de la part du trio d’initiateurs de jouissance clitoridienne, de spasmes de plaisir ou des différentes positions dans les relations sexuelles...

Nous sommes assez près des contes rohmériens. Le ludique et le concept intellectuel prennent vite le pas sur le naturalisme. Mais une fable rohmérienne où les jeux des regards auraient plus de place que les joutes verbales. Je parle d'autant plus de fable que d’une part on sent bien que ce qui intéresse en premier le cinéaste c’est la morale (fort ambiguë à mon sens) que le spectateur peut tirer de cette étrange aventure, et que d’autre part, la facilité avec laquelle le trio arrive si facilement à mettre sous leur coupe le garçon, sans qu’aucun obstacle ne se dresse en travers de leurs desseins, ce qui est assez improbable dans « la vraie vie ».



Indéniablement, Joachim Lafosse est travaillé par la question de la transmission (c’était déjà le centre d’un de ses précédents films Nue propriété mais dans ce cas, il s’agissait de transmission matérielle). Dans Élève libre, le cinéaste explore la frontière entre transmission et transgression. Il confirme qu’il s'agit d'un des points de départ de son film : « Qu'est-ce qui fait qu'on peut basculer d'un côté ou de l'autre ? À partir de quand, dans l'éducation, passe-t-on de la transmission à la transgression ?.. Jonas est un adolescent curieux qui veut découvrir des tas de choses. Il rencontre des adultes qui lui font croire qu'ils ont les réponses à ses questions. Comme tout névrosé confronté au manque et à la souffrance, Jonas a envie d'un guide et Pierre se positionne exactement à cette place. Il se comporte comme le dépositaire du savoir avec Jonas. » Élève libre traite également de la perversion : « Sortir l'autre de son libre-arbitre tout en lui faisant croire que c'est sa propre démarche... C'est toujours en complimentant les gens qu'on les séduit. J'aimerais que le film donne envie au spectateur de se demander si cette situation est perverse ou pas, ce que c'est que la perversion... Je trouve que le mot "perversion" est galvaudé. Le pervers n'existe que dans le lien avec ses victimes. Il faut qu'il trouve quelqu'un qui accepte de rentrer dans son jeu... Être adulte, c'est être capable de dire : non. Mais il faut qu'on t'ait transmis la nécessité de penser les limites pour que tu puisses les mettre toi-même. Cette question des limites est au cœur de la pensée du psychanalyste André Green, dont j'aime beaucoup le travail. » Les déclarations du réalisateur révèlent un état d'esprit assez puritain, pudibond et politiquement correct. Elles contredisent en partie son film car la relation de Jonas et de Pierre n’est guère différente de celle qu’entretenait dans la Grèce antique l’éphèbe avec son éraste qui transmettait son savoir et son expérience lorsque le plus jeune lui procurait volupté et tendresse. Peut-on considérer cette forme d’échange comme perverse ou marchande ? Dans le cas de Pierre et de Jonas, ce qui gêne le plus c’est que Pierre n’a pas le courage de poser d’emblée les règles de l’échange.

Tout cela nous est asséné sans préambule, sans dialogue ni explication superflus. Ce que l’on apprend, on le sait par l’intermédiaire d’une grammaire cinématographique parfaitement maîtrisée.

La principale question que l’on se pose, dans la première moitié du film, est « quelle est la véritable nature des intentions du trio ? », car on ne comprend pas bien quel est le but de cette sollicitude, sinon de mettre le beau Jonas dans leurs lits. Mais alors on se dit que le stratagème est bien compliqué et chronophage pour nos trentenaires et qu’il n’était peut-être pas nécessaire de déployer autant d’efforts pour arriver à ce but. Le spectateur est surpris de voir ces trois beaux esprits s’évertuer à faire surgir une étincelle de cette jolie bûche et ne pas s’apercevoir qu’il est vain d’attendre de leur élève plus que de médiocres galipettes en leurs couches. Car en plus, le pauvre garçon semble peu doué pour la chose comme le prouve ses fiascos sexuels avec sa copine qui n’est ni une lumière ni une beauté et encore moins une bombe sexuelle ; chez elle pas de salut hormis la position du missionnaire !

Jonas est bien représentatif des nombreuses créatures qui encombrent, de leur certes belle apparence, les bancs des lycées, et pas seulement outre Quiévrain.

On va un moment supposer que Pierre s’est donné ce challenge, c’est lui-même qui emploie cette expression, d’éduquer Jonas pour combler le vide de sa propre vie ou à moins même que ce soit un pur jeu intellectuel pour moderniser le mythe de Pygmalion. À moins encore que cela relève chez lui du plaisir que provoque chez certains le pouvoir qu’ils exercent sur une autre personne. Mais là encore… que de talent pour dominer une pauvre chose qui sera bientôt obsolète. La médiocrité de Jonas fait que l’on reporte notre intérêt sur ces intrigants adultes et, bien vite, surtout sur Pierre qui s’institue le mentor du garçon, éclipsant le couple.

Car le quatuor glisse progressivement vers un duo entre Jonas et Pierre. Dans cette deuxième partie, le film perd un peu du rythme impeccable qu’il avait depuis le début tout en se tendant vers un insoutenable suspense : Pierre va-t-il sauter Jonas ? Mon mauvais esprit ne voit toujours pas alors pourquoi ce puits de science de Pierre (dont on ne sait pas exactement, mais il en va de même pour les autres personnages, ce qui l’occupe professionnellement ni d’où il tire sa confortable aisance) peut se passionner pour ce jeune con sinon pour lui titiller le fion et lui astiquer le chibre ! Ne comptez pas sur moi pour vous vendre la mèche, tant je vous conseille d’y aller voir par vous-même.



Insensiblement le sentiment du spectateur vis à vis des deux personnages se modifie ; jusqu’ici la bêtise de Jonas et la perversité qui semblait dicter les actes de Pierre empêchaient toute empathie envers eux. Même si pour l’un on était subjugué par sa beauté et pour l’autre passionné par ses manigances. Cependant, confronté à cette histoire le spectateur se sent obligé de se positionner. Et puis petit à petit on s’aperçoit que l’enseignement de Pierre a transformé Jonas et qu’il n’est plus la proie niaise du début tandis que Pierre, comme par un curieux effet de vase communiquant, se révèle plus fragile et qu’il est en fait plus un amoureux qu’un cynique libertin.

La facture du film change en même temps qu’il se recentre sur Pierre et Jonas. Le réalisateur resserre ses cadrages sur le couple. Le procédé transcrit bien l’atmosphère du film qui se fait de plus en plus étouffante à mesure que la relation entre Pierre et Jonas se tend. On ne voit plus l’extérieur qu’à travers la baie vitrée de l’appartement de Pierre. Joachim Lafosse crée une bulle un peu irréelle, une sorte de cocon intemporel. La réalisation s’est ingéniée à gommer ce qui daterait expressément le film. Dès la première image, la tenue de tennis de Jonas n’est pas vraiment du dernier cri, mais assez neutre. Dans un film où l’on parle sans arrêt de sexe, il n’est jamais question du sida ou de préservatif. Les personnages eux-mêmes avec la posture pseudo libertaire du trio et la naïveté de Jonas semblent plus appartenir au début des années 80 qu’au XXIe siècle. Le spectateur attentif remarquera pourtant, par la fenêtre de l’appartement de Pierre, le drapeau belge pendu au balcon de ses voisins, signe que cette séquence a été tournée en automne 2007, époque où les partisans de l’unité de la Belgique affichaient leurs convictions de cette manière.

Pierre est à la fois le mentor et la mère nourricière de Jonas qui désormais vit chez lui. Ce sentiment de protection est en vérité un leurre. L'emprise de Pierre sur l’adolescent s'accroît, à mesure que les tabous tombent un à un. L'intelligence de Pierre est de n'avoir pas agi contre la famille de Jonas mais imperceptiblement de la remplacer peu à peu.

Une des originalités techniques du film est qu’il a été tourné en scope, alors qu’il y a très peu d’extérieurs et pas d’avantage de grands espaces. Mais le scope permet au réalisateur de faire “vivre” dans son cadre au moins trois personnages à la fois. Il est par exemple bien utile pour les scènes de repas. On y voit tout le monde à table sur le même plan, cela évite le champ/contrechamp.

Durant tout le film le réalisateur et son chef opérateur, mariant parfaitement la forme et le fond, adaptent leur technique pour servir le mieux possible le propos des différentes scènes. Le cadre est très souvent serré sur le visage d’un personnage et lorsqu’il s’élargit, la profondeur de champ minimale que donnent les focales longues isole l’acteur par sa netteté sur le flou du décor. Mais parfois les plans sont larges, nets du premier plan à l'infini, comme pour perdre les comédiens dans le champ, ou pour renforcer le contraste entre les intérieurs cossus et feutrés et les propos des plus crus lors notamment des scènes de repas, traitées en plans séquences. Dans celles-ci, les répliques sont parfois cocasses et incongrues. Comme ce toast : « On boit à la quéquette de Jonas. »



La seule faiblesse du film est d’ordre scénaristique. Si l’on comprend bien que Joachim Lafosse n’a pas envie de donner toutes les clefs de ses personnages, on regrette néanmoins que les personnages secondaires ne soient pas plus développés tant ils possèdent tous un fort potentiel romanesque que laisse entrevoir leur brillante esquisse. On aurait bien passé encore trente minutes en leur intrigante compagnie, ce qui aurait amené Élève libre à 2h15, ce qui n’aurait pas été de trop pour percer leurs mystères. La solution alternative à cette rallonge aurait été de faire exister certains personnages que dans les propos des autres comme c'était le cas dans le premier tiers du film. Son incarnation n'ajoute rien à l'intrigue ni à la construction du personnage de Jonas. Il en va de même pour le frère de Jonas qui n'a pas assez de scènes pour véritablement exister à l'écran. Le couple de Didier et Nathalie est trop sacrifié. On ne sait pas quel est leur rôle et les rapports qu'ils entretiennent avec Pierre. Ne serait-il que le rabatteur de Pierre ? À côté de ces manques, Élève libre est un film parfois un peu trop appuyé comme ces incessantes références à Camus.

On peut discuter de la trop grande pudeur des scènes de sexe qui ne sont pas ce qu’il y a de meilleur dans Élève libre. Le cinéaste explique son choix : « Je voulais montrer les dangers de la pornographie sans utiliser sa forme. D’où l’idée du hors champ. Ne rien montrer (ce n’est pas tout à fait vrai ! Note de Bernard). Quand on laisse le spectateur à son imagination, il réagit avec davantage de violence. Il découvre ses refus et ses acceptations... Dans le film on a laissé de la place aux fantasmes, tout en montrant ce que le passage à l’acte a de dramatique. On montre les conséquences du fantasme, mais on le montre dans la fiction. Ce qui laisse de l’espace pour une interrogation. » Sans doute faut-il voir là l’explication de la dédicace placée au commencement : « À nos limites ». Comme on le constate, le cinéaste n’est pas moins manipulateur que ses personnages. À la lecture de ce propos, on peut s'étonner de choix du visuel de l'affiche où il n'est pas très difficile de comprendre que le garçon s'apprête à subir une fellation...

Le spectateur pourra tout de même se consoler de ne pas plus découvrir le corps de Jonas avec les nombreuses images du garçon torse nu baignant dans une douce lumière dorée qui met bien en évidence ses pointes de sein agressives et ses lèvres sensuellement ourlées.

Les acteurs sont impeccables avec une mention spéciale à Jonathan Zaccai qui parvient à rendre son personnage de plus en plus opaque, mais Jonas Bloquet est parfait aussi pour son premier rôle ! Espérons que nous le reverrons.

