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FILMS : Les Toiles Roses


Fiche technique :
Avec Ohad Knoller, Yehuda Levi, Assi Cohen, Aya Koren, Hani Furstenberg, Sharon Regiano, Yuval Semo, Yaniv Moyal, Hanan Savyon et Erez Kahana. Réalisé par Eytan Fox. Scénario : Avner Bernheimer. Directeur de la photographie : Yaron Scharf. Compositeur : Ivri Leder.
Durée : 71 mn. Disponible en VO, VOST et VF.


Résumé :
Basé sur une histoire vraie, Yossi et Jagger dépeint la liaison amoureuse de deux officiers israéliens dans une base militaire à la frontière Israélo-Libanaise. Ils sont soldats, ils sont amoureux l’un de l’autre, et ils essayent de trouver leur propre place dans un système opprimant et rigide, qui les envoie pour défendre une cause dans laquelle ils ne croient pas nécessairement.
Yossi et Jagger dépeint la vie de jeunes Israéliens aujourd'hui. Le film présente un ensemble de jeunes hommes et femmes qui sont supposés, dans cette période de leurs vies, danser, étudier et aimer. Au lieu de cela, en raison du service obligatoire d'armée et de la situation compliquée dans la région. Ils doivent consacrer leurs plus belles années à leur pays, pour être des soldats, pour tués et être tués.Ce film raconte l'histoire de ces jeunes gens essayant de survivre dans un monde impossible.

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L’avis de Arnaud Gallay :
Havatzelet, une station d’observation perdue quelque part dans les neiges de Haute Galilée, à la frontière syrienne ou libanaise. Engagé dans le Tsahal – l’armée israélienne – Yossi, le jeune commandant bourru, batifole secrètement avec Lior, son second. Quant aux autres soldats, lorsqu’ils ne sont pas en faction, ils bouffent des Flips (« la nourriture des héros »), improvisent une techno party dans le dortoir, s’initient à la confection de sushis au corned beef, et, bien sûr, flirtent – car oui, il y a aussi deux meufs à Havatzelet. L’une s’envoie de mauvaise grâce le colonel, tandis que l’autre attend un prince charmant qu’elle imagine sous les traits de Lior. Tout est là pour un marivaudage en vert-de-gris, tant la guerre et la mort sont lointaines... sauf qu’une « embuscade » se prépare. Bientôt tout s’obscurcit, les scènes légères et décalées font place à une atmosphère étrange et tendue.

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Un des aspects les plus remarquables de Yossi et Jagger est de dépeindre des rapports amoureux (et sexuels) empreints de contrainte, exacerbés ou frustrés par la discipline militaire. Depuis son premier long-métrage, After en 1990, où un soldat en permission tombait sur son supérieur en pleine action... dans un parc public, c’est visiblement un sujet qui tourmente Eytan Fox. « Toute l’expérience militaire vient pour nous à un âge critique, explique-t-il. En sortant du service, j’ai tout de suite voulu en faire un film. Rétrospectivement, je réalise que c’était une forme de défoulement, le pur produit des frustrations qui m’ont été imposées dans l’armée comme dans la société. »
Fox poursuit : « Entre temps, Israël a changé. Moi-même, en tant qu’homme et en tant que réalisateur, je me suis autorisé à être plus romantique. Je me permets maintenant de parler de relations où l’amour et le long terme sont en jeu. »
Pour autant, Yossi et Jagger ne joue ni sur la guimauve, ni sur le contraste entre un pur amour et l’hostilité ambiante : « Ce n’est pas vraiment un film qui dénonce l’homophobie dans la mesure où personne ne voit, ou ne veut voir l’homosexualité: ni l’armée, ni la famille. Si homophobie il y a, elle est intériorisée: ainsi Yossi est sûr que l’on ne peut pas être à la fois un gai et un bon officier – un vrai homme en somme. »
Réalisé pour la télévision, Yossi et Jagger a remporté en Israël un succès considérable, sur petit, puis sur grand écran. Fox admet que cet accueil avait initialement un lien avec la présence dans la distribution de l’idole des adolescentes, le sexy – et très straight – Yehuda Levi (Lior).

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Mais le succès a révélé un engouement plus profond. « Au départ, le film est inspiré d’une histoire véridique de l’un de mes amis pendant le conflit libanais. Or, j’ai réalisé qu’avec les circonstances actuelles, une relation intime se créait entre le film et un public très large. A ma grande surprise, j’ai vu que beaucoup allaient voir le film en groupe ou en famille, et restaient dans la salle après la fin du générique pour discuter. En fait, je crois que les gens ont vraiment besoin d’une manière d’exprimer leur émotion, et de mettre à plat la confusion et le trouble qui les habitent en cette période. Et de réaliser, je l’espère, que nous sommes en train de perdre la partie au profit de la guerre. »
À l’inverse, certains critiques israéliens ont reproché à Yossi et Jagger d’avoir adapté un mythe militariste et patriotique aux gays. La controverse agace prodigieusement le réalisateur : « C’est si loin de la manière dont Yossi et Jagger a été perçu ! En plus, l’histoire est tout sauf héroïque : il n’y a pas de combat, pas d’ennemi... La plupart des personnages se foutent de l’armée, de la patrie et du sionisme. Tout ce qu’on voit, c’est l’absurdité de leur situation. » Il ajoute : « J’ai tenté de parler de l’acceptation de soi et des autres à travers ce qui pour moi est le plus profond et le plus intime en tant qu’Israélien, antimilitariste de gauche, et aussi en tant que gay. Au bout du compte, je crois pouvoir faire bouger les choses en choquant, en émouvant, et en trouvant de vrais sujets. À ce titre, je reste persuadé qu’avant de pouvoir résoudre leurs relations de voisinage, les Israéliens doivent se regarder dans une glace, et commencer à s’occuper d’eux-mêmes. Ils sont incapables de faire la paix parce qu’ils sont tellement terrorisés, tellement à côté de leurs pompes... Il n’empêche, c’est à nous de faire le pas, parce que dans cette histoire nous sommes les agresseurs – ou peut-être des pères indignes. »

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Son format ramassé rapproche Yossi et Jagger d’une fable sur « les conséquences tragiques de vivre dans le non-dit ». Du coup, le film paraîtra sans doute un peu trop lisse et linéaire à certains. Et c’est vrai, l’émotion y tourne à vide par moments.
Mais toute prévisible qu’elle soit, l’histoire tient la route, soutenue par un humour omniprésent, allant du potache absurde à l’ironie sombre du dénouement. Par ailleurs, les personnages demeurent formidablement crédibles et attachants ; on les voit céder aux règles militaires, à leurs propres préjugés, et au fond, à leur incapacité à communiquer. Ainsi le romantisme de Yossi et Jagger n’est pas gratuit ; il propose de montrer une communauté détruite non pas tant par la guerre que par la peur: celle de sortir du rang pour dire non à la contrainte et non au silence.

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L'avis de
Matoo :
J’avais vraiment beaucoup aimé Tu marcheras sur l’eau du même réalisateur israélien, Eytan Fox, et le sujet m’a tout de suite donné envie de voir ce film-là, pourtant antérieur. Il ne passe qu’au cinéma le « Quartier Latin », mais je crois qu’il a même été diffusé sur Arte. Ce film très court (un peu plus d’une heure) et à la réalisation un peu artisanale, raconte l’histoire d’amour entre deux soldats. L’un, Yossi, est un militaire de carrière et commandant de ce qu’on peut prendre pour un poste frontière. L’autre, Jagger, est un appelé qui aura bientôt terminé son service.
On découvre rapidement l’accointance particulière entre les deux héros, et le réalisateur ne se penche pas du tout sur la genèse de leur idylle. Les deux personnages représentent deux types très différents d’hommes et d’homosexuels. On sent Yossi particulièrement « straight-acting » et opportuniste, alors que Jagger est manifestement un homo qui s’assume.

