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FILMS : Les Toiles Roses

 

Fiche technique :

Avec Jonah Blechman, Jake Mosser, Aaron Michael Davies, Jimmy Clabots, Euriamis Losada, Mario Lavandeira, RuPaul, Scott Thompson, The Lady Bunny, Will Wikle, Brandon Lim, Isaac Webster, Brent Corrigan, John Epperson et Amanda Lepore. Réalisation : Todd Stephens. Scénario : Todd Stephens, d’après une histoire d’Eric Eisenbrey. Directeur de la photographie : Carl Bartels. Compositeur : Marty Beller.

Durée : 99 mn. Disponible en VO et VOST et VF.



Résumé :

Andy, Nico, Jarod et Griff sont de retour ! En vacances à Fort Lauderdale pour les vacances mythiques du Spring Break, ils participent au concours Gays Gone Wild, qui doit déterminer lequel d'entre eux peut avoir le plus de partenaires sexuels possibles...



L’avis de Frédéric Mignard :

La suite de la parodie gay d’American Pie est un délire trash nettement supérieur au segment originel.

Chose singulière dans la production gay indépendante américaine, Another gay sequel, comme son titre l’indique, est une suite. L’évidence commerciale imposait ce nouvel opus après le carton communautaire du premier titre, d’autant plus qu’il s’agissait d’une parodie camp d’American Pie, un genre de teen movie fécond en conneries crasses déclinées sur plusieurs numéros.



Le réalisateur Todd Stephens, qui vient pourtant de passer la quarantaine, revient aux pitreries décérébrées et dénudées pour finalement installer sa franchise dans une escalade (de moyens, de gags et de caméos) qui lui sied bien. Si l’on pouvait avoir d’énormes réserves vis-à-vis du premier segment (trop fauché pour nous faire avaler ses godes et couleuvres), le second est un vrai feu d’artifices de gags, certes complètement cons, mais d’une efficacité imparable. Osant à peu près tout, y compris de se débarrasser du casting originel (trois des quatre acteurs principaux ont été éjectés), le cinéaste parodie les Porky’s des années 80, les films de zombies sanglants, avec par moment des scènes ultra gore, et détourne les comédies musicales pour permettre à des morpions suceurs d’entonner la chansonnette ou pour vanter les mérites des golden showers.



De plus, il affiche la nudité à tous les coins de plan avec une jovialité qui, malgré l’extrême mauvais goût du récit et sa grossièreté patente, ne transforme jamais son film en monstre de vulgarité. Le côté arty(ficiel) de la réalisation, qui fait des allers-retours constants entre le réel, le fantasme, le rêve et le fantastique et s’installe au croisement des couleurs les plus improbables, fait de cette drôle de petite production un objet soigné, bien plus esthétique que le cinéma de John Waters, qui reste pourtant le maître étalon du réalisateur.



Dans le clin d’œil permanent, Todd Stephens s’est acoquiné des vedettes les plus gays de la planète pour des seconds rôles et des apparitions toujours savoureuses. Perez Hilton, la plus grande commère du net, est de toutes les imbécilités ; Rupaul, méconnaissable, se la joue bourgeoise avec délectation ; Amanda Lepore, transsexuel iconique, interprète une hôtesse de l’air et en profite pour déballer une fois de plus ses gros lolos, et pour les spécialistes du hard, l’on note bon nombre d’apparitions de hardeurs, jeunes (Brent Corrigan) ou plus âgés (Matthew Rush). Bref, un film somme qui marque l’avènement du trash gay contemporain dont on se félicite qu’il ne soit pas du goût de tout le monde.



L’avis de Voisin Blogueur :

Comme son titre l’indique, Another Gay Sequel n’est autre que la suite de la comédie Another Gay Movie qui prenait un malin plaisir à détourner American Pie en version queer et trash. J’avais trouvé le premier volet « sympa sans plus » et ne m’attendais donc pas à grand-chose. Agréable surprise, l’humour de ce nouvel opus m’ayant nettement plus fait marrer de bon cœur.



L’intrigue est assez simpliste : nous retrouvons les mêmes personnages (mais pas les même acteurs, excepté le personnage de la folle : Nico) et nous suivons leurs nouvelles aventures, dans un camp d’été où est organisé le concours de celui qui couchera avec le plus de monde. Le grand prix ? Une nuit coquine avec un apollon. Très vite des rivalités s’instaurent entre les amis d’Another Gay Movie et les Jasper, une bande de gays particulièrement cruels. Qui finira par gagner ? Est-ce qu’au final l’amour ou l’amitié prendront le dessus face au sexe ?



Another Gay Sequel n’a peur de rien, joue avec tous les clichés et les poussent à l’extrême. Si les vingt premières minutes laissent un peu perplexe en ressemblant à une sitcom fauchée, la suite est plus réjouissante. La tentation quand on est en couple, le choix entre plan cul et romance naissante, les relations père-fils, la galère de ne pas être un gay musclé et sexy…



Tous ces tracas sont abordés avec une certaine folie douce et colorée. Et ô surprise, le personnage de Nico (qui m’avait un poil insupporté dans le premier film) se révèle ici être le personnage le plus attachant de par sa condition de garçon très efféminé qui ne plait à personne. Complètement décalé, le film aborde aussi le sujet des MST et des pratiques extrêmes (fist, uro). Cela donne lieu à des scènes improbables et complètement jouissives tel un hymne aux « Golden Showers », une chanson avec passages animés sur les morpions ou une parodie du clip Thriller avec des zombies adeptes du Fist…



Un très bon moment de détente en dépit d’un casting, il faut bien l’admettre, un peu moins sympathique que le précédent.

Pour plus d’informations :

Site officiel : http://www.anothergaymovie.com/

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Fiche technique :
Avec  Michael Carbonaro, Jonathan Chase, Jonah Blechman, Mitch Morris, Scott Thompson, Graham Norton, Ashlie Atkinson, Stephanie McVay, John Epperson, Megan Saraceni, Darryl Stephens, Matthew Rush, Richard Hatch, Angela Oh, Alyshia Ochse, George Macy… Réalisation : Todd Stephens. Scénario : Todd Stephens & Tim Kaltenecker. Directeur de la photographie : Carl Bartels. Compositeur : Marty Beller.

Durée : 92 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :
Andy Wilson (Michael Carbonnaro) a tout du jeune gay américain type. Il a 17 ans, mais il est encore vierge. Et comme tout le monde, il compte bien remédier à ce problème. Totalement décomplexé, et chaud comme la braise, ce jeune et naïf lycéen est pris dans ce curieux vortex entre l’enfance et l’âge adulte. Au grand désarroi de sa mère, Mme Wilson (Lypsinka) – qui se demande pourquoi ses carottes et concombres disparaissent – Andy passe son temps libre à se préparer au grand moment quand, enfin, il fera le grand saut. Andy n’est pas seul. Il est flanqué de ses trois meilleurs amis, tous plein de testostérone : Jarod (Mitch Morris) qui est un fana de blagues de potaches, Griff (Jonathan Chase) qui lui est le romantique musclé et Nico (Jonah Blechman) qui est l’expert en cinéma gay. Ils ont tous une chose en commun, ils sont tous parfaitement vierges. Muffler, (Ashlie Atkinson) leur « virile » copine lesbienne, une vraie Casanova, s’amuse à titiller les garçons. C’est un véritable aimant à pom-pom girl qui accumule les sauteries. La goutte d’eau qui fait déborder le vase vient lors de la fête de fin d’année de Muffler, qui se transforme en partie de jambes en l’air... sauf pour eux. Cette nuit-là, ils se promettent de se faire dépuceler d’ici à la fin de l’été. Ce qui suit va n’être qu’une longue route parsemée d’embûches vers le dépucelage. Le film est une satire non seulement d’American Pie, mais aussi de films gays comme The Broken Hearts Club ou Edge of seventeen.


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L’avis de Bernard Alapetite :

On peut considérer que tourner la parodie d’un film navrant, American Pie, est au choix (du point de vue artistique) suicidaire ou au contraire courageux. En l’espèce, je pencherais pour la deuxième solution. Il faut immédiatement préciser qu’Another Gay Movie est le summum du mauvais goût (assumé), à placer à côté des opus de John Waters ou des films autobiographiques de Kitano.

Le tout est de supporter la première demi heure ; ensuite on commence à rire des fines plaisanteries, parfois scatologiques, de la troupe. Les spécimens qui apparaissent à l’écran sont tellement grotesques que l’on pourrait même y voir une charge homophobe ! Tous les sous genres de la « gaytitude » sont ridiculisés. On y voit des bears style méchant grizzli roulant des yeux comme au temps du muet, un prêtre suçant un scout (rassurez-vous le scout doit avoir au moins quarante ans) dans des toilettes, un professeur sado maso uro scato draguant via Internet : la réalisation n'évite aucun lieu commun.


Another Gay Movie est une avalanche de gags mais malheureusement beaucoup ne sont pas efficaces en raison du manque de rythme du film. Si Todd Stephen s’est avéré un bon cinéaste de films sérieux (ses deux autres réalisations, Edge of Seventeen et Gypsie 83, l’ont prouvé), il ne possède pas le tempo des réalisateurs de comédie. Il passe trop vite sur un gag ou alors l’étire plus que de raison. L’autre défaut est que certaines idées et certains personnages sont abandonnés en cours de route.

C'est suite à plusieurs refus de distributeurs de diffuser son magnifique second film Gypsy 83, que Todd Stephens décide d'écrire un « Scary Movie gay ». En effet, les distributeurs trouvaient que Gypsy 83 n'était pas assez gay ! C'est ainsi qu'il commence à écrire le film qu’il veut le plus gay jamais réalisé ; un film qui serait la parodie du cinéma d'adolescents tel que American Pie mais aussi des longs-métrages gays tels que Le Club des cœurs brisés ou encore son propre film Edge of Seventeen. Les clins d’œil à ses deux premiers films seront nombreux, à commencer par leur affiche que l’on voit bien dans Another Gay Movie.


Another Gay Movie est un film volontairement provoquant et à contre-courant, défiant la censure. Todd Stephens cite G. W. Bush et Jerry Falwell (un télévangéliste américain homophobe) dans ses sources d'inspiration : « Je dois remercier George W. Bush pour l'inspiration qu'il m'a procurée. J'étais parfaitement écœuré par le programme politique de son parti, j'ai alors décidé que j'allais secouer tout ça (...) J'ai enfin réussi à faire le film que je voulais faire étant adolescent, le film que Jerry Falwell voudrait absolument bannir. »

Le cinéaste a été très influencé à l'adolescence par Mae West, qui lui apparut comme sa première icône gay. Il affirme s'être inspiré d'elle pour son film Another Gay Movie : « J'ai toujours apprécié la façon dont elle a révélé sa sexualité. J'ai voulu faire un film dans l'esprit de Mae où l'homosexualité pouvait être à la fois mise en valeur et drôle, et comme Mae mon but principal était de faire rire. »


Todd Stephens ne voulait pas faire jouer que des comédiens gays. Il a finalement choisi Michael Carbonaro, Mitch Morris, Jonathan Chase et Jonah Blechman. « Ma plus grande joie fut de travailler avec des comédiens aussi talentueux et intrépides. J'ai pris un temps fou à trouver les quatre acteurs principaux, mais une fois le tournage commencé, je n'ai eu qu'à m'asseoir et les regarder improviser et améliorer mon scénario. » Au vu du film, on peut tout de même penser qu’il aurait dû se lever et diriger un peu plus ses comédiens. D’autant qu’il n’avait pas affaire à des débutants. À l’instar de Jonah Blechman, la folle hystérique de la bande, un habitué des films gay, déjà vu en particulier dans le bon Luster, ou encore du binoclard du groupe, Mitch Morris, qui a tenu un rôle secondaire dans quatre épisode de Queer as Folk US, ou enfin du beau black Darryl Stephens que l’on avait déjà vu dans Boy Culture et vedette de la série gay et black Noah’s Arc. Comme on le voit, la distribution n’est peut-être pas si hétéro que cela. Todd Stephens aurait mieux fait, au lieu de se focaliser sur la sexualité de ses comédiens, de prendre l’âge comme critère de sélection car engager des acteurs dont l’âge tourne autour de 25 ans pour interpréter des rôles de garçons de 17 ans n’est ni particulièrement judicieux ni courageux !


Leur jeu outré, certes voulu, se situe entre le jeu de boulevard de seconde zone, style Jacques Balutin, et un festival de grimaces dans la droite ligne du jeu « subtil » d’un Eddy Murphy…

La très bonne idée du casting a été de choisir un homme pour jouer la mère du héros. Malheureusement, comme beaucoup d’autres, cette idée (et ce personnage) n’est pas exploitée.

La bande originale du film Another Gay Sunshine Day écrite par Marty Beller et Todd Stephens est interprétée par une de ses idoles, Nancy Sinatra. Ce fut, selon les mots du réalisateur, « la cerise sur le gâteau ».



Il faut saluer le remarquable travail réalisé par le costumier et le maquilleur sur le personnage interprété par Jonah Blechman. Les décors et les accessoires sont très soignés et participent au comique du film.

Sous leurs accoutrements se cachent de bien jolis garçons dont on ne nous cache rien des postérieurs (sans malheureusement nous montrer beaucoup d’autres choses…)

Todd Stephens a déjà tourné une suite, Another Gay Sequel: Gays Gone Wild, qui commence là où le premier film s’arrêtait.


L’avis de Frédéric Mignard :
Todd Stephens avait su se montrer juste de sensibilité avec Edge of seventeen, petite production gay indépendante, qu’il avait écrite en 98, sur un ado assumant ses penchants homosexuels dans l’Amérique des années 80. Le retrouver aux commandes de Another gay movie surprend donc. Cette comédie outrancière, véritable hymne au politiquement incorrect, qui se complaît dans les gags les plus excessifs, est à des années-lumière de son premier script. Un virage dans l’humour trash scato-anal d’un mauvais goût absolu, réalisé cependant avec des moyens dérisoires qui le réduisent à un film amateur bancal qui s’aliènera tout autre public que celui de la communauté homosexuelle.

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Le jeu improbable des comédiens que l’on croirait tous échappés de Foon et l’absence de toute mise en scène rendent l’accumulation de gags énormes d’une lourdeur indigeste. Certes Stephens met un grand coup de pied dans les conventions morales hollywoodiennes en s’acharnant à décrire les pratiques sexuelles les plus insolites pour ce type de production. Another gay movie va loin, très loin même, affichant kikis à gogo, gadgets sexuels de toutes tailles et de toutes formes, multipliant les scènes de masturbation à base de quiche lorraine et de légumes incongrus, et se permettant même de s’achever sur une double pénétration. Alors oui, c’est osé et avec un minimum de talent l’entreprise aurait pu être hilarante, mais ici tout est tellement mal ficelé et intrinsèquement laid qu’il est bien difficile de se prendre au jeu de cette parodie rose du teen movie à la American pie et autre Sex academy, un peu trop fière de sa vulgarité et de son immaturité crasse.

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L’avis de Lucile :
Loin, très loin même, des parodies faciles et autres caricatures, Another Gay Movie offre plutôt une relecture du teen movie à la sauce gay. La recette d'American Pie traîne dans un coin et certaines scènes où personnages lui sont même carrément empruntés, mais le résultat est tellement original, déjanté et hilarant qu'on en oublierait presque les quelques vulgarités ici et là. 
Car au niveau de l'humour, ils ne se refusent rien, repoussant toujours plus les limites du trash, au plus grand plaisir du spectateur qui apprécie grandement d'être enfin étonné par ce genre de film. Et du hamster au SM scato, il y en a vraiment pour tous les goûts. À titre d'exemple, le Stiffler de la bande est ici une lesbienne hypra masculine et vulgaire qui dévergonde tout le voisinage et qui porte le doux nom de Muffler.

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Derrière les blagues grasses, aussi bonnes soient-elles, le film qui se veut léger soulève tout même le problème du dépucelage des homosexuels en province. Comme l'avait déjà évoqué à sa manière Dorian Blues, il paraît encore très compliqué de s'épanouir en tant que gay sans prendre des risques : celui de la réaction de l'autre ou d'autres plus graves comme les rencontres par Internet et les clubs louches.
Mais il ne faut pas faire preuve de trop de sérieux : Another gay movie est une comédie. Tout finit bien pour les quatre amis et on attend avec impatience la suite de leurs aventures hautes en couleurs, pour l'instant sous la forme de projet au titre alléchant : Another gay movie 2 : Gays gone wild !!

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L’avis de Psykokwak :
À quelques jours de la nécessaire Marche des fiertés, le cinéma propose une parodie des films pour ados version gay. Another gay
movie, du scénariste de Edge of seventeen, met en scène quatre potaches – plus queer tu meurs – désireux de perdre leur virginité avant d'entrer à l'université. Cette unique obsession tient lieu de scénario ! Tout est bon pour qu'ils réalisent leur souhait. Todd Stephens prend le parti du burlesque le plus grotesque pour mieux dézinguer ce genre de films pour ados. Il suffit pour le réalisateur de convertir la drague hétéro en baizouillage gay pour donner une caricature. Donc quatre « choupinous » (pour au moins deux d'entre eux) s'escriment à essayer des stratégies pour réussir leur défi. L'occasion est trop belle pour déballer des exemples d'approches propres au monde gay et tenter de nous faire rire. On aura compris que la finesse du propos se situe au niveau rectal.
À ne consommer qu'avec des copines pour rigoler gayement.

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L’avis de Pitch22 :
Très bon moment de détente devant ce film très « série déjantée ». Avec ses multiples situations cocasses hautes en couleur, c'est vraiment plus marrant et piquant que les American Pie, malgré quelques baisses de rythme (dans l'ensemble soutenu) et surtout plus sexe (on en voit, du cul et de la bi..)! Plus loufoque aussi. Tout y passe (enfin presque), des clichés à la pelle bien sûr mais sur un mode très fun (et foune...). Une scène avec Mr Puckov aka Gode-zilla (Graham Norton), grotesquissime, a quand même fait fuir de la salle un couple de gays (c'est dire !..) Donc nous avons nos quatre « puceaux » gays (18 ans) qui cherchent désespérément à connaître leur première vraie relation sex en bonne et due forme : en gros, un qui fait hétéro (et ne se croit qu'actif), une caricature fardée de la tapiole modasse (affublé d'une sœur non-voyante), une crevette timide (pas tant que ça) et un minet sexy (joué par Michael Carbonaro aka Andy, une révélation !)

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Tout ça sous les encouragements (et l'excitation ad libidum) de la « grosse touffe » ou Muffler (actrice apparue dans Inside Man), gouine partouzeuse ultravertie entourée de mini-touffes (mini-muffs) cheerleaders ce qui vaut son poids de mordant. Les parents sont bien sûr plus que gay-friendly (génial Scott Thompson, le père Wilson, entre autres one man shower hors pair)... Quelques beaux spéci…mens, tel Darryl Stephen (Angel), qu'on a pu voir dans Boy Culture (et Noah's Arc pour les abos à Pink TV). Pour les bears, apparition de Richard Hatch en personne, naturiste patenté et vainqueur de Survivor saison 1 (en outre condamné pour ne pas avoir payé ses impôts là-dessus). Les acteurs sont pour beaucoup issus de séries US : Queer as Folk (quelques références narguantes), Dawson, Veronica Mars, DOS, Providence, Rescue Me, etc. Gayissime et très kitch, beaux décors, beaux culs... Belle réussite pour Todd Stephen, le réalisateur.

Pour plus d’informations :

anotherplanche.jpg Pour agrandir, cliquez sur l'image.


Fiche technique :
Avec Paul Franklin Dano, Bruce Altman, Billy Kay, James Costa et Brian Cox. Réalisé par Michael Cuesta. Scénario de Michael Cuesta, Gerald Cuesta et Stephen M. Ryder. Directeur de la photographie : Romeo Tirone. Compositeur : Pierre Foldes.
Durée : 97 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :
À quinze ans, Howie est bien seul. Sa mère vient de mourir d’un accident de voiture sur la Long Island Expressway, son père est un architecte véreux sans égards pour lui. Howie n’a pas d’autres distractions à Long Island que de cambrioler des maisons avec sa bande de copains, tous aussi désabusés que lui. Lors d’un vol avec son meilleur ami Gary, sa route va croiser celle de Big John, un homme étrange d’une cinquantaine d’années, qui semble entretenir avec Gary une relation des plus intimes. Howie, intrigué, va développer des rapports complexes et dérangeants avec Big John.