Le soin avec lequel Lafosse a choisi le costume de Pierre illustre bien son sérieux et la richesse informative qui se niche dans chaque détail au service de la profondeur du film. Il n’est pas anodin que Pierre porte toujours la même tenue, composée d’un pantalon bleu marine, d’une chemise bleu clair ouverte d’un seul bouton sur un tee-shirt blanc ras du cou. Le corps du comédien restera toujours dissimulé. Ce quasi uniforme monastique apporte au personnage un côté austère en contradiction avec certains de ses propos presque libidineux. Ce rempart vestimentaire favorise l’abandon de Jonas à son précepteur providentiel.

Le réalisateur retrouve une partie de l’équipe de Nue propriété, en particulier Yannick Renier. « Il me semblait parfait pour incarner le petit soldat de Pierre, le type qui va provoquer les passages à l'acte. Et comme je voulais que l'on sente tout de suite la désinhibition entre Didier et sa copine, j'ai proposé à Claire Bodson, la petite amie de Yannick, qui est aussi comédienne, de jouer le rôle de Nathalie. Je l'avais vue au théâtre, j'aime beaucoup son travail. »

Élève libre est le quatrième long métrage de Joachim Lafosse, âgé de 33 ans, qui a également réalisé des courts-métrages. Il a également participé à l’émission de télévision Striptease.

Élève libre a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs dans le cadre du Festival de Cannes 2008.

Le film est passionnant pour l’observation clinique qu’il fait des deux protagonistes principaux et le glissement d’empathie que le spectateur éprouve progressivement de Jonas vers Pierre. Tout à la fin de l’histoire, on ne sait plus quel est le salaud entre les deux. Peut-être le sont-ils un peu tous les deux, mais Pierre et Jonas sont surtout deux pauvres types, comme nous tous, qui essayent de se débrouiller avec la vie, avec de pauvres ruses, en se mentant beaucoup à eux-mêmes. Les autres protagonistes de ce récit sont tout compte fait encore plus lâches qu’eux. Le trio est beaucoup plus que des pervers, des jeunes bourgeois cultivés qui justifient la satisfaction de leurs désirs par l'alibi d'une pensée émancipée de toute contrainte morale. Cette vision s'explique probablement par le fait que Lafosse soit né en 1975 à l'ombre de Mai 68.

Élève libre est une magistrale réalisation sur une relation intergénérationnelle entre deux personnes de même sexe, relation qui n’avait pas été décrite avec autant de justesse depuis Les Amis de Gérard Blain. Comme toutes les histoires d’amour, celles-ci sont difficiles et finissent généralement mal, quoique...

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Vincent Price, Joseph Cotten, Virginia North, Peter Jeffrey, Terry-Thomas, Hugh Griffith, John Cater. Réalisation : Robert Fuest. Scénario : James Whiton, William Goldstein, Robert Fuest. Musique : Basil Kirchin. Directeur de la photographie : Norman Warwick. Décors : Bernard Reeves.
Durée : 94 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :

1929. Une série de crimes, inspirés par les dix plaies d'Egypte, ensanglante le milieu médical londonien. Au cours d'une enquête piétinante, la police découvre que leur auteur est le Dr. Anton PHIBES, un ancien organiste défiguré lors d'un accident de voiture. Il commet ces meurtres afin de se venger des neufs chirurgiens ayant échoué à sauver la vie de sa femme.
L'avis de BBJane :
Pourquoi L'Abominable Dr. Phibes est-il l'un des films préférés des cinéphiles homosexuels ? Deux réponses sont généralement avancées : pour son caractère hautement camp ; pour la présence de Vincent rice, icône gaie (on peut d'ailleurs estimer que ces deux raisons n'en font qu'une, Price étant l'un des comédiens les plus camps de tous les temps.)
C'est vrai, mais il y a autre chose.

Dans son incontournable essai Monster in the closet, homosexuality and the horror film, Harry M. Benshoff nous éclaire sur le véritable secret du Dr. Phibes : il est l'un des premiers héros d'un genre cinématographique nouveau dans les années 70 : "l'homosexploitation". L'article qui suit s'appuie en partie, dans son approche théorique, sur les écrits de Benshoff, et dresse un rapide historique du film et de sa postérit
é.

Le terme "homosexploitation" apparaît comme une variante des mots "sexploitation" (ensemble de films de séries B à Z, dont l'argument commercial et le principal ressort scénaristique sont le sexe) et "blaxploitation" (films dont les castings sont majoritairement composés d'afro-américains, et qui décrivent leur revanche contre un pouvoir blanc oppressif et raciste.)

L'homosexploitation (ou gayxploitation) reprendrait, selon Harry M. Benshoff, l'idée de vengeance/revanche, cette fois accomplie par un héros homosexuel (ou une héroïne lesbienne), et dirigée contre les agents de l'hétérocentrisme. À l'aube des années 70, les minorités sexuelles et raciales prirent conscience de certaines similitudes dans les discrimations dont elles étaient l'objet, et, partant, dans les combats qu'elles avaient à mener. La naissance parallèle de la blaxploitation et de la gayxploitation témoigne de cet esprit de coalition.
Mais contrairement à la première, où la minorité à laquelle le "vengeur" appartient est immédiatement identifiable (du fait de sa couleur de peau), la seconde restera longtemps voilée – et ne trouvera d'ailleurs son nom qu'une trentaine d'années plus tard. Mettre en scène un vengeur explicitement gay était encore trop risqué dans les années 70, et l'on ne pouvait guère douter de l'insuccès commercial d'un film qui s'y serait essayé – il semble que les Noirs étaient alors plus bankables que les homos, et que leur effet repoussoir était moindre sur les spectateurs et les producteurs.
La gayxploitation fait appel à l'identification du public queer de manière dissimulée, en recourant à des codes vieux comme les frères Lumière, mais en lui offrant cependant un plaisir cathartique autant qu'esthétique (les films en ressortant jouent énormément sur un décorum typiquement gay, "follement extravagant" et camp.)
Pourtant, elle apparut à visage découvert dans ses tout premiers spécimens : les films de vampires lesbiens (The Vampire lovers de Roy Ward Baker - 1970 -, Les Sévices de Dracula / Twins of evil de John Hough - 1972 -, et autres libres adaptations du roman "Carmilla" de Sheridan Le Fanu.) C'est que le lesbianisme a toujours été source de fantasmes et d'excitation pour le public hétéro mâle ; la vision d'étreintes féminines n'avait donc rien de bien perturbant. L'homosexualité masculine était autrement problématique.
Elle trouva son héros/héraut en la personne du comédien Vincent Price, dans 3 films fondateurs : L'Abominable Dr. Phibes, sa suite (Le Retour de l'abominable Dr. Phibes / Dr. Phibes rises again de Robert Fuest - 1971) et Théâtre de sang (Theatre of blood de Douglas Hickox- 1972). Autant d'œuvres queers demandant un déchiffrement de leurs codes pour être reconnues comme telles.


Le Justicier queer et sa victime : Vincent PRICE et Terry-THOMAS

Dans le film qui nous intéresse, le héros queer entreprend sa geste meurtrière afin de venger la mort de son épouse, "tuée", selon lui, par des chirurgiens qui échouèrent à lui sauver la vie après un accident de voiture. Ce mobile constitue une sorte de garantie de l'hétérosexualité du personnage. Le scénario ne nous en fournira pas d'autre, et l'on peut noter qu'elle a pour effet immédiat d'évacuer d'office l'élément féminin, en tant que partenaire sexuel éventuel du héros.
Le culte exclusif et démesuré de la défunte épouse interdit au veuf de nouer une liaison amoureuse avec une autre femme. Cette parade fut régulièrement employée dans la littérature et le cinéma gothiques queers (le comédien Vincent Price n'a guère eu que des épouses mortes dans ses films d'épouvante), et offre au personnage l'opportunité de « s'engager dans des exploits homoérotiques sado-masochistes » (dixit Benshoff) (On pourrait appliquer cette réflexion au corpus de films gothiques-urbains que constituent, par exemple, la série des "Justiciers" bronsoniens, et autres "vigilante movies".)
Le Dr. Phibes sublime une impossible hétérosexualité lors de longues discussions d'un romantisme exacerbé avec le portrait de sa chère disparue. Ceci fait, il peut se livrer en toute quiétude – et avec une délectation non dissimulée – à la chasse au mâle.
Une jeune et séduisante assistante, Vulnavia (Virginia North), l'épaule dans son action. Inutile de préciser que leurs rapports sont strictement platoniques, et régis par une mise en scène interdisant entre eux tout élan de spontanéité – leurs déplacements et leur gestuelle sont réglés comme des sortes de tableaux vivants, dans lesquels aucun d'eux n'esquisse un mouvement de travers. (Ils ne s'embrassent que sur l'affiche du film, dont le slogan parodie outrageusement celui du grand succès lacrymo-hétéro de l'époque : Love Story (Arthur Hiller - 1970) – ce qui désamorce quelque peu l'effet du baiser... Le film se revendique queer jusque dans son affiche.)
À l'occasion, Vulnavia fait office de rabatteuse, attirant par sa beauté les victimes masculines qu'elle abandonne ensuite aux bons soins de son maître (voir la scène de séduction de l'érotomane Dr. Longstreet.) Il est intéressant de noter que, dans la première version du scénario, Vulnavia était censée être une automate, comme les membres de "L'Orchestre Mécanique" de Phibes. Ce rare élément féminin du film n'était donc pas de chair, et Phibes la détruisait d'ailleurs après usage, dans les dernières séquences !...

La Rabatteuse (Virginia NORTH)

Queer, le Dr. Phibes l'est dans tous les sens du terme (dont la définition originelle est "bizarre", "hors du commun") : à la fois mort et vivant (il est censé avoir péri dans un accident de voiture, et il déclare à son adversaire, le Dr Vesalius : « Vous ne pouvez pas me tuer ; je suis déjà mort ! »), humain et androïde (son visage est fait de chair synthétique ; sa voix est émise artificiellement à travers un phonographe).
Sa garde-robe est composée de tenues défiant les critères vestimentaires de "genre" – à l'exception du costume qu'il porte lors de la scène de danse avec Vulnavia, il n'arbore que de larges tuniques convenant aussi bien aux deux sexes.
Ses neufs victimes sont autant de figures représentatives de la société patriarcale et sexiste. La respectabilité de leur statut social est clairement établie : toutes appartiennent au corps médical. En s'en prenant à elles, c'est à un système normatif garant d'une idéologie répressive que s'attaque le monstre queer Phibes. (Notons qu'il n'est pas docteur en médecine, mais en théologie, en droit, et en musicologie.)
Sous couvert de venger sa femme, il règle son lot de contentieux avec les suppôts de l'ordre établi, vieux adversaires de la queeritude. Ainsi, la psychiatrie, qui causa tant de tort aux homosexuels, se voit châtiée en la personne du Dr. Hargreaves (Alex Scott), "réducteur de têtes" dont la tête sera textuellement réduite par un masque broyeur. Il en va de même du sexisme libidinal (le Dr. Lonstreet (Terry-Thomas,) grand amateur de films érotiques qu'il visionne en cachette après le départ de sa gouvernante), et de l'arrogance de classe (toutes les victimes sont imbues de leur rang).