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Le film se déroule dans un endroit reculé en pleine montagne et dans la neige. Il n’y a qu’un groupe de soldats (dont Yossi est le chef) pour garder la place, et partir de temps en temps en manœuvres. La relation entre les deux protagonistes principaux est discrète mais leur intimité et complicité se remarquent, jusqu’à susciter quelques réactions. Jagger est un très beau mec, et son indifférence aux jolies filles du groupe le rend quelque peu suspect. On suit la vie au quotidien de ces soldats, appelés pour la plupart, et dont le service militaire est à la fois long et dangereux, puisqu’ils peuvent être mis en péril dans des combats réels.
J’ai été sous le charme de ce film car, comme une midinette, l’histoire m’a vraiment plu. Et du coup les maladresses, et de réalisation et de scénario, ont plus été perçues comme les charmantes hésitations et gaucheries d’un premier film que comme des bévues impardonnables. La manière dont il a figuré la relation entre les deux hommes, et les ébauches de personnalités, m’ont énormément touché. L’amour, le désir et la complicité sont véhiculés avec une force et une simplicité remarquables.
Cela reste un film court et qui aurait mérité qu’on s’attarde un peu plus sur les personnages (principaux et secondaires) et qu’on étoffe un peu les diverses intrigues. Mais il possède un charme et des atouts indéniables. Il faut que j’ajoute que le charme des deux héros n’est pas non plus étranger à mes émois…
Pour l’anecdote, l’armée israélienne n’a pas soutenu le film, mais pas parce qu’il s’agissait d’une relation homosexuelle entre deux militaires. Non, simplement car une relation entre deux soldats de grades différents est inconcevable. Mouaaaarf !
À noter aussi que le coup de la « Playstation hongroise » est assez irrésistible.

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L'avis d’Alex :

Quelques années avant le magnifique Tu marcheras sur l'eau qu'il est criminel de ne pas avoir vu, Eytan Fox avait réalisé ce petit film que l'on peut enfin voir à Paris au cinéma Quartier Latin (le film est aussi disponible en DVD).

Yossi et Jagger
traite de l'histoire d'amour entre deux hommes de l'armée israélienne dans un poste frontière. Tout comme dans Tu marcheras sur l'eau, Eytan Fox mêle une histoire d'individus à l'histoire des peuples, de la fraternité ou de l'amour qui naît dans un contexte de guerre ou de haine. Évidemment Yossi... n'est pas aussi abouti que Tu marcheras... (que je n'hésite pas à qualifier de chef d'œuvre). Le film possède de nombreuses faiblesses (réalisation pas toujours maîtrisée, scénario hyper classique, musique et chansons un peu trop présentes) mais qui font aussi le charme des premières oeuvres.

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Ces défauts ne doivent cependant pas retirer au film ce qui fait sa valeur. En voulant parler d'une histoire d'homosexualité au sein de l'armée israélienne, Eytan Fox s'est attaqué à un tabou. Ce qui est admirable, c'est que le film peut paraître dérangeant pour certains mais qu'il n'est jamais provocant. Loin de tout désir de polémique, Eytan Fox recherche l'émotion brute. Ce que l'on lit sur le visage des personnages c'est la frustration, le désir, la recherche d'amour et l'envie de paix qui font surgir la lumière et la chaleur dans l'univers glacial du poste frontière. À tout cela se greffe une petite parabole sur la vanité des hommes et de leurs actions et sur l'absurdité des guerres (à aucun moment on ne voit ni ne devine l'ennemi – les soldats se battent contre rien). Comme dans Tu marcheras... ce propos n'est pas martelé à grand renfort de violons mais tient plus de la constatation désabusée. Et au delà de tout, si le film parvient à nous faire verser quelques larmes, c'est bien à cause de cette histoire d'amour « comme dans les films hollywoodiens » et du dernier sourire de Yossi qui sait qu'il a été le seul à connaître et aimer Jagger.

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Pour plus d’informations :

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Amants des hommes
 
Par Isabelle Darmengeat, réalisatrice.

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Pour lire la première partie, cliquez ici.


J’ai alors décidé de m’éloigner du film dit « historique » pour contourner mon manque de matière.

J’allais traiter le passé par le présent, évoquer la déportation des homosexuels, l’absence de reconnaissance, par le combat d’associations et de militants LGBT pour faire reconnaître l’existence de la déportation des homosexuels et pour se faire accepter, et inviter, par l’État, les associations d’anciens déportés, lors des commémorations officielles.

J’ai donc suivi à Poitiers l’association En Tous Genres, emmenée par Bruno Gachard, durant toutes leurs démarches, jusqu’à la journée officielle de la commémoration de la déportation (qui se tient tous les ans le dernier dimanche d’avril), où ils furent officiellement invités en tant qu’association LGBT au nom des déportés homosexuels, dès lors qu’ils ne portaient pas de signe distinctif, cette journée étant consacrée à la mémoire de toutes les déportations, pas d’une en particulier.

Cette année-là, et bien que les déportés homosexuels ne furent pas cités lors du discours officiel, un accueil de la part de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes et une invitation officielle (Mairie, Préfecture) était pour l’association une victoire régionale. Bien entendu, au niveau national tout restait à faire, dans de nombreuses villes de France les associations homosexuelles étaient toujours priées d’attendre la fin de la cérémonie et le départ des officiels pour déposer une gerbe au nom des homosexuels déportés.

J’ai accumulé ainsi des heures de rushes : réunions, apéro-débats, cérémonies… Et en visionnant toutes ces heures d’enregistrement, je me suis aperçue que j’avais perdu mon film : du film d’histoire militant, je me retrouvais avec un simple enregistrement télévisuel d’actions d’associations LGBT.

Il me fallait repartir de zéro, revenir à mon projet initial, mais je me retrouvais de nouveau sans matière. Je n’avais alors à ma disposition que le livre Moi Pierre Seel, déporté homosexuel que Pierre Seel m’avait encouragée à utiliser, et des militants gays engagés dans la lutte pour la reconnaissance de la déportation homosexuelle.

Un livre, un témoignage : le passé.

Des militants : le présent.

Deux paroles en somme.

Mais comment faire tenir tout un film avec seulement de la parole ?

Encouragée dans cette voie par des professeurs de mon DESS, je suis revenue à la structure de mon documentaire sonore : alterner des lectures d’extraits de la biographie de Pierre Seel et des entretiens avec des militants gays, et ainsi mêler passé et présent, le nazisme et l’homophobie.

Les extraits de l’ouvrage de Pierre Seel seraient lus par ces mêmes militants gays, ce qui permettrait encore davantage la confrontation entre le passé et le présent.

Il me fallait sélectionner des extraits du livre de Pierre Seel qui porteraient avec le plus de justesse sa parole au sein de mon film. Moi Pierre Seel, déporté homosexuel est un livre vaste, à l’image de la vie de Pierre, de son arrestation par la Gestapo à son enrôlement de force dans l’armée nazie, en passant par sa déportation au camp de déportation de Schirmeck. Je ne pouvais bien entendu pas tout raconter dans mon film, ce n’était d’ailleurs pas le propos, je ne voulais sélectionner que des extraits relatant son expérience de la déportation, et cela représentait déjà une majeure partie de son récit.

Les épisodes de lecture allaient servir de pierre angulaire à mon film, il fallait donc qu’ils forment à eux seuls une narration.

Si Pierre Seel avait pu intervenir dans mon film, je lui aurais entre autre demandé de me faire le récit de son arrestation et de sa déportation, j’ai donc sélectionné des extraits de son ouvrage en ce sens. À partir de plusieurs extraits choisis à divers moments du livre, j’ai reconstitué la narration de son expérience des camps, de son arrestation par la Gestapo à la mort de son ami Jo.

Pour le choix des intervenants, j’ai demandé à trois militants gays que j’avais connus et suivis pendant mon année de travail d’intervenir dans mon film. Je les ai choisis pour la valeur de leur engagement dans le travail de mémoire et dans la lutte contre l’homophobie, mais également pour les différentes paroles qu’ils pouvaient porter, chacun appartenant en effet à une ou plusieurs associations gays. Ils s’exprimaient donc à la fois en leur nom propre, mais aussi au nom des associations qu’ils représentaient à l’époque 

Bruno Gachard pour le Mémorial de la Déportation Homosexuelle

Christophe Malvault pour En Tous Genres

Norbert Vincent pour le Collectif Toutes Les Différences

À travers ces entretiens, je voulais bien sûr aborder la question de la mémoire de la déportation homosexuelle, mais également toucher le deuxième sujet du film : l’homophobie. Des hommes et des femmes sont encore aujourd’hui torturés et tués pour leur orientation sexuelle. Durant l’année de réalisation de mon documentaire, un jeune homosexuel, Sébastien Nouchet, fut brûlé vif par ses voisins.