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L'avis de Jean Yves :

Un film cerné au départ par l’idée de mort mais qui développe rapidement un autre thème, l’initiation à la vie. Portraits d’adolescences à la dérive, sans lois ni marques, L.I.E. est finalement un bouleversant récit initiatique qui nous dit aussi que rien n’est jamais perdu. La force du film tient en cette relation ambiguë, jamais foncièrement malsaine, entre Big John (Brian Cox aussi subtil qu’émouvant, et la chose ne s’avérait pas aisée) et son « élève ». Tous deux sont conscients réciproquement de leurs propres faiblesses et l’on a la sensation de voir évoluer un duo intelligent et sensible qui joue cependant avec le feu. Le spectateur est aussi tendu que l’atmosphère faussement calme qui règne dans le film. Touchés par ces destins fragiles, on a en tous cas la sensation d’avoir affaire à un réalisateur réellement indépendant et réellement intelligent.


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Libre à chacun d’interpréter la relation entre le pédophile et le jeune adolescent. Vu la tournure onirique que prennent les dernières scènes, on est singulièrement tenté de comparer Big John à un ogre moderne. Alors qu’en société, l’homme est aimable et semble accordé avec le monde, il se révèle être en fait une personne différente dans le privé. Certains pourront voir en cet homme une image parfaite de ce que prétend dénoncer Michael Cuesta : une Amérique a priori policée, sage en apparence, mais qui cache en profondeur des secrets immondes. Or le cinéaste ne semble pas condamner la pédophilie, de la même manière qu’il ne juge pas ses personnages. Au contraire, il essaye de les comprendre et de rendre les choses moins simples qu’elles ne le sont.


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Père de substitution pour Howie, Big John offrira autant au jeune homme la vérité sur la vie (acte pédophile auquel il le confronte via une cassette vidéo) que celle sur l’âme (vers poétiques qu’ils déclament ensemble).


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Indiscutablement, Michael Cuesta déteste le politiquement correct et semble aimer court-circuiter les conventions du genre. Il annihile les archétypes et met l’accent sur la complexité des rapports humains. En sortant de là, de cet univers sombre et glauque, l’expérience peut indisposer les âmes les plus sensibles. De la même manière qu’on peut se demander où le cinéaste veut en venir. Mais cela fait partie de l’ambiguïté de ce film qui ne révèle pas sa richesse immédiatement. Dépourvu de racolage, L.I.E. sait être impressionnant en évitant constamment les pièges du concentré voyeuriste.


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L’avis de Yannick Vély :

À quinze ans, Howie traîne son mal-être au bord de l'autoroute qui mène de Manhattan à Long Island. Avec son ami Gary, il cambriole la maison d'un mystérieux retraité de l'armée américaine surnommé Big John.


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Michael Cuesta, l’un des réalisateurs de la série culte Six Feet Under, s’attaque à un sujet difficile pour son premier film, la pédophilie. Il suit les pas hésitants d’un ado au sein de la middle class américaine. Sa mère est morte, son père ne lui adresse plus la parole et baise une bimbo californienne. Sentimentalement au bord du gouffre, Howie cherche un peu d’affection. Il sèche les cours, leur préfère l’école buissonnière et fait les quatre cents coups avec Gary, petite frappe irrésistible qui vend son corps contre une poignée de dollars le long de la fameuse autoroute, menant de Manhattan à Long Island. Attirés l’un vers l’autre, les deux ados se rapprochent peu à peu.


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Malgré les allégations des autres jeunes qui composent la bande, Howie n’ose cependant franchir le pas. Filmée avec pudeur, cette première partie est très réussie. Michael Cuesta perçoit les doutes de l’adolescence, accompagne le désarroi de son personnage principal, joué avec un naturel confondant par Paul Franklin Dano.


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Hélas, l’arrivée du troisième homme, Big John le vieux pédophile pervers, incarné avec force par l’excellent Brian Cox, brise la magie. Le récit s’essouffle et s’embourbe dans les clichés habituels: l’ex-Marines homosexuel, le jeune poète mal dans sa peau et le père absent mais qui aime son fils plus que tout. La tension retombe et le film perd de sa puissance dramatique. Le premier plan, magnifique au demeurant, annonçait une lente descente aux enfers. Par manque d’ambition, Michael Cuesta évite soigneusement de choquer, à l’exception d’une ou deux allusions graveleuses. Big John s’autoproclame roi de la pipe, Brian Cox joue de l’œillade prononcée pour séduire le gosse mais le réalisateur s’abstient de filmer la relation amoureuse qui devait logiquement se nouer. Il explique l’attirance réciproque entre Howie, quinze ans et Big John, soixante ans par le besoin de l’ado de se trouver un père de substitution.


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Au final, le film s’avère donc très politiquement correct. Michael Cuesta possède un vrai talent d’écriture mais passe à côté du grand film dérangeant que promettait son sujet.

Pour plus d’informations :

Fiche technique :
Avec Hervé Chenais, Guillaume Quashie-Vauclin, Ilmann Bel, Sophie Blondy, Rémi Lange, Baptiste Lamy et Jacques Lange. Réalisation : Rémi Lange. Scénario : Hervé Chenais, Rémi lange et Guillaume Quashie-Vauclin, d’après une idée originale de Hervé Chenais. Musique : Jann Halexander.
Durée : 50 mn. Disponible en VF.


Résumé :
Hervé aime les mecs de 20 ans. Mais il n'est pas toujours facile de satisfaire ses désirs quand on est différent des modèles qui ornent les couvertures de magazines... Les choses vont-elles changer quand Hervé rencontre un beau mâle de 21 ans, "devotee" ?


L'avis de Philippe Barassat :

À l'heure où le festival de Cannes éteint ses derniers feux, à l'heure où de petits films de quelques millions d'euros gagnent la palme, où de plus gros remportent d'autres prix, à l'heure où l'on murmure que le cinéma se meurt, que le marché du jeu vidéo est en train de l'emporter en termes de loisirs, à l'heure où le club des treize clame haut et fort que le fossé devient un gouffre, à cette heure improbable où l'on voudrait que tout soit comme avant, alors que tout a changé, les paroles de Godard ou de Scorsese qui affirmaient qu'avec l'ère de la vidéo et du film fait maison, le cinéma se transformerait et de nouveaux auteurs naîtraient, ces paroles prennent un nouveau sens.
Certes la vidéo de plus en plus remplace la pellicule, sans détriment du spectacle, mais l'économie reste la même. Ce nouveau cinéma, tant promis, n'est pas un changement de technique. Il est un changement d'âme et de regard. Cette vidéo a ceci de miraculeux qu'elle permet enfin une rébellion qui n'était plus pensable. Non pas en imitant à moindre frais une cinématographie essoufflée –quelques millions d'euros, ce n'est pas beaucoup, cependant ça ne traîne pas dans la poche du premier venu – mais en permettant d'aborder d'autres sujets, de dire d'autres choses, de montrer d'autres images, bref de faire ce que les lois du marché ne permettent plus et sans doute ne permettront plus jamais. Un film peut se faire à la sauvette, et comme des œuvres interdites au siècle dernier, se vendre sous le manteau. Ce n'est pas l'argent qui prime alors, mais un autre regard sur le monde, et même, carrément, un autre monde.


Devotee (aux éditions Les films de l'ange, 25 euros le double dvd) raconte les amours d'un homme tronc. Faute de moyens, c'est aussi mal éclairé qu'un gonzo, et l'histoire filmée dans l'urgence de la vision est sûrement un peu bancale au final. Point de vue trucages, l'économie est résolue par la présence bien réelle d'un homme tout à fait tronc de nature, enfin presque, car ses moignons de jambes et de bras subsistent en permettant de nombreux jeux amoureux, régals du fétichiste attiré dans son antre. Car c'est bien à une rencontre du désir que nous convie le cinéaste Rémi Lange (Omelette, Les yeux brouillés). D'un côté un beau jeune homme, devotee – c'est ainsi que se nomment d'eux-mêmes ceux qu'attirent les êtres amputés – et de l'autre, l'objet du désir. On y découvre comment sans main ni bras, on peut se donner du plaisir, en donner aux autres, et d'autres choses tout aussi utiles, telles que taper à la machine, conduire une voiture, ou se faire un café. Ce docu-fiction aussi improduisible qu'indistribuable dans les circuits classiques, n'a pas seulement le mérite de nous rejouer Freaks, version porno mais soft (en effet pas de plan de pénétration moignon, il y a des limites au jeu de l'acteur !), mais de témoigner de quelque chose de totalement oublié : le monde ne ressemble pas à ce que nous en dit le cinéma non plus que la télévision. Il n'y ressemble pas, parce que ce monde est celui qu'autorisent les financiers, et que sa représentation même réaliste, n'est et ne peut être que le reflet d'une pensée argentée, soumise au compromis et à son industrie.


Bien sûr on peut rester pantois devant le spectacle et lui reprocher ses multiples défauts. Il n'en demeure pas moins que des images jamais encore vues s'y révèlent et nous parlent et nous surprennent et nous hantent. Petit à petit, devant l'évidence du regard de Rémi Lange, les préjugés tombent, l'amour monstrueux nous parait possible, et lorsque le "monstre" proteste de n'avoir été qu'objet de désir dans cette relation, tout s'inverse et fait question. Car ici, ce n'est plus le beau jeune homme qui est l'homme objet mais l'amputé et son discours MLF ancienne génération surgi de nulle part, provoquant notre agacement, nous renvoyant aux ténèbres de nos certitudes : mais pour qui se prend-t-il celui-là, ce demi homme, de protester alors qu'avec sa gueule, et son corps, il devrait remercier le bon Dieu de s'être tapé un mec comme ça !
Bien sûr le gars n'est pas forcément sympathique – ras le bol des bons handicapés de cinéma toujours gentils et autres Mimie Mathy trop bonnes fées ! –, bien sûr cette relation n'est pas totalement bouleversante et le scénariste s'en sort davantage par une pirouette que par une morale, mais qu'importe, ce film nous renvoie à l'essence même du cinéma, sa vocation première : montrer ce que nul n'a vu, faire vivre ce que nul n'a vécu. Et tant pis si les moyens – techniques, financiers et autres – n'y sont pas.
Ou peut-être tant mieux.


Car les cinéastes de demain ou d'aujourd'hui devront de plus en plus choisir, entre avoir les moyens de faire un film, ou faire un film sans moyen. Entre faire du cinéma ou vivre du cinéma. Entre les deux, le fossé est un gouffre et la radicalisation extrême (sans subvention, ni chaînes, sans salaire non plus, et donc de fait dans l'illégalité) est une solution parmi d'autres, une solution qui entraîne des genres nouveaux, des regards nouveaux, des films nouveaux, jamais faits jamais vus, comme au bon vieux temps de la naissance de l'art, avec ses maladresses et ses fulgurances.
Aujourd'hui, le cinéma ne meurt pas, il naît.
Devotee n'est sûrement qu'un exemple parmi d'autres. Reste à trouver sur la Toile ces autres films, films d'aujourd'hui ou de demain, mais pas d'hier, ces films qui, grâce à ce moyen économique de la vidéo, n'auraient pu se faire avant, qui n'appartiennent encore à aucun marché, et qui pourtant sont là, et font à leur façon la nique au système. Qu'on ne pleure plus donc sur la mort tant de fois annoncée du cinéma. Devotee, l'amoureux des estropiés, des amputés, des abîmés, est là et lui redonne, à sa façon – d'amputé, d'abîmé, d'inabouti cinématographique – corps et vie nouveaux.
De l'autre côté du gouffre, tout est à venir, les monstres nous font signe.

(Merci à toi, Philippe, pour ta gentillesse et ton autorisation)

L'avis de Gérard Coudougnan :
Coup de poing ? Impossible, le personnage principal n'en a pas, pas plus qu'il n'a de pieds. Nous ne sommes pas dans Freaks mais dans un film vraiment inclassable par sa force et son audace.
Tellement inclassable, que sa critique n'est pas plus à sa place ici que dans n'importe quelle autre rubrique à tendance culturelle.
La jaquette du DVD porte la mention suivante :
Hervé aime les mecs de 20 ans. Mais il n'est pas toujours facile de satisfaire ses désirs quand on est différent des modèles qui ornent les couvertures des magazines... Les choses vont-elles changer quand il rencontre un beau mâle de 21 ans, « devotee » ?
Assez séduisant quand on s'intéresse au monde de la sexualité et du handicap... mais si l'on ignore le sens du mot « devotee », on va découvrir un nouveau monde, celui des acrotomophiles, en anglais, devotees (« fervent(e)s » en français). En revanche, aucune concession, aucune mièvrerie dans le débat « handicap & sexe », le film est trop centré sur les spécificités d'Hervé pour cela.
Le film est un OFNI, objet filmé non identifiable, bourré de petits défauts et de maladresses techniques mais qui sont autant de mises en valeur de la prouesse cinématographique ici réalisée. Faire de son handicap un objet de jeu sexuel, ne rien cacher de la vie sans terminaisons aux quatre membres (étonnante autonomie), filmer érotiquement, sensuellement des relations sexuelles entre le héros, Hervé et son fervent partenaire... oser se lancer dans un débat sur le partage des plaisirs sont autant de défis que réussit l'équipe de Rémi Lange.
Il est vain de discuter de la part d'autobiographie ici reportée : on lira dans les liens ci-dessous plusieurs interviews d'Hervé Chenais, acteur et président de l'AGLH (Association des Gais et Lesbiennes Handicapés), auxquels le cinéphile curieux pourra trouver d'autres réponses que celles déjà apportées dans l'interview figurant dans les bonus.
Nous ne sommes pas, sauf pour nos lecteurs devotees, en présence d'un film porno à regarder avec papier absorbant à portée de main : il y a un vrai scénario ( avec recherche de partenaires sur des sites que vous connaissez !), un début, un milieu, une fin.
Du cinéma, du vrai, qui fait mal et qui fait penser et avancer... que vous ne verrez JAMAIS en salle !!
Liens documentaires :
Définition (trop restrictive puisque seulement hétérosexuelle) du mot « devotee ».
Blog d'Hervé Chenais, très riche en interviews et en critiques sur Devotee.
Le site « officiel » des devotees.
Le site de l'AGLH (Association des Gais et Lesbiennes Handicapés) dont Hervé Chenais est le président.



Fiche technique :

Avec Xavier Dolan, Anne Dorval, François Arnaud, Suzanne Clément, Niels Schneider, Patricia Tulasne, Monique Spaziani, Pierre Chagnon et Niels Schneider. Réalisation : Xavier Dolan. Scénario : Xavier Dolan. Directeur de la photographie : Stéphanie Anne Weber Biron et Nicolas Canniccioni. Musique : Nicholas Savard-L'Herbier.

Durée : 100 mn. Actuellement en salles en VF.

 


Résumé :

Hubert (Xavier Dolan), un jeune gay de 16 ans du côté de Montréal, n'aime pas sa mère (Anne Dorval). Il la juge avec mépris, ne voit que ses défauts, alors qu'elle se sacrifie pour lui et l'aime de tout son cœur mais maladroitement. Ce qui ne l'empêche pas d'être manipulatrice cherchant à culpabiliser son fils qui est parfois une parfaite tête à claques. Hubert est rendu confus par cette relation qui l'obsède de plus en plus. Il est nostalgique d'une enfance heureuse, et cherche, également maladroitement, à reconquérir sa mère, jaloux de la relation qu'entretient son amant, Antonin (François Arnaud), avec la sienne. Il est concomitamment troublé par Julie (Suzanne Clément), une enseignante qui ressent une attirance pour lui. Chaque initiative d'Hubert ou de sa mère pour se montrer leur amour ne fait que confirmer l'existence du gouffre qui les sépare. Hubert est un adolescent à la fois marginal et typique : découvertes artistiques, expériences illicites, ouverture à l'amitié, sexe et ostracisme...



L’avis de Marie Fritsch :

Sortir à peine à l'air libre et se dire, enfin, enfin un bon film. Certains film donnent ce sentiment d'avoir paradoxalement tout saisi de l'instant et invitent pourtant à un second visionnage pour être sûr de ne pas avoir été trompé. Et bien souvent, ce sont ceux-là même qu'on ira voir une troisième fois en y emmenant son amour, sa mère ou soi-même encore et encore. Et quelques années après seulement, fatigué et vautré dans un écroulatoir devant la télé, ce même film paraît soudainement sans couleurs et sans charme. Le mystère reste total. Le cinéma est comme un instantané entêtant et fragile.

En allant voir J'ai tué ma mère, je ne m'attendais à rien de spécial. Mais comme le dit Hub à propos du regard que l'on porte sur la vie et les gens, assis presque nu sur le bord de sa baignoire , face caméra dans un exercice périlleux mais réussi d'autofiction : « On dit que c'est spécial parce que la différence fait peur, spécial ça passe tout de suite mieux ». Le film de Xavier Dolan est spécial, pardon, différent. Et c'est cette différence qui en fait toute sa valeur. Disons qu'il tombe bien au bon moment. Dans 5 ans, devant ma télé, je ne sais pas. Mais là, en ce premier soir de vacances d'été, sous un ciel froid et chargé de pluie, tandis que mon amour est loin, je n'ai rien à perdre et vais m'enfermer dans une petite salle au troisième rang, la nuque cassée en deux pour rendre plus distant un écran au ras du plafond.



L'inconfort est vite oublié et le public silencieux, immédiatement captivé par le charme de ce beau gosse de 20 ans (17 ans dans l'histoire), Xavier Dolan himself, qui nous explique avec une sobriété en noir et blanc pourquoi il a tué sa mère. OK, on n'y croit pas une seconde, personne n'est dupe et là n'est pas le but du film. Rien que dans le titre, inutile d'avoir fait ne serait-ce qu'une petite année de psycho pour savoir que tuer sa mère ou son père est un passage obligé pour l'enfant, et bla et bla et bla... Faire de cette ritournelle un film semble casse-gueule au premier abord. Mais Xavier Dolan s'en sort bien, très bien même, puisque dès les cinq premières minutes il parvient à nous faire oublier ce mauvais titre et ce qu'on imaginait devoir subir comme non-suspense. L'ado est un diable de beauté et d'intelligence, loin de la caricature ingrate du jeune de sa publicité récurrente qu'on nous sert à la louche dans tous les films de « djeuns » du moment. Non ici, un rien snob mais toujours classe et pertinent, Hubert étonne et distribue des baffes à toutes les pensées préconçues sur la jeunesse des années 2000. La mère, loin d'être parfaite, a des faux airs lisses de ne pas y toucher. Ces deux-là se haïssent, et même les rares instants de réconciliation restent en demi teinte. Zéro consensus.

Le jeune Hub, complètement désorienté par la haine qu'il voue à cette femme avec qui il est obligé de cohabiter jusqu'à ses 18 ans, nous confie : « Si quelqu'un lui faisait du mal je ne pourrais pas m'empêcher de le tuer, et pourtant il existe 100 personnes dans ma vie que j'aime plus que ma mère. » Tout le film se lit via le prisme de cette interrogation du jeune homme, pourquoi n'aime-t'-il pas sa mère, et le lien qui résiste aux coups de ciseaux d'une violence inouïe entamant leur relation. Drôle de sujet, pour un film qui ne l'est pas, mais force est de constater que le talent est indéniablement présent tant à l'image qu'à la narration. Aucun ennui, la forme et le fond se courent après tout du long, quand l'un s'essouffle l'autre reprend le rythme.