La Transparence des Sexes

En calquant l'élaboration de ses meurtres sur les 10 plaies d'Egypte – fléaux lancés par Dieu à Pharaon pour le punir de maintenir le peuple Hébreu en esclavage – Phibes s'identifie au Créateur ; un Créateur queer punissant les esclavagistes de la pensée, les garants de la morale straight.
Seul le Dr Vesalius (Joseph Cotten) apparaît sous un jour sympathique, et il est à noter que Phibes n'attentera pas à sa vie mais à celle de son jeune fils. Le rapport de Phibes à Vesalius est d'ordre conflictuel-affectif, et reste emprunt d'une sorte de respect (il est la seule victime à qui il daignera parler). Il en fait sa dernière proie, comme s'il tenait à le garder pour "la bonne bouche", et s'il expose son fils à la mort, il se désintéresse totalement du résultat de son plan : il gagne le cercueil de son épouse avant la fin de l'opération pratiquée par Vesalius sur son enfant et destinée à sauver ce dernier, comme si son but était désormais atteint.
Ce rituel macabre autour d'un "premier né" qu'il s'agit de rendre à la vie (ou de faire naître une seconde fois) éclaire d'un jour nouveau la relation Phibes/Vesalius, et les aspirations secrètes du premier. Alors qu'il aurait pu tuer l'enfant, il le met en "situation de mort", et laisse le père procéder à la résurrection : il crée ainsi un lien particulier avec son adversaire, marquant symboliquement la formation d'un couple queer, et sa non moins métaphorique procréation.
La série de crimes commis par Phibes, au-delà du motif de la vengeance, semble n'avoir eu pour ultime finalité que de susciter sa rencontre avec le chef de l'équipe chirurgicale qu'il tient pour responsable de la mort de sa femme – et qui, par-là même, fut le principal artisan de son identité queer.
Ajoutons qu'aucune des victimes n'a de vie de couple apparente (même Vesalius qui, bien que père, est dépourvu d'épouse. L'a-t-elle quitté ? Est-elle morte ? – ce qui achèverait d'en faire le pendant straight de Phibes – La question n'est jamais soulevée...) Résolument, le film se veut une histoire d'hommes, et cette absence totale de la femme en tant que conjointe ou amante contribue beaucoup à sa coloration homophile.


Vesalius (Joseph COTTEN) et Phibes (Vincent PRICE) : Docteurs en Queeritude

L'esthétique camp de L'Abominable Dr. Phibes est bien entendu le signe le plus apparent de son orientation queer. Dans ses célèbres Notes on Camp (1964), Susan SONTAG observait que si le camp n'est pas une sensibilité et un goût exclusivement homosexuels, les gays en constituent l'audience la plus large et la mieux articulée. (Le camp, en schématisant, traduit un amour immodéré pour l'artifice, l'exagération, la "performance", et aspire à l'effacement de la notion de "genre" ; d'ordre esthétique et comportemental, il peut aussi bien s'appliquer à un objet qu'à une personne.) En réalisant son film, dont aucune image, aucun plan n'échappe au camp, Robert Fuest ne pouvait ignorer quel public y réagirait avec le plus d'enthousiasme.

Le Triomphe du Camp

La maison de Phibes, temple dédié au culte de l'Art Nouveau et du rococo, est le domaine rêvé par tout camper (amateur de camp), une demeure dont chaque pièce est une scène sur laquelle l'habitant peut s'abandonner à la griserie d'une représentation perpétuelle.
L'imposant orgue rose, l'orchestre d'automates aux masques figés, la vaste salle de bal, les majestueux escaliers semblant n'avoir été élevés que pour qu'une reine les descende : chacun de ces éléments répond à un besoin de spectacularisation, et invite à prendre la pose – ce dont Phibes et Vulnavia ne se privent pas. (Un personnage secondaire qualifie cette dernière de "fashionable" – terme familier du vocabulaire camp, que l'on pourrait traduire par "ultra-sophistiquée" ou "à la pointe de la mode".)
Le générique d'ouverture nous montre Phibes jouant de l'orgue avec force gestes emphatiques, à la manière du pianiste Liberace (le pape du camp, s'il en fut), et constitue la meilleure introduction possible au personnage – et au film – dont elle annonce et résume la tonalité en quelques plans. Grandiloquence, affectation, et autodérision, sont les maîtres-mots de cette œuvre où le fantastique se veut une expression du fantasque.
Quant au générique de fin, nul ne s'étonnera qu'il se déroule sur l'un des plus célèbres hymnes gays : la chanson "Over the rainbow".
Mais c'est peut-être dans cette anecdote de tournage que l'on trouvera le trait le plus camp du personnage de Phibes : lorsque celui-ci révèle son visage défiguré, le maquillage porté par Vincent Price consistait en un masque enfilable en quelques secondes ; mais lorsque le comédien apparaît à visage découvert, des heures de grimage étaient nécessaires pour donner à sa peau l'aspect "non naturel" d'une face "recomposée" suite à un accident !
Dans ce savoureux détail, c'est l'esprit même du camp qui s'exprime : le naturel nécessite beaucoup d'artifice – ou, pour citer Oscar WILDE : « Être naturel est une pose tellement difficile à tenir ».



Photo de tournage : Robert FUEST (g.) et Vincent PRICE (d.)

La petite histoire :
Dans une interview qu'il accorda au magazine Rolling Stone, Anton LaVey (1930-1997), le fondateur de l'Église de Satan, déclara avoir participé à l'élaboration du film en tant que "consultant". On ne sait quel crédit il convient d'accorder à ces propos, mais il semble acquis que Phibes doit son prénom à LaVEey lequel était, selon certaines sources, en relation amicale avec Robert Fuest.
Ce dernier avait auparavant réalisé une adaptation assez académique des Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights
- 1970), et surtout plusieurs épisodes de la série Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers - 1962/1969) dont le climat d'autodérision et les nombreux éléments queers imprègnent indéniablement le film (certains critiques ont d'ailleurs vu en Phibes une sorte de "super-vilain" échappé de la série.)

Anton LaVey

Le script originel fut écrit par deux joueurs de tennis professionnels (??), James Whiton et William Godstein puis remanié de façon conséquente par Fuest, à qui l'on doit le contexte des années 20 (au départ, l'action était censée être contemporaine) et les éléments humoristiques.
Le succès du film généra une séquelle de qualité (Le Retour de l'abominable Dr. Phibes - Dr. Phibes rises again
de Robert Fuest - 1972), toujours aussi camp, mais marquée par un humour cartoonesque d'esprit plus américain que britannique. L'univers du Dr. Phibes y perd une bonne partie de son cachet, et l'esprit queer s'en trouve légèrement amoindri.
Jusqu'au milieu des années 80, un troisième opus fut régulièrement annoncé dans la presse spécialisée, tour à tour intitulé The Brides of Dr. Phibes, The Seven fates of Dr. Phibes ou Dr. Phibes in the Holly Land. Aucun de ces projets n'aboutit jamais.
Mais la structure scénaristique du film (une série de crimes "thématiques" et excentriques perpétrés par un paria) a largement été réutilisée depuis – à l'identique et toujours avec Price dans Théâtre de sang (Theatre of blood de Douglas Hickox - 1973), puis dans certains slashers des années 80, jusqu'à retrouver une seconde jeunesse plus récemment dans des films comme Se7en (David Fincher - 1995) ou Saw (James Wan - 2004).
Il est vrai que Phibes devait beaucoup lui-même à un illustre prédécesseur : le classique Noblesse oblige (Kind hearts and coronets de Robert Hamer - 1949), dans lequel Dennis... Price trucidait avec beaucoup d'inventivité les membres de sa famille à héritage.

Références :
La plupart des informations de cet article relatives au tournage du film, proviennent de deux ouvrages indispensables pour tout fan de Vincent PRICE : le très documenté et richement illustré : The Complete films of Vincent PRICE de Lucy CHASE WILLIAMS (Citadel Press - 1995), et Vincent PRICE, the Art of Fear de Denis MEIKLE (Reynolds & Hearn - 2003), qui s'intéresse exclusivement, mais exhaustivement, à la filmographie "fantastique" du comédien.



Fiche technique :

Avec Rebecca Potok, Michel Godin, Yvan Varco, Colette Duval, Marc De Jonge, Daniel Derval, Etienne Draber, Chantal Ladesou, Jean-Marie Vauclin, Karim Allaoui, Eddy Jabès, Maitena Galli et Gilbert Servien. Réalisation : Robert Thomas. Scénario : Robert Thomas. Compositeur : Romuald.

Durée : 82 mn. Disponible en VF.



Résumé :

Un jeune brésilien arrive à Paris pour découvrir que son frère est devenu travesti au Bois de Boulogne. Il décide de tout faire pour le soustraire des griffes de ses "protecteurs".



L’avis de Jean Yves :

Une parodie de la vie de ces belles de nuit, bien à l'image de son auteur, Robert Thomas, qui se veut être un amuseur.

Les mésaventures d'un jeune Brésilien, José (Michel Godin), élève danseur, débarquant à Paris pour y rejoindre son frère Antonio (Rebecca Potok), devenu Antonia, travesti vivant de ses charmes la nuit, qui par peur de lui avouer la vérité, le fuit.



Au hasard de rencontres, ce séduisant et naïf José retrouve inopinément Antonia, au Bois de Boulogne. Le mystère dévoilé, il décide de le tirer de cette mauvaise passe et de tout tenter pour gagner les deux billets d'avion du retour à Rio.

Enclin à connaître le Paris by night, José, pour s'en sortir, plonge lui aussi dans cette faune, le conduisant d'un cabaret sordide où il se produit en travesti à des soirées très spéciales chez Madame Solange.



Déçu de ses expériences, José livre des spiritueux en attendant de décrocher le contrat fatidique lui permettant de retrouver le droit chemin.

Cette histoire très simpliste est d'une monstruosité rare. Ce film ne repose que sur le sordide, la dénonciation et le voyeurisme le plus abject. Le plus regrettable est la participation de véritables transsexuels, au mieux de leurs formes, se prostituant devant la caméra lubrique…

Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec Bruce Davison, Stephen Caffrey, Patri
ck Cassidy, Brian Cousins, John Dossett, Mark Lamos, Campbell Scott, Mary-Louise Parker, Welker White, Michael Piontech et Tanya Berezin. Réalisé par Norman René. Scénario : Craig Lucas.

Durée : 110 mn. Disponible en VO, VOST et VF.




Résumé :
Chronique sur l'amitié, la tendresse et tout le courage qu'on parvient à trouver en soi lorsqu'on croise le malheur sur sa route... Celui évoqué dans ce film porte le nom de sida.



L'avis de Jean Yves :
Chronique des années sida dans la bourgeoisie intello blanche de la côte Est des États-Unis. Fidèle, sensible, concrète. Un compagnon de longue date retrace, sur huit années, la vie d'un petit groupe d'homosexuels frappés de plein fouet par le sida. Tragédies personnelles, drame collectif... Ce film est le témoignage vivant de toute une génération et l'histoire d'un apprentissage politique : comment des hommes deviennent actifs, volontaires, productifs. Comment la maladie, source de souffrance, de malheur, est devenue aussi un moteur, une exigence.
L'action se passe à Los Angeles, entre 1981 et 1989. Les protagonistes ? Des garçons de vingt à quarante ans, très « comme il faut », très « middle class » : un job, une vie aisée, limpide, réglée. Tout commence avec cet article du New York Times qui, dans son édition du 3 juillet 1981, évoque l'apparition d'un « cancer rare chez quarante et un homosexuels ». À partir de ce jour-là, l'existence de ce petit groupe de personnages bascule.