Du nazisme à l’homophobie d’aujourd’hui, les moyens des bourreaux et la masse d’individus persécutés changent, mais le sentiment primaire, la haine de l’autre, l’homophobie, reste le même.

Dévoré vivant par des chiens en 1944, brûlé vif par ses voisins en 2004, 60 ans d’écart, une haine intacte.

Dans les entretiens, chacun de mes personnages rythmait en quelque sorte le jeu. Celui de Norbert Vincent fut le plus bref, il revenait quelques jours plus tôt du mariage homosexuel célébré à la mairie de Bègles où il s’était rendu avec son autre association : Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence qui ont tenu tête à plus de 200 contre-manifestants scandant des slogans et des insultes homophobes. L’entretien allait donc dans ce sens : lié à l’actualité et à l’homophobie.

Au contraire, l’entretien avec Christophe Malvault prit un caractère plus historique. Lorsque j’écoutais Christophe s’exprimer sur la déportation homosexuelle, lors de réunions publiques, de conférences de presse, il résumait toute ma pensée sans le savoir, tout ce que je voulais dire et démontrer dans mon film, il l’énonçait clairement en quelques phrases, et il en fut de même lors de l’entretien que j’ai réalisé pour Amants des hommes. Et si cet entretien fut le moins personnel, il est en revanche le plus riche sur le devoir de mémoire, sur le lien entre la reconnaissance de la déportation des homosexuels sous le nazisme et la lutte contre l’homophobie aujourd’hui.

L’entretien avec Bruno Gachard fut celui le plus chargé émotionnellement, il dura presque deux heures au cours desquelles Bruno parla tour à tour de la déportation homosexuelle, de la lutte contre l’homophobie, de son parcours d’homme et de militant, et sur un registre plus personnel : du SIDA… et de son SIDA.

Il me semble que l’on retient de l’entretien de Bruno, tel que je l’ai monté dans mon film, deux éléments : la reconnaissance de la déportation homosexuelle au nom de la reconnaissance de la vérité historique et de l’égalité entre les hommes, un accès à la mémoire pour tous, une même loi pour tous ; et le lien qu’il établi entre le SIDA et la déportation :

« Le SIDA c’est aussi un peu notre déportation à nous (...) on s’adresse à des jeunes, moi en premier, qui ont vécu les camps des sidatoriums des hôpitaux, qui ont vécu des cimetières tous les deux jours lorsque les copains tombaient, qui ont vécu des crématoriums pendant des semaines et des semaines. »

Lors du montage de mon documentaire, cette comparaison suscita de vives réactions chez quelques personnes à qui je montrais mes premiers montages, certaines me suggérant même de me livrer à l’autocensure au son des « quand même, on ne peut pas dire ça », et des « c’est excessif, il faut plus de respect » etc, etc.

Je savais que Bruno ne comparait pas les camps et la déportation au SIDA, il s’agissait pour lui de faire une comparaison choc destinée à faire ouvrir les yeux sur la réalité de l’histoire homosexuelle, qui a, elle aussi, sa part de drame. Je soutenais Bruno dans sa démarche et j’en assumais pleinement la responsabilité en incluant cette séquence dans mon montage définitif.

Pour contredire les « frileux » qui au nom du respect me demandaient de censurer un propos, mon film fut vu par la suite par plusieurs anciens déportés, par plusieurs de leurs descendants, et aucun d’entre eux ne s’est offusqué de la comparaison faite par Bruno. Au contraire, je crois qu’ils en ont saisi la portée dramatique et militante.

Amants des hommes est construit sur les mots et la perception de la parole donnée, il s’éloigne de toute monstration : pas de scènes évoquant la torture, pas d’images de crimes homophobes. La parole est à la base de tout, les choix cinématographiques ont pour but d’accompagner cette parole, de permettre de la recevoir et d’en percevoir la portée.

Ainsi le cadrage se veut répétitif, il est reconduit de manière identique d’un personnage à l’autre, sans échappée possible

De la même manière, le montage obéit à une structure très stricte. Les entretiens et les lectures sont uniquement entrelacés de plan de nature vide et de texte de loi, sans aucun ajout de musique, juste une sonorité faible et sourde.

Le tout donne à l’ensemble une austérité revendiquée. Je souhaitais ainsi ne pas laisser de répit au spectateur, ni lui alléger l’écoute de l’horreur que vécut Pierre Seel par exemple. Seuls les plans de nature étaient destinés à le laisser « souffler » au milieu de ce flux de parole.

Pour achever la post-production d’Amants des hommes, j’ai eu la chance d’être rejointe par des professionnels de l’audiovisuel qui collaborèrent bénévolement à mon projet.

Ce fut tout d’abord Laurent Baraton, ingénieur du son, qui touché par mon projet et mon travail, se proposa pour réaliser le mixage de mon documentaire. Puis à sa suite, ce fut la monteuse Marie-Jo Aiassa qui, après avoir visionné Amants des hommes, m’offrit d’en réaliser l’étalonnage.

La valeur et la confiance qu’ils ont vues dans mon travail fut pour moi un véritable soutien et encouragement, d’autant plus important lors des périodes de doutes que l’on traverse pendant la création d’un film.

Une des principales vocations d’Amants des hommes était de participer à un travail de mémoire, pour cela il fallait qu’il soit vu, et non qu’il termine sa vie sur une étagère comme beaucoup de films autoproduits.

Une fois le film terminé, il fallait donc réussir à le diffuser, et c’est en ce domaine que l’autoproduction montre ses limites, surtout pour un premier film, réalisé en vidéo, et au sujet si peu conventionnel.

Comment faire donc, sans producteur, sans distributeur, sans contacts, sans carnet d’adresses, sans même savoir à qui s’adresser ?

Pour commencer j’ai proposé Amants des hommes à divers festivals de films. Le premier à le sélectionner fut un festival à thématique LGBT : le Festival du film gay et lesbien de Bruxelles. Cette première projection fut un succès, Amants des hommes, bien que projeté au milieu de courts-métrages de fiction, reçu une belle ovation du public.

Après le festival de Bruxelles, la réputation d’Amants des hommes fit son chemin toute seule, c’est ainsi qu’il fut demandé par le festival LGBT de Turin, par le Centre Universitaire de Padova, par le festival de San Gio, par le festival « Question de genre » de Lille, et par la Muestra internationale GLBT de Valladolid.

Il fut également sélectionné par le festival « Images-nation » de Montréal, par le festival « Droits de la personne » de Montréal, par le festival « Queer » de Florence, le festival « Désir désirs » de Tours, le festival « Lesgaicinemad » de Madrid, LGBT de Dublin, « Bleu Blanc Rose » de Montpellier, « De l’encre à l’écran » de Tours.

Amants des hommes fut donc sélectionné et trouva un public autant dans des festivals LGBT que cinéphiles, lui évitant ainsi de devenir un film « ghetto ».

Néanmoins, l’austérité, la volonté didactique et militante de mon film lui fermèrent plusieurs portes. Hors milieu gay, on peut aisément comprendre pourquoi… mais ce fut également le cas dans des festivals gays.

Je compris pourquoi lors d’un de mes déplacements à une des projections, où on me confia qu’il était de plus en plus difficile de voir des films comme Amants des hommes dans des festival gays, les programmateurs préférant de plus en plus occulter les sujets liés à la mort, préférant des films de fiction véhiculant une image plus positive (fête, sexe, histoire d’amour…). Exit donc la déportation homosexuelle, l’homophobie, le SIDA… J’étais choquée, mais peu étonnée, on retrouve fréquemment cette manière de penser dans le milieu gay, qui sans surprise est de nouveau la première communauté touchée par le VIH.

Parallèlement, suite à la réalisation d’Amants des hommes, l’association En Tous Genres décida d’organiser à Poitiers les « Journées thématiques de la déportation homosexuelle » qui proposaient une exposition, la représentation de la pièce Bent, la projection du téléfilm Un Amour à taire et d’Amants des hommes, suivie d’un débat. Ces journées thématiques furent également un succès, le public, tant homosexuel qu’hétérosexuel, était au rendez-vous.

Ainsi de festivals en festivals, Amants des hommes a été vu à travers le monde, de sa sortie, jusqu’à aujourd’hui.

Puis, suite à la mort de Pierre Seel en novembre 2005, j’ai été contacté par Pink TV qui souhaitait programmer Amants des hommes pour une soirée hommage. Il fut donc diffusé en prime time le 3 janvier 2006, puis rediffusé encore sept fois après cette soirée.