Peut-être peut-on reprocher une utilisation trop forcée de quelques flash back sur l'enfance, filmés caméra à l'épaule et qu'on aurait déjà vu et revu ici ou là. Et une musique gentillette, du sous Yann Tiersen, là où on aurait bien vu un rock agressif qui pique et qui gratte. Pour le reste, le film se savoure à toute vitesse et colle aux doigts des heures durant, avec ce doux parfum suave qu'on veut faire goûter à tout le monde. Même la scène d'amour sur fond de « Vive la Fête » aurait pu tomber dans les clichés, au lieu de quoi le corps à corps des deux garçons, empreinte de grâce, doit tout à sa férocité et sa jeunesse. Le thème de l'homosexualité n’est pas l'objet du film, même si en filigrane certaines vérités sont dites, sur les rites de passage obligatoires et le coming out adolescent (agression homophobe, bel ange croisé dans les allées du pensionnat, jeune prof vainement amoureuse de son élève explicitement gay, court-circuit des infos qui met la mère au pied du mur). Bien au contraire, Dolan insuffle à son cinéma comme une évidence et se débarrasse des manières ampoulées de bien de ses aînés. La seule et belle référence qui me soit venue à l'esprit est celle d'un étrange remix des Enfants et des Parents terribles, avec dans le rôle titre un Michel/Paul, avec pour visage la bonté et la cruauté de l'enfance mêlées sous les mêmes traits. Et les tempêtes issues de ce drôle de mariage balaient contenances et bienséances en un grand coup de vent dont on ne sait jamais jusqu'à quel point il pourrait être fatal...

Un beau film sur lequel il reste beaucoup à dire. Mais pour en être sûr, il faudrait le voir au moins une seconde fois, après quoi on pourra se lécher les doigts pendant quelques années encore, avant de se demander quel en était le parfum...



L’avis de Voisin blogueur :

Hubert a 17 ans et partage avec sa mère une relation complexe. Celle qu’il aimait tant autrefois l’exaspère aujourd’hui au plus haut point. La décoration kitsch de la maison, ses tenues vestimentaires d’un mauvais goût criant, ses changements d’avis et d’humeurs… Leur quotidien à deux (les parents sont séparés) est fait de grandes engueulades et réconciliations. Quel est vraiment ce rapport qu’ils entretiennent ? Hubert clame facilement qu’il la déteste mais par moments il est également emporté par un élan de démonstration affective. Parviendront-ils à faire la paix ?

Attention, petit génie : à peine âgé de 20 ans, Xavier Dolan nous présente son premier long-métrage. Il y occupe de nombreux postes : réalisateur, scénariste, acteur principal et même producteur. Pour ce passionné de cinéma érudit, qui a commencé très tôt comme acteur, les choses semblent se faire le plus naturellement du monde. Œuvre fortement autobiographique, articulée autour de confrontations Mère-Fils savoureuses, jubilatoires ou émouvantes, J’ai tué ma mère est un habile mélange de comédie (à l’humour souvent féroce) et de portrait intimiste. Ou comment mettre en scène la violence des échanges familiaux tout en maîtrisant le second degré.



Doté d’un budget restreint, l’auteur tire le meilleur des contraintes imposées et délivre un film à la photographie soignée, aux plans très étudiés, tout en imposant un style tout à fait personnel. De cet amour vache (car il s’agit bien d’amour malgré les apparences), Xavier Dolan fait deux portraits bien croqués d’une mère et de son fils qui ont du mal à communiquer et qui n’ont plus qu’une certaine nostalgie partagée pour s’apaiser. C’est à croire qu’ils ne peuvent s’exprimer, vivre, que de façon extrême. Soit ils sont dans l’euphorie et se balancent des « Je t’aime » à la chaîne, soit ils se jettent des phrases assassines à la figure (pour lui) ou organisent de petites mesquineries (pour elle). Jusqu’au moment décisif où il faut « tuer la mère », c’est à dire accepter de grandir et que rien ne sera plus comme avant.

Le sujet est universel (qui n’a jamais été en conflit avec sa mère, surtout pendant l'adolescence ?), il est abordé avec fantaisie et beaucoup de grâce. En effet, ce premier long-métrage témoigne d’une maitrise assez sidérante : plans volontairement décadrés pour isoler les personnages, plans fixes parfaitement composés, inserts de photographies, affiches et autres détails… Bienvenue dans l’univers d’un jeune auteur à l’univers bien marqué. Chez Xavier Dolan on rit pour oublier qu’on a envie de pleurer, on parle souvent comme on pense, on s’aime librement entre garçons. Il y a là une énergie folle, un regard décalé et subtil et des personnages extrêmement attachants. À la violence de certains dialogues s’opposent des images, une ambiance souvent délicate. Sans aucun doute un des meilleurs divertissements de l’année car il est présenté par un auteur inspiré, spontané et malicieux. Coup de cœur.

FILM VU AU FESTIVAL DE CANNES – QUINZAINE DES REALISATEURS 2009 



L’avis de Bernard Alapetite :

On peut situer J'ai tué ma mère – auquel on peut juxtaposer bien des qualificatifs comme dérangeant, drôle, impitoyable, cruel, j'en oublie beaucoup, premier film d’un cinéaste de 20 ans, Xavier Dolan – entre C.R.A.Z.Y. et Tarnation, tout en étant bien supérieur à ces deux films. La première chose qui s’impose aux spectateurs est la parfaite maîtrise de la grammaire cinématographique du jeune réalisateur, qui est en plus le formidable acteur principal de son film. Cette qualité est d'autant plus méritoire que Dolan n'a bénéficié que d'un étroit budget de 800 000 $, dont 175 000 de sa poche, pour tourner son film. On peut juste reprocher au scénario, également de Dolan, quelque répétitions ; la coupure de ces redites allégerait le film et renforcerait encore son impact. Il faut signaler que pour toutes personnes sensibles certaines scènes mettent très mal à l'aise.



Il faut saluer la maestria avec laquelle le cinéaste et son chef opérateur réussissent à dynamiser les scènes d’affrontement entre la mère et le fils, par de fréquents changements d’angle et même par l’intrusion d’effets spéciaux presque tous convaincants.

Les dialogues sont si justes que l’on se demande parfois si l’on n’a pas affaire à du cinéma vérité obtenu grâce à des caméras cachées, ce que contredisent bien sûr la densité des échanges verbaux et la parfaite qualité des images.



Xavier Dolan parvient à faire exister tous les personnages secondaires, ce qui démontre d'une profonde compréhension de la nature humaine de la part du cinéaste qui définit son film par ces mots : « C'est un drame aéré par l'humour. C'est un cri primal, un cri du cœur. Je dirais aussi que c'est une forme de catharsis. Il y a une très belle scène onirique où je poursuis ma mère dans la forêt... »

Tous les rôles sont très bien interprétés même lorsque ceux-ci n’ont qu’une scène pour s’affirmer. La psychologie des personnages est impeccablement traduite par un excellent scénario.

Le scénario a le courage de soulever des questions qui restent taboues dans notre société, telles que les enfants sont-ils condamnés à devoir aimer leurs parents, et symétriquement, les géniteurs doivent-ils éprouver un amour incommensurable pour le fruit de leur copulation plus dû au hasard qu’à la nécessité ? Dans le cas du film, il ne s’agit pas de désamour mais plutôt d’une maladresse à aimer tant de la part de la mère que du fils.



Le traitement de l’homosexualité dans ce film devrait rendre les gays optimistes. Jamais l’homosexualité du héros n’est, dans son quotidien, un problème seulement un trait de son caractère qui semble aller de soi, sans ostentation et qu’il doit gérer comme le reste… au mieux. Cette déculpabilisation nous évite l’obligée scène de coming out qui devrait, heureusement, bientôt être rangée au rayon des antiquités scénaristiques.

Au sujet de l'homosexualité d'Hubert, le réalisateur déclare : « Mon personnage, gay ou pas, a une histoire : il hait sa mère, dit-il. Son orientation sexuelle est purement accessoire, c'est un trait de personnalité et non sa raison de ne pas aimer sa mère. C'est un film sur la haine infantile, l'incompatibilité. »



Ce qui est tout à fait unique dans le film de Xavier Dolan, c’est que l’on partage les réactions et les sentiments d’un adolescent sans le filtre du temps puisque le réalisateur est lui-même à peine sorti de l’adolescence ; il a 19 ans lorsqu’il tourne le film et 17 lorsqu’il en jette les prémisses sur le papier. Cela se sent et donne une authenticité incomparable au film. La rédaction du scénario était pour lui, d’après ses déclarations, une sorte de thérapie pour combler le vide créé par l’abandon de ses études.



Ce qui est remarquable, c'est que pour son âge son premier opus – qui espérons-le sera suivi de nombreux autres – ne croule pas sous les références. Et s'il se réclame d'Haneke et de Cocteau (il est de plus mauvais maîtres), il a une phrase du poète tatouée au-dessus du genou ! Jamais il ne songe pourtant à singer « l'oiseleur »... Quant à moi, je vois plus chez ce jeune homme du Truffaut mâtiné d'Ozon...

À propos des projets de Xavier Dolan, voici ce qu'il envisage pour son prochain film, Laurence Anyways, qui devrait se tourner à l'automne 2009, cela donne envie : « Il s'agit d'une ode à l'amour impossible. Un homme et une femme filent le parfait amour, quand lui décide de devenir une femme. Et elle décide de le suivre. Leur histoire dure 20 ans. Ils se trouvent, se perdent, se réinventent, prennent la fuite, se quittent, se retrouvent, se tuent, se font du bien... »



Autre atout du premier long métrage de son réalisateur, la parfaite troupe qui lui donne vie, composée par des acteurs confirmés, à commencer par Xavier Dolan, acteur qui joue son propre rôle (?) – on ne sait pas si l’on est dans l’autobiographie ou l’autofiction (d'après la passionnante interview que l'on peut trouver ici, il semble bien que nous soyons plutôt dans l'autofiction) mais qu’importe, il se révèle être un acteur remarquable et, en plus, il est loin d’être désagréable à regarder, comme d’ailleurs le sont tous les acteurs qu’il a choisi – ; l'actrice, épatante Anne Dorval, qui interprète le rôle de la mère d'Hubert n’est en rien un laideron repoussant. En évitant la caricature, il donne beaucoup d’opacité au personnage de la mère qui ne se révèle vraiment que dans la formidable scène avec le directeur de l’institution où elle a exilé son fils.



Les ruptures de ton et de style aèrent les scènes d’affrontement entre la mère et le fils. Dolan manie subtilement l’humour, ce qui lui permet d’avoir du recul sur ses personnages, y compris le sien.

Sélectionné à la « Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2009 », curieusement J'ai tué ma mère n'a pas obtenu la Caméra d'or. Il a néanmoins été récompensé par Le Prix SACD, le Prix Regards Jeunes et le Prix Art Cinéma Award.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Chip et Ovi. Réalisation : Panayotis Evangelidis. Assistant résalisateur : Aracelli Laimos.

Durée : 46 mn (+ bonus). Disponible en VO et VF.



Résumé :

Chip et Ovi se sont rencontrés dans un orphelinat près de Cluj-Napoca, en Roumanie, alors qu'ils étaient encore adolescents. Ils sont tous les deux handicapés : Ovi est né avec des malformations aux bras, et Chip a une jambe très abîmée par la polio. Leurs mères les ont abandonnés avec leur acte de naissance en poche peu de temps après leurs naissances. Ils ont été éduqués dans des orphelinats d'état. Ils vivent en couple depuis un an et demi, et essaient de mener une vie normale, de surmonter leurs handicaps, la discrimination sociale, la pauvreté, les problèmes de couple et la difficulté de trouver un emploi... Sans oublier de vivre leurs rêves : Chip veut devenir vendeur de pétrole au Texas et Ovi caméraman professionnel...



L’avis de Gérard Coudougnan :

Quarante-six minutes de documentaire grec sur Chip et Ovi, un couple de Roumains : l'un parle anglais, l'autre roumain. C'est doublé en français artisanalement. Le couple a cessé de vivre ensemble mais continue à se fréquenter. La caméra est portée sur l'épaule, assez instable. L'éclairage est « moyen ». Le film a été tourné en dix jours, sans aucune aide technique ni financière.

Je ne vous ai pas encore découragés ?



Chip et Ovi sont handicapés : Chip boîte avec son orthèse de jambe. Ovi n'a pas de mains. Chacun des deux rêve de fonder une famille et d'avoir des enfants. Ils sont tous deux orphelins, enfants abandonnés par leurs mères et élevés dans ces orphelinats « 100% zandys » du Danube de la pensée, Nicolae Ceausescu.



C'est en faisant la promo de Devotee (1) à New York que Rémi Lange a déniché ce film de Panagiotis Evangelidis, réalisé en 2007.



Chip et Ovi sont deux hommes d'une trentaine d'années. Ils crèvent l'écran par leur beauté, leur force, leur sincérité. Aucun voyeurisme, aucun misérabilisme dans ce film. Le moment le plus triste est peut-être celui où Ovi déclare en souriant : « My life is comme ci comme ça ». Le plus bouleversant est sans doute celui où, pour exprimer gestuellement son admiration envers Chip, il lève les bras (sans avant-bras) au ciel.



Ovi rêve d'être photographe ou cameraman. Chip voudrait être homme d'affaires au Texas et porter un Stetson en allant de banque en banque. Ils ont la même ambition : « Je voudrais faire quelque chose de ma vie ».

Ils aimeraient fonder une association pour les handicapés homosexuels et orphelins... l'étroitesse du créneau ne les effraie pas (2) et leur lucidité est totale.



Ces deux-là ont une beauté intérieure et extérieure qui illumine tout ce qui les entoure. On peut les voir et les revoir, leurs doutes, leurs forces et leurs faiblesses, leur sincérité, leur refus de l'apitoiement sont tout simplement éblouissants.



Chip est content de marcher sans cannes : cela lui permettra de ne plus effrayer les filles qui aiment marcher main dans la main avec les garçons. Maintenant, c'est possible ! Et quand il sera papa, il n'ira plus baiser avec les mecs, c'est clair, net et précis.



Ovi a déjà tourné des films vidéo. C'est plus dur de vivre sans mains mais il ne se plaint jamais et quand il mange, « like a dog », il y a tellement d'amour dans le regard de Chip que l'on se dit qu'avant d'avoir des enfants, ces deux-là, même s'ils ont cessé de vivre ensemble, ont encore un chemin à partager.



Un ange passe... Rémi Lange.

Et même si c'est un autre qui tient la caméra (Rémi est l'une des voix en français), ce Panagiotis a beaucoup de points communs avec les techniques, les moyens et les principes des Films de l'Ange : amateurs et détracteurs comprendront !

 


(1) http://www.lestoilesroses.net/article-20714602.html

(2) Dans le créneau handicap + homosexualité on a, en France :

http://www.handigay.com/ et http://aglh.blogspot.com/



POUR EN SAVOIR PLUS :

Sur le film : http://chipetovi.blogspot.com/

Sur Evangelidis : http://www.ameamedia.gr/en/g-competitive#chi

Sur les Films de l'Ange : http://lesfilmsdelange.blogspot.com/



Le commentaire de Salim Kechiouche :

 


Pour Grande École, je suis plus mature, plus consciencieux, trop peut-être. Robert est très technique. Pour moi c'est une étape. Avant je n'avais pas le trac, là c'est la première fois que j'avais le trac, je connaissais mon texte par cœur six mois avant, trou noir avant de tourner. C'est un rôle de composition, pour lequel j'ai dû changer la voix, plus douce, c'est un rôle plus gentil. C'est un vrai travail. Il fallait que je me mette en position de faiblesse, de demande, genre le petit candide. Un jour ça m'a fait chier, je suis revenu au style caillera et Robert a crisé, d'autant plus que je lui avais donné « le vrai Mécir » aux répétitions, parce que je savais que c'était cela qu'il voulait. Le réalisateur, c'est le maître dans le vaisseau, c'est lui qui a écrit son truc. Si on a t'a donné une Super 5, c'est pas le lendemain que tu roules en Porsche. Ça l'embêtait aussi de me demander de ne pas sortir de l'enclos.En voyant le film je me dis vraiment que ce n'est pas moi, c'est un personnage, c'est Mécir, je ne connais pas son nom. Le personnage est là, il est incarné, je suis content par rapport à ça, j'ai essayé de le servir au maximum. C'est vrai que j'avais eu le trac mais ça a servi le rôle, cette pression mise par Robert a sûrement servi à ce que le personnage soit juste. Ce trac venait des concessions que je devais faire par rapport à ce personnage. Parfois, ses réactions par rapport à sa vie m'énervaient, ça ne pouvait pas être moi.En ce qui concerne la coupe, mes cheveux étaient plus lisses et ça donnait au personnage ce côté lisse, qui subit, même si d'un autre côté, c'est quelqu'un qui s'assume socialement, qui bouge, qui vit, il travaille, il a sa carte bleue. Ce rôle, c'est un retour sur les écrans avec un film d'auteur, Robert Salis, que je respecte et qui respecte beaucoup ses comédiens. Je sais que j'ai vraiment partagé une bonne expérience.

© Pascal Faure pour salimkechiouche.com


Fiche technique :
Avec Grégori Baquet, Alice Taglioni, Jocelyn Quivrin, Salim Kechiouche, Elodie Navarre, Arthur Jugnot, Yasmine Belmadi et Eva Darlan. Réalisation : Robert Salis. Scénario : Robert Salis et Jean-marie Besset, d’après l’œuvre de Jean-Marie Besset. Directeur de la photographie : Emmanuel Soyer.
Durée : 110 mn. Disponible en VF.




Résumé :
Un groupe de jeunes gens intègre l'une des grandes écoles où se forment les futurs dirigeants et où s'entrouvrent les portes du pouvoir. Ils sont la crème des étudiants et constitueront l'élite de demain.
Mais la vie a toujours plus d'imagination que nous. Grandes écoles, oui, grands amours aussi, difficiles à vivre parfois. Le trouble du je et du jeu, des sentiments, de l'esprit et de la chair désinhiberont leurs certitudes. Ils devront faire avec eux-mêmes, devenir ce qu'ils sont et s'apercevoir que l'école qui est grande n'est peut-êyre pas celle annoncée.


L’avis de Media-G :
Malgré les apparences, l'intrigue ressemble curieusement à celle de Maurice (James Ivory-1987), où un aristocrate britannique tombait sous le charme – sans conclure – d'un de ses copains étudiants de Cambridge. Puis, bravant les barrières sociales, tombait dans les bras d'un ouvrier et se découvrait tel qu'il était. La ressemblance s'arrête là.
Prenant le décor d'une quelconque école supérieure de commerce déshumanisée, Grande École entend parler de la Grande École de la Vie, donc du travail et celle de l'amour. Partant d'un sujet pourtant intéressant et peu traité dans le cinéma français (hormis à travers des gaudrioles effroyables à la Sexy Boys) le film trahit très rapidement ses origines théâtrales et se plante tout droit dans le décor.
Les personnages sont réduits à des caricatures monofacettes : l'ambitieux, la manipulatrice, le travailleur coincé... sans jamais essayer de voir au-delà des apparences. Seul Paul (Gregori Bacquet, formidable), torturé dans l'âme entre ses idéaux en train de se morceler et sa sexualité vacillante, donne lieu à une véritable étude de caractère. Mécir (Salim Kechiouche, épatant et émouvant) reste lui fidèle à ses convictions : c'est bien le seul qui sorte digne de cette histoire. Peu dupe de sa qualité d'objet de désir, il se laisse prendre au piège de ses émotions. Mais reste un tantinet prisonnier du cliché du bel arabe fantasmé les mains dans le plâtre : le film se prend un peu les pieds dans le tapis des clichés qu'il souhaite décrire.


Le rythme languissant n'arrange en rien cette impression de lourdeur démonstrative. Chaque effet est appuyé d'un dialogue explicatif (genre explication de texte au cas où personne n'aurait compris), le ton engoncé dans un montage mou. Ça traîne, ça se pose des questions, ça ne répond jamais : on tourne en rond, acteurs, histoire comme spectateur. La cerise sur le gâteau, ce sont les dialogues : ampoulés, déclamés comme au théâtre, ils tombent régulièrement à plat, oubliant que le passage au cinéma s'accompagne de l'oubli de la scène et que les acteurs n'ont pas à articuler comme des bêtes pour se faire entendre. Résultat : des scènes supposées emplies d'émotions (la scène d'explication finale) provoque l'hilarité de par le peu d'emprise sur la vie réelle.
Et l'amour dans tout ça ? L'amour... hum... le film ne lésine en scènes de cul à tous les étages. Peu avare en nudité masculine, on est gratifié de deux scènes de douche après un match de water-polo. Dont l'une supposée représenter le trouble du héros. Trop longue pour être honnête, elle apparaît totalement gratuite. La sexualité apparaît survoltée dans les scènes hétérosexuelles mais sensuelle, un peu hors du temps et onirique dans celles homosexuelles. Vision hédoniste d'un moment suspendu dans le temps, aboutissement du désir, cet impossible objet.