Un compagnon… retrace, sur ces huit années, la vie de ce microcosme amical et amoureux frappé de plein fouet par le sida. Le film profile, sous la trame de la fiction, le documentaire de ces années : le passage gradué de la déroute à la prise de conscience, de la panique à la mobilisation, de l'énigme (1981) à la mise au point des premiers traitements efficaces (1987), en passant par l'isolation du virus (1983) et la mise en place des tests de dépistage (1984).
Les personnages incarnent des psychologies en même temps qu'ils illustrent l'évolution d'une communauté par rapport à la montée de l'épidémie. Sans didactisme, sans schématisme, ce film apporte un témoignage vivant sur cette période, et construit une fiction vraisemblable, attrayante, avec des personnages qui ne sont pas seulement des archétypes. Avoir su doser habilement l'aspect humain (la diversité des attitudes, le bouleversement des existences, le réseau des sentiments, etc.) et le regard historique est sans doute la meilleure réussite de Un compagnon



Ce film bouleverse les certitudes trop faciles sur les gays, sur leurs modes de vie, sur leur rapport à la maladie : ici, pas d'érotisme hard, pas de frénésie noctambule, de sexualité hystérique. Le cliché du « groupe à risque » est sérieusement ébranlé.
Les thèmes de l'identité homosexuelle par rapport à la famille, du sida face aux parents ou aux proches, sont totalement écartés. En faisant ce choix, le réalisateur s’est démarqué de l'approche habituelle de l'homosexualité, qui focalise souvent les relations sur la recherche d'une reconnaissance vis-à-vis des « straights ». Moyen original de montrer des adultes, des jeunes gens qui s'assument – tant bien que mal – (il y a un personnage de comédien qui a peur pour sa carrière), en tout cas intégrés à la société et qui, tout à coup, se trouvent confrontés à un drame personnel et à une tragédie collective.
Un film optimiste, en somme.
Que penser de la scène finale qui rassemble tous ces « compagnons de longue date », morts et vivants, dans des retrouvailles oniriques ? Norman René a-t-il voulu montrer une résurrection ? Ou simplement célébrer le courage d'une communauté ?

Pour plus d’informations :

    


Fiche technique :

Avec Ben Silverstone, Brad Gorton, Charlotte Brittain, Stacy A. Hart, Kate McEnery, Patrick Nielson, Tim Harris, James D White, Jacquetta May, David Lumsden, Morgan Jones, Louise J. Taylor et David Elliot. Réalisé par Simon Shore. Scénario de Patrick Wilde, d’après sa pièce de théâtre. Directeur de la photographie : Alan Almond. Monteur : Barrie Vince. Compositeur : John Lunn.
Durée : 110 mn. Disponible en en VO et VOST.



Résumé :
Steven (Ben Silverstone, déjà aperçu dans Leçon de la vie et dans le Lolita de David Lyne où il interprétait Humbert jeune), 17 ans, est un collégien typiquement british de la classe moyenne comme les autres. Tout dans l’univers de Steven est moyen : l’école, le boulot du père (commerçant moyen), la ville même où se déroule l’action (Basingstoke, ville neuve en plein Essex, qui rappelle plus les banlieues résidentielles américaines qu’une traditionnelle bourgade anglaise). Mais Steven a une originalité: il est homosexuel. Il vit assez bien son homosexualité en allant draguer dans les parcs. Seule sa meilleure amie est au courant de sa vie sexuelle et lui sert à la fois de couverture et de confidente consolatrice. Tout allait presque bien jusqu’au jour où il rencontre, ô surprise, dans les WC publics où il trouve ses partenaires de passage, John (Brad Gorton), le champion sportif de son collège, un plaboy tombeur de filles qui se révèle être un gay honteux. Steven tombe amoureux de John et John de Steven. Mais si Steven veut vivre leur passion au grand jour, John exige la clandestinité et leur liaison secrète sera une épreuve pour Steven, épreuve dont il sortira renforcé, en paix avec lui-même après avoir annoncé à tous sa différence, mais néanmoins meurtri. Le passage de l’adolescent gay à l’homme homosexuel aura été pour le moins douloureux...

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L’avis de
Bernard Alapetite :
Le film commence par une très bonne idée : la fausse piste, le premier amour n’est pas celui que l’on croit. Il dénonce d’emblée l’hypocrisie des mecs qui se cachent derrière leur copinesou leur femme pour sauver leur réputation. L’intervention de la police nous rappelle certaines lois anglaises homophobes (et les craintes qui y sont associées). Autre belle idée, le texte anonyme écrit par Steven et qui donne son nom au film (Get Real). Texte en opposition avec la dissertation bien appliquée et impersonnelle qui fait l’admiration de son lycée. Cette reconnaissance publique envers un garçon qu’il n’est pas en réalité déclenche le début d’une révolte contre l’hypocrisie générale et l’obligation de toujours feindre le rôle du fils et de l’élève irréprochables. Mais peut-être que la plus belle trouvaille du film, qui est sans doute un héritage directe de la pièce, est de faire décrire la scène la plus érotique du film au lieu de la montrer. Par ailleurs, on peut trouver la représentation du sexe à l’écran trop sage même si l’on comprend pourquoi : ne pas effaroucher pour que le message de tolérance soit accessible au plus grand nombre.



Comme un garçon est un film assez riche pour réveiller le souvenir de bien des films. Il possède la même tonalité roborative que Beautiful Thing auquel il fait beaucoup (trop ?) penser, bien que situé dans un milieu social très différent : la classe moyenne, curieusement peu explorée par le cinéma anglais actuel qui aurait tendance à nous faire croire que le royaume n’est peuplé que de chômeurs alcooliques. Néanmoins la parenté avec Beautiful Thing est très claire. Même volonté de dédramatiser, de positiver, d’aider à l’identification des spectateurs. Il y a là un côté militant manifeste qui n’est jamais appuyé sauf peut-être dans la scène du coming-out public du joli Steven qui, très efficace, joue sur l’émotion et renforce l’empathie que l’on a avec le garçon. Si sa prestation nous va droit au cœur c’est qu’elle s’adresse à tous ceux qui ont souffert dans leur adolescence (c’est-à-dire à peu près tout le monde) de ne pas se sentir au bon endroit au bon moment. La difficulté d’être homosexuel est ainsi mise au niveau du plus grand nombre : il s’agit d’être bien dans sa peau. Le titre original, bien meilleur que le ridicule titre français,Get Real veut dire: être soi-même, authentique. Telle est la morale de cette histoire.

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Le film est aussi un peu le positif du film hollandais To play or to die qui a le même point de départ : un garçon timide est amoureux du beau macho de sa classe. Simon Shore sait au bon moment faire intervenir l’humour pour alléger le ton du film. Les dialogues particulièrement spirituels revendiquent leur statut d’adaptation théâtrale. Le tour de force est que c’est complètement réussi. Ils sont à la fois très écrits et fluides. L’exact contraire de ceux de Grande école, autre film gay adapté d’une pièce mais dont l’empesé des dialogues rend inaudible les propos. Par son coté lisse et compétent, bluffant pour un premier film, il est également caractéristique d’un mouvement de mise en scène éminemment judicieux, dont Quatre mariages et un enterrement a symbolisé l’apogée. Sans jamais oublier l’humour avec légèreté Comme un garçon aborde des sujets aussi sérieux que scabreux comme le regard que l’on porte sur soi, le regard que l’on a sur les autres, le courage d’être ce que l’on est, la solitude, l’incommunicabilité et... les glory hole. On se dit qu’il est tout de même bien dommage que le scénario n’évite pas le poncif de la bonne copine confidente, caricature de la fille à pédé évidemment grosse et moche.

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Si le film pâtit d’une mise en scène un peu molle surtout dans son deuxième tiers, il bénéficie en revanche d’un dialogue toujours juste et d’une interprétation remarquable, jusque dans les plus petits rôles, qualité qui est l’apanage du cinéma britannique. Plus rare dans ce cinéma, l’image lumineuse du film sert ici au mieux les acteurs.
Le délicieux Silverstone happe les regards dès son apparition à l’écran. Sans jamais avoir suivi un quelconque cours de comédie (lors du tournage, il était étudiant en littérature anglaise à Cambridge) et se déclarant hétérosexuel (quel crève-cœur !), ce fils de bonne famille investit son personnage avec une décontraction naturelle, captant sa complexité avec un professionnalisme évident. On ne peut qu’être d’accord avec Pierre Murat qui écrivait dans Télérama lors de la sortie en salle : « La plus grande qualité du film est l’interprétation. Ben Silverstone est drôle quand il faut, émouvant dans les passages les plus convenus. Sa présence et son intensité lui font éviter tous les pièges. Il est remarquable. » Depuis, Ben Silverstone, tout comme Brad Gorton, ne sont apparus que furtivement à la télévision anglaise. Simon Shore qui vient de la télévision, a, en 2004, tourné Things to do before you’re 30, puis en 2005 You don’t have to say you love me. Ces deux films ont également pour scénariste Patrick Wilde.

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Ce film, comme Beautiful Thing, est tiré d’une pièce à succés What’s wrong with angry ? de Patrick Wilde, écrite dans les années 70. Ce qui explique le ton quelque peu décalé du film dans lequel jamais n’apparaissent les mots sida et préservatif. Mais loin d’être un inconvénient, cette intemporalité en renforce le propos. Même si le film a modernisé la pièce, il ne se veut pas naturaliste mais romantique, ce qui est bien trop rare dans le cinéma gay et fort agréable pour une fois.
Peu de films décrivent avec une telle justesse le trouble de se découvrir tel que l’on est et tels que sont les autres, un grand moment d’émotion à faire partager.
Comme un garçon a été primé au Festival du cinéma britannique à Dinard en 1999 où il a reçu le prix du public et celui du jury ; il a obtenu aussi le prix du public au festival d’Edimbourg.
Chers professeurs, il existe un dossier pédagogique adapté aux élèves de 6ème permettant de présenter l’homosexualité à vos élèves, voir: www.grignoux.be/dossiers/126


Comme un gaçon
est édité par la firme néerlandaise Homescreen en VO avec des sous-titres français. Malheureusement, il n’y a que peu de bonus, seulement la bande annonce du film. L’habillage du DVD est d’une pauvreté affligeante et les sous-titres français sont truffés de fautes d’orthographe.
Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec Sergueï Tsyss, Youlia Svejakova, Igor Dmitriev, Tatiana Samoilova, Boris Nevzorov, Alexandre Berda, Lambit Ulfsak, Ivan Schelbanov et Tatiana Scheliga. Réalisateur : Igor Minaiev. Scénario : Igor Minaiev & Olga Milkhaïlova. Image : Vladimir Pankov. Montage : Svetlana Ivanova. Musique : Vadim Cher. Décors : Serguei Khotimsky & Oksana Medved.
Durée : 140 mn. Actuellement en salles en VOST.



Résumé :
URSS, fin des années 80 (?). Un couple de vieux artistes soviétiques est assiégé dans sa datcha par une meute de journalistes. Ils ne comprennent pas pourquoi. Il s'agit de Constantin Dalmatov (Sergueï Tsyss), réalisateur de films à succès sous Staline, et de sa femme, Lidia Poliakova (Youlia Svejakova), qui était aussi l'actrice principale de ses œuvres. Pris de panique, croyant que l'on vient les arrêter, ils commencent alors à brûler les photos de leur passé glorieux... De la fumée des images détruites ressurgissent les souvenirs... Au début des années 30, Konstantin Dalmatov, jeune réalisateur, revient en URSS après un séjour aux États-Unis avec son amant, le célèbre cinéaste Alexandre Mansourov. Leur liaison est découverte par les autorités qui obligent Dalmatov à collaborer. En échange, celui-ci obtient le droit et les moyens de tourner les comédies musicales dont il rêve. Après la mort mystérieuse de son compagnon, Dalmatov épouse Lidia Polyakova (dont le modèle est probablement Lioubov Orlova), pour dissimuler son homosexualité. Ce mariage de façade leur permet de construire ensemble leur succès, au point de devenir un couple mythique de la « Hollywood rouge ». Dalmatov fabrique des comédies musicales faisant l’apologie du régime, du métro... avec toujours en vedette Lidia. Malgré la terreur qui s’abat sur le milieu artistique, le couple bénéficie de nombreux privilèges de la part de l’État soviétique, car le premier film de Dalmatov plaît à Staline. L'un et l’autre sombrent alors dans un désespoir qui les mènera à des dérives et des expériences malheureuses. Mais ces épreuves vont aussi les rapprocher, au point de créer une véritable intimité...