Même si Pink Tv n’est qu’un petite chaîne câblée (bien que célèbre par son contenu)  loin des grandes chaînes hertziennes à fort audimat, avec cet achat par une chaîne de télévision, Amants des hommes achevait un parcours encore trop rare pour les films « hors circuit » : sélections en festival et diffusion tv.

La même année, Amants des hommes fut édité en DVD par le collectif La Famille Digitale, jeune maison d’édition qui a pour volonté d’éditer, diffuser et distribuer des œuvres audiovisuelles réalisées en dehors des circuits industriels de production.

Depuis, Amants des hommes a donc continué à être sélectionné dans divers festivals, et il a également été acquis par le Centre Commémoratif de l’Holocauste de Montréal. Cet achat représenta presque pour moi une consécration. En réalisant un film sur la déportation des homosexuels je voulais participer à un devoir de mémoire collectif, et non pas participer à des luttes partisanes entre groupes d’anciens déportés. L’achat par un centre historique spécialisé sur la mémoire de l’holocauste, représentait donc pour moi une validation de mon travail.

Porter et diffuser ce documentaire fut pour moi un véritable travail, long et fastidieux. Bien que je consacre désormais l’essentiel de mon temps et de mon énergie à la réalisation de nouveaux projets, j’essaie toujours de trouver des fenêtres de diffusions pour Amants des hommes, et de le distribuer le plus largement possible.

À l’époque de la diffusion d’Amants des hommes, on parlait beaucoup de la déportation des homosexuels. C’était en effet l’anniversaire de la libération des camps, et les associations LGBT en profitaient pour porter la question de la déportation homosexuelle dans le débat public, et parallèlement, la diffusion sur une chaîne nationale en prime time du téléfilm Un Amour à taire amena enfin cette partie occultée de l’histoire dans beaucoup de foyers français.

Et depuis, plus rien, ou presque, l’intérêt des médias s’est éteint, la mémoire semble s’effacer de nouveau.

Dans son entretien pour le documentaire Paragraph 175, Pierre Seel confiait : « Si je ne parlais pas, j’étais complice de mes bourreaux, des bourreaux de Jo »

Pour moi, diffuser Amants des hommes, c’est avant tout diffuser une parole, une mémoire, pour que ne soient oubliés ni les victimes, ni les bourreaux.



Témoignage exclusif rédigé par Isabelle pour Les Toiles Roses
Merci Isa, merci Isa, mille fois merci et mille bises de la part de Daniel.
 

 

Pour se procurer le film d’Isabelle :
* par correspondance auprès de www.lafamilledigitale.org
* En librairie à Paris : Les mots à la bouche, Blue Book, Violette and Co, à Lyon : Etat d'esprit, à Poitiers : Le feu rouge.
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Amants des hommes
 
Par Isabelle Darmengeat, réalisatrice.

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Mon intérêt pour l’histoire et en particulier la période touchant à la seconde guerre mondiale fut un des éléments qui me conduisirent à la réalisation documentaire. Face à l’horreur des camps, de l’holocauste, se mêlaient ma passion de l’histoire, et mon combat contre toute forme d’intolérance.

Participer à un travail de mémoire en transmettant l’histoire de l’holocauste, c’était mettre en évidence le lien, souvent nié, entre la haine qui a conduit à l’extermination de millions d’individus, et le racisme, sous toutes ses formes, tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Pourtant le projet de réaliser un documentaire sur la déportation homosexuelle ne date que de 2002.

Jusqu’alors je ne m’étais pas intéressée à ce drame qui toucha ma communauté. La déportation des homosexuels par les nazis avait été citée dans certains de mes cours d’histoire (je me rends compte à présent que j’ai eu de bons professeurs…), je connaissais le symbole du triangle rose visible dans toutes les plaquettes pédagogiques représentant les différents symboles utilisés par les nazis pour distinguer les catégories de déportés en fonction du motif de leur incarcération (étoile jaune pour les juifs, triangle rouge pour les politiques, marron pour les Tziganes, rose pour les homosexuels…). Même si je n’en connaissais pas tous les détails, je savais donc que les homosexuels avaient été persécutés par les nazis, et je n’imaginais pas que cela pu être contesté.

Je ne pris conscience du réel état des lieux de la reconnaissance de la déportation homosexuelle en France que suite à la déclaration de Lionel Jospin en 2001, et aux réactions qui suivirent.

« Il est important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l'Occupation contre certaines minorités – les réfugiés espagnols, les Tziganes ou les homosexuels. Nul ne doit rester à l'écart de cette entreprise de mémoire. » Lionel Jospin, 2001

Ces réactions sont de deux natures, la surprise : la France semblait découvrir l’existence d’une déportation homosexuelle ; le rejet, souvent haineux, d’une telle reconnaissance, rejet provenant même d’anciens déportés (juifs, politiques…) qui non seulement niaient la réalité de la déportation des homosexuels, ou pire encore, niaient que cela fût un crime.

La vision individuelle de l’homosexualité parasitait le devoir de mémoire, la déportation homosexuelle était niée parce la notion même d’homosexualité était rejetée. L’homophobie collective avait provoqué l’enterrement du devoir de mémoire.

C’est à ce moment là que j’ai commencé à faire des recherches approfondies sur le sujet, et ma méthode de travail était dans cette première phase très universitaire : lectures d’ouvrages, recherches d’archives, de témoins, cadre précis du motif de la persécution des homosexuels (motif, temps, nombre d’individus touchés, pourquoi seulement dans les territoires annexés au Reich), reconnaissance de cette déportation en France et en Europe, témoins connus et le travail des associations LGBT (je cite à ce propos l’excellent site des Triangles roses qui regroupe nombre d’informations et de documents sur le sujet : www.triangles-roses.org).

Pour réaliser un film historique, il me fallait tout d’abord endosser l’habit d’une historienne, d’une chercheuse. La déportation homosexuelle était encore niée, Pierre Seel était encore traité de mythomane, tout ce qui allait être dit dans mon film, tout ce que j’allais montrer devait être vérifiable, et provenir de sources fiables, il ne fallait pas laisser de place à l’erreur.

Au cours de mes recherches, je me souviens de ma consternation à la lecture d’articles de presse retraçant le déroulement de cérémonies du souvenir de la déportation où les associations gay étaient au mieux parquées derrière des grilles et priées d’attendre la fin officielle de la cérémonie pour pouvoir rendre un hommage aux homosexuels persécutés ; dans certain cas repoussées violemment par les forces de l’ordre, ou encore agressées verbalement et physiquement par quelques anciens déportés ou anciens résistants.

Je me souviens surtout des larmes qui me montaient aux yeux à la lecture de ces événements, des insultes proférées : « On devrait rouvrir les fours pour eux » (Cérémonie du souvenir 1985, Besançon).

L’homophobie, les insultes, voire même les coups, face à des racistes affichés, à des militants d’extrême droite ; quand on est homosexuel on s’y attend, on s’y prépare. Mais émanant d’individus qui ont eux-mêmes été martyrisés en raison de leur identité (qu’elle soit religieuse ou politique), cette homophobie-là fait plus mal, est plus intolérable, parce qu’elle surprend là où on ne l’attend pas.

Loin de moi l’idée de généraliser ce comportement à tous les anciens déportés et d'opposer gays et déportés/résistants. Je ne rapporte ici que quelques faits réels dont il me semble important de faire mention parce qu’ils révèlent jusqu’où l’homophobie peut se nicher. Cependant, j’ai au cours de mon travail sur Amants des hommes rencontré nombre d’anciens déportés et d’associations qui se joignent aux associations homosexuelles pour une reconnaissance de toutes les persécutions.

Dans ma recherche d’archives, de documents, j’ai également pu constater la quasi inexistence d’œuvres traitant de la déportation homosexuelle. Quelques livres, dont le récit de Pierre Seel sur lequel je m’appuie dans mon documentaire : Moi Pierre Seel, déporté homosexuel, et l’incontournable Les Oubliés de la mémoire de Jean Le Bitoux), et seulement deux films, une fiction : Bent de Sean Mathias et un documentaire : Paragraph 175 de Robert Epstein. Mais aucun film traitant de la question de la déportation d’homosexuels à partir du territoire français.