Comme dans tout film français parlant de sexualité compliquée par le désir, d'ordre et de désordre (amoureux ou professionnel), les héros ne savent pas choisir. Comme le dit le héros à la fin « je veux choisir de ne pas avoir le choix ». Mouais, un peu facile. la conclusion est au diapason du film : incapable de choisir entre théâtre et cinéma, le cul entre deux chaises d'une sexualité non épanouie. Cette description d'un monde industrialisé à outrance dans ses choix de société où les rapports sont prévus à l'avance, demeure statique, démonstrative, d'une lourdeur emphatique qui mène à un ennui grandissant. C'est très dommage car il y avait matière à moins verber et à agir plus : indécrottable prétention auteurisante à la française.
Le héros du livre et du film Maurice, prenait une décision radicale : celle de s'assumer. Celui de Grande École ne sait pas (ne veut pas ?) prendre cette décision, tout comme le film qui ne sait pas (ne veut pas ?) s'assumer comme tel.
Pour terminer, Robert Salis est le réalisateur de l'inénarrable documentaire sur le naturisme Vivre Nu – À la recherche du paradis perdu. Son dernier film, Grande École, est terminé depuis longtemps mais a peiné afin de trouver un distributeur et une fenêtre de sortie.
Grande École est sorti en DVD chez Optimale.


L’avis de Polo :
Une grosse déception que ce film qui aborde pourtant l’homosexualité d’une manière assez originale à travers la vie d’un groupe d’étudiants en grande école, promis à un avenir professionnel radieux.
Des textes qui ne sont pas sans rappeler les classiques du théâtre que nous avons tous étudiés au lycée mais qui, à l’instar de séries comme celle très célèbre du nom de Dawson’s Creek, sont parfois difficiles à imaginer dans la bouche de protagonistes aussi jeunes. Bref, un texte bien trop littéraire qui nous permet de ne pas oublier une seconde que ce film est l’adaptation d’une pièce de théâtre, ajoutant de la difficulté à la compréhension de ce scénario parfois pesant. La trame de fond reste limpide mais ce sont tous ces petits dialogues parallèles qui paraissent confus car inadaptés aux personnages.
Il ne suffit pas de montrer quelques corps masculins nus ou à demi nus pour faire d’un film « gay themed » un bon film. Il n’en demeure pas moins que cette petite touche sympathique reste un des attraits principaux de ce film dans lequel on se réjouit de revoir l’acteur Salim Kechiouche, que nous avons déjà pu suivre avec beaucoup de plaisir lors de son apparition dans le film Les Amants criminels de François Ozon ou plus récemment dans Le Clan de Gaël Morel.
Contrairement à d’autres sentiments dont on ressent moins la sincérité à travers leurs jeux, les acteurs, réussissent parfois à faire passer la sensualité de certaines scènes, malgré un texte ne leur permettant pas vraiment de s’exprimer en étant très crédibles mais il n’en reste pas moins que leur jeu est souvent plat ce qui rend certains passages plutôt désagréables.
Le thème était pourtant intéressant : Exprimer le contraste que l’on peut trouver dans ces très grandes écoles entre les certitudes de futurs dirigeants et les doutes qu’on peut avoir à un âge où tout se bouscule facilement.
Les deux points positifs de ce film restent à mon avis la nature des sentiments troubles que peut avoir le personnage principal pour son colocataire mais surtout la touche de fraîcheur apportée une fois de plus par Salim Kechiouche qui mériterait qu’on lui offre sa chance d’avoir son premier rôle.


L’avis de Olivier Valkeners :
Était-il vraiment besoin de prouver qu'une œuvre théâtrale s'adapte mal au cinéma ? Si cela était le cas, ce film en est la preuve ultime ! Bon d'accord, je schématise, il est vrai que de nombreuses pièces à succès se sont vues adaptées brillamment à l'écran. Mais définitivement pas celle-ci ! Des garçons de bonne famille, Paul, Louis Arnault et Chouquet (!), pétris de valeurs et de certitudes, intègrent une grande école de commerce où ils vont être formés à devenir les futurs dirigeants du monde moderne. Mais avec la cohabitation naissent sentiments et troubles. Choc des cultures et des classes, désirs charnel, intellectuel, rien ne va plus au royaume du certain et Paul perd pied.
Dès le générique, on a envie de rire. Avec un titre qui avance vers le spectateur pour emplir l'écran, comme ça se faisait dans les années 80, on sent toute la dimension de grandeur et de théâtralité pompeuse que le réalisateur a voulu insuffler à son film. Et peut-être aussi le fait qu'il n'ait plus réalisé de fiction depuis 84 ! On ne sait si c'est par ambition artistique ou pour s'éloigner du réalisme des documentaires filmés entre temps par Salis, mais bien qu'ayant été retravaillée, la pièce n'a nullement l'air d'avoir été adaptée ! Les acteurs, aussi bons soient-ils, ont un mal fou à se dépêtrer des dialogues littéraires au langage châtié et malgré tout le talent qui les habite, peinent à nous faire croire au naturel de leurs mots et des situations, poussées jusqu'à l'insupportable dans le ridicule.


Alors, bien sûr, c'était dans l'intention du réalisateur que de conserver un style théâtral par l'usage du jeu et de décors propres à la scène, afin de déstabiliser le spectateur et lui faire ressentir le trouble émotionnel des personnages, mais si le concept peut paraître intéressant, le résultat est loin d'atteindre les espérances d'une présentation sur papier. Dans quelle mesure un film peut-il être personnel au point d'en devenir inaccessible ? Je ne suis pas en faveur d'un cinéma commercial (loin de là) qui privilégierait les attentes d'un soi-disant grand public, mais lorsqu'on réalise une œuvre cinématographique, aussi artistique que puisse être la démarche, n'est-elle pas destinée à un public ? Est-ce qu'en cinéma, on peut rester aussi égoïste dans l'écriture d'une œuvre qu'on pourrait l'être dans une autre discipline ? Et si même c'était le cas, le minimum ne serait-il pas d'au moins le faire un peu correctement ?!
Entre la mise en lumière des décors aussi naturels que la décoloration des protagonistes et le montage de scènes surjouées, on ne sait que choisir ! Peut-être les choix musicaux, énormes et lourds, ruinant les séquences, l'une après l'autre, transformant notamment cette scène de douche au vestiaire en vulgaire et pathétique matage de culs quand elle devrait signifier le paroxysme du trouble ressenti par Paul, le personnage principal. Grégori Baquet a bien du mal avec son Paul, et seul Jocelyn Quivrin réussit plus ou moins à s'en sortir avec naturel. Une distribution de jeunes acteurs/trices au talent indéniable que l'on se doit de saluer, vu le caractère périlleux de l'exercice !
Un film à oublier, mais des comédiens à suivre.


L’avis de Oli :
Trois colocataires sur le campus d’une grande école de commerce, dont deux ont une copine. Des considérations humanistes ou financières sur le monde du travail, des pulsions homosexuelles naissantes, un petit jeu au sein d’un couple sur qui séduira un tiers. Et en toile de fond, une tentative de réflexion sur les sentiments humains, prétention audacieuse de la part du scénariste.
Tiré de la pièce éponyme, ce film a essayé d’en garder le style théâtral, avec le jeu de langue presque racinien (« Andromaque, que ne me prêtes-tu pas ton polycopié de finance sur les swaps ? »). Sous couvert de justification par le milieu huppé qui fréquente cette école, censé parler couramment XVIe. Mouaif, admettons. Seul le beur ouvrier (Salim Kechiouche) a un langage normal, tant mieux pour lui. Pour le reste, faut aimer les incohérences et les inaboutissements. Une certaine dénonciation des préjugés en matière sentimentalo-sexuelle contrebalancée par un discours caricatural sur les grandes écoles. On n’est sûr que d’une chose : le scénariste n’y a jamais mis les pieds. Et sinon, comme écrivait ma prof de philo quand je présentais une copie insuffisante : « des pistes intéressantes qu’il faut davantage creuser ».
N’y aller que pour les sexes masculins visibles, le reste n’a pas grand intérêt.


L’avis de Zvezdo :
Ce film est une soupe peu homogène de choses ratées et réussies...
Pour ceux qui l'ignoreraient, c'est l'adaptation d'une des pièces les plus personnelles de Jean-Marie Besset. (Je vous recommande sa très jolie interview ; il dit drôlement que Les Lettres sont suspectes (...) moins que des cours de danse, mais plus que des leçons de piano et ne sent pas très en accord avec la vision bisexuelle du désir que véhicule le film – ouf!!!!!)
J'ai vu avec enthousiasme tout le théâtre de Besset depuis Ce qui arrive et qu'on attend que nous étions allés voir en meute à Montparnasse en 1993; et j'ai vu Grande école au théâtre 14, sans doute au moment de sa création. J'ai lu depuis que Guillaume Canet et Romain Duris ont joué le rôle ; je n'en ai pas le moindre souvenir, ils devaient être beaucoup plus jeunes, et totalement inconnus. En tous cas, j'ai le souvenir que c'était formidablement bien joué, ce qui n'est pas le cas dans le film.
J'y vois deux défauts principaux (au film) : 1) trop de maïzena, 2) des acteurs trop fadasses, pas vraiment crédibles.
Trop de maïzena, trop de sauce, trop de kitsch. Dès que le réalisateur ne sait plus quoi faire, on a droit à des effets ridicules (effets de miroirs, etc. La seule chose amusante dans ce registre, ce sont les gambettes de nageurs vus à l'envers; en reflet dans l'eau :-). Sur le plan de la musique, c'est une compile de tubes classiques mal assortis (Bizet, Puccini), sans que soit assumée la moindre ironie. La scène où le héros dissimule mal son trouble dans les vestiaires de la piscine face à l'objet de son désir dure des plombes... et c'est filmé comme un mauvais clip, pas de trouble, rien, que de l'eau qui coule.
Les filles sont fadasses, modèle Star’ac. Le héros (Grégori Baquet) n'est pas mauvais, mais, je vais être horrible, il a au moins 2 défauts : 1) il n'a pas l'âge du personnage et çà se voit, 2) il se teint les cheveux et ça se voit aussi.
C'est dommage, parce que le sujet me touche : le passage de la province à Paris, la vaine attirance pour un garçon hétéro. Les scènes avec Salim Kechiouche, le jeune beur, sont très bien, on croit au personnage, à l'enthousiasme et la rage mêlées.
Je pense que les pièces de Besset sont plus intéressantes qu'une simple description sociologique ; c'est du bon théâtre, qui supporte bien de bons acteurs. Je crois, j'espère qu'il n'y a pas besoin d'avoir fait une école de commerce ni prépa à Ginette pour les apprécier (je n'ai fait ni l'un ni l'autre, je tiens à le préciser...)
Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Stéphanie Michelini, Yasmine Belmadi, Edouard Mikitine et Josiane Stoléru. Réalisé par Sébastien Lifshitz. Scénaristes : Stéphane Bouquet et Sébastien Lifshitz. Producteur : Gilles Sandoz et Christian Tison. Directeur de la photographie : Agnès Godard. Compositeur : Jocelyn Pook.
Durée : 93 mn. Disponible en VF.



Résumé :
La rencontre d'un trio de marginaux, composé d'un émigré russe, d'une transsexuelle et d'un jeune maghrébin, dans le Paris contemporain, et l'amour qui naît entre eux. Leur alliance sera d'autant plus forte qu'elle se déroulera sur fond de clandestinité et de mort…

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L'avis de Samuel M. :

Auteur des Corps ouverts, de Presque Rien et de La Traversée, Sébastien Lifshitz refuse l’étiquette à la mode de réalisateur gay. Pourtant, il reste fidèle au traitement de la marginalité sexuelle. Son dernier film, Wild Side, apparaît comme pleinement abouti en regard de son projet artistique. Par les sujets abordés, Lifshitz se mettait en danger : tout plaçait son entreprise sur le fil du rasoir. Grâce à un ensemble de choix narratifs et esthétiques, Wild Side déjoue ces pièges et parvient à nous raconter l’histoire de ses trois personnages. Stéphanie, une transsexuelle, vit avec Jamel, un jeune maghrébin, et Mikhaël, un émigré russe qui semble avoir déserté la guerre en Tchétchénie. Rassemblés au chevet de la mère de Stéphanie qui agonise, ils se révèlent au hasard de bribes de leur passé.

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Le risque de voyeurisme est évident quand il s’agit de représenter Stéphanie. Les retours en arrière dans son enfance montrent son transsexualisme non comme un rejet, mais plutôt comme l’inscription intime de l’histoire familiale - on pourrait l’interpréter comme l’introjection de sa soeur morte. De même, les retrouvailles avec l’ami d’enfance amoureux de lui/elle, révèlent qu’elle chérit encore ce souvenir, mais sous une autre forme. Cette scène profondément émouvante met en jeu l’acceptation des attirances, quel que soit le corps de la personne.

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Comme on le voit lorsqu’elle prend son bain, Stéphanie possède un corps de femme et un pénis. Elle nourrit alors les fantasmes bisexuels de ses clients : elle attire en tant que femme, mais sodomise l’homme âgé qui fait appel à ses services. Le risque de sombrer dans le misérabilisme surgit, par le travail de prostitution à la chaîne, qui déshumanise Stéphanie. Mais la réalité est plus complexe, et de la prostitution bisexuelle de Jamel peut faire naître l’humour, ou la gravité quand Mikhaël veut qu’il abandonne cette activité.

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L’affection qui lie ces trois personnages peut paraître invraisemblable ou « politiquement correcte » en voulant montrer trop de minorités réunies à la fois. Mais il y a justement une logique à la naissance de leur trio, celle de l’exclusion sociale et d’une expérience partagée. Les relations qu’entretiennent Stéphanie, Jamel et Mikhaël unissent trois exclus de la société. L’amour qui les unit éclate dans des scènes lumineuses, qui transfigurent leur sort et font oublier un quotidien sordide. La séquence finale, qui montre comment se sont rencontrés Stéphanie et Mikhaël, en est l’illustration magistrale.

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Les acteurs irradient d’une émotion toujours juste. Ce film à la narration fragmentaire mais à la réalisation fluide, aux personnages complexes malgré leur situation proche des stéréotypes, refuse la facilité et le manichéisme. Il s’avère d’autant plus bouleversant qu’il affiche une grande sobriété.

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L'avis de Jean Yves :
Mikhail et Djamel partagent le lit de Stéphanie, une jeune transsexuelle. Au départ, ce sont trois solitudes qui se rencontrent, et malgré la vie chaotique de chacun, ils trouvent un réconfort dans les bras l'un de l'autre : un trio sur la route de l'indépendance.

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Dans un monde qui aime bien mettre les gens dans des cases, Sébastien Lifshitz risquait d'être connoté comme un cinéaste homo, surtout après le succès de Presque Rien (et de l'affiche signée par Pierre et Gilles). Pourtant, lorsqu'on plonge dans l'univers intime de son nouveau film, on comprend qu'il échappe à toutes les catégories. Wild Side est un film marginal sur le parcours de trois marginaux.

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La rencontre d'un trio de marginaux, composé d'un émigré russe, d'une transsexuelle et d'un jeune maghrébin, dans le Paris contemporain, et l'amour qui naît entre eux. Leur alliance sera d'autant plus forte qu'elle se déroulera sur fond de clandestinité et de mort…
Il aurait été facile de basculer dans un mélodrame stéréotypé si le but avait été de raconter la seule liaison entre une jeune transsexuelle (Pierre devenu Stéphanie), un prostitué marocain (Djamel) et un clandestin russe (Mikhail)... Lorsque Stéphanie part chez sa mère, ses amants la rejoignent, mais ils restent en dehors de sa confrontation avec son village, son enfance et ses souvenirs. Il n’y a aucun conflit entre le monde de son enfance et celui actuel car ce qui émerge avant tout dans ce film c’est de l'amour. C'est cela qui frappe, avant tout le reste. L’important, c’est cette rencontre fusionnelle entre ces trois personnages (qui ne sont plus à la dérive) sans oublier celle extrêmement sobre et émouvante entre Pierre (devenu Stéphanie) et sa mère.

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Wild Side n'est pas un film bavard : les dialogues sont courts, parfois un peu difficiles à suivre à cause des obstacles linguistiques des personnages. Mais ceci n'est pas vraiment un handicap car la représentation de leur intimité fragile est très présente tant dans leurs rapports physiques, dans leurs regards que dans leur lutte pour échapper à la solitude. Les silences et le mélange linguistique drôle donnent un ton plutôt léger au film, ce qui n’est pas pour déplaire. Stéphanie Michelini dans le rôle de Stéphanie est magnifique : sa présence écarte tout des clichés de la représentation de la transsexualité. Avec douceur et charme, elle mène l'histoire entre le présent et les flashba
cks de l'enfance, entre la vie au nord de la France et les expériences de prostitution à Paris.

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L'avis de Petit Ian :
Impossible d'échapper à la comparaison avec le Tiresia de Bertrand Bonello. Construit autour du parcours d'une trans prostituée, le film de Sébastien Lifshitz livre l'une des clés de son esthétique par le choix, identique à celui de Bonello, de filmer le bois de Boulogne en un long et superbe travelling balayant le bas-côté de la route. Abbas Kiarostami dit du travelling qu'il s'agit d'un mouvement sans réalisme, donnant l'impression que les verticales du champ courent, tandis que le seul appareil mobile est la caméra. Et sa réponse, comme celle de Lifshitz, comme celle de Bonello, c'est la voiture.

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Filmer dans la voiture en marche, depuis le point de vue des passagers, afin de projeter à l'écran (= le pare-brise) la réalité du monde. Wild Side comme Tiresia donne donc au spectateur, dans un premier temps, la sensation d'être le chauffeur, le voyeur, le client, qui roule et déshabille du regard ce qui pourrait être l'argument du film : contempler une trans. La figure du voyeur est double : il est intégré à la diégèse (Terranova dans Tiresia, le dernier client dans Wild Side), il est aussi spectateur, et cela nécessite d'être déjoué par l'exposition, une bonne fois pour toute, du sexe de Tiresia et de Stéphanie.

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Déjouer la curiosité implique par ailleurs des choix, tous deux défendables, tous deux judicieux, bien qu'opposés : deux acteurs (un homme et une femme) pour un même rôle dans Tiresia ; une vraie trans dans Wild Side, où la démarche partiellement documentaire se doit par conséquent d'évincer toute exploration digne d'un laboratoire. Sébastien Lifshitz renonce ainsi à la crudité excessive de Bonello (aucune connotation péjorative à l'adjectif « excessive » ici), chez qui sexe et violence sont dans la démesure : à la fois au sens propre, si l'on considère la taille du phallus dans la séquence répétée d'amour à trois de Tiresia, et au sens figuré, si l'on considère l'atrocité de l'acte de Terranova.

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Lifshitz, lui, adopte une représentation paradoxale de l'acte sexuel. D'abord montrée sans fard (il a déjà prouvé dans Presque rien que la nudité n'est pas un obstacle), l'étreinte s'achève par des plans répondant à la théorie eisensteinienne du montage des attractions : à deux reprises, l'éjaculation est traduite par des métaphores, qu'il s'agisse d'un combat de manga ou d'une envolée d'oiseaux. Il y a ainsi, dans Wild Side, une coexistence du vrai et du symbole, illustrée par la photographie d'Agnès Godard : celle-ci n'est-elle pas autant habituée à sublimer les corps (voir son travail sur Beau travail et Trouble Every Day, de Claire Denis) qu'à montrer la réalité brute (cf. La vie rêvée des anges, d'Eri
ck Zonca) ?