L’avis de Bernard Alapetite :
D’emblée, il faut dire (malgré les très nombreuses réserves que j’ai à son égard) que Loin de Sunset Boulevard est un film passionnant. Mais son titre est cruel pour lui, le film fait référence à Sunset Boulevard, mais Igor Minaiev – à la vision de ce film qui est le seul que j’ai vu de ce réalisateur – est loin d’avoir le talent de Billy Wilder.
Loin de Sunset Boulevard s’inspire de la vie du réalisateur soviétique Grigori Aleksandrov, ici Constantin Dalmatov, qui commença sa carrière comme acteur dans les films d’Eisenstein (dans ce film c’est Mansourov), dont Le Cuirassé Potemkine et puis il devint son assistant et monteur. Mais il était aussi l’amant du grand cinéaste. Igor Minaiev s’explique sur son choix scénaristique : « Le problème était le suivant : si on fait des personnages complètement inventés, ce ne sera pas crédible. Quant à faire un film biographique, je ne le voulais pas. »



Pourtant, le spectateur un peu averti de l’histoire du cinéma – dès qu’il entend la radio annoncer le retour après un long séjour en Amérique du célèbre réalisateur Mansourov, accompagné de son assistant Konstantin Dalmatov – comprend immédiatement que Mansourov est Eisenstein ; que Dalmatov est Grigori Aleksandrov (1903-1983), auteur de comédies qu'adorait Staline (Les Joyeux Garçons, Volga Volga), comédies suffisamment réussies pour avoir traversé le temps. Les deux hommes sont effectivement rentrés en URSS en 1932 (c’est cette date qu’il faut prendre comme début de la fiction si l’on veut bien comprendre l’intrigue, mais malheureusement elle n’est pas donnée par le cinéaste), après un séjour de plus de deux ans aux États Unis et au Mexique. Mais aussitôt le réalisateur brouille habilement les pistes ; il montre des différences avec les faits réels, comme par exemple l’âge de Mansourov (le double au moins de celui d’Eisenstein, trente-quatre ans, à l’époque de son retour). Ensuite, en le faisant mourir peu après son arrivée à Moscou, soi-disant en 1933, alors qu’Eisenstein n’est mort qu’en 1948, et il n’avait alors que cinquante ans ! Ce flou chronologique est une fausse habileté du réalisateur car si elle lui permet plus de souplesse, comme d’éluder la guerre de 39-45, elle jette un trouble constant chez le spectateur qui a parfois le sentiment de se trouver dans un monde parallèle faisant perdre de la force critique au film.



Dalmatov s’est transformé en metteur en scène « officiel » du cinéma stalinien alors que Mansurov a été quasiment détruit par le régime... Minaiev met très bien en exergue la schizophrénie des personnages contraints constamment de jouer un rôle, et pas seulement sur scène, celui du patriote heureux gonflé d’optimisme alors qu’en réalité ils sont désespérés et crèvent de peur. Le réalisateur donne une juste idée du quotidien des artistes car pour s’assurer le contrôle du cinéma, on voit bien que le pouvoir ne recule devant aucun moyen : pression, chantage, délation, surveillance de la vie privée, biens luxueux qu’on peut retirer à tout moment. Voilà un film très instructif sur l’Union Soviétique de l’époque stalinienne. Il aborde plusieurs sujets (trop?) : le cinéma de ce temps-là, la censure, l’homosexualité (sur l’homosexualité en URSS, il faut voir absolument La Folle de Brejnev de Frédéric Mitterrand [à propos si quelqu’un en a une copie qu’il pense à moi...]), l’alcoolisme... mais malheureusement pas toujours avec légèreté.



L’ambition du film est de nous faire vivre l’emprise du stalinisme de l’intérieur ; il donne une image, certes partielle, mais tout à fait réelle de ce qu’était le cinéma soviétique dans les années trente avec la remise en cause des avant-gardistes et la naissance du « réalisme socialiste » avec la mise en place d’une censure omniprésente et la destruction du Pré de Béjine, avec le désir du pouvoir de créer un Hollywood soviétique mais en même temps de contrôler l’élaboration de chaque film depuis l’écriture du scénario jusqu’à la fin du montage. Époque qui, malgré la censure et grâce au talent et à l’obstination de dizaines de Dalmatov, a vu néanmoins la réalisation de grands films. Malheureusement, il n’y parvient pas complètement, tout du moins pour un spectateur français. Paradoxalement, il n’est pas assez didactique pour cela. Et puis son héros est trop veule pour être le grand cinéaste qui nous est présenté, tout du moins on voudrait le croire…



Le film manque de rythme, les séquences sont trop longues ou trop courtes mais n’ont que rarement le bon tempo ; pourtant, on ne s’ennuie jamais dans ce film fleuve. Les acteurs (mis à part les deux rôles principaux ; Sergueï Tsyss est remarquable) jouent beaucoup trop gros, trop théâtre pour le dernier rang. Les artistes, à la fin de leur vie vus au début et à la fin du film, sont interprétés par Igor Dmitriev et Tatiana Samoïlova, célèbres acteurs en Russie.
La musique, trop présente, surligne et souligne lourdement les actions. Certaines scènes sont peu crédibles, comme la scène de l’avortement clandestin où Lidia mord une serviette de ses lèvres carminées (pour l’empêcher de crier) chez une faiseuse d’anges dont le voisin est à l’écoute pour la dénoncer. On retrouve Lidia, le soir même, dans son appartement saoule mais en forme, vêtue de sa petite culotte de soie blanche et sa robe rose immaculée ! Si on a un peu de peine à voir les extraits des comédies musicales tournée par Constantin Dalmatov et à comprendre comment ce dernier acquiert une telle notoriété (mais sans doute n’ai-je pas les mêmes goûts que Staline !), ils sont remarquablement insérés dans le déroulement du film et procurent d’utiles respirations. Par contre, le réalisateur ne parvient pas à tenir deux de ses partis pris formels : celui de la voix off de Dalmatov, commentant les évènements qui n’arrivent qu’au milieu du film, et l’insert d’images d’époque ou censées être d’époque que l’on ne voit qu’au début. Ce qui aurait été pourtant une bonne idée donnant la possibilité de situer le film chronologiquement. En effet, nous savons juste que cette histoire se passe sous Staline mais rien de plus, aucune date précise ne nous est donnée.
Seuls les deux personnages principaux sont fouillés mais curieusement pas leur relation ; les personnages secondaires sont tracés à gros traits. Encore un film dont l’ambition scénaristique peine à tenir dans la durée d’un film standard.



Le générique est très réussi mais intrigant. Il nous montre un pianiste qui s’amuse avec un tout petit homme, un marin, dansant sur le piano au son d’une mélodie entraînante. Le pianiste est-il une représentation de Staline ? Le marin est-il une icône gay ou un clin d’œil au Cuirassé Potemkine ?
Les chorégraphies (dirigées par Elena Bogdanovitch) sont intéressantes et les costumes très réussis, je n’ai trouvé aucun anachronisme dans les décors qui font très vrais, que ce soit un plateau de cinéma ou un appartement moscovite d’un membre de la nomenklatura ou d’une avorteuse. Ceci dit, ma connaissance visuelle de ces lieux et de cette période est des plus réduites… mais on y croit.
Le film s’inscrit dans la lignée de beaux films sur le cinéma, souvent curieusement mal aimés comme Laissez-passer de Tavernier ou Le Dernier nabab d’Elia Kazan, et plus particulièrement de ceux qui revisitent le passé du cinéma à travers des personnages mythiques que l’on retrouve : bien sûr Sunset Boulevard mais aussi les deux chefs-d’œuvre du cinéma asiatique que sont Center Stage de Stanley Kwan et l’animé de Satoshi Kon, Millennium Actress.
Igor Minaiev, né russe en 1954 à Kharkov, est aujourd'hui français. Déterminé depuis toujours à évoluer dans le monde artistique, il entre à l'Institut national du théâtre et des arts à Kiev, puis commence sa carrière à Odessa, à l'époque de la Perestroïka. Cette période de sa vie est d'ailleurs représentée dans deux de ses longs métrages : Mars Froid et Rez-de-chaussée, deux sélections à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. À la fin des années 1980, le cinéaste s'installe en France, où il travaille et signe trois films : L'Inondation avec Isabelle Huppert ; Les Clairières de lune, produit par Joël Farge et Loin de Sunset Boulevard. À côté de sa carrière de cinéaste, Igor Minaiev monte des spectacles, dont Les Nuits florentines d'après Tsvetaeva et enseigne à la Femis.



Serguei Tsyss est né en 1972 à Zapoliarny (Russie). De 1994 à 1999, il fait ses études à l’Ecole du MKHAT (atelier d’Oleg Tabakov) et à l’Académie Chtchoukine (atelier de Vladimir Ivanov), pour ensuite intégrer la troupe de « L’union des comédiens de la Taganka ». Il a joué dans les spectacles La Mouette (rôle de Treplev), L’Afghan (rôle du combattant), Colonel Oiseau (rôle du psychiatre).
Serguei Tsyss mène également une importante carrière musicale : il est auteur et interprète de ses compositions, qui lui ont valu plusieurs récompenses aux festivals de la chanson d’auteur russe, dont le prix du célèbre Concours de Vladimir Vyssotski. Le rôle de Constantin Dalmatov marque ses débuts au cinéma. Il est aussi son premier succès cinématographique pour lequel l’acteur a obtenu le Prix d’interprétation masculine au prestigieux festival du cinéma russe « Kinoshok », à Anapa.
On peut mesurer, sans pourtant tomber dans un optimisme béat, en regardant un tel film, le gouffre qui sépare la Russie de Poutine de l’URSS de Staline. Il reste néanmoins que Minaiev avoue avoir eu du mal à effectuer son casting, du fait de l'homosexualité de son personnage principal. Si l’homosexualité masculine, clairement énoncée, est au centre du film, elle n’est pourtant représentée à l’écran que par une tendre accolade entre Dalmatov et son maître, ainsi qu’un baiser fougueux de Dalmatov avec n funeste amant de passage. D’ailleurs, le générique de fin est là pour tempérer les enthousiasmes. Il exerce sa propre censure lorsque apparaît la phrase rituelle : « Toute ressemblance avec des personnages réels est purement fortuite ». Il n’est pas certain que ce soit uniquement de l’humour noir...
Il faut voir ce film qui vous instruira, comme peu d'autres y parviennent.

Pour plus d’informations :




Fiche technique :
Avec Matthew Modine, Michael Wright, Mitchell Lichtenstein, David Alan Grier, Guy Boyd et George Dzundza. Réalisé par Robert Altman. Scénario de David Rabe. Directeur de la photographie : Pierre Mignot.
Durée : 118 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

L'avis de Jean Yves :
Réunir de force des hommes ou plutôt des « enfants », venus d'horizons divers suffit à provoquer un drame dans n'importe quelle intrigue. C'est l'histoire de Billy, Roger et Richie... tous différents, contraints de vivre comme s'ils étaient semblables.
L'état de guerre, quand de jeunes hommes partent pour des pays étrangers, pour se livrer à des « actes étranges » qui ne leur sont pas naturels, peut devenir le temps du courage et même celui du rire... Mais, quand la guerre est imminente, le courage n'est pas de mise et ce n'est certainement plus le moment de rire.
Quand Carlyle, l'intrus, fait irruption dans leur monde, il déclare que ce n'est pas le sien. Il finira par prouver que ce n'est un monde pour aucun d'entre eux. Les deux sergents de carrière, Cokes et Rooney, ayant déjà maintes fois vécu ce même discours, ne font que démontrer l'inanité de tous leurs efforts.