Je pris rapidement la décision de réaliser mon documentaire au cours d’un DESS de réalisation documentaire à Poitiers. Si cela présentait quelques inconvénients (moins de moyens humains et financiers…), cette solution avait l’avantage de la rapidité car le film serait nécessairement achevé au plus tard à la fin de mon cursus, c'est-à-dire fin 2004. Le DESS me donnait les moyens suffisants pour me lancer, m’obligeait à commencer presque immédiatement la réalisation. En effet, l’urgence se faisait sentir, je voulais réaliser un entretien de Pierre Seel et celui-ci avait déjà presque 80 ans.

J’ai donc postulé et été admise au DESS Réalisation Documentaire de Poitiers avec un projet de film sur la déportation homosexuelle.

Dès mes premiers travaux pour la réalisation d’Amants des hommes, j’ai été confrontée à un problème qui sera récurrent tout au long de l’élaboration de mon documentaire : l’absence d’éléments pour l’élaboration du film.

En effet, l’homophobie individuelle et officielle a si bien fonctionné après la guerre, qu’il ne subsiste que très peu d’éléments sur la déportation homosexuelle en France (Pierre Seel raconte lui-même très bien de quelle manière on a refusé de l’inscrire sur les listes comme ancien déporté « homosexuel »).

Il est important de rappeler que jusqu’en 1981, l’homosexualité était répréhensible par la loi et se déclarer déporté homosexuel, c’était prendre le risque d’encourir des sanctions judiciaires. Il n’existe donc qu’un seul témoin : Pierre Seel, qu’un seul récit, et les documents de son arrestation et de son envoi au camp de Schirmeck. Il est par ailleurs extrêmement difficile (voir même impossible) de filmer dans un camp de concentration, ou d’avoir accès à ses archives.

Le manque de documents renforça pour moi la nécessité de faire un film, il fallait, il faut encore, diffuser la parole de Pierre Seel et parler de la déportation homosexuelle avant que celle-ci ne soit définitivement effacée.

Mais le problème se posa rapidement : comment réaliser un film avec si peu d’éléments, sans archives ?

Et surtout, comment arriver à traiter dans un même film de la question historique de la déportation homosexuelle, et de celle encore d’actualité de l’homophobie ?

En prélude à Amants des hommes j’ai tout d’abord réalisé un documentaire sonore, Les Clandestins de la mémoire, qui traitait également de la déportation homosexuelle. À travers ce documentaire sonore, j’avais décidé de traiter le passé par le présent, c'est-à-dire d’aborder la déportation homosexuelle à travers la question de sa reconnaissance, en mettant en relation déportation et combat des associations gay, la déportation d’hier et le rejet d’aujourd’hui.

Pour la réalisation de ce documentaire sonore, je suis entrée en relation avec l’association Poitevine « En Tous Genres »  et plus particulièrement avec son chargé de communication de l’époque, Bruno Gachard, qui était également le délégué régional du Mémorial de la déportation homosexuelle.

Ma rencontre avec Bruno Gachard est sans doute une des rencontres les plus importantes de mon film. Militant de la première heure (AIDS, Mémorial de la déportation homosexuelle, En Tous Genres), malade du SIDA… c’est un homme engagé et lucide, luttant contre toutes les formes de discriminations. Il a tout de suite accepté de participer à mes projets, et il intervient donc à la fois dans Les Clandestins de la mémoire et dans Amants des hommes.

La structure que j’ai mise en place pour Les Clandestins de la mémoire  se retrouve dans Amants des hommes, l’un comme l’autre mêlent extraits littéraires (le passé) et  entretiens avec des militants gays (le présent), le tout agencé par un montage très strict, propre au sujet.

C’est durant la réalisation de Les Clandestins de la mémoire que j’ai pris contact pour la première fois avec Pierre Seel au moyen une longue lettre lui expliquant l’importance d’un documentaire sur la question française de la déportation homosexuelle et l’importance de sa participation, seul témoin français à avoir osé témoigner, dans ce film.

Depuis son témoignage en 1989, le combat de Pierre Seel fut des plus actifs : manifestations, commémorations, rencontres, débats... partout où il fallait être, il était là. Cependant je me souvenais que lors de sa participation au documentaire Paragraph 175 de Rob Einstein, il rudoyait quelque peu son interlocuteur, en lui signifiant que la déportation n’était pas un sujet pour le cinéma. Je craignais donc une réponse négative de sa part.

La réponse est arrivée quelques jours plus tard, très ému par ma lettre et touché par ma démarche, Pierre Seel m’a recontacté par téléphone.

Cette conversation téléphonique fut un des moments forts du travail sur mon film, elle dura plus de deux heures, durant lesquelles Pierre Seel s’ouvrit à moi dans une confiance qui m’étonne encore aujourd’hui.

Il était très enthousiasmé par mon projet, comme je pense par tout projet lié à la déportation homosexuelle, mais il était au regret de devoir décliner mon offre.

Âgé de plus de 80 ans à l’époque et gravement malade du cancer, il n’avait plus la force physique de participer à mon projet, et il ne voulait pas apparaître à l’écran aussi abîmé par la maladie qu’il l’était.

Il souhaitait néanmoins que je puisse transmettre son témoignage, et il m’a alors autorisé et encouragé à me servir de son livre autobiographique Moi Pierre Seel, déporté homosexuel en substitution de son entretien.

Puis, il me parla beaucoup de lui, de son expérience du camp, de sa vie après la guerre, de son rejet, de sa honte, puis de son combat pour la reconnaissance de son histoire et de l’existence de la déportation homosexuelle.

Il me parla aussi de sa famille, de son ami, de l’importance de la religion dans sa vie, et enfin de l’attente de la mort. À l’époque il semblait évident pour Pierre qu’il ne lui restait plus que quelques mois, et il préparait déjà ses funérailles. Son acceptation et sa sérénité face à la mort si proche m’avaient alors émue aux larmes.

Durant l’année, il m’a recontactée par deux fois, la conversation a toujours pris une tournure personnelle, sur l’évolution de sa maladie, sur l’aggravement de son état, sur ses proches… Très affaibli, il m’a fait savoir lors de notre dernière conversation qu’il ne pourrait sans doute plus me téléphoner. Je n’ai plus eu de ses nouvelles jusqu’à l’annonce de sa mort en novembre 2005.

Désormais, à l’absence de documents, d’archives, s’ajoutait l’absence du seul témoin existant.

Je me retrouvais les mains vides pour réaliser mon film…


Fin de la première partie


Témoignage exclusif rédigé par Isabelle pour Les Toiles Roses
Merci Isa, merci Isa, mille fois merci et mille bises de la part de Daniel.


Pour se procurer le film d’Isabelle :
* par correspondance auprès de www.lafamilledigitale.org
* En librairie à Paris : Les mots à la boucheViolette and Co, à Lyon : Etat d'esprit, à Poitiers : Le feu rouge.



Fiche technique :

Avec Max Kellermann, Winfried Glatzeder, Nicole Weber, Daniel Aminati, Daniel Berger, Renate Kröbner, Gerd Braasch, Gerd Uhlenbrock, Manuela Alphons, Peter Siegenthaler, Christiane Lemm, Bernd Stegemann, Christoph Schlingensief, Philip van der Wingen et Dietlinde Hillerbrecht. Réalisation : Peter Kern. Scénario : Peter Kern, d’après le roman de Wallace Hamilton.

Durée : 88 mn. Disponible en VO (ou en anglais sous le titre Street Kid ou Streetchild).



Résumé :

L’avis de Jean Yves :

Un film calme, presque romantique sur la naissance de liens entre un adolescent et un père de famille, jusqu'à l'impossibilité fondamentale de réussir une telle relation.

Gossenkind que l'on peut traduire par L'Enfant du trottoir, dévoile avec réalisme la vie d'Axel, prostitué de quatorze ans (Max Kellermann) : dans sa famille, sa mère absorbe la bière comme une gigantesque éponge et son beau-père le corrige, s'offrant à l'occasion le plaisir d'une sodomie punitive, lorsque les passes du petit ne rapportent pas assez.



La scène du viol est très perturbante pour celui qui ignore cette vie-là ; c'est pourtant ce qui se passe : la majorité des violences subies par les enfants le sont dans le cadre de la famille. Il faut souhaiter que ces images fassent réfléchir et non pas qu'elles habituent le spectateur à ce fait, comme le viol d'une femme, qui au cinéma, est devenu malencontreusement banal.