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A ce titre, Wild Side se détache de Tiresia, mythe cinématographique, par une certaine authenticité : la trans et le beur sont condamnés à la prostitution, dans laquelle finit par sombrer à son tour le clandestin russe de manière incontrôlée. La menace des clichés pessimistes est sitôt contredite par le soucis d'évincer certaines idées reçues : l'amour à trois trouve son épanouissement, et la thèse d'une sexualité choisie est, quant à elle, réfutée (petitE, Pierre/Stéphanie est déjà androgyne). Sur cette question, le scénario co-écrit avec Stéphane Bouquet fait preuve de qualités rares : tandis que la mère de Stéphanie persiste, jusqu'à la mort, à appeler sa fille « mon petit garçon », un ancien camarade déclare « Au fond, tu n'as pas changé » – et Stéphanie de répliquer : « Ben non, c'est toujours moi. » Si Lifshitz en dit peu du passé de Jamel, il founit des informations sur celui de Mikhail et de Stéphanie, présentés comme deux survivants : qui, en effet, aspire à la vie, dans ces parcours parsemés de morts ? Un gay, rescapé de la guerre de Tchétchénie. Dans ses bras, une trans qui perd toute sa famille : le père, la soeur et bientôt la mère.

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Le réalisateur ne nie pas les stéréotypes, mais refuse d'y cloisonner ses personnages. Il serait réducteur de ne les considérer qu'en fonction de leur marginalité. Lifshitz lève des tabous plutôt que des clichés : en effet, il n'y a guère que Téchiné, Morel et lui à oser filmer des beurs gays ; quant à l'homosexualité russe, elle se révèle, chez d'autres auteurs, ou niée (Alexandre Sokourov) ou implicite (Serguéï Eisenstein, Serguéï Paradjanov – il faut néanmoins saluer ces deux derniers pour leurs efforts de suggestion, compte tenu de la période à laquelle ils filmaient) ; enfin, il faut attendre Bonello et Lishitz pour dépasser l'image des travs et des trans imposée par le cinéma hétéro-beauf depuis La Cage aux folles jusqu'alors. Cela suffit à conférer au film une dimension politique, peut-être pas revendiquée, mais évidente et nécessaire.

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L’avis de Laurence Reymond :
Autour de trois marginaux, une transsexuelle et ses deux amants, Wild Side tisse une histoire d'amours et de famille bouleversante, d'où le voyeurisme est totalement absent. On est loin du Tiresia de Bonnelo, nul drame divin ici, mais toute la complexité humaine de trois personnages unis dans un fragile équilibre. Loin de tous les clichés attendus, l'élévation, elle, est belle et bien là.

Wild Side est un petit miracle en soi : partant d'un scénario qui accumule les situations « plombées » (une histoire d'amour entre une prostituée transsexuelle, un jeune beur borderline et un émigré russe, leur voyage dans le Nord de la France où la mère de la première se meurt), le film parvient pourtant à s'envoler, à s'extraire du constat social, secondaire, pour s'attacher à des individus complexes et touchants, car touchés par une certaine grâce.

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La comparaison avec le film Tiresia de Bertrand Bonnelo est révélatrice : alors que les deux films partagent comme sujet principal du récit une transsexuelle, et comme moyen de la cerner une forme de grâce, Bonnelo représente au maximum le mythe, l'abstraction, sans vouloir oublier le corps. D'où le contre-sens fondamental du passage par le médical et les hormones, qui désamorce le caractère du mythe, nie son implacable inhumanité. Dans Wild Side, la transsexualité de Stéphanie est révélée dès les premières images. Le sexe étant « mis à jour », il libère le récit de sa présence, et ce ne sera que dans le rapport à sa mère que la question inévitable de la transformation se retrouvera.

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La grande beauté du film tient ainsi à sa manière subtile de nous replonger par bribes dans le passé de Stéphanie, pour tracer un portrait en pointillé. En retrouvant sa mère, qui l'appelle toujours Pierre, le film aborde « l'avant », mais sans tomber dans un système de cause à effet. Nulle explication à tirer, pas de cause évidente, car l'évidence se trouve ailleurs dans le film, à travers la sensualité des corps de ce trio amoureux. Sébastien Lifshitz ne tente pas de comprendre ce corps cinématographique unique par les mots, mais par le cinéma, par le regard profondément compréhensif, au sens de prendre avec soi, qu'il porte sur eux.

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Emmené par un trio d'acteurs impeccables, Wild Side réussit là où le cinéma français échoue trop souvent : un scénario construit autour des personnages (et non l'inverse), des acteurs dont la présence insuffle une véritable énergie « brute » aux plans. Le premier talent de Sébastien Lifshitz est ainsi d'avoir su trouver ses acteurs, mi-professionnels, mi-non, en particulier sa Stéphanie, une véritable transsexuelle dont le charisme impressionnant semble naître autant de sa grande beauté que de sa fragilité.

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Mais surtout, Lifshitz semble ici atteindre une maturité certaine de réalisation. Epaulé par la grande Agnès Godard (une des chefs op les plus brillantes de l'hexagone), il filme ses trois personnages avec un amour et une tendresse qui les subliment. D'une très grande beauté plastique, Wild Side ne cesse, dans un même mouvement contradictoire, de se rapprocher au plus près de ces vies douloureuses tout en s'élevant progressivement vers un sentiment d'apaisement.

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On pense souvent à un certain cinéma américain, qui a su si bien filmer les individus marginaux sans jamais en faire des symboles ou des clichés. En les aimant, tout simplement. Wild Side se situe là, à une distance toujours sensible et juste des corps et des personnes. Un film qui cherche la marge, pas pour s'y perdre, mais bien plutôt pour s'y retrouver.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Yasmine Belmadi, Bernard Verley, Sébastien Charles, Valérie Donzelli, Florence Giorgetti et Sébastien Lifshitz. Réalisation : Sébastien Lifshitz. Scénario : Sébastien Lifshitz et Stéphane Bouquet. Image : Pascal Poucet. Montage : Yann Dedet. Son : Yolande Decarsin.
Durée : 62 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Parce qu’il vient d’être renvoyé de son travail, Djamel, à peine 20 ans (Yasmine Belmadi, qui interprétait déjà le rôle principal dans Les Corps ouverts et que l’on retrouvera dans Wild side), s’engueule violemment avec sa grand-mère chez laquelle il vit (deux scènes hors champ). Il décide de quitter Paris, sans toutefois oublier, en guise d’au revoir, de se faire tailler une pipe par sa petite amie.
Il débarque à Grenoble (pourquoi Grenoble ?) où il trouve, étrangement, facilement du travail comme manœuvre dans une usine. Dans cette entreprise, il drague sans attendre une secrétaire qui lui fait rapidement une place dans son lit. Dans le même temps, il éprouve une curieuse attirance pour son patron (Bernard Verley), qu’il va jusqu’à espionner à son domicile... Je vous en dis un peu plus ci-dessous, mais pas tout, car ce film, qui joue constamment sur le frottement entre l’identité sexuelle et l’identité sociale, fusionne ce qui est d’ordre sexuel et ce qui relève du refoulé politique de la France, ce film disais-je est aussi un film à suspense

L’avis de Bernard Alapetite :
Pendant toute la première moitié du film, on s’ennuie un peu et on peut être légèrement déçu. Certes Lifshitz filme parfaitement mais on a le sentiment qu’il refait Les Corps ouverts, à la fois en mieux mais aussi en moins excitant. Il est bien difficile de s’intéresser aux deux protagonistes principaux. Ils nous apparaissent comme deux médiocres salauds. Djamel semble être un beur dépeint à la Le Pen et le patron parait sorti d’un discours de Laguiller ! C’est à ce moment que Lifshitz, en une scène extravagante, dynamise le film et le dynamite, l’élève au dessus du naturalisme, qui jusqu’alors le plombait. Djamel entre dans le bureau du patron (incarné remarquablement par Bernard Verley, qui était déjà parfait dans un autre rôle de père dans Nord de Xavier Beauvois, à la lourde silhouette, la face bouffie et ravagée) pour le mettre en garde contre ses employés qui fomentent une grève. Première surprise devant cette attitude, le petit beur macho se mute devant nous en balance, en traître à sa classe comme on le disait naguère. Le spectateur, à peine remis de sa surprise, va être stupéfait par le coup de théâtre suivant, quand le garçon annonce à l’homme qu’il vient de flatter qu’il est son fils ! Pendant un très court instant, on pense que notre beur est tout à fait givré. Nous sommes aidés en cela par sa curieuse attitude jusqu’alors vis-à-vis de chacun. Mais le cinéaste ne nous laisse pas reprendre notre souffle. Le garçon sort de sa poche une photo de sa mère et la montre au patron médusé en disant que cela l’aiderait à se rafraîchir la mémoire. Et contrairement à ce que l’on pouvait attendre, le patron patelin dit qu’en effet il a bien connu sa mère, une putain qu’il a fréquenté plusieurs semaines, mais qu’il n’est rien pour lui et que vingt autres peuvent être son père !
Le film, jusqu’à son terme, vivra sur la lancée formidable qu’a impulsé cette scène qui ne doit pas durer plus de quatre minutes. On est passé du naturalisme XXe siècle au mélo échevelé dans la grande tradition du XIXe, avec fils caché, père indigne, mère putain et morte jeune, bien sûr, phtisique ou syphilitique sans doute. Le scénario que cosigne, tout comme pour Les Corps ouverts, Stéphane Bouquet ne mollit pas ; il nous assène le coup de grâce en nous révélant en une image que le fils du patron est pédé ! C’est le réalisateur (Lifshitz) lui-même qui embrasse à pleine bouche le fils à papa, en l’occurrence plus un fils à maman, qui elle est snob et superficielle, pour nous faire bien comprendre la chose. Hitchcock se réservait de moins agréables silhouettes dans ses opus. Lifshitz est un récidiviste, il s’était « dévoué » de pareille façon dans son film précédent. L’effet de surprise n’est qu’à moitié réussi, car l’on avait fait qu’apercevoir le fiston et bien des spectateurs ne l’identifieront pas immédiatement. C’est une des rares faiblesses du film, avec celle d’un montage parfois inutilement compliqué ; il y a aussi quelques scènes inutiles, comme celle du voyage qui rompt l’unité de lieu de la ville de Grenoble, cernée par les montagnes, une ville d’où il semble que l’on ne puisse pas s’échapper.
Djamel drague… en digne fils indigne ! Sébastien Charles est très juste dans le rôle ingrat de la victime sacrificielle, le seul personnage un peu sympathique de cette histoire. On peut voir cet habitué de l’œuvre d’Ozon dans Sitcom, Une Robe d’été et Scènes de lit, ainsi que dans Les Passagers de Guiguet... On comprend vite que ce n’est pas le désir sexuel qui anime Djamel mais la volonté de vengeance : enculer son demi-frère pour, dans sa petite tête de macho, le souiller. Et pourtant… le doute subsiste lors de la belle scène du rendez-vous dans la forêt entre les deux garçons qui ont le même âge. Le cinéaste se moque de lui-même lorsqu’il prête au personnage joué par Sébastien Charles ses propres fantasmes sur les beurs : la beauté de leurs mouvements, la fermeté de leurs corps... fantasmes auxquels Djamel répond : « Si tu voyais mon oncle c’est un véritable poivrot », le garçon répond : « Cela ne peut pas être pire que mon père... » Un dialogue qui illustre bien le regard que porte le réalisateur sur l’humanité, un regard que l’on peut qualifier de célinien, même mélange de dégoût, de colère mais aussi de tendresse. Il y a aussi du Chabrol dans cette bourgeoisie provinciale macérant dans son jus, qui ne songe qu’au paraître.
Après avoir batifolé dans les sous-bois enneigés, arrive la grande question, qui devrait déclencher bien des souvenirs chez beaucoup de spectateurs : où aller pour une suite plus sérieuse, résumée par une formule lapidaire de Djamel : « J’ai envie de te la mettre. » Le fils à maman répond le classique : « Il y a mes parents chez moi », auquel Djamel répond le non moins convenu : « On ne fera pas de bruit. » Et les voilà partis dans l’antre bourgeoise de l’ogre. Nouvelle et dernière accélération du scénario avec l’intrusion d’un suspense : Djamel mettra-t-il à exécution son plan diabolique : baiser le fils de son père supposé (rêvé, désiré ?) et le faire savoir à ce dernier ? Vous aurez la réponse pour la deuxième interrogation en voyant ce film âpre et fort. Pour la première, c’est oui, ce qui nous offre un beau plan de baise vu du plafonnier d’où l’on peut admirer les fesses et le coup de reins de Djamel (Lifshitz reprendra le même plan pour la scène de sexe dans les dunes dans Presque rien).
Comme tout cinéaste français qui se respecte, Lifshitz ne fait – bien entendu ! – pas de films gays, voici sa version de cette évidence : « Les Terres froides ne sont pas un film sur l’homosexualité. Je déteste les films qui sont ”sur”, je préfère ceux qui font ”avec”. Les films à thèse destinés à un public précis m’insupportent. Ici, l’homosexualité arrive presque comme une incidence dans le récit... Chez beaucoup d’homos, il y a un fantasme des beurs et des blacks. On les voit comme le symbole de la masculinité ou d’une certaine virilité. Ils sont assez obsédés par la puissance et cultivent sans cesse leur corps. Même désœuvrée, la jeunesse immigrée est magnifique, leur corps c’est leur dernière fierté, même s’ils ont souvent le sentiment de n’être rien dans la société. Les gays, eux, reconnaissent ça chez les blacks et les beurs. Et puis, il y a aussi probablement, chez les gays, le fantasme du voyou, c’est toute la mythologie de Genet qui ressort. » Si je suis plus que dubitatif sur la première partie de sa déclaration, la fin me semble une évidence.

Les Terres froides fait partie de la série Gauche/Droite, collection commanditée par Pierre Chevalier pour Arte, dans laquelle on trouve également le remarquable Petit voleur.
L’image inquiète ; elle intrigue, toujours inventive ; elle distille une perpétuelle sensation de danger. Dans une lumière qui claque comme un temps froid et sec, les personnages évoluent avec rectitude dans le champ de la caméra. Elle est beaucoup plus parlante que les dialogues : ce sont les yeux, les attitudes, les ambiances qui sont bavards, pas les dialogues. Une grande maîtrise de l’ellipse scénaristique fait que de nombreuses zones d’ombres de ce film sont laissées à l’interprétation du spectateur, ce qui lui procurera un plaisir rare, bien au delà de l’heure de visionnage. La bande-son privilégie toujours les « bruits » par rapport aux dialogues. Elle se place dans la droite ligne de celles de Godard. On peut aussi penser à Godard, le Godard post-soixante-huitard, pour ce télescopage entre marxisme et psychanalyse, œdipe et lutte des classes. Lifshitz parvient à insuffler à son discours contestataire une vraie puissance romanesque. Du coup, l’impact du film s’en trouve décuplé, porté il est vrai par une majesté visuelle dont peu de cinéastes peuvent se targuer.
Dans une interview, Lifshitz définissait son film par une réplique réjouissante extraite de Masculin-Féminin de Jean-Luc Godard : « Nous vivons sur la terre, la plus atroce des planètes, parmi les hommes qui sont plus cruels que les pierres. »

Pour plus d’informations :


 

 

Le commentaire de Salim Kechiouche :

Saïd (Salim Kechiouche) - (c) Pierre & Gilles, tous droits réservés.

 


Ambiance plus dure que pour À toute vitesse. Ozon est distant, manipulateur, en retrait et en même temps très professionnel. C'est surtout la rencontre avec Yasmine et Jérémie qui sont encore mes amis très proches, comme des frères. Le cinéma t'offre des rencontres comme celles-là que tu n'aurais peut-être jamais faites dans la vie. Rencontrer un mec d'Aubervilliers et un autre de Bruxelles, je ne pense pas que je les aurais rencontrés ailleurs. Le travail avec Ozon est intéressant, très technique, ça permet de voir une autre façon de travailler.

Ça me faisait un peu chier d'être tout le temps mort. Un mec me dit « tu es dans la cave, on t'enterre la jambe », c'était pour de vrai, dans la terre, j'avais l'impression qu'il y avait des fourmis, des asticots, des bêtes qui commençaient à me ronger la peau. C'était inconfortable, sans bouger, entouré par une couverture affreuse, et la cerise sur le gâteau c'est quand on m'a dit qu'on allait me poser cinq rats dessus, des gros rats, « mais t'inquiète pas, les rats sont apprivoisés ». On a fait vingt fois la prise. Je me rappelle des moustaches des rats qui venaient frôler mon visage, je sentais leur petite mâchoire qui commençait à s'approcher de ma joue, là c'était incroyable.

© Pascal Faure pour salimkechiouche.com

 


Fiche technique :
Avec Jérémie Renier, Natacha Régnier, Miki Manojlovic, Salim Kechiouche, Yasmine Belmadi. Réalisation : François Ozon. Scénario et dialogues : François Ozon. Son : François Guillaume. Images : Pierre Stoeber. Montage : Claudine Bouché et Dominique Pétrot. Décors : Arnaud de Moléon.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.




Résumé :

Alice manipule son petit ami, Luc, pour qu’il assassine un de leurs camarades de lycée. Le couple tue Saïd, puis dissimule son corps dans la forêt. Leur sinistre besogne est épiée par un homme des bois qui bientôt enlève et séquestre le couple…


L’avis de Bernard Alapetite :
Les Amants criminels, c’est un peu un bonzaï de Tueurs nés dont le jardinier velléitaire serait Michel Tournier.
Dès les deux premières scènes du film, on comprend qu’il ne peut être réussi. Dans la première, une jeune fille, Alice (Natacha Régnier découverte par Zonca dans La Vie rêvée des anges), dans la chambre de son petit ami, Luc (Jérémie Renier découvert lui par les frères Dardenne dans La Promesse), se livre à un faux strip-tease. Le garçon est assis sur son lit les yeux bandés. Debout, face à lui, Alice ment. Elle dit qu’elle se déshabille, qu’elle a les seins nus, qu’elle les mouille de sa salive alors qu’elle reste vêtue. Luc la croit sans la voir. Elle l’excite verbalement pour le faire bander. Hélas, quand la fille baisse le slip du garçon, l’objet du désir, aperçu furtivement, est très sage. Le but du film sera de faire bander Luc !.. La scène suivante nous montre deux jeunes beurs (Salim Kechiouche et Yasmine Belmadi, le héros des Corps ouverts et de Wild side de Lifchitz) à moitié nus dans une chambre où ils évoquent leurs désirs pour les filles. L’un caresse son copain sous le prétexte de lui montrer comment il a caressé Alice. Dans ces deux scènes, autant les corps des garçons sont érotisés autant celui de Natacha Régnier est filmé avec une froideur et un désintérêt patent. Cette inégalité dans le traitement rend le film bancal et nous empêche de nous intéresser aux événements improbables qui vont suivre.


Alice pousse Luc à tuer l’un des deux beurs, Saïd (Salim Kechiouche à la vidéofilmographie gay déjà riche : Le Clan, Grande école, Vie et mort de Pier Paolo Pasolini, superbe tant par son jeu que par son corps), en lui faisant croire que Saïd l’a violée. Ozon traite le personnage de Saïd comme un fantasme de sexualité bestiale ou un fantasme raciste ? On désire son corps mais on hait ce désir, c’est pourquoi il faut le tuer, tant dans l’esprit d’Alice que bientôt dans celui de Luc. Le crime est filmé comme un acte sexuel, un grand morceau de cinéma, hommage brillant au fameux crime sous la douche de Psychose. Le couple décide d’aller enterrer leur victime dans une forêt. Au passage ils commettent un hold-up minable. Là, le film devient carrément mauvais à la limite du ridicule, mais peut-être est-ce du second degré, avec Ozon le doute est toujours permis et ce n’est pas là un mince mérite. Ayant enfin trouvé leur forêt, ils enterrent le cadavre, scène aussi pénible que celle analogue dans Sang pour sang des frères Cohen auquel on ne peut s’empêcher de penser.