Streamers, c'est l'histoire d'hommes plongés dans cette situation. D'hommes qui ne savent pas quand il convient d'être courageux... ou de ne pas rire.
Streamers, intraduisible en français, veut dire littéralement : « flotter au vent » ; on le dit d'un parachute qui ne s'ouvre pas et dont le soldat est condamné à mourir au sol.
Ce film nous rappelle que nous sommes tous des « Streamers » car un jour ou l'autre notre parachute finit par ne plus s'ouvrir, nous sommes tous destinés à mourir. Et consciemment ou non, la manière dont nous réagissons à cette idée détermine notre personnalité, notre façon de vivre, ce qui nous fait peur, ce qui nous attire, les raisons pour lesquelles, parfois, nous changeons d'aptitude ou d'optique.
Ce qui nous incite à ne pas trébucher sur les obstacles que rencontrent les personnages de ce film ce sont les jugements individuels, les tricheries, les mensonges... tout ce qui fait l'écheveau des petites trahisons. Et ces petites trahisons se mêlent jusqu'à constituer le tissu des multiples incompréhensions qui déboucheront sur la violence. Ce qui nous conduit, un jour ou l'autre, pour vous comme pour moi, inévitablement au fait que le parachute ne s'ouvrira pas.

Streamers se déroule à huis clos, dans le dortoir d'une caserne. Quatre appelés attendent le signal de départ pour aller combattre sur le front au Vietnam. En gardant toujours ce même décor, la chambrée et ces lits superposés, Robert Altman, cernent ses personnages et leurs expressions.
L'atmosphère est lourde dans le dortoir. Dès le début du film, un des soldats, dans l'attente d'un destin incontournable, va craquer et tenter de mettre fin à ses jours. Richie (Mitchell Lichtenstein) est plus enclin aux plaisirs intellectuels qu'aux joies du sport, pour se défouler. Soigné, propret, prenant soin de son corps et de son apparence physique, il est disponible pour ses voisins de chambrée, il les écoute mais ne se livre pas pour autant. Très vite, sa quiétude est troublée par les visites persistantes de Carlyle (Michael White).
« Tu as déjà parlé à des pédés ?

– Il y en a qui sont OK, mais d'autres, ce sont de vraies salopes.
– Je ne suis qu'un sale con de nègre.
»
Il insiste pourtant, Richie ne dit mot. Il les provoque, fait la folle.
« Tu chies dans la colle, mais tu es mignon aussi. Arrête de faire la folle. »
Le soir, ils se racontent, précisent leurs origines, leurs envies et leurs dégoûts.
« Je n'ai même pas de job, et ils vont m'envoyer me faire tuer. On sera peut-être des héros. »
Très vite, la sexualité redevient le sujet de discussion primordial. Billy (Matthew Bodine) est obsédé par les silences de Richie.
« Dis-moi. T'en es pas vraiment un pédé. Tu as peut-être eu des mauvaises fréquentations. Tu t'es laissé entraîner. »
Carlyle et Richie se rapprochent, ils se sentent, se comprennent, la sensualité mêlée au désir. Et pourtant, ils doivent se préparer à se battre, à mourir peut-être. C'est beaucoup trop pour les deux autres qui supportent de plus en plus mal cette promiscuité. La violence gronde.
Je crois que ce film traite plus de l'homophobie que de l'homosexualité. Il confronte des éléments différents dans notre société à l'intérieur d'un vase clos, sous pression, comme dans une cocotte-minute. Aucune possibilité pour les personnages de se dérober à cette tension. Richie est un personnage plus à l'aise avec lui-même, n'ayant pas besoin de se remettre en question. Billy est très peu sûr de lui, quant à Roger, il a délibérément pris le parti de vivre une situation sans conflit. Carlyle est certainement le personnage le plus honnête dans cette situation.
Hormis les quatre protagonistes, Robert Altman a intégré deux rôles muets, lourds de significations : le dormeur, qui sous ses couvertures, assistera en voyeur aux échanges en tous genres de ses colocataires et la seule femme du film, que l'on aperçoit par deux fois, derrière les vitres de la chambre, prenant en photos les bidasses.

Streamers est certainement l'étude de caractère la plus honnête et la plus vraie que j'ai vue. Il montre d'emblée la personnalité entière et multiple des personnages, si bien que ce réalisme devient souvent insoutenable car épuré jusqu'à l'extrême. Altman est un très grand cinéaste, il n'y a aucun doute.

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Elias Andreato (le père), Leonardo MiggiorinMiggiorin (le fils), Denise WeinbergWeinberg (la mère). Scénario et réalisation : Júlio Maria Pessoa. Prise de vues : Tula Hatagima. Montage : Marcio Miranda Perez. Son : André Uesato.

Durée : 17 mn. Disponible en VO ou VOST anglais.



Résumé :

Une famille moyenne dans une banlieue de São Paulo : la mère, le père, le fils et un bébé prennent le petit déjeuner. Plus tard, nous retrouvons la mère et le fils. Ils attendent le père qui rentre toujours ivre à la maison, tard dans la soirée. La mère va se coucher avant le retour de son mari. Le père revient titubant. Il essaye de rentrer dans la chambre du fils mais elle est fermée à clef... Un chien aboie...



L'avis de Bernard Alapetite :

Souvent les films gays sont ce que j'appellerais des film loukoum, un peu trop sucré. Pour continuer à filer la métaphore culinaire, je dirais qu'Au nom du père est un film piment dont la brûlure se fera longtemps sentir chez son spectateur. Le film n’hésite pas à s’attaquer aux tabous les plus sacrés de la famille.



Un véritable choc qui amène le spectateur au bord du gouffre de la plus profonde perversité. Longtemps après avoir vu ce film, je suis certain qu’il hantera encore tous ses spectateurs tant il est dérangeant et nous force à nous interroger sur les motivations profondes des personnages. Un film bouleversant qui ne se soucie pas du politiquement correct et qui pourtant évite l’écueil du voyeurisme.



Le cynisme du scénario fait penser à certains courts-métrages d’Alfred Hitchcock et aux nouvelles les plus noires de Roald Dahl.

Pour son deuxième court-métrage, Julio Maria Pessoa montre un remarquable talent de cadreur. Un grand soin est également apporté aux couleurs ; quant à l'interprétation elle est impeccable.



Il est très difficile de parler de ce petit bijou sans le déflorer, je vous en ai dit et montré déjà beaucoup mais rassurez-vous, vous n'êtes pas au bout de vos surprises.

Lorsque vous aurez vu le film, je vous conseille de le revoir une seconde fois et de vous interroger sur les attitudes des personnages, en particulier sur celles de la mère...



Julio Pessoa a fait des études de cinéma à l’Université de São Paulo. Em Nome do Pai est son deuxième court-métrage. Il a été récompensé en 2002 par le prix Kodak du « meilleur film brésilien de fin d’études », d’un prix au Festival mexicain du cinéma en 2003 et d’un prix au « Golden Chest » de Bulgarie.



Son premier court métrage, Prohibidu's, a été tourné en 1999. Julio Pessoa a également écrit les scénarios de deux longs métrages qui n’ont pas encore été tournés (Ilha ra tim bum, un film pour enfants, et Alice).

Em Nome do Pai est un petit chef-d’œuvre de cinéma vénéneux qui déjoue toutes les attentes.

Nota: un grand merci à Alain M. qui m'a fait découvrir ce film.

Pour plus d’informations :

b


Fiche technique :
Avec Vincent Cassel, Caroline Cellier, Jean-Pierre Marielle, Caspar Salmon, Sabine Destailleur, Sandrine Le Berre, Alain Gandy, Luciana Castellucci, Angelo Aybar et Maggy Dussauchoy. Réalisation : Olivier Schatzky. Scénario : Éve Deboise et Olivier Schatzky, d’après la nouvelle d’Henry James. Directeur de la photographie : Carlo Varini. Ingénieur du son : Dominique Levert. Musique : Romano Musumarra. Décorateur: Jacques Bufnoir. Monteur : Jean-François Naudon.
Durée : 92 mn. Disponible en VF.


L' élève


Résumé :
À la fin du XIXe siècle, un jeune instituteur de 25 ans, Julien (Vincent Cassel) est engagé par un couple d’aristocrates (Caroline Cellier et Jean-Pierre Marielle), vivant dans une grande propriété du midi de la France, pour veiller à l’éducation de leur fils, Morgan (Caspar Salmon). Le garçon est à la fois surdoué, tourmenté et farouche. Il dort la nuit les yeux ouverts. Parfois il chante d’une belle voix claire, la nuit, sur le toit de la grande maison. Morgan déclare n’avoir pas d’amis car les enfants de son âge ne l’aiment pas. Julien découvre, au fil des jours, la réalité totalement factice du train de vie de ses employeurs. Ils sont complètement ruinés et ils ne peuvent lui payer ses gages. Ils ne lui versent que de minables acomptes. Morgan n’est pas dupe de cette situation que Julien essaye pourtant de lui cacher pour ne pas lui avouer (?) le sentiment qu’il éprouve pour lui. Le garçon sent que si Julien ne cherche pas une autre place, c’est qu’il est déjà lié à lui par une indéfectible amitié et qu’il est prêt à le suivre au gré du nomadisme de ses parents, qui bientôt ne peuvent plus cacher leur dèche, due au gaspillage effréné du père, j’m’en-foutiste hédoniste. Julien en vient tout de même à dire son fait au père et à la mère, les qualifiant d’aventuriers fabulateurs et de snobs abjects. En rien déstabilisés, ses interlocuteurs lui dénient tout droit à leur réclamer son dû car il devrait s’estimer payé par le simple privilège de côtoyer chaque jour un tel enfant ! Le père a machiavéliquement compris qu’il tient Julien par le sentiment qu’il éprouve pour Morgan. C’est même eux qui, peu après, viennent solliciter Julien pour qu’il leur prête de l’argent. Leur intention réelle est de transférer sur Julien toute responsabilité envers Morgan que l’on amène chez le médecin alors qu’il est présenté comme menacé par une maladie fatale.
Quelque temps après Noël alors qu’ils sont à Cracovie, dans la résidence prêtée par une amie du couple, la comtesse Jesenska, Julien reçoit par télégramme la proposition d’un emploi à Lyon. Il accepte et part. Un jour, il reçoit un courrier de la mère, lui reprochant d’avoir abandonné Morgan qui est au plus mal. Julien se rend aussitôt à Paris où il retrouve la famille échouée dans un misérable galetas. Il emporte dans ses bras le garçon inconscient...



L’avis de Bernard Alapetite :
L’Élève est, après Fortune express, en 1991, le deuxième film d’Olivier Schatzky. Il a été auparavant scénariste pour le réalisateur Pierre Jolivet : Le Complexe du kangourou, Force majeure et pour Diane Kurys, Un Homme amoureux.
L’Élève est une adaptation assez fidèle d’une longue nouvelle d’Henry James, The Pupil. Ce film donne l’étrange impression d’être incomplet, des séquences entières semblent avoir été oubliées au montage. Sa structure lacunaire en fait un parfait véhicule à fantasmes car les scènes tournées sont convaincantes, du moins les intimistes car les reconstitutions historiques deviennent une France et une Pologne hors du temps que l’on peut situer certes à la fin du XIXe siècle, bien qu’elles ne contiennent aucune connotation politique ou sociale.
Les parties en extérieur, malgré la nombreuse figuration et le cinémascope, font néanmoins un peu fauchées et rappellent fâcheusement le plus mauvais style « Buttes-Chaumont ». Cette fresque intimiste est tournée principalement en plans-séquences.