Il est dommage d'avoir affublé le jeune héros d'une fiancée idiote et superficielle vers laquelle il retourne à la fin du film, abandonnant son client favori et amant – un homme marié : Karl-Heinz Brenner (interprété par Winfried Glatzeder), lui-même fermement décidé à faire son coming-out familial.



Et pourquoi avoir conduit Karl, le père de famille, amant d'Axel, au bord du suicide après qu'il ait découvert l'homosexualité naissante de son propre fils ?

Axel a découvert l'amour avec Karl. Le fait qu'il retrouve, à la fin, son amie est étrange mais crédible. Pour ce qui est de la tentative de suicide de Karl, elle montre que l'amour des autres n'empêche pas ce geste. En cela Gossenkind n'est pas un film optimiste.

Le réalisateur croit-il en la capacité d'un adolescent à gérer sa vie sexuelle ? Je ne sais pas. Il reste que la relation sexuelle entre un adulte et un adolescent du même sexe reste un tabou…

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Mariangela Melato, Eleonora Giorgi, Erland Josephson, David Pontremoli, Anne Caudry, Paolo Rovesi, Allessandro Doria, Daniela Guzzi, Hella Petri, Armando Brancia, Davide Greco, Domenico Tittoni, Fred Personne, Nerina Montagnani, Peter Boom, Siria Betti et Pia Hella Elliot. Réalisation : Franco Brusati. Scénario : Franco Brusati et Jaja Fiastri. 

Durée : 110 mn. Disponible en VO et VF.

Résumé :

Dans une grande maison proche de Venise, une ancienne cantatrice vit avec sa nièce et son amie d'enfance. À l'arrivee du frère de la diva et d'un jeune ami, des couples se forment.

L’avis de Jean Yves :

Quatre personnages, réunis dans une vieille demeure auprès de leur tante, se souviennent de leur enfance et vivent quelques instants de bonheur, avant que la mort de leur parente ne vienne remettre en cause leurs illusions et leurs amours.

Marta (Hella Petri) ancienne cantatrice d'opéra, accueille dans sa villa proche de la cité lagunaire son frère Nicky (Erland Josephson) et son jeune ami Picchio (David Pontremoli). Vivent auprès d'elle sa presque nièce Anna (Mariangela Melato) et l'amie de celle-ci, Claudia (Eleonora Giorgi). Les résurgences du passé envahissent régulièrement Nicky et Anna, jusqu'à la mort de Marta, qui semble être une libération pour eux.

Après le décès de Marta, Nicky reste dans la maison de sa sœur tandis que les trois autres rejoignent celle des deux hommes. Suivent d'innombrables souvenirs d'enfance téléphonés, dévoilant les sentiments d'insuffisance de chacun.

En recourant aux symboles et canons freudiens et en présentant deux couples homosexuels comme représentatifs d'un conflit entre immaturité et maturité, Franco Brusati tire, certes, sur de vieilles ficelles. Pourtant il réussit à approcher la complexité des relations humaines où se mêlent rapports amoureux, amicaux, familiaux… bouleversés par le temps qui passe. À cela s'ajoute l'énorme difficulté pour se soustraire à leur imbrication.

Nicky et Picchio forment le couple du reflet, du narcisse. Nicky en est la tête esthète et Picchio les jambes robustes. Chez le couple de femmes, on retrouve cette symétrie : Anna est la saine fermière et Claudia la fragile institutrice : le code est rebattu mais il permet de mettre en valeur la fuite du temps, la fin de la jeunesse et la mort qui approche.

Si les deux couples homosexuels semblent dépourvus de sexualité – aucune scène ne montre le moindre rapport amoureux entre eux –, c'est que le sujet du film est ailleurs : les rôles d'incomplétude des personnages apparaissent comme le signe qu'ils ont déguisés la réalité pour suivre leurs rêves.

Un film magnifique, très proustien, avec une esthétique sensible des images.

Ce film, où le présent s'affronte aux souvenirs embellis, montre l'impact d'un regard apitoyé et moralisateur sur le passé. Excellent pour réfléchir sur les effets néfastes de la nostalgie.

Cette enfance dorée vécue dans le souvenir, dans une sorte de temps mythique, m'évoque les vers de Sandro Penna : « La jeunesse n'est rien d'autre peut-être / qu'aimer toujours les sens et ne pas s'en repentir. »

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Dustin Hoffman, John Voight, Sylvia Miles, John McGiver, Brenda Vaccaro, Jennifer Salt, Paul Benjamin, Paul Morrissey, Barnard Hughes et Bob Balaban. Réalisation : John Schlesinger. Scénario : Waldo Salt, d'après le roman de James Leo Herlihy. Directeur de la photographie : Adam Holender. Musique : John Barry. Monteur : Hugh A. Robertson & Jim Clark.

Durée : 113 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

 


Résumé :

Joe Buck, jeune et fringuant simili cow-boy, quitte son Texas natal pour monter à New York dans l’espoir de mener une carrière de gigolo. Mais sa déconvenue est rapide et il se retrouve bientôt fauché. Dans un bar, il rencontre Ratso Rizzo, un paumé tuberculeux, estropié de naissance et drogué, qui commence par l'escroquer en lui promettant de lui trouver de riches clientes. Mais en fait de milliardaires, il ne lui ramène qu’un voyeur homosexuel. Ratso, pris de remords et souffrant de solitude, propose alors à Joe de faire équipe avec lui. Une amitié insolite naît entre ces deux épaves que tout sépare. Ils n'auront désormais qu'un seul rêve : partir au soleil de la Floride…



L’avis de Philippe Serve :

Plus de trente ans après sa sortie-choc, Macadam Cowboy garde toutes ses dents (mordantes). Pourtant, on aurait pu craindre que ce film si ancré dans les sixties subisse un vrai coup de vieux, à l'instar par exemple de Easy Rider ou d’Orange Mécanique qui, s'ils restent des films phares de leur époque, n'en ont pas moins perdu une grande partie de leur charge offensive... Rien de tel avec le film de John Schlesinger qui nous laisse aussi impressionné en 2009 qu'en 1969. 



Macadam Cowboy aborde plusieurs thèmes : l'amitié, le sexe (via la prostitution masculine), le Rêve américain si emblématique des années 60, la jungle des grandes villes, la jeunesse américaine de l'époque avec ses hippies et son mouvement psychédélique, le fossé culturel entre la Côte Est et le Sud profond, l'injustice sociale, etc. La mise en scène de Schlesinger est si parfaite et son montage si bien huilé que tous ces thèmes se fondent les uns dans les autres et n'apparaissent jamais plaqués ou reliés artificiellement, à tel point qu'à la fin du film on ne peut se demander si l'un de ces thèmes domine l'œuvre un peu plus que les autres ou pas...



En fait, si on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'un lien les unit tous et devient le thème central de Macadam Cowboy : le mensonge. L'amour tarifé : mensonge des sentiments... L'American Dream : miroir aux alouettes, donc mensonge... La mythique hospitalité des new-yorkais : mensonge... La fraternité hippie : aussi évanescente que la fumée des joints... L'American Way of Life qui unirait tous les citoyens du pays : vaste fumisterie... Face à ce mensonge en forme de mirage généralisé, ne reste aux laissés-pour-compte  qu'une seule valeur humaine à laquelle se raccrocher : l'amitié. Mais le constat de Macadam Cowboy est cruel car même elle, en fin de parcours, ne suffira pas à sauver ces damnés de la terre...



À sa sortie, Macadam Cowboy au parfum de scandale fut classé X pour quelques scènes de nudité. Mais peu de doutes sur les raisons réelles ayant prévalu à une telle décision. Ce que les censeurs de cette Amérique bien-pensante ne pouvaient accepter était bien plus le traitement réservé par le film aux "valeurs" américaines, à commencer par la prostitution masculine, sujet tabou (Midnight Cowboy/Macadam Cowboy est le nom de code donné aux prostitués mâles).



Cela n'empêcha pas le film de remporter trois Oscars : meilleur film, meilleur metteur en scène et meilleur scénario d'adaptation, pour sept nominations dont celles de meilleurs acteurs pour Jon Voigt et Dustin Hoffman. Les deux interprètes principaux du film auraient incontestablement mérité de se voir attribuer la statuette tant leurs performances restent mémorables.