Ils se sentent épiés. Pris de panique, ils s’enfoncent dans les bois où ils se perdent, poursuivis par une mystérieuse présence invisible, séquence impressionnante et très réussie. Ils découvrent une cabane dans une clairière. Ils s’y introduisent, mais bientôt l’ogre (Miki Manojlovic, l’acteur fétiche de Kusturica, ici beaucoup plus sobre que chez le Yougoslave parce que mieux dirigé !) revient et les séquestre. À ce moment commence un autre film, celui qui intéresse vraiment le réalisateur et qui nous réveille tant il était difficile de se passionner pour ces deux adolescents, ces deux blocs de bêtise, tentés par l’expérience du mal.


Ce qui motive le cinéaste, c’est la mise en image de la relation sexuelle entre un adolescent et un homme de cinquante ans (ce qu’il fera avec talent et une totale originalité dans son film suivant : Gouttes d’eau sur pierre brûlante). Le réalisateur quitte alors le naturalisme de la première partie qui était inspirée par un fait divers réel filmé avec la même sécheresse que son excellent Regarde la mer, pour une esthétique à la fois trash et kitch. Nous entrons alors dans le monde des contes (il y avait déjà de la fable dans Sitcom). Malheureusement Ozon est atteint du syndrome Tournier, comme lui il dissimule son homosexualité sous les oripeaux des mythes. Pourtant, toutes les scènes entre Luc et le monstre sont parfaites et font naître enfin l’émotion dans le film. Leurs relations sexuelles, tant celle où l’ogre masturbe Luc, que celle où il le sodomise sont filmées avec une grande maîtrise. Scènes à la fois érotiques et pudiques où pour la première fois dans le film, il existe le hors-champ indispensable à l’érotisme.


Ozon déclare préférer à un cinéaste comme Kubrick qui tourna un film tous les dix ans, un cinéaste comme Fassbinder qui réalisa parfois trois films en une année, souvent pas complètement réussis mais qui contiennent au moins une séquence superbe qui les justifie absolument... Les scènes entre Luc et l’ogre sont de celles-là.
Les vrais amants criminels ne sont pas Luc et Alice, mais Luc et l’ogre. Luc jouit quand il est branlé puis sodomisé par l’homme des bois, pour reprendre l’intitulé du générique. Luc et Alice ne seront jamais réellement amants. Avant d’avoir fait l’amour avec l’ogre, Luc ne bande pas et à la fin de leur histoire, après s’être enfuis de chez l’ogre, lorsqu’ils font l’amour, nus dans la nature, ce qui nous vaut un clin d’œil assez ridicule à La Nuit du chasseur, Alice ne jouit pas et Luc n’en a pas le temps, interrompu par les policiers.


La grande faiblesse du scénario réside dans le personnage d’Alice. Alice n’a pas d’épaisseur, elle est juste nécessaire pour amorcer la fiction, à partir du moment où Luc rencontre l’ogre, le scénario se débarrasse d’Alice en l’enfermant dans la cave de l’ogre... passée littéralement à la trappe pour mieux laisser les deux mâles face à face. Dès que les deux jeunes gens, après avoir échappé à l’ogre, se retrouvent, la tension du film baisse d’une manière vertigineuse et ce n’est ni la scène de copulation dans laquelle Ozon ne montre que le garçon (merci pour les beaux plans sur les fesses de Luc) ni surtout le final très convenu qui enlèveront in extremis l’adhésion du spectateur.


Ozon serait bien inspiré de remplacer l’audace à tout prix par plus de sincérité envers ses désirs quotidiens. Messieurs Tournier et Téchiné ne sont pas de bons exemples. Paradoxalement, il est beaucoup plus franc dans le commentaire de son film : « ... Dans Les Amants criminels, j’aurais aimé peut-être jouer l’ogre, dans l’espèce de passivité de Luc, je ne me retrouve pas vraiment. Dans mes films, il y a souvent des héros masculins assez faibles, sans identité et justement ils la construisent au cours du récit, tout à la recherche d’eux-mêmes et de leur sexualité. Je suis en train de me dire qu’à 16 ans je ressemblais plus à Luc. Maintenant je me sens plus ogre… Je pense que les homos seront plus aptes à comprendre ces aspects du film, son sadomasochisme... Je m’en fous de l’étiquette du cinéma pédé, même si ça me fatigue. Ce qui m’énerve, c’est d’entendre des gens me dire : ”Ras le bol de ces sujets-là !” alors que personne ne reproche à Claude Sautet de faire des films hétéros. »
Ozon gagnerait aussi à un peu moins appuyer ses allusions qui ne deviennent plus allusives du tout. Appeler son héroïne Alice et lui faire rencontrer un lapin n’ouvre pas automatiquement la porte du monde de Lewis Caroll. On ne doute pas, qu’il en soit rassuré, que le jeune homme connaisse littérature et cinéma. Était-il nécessaire de convoquer les déjà cités : Hitchcock, Laughton, Lewis Caroll, Tournier sans oublier Perrault, Grimm, Freud, Bettelheim, Camus, Nicholas Ray, Bunuel... Il n’est pas non plus obligatoire de déconstruire le récit pour faire moderne.
Il y a aussi quelques bizarreries dans l’élaboration de ce film qui devait être tourné avant Sitcom mais le projet n’avait pas alors obtenu l’avance sur recette qu’il obtiendra un an plus tard. Le cinéaste s’était rabattu sur Sitcom d’un coût plus modeste. Pourquoi avoir teint en auburn foncé le blond Jérémie Renier, ce qui le dessert plutôt ? Est-ce que dans l’esprit du cinéaste la chevelure rousse évoque-t-elle plus le monde des contes ? Mais alors pourquoi n’en avoir pas fait un nouveau poil de carotte ? Autre curiosité, alors que le film a inspiré à Pierre et Gilles une magnifique image qui traduit parfaitement le climat fantastique de la deuxième partie du film qui est de loin la meilleure, cette œuvre n’a pas été utilisée ni pour l’affiche, où elle aurait fait merveille, ni pour la promotion du film.

 

Photographie (c) Pierre et Gilles.


Ozon a réussi un film aux trois quarts ratés qu’il faut voir absolument.
Il est conseillé au possesseur du DVD paru chez Film Office de voir la version remontée par le réalisateur qui améliore nettement le film.

Pour plus d’informations :

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Fiche technique :
Avec Yasmine Belmadi, Pierre-Loup Rajot, Mohammed Damraoui, Margot Abascal, Dora Dhouib, Karim Belkhadra, Réjane Kerdaffrec et Malik Zidi. Réalisation : Sébastien Lifshitz. Scénario : Stéphane Bouquet & Sébastien Lifshitz. Montage : Stéphane Mahet & Jeanne Moutard. Directeur de la photographie : Pascal Poucet. Musiques : AKHENATON, Rob DOUGAN, L'orient imaginaire et ALLA.
Durée : 48 mn. Disponible en VF.

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Résumé :
Rémi, 18 ans, participe un jour à un casting pour rompre la monotonie de sa vie. Marc, le réalisateur, est charmé par Rémi. Les deux hommes couchent ensemble. Déboussolé par cette expérience ainsi que par la maladie de son père, Rémi erre dans les rues, multipliant les rencontres sexuelles, filles et garçons confondus.

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L’avis d’Olivier Nicklaus :
L'adolescence est l'un des grands sujets du cinéma d'ici, de Truffaut à Téchiné pour prendre des exemples presque clichés. Dans ce moyen métrage (45 mn), Sébastien Lifshitz se montre largement à la hauteur de l'héritage en renouvelant avec talent la manière de filmer la douleur et l'exaltation de cet âge des possibles.

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Son adolescent, Rémy, un lycéen d'origine maghrébine, se rend un jour à un casting où il se fait draguer par le metteur en scène. Cette scène houleuse et tendue est le centre nerveux du film. A tel point que Sébastien Lifshitz l'a fragmentée et disséminée tout au long du récit. Une formidable intuition qui engage à parler de metteur en scène à son propos. Car entre deux plans du casting au sens strict, les autres scènes deviennent le casting de l'identité que Rémy se cherche. Face à son père, il tient le rôle du fils prévenant et travailleur. Face à sa soeur, il joue le grand frère méditerranéen et responsable.

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Face au personnage de Margot Abascal, il s'essaie à l'emploi d'amoureux. Mais il est surtout préoccupé par les garçons. Un rôle un peu ingrat quand on a 18 ans : Rémy a bien du mal à articuler le "Je suis pédé" fatal. Au détour d'une scène, dans les toilettes sombres d'un sex-shop de la rue Saint-Denis, il rencontre un garçon pour une relation qu'on imagine purement sexuelle. Et puis une tendresse amoureuse prend le relais, et sans que grand-chose se soit passé ou dit, on sent Rémy délesté à la fin de la scène. Ce partenaire de passage est incarné par Sébastien Lifshitz lui-même, doublement présent par ce rôle et par le personnage du metteur en scène.

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Une transparence un peu soulignée, mais après tout pas si courante. Et si le film échappe à la pure théorie, à la maîtrise stérile, c'est à la faveur de trouées bienvenues dans la narration. Ainsi, ce beau plan au début du film où une araignée court sur le torse nu de Rémy. La scène n'offre que ça, mais l'offre complètement. Plus tard, on sentira de façon presque épidermique la rumeur de la nuit. En ce sens, le film mérite complètement son titre. Les corps y sont à vif. Les sens, en alerte. Et pendant la fameuse scène de casting à répétition, la plus violente, Yasmine Belmadi et Pierre-Loup Rajot se donnent généreusement dans un affrontement intime. Mais vient quand même un moment où le spectateur se sent de trop. Il est alors temps que Les Corps ouverts se referme.

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Ce qu’en pense Vincent Dieutre :
Les Corps ouverts
est un film envoûtant. Rien ne nous sera imposé, ni la sacro-sainte histoire, ni aucun jugement ou analyse. Il faut tout ouvrir comme disent les danseurs, s'ouvrir au film comme son jeune personnage s'ouvre au monde.
Un monde auquel Rémi cherche avec nonchalance à donner un sens tant bien que mal. Pour cela, au gré des rues, des hasards, des rencontres, il glane des bouts de certitudes, des sensations imprécises. C'est Paris, c'est aujourd'hui, c'est, très exactement la peinture d'un éclatement de soi.

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Et le film avance, entre l'affection d'un réalisateur aux projets vagues, le père qu'il faut aider à mourir doucement, et l'errance de ce jeune homme bientôt adulte, à la recherche de sa sexualité. Pas pressé de trouver, la flânerie est si belle. Il apprendra qu'il est beau, qu'il est fils d'immigré, et qu'il a le droit d'être aimé. Et nous, de cette balade instable, entre boites de nuit et cuisine vieillotte, entre masculin et féminin, nous n'aurons que les brides, les morceaux choisis.
Alors on pense à Pasolini, à Warhol, mais Les Corps ouverts est d'abord un film extrêmement contemporain, touchant et tendu. Sebastien Lifshitz arrive à y dire la complexité du monde, des gens, et des situations, sans tricher ni grossir : car il plonge son cinéma comme son spectateur, dans la fragile sidération du fragment.

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Andrew Paterson, Harriet Beattie, Jay Collins, Michael Dorman, Georgia Mc Neil, Rima Te Wiato, Michelle O Brien, Ross Mc Kellar et Stephanie Mc Kellar. Réalisation : Stewart Main. Scénario : Stewart Main, d’après le roman de Graeme Aitken (publié en France aux éditions 10/18, n° 3548). Images : Simon Raby. Montage : Peter Robert. Costumes : Kristy Cameron.

Durée : 90 mn. Disponible en VO et VOSTfr.

 

 

Résumé :

Billy Boy (Andrew Paterson), douze ans, ne s’intéresse ni aux matches de rugby ni aux travaux de la ferme dévolus aux garçons de son âge. Il échappe à sa solitude de fils unique d’une famille de fermiers de Nouvelle-Zélande, grâce à son jeu favori, se transformer en Judy Robinson, la jeune héroïne de Perdu dans l’espace, sa série télévisée préférée. Une queue de vache pour les nattes et des vêtements de sa mère en guise de combinaison spatiale et la métamorphose à ses yeux est parfaite. Il n’est plus un petit garçon enveloppé mais la belle Julie.

Un jour, il apprend que les tantouzes sont des « hommes qui portent des perruques, qui se déguisent avec des robes et… qui ont cinquante façons de dire fabuleux », fasciné qu’il est par le théâtre et les déguisements, il pense avec candeur avoir enfin trouvé son salut. Son avenir est tout tracé, quand il sera grand, il deviendra une tantouze !



Pour l’accompagner dans ses jeux il y a son inséparable “copain”, sa cousine Lou (Harriet Beattie). Mais leur indéfectible amitié va être mise en péril par l’arrivée d’un beau et jeune commis de ferme et l’apparition d’un nouveau camarade de classe de Billy qui ne laisse pas ce dernier indifférent…

Billy Boy va bientôt découvrir que le monde réel est plus violent que le monde imaginaire dans lequel il se réfugie. Tiraillé par des sentiments contradictoires et ambivalents, il va découvrir, souvent à ses dépens, la difficulté d’assumer ses différences…



L’avis de Bernard Alapetite :

Si votre temps est compté, préférez à ce bon film la lecture de l’excellent livre dont il est tiré. Ce conseil est presque toujours valable en ce qui concerne les œuvres cinématographiques adaptées d’un roman. Il y a bien sûr quelques exceptions, comme par exemple Le Pont de la rivière Kwaï ou Maurice, films à mon sens supérieurs aux textes qui les ont inspiré et pourtant les ouvrages à l’origine de ces longs-métrages ne déméritent pas. Non qu’il y aurait une supériorité naturelle de la littérature sur le cinéma, vieille lune stérile, mais la principale faiblesse des films adaptés de romans vient qu’il faut environ trois heures pour faire vivre à l’écran une histoire de 200 pages, soit un tiers en plus de la durée d’un film standard qui est habituellement d’une heure trente à deux heures. Il faut donc pour l’adaptation réaliser des coupes sombres d’où les trop fameuses ellipses, figure de style qui a souvent bon dos, et le sacrifice systématique des personnages secondaires qui pourtant font souvent le sel de bien des romans et de bien des films. C’est cette dernière solution qu’a choisi le réalisateur de 5O façons de dire fabuleux, faisant perdre de la profondeur à sa narration et reléguant à l’arrière-plan le contexte social de cette Nouvelle-Zélande rurale, contexte bien développé dans le roman et si exotique pour un lecteur français.



Je ne résiste pas au plaisir de vous donner un court extrait de cet unique roman de Graeme Aitken que vous ne retrouverez pas complètement dans le film, ce qui n’est pas surprenant :

« Je n’avais pas la moindre idée de ce que j’avais fait. En tout cas cette sensation me déplaisait. Roy ne s’était quand même pas soulagé sur moi ? Je me frottai les mains avec précaution. Non, c’était trop épais et poisseux. Du sang ? J’avais peut-être trop tiré fort et fait éclater une veine dans son pénis ? Était-ce la raison pour laquelle il avait hurlé ? Pourtant il ne semblait ni souffrir ni être pressé de vérifier les dégâts. À peine s’était-il remis debout qu’il avait remballé la marchandise et remonté son jean. La seconde d’après, il avait passé la porte, sans un mot ni un regard en arrière... » Deux camarades blogueurs parlent très bien de ce livre: ici et .



Le sujet est passionnant : comment naît la conscience d’être homosexuel chez un jeune garçon, avant même souvent qu’il ait connaissance du mot et surtout de ce qu’il implique. Sujet peu traité au cinéma. Il y a bien Ma vie en rose, mais c’est vu du côté des parents et assez superficiellement ; Trevor, chef d’œuvre méconnu du court-métrage, et plus souterrainement Jacquot de Nantes qui raconte l’enfance de Jacques Demy dont la bisexualité n’est pas un mystère, bien que celle-ci ne soit jamais évoquée, mais qui éclaire tout le film. C’est Agnes Varda, son épouse, qui signe cet émouvant film, sorti peu de temps après le décès du cinéaste.



Les premières images sont furieusement “camp” et le paysage somptueux, filmé d’une façon à le rendre presque idyllique ; les enfants qui l’habitent agissent de façon cruelle et parfois perverse même si le scénario édulcore beaucoup les péripéties, en particulier sexuelles, du roman.

Je m’étonne toujours qu’un cinéaste consacre autant d’énergie pour nous présenter un film dont le personnage est parfaitement antipathique. Dans ce domaine, le record est sans doute détenu à ce jour par François Ozon avec Angel, mais Billy Boy n’est pas mal non plus dans le genre « fat » aussi bien dans son sens en anglais (gras) qu’en français (suffisant), bref une parfaite tête à claques. Mais n’avons-nous pas tous été ainsi ? La suffisance enfantine n’est supportable que par les géniteurs aveuglés et les commerçants intéressés. Dans le film, Billy est encore beaucoup plus agaçant encore que dans le roman qui lui donne la chance de dépasser son âge ingrat.



5O façons de dire fabuleux est le deuxième film de Stewart Main. Le premier, Desperate Remedies a été sélectionné à « Un certain regard » au Festival de Cannes de 1993.

Pour l’anecdote, Stewart Main a écrit son scénario en Indes face à l’Himalaya, qui lui rappelait les paysages de sa Nouvelle-Zélande natale. Le film a été tourné dans le sud de l’ile à Central Otago, région où la couleur ocre domine.



Pour sa figuration, le cinéaste a utilisé les habitants de la région, ce qui confère une indéniable authenticité au film. Pour trouver les jeunes acteurs, il a été d’école en école à travers le pays durant plusieurs mois. On peut constater que son choix s’est révélé excellent. Andrew Paterson et Harriet Beattie dans les deux rôles principaux sont époustouflants de vérité. On ne peut pas dire la même chose du garçon au jeu outré qui interprète Roy.



Le DVD, sans aucun bonus malheureusement, bénéficie néanmoins de menus et d’un habillage aussi beaux qu’inventifs.

5O façons de dire fabuleux est l’habile adaptation d’un chef d’œuvre qui nous emporte loin géographiquement, tout en ravivant sans doute chez beaucoup de spectateurs des sensations de leur enfance qu’ils avaient profondément enfouies en eux.

Pour plus d’informations :

Le site du film

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Fiche technique :
Avec Jean-Claude Brialy, Dominique Blanc, Guillaume Gallienne, Féodor Atkine, Nazim Boudjenah, Jean-Claude Dreyfus, Eric Nagar, Llona Bachelier, Alexis Machalik, Jean-Chrétien Sibertin-Blanc, Emmanuel Leconte et Ilona Bachelier. Réalisation : Gabriel Aghion. Scénario : Dan Franck. Images : Patrick Ghiringhelli. Son : Didier Saïn. Décors : Bertrand L'Herminier. Montage : Luc Barnier. Musique : Antoine Duhamel.
Durée : 90mn. Diffusé sur France 2 en VF. Bientôt disponible en DVD.

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Résumé :

Le 24 février 1944 à 11 heures, la Gestapo pénètre dans l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire et arrête le poète Max Jacob (Jean-Claude Brialy & Guillaume Gallienne). Il vient de servir la messe. Homosexuel, juif converti au catholicisme, il a fréquenté 40 ans plus tôt la bohème du Bateau-Lavoir. Ami intime de Picasso, dont il est le compagnon des débuts, le frère des années de misère. Plus tard, il est aussi très proche de Cocteau, Guitry et Jean Marais. Il partage avec eux confidences, enchantements et frasques du Paris des années 20. Pendant la guerre, Max Jacob se réfugie à Saint-Benoît. Après son arrestation il est conduit à Drancy, là où des milliers d’hommes et de femmes attendent la déportation vers l’Allemagne. Quand le monde l’abandonne, Alice (Dominique Blanc), une jeune femme orpheline à qui Max avait donné son amour quand elle était enfant, va tenter l’impossible pour le sauver...