La sensibilité de la direction d'acteurs joue surtout, dans une merveilleuse harmonie, avec la rencontre des regards. L'incomparable intensité de celui de Caspar Salmon, aux yeux bleus transparents, habite l’écran. Il est bouleversant quand naît un sourire fugitif entre ses lèvres serrées. Découvert dans Le Voleur d’enfants de Christian de Chalonge, il était déjà prodigieux dans Le Roi des aulnes où il était presque la seule raison de voir le film. Malheureusement depuis L’Élève, il ne nous a pas donné de nouvelles cinématographiques. Jean-Pierre Marielle est truculent dans le rôle du père, cet égoïste suicidaire. Vincent Cassel joue une partition tout en subtilité à laquelle il nous a peu habitué.
Malgré ses défauts, il n’en reste pas moins que le film demeure gravé dans la mémoire du spectateur, surtout grâce à la poignante dernière séquence, lorsque Julien serre et emporte dans ses bras Morgan dont on ne saura pas si, il est mort ou vivant. Il est stupéfiant qu’aucun critique, à la sortie de L’Élève, ne se soit aperçu que cette histoire est avant tout une histoire d’amour-passion entre un homme et un garçon de treize ans.

Pour plus d’information :



Extrait de l'émission Fans de séries diffusée par SérieClub le 19/12/2008


Fiche technique :

Avec Ohad Knoller, Yousef Sweid, Daniela Wircer, Alon Friedmann, Miki Kam , Shredi Jabarin, Lior Ashkenazi, Zion Barouch, Oded Leopold, Dorin Munir, Zohar Liba, Yael Zafrir, Noa Barkai, Yotam Ishay et Avital Barak. Réalisation : Eytan Fox. Scénario : Amir Feingold & Gal Uchovsky. Images : Yaron Sharf. Montage : Yosef Grunfeld & Yaniv Raiz. Production : Amir Feingold. Musique : Ivri Lider.
Durée : 115 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :

Un Roméo et Juliette moderne au pays de la kipa et du keffieh où Juliette s’appelle Ashraf (Yousef Sweid), un beau mec qui veut entraîner dans la mort son Roméo-Noam (Ohad Knoller) encore plus beau mec, par désespoir politique.



L’avis de
Bernard Alapetite :
The Bubble est un film politique. Un film politique à l’américaine dans lequel on nous intime de nous identifier à l’un des personnages, surtout au personnage principal du jeune juif que l’on découvre dès la première image remplissant ses obligations militaires sur un barrage entre Israël et la Cisjordanie. Nous avons là, j’insiste, un film politique, genre en plein renouveau ces dernières année (Lord of War, Syriana, Good night and good luck...) qui suit le modèle américain dans lequel l’intimité, la psychologie, la vie sexuelle et professionnelle des personnages se mêlent à l’actualité, presque toujours dramatique. C’est ce mariage de l’Histoire avec de petites histoires qui nous émeut. On peut mesurer la différence entre le modèle du film politique américain, aujourd’hui quasiment hégémonique, avec l’archétype du film politique italien, mondialement reconnu dans les années 60 et 70 qu’est L’affaire Matei grâce à la rétrospective parisienne de l’œuvre de Francesco Rossi et surtout de sa ressortie en DVD. Un cinéma qui met en avant les faits, les rapports des personnages avec la rue et non leur vie privée. Dans le premier type, il y a symbiose entre le privé et le public, c’est ce que nous voyons, tous les jours, en une de nos gazettes ; dans la seconde, il y a une séparation nette entre le privé et le public, cinéma d’un autre temps que l’on peut regretter... The Bubble appartient au premier genre : est-ce surprenant venant d’un pays autant dépendant des américains ?

 

  


Il est amusant de constater qu’un cinéaste aussi éloigné des critères du cinéma américain, tel qu’Eric Rohmer ne fait pas autre chose dans ses deux derniers films historiques, L’Anglaise et le duc et Triple agent. Cette remarque m’amène à une autre considération : quand et comment un film historique cesse de l’être pour devenir un film politique ? Je vous laisse répondre à cette question...
Dans une interview, Ethan Fox déclarait qu’il voulait être l’Almodovar israélien. Disons qu’il est sur la bonne voie mais qu’il a encore du travail pour y parvenir. Comme l’Espagnol, il a visiblement un don pour les castings justes et un grand talent pour la direction des acteurs. Dans The Bubble, ils sont tous formidables. Comme Almodovar, il possède un vrai courage dans le choix de ses sujets et leur traitement. Ni l’armée, ni la gauche israélienne, ni les palestiniens sont traités avec ménagement. Comme son modèle, il est aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie et dans ce dernier registre certaines scènes, bien amenées, sont hilarantes, mais l’on passe vite du rire aux larmes. Il sait aussi très bien capter l’atmosphère du petit monde de Tel Aviv dans lequel vivent ses protagonistes grâce notamment à une judicieuse utilisation des décors. Enfin dernier point commun entre les deux artistes, l’excellence et l’originalité de la musique qui dynamise The Bubble de bout en bout. La belle musique originale du film émane d'une rock star israélienne montante : Ivry Lider.

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Il rend bien compte, assez subtilement aussi, du sentiment qui existe aujourd’hui chez les Israéliens que seule est possible une politique d’apartheid (je ne trouve pas d’autre mot malheureusement, celui-ci est démonétisé par la pratique faite de cette philosophie politique en Afrique du sud) au sens du développement juxtaposé excluant toute mixité, idée qui a largement gagné même la gauche israélienne (les travaillistes).
Mais on voit bien que c’est dans la construction de son scénario que le réalisateur a voulu imiter le plus le maître madrilène, avec son histoire où tous les personnages se rencontrent, se connaissent, tissent des liens complexes qui ne peuvent qu’amener au dénouement dramatique. Mais contrairement à Almodovar, chez qui cette construction est arachnéenne et à peine perceptible au premier visionnage, chez Eytan Fox le maillage scénaristique est fait de grosses cordes qui freinent l’empathie que l’on peut éprouver pour ses créatures.


En ce qui concerne l’aspect formel, contrairement à Almodovar, mais aussi par exemple à Rossi que j’évoquais précédemment, si sa réalisation est propre (même si parfois dans des scènes de foule il manque visiblement de figurants), il ne possède pas encore une véritable signature dans l’image. Le plus gros défaut du film est peut-être son montage un peu mou. En écourtant chaque scène, presque chaque plan, il aurait pu sans modifier la durée de son film se donner plus de temps pour développer ses personnages secondaires que l’on aurait aimé mieux connaître.

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Il faut féliciter Eytan Fox d’enfin nous proposer un film gay, c’est aussi un film gay, dans lequel les personnages ne sont pas déconnectés du réel et le quotidien en Israël : c’est la guerre et les attentats sont fomentés par les palestiniens extrémistes. Enfin dans le cinéma gay un cinéaste qui lève les yeux de sa bite et pas seulement pour mater celle des autres ! Voilà un film où l’on ne s’encule pas dans une bulle, c’est le paradoxe voulu du titre « bubble » en bon français « bulle ». La bulle en question est Tel Aviv où est possible une liberté de mœurs inimaginable dans le reste du pays. Ethan Fox s’explique sur son titre: « The Bubble est le surnom que les israéliens donnent à Tel Aviv. Il y a une connotation péjorative dans cette expression. Comme Gal et moi, les personnages du film vivent rue Shenkin, dans le quartier branché et alternatif d’Israël. Beaucoup de gens se sont volontairement coupés des réalités sociales et politiques du pays. Leur attitude est souvent jugée comme superficielle et irresponsable. Naturellement, ce n’est pas ce que nous pensons. Cette “bulle” est selon nous un mécanisme de survie. Beaucoup des forces créatrices d’Israël sont concentrées dans ce quartier devenu aujourd’hui une pépinière d’artistes. On y trouve également de nombreux cafés, des boutiques branchées. De nombreux Israéliens, notamment les plus jeunes, rêvent de venir vivre ici. »
Le cinéaste reste fidèle à la thématique de son précédent film Tu marcheras sur l'eau, qui était déjà la difficulté de se mettre à la place de l’autre, en espèce celui de jeunes Allemands dont la famille avait participé à la Solution Finale. Il existe d’ailleurs un trait d’union entre The Bubble et Tu marcheras sur l’eau, personnalisé par Lior Ashkenazi, l’acteur de Tu marcheras sur l'eau, joue un déporté homosexuel à Auschwitz dans la pièce de théâtre que Noam et Ashraf vont voir. Il est à noter que cette pièce, on reconnaît Bent, est appelée inexplicablement Les tordus ! Il me semble qu’il existe un problème dans la traduction du sous-titrage qui, en plus, ne trouve pas utile de traduire les paroles des chansons que l’on entend alors que ces paroles font parfois office de chœur par rapport aux dialogues des personnages. Quant à Ohad Knoller, il fait la liaison avec Yossi et Yagger puisqu’il jouait Yossi.

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Il est dommage que le réalisateur n’ait pas osé un happy end, car paradoxalement le happy end qui a disparu du cinéma de qualité est aujourd’hui un acte de courage artistique alors que dans le cinéma classique des années 50 et 60, c’était un poncif. Le choix de cette fin très lourdement mélodramatique est aussi peu judicieux qu’en contradiction avec la psychologie de Noam et d’Ashraf.
Eytan Fox, avec Raphaël Nadajari ou Dalia Hager et Vidi Bilu, montre que la relève d’Amos Gitaï existe dans le cinéma israélien.

The Bubble
par son émotion et son intelligence agrandit considérablement le champ du cinéma gay.


L’avis de Chori :
Les juifs seraient-ils plus cool envers l'homosexualité que ne le sont les arabes ? Il semblerait bien, se dit-on en sortant du film d'Eytan Fox. Noam, Yali et Lulu, non non ce ne sont pas les trois petits cochons, ni les neveux de Donald, ce sont juste trois jeunes coloc' qui vivent à Tel Aviv (la Bubble du titre) : deux mecs gays,  (l'un, Yali, plutôt sensible extraverti (pour ne pas dire follasse) et le second, Noam, plutôt look hétéro flexible/je cache bien mon jeu) et Lulu, une superbe demoiselle hétérote et vendeuse dans une parfumerie, tous trois aux amours un peu... instables, compliquées (mais n'est-ce pas le propre de la jeunesse ?).
Surtout à partir du moment où Noam ramène à la maison le tout mimi Ashraf, palestinien rencontré au début du film à un check point (où Noam patrouillait en treillis, sous les ordres d'un gradé aussi borné qu'imbécile – pléonasme ? – et qu'on retrouvera d'ailleurs par la suite, toujours autant l'un que l'autre), et que la cohabitation va devoir s'organiser en conséquence : Ashraf est en situation irrégulière, c'est un clandestin, il faut l'aider, et Yali va donc l'embaucher comme serveur dans son café. Mais, comme les scénaristes bossent, le destin veille... (comme on dit.)

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La narration est a priori, disons... (j'ose le mot, hihihi !) hétérogène (le réalisateur s'en explique d'ailleurs à propos des différents formats employés (vidéo, super8, hd, etc.) mais ce n'est pas vraiment de la forme dont je veux ici parler), on a par instants (et surtout au début) le sentiment de mater une sitcom pour djeunz, intelligente, dirons-nous, en suivant le quotidien de nos 3 + 1 héros (auxquels il faudrait rajouter l'amant de Yali, le premier amant de Lulu, par qui la cata arrive, le deuxième amant de Lulu...) dont les préoccupations, faut-il le préciser, tournent beaucoup autour des histoires de cœur et de cul, et donc, a priori encore une fois, futiles peut-être mais vitales sûrement. La violence, la guerre, les attentats, la cohabitation, tout ça est, au début du moins plutôt loin des préoccupations de nos jeunes amis, assourdi et en toile de fond pourrait-on croire.