Jon Voigt trouve là le rôle de sa vie, incarnant à la perfection le personnage de Joe Buck... Joe est un jeune homme à la naïveté abyssale, sans réelle éducation, émergeant d'une petite ville du Texas où il travaille comme plongeur dans un restaurant, un plouc croyant dur comme fer à son destin, à sa beauté (il est un joli blond au visage de poupin) et s'il n'est pas « un vrai cow-boy » (« I ain't a for-real cow-boy ») comme il s'empresse de toujours le préciser, il est « un vrai étalon » (« But I am one helluva stud »), ne manque-t-il pas d'informer ses interlocuteurs... Habillé de vêtements tous plus flashy les uns que les autres (veste en daim à franges, chemises cow-boy, santiags et stetson), il colle ou plutôt essaie de coller sa personnalité à son allure...



De brèves séquences de flash-back nous révèlent certains détails de son enfance et aident à situer le personnage de façon plus précise. Au début du film (pendant son voyage vers New York), ces séquences sont toutes à son avantage et montrent une grand-mère le flattant et une petite amie le persuadant à satiété qu'il est « le meilleur ». Un peu plus tard, lors d'un somme dans le squat de Rico, le flash-back deviendra beaucoup plus dramatique, son souvenir sexuel avec son amie tournant à l'intervention de Texans qui la violent... Joe rêve de la ville mais la ville le rejette de toute sa froideur et son anonymat. New York montre un sale visage, celui de cet homme, correctement habillé, allongé inconscient au milieu du trottoir et ignoré par les passants, à la grande surprise du nouvel arrivant qu’est Joe qui n'ose cependant pas intervenir et passe son chemin lui aussi...



Ses brusques accès de violence lui échappent toujours et le laissent aussi désemparé qu'un petit enfant devant la bêtise qu'il vient de commettre... Son attachement à Rico est sincère et révèle, sans démonstration, sa « bonne nature ». Jon Voigt, il me faut le répéter, est magnifique et son jeu gagne à plusieurs visionnages...



Face à lui, Dustin Hoffman réussit une performance une fois de plus hallucinante. Gagnant sa deuxième nomination à l'Oscar deux ans après Le Lauréat (The Graduate, 1967) et à des années lumières du rôle de Benjamin Braddock qu'il y tenait, le petit acteur (petit par la taille, immense par le talent) acquit dès lors une réputation de nouvelle star spécialisée dans les "anti-héros" qui commençaient alors à peupler le cinéma US. Son interprétation de Rico "Ratso" Rizzo demeure inoubliable avec sa silhouette bancale, son éternel mégot aux lèvres et sa toux dont chaque manifestation nous arrache un morceau de cœur.



Rico est le contraire parfait de Joe. Lui est estropié, petit, les cheveux noir graisseux, n'a sans doute jamais connu la moindre femme et si New York représente le paradis (déçu) pour le beau Texan, lui rêve du sud, du soleil et des noix de coco de Floride. Son rêve à lui, c'est Miami... Joe et Rico fonctionnent comme un drôle de couple, finalement pas si loin des clowns (tristes) de cirque. Et les deux acteurs, sous la direction inspirée de John Schlesinger, magnifient un peu plus à chaque seconde leurs personnages, leur opposition et, par conséquent, la grandeur de leur amitié.



La mise en scène de Schlesinger, comme écrit précédemment, reste un modèle du genre par sa capacité à fondre tous ses divers éléments en un tout cohérent et très fluide. Elle s'appuie aussi sur une remarquable bande-son dont le fameux "Everybody's Talkin", chanté par Harry Nilsson, futur compagnon de beuverie de John Lennon, et qui fut un énorme hit à la sortie du film.
Gageons que dans trente ans, en 2039, Macadam Cowboy gardera encore toute sa force et son émotion. N'est-ce pas là la marque de ce que l'on nomme communément un chef d'œuvre ?

Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Malcolm Stumpf, Patrick White, Max Paradise, Fairuza Balk, Kim Dickens, Tom Gilroy. Réalisation : Cam Archer. Scénario : Cam Archer. Musique : Emily Jane White & Nate Archer,. Image: Aaron Platt.

Durée : 93 mn. Disponible en VO.



Résumé :

Wild Tigers I Have Known suit le jeune Logan (Malcolm Stumpf), 13 ans, amoureux de Rodeo (Patrick White), un garçon plus âgé que lui qui ne répond pas à ses avances. Logan passe son temps avec Rodeo et un autre garçon marginal, Joey (Max Paradise). Logan entretient des rapports difficiles avec sa mère (Fairuza Balk) qui l’élève seul et ne sait pas trop quoi faire de lui. Pour éventuellement arriver à ses fins, Logan décide de se faire passer pour une fille, Leah. Il joint alors régulièrement Rodeo au téléphone pour des discussions chaudes et endiablées. Un jour, toujours sous les traits de Leah, Logan propose une rencontre concrète à Rodeo...



L’avis de Bernard Alapetite

Dans la scène d'ouverture (trop longue) de Wild Tigers I Have Known, on voit un garçon de de treize ans se masturber (sous les couvertures, Dieu merci !..) alors qu’il regarde sur une télévision une VHS (?) de piètre qualité, montrant un combat entre deux jeunes lutteurs. Ce qui sans préambule annonce au spectateur, un peu averti, que le film aura probablement pour sujet le désir homosexuel chez un jeune garçon... Cette première séquence, beaucoup trop longue, montrant les lutteurs, étant sensées être des images d’une télévision sont de mauvaise qualité et n’augurent en rien la splendeur des images qui vont suivre.



Par la suite, dans sa progression, le film met clairement en évidence les incertitudes du monde et l’effroi de grandir en sachant que l’on n’est pas comme les autres garçons. Logan, le héros, est un pré-adolescent solitaire qui commence à découvrir qu’il est gay. Il passe par plusieurs phases dans lesquelles, j’en suis sûr, bien des spectateurs gays reconnaîtront leur parcours. Par exemple dans la scène où Logan s'entretient avec une conseillère pédagogique (Kim Dickens), qui lui demande : « Te sens-tu différent de tout le monde ? » En ce qui me concerne, je me suis (banalement) toujours senti différent et constamment je me suis demandé : « Pourquoi ne suis-je pas comme eux ? » comme le fait Logan. Sans toutefois n’avoir jamais eu de regret de cette différence, bien au contraire. Ce qui ne m'empêche pas de penser que toutes les écoles du monde entier ont des élèves homosexuels qui, eux, vivent souvent difficilement leur différence.



Le style visuel du film est très brillant même s’il est dommage que Cam Archer se perde parfois dans un formalisme superficiel et ampoulé. Certains effets spéciaux vidéo, en particulier dans les visions de terreur du jeune héros, sont au final peu convaincantes. Les séquences dans lesquelles Logan fantasme sur Rodeo, elles, sont beaucoup plus réussies.

Le réalisateur a utilisé tous les trucs visuels qu’il avait dans sa besace et il s'en sert de toutes les façons possibles. Cela vire parfois au tic, comme cette manie de filmer les acteurs le plus possible dans des miroirs ou à travers un élément de décor comme un aquarium ou un grillage... Un grand soin est apporté aux couleurs, par exemple les vêtements des personnages sont accordés à la dominante colorée de chaque scène ou à l’élément principal du décor. De même, la composition de chaque plan comme son éclairage sont très étudiés. Cette sophistication extrême de l’image contraste avec la façon souvent très théâtrale qu’a Archer de mettre en place ses scènes. Une autre des particularités du film est l’utilisation du silence, le silence absolu ; Cam Archer aime à montrer de très jolies images sur un fond de rien ou alors le réalisateur surligne trop ses intentions à gros renfort de musiques.



Avec Wild Tigers I Have Known on peut parler d’un filmage impressionniste. Dans la plupart des séquences, ce sont les couleurs qui semblent rythmer les scènes qui se juxtaposent en un patchwork de styles et de dominantes de couleurs qui fait naître chez le spectateur une succession de sensations. Rarement on aura vu un film plus éloigné de tout naturalisme.



Nous sommes toujours dans le flou, jamais dans l’asséné ou le démontré. L’action n’est pas vraiment située géographiquement (le film a été tourné à Santa Cruz en Californie), on peut penser que nous sommes dans une petite ville des États-Unis, ni dans le temps même si certains éléments de décor évoquent plus les années 80 qu’aujourd’hui...