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Follain, Shéhadé, Max Jacob


L’avis de Bernard Alapetite :
L’esprit du scénario (dû au romancier Dan Franck) de ce film, par ailleurs plein de qualités, est détestable. Il trompe le téléspectateur en faisant passer Jean Cocteau et Sacha Guitry pour des presque salauds, alors qu’ils ont fait tout leur possible pour sauver leur ami. Ils y étaient parvenus, mais la mort d’une pneumonie de Max Jacob les a pris de vitesse... En ce qui concerne Picasso, en revanche, Dan Frank est sans doute plus près de la vérité et de la réponse du peintre à celui qui le sollicitait pour intervenir en faveur de son ancien mentor durant ses difficiles premières années parisiennes : « Ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit. Max est un ange : il n’a pas besoin de nous pour s’envoler de sa prison. » C’est assez conforme au personnage qui n’a jamais été un modèle d’altruisme durant toute sa vie. Son attitude est d’autant plus choquante que l’on peut dire que Max Jacob fut l’un des principaux accoucheurs du talent de Picasso. Lorsque le peintre arrive à Paris en 1901, c’est Max Jacob, qui amoureux de lui, l’héberge, lui apprend le français, l’aide à vendre ses toiles... Il ne faut cependant pas oublier non plus qu’en tant (entre autres) qu’apatride, le peintre était constamment surveillé par la Gestapo...
Dan Franck s’inscrit dans la trop longue liste des donneurs de leçons sans risque, avec cette circonstance aggravante que cette bonne conscience est surtout nourrie par l’ignorance, alors que tous les documents facilement accessibles, comme je le montre ci-dessous, contredisent sa thèse d’un Max Jacob abandonné de tous.

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On peut aussi trouver discutable, pour une « biopic », la quasi invention d’un personnage capital de l’intrigue, comme celui d’Alice, certes magnifiquement interprétée comme à son habitude par Dominique Blanc. Même si cette création est d’une incontestable habileté scénaristique. Dan Franck s’explique à ce sujet : « Pour lier les deux périodes (le Paris de la Belle époque, dont il est spécialiste, et celui de l’Occupation), j’ai inventé le personnage d’Alice, qui s’inspire de Raymonde, cette petite fille que Picasso a adoptée, puis renvoyée à l’orphelinat. On croit savoir qu’elle était très attachée à Max. Je l’ai imaginée en 1944 tentant de sauver l’homme qui avait essayé de la protéger lorsqu’elle était enfant. » Le personnage d’Alice a l’avantage, outre celui de relier les deux époques capitales de la vie de l’écrivain, de permettre d’équilibrer le scénario par les portraits en miroir (ceux de Max Jacob et d’Alice) de deux solitudes, de deux abandonnés. Cette séduisante idée (bien dans la ligne feuilletonesque et mélodramatique révérée par Dan Franck) n’a pas conquis Lina Lachgar, auteur d’Arrestation et mort de Max Jacob (aux éditions La Différence) : « Je ne suis pas contre ce type de fiction, encore faut-il qu’elles soient bien étayées or ce film est un tissu d’inepties à commencer par l’importance accordée au personnage Alice-Raymonde, un épiphénomène dans la vie de Max. » Pas plus qu’elle n’a séduit la présidente de l’association des amis de Max Jacob, Patricia Sustrac. Je ne sais pas à quels documents s’est référé Dan Franck en ce qui concerne l’attachement du poète à la petite fille. Tout ce qui est avéré est que l’on ne sait rien de ce qu’est devenue Raymonde après son retour à l’orphelinat. Peut-être que la diffusion de ce téléfilm aidera-t-il à éclaircir ce mystère ?
Le scénariste n’hésite pas non plus à user de grosses ficelles peu crédibles comme cet échange de papiers d’identité entre Alice et une femme juive lors d’une rafle.
Dan Franck fait dire à Max Jacob : « Il parait que je suis dans le Larousse. » Un joli blog reproduit l’article, que je lui ai emprunté, consacré au poète dans le Grand Larousse de 1931, et qui nous confirme le bien-fondé de cette réplique.

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Si le scénario est discutable, la réalisation l’est beaucoup moins. C’est une bonne surprise de retrouver Gabriel Aghion aussi professionnel, tout en empathie avec son sujet. Pourtant il faut bien avouer que l’on n’attendait plus grand chose du cinéaste après le triste Pédale dure... Les points forts du film sont la direction d’acteurs et le casting. Même si comme toujours il se pose le problème, pour l’interprétation d’un personnage ayant existé, de la ressemblance physique de l’acteur avec son modèle. Sous cet angle, le choix de Jean-Chrétien Sibertin-Blanc et de Alexis Michalik pour jouer Cocteau et Jean Marais ne me parait pas complètement judicieux, non seulement leur ressemblance avec les deux célébrités n’est pas évidente, mais surtout ils n’en possèdent pas le charisme. Alors que le choix de Féodor Atkine pour figurer Picasso est particulièrement pertinent, comme celui de Nazim Boudjenah pour jouer le peintre dans sa jeunesse.
Mais le film tombe dans le ridicule gênant avec Jean-Claude Dreyfus imitant lourdement le phrasé de Sacha Guitry transformant le « Maître » en une grosse cocotte précieuse. Dreyfus, pour cette interprétation, s’est malheureusement souvenu qu’il a débuté dans les cabarets de travestis. Alors qu’il a montré dans L’Anglaise et le duc de Rohmer qu’il était capable d’incarner une figure historique avec profondeur et retenue, ici on est loin de la subtile évocation de Guitry par Jean-François Balmer dans L’affaire Sacha Guitry de Fabrice Cazeneuve ou même l’apparition convaincante de Jean-Marie Winling dans Monsieur Batignole.

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A propos de L’affaire Sacha Guitry, ce dernier film donne un aperçu beaucoup plus juste de l’attitude de Guitry pendant l’occupation. Si le grand homme de théâtre fut léger avec les allemands et leurs affidés, il ne montra guère d’aménité envers les nazis. L’affaire Sacha Guitry montre, comble d’ironie, que la Résistance reprocha à Sacha Guitry sa rencontre avec la Gestapo, rencontre dont l’unique but était de sauver Max Jacob !

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A noter en admirateur de Max Jacob, Emmanuel Lecomte qui en plus de sa brune et mâle beauté incontestable fait preuve d’une intense présence.
Guillaume Gallienne, sociétaire de la Comédie-Française, qui incarne le jeune Max Jacob est la véritable révélation de Monsieur Max. Il est émouvant de candeur avec ses rondeurs matoises qui rappellent celles d’Henri Tisot. Jean-Claude Brialy interprète le même homme quarante ans plus tard.
Jean-Claude Brialy est parti au lendemain de ce qui est peut-être son plus beau rôle, celui de Max Jacob avec qui il n’était pas sans ressemblances morales. Comme le poète sous des aspects légers, l’acteur cachait, sous ce masque, un être multiple non exempt de gravité. Comme lui, Jean-Claude Brialy avait fait de sa gentillesse un oriflamme et vivait son homosexualité, paradoxalement pour un homme si souvent sous les sunlights, avec discrétion.
Bâti sur des retours en arrière, Monsieur Max brosse le portrait de Max Jacob, en homme tendre et attachant, personnages central, puis marginal, de la bohème artistico-littéraire de la première moitié du XXe siècle. Malgré les libertés prisent avec la réalité, le film donne un portrait en accord avec l’image que l’on a après avoir lu la précieuse biographie du poète due à Pierre Andreu (Vie et mort de Max Jacob, éditions de La Table ronde). Jean-Claude Brialy a personnellement bien connu quelques-unes des brillantes figures évoquées dans ce téléfilm, comme Jean Cocteau et Sacha Guitry. Jean Cocteau confia à l’acteur qu’il gardait beaucoup de culpabilité de n'avoir pas fait assez pour Max Jacob. Dans le journal de Cocteau 1942-1945 (éditions Gallimard) au 25 février 1944, jour où il apprend l’arrestation de son ami, on peut lire : « Max Jacob arrêté à Saint-Benoît, sans doute conduit à Orléans. Chose atroce. » Dans les pages suivantes, on voit qu’il se dépense sans compter. Il contacte Sacha Guitry qui a déjà par son intervention sauvé Tristan Bernard : « J’ai vu Sacha Guitry qui m’a donné la marche à suivre... » Il écrit au responsable allemand des prisons juives une lettre dans laquelle il fait le panégyrique de Max Jacob. Cette lettre est accompagnée d’une pétition qui demande la libération de l’écrivain. Elle n’est signée, par souci d’efficacité, que par des personnalités ayant de bons rapports avec les autorités d’occupation : Sacha Guitry, André Salmon, Henry Sauguier, Pierre Colle, Utrillo, Braque, Mac Orlan... Dans L’Irrégulière ou mon itinéraire (éditions Grasset), Edmonde Charles-Roux raconte comment Paul Morihien sillonne Paris pour recueillir les signatures. Cocteau appelle également José Maria Sert qui peut agir par l’intermédiaire de l’ambassade d’Espagne, ce qui a été précédemment efficace pour Maurice Goudeker (le mari de Colette). Selon Claude Arnaud dans son énorme biographie de Jean Cocteau (édition Gallimard), il intervint simultanément avec Jouhandeau, qui en cette occasion fit taire son antisémitisme, auprès de Gerhard Heller qui ne resta pas à son tour inactif. Cocteau sollicite aussi son ami Georges Prade, patron de presse et conseiller municipal de Paris, qui est très engagé dans la collaboration active et qui néanmoins agit pour faire libérer le prisonnier. Prade parvient, conjointement avec José-Maria Sert, a obtenir un ordre de libération signé mais quand celui-ci parvient au camp de Drancy où le détenu a été transféré, Max Jacob est mort au soir du 4 mars d’une congestion pulmonaire à l’infirmerie du camp...
C’est ce qu’apprend Gerhard Heller rendant visite à Max Jacob à Drancy, comme il le raconte dans son livre de souvenir Un Allemand à Paris (éditions de Seuil) : « L’affaire Max Jacob me fut encore bien plus pénible et douloureuse. Je garde la brûlure cuisante de ce cuisant échec... Me retrouvant les mains vides à la porte de ce camp abominable, je voulus cependant accomplir un dernier geste ; j’allai chez une fleuriste acheter une rose et revint la jeter par-dessus le mur du camp. » Il est bon de rappeler que Gerhard Heller était l’officier allemand affecté à la Propaganda-Staffel qui décidait, entre autres, si on attribuait du papier pour qu’un livre soit imprimé, donc paraisse, ce qui en faisait, de fait, l’ultime censeur. Mais dans l’exercice de cette fonction, il avait emprunté la devise à son ami Junger : « La vraie force est celle qui protège. »

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C’est probablement Gerhard Heller que Dan Franck, sans le nommer, veut représenter, assez maladroitement, dans cet officier allemand qui assiste aux derniers instants du poète.
Pierre Bergé, dans son Album Cocteau de la Pléiade, résume bien les sentiments de Cocteau envers Max Jacob : « En 1917, il détestait le miroir que lui renvoyait Max Jacob “ce  touche à tout tendre et sale”. Deux ans plus tard, il applaudissait les numéros périlleux d’un “danseur de corde”. Il n’aura désormais cesse de célébrer le poète cubiste qui avait déclaré “Jean est la perfection absolue de ce que je ne suis que l’ébauche” . »
Max Jacob a vécu son homosexualité sur le mode de la culpabilité : « J'ai été sodomite sans joie mais avec ardeur. » D’ailleurs l'homosexualité de Max Jacob reste littérairement discrète, ou plus précisément plus latente que manifeste. Elle affleure donc en des fulgurances qui sont trahisons au double sens de révélations et de falsifications. Rares sont les claires allusions comme au début du roman Filibuth ou la montre en or dans lequel le personnage au nom cocassement claudélien, Monsieur Odon-Cygne-Dur, double avoué de l'auteur, écrit à ce même auteur « qu'il l'invite à venir voir l'armoire à glace qu'il s'est procurée. Il s'agit bien sûr d'un meuble non d'un individu à forte carrure. » Le film n’occulte pas le penchant du jeune poète pour les sergents de ville bien bâtis...
Président d'Arte France, Jérôme Clément, membre de l'Association des amis de Max Jacob, a soutenu le projet de cette fiction produite par Daniel Leconte. « Le destin de Max Jacob est extrêmement émouvant. Moqué pour son homosexualité et sa conversion au catholicisme, il a été un sacrifié de l'Histoire » expliquait, lors du tournage, le patron de la chaîne franco-allemande.
Max Jacob est évoqué dans les deux très beaux coffrets de DVD, Les heures chaudes de Montparnasse édités par Doriane Films.

Monsieur Max est sauvé par l’excellence de ses trois interprètes principaux, Jean-Claude Brialy, Dominique Blanc et Guillaume Gallienne mais il démontre qu’il n’est pas bon de laisser l’histoire aux mains des feuilletonistes.
Pour plus d’informations :

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Fiche technique :
Avec : Jacques Nolot, Jean-Pol Dubois, Marc Rioufol, Bastien d'Asnières, Gaetano Weysen-Volli, Bruno Moneglia, David Kessler, Rémy Le Fur, Jean Pommier, Lyes Rabia, Lionel Goldstein, Bernard Herlem, Claudine Sainderichin et Albert Mainella. Réalisation : Jacques Nolot. Scénario : Jacques Nolot. Images : Josée Deshaies. Son : Jean-Pierre Laforce. Montage : Sophie Reine.
Durée : 108 mn. Disponible en VF.


Résumé :
Pierre (Jacques Nolot) aborde déglingué la soixantaine. Depuis vingt-quatre ans il est séropositif, mais voilà que son médecin lui conseille de commencer une trithérapie. Il suppute qu’il va bientôt falloir payer l’addition de sa vie passée mouvementée. Esseulé depuis la perte de son amant, il a ritualisé sa vie pour ne pas sombrer : une fellation, un café, l’addition, tel est le quotidien de Pierre. Prisonnier de son passé, il se nourrit d’huîtres en compagnie d’un vieil ami ex gigolo, comme lui le fut, et ex taulard, comme lui ne le fut pas, un de ses nombreux regrets... Son autre grande nourriture est les psychotropes car il est dépressif, malgré les trois visites hebdomadaires à son psychanalyste. Ses vieux amis l’ennuient, et comble du désespoir ses amours tarifés sadomasochistes ne le font plus jouir. Le suicide devient une éventualité...

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L’avis de Bernard Alapetite :
Avant que j’oublie est le dernier chapitre de la transposition filmée de sa vie par Jacques Nolot. Selon la chronologie de l’existence de son double cinématographique qu’il a souvent interprété ou en raison d’un décalage chronologique fait jouer par un autre acteur, cette saga commence avec J’embrasse pas (1991), réalisé par Téchiné où l’on découvrait ce clone (?) de Nolot, âgé de seize ans, fuyant son sud-ouest natal pour monter à Paris pour exercer la louable fonction de prostitué pour messieurs, tant par nécessité que par vocation. On le retrouvait dans La Matiouette (1983), toujours réalisé par Téchiné, à partir de la pièce écrite par Nolot, où, acteur de second plan trentenaire, il rentrait au pays pour une confrontation avec son frère, joué par Nolot à contre-emploi, qui avait repris le salon de coiffure familial. Puis dans L’Arrière-Pays (1998), premier long métrage tourné par Nolot, on voyait le double de fiction de l’acteur-cinéaste, la cinquantaine, retourner dans son village natal pour enterrer sa mère et découvrir au passage quelques secrets de famille. Dans La Chatte à deux têtes (2002), il explicitait, avec un peu de complaisance, mais toujours beaucoup de tendresse, sa sexualité faite de rencontres furtives dans un cinéma porno. On peut mettre un peu à part Le Café des Jules (1998), adaptation d’un texte de Nolot par Paul Vecchiali dans lequel il ne joue pas tout à fait le même personnage. De même que dans Manège (1986), son premier court métrage, qui se résume à un soir de drague. Donc le premier sentiment avec Avant que j’oublie est de recevoir des nouvelles d’un ami que l’on regrettait d’avoir un peu perdu de vue...
Jacques Nolot admet que tous ses films suivent l'évolution d'un même personnage fictif, mais lui ressemblant beaucoup. Dans quelle mesure Jacques Nolot réécrit-il sa vie dans ses films ? La lucidité qu’il porte aux épisodes les plus sombres de son existence semble lui servir de thérapie. Dans une très intéressante interview, il nous éclaire sur sa démarche : « C'est Pierre dans ce film, Jacky dans L'Arrière-pays, Pierrot dans La Chatte à deux têtes. Mon écriture est un peu schizophrénique. Vous me racontez une histoire, je me l'approprie, je la fais mienne, je ne sais plus qui est qui, qui est moi, ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Je ne sais plus où est la réalité. C'est là qu'on peut parler d'autofiction. »
Il s’agit donc surtout d’une réinvention de soi, mais qui paradoxalement, dans cette vie éminemment romanesque, privilégie les moments de creux, de doute, de spleen. Instants mis en exergue qui apparaissent en complète contradiction avec le caractère de l’auteur, animé d’un farouche appétit de vivre. L’intrigue est ténue ; on est plutôt en face d’une chronique du quotidien ordinaire et trivial d’un homme extraordinaire.

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Dans ce film presque uniquement peuplé d’hommes, la mort (comme toujours chez Nolot) est au centre de cette mise en scène à la fois élégante, distanciée mais profondément humaine, à l’humour sous-jacent. Pour autant, Avant que j’oublie n’est jamais morbide, paradoxalement c’est un film optimiste tout en nous mettant brutalement face à la vieillesse et à la maladie.
Les deux autres grands sujets du film sont le sexe et l’argent qui sont, dans l’esprit du réalisateur, intimement liés. Les personnes que fréquentent Pierre se répartissent entre d'anciens gigolos devenus riches, souvent après avoir hérité de leur vieux protecteur, et de jeunes mecs dont les premiers, devenus des bourgeois installés, s'offrent à leur tour les services sexuels contre de l’argent, une belle circulation néanmoins assez peu bressonienne (pourtant la diction blanche de Nolot n’est pas sans rappeler celle des « modèles » de Bresson)... Quelle que soit la palette des sentiments, le commerce des corps est ici indissociable de celui de l'argent, ce qui se traduit par une série de dialogues géniaux où se mélangent crudité et délicatesse mais où tout semble parasité par le fric.
Fait extrêmement rare au cinéma, Jacques Nolot filme frontalement le désir et la formulation du désir d’hommes d’âge mûr et même blets pour des jeunes hommes. Le cinéaste n’hésite pas à se filmer frontalement sous toutes les coutures et même sans coutures puisqu’on le voit nu à plusieurs reprises, y compris dans l’acte sexuel. Devant ce corps maigre et mou à la fois, au ventre ballonné, on peut méditer sur ce que deviennent les corps que l’on a désirés. J’avais déjà eu une pensée semblable en voyant les rééditions en dvd des premiers films de Cadinot. Il m’est inconfortable (pourquoi ?) de penser que les acheteurs de ces films se branlent sur des morts... Il se trouve qu’un des acteurs d’une de ces productions fut un de mes amants de passage et est mort du sida... On le voit, Avant que j’oublie, tout en remémoration à la fois nostalgique et malicieuse, devrait être propice aux confidences et à l’émergence des souvenirs enfouis. Une raison de plus pour aller voir ce film et d’aller le voir accompagné...

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Je voudrais rappeler ce qu’écrivait Gérard Lefort dans Libération qui en dit long sur la réception d’un tel film : « Un monsieur d'un certain âge reçoit un jeune gigolo qui fait ce pour quoi il est payé : il encule son client. Et dans la salle de projection, c'est une rangée entière de lycéens qui se leva avec force protestations. À se demander ce que ces braves jeunes gens ne supportent pas de regarder. Probablement pas la pornographie (par ailleurs totalement absente de cette scène crue mais ascétique) qu'ils consomment à tour de bras sur Internet. Peut-être l'homosexualité, mais surtout, qui sait, puisque ce sont des garçons qui fuyaient tandis que leurs copines tenaient en place devant le film, l'image « scandaleuse » d'un vieux avec un jeune, et plus certainement d'un vieux tout court qui prétend à une sexualité, quelle qu'elle soit. On se demande aussi ce que ces adolescents outrés pourront supporter de la vie si dans une fiction, ils désertent ce réalisme tranquille. » Cette attitude est significative d’une jeunesse qui se réfugie dans le cinéma de distraction, le plus souvent américain, pour mieux ne pas voir le quotidien qu’ils ont rarement le courage d’affronter.
Le style de Nolot est reconnaissable. Il privilégie, dans une lumière froide et clinique due à Josée Deshaies (qui a déjà signé celle par exemple du film Le Pornographe de Bonello), les plans-séquences et les lents panotages et exclut les gros plans. Il y aurait encore sans doute plus de plans-séquences si le metteur en scène avait pu disposer d’un budget plus confortable, mais le film a été tourné en 24 jours, avec pour tout subsides la seule avance sur recettes. La mise en scène est également très attentive au son dont le traitement n’est pas sans rappeler celui que lui faisait subir Gérard Blain, cinéaste avec lequel Jacques Nolot a de nombreuses parentés stylistiques.