Car la suite de l'histoire ne va ménager ni les uns ni les autres : fuite, rupture, passage et repassage de frontière, portable qu'on laisse sonner, coming out, pressions familiales, mensonges, provocations, tout va être mis en place pour, si j'ose dire, le bouquet final. Oui, car la bulle va – plop ! – exploser, et les choses vont se gâter, progressivement, remettant à nos jeunes amis les deux pieds dans le réel, et parfois même le nez dedans, jusqu'à cette fin certes stupéfiante, mais, à mon goût, plutôt malcommode et à double tranchant (on n'est plus très loin de Roméo et Juliette, auxquels je n'ai pas pu m'empêcher, tout du long, de penser : un juif et un arabe, les familles ennemies, les Capulet de Tel Aviv et les Montaigut de Naplouse...) Leur amour contrarié sert de fil blanc (attention, je n'ai pas dit que c'était cousu de !) à cette histoire, où heureusement, les amours des deux autres (celles de Yali et celles de Lulu) – moins dramatiques mais pas moins embrouillées ! – viennent heureusement jouer en contrepoint pour diluer un peu le pathos.

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Je ne sais pas comment on dit bobo en israélien, mais, je pense que les ceusses qui, par exemple, avaient attribué ce qualificatif à disons... Les Chansons d'amour pourraient sans doute le dégainer à nouveau à propos de celui-ci : Noam est disquaire, il est question de Michel Foucault, de théâtre (une scène de Bent permet de retrouver cet acteur délicieux dont je ne retrouve pas le nom, déjà présent dans Tu marcheras sur l'eau et que j'avais beaucoup aimé aussi dans les films de Koshashvili Mariage tardif et Cadeau du ciel) de rave contre la violence, de magazine culturel, on cite Jules et Jim... Je précise tout de même que, personnellement ça ne me dérange absolument pas : au contraire, même (je crains d'en être aussi un peu quand même, quoique sans pépètes : un bobo pauvre, comment ça s'appelle ? un pov'bobo ???)

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Décidément, cet Eytan Fox mérite qu'on garde un œil sur lui (pff… dire que j'avais enregistré Yossi et Jagger, son premier, et que je n'arrive pas à le retrouver !), même si ce n'est pas complètement complètement émerveillant, c'est quand même suffisamment bien foutu pour que non seulement on ne s'ennuie pas, mais qu'on soit constamment tenu en haleine devant cette histoire à strates multiples, qui dépasse bien vite le simple cadre de la comédie romantique de djeunz...
Et il y a, de plus, dans le film deux chansons jolies oui très jolies (clin d'œil pour Emma si elle me lit) : une version pour le moins... originale de The man I love, et une autre, lo-fi, de Song to the siren de Tim Buckley, et qui, toutes les deux , midinons, midinons, m'ont collé la chair de poule et les larmes z'aux z'yeux. Hmmm, oui, exquis comme les beignets de patates douces qu'on sert chez Yali...

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L’avis de Matoo :
J’attendais, comme beaucoup de gens, le prochain film d’Eytan fox qui nous avait déjà fait vibrer avec Yossi et Jagger, et bien plus encore avec Tu marcheras sur l’eau. Le défi était donc de réussir à faire aussi bien, ou sinon de continuer à évoluer. Eh bien, j’ai été à la fois charmé par ce film, et en même temps un petit peu décontenancé par certains choix de l’auteur.
Cette fois c’est une histoire d’amour (homo) impossible qui se joue entre un israélien Noam (Ohad Knoller, qui était déjà dans Yossi et Jagger), et un palestinien de Naplouse Ashraf (Yousef Sweid, lui était dans Tu marcheras sur l’eau). Impossible pour des raisons sociales et familiales, mais surtout politiques, dans un pays où les tensions sont telles qu’on les connaît. Noam revient tout juste de sa conscription, et il retrouve ses deux colocs : son pote homo Yali et leur amie (bien FAP) Lulu. Ces deux derniers font de leur mieux pour que l’histoire d’amour entre les deux garçons se concrétise, malgré les vicissitudes. Ils sont contre la guerre et les occupations de territoires, et ils vivent dans un Tel Aviv où les jeunes essaient de se soustraire à cette politique qui les empoisonne.

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Il s’agit d’un film très fort, et qui va jusqu’au paroxysme de la passion amoureuse. Plus encore que Capulet et Montaigu, les deux héros sont opposés dans leurs destinées. Entre un Noam israélien qui revient de l’armée où il a vu ce qui se passait aux postes-frontières, et Ashraf dont la sœur se marrie avec un activiste palestinien, et qui doit lui-même épouser la cousine de ce dernier. Eytan fox a vraiment choisi de mettre en scène une histoire à l’intrigue tellement allégorique qu’il vaut mieux considérer le film comme une « fable » ou un « conte ». Sinon on peut rapidement craindre un manque de crédibilité qui gâche le plaisir. La fin qui est très « particulière » ne m’a pas tant dérangé (mais bouleversé oui !), dès lors que c’est d’une fable qu’il s’agit.
Cette histoire d’amour pleine de passion, de sincérité et qui plaira à toutes les midinettes du monde, est rondement menée, et c’est une des grandes réussites du film. Une putain de superbe histoire d’amour ! Avec en plus beaucoup d’humour, de fantaisies (Lorsque Lulu et Noam se rendent à Naplouse déguisés en journalistes français, c’est l’apothéose !), de tendresse, il délivre aussi un propos politique toujours très balancé. Il s’agit de constater les problèmes qui rendent la situation explosive des deux côtés de la frontière, avec des exactions qui se répondent, et des communautés qui se radicalisent.

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J’ai beaucoup aimé la manière dont Tel Aviv était filmée, et même personnifiée. La ville a une vraie importance, et joue un rôle à part dans ce film. Cela m’a particulièrement plu et touché, car j’y étais il y a quelques mois, et que j’ai retrouvé une ambiance, des rues, des couleurs et des sons. Et c’est vrai que Tel Aviv est un endroit unique en Israël, et Yali qui n’en sort jamais symbolise bien cet univers clos si particulier. Tel Aviv apparaît comme le lieu de tous les possibles, de la jeunesse et de la fête, mais régulièrement la simple réalité est un cruel rappel à l’ordre.
Le film se regarde bien et a beaucoup de qualités, mais ce qui est par contre troublant c’est lorsqu’on le resitue dans la filmographie d’Eytan Fox. En effet, il devrait se placer entre les deux que j’ai cités, plutôt qu’être son dernier opus. Il a l’air d’être moins abouti et moins mature que Tu marcheras sur l’eau, tant au niveau de la réalisation que du scénario ou des dialogues. Et pourtant je devine bien que politiquement justement, c’est un film qui est encore plus marqué et marquant que le précédent.
Malgré quelques défauts (le moment où Ashraf « s’offre » à Noam me paraît vraiment ridicule… c’est dommage car ça a pas mal gâché mon impression de base), il s’agit d’un film qui a bien des mérites, et qui parle et montre l’homosexualité sans métaphore ou pincette. Quant à la fin, il vaut mieux en parler en « live », il y a trop à en dire (tout, son contraire, et n’importe quoi) donc j’en disserterais avec des potes.
Pour plus d'informations :

 



Fiche technique :
Avec Ricardo Meneses, Beatriz Torcato, Alexandre Melo, Andre Barbosa et Eurico Vieira. Réalisation : Joao Pedro Rodrigues. Scénario : Alexandre Melo, José Neves et Joao Pedro Rodrigues. Image : Rui Poças. Montage : Paulo Rebelo et Joao Pedro Rodrigues.

Durée : 90 mn. Disponible en VO et VOST.
 



Résumé :
Sergio est un bel et jeune éboueur qui travaille la nuit dans une Lisbonne désertée propice aux rencontres sexuelles que Sergio recherche avec avidité. Lors d'une de ses tournées nocturnes, il doit vider une vieille maison de ses meubles. Là, il aperçoit ce qui semble être l'idéal de son désir sous la forme d'un jeune motard briquant sa moto.


Sergio n'aura plus de cesse que d'épier l'objet de sa convoitise. Il fétichise bientôt tout ce que touche son motard : sa moto bien sûr, un de ses vieux slips, l'eau de la piscine dans laquelle le garçon a nagé, jusqu'à la paroi de la douche où il s'est rincé (ce qui nous vaut une scène d'une grande invention sexuelle puisque Sergio jouit du seul fait de lécher cette paroi !).


L'avis de
Bernard Alapetite :

O Fantasma est le premier film de son très francophile réalisateur, né en 1966 à Lisbonne où il a suivi des études de cinéma.

Le titre est très astucieux et donne une bonne idée des desseins du réalisateur. « Fantasma » veut dire en portugais, à la fois, selon le contexte, « fantasme » et « fantôme ». Le récit n'est nourri que des fantasmes du jeune et beau héros. Ils lui permettent de s'échapper de son triste quotidien au point de se transformer progressivement en une sorte d'âme damnée des ordures, condamnée à hanter les décharges publiques.


Les lieux ne sont pas des endroits du réel, seulement des propositions où peuvent se développer les rêveries lubriques du jeune homme. Le temps n'est pas plus soumis au vérisme. Il est tantôt compressé, tantôt dilaté.

Dans la première partie du film, de loin la plus intéressante, dans laquelle Sergio fait une fixation sur le jeune motard, on pense beaucoup à Les Rebelle du Dieu Néon de Tsai Ming-Liang. On retrouve dans le film portugais la même atmosphère nocturne que dans celui du taiwanais. O Fantasma ne se déroule quasiment que la nuit. On y retrouve aussi le même mutisme. Il y a très peu de dialogues dans O Fantasma. Autres points communs entre les deux œuvres : la même omniprésence de l'onanisme et le même voyeurisme.


Il faut regretter que Joao Pedro Rodrigues ne soit pas resté sur l'obsession de Sergio pour son motard et ait bifurqué dans la deuxième partie du film sur une métamorphose presque kafkaïenne, Sergio étant "customisé" par une combinaison de latex noir avec cagoule qui évoque à la fois les Batman de Tim Burton et surtout l'Irma Vep d'Assayas. Être que les Cahiers du cinéma, qui ont parfois beaucoup d'imagination, qualifie de cafard gracile. Cette chose dès l'instant qu'elle est affublée de cette peau caoutchouteuse ne semble plus s'intéresser au sexe mais seulement aux ordures dont il se nourrirait (?). Le spectateur, s'il ne possède pas la même fascination que Sergio pour les monticules de détritus, s'ennuie ferme. Sergio glisse de plus en plus vers l'animalité jusqu'à marquer son territoire...


Mais le film ne se contente pas, si l'on peut dire, de ces deux pistes. C'est aussi un catalogue des fantasmes gays du coté S.M., un peu comme Pink Narcissus pour les fantasmes kitsch. Ces fantasmes sont plus ceux des débuts des années 80 que ceux de l'an 2000. Il n'y a aucune allusion au SIDA.


O Fantasma
a généré une prose aussi délirante que réjouissante. Sa première partie n'est guère autre chose qu'un porno qui serait proprement filmé, quant à la seconde moitié son ennui abyssal m'a empêché de penser... Mais il n'est tout de même pas trop compliqué de comprendre que le cinéaste fait un parallèle entre deux activités souvent nocturnes et qu'encore beaucoup jugent sales : le sexe (d'autant que les pratiques décrites sont homosexuelles) et le ramassage des ordures. Sous des dehors libérés, on peut voir ce film comme une transcription moderne du puritanisme.


Lors de sa conférence de presse à Venise, où le film fut présenté en compétition, ce qui suscita quelques remous, Joao Pedro Rodrigues expliqua que son personnage était en butte au rejet d'un autre qu'on aperçoit de loin en loin (j'ai pourtant scruté suite à cette déclaration et je n'ai rien vu !). Peut-être, mais c'est en délaissant peu à peu toute psychologie et tout réalisme que le cinéaste perd ses spectateurs.


Rodrigues filme frontalement le désir brut. O Fantasma ne cache rien des beaux garçons qui le traversent, ni du héros qui se masturbe régulièrement durant tout le film, ni de ses amant dont un que l'on voit se laver soigneusement le sexe après usage, pas plus qu'une mise en bouche d'une minute, ce qui est beaucoup plus long que ce qu'autorisait le Code Hayes, jadis, pour de chastes baisers...


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