Le cinéaste, malgré sa belle assurance technique, s'englue parfois jusqu'à se noyer dans sa passion des images douloureusement kitsch et cryptées. Il reste qu’il parvient à tisser un portrait intimiste et émouvant de son héros dont la singularité m’a fait penser à celui de Rushmore, le film de Wes Anderson, grâce en grande partie à l’interprétation de son acteur principal qui est remarquable. Il est né en 1991.



Le reste de la distribution est brillante, notamment Fairuza Balk en mère de Logan, si l’on excepte l’acteur qui interprète Rodeo. Si ce dernier possède tous les attributs du teenager grunge sorti tout droit d'Elephant (Gus Van Sant est le producteur exécutif du film), il est aussi expressif qu'une courge. Il faut dire que le personnage de Rodeo est beaucoup plus complexe que le traditionnel garçon populaire de la classe dont est amoureux « la sissi » locale. Il a conscience que Logan a le béguin pour lui. Et il veut bien être son ami parce qu’il sent que Logan n'est pas comme tous les autres garçons qui veulent être son ami.



Même si, répétons le, la mise en scène audacieuse du cinéaste ne fonctionne pas toujours, il faut saluer son ambition de traduire la vision subjective du monde de Logan par une réalisation en miroir avec les rêves, les désirs et les angoisses de son héros. On y décèle alors les influences de Lynch et de Kenneth Anger. Ce n’est pas un hasard non plus si dans les remerciements figurent Jonathan Caouette et James Bolton (Eban & Charley). Le style de la narration avec l’arrivée d’une caméra subjective est parfaitement en symbiose avec ce qui se passe dans la tête du garçon dont l’esprit est de plus en plus confus et est envahi progressivement par le désir et la colère. On ne sait plus si ce que l’on voit est réel ou le fruit de l’imagination de Logan.



Il y a dans le film une référence récurrente aux lions des montagnes qui vivent dans les bois (!?). Dans l’une des premières scènes, Rodeo (cela se prononce différemment de rodéo) demande à Logan de l’accompagner dans la forêt car il veut lui montrer où gîtent ces animaux. C’est dans cette séquence que nous est révélée (et à Rodeo ?) l’attirance sexuelle de Logan pour son aîné, d’une manière troublante et qui nous parait dangereuse pour Logan...



Dans une autre scène, nous verrons un lion des montagnes. Il est alors difficile de dire, si ce que nous voyons est réel ou sort de l’imagination du jeune garçon; ce qui n’a pas une grande importance d’ailleurs. Mais il est de plus en plus évident que le lion des montagnes est une métaphore des dangers qui guettent Logan. Comme le tigre est la mascotte de son école et que les tigres sont le nom de l’équipe sportive, on peut penser que le véritable péril pour Logan vient de là.



Wild Tigers I Have Known se présente, non comme une histoire mais comme des fragments de souvenirs d’un garçon aux frontières de la puberté. Rien ne nous dit que ce que nous voyons est au présent. Cette évocation pourrait être un ultime sauvetage de pans de mémoire du garçon avant que les souvenirs se fanent. Cam Archer reprend la narration subjective des films de Gus Van Sant comme dans Paranoid park ou Elephant mais en radicalisant la démarche. On sent chez le cinéaste le souci d’enchanter le trivial de crainte que la vie de son héros verse dans l’ennui. Curieusement, le film se termine précisément là où une histoire pourrait commencer...



Cam Archer avait déjà réalisé plusieurs courts-métrages de cette veine sur des pré-adolescents, comme Bobby Crush en 2003. Le tournage de ce premier film a été phénoménal et a porté sur une période de 13 ans ! Il raconte la classique histoire d’un garçon qui tombe amoureux de son meilleur ami. A suivi The Cold Ones en 2004. Ensuite, il a signé un documentaire Drowning River Phoenix, dédié à l'acteur américain disparu, qui a soulevé de nombreuses controverses.



Le scénariste/réalisateur Cam Archer est de la même famille artistique que des cinéastes tels que Todd Solondz ou Christopher Munch. Tout comme eux, il aborde les thèmes gays, mais sans l’esprit sermonneur ou prétentieux qui contamine beaucoup de réalisations. On peut penser qu’il se base sur sa propre vie, tout en l’extrapolant largement. Tout comme Solondz, c'est un provocateur. Il s'attaque à des sujets à risque et n'a pas peur de patauger dans les eaux dangereuses pour raconter son histoire.



Le filmage de Wild Tigers I Have Known est lyrique, poétique et visuellement très intéressant, en dépit du fait qu’il n’ait pas de véritable intrigue captive.



Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Marina Foïs, Laurent Deutsch, Jeanne Balibar, Julien Baumgartner, Nathalie Richard, Caroline Ducet, Evelyne Kirschenbaum, Guillaume Quatravaux, Frédéric Karakozian, Dominique Reymond, Antoine Gouy, Pierre Maillet et Vernon Dobtcheff. Réalisation : Ilan Duran Cohen. Scénario : Ilan Duran Cohen et Philippe Lasry. Image : Christophe Graillot. Musique : Philippe Basque. Montage : Fabrice Rouaud.

Durée : 98 mn. Actuellement en salles.



Résumé :

Deux agents des services secrets français et amants sans enthousiasme, Philippe et Muriel (joués par Laurent Deutsch et Marina Foïs qui forment un couple aussi mal assorti qu’improbable, lui en petit vieux précoce, elle en cadre supérieur déjà désabusée), doivent mettre la main sur une clé USB qui contient tous les secrets d’un banquier suisse, mais surtout trafiquant d’uranium enrichi, qui vient de mourir. Il aurait laissé la précieuse clé à Constance (Jeanne Balibar), sa veuve. Cette dernière, très très bête et fantasque, s’est inscrite au cours de chant d’Eve, professeur quinquagénaire et mère abusive de Joseph, jeune et beau ténor.



Pour approcher la veuve peu éplorée, nos deux espions décident eux aussi de fréquenter le même cours. Mais ils ne sont pas seuls à avoir eu cette idée, depuis que la riche veuve s’est éprise d’art lyrique l’endroit fourmille de barbouzes qui vocalisent, dont un escort boy exhibitionniste (Julien Baumgartner), qui fait du renseignement pour arrondir ses fins de mois et qui tout en étant l’amant (entre autres) d’un espion iranien, lui aussi fort intéressé par la fameuse clé, va tomber amoureux de l’apprentie cantatrice...



L’avis de Bernard Alapetite :

Le scénario aussi emberlificoté que peu réaliste n’est pas l’important de l’affaire, il ne sert qu’à être la trame de cette épatante comédie d’espionnage qui ressuscite un genre que l’on avait un peu malheureusement perdu de vue depuis Le Grand blond à la chaussure noire, Les Barbouzes ou encore le trop méconnu Moustachu. Dans un mélange qu’il n’était pas facile de réussir, un peu de Rivette, une pincée de Lautner, une dose d’Yves Robert, Duran Cohen ajoute un ingrédient bien trop absent chez ses prédécesseurs : le sexe. Si certains penseront qu’il est un peu abusif de ranger Le Plaisir de chanter dans la rubrique des films gays, Ilan Duran Coen (ouvertement gay lui-même) nous offre tout de même une scène drôlatique de fellation où Julien Baumgartner, entre deux assauts goulus, fait son rapport à son amant et néanmoins patron, un nounours iranien aussi velu qu’un yéti.



Mais surtout, nous avons droit à la nudité intégrale longuement explorée du même Julien Baumgartner, découvert dans le très gay À cause d'un garçon et qui possède une de ces beautés qui n’est jamais plus belle que lorsqu’elle commence à se faner. Le garçon nous montre son sexe ballant, gonflé et attendrissant ; malheureusement son érection est hors champ durant sa séance de masturbation devant une Jeanne Balibar éberluée. Le moins que l’on puisse dire est que Julien Baumgartner n’est pas inhibé par le fait de jouer nu, pas plus que Marina Foïs qui ne nous cache rien de sa belle maturité.

Le réalisateur, fidèle à la confusion des genres, explore toutes les sexualités avec Jeanne Balibar au lit avec une amie de passage (Caroline Ducet) à la funeste destinée, ou le désir d’enfant qui taraude Muriel.



Mais la plastique des acteurs n’est pas le seul intérêt du film car si l’œil s’y rince, l’oreille est aussi comblée par des dialogues tantôt décalés tantôt ciselés où fusent les mots d’auteur, du Guitry