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Le film est un antidote à la bêtise, cette propension à reconnaître plutôt qu’à rencontrer, telle que la définit une voix, celle du cinéaste Vincent Dieutre lisant un texte de Deleuze à la radio (simili-France Culture) pendant que Pierre revient piteux et merdeux d’une virée de drague ratée.
Le réalisateur évite si possible d’employer des acteurs professionnels, ce qui n’est pas sans lui poser des problèmes : « Ça a été très compliqué, parce que je ne voulais aucun acteur professionnel. Pour interpréter Marc, le premier gigolo, j'avais un vrai gigolo qui m'a posé un lapin au dernier moment. Mais comme j'avais prévu le coup, un jeune comédien, Bastien d'Asnières, que j'avais gardé en stand-by, est venu répéter à minuit la veille du tournage. Il s'est passé à peu près la même chose avec les autres rôles. Le problème, c'est que je suis tellement prisonnier des personnes dont je me suis inspiré que je ne peux jamais trouver un acteur à la hauteur du modèle. Même si, au final, je suis très content d'eux (rires) ! De toute façon, il n'y a pas de mauvais acteurs, il n'y a que de mauvais metteurs en scène. » David Kessler, patron de France Culture, ancien directeur du CNC, est impayable (si je puis dire) en psy lacanien. Ses déclarations nous éclairent beaucoup sur la manière de travailler du cinéaste : « Je ne connaissais pas bien Jacques Nolot. À la terrasse du café Beaubourg à Paris, il m’a apostrophé un jour en me disant : “Vous ressemblez au psychanalyste que je cherche pour mon prochain film.” N’ayant jamais joué, je ne pouvais être qu’un mauvais comédien, mais cela m’amusait, d’autant plus que cela ne devait durer qu’une journée de tournage... J’ai appris mes répliques, bafouillé un peu, j’ai rejoué sept ou huit fois la scène. Jacques Nolot me laissait faire, me donnait des conseils, notamment pour placer ma voix, ou jouer avec un rideau en regardant une fenêtre. »

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De l’aveu même du réalisateur, Avant que j’oublie est un film à clefs. Il n’est pas difficile de reconnaître Téchiné dans l’ami que visite Pierre et qui lui dit que ce qu’il peut arriver de mieux à leur âge c’est l’argent. Je ne suis pas sûr que Téchiné sera enchanté de ces scènes qui devraient bien faire rire le microcosme parisien du cinéma (l’acteur qui interprète le cinéaste est physiquement très proche de son modèle... en moins moche ; il faut dire que le directeur de casting du film est Jacques Grant qui remplit habituellement cette fonction chez... Téchiné).
Le film s’ouvre et se clôt par deux séquences que l’on peut qualifier de conceptuelles. Il commence dans un silence total. Sur l’écran blanc, un point noir lentement grossit jusqu’à dévorer le blanc de la toile pour permettre au titre, dans une obsolète typo machine à écrire, de s’inscrire en blanc sur noir.
Je voudrais rebondir sur deux mots : obsolète et machine à écrire. Très significative est la représentation de Nolot écrivain par Nolot cinéaste sur les rapports que Nolot entretient avec l’activité d’écriture et la modernité. Pierre est un écrivain. On le voit à l’œuvre, écrire difficilement à la main, pas d’ordinateur dans son appartement dont la géographie semble fluctuante, ni même de machine à écrire. Le projet littéraire de Pierre n’est jamais exposé mais il faut dire que les ellipses, comme on le voit, très stimulantes pour le spectateur, sont fréquentes dans Avant que j’oublie. On observe plus l’écrivain dans les interstices de son labeur, arpentant son logis, somnolant sur son divan fatigué, fumant compulsivement les cigarettes blondes qui ne le quittent jamais.

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La dernière scène est bluffante d’audace et d’intelligence. Elle renforce le côté conceptuel que possède aussi le film avec ses répétitions jumelles... Pierre se rend dans un cinéma porno de Pigalle, travesti en vamp brune, une Mangano décatie, comme l’écrit dans sa belle critique des Inrockuptibles, Jean-Marc Lalanne, pour racoler un garçon qui voudrait bien éponger sa solitude. Après un long regard caméra, l’improbable silhouette vacillante, fumant peut-être sa dernière cigarette, s’enfonce dans le noir au son d’une musique sépulcrale, la seule de tout le film. C’est Lazare retournant au tombeau et c’est aussi Nolot s’engloutissant dans le cinéma porno de La Chatte à deux têtes et quittant son troisième film pour revenir dans son deuxième...
Jacques Nolot réussit le tour de force de rendre jubilatoire son portrait en vieux pédé pas pépère. Son Pierre n’est jamais pitoyable, même dans les situations les plus scabreuses. Il est toujours sauvé par le regard plein d’humour et de tendresse sans complaisance qu’il pose sur les autres et surtout sur lui-même et aussi par son intelligence qui est bien sûr celle du cinéaste. Il nous entraîne dans son monde si singulier, en le rendant évident, comme le seul possible. Avant que j’oublie est aussi un film pétant de santé sur le sida. On a rarement vu au cinéma un personnage aussi riche et sympathique que ce Pierre atrabilaire.

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L’avis de Stéphane Mas (Peauneuve.net) :
Jacques Nolot est cinéaste, sexagénaire et homosexuel. Trois attributs promenés au long d’un film passant l’âge et le désir à la moulinette d’un fauteuil de coiffeur. Récit d’un écrivain en manque d’inspiration malgré son appétit vorace de succion, Avant que j’oublie dresse l’inventaire d’un homme qui tombe. Hanté par le deuil et la perte, Nolot brûle la vie par la chair. S’il faut être damné, que la chute soit au moins belle. Elle s’avère bouleversante.
Un corps s’agite sous les draps dans une pièce sombre. Un cri de vomissement pour sortir, faire le corps se lever, avancer plus avant dans la nuit. Nolot filme l’isolement d’une maladie, d’une solitude, d’un espace vide où il reste seul. À l’écran comme au cinéma français, Nolot se bat, se démène pour exister. L’homme convulsé de spasmes, prend un café chez lui, nu dans la nuit. Une ouverture pour mettre en bouche le film, mais aussi le corps, puisque c’est cela dont il s’agit. Avant de mettre le verbe, Nolot reprend Bacon et montre la chair comme matière.


L’inversion par la chair

Cinéaste de l’inversion, Nolot retourne le classicisme dans sa forme. Lang puis Hitchcock nous avaient appris à ne dévoiler qu’à mesure. La misogynie du second lui faisait préférer les blondes à l’éther un peu fêlé. Nolot prend son (contre)pied avec des mâles très bruns. Ainsi, plutôt que de partir du tout habillé, extérieur chic et social pour ouvrir sur l’intime et révéler le secret derrière la porte, Nolot ouvre celle-ci en grand pour mettre son corps à nu. Corps meurtri, abîmé par le temps, qu’il va lentement couvrir, habiller de mots, de vêtements et d’amour, grâce au souvenir de ceux qui sont déjà partis.
Partir revient ici à rencontrer la mort. Avant que j’oublie porte d’ailleurs dans son titre la menace à venir. La mort est partout. Dans les mots, les corps, les objets la rappelant sans cesse à l’intérieur du cadre – médicaments, lettres ramenées d’outre-tombe, cigarettes alignées sur le bureau comme des baïonnettes prêtes à percer les poumons du condamné. Mais à quoi au juste ? À la vie, à la mort, jusqu’au bout sans répit, Nolot lutte et s’avance, à l’instar de Pierre, son alter ego de fiction.

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Le sexe, c’est la santé. Petite valse entre gentils messieurs
Si la mort talonne, autant la gifler par la vie. Le sexe fait donc son entrée. D’abord brut et sans fard, décliné en quatre pattes et jappements canins, il devient galant lorsque ces messieurs cravatés évoquent leurs anciennes étreintes. Médecins, avocats, gens de bien n’hésitant pas à mettre genoux à terre pour s’adonner au plaisir, avant de rejoindre madame pour la pause déjeuner. Un sexe petit bourgeois du grand Paris se promenant en chaussette sur des parquets trop bien cirés.
Maître de cérémonie, Nolot organise en valse les entrées et sorties de ces tendres pantins du même sexe. Lorsque la bouche ne reçoit pas d’offrandes, elle compte, jauge et compare les tarifs de ses fournisseurs en gâteries. Le temps joue alors l’impitoyable loi des cycles. Les gigolos d’antan deviennent clients d’aujourd’hui, entretenant à la fois le désir des corps jeunes et la plainte mélancolique du temps qui dévore.




Légère et onctueuse, la sauce tournera vite au noir

Ce glissement du temps agit également sur la forme du film. Coins de chambres et de couloirs, velux pris sur la tôle, vitres ouvertes des restaurants, l’espace est mis en scène à l’image du bonhomme. De même, la lumière varie suivant où il se trouve et avec qui il parle. Blanche et transparente au social, sombre et noire à l’intime. Enfin la parole, tantôt volubile et joyeuse, disparaît en silence à l’ouverture et au final.
Disons-le simplement, Nolot est cinéaste, et du côté des grands. Jouant la farce tendre avec l’élégance du raffinement, il se montre tour à tour claustrophobe, apprenti cambrioleur, assidu en psychanalyse et causeur patenté. Pourtant, derrière le dandy frivole, l’homme reste nu, solitaire comme un vers. Une solitude en forme d’attente, de quête d’amour et d’inspiration, le tout mis sous berne d’une ordinaire topographie urbaine.

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L’inventaire par la perte, ou la mélancolie libidianale
Qu’y a-t-il de plus triste qu’un sexodrome près d’un Mac Do ? Clown désœuvré au paradoxe d’une mélancolie libidianale, Nolot revient sur la perte dans une économie de récit, d’espaces et de moyens parfaitement maîtrisée. Peut-être est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle l’argent, après la perte et le sexe, envahit l’écran de manière obsessionnelle.
La mort de l’ancien amant, sa fortune séquestrée par ses ayant-droits, concentrent une symbolique anale autour de ce qui reste. En l’occurrence les francs, anciens, nouveaux, euros présents, passés ou à venir. Ceux de l’héritage qu’il aurait du toucher, et dont Pierre ne verra rien, où alors dans une salle d’enchères, comme n’importe quel badaud.
Ne reste alors qu’à accepter ce qui de cet être cher, il est en train de perdre. Accepter the perte, celle du corps, du temps, de l’amour, et puis la vie, au hasard Balthazar, plaçant le soleil noir au centre du film comme l’est la maladie au centre du corps. S’il ne reste qu’une chose, ce sera donc le cinéma, quelques morceaux de pellicules pour une danse d’étoiles mortes.



Urgence de la nécessité pour cinéma vrai

Dans son titre déjà, Avant que j’oublie supposait l’inventaire. De ce qu’il reste à dire et à faire, au cinéma comme à la vie, avant d’être emporté. Inventaire d’amour passé, de ce qui lui survit, des fantasmes auxquels il reste à se confronter. Jusqu’à parvenir à ce point ultime où rien ne semble impossible puisque la mort approche.
Avant que j’oublie est habité par l’urgence de la nécessité. D’où cet impact, cette force intense d’une fiction au-delà de l’ego, débordée par la vie du cinéaste sur laquelle elle repose. La séquence du journal de vingt heures illustre ainsi à merveille cette hypertrophie du réel avec laquelle Nolot joue en glissement tout au long du film.

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La solitude de l’abandon, au delà de l’ego
Au spectacle rassurant d’une vieille folle sortie de sa cage succède l’image plus dure d’un homme seul. Un plateau repas, des médicaments, une lucarne. Face à lui, le journal de vingt heures déverse l’horreur devenue invisible à force d’être montrée. La maladie à combattre, cette même maladie qui provoquait le vomissement en ouverture du film, n’est plus seulement celle du corps. Elle devient celle du monde.
Nolot dégage ainsi son cinéma de la niche homosexuelle tout en ne cessant jamais de revendiquer son identité, ici de manière bouleversante. Est-ce à l’extrême de l’artifice qu’on trouve sa vérité ? Partisan d’une vie qu’il faut passer en laisse et mordre jusqu’au bout, Nolot finira par se figer en femme, adossé à l’entrée d’un peep show. Une pose d’actrice de film noir, la cigarettes aux lèvres pour un œil en liquide, les doigts peints, la moustache rasée. Un drag en requiem d’amour pour une fin sublime à la douceur lugubre, apogée grave et sereine d’un condamné s’avançant vers le noir. Sublime, vous dit-on. Il suffit d’aller voir.

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Fiche technique :

Avec Vittoria Scognamiglio, Jacques Nolot, Sébastien Viala, Olivier Torres, Lionel Goldstein, Frédéric Longbois, Fouad Zeraoui et Jean-Louis Coquery. Réalisé par Jacques Nolot. Scénario : Jacques Nolot. Directeur de la photographie : Germain Desmoulins. Montage : Sophie Reine. Compositeur : Nino.

Durée : 82 mn. Disponible en VF.



Résumé :

Un cinéma porno est le cadre d'une histoire d'amour entre une caissière, un homme de cinquante ans et un projectionniste nettement plus jeune.

La caissière abuse de la naïveté du projectionniste pour draguer l'homme de cinquante ans, tandis que ce dernier se sert de la complicité de la caissière pour séduire le jeune garçon.



L'avis de Jean Yves :

Voilà un film aussi étrange et surprenant que son titre le laisse supposer. Plantant sa caméra dans un cinéma pornographique, Jacques Nolot en filme la faune et s'essaie à capter les émotions et les sentiments des hommes qui y défilent. Construit autour de perpétuels allers-retours entre une salle qui se remplit progressivement et dans laquelle la frustration le dispute au voyeurisme, et une caisse qui voit discuter la volubile ouvreuse avec ses quelques clients sympathiques, le film de Jacques Nolot interroge une humanité différente, secrète, voilée qui d'ordinaire provoque plutôt un détournement des regards.

Dans cette salle surchauffée aux sièges usés et aux spectateurs de tous âges, certains viennent exercer un voyeurisme presque banal tandis que d'autres profitent de l'atmosphère de la petite salle pour vendre leur corps et profiter de la frustration de certains spectateurs. Les langues se délient et les pantalons s'ouvrent, on parle cru et on montre sans fard. La salle, qui n'accueille plus de couples depuis des années comme le regrette un habitué, devient un marché interlope qui voit se mêler travestis et homosexuels se prostituant sur un coin de siège ou contre un mur pour un peu d'argent. Une seule constante à tout cela : la misère sexuelle qu'exprime aussi bien les actes des spectateurs que le discours de la seule femme du film, une ouvreuse désabusée et de ses rares amis.



Mais si le film en montre beaucoup, il offre également matière à réflexion surtout à travers le personnage interprété par Jacques Nolot, vieil homosexuel quelque peu désabusé de voir l'amour réduit à si peu par l'argent et le SIDA. Beaucoup de corps pour illustrer la froideur des cœurs de personnages troubles mais pas forcément troublés. Fermer la porte est facile, Jacques Nolot propose de jeter un regard différent sur un monde trop mal perçu parce que trop mal compris, à chacun d'en garder ce qu'il voudra.

Un regret : si Jacques Nolot ouvre subtilement son film, il préfère un peu trop souvent la crudité à l'ellipse, ce qui à la longue finit par lasser. Un film étrange à regarder comme il est : unique, à part et sans doute dérangeant pour certains mais en même temps révélateur d'un réel malaise social.



L’avis de Virginie Dumez :

Après avoir passé de nombreuses années à écrire de très beaux scénarios pour André Téchiné, l’écrivain et acteur Jacques Nolot est passé derrière la caméra pour raconter son histoire dans L’arrière-pays (1998), œuvre autobiographique âpre où l’auteur règle ses comptes avec sa famille et sa province natale. Continuant sur sa lancée, il nous revient avec un film beaucoup plus abrupt et cru sur la vie d’une salle de cinéma pornographique parisienne. Opposant le monde de la caissière – à l’extérieur – et la salle située en contrebas, le cinéaste s’attarde sur quelques personnages abîmés par la vie tandis que d’autres se perdent dans des relations sexuelles sans issue. La force de Nolot est de ne jamais s’appesantir sur le caractère sordide de la situation et de regarder tous ses protagonistes avec un regard bienveillant. Loin de juger qui que ce soit, sa caméra ne fait qu’enregistrer des instantanés d’une vie sexuelle exposée aux yeux de tous. Car la salle de cinéma est ici conçue comme lieu de désir, de plaisir et d’abandon. Expérience intime et collective à la fois, elle permet à chacun de se révéler à lui-même, au risque de se découvrir des pulsions homosexuelles jusqu’alors refoulées. Malgré la présence de nombreux hommes, un terrible sentiment de solitude émane de ce lieu et de ces personnages anonymes qui viennent tromper leur mal de vivre durant une heure ou deux.



Sans fausse pudeur, Nolot filme le sexe frontalement et multiplie les séquences de fellations, de sodomies collectives et d’éjaculations à caractère homosexuel. Autant dire que le spectacle est à réserver à un public averti et quelque peu ouvert d’esprit, disons gay friendly. La force du métrage vient finalement du constat peu reluisant qui est fait de ces amours charnelles et clandestines rejetées par la bonne société. L’intrusion des policiers dans le cinéma nous rappelle d’ailleurs que la répression de toutes les pratiques considérées comme déviantes est toujours d’actualité. La Chatte à 2 têtes risque donc de choquer plus d’un spectateur, ce qui est toujours bon signe, surtout en ces temps de politiquement correct généralisé.



L'avis de Anthony Sitruk :

Les allées et venues des spectateurs d’un cinéma pornographique, navigant entre la salle, les toilettes et le hall d’entrée dans lequel la caissière donne à qui veut l’entendre ses conseils sur la vie.

SANS QUEUE NI TÊTE

Il y a dans le film du comédien Jacques Nolot (Les Roseaux sauvages) un côté exaspérant mal compensé par l’évidente sincérité du projet. Ayant lui-même fréquenté les cinémas pornographiques, il y a quelques années, le cinéaste ne peut être taxé de menteur, mais il devient malgré tout rapidement évident qu’il porte sur ses personnages un regard peu compréhensif, les peignant comme autant de détraqués. Bien entendu, ces personnages ne sont pas systématiquement mauvais ou pitoyables, certains s’en sortent plutôt bien aux yeux de Nolot, mais il semble peut-être un peu trop facile de porter un regard et un jugement aussi dur sur des personnages plus ou moins réalistes sans leur laisser le moindre droit de réponse. Tous ne sont que des images, des stéréotypes dans la bouche desquels Nolot ne met que des dialogues maladroits soulignant leur mal-être. Le film, devant cette galerie de personnages, devient un peu trop facilement complaisant, maladroit, et donc répugnant. Non pas par ce qu’il montre, mais par la manière dont il juge ce qu’il voit : des hommes se déculpabilisant de leur homosexualité en allant voir un film présentant des scènes sexuelles hétéros.



Pourtant, il y a dans le film quelques instants de toute beauté, notamment lors de ses nombreux travellings latéraux filmant en un seul plan les orgies organisées aléatoirement dans la salle. Une douceur, un flottement dans la caméra, qui ne trouve que rarement d’écho dans les divers dialogues du film. Sauf peut-être dans les anecdotes biographiques de cette femme, la caissière, très bien jouée par la touchante Vittoria Scognamiglio. Racontant sa vie à qui veut l’entendre, elle constitue la seule marque d’espoir de ce film malheureusement pas assez attachant.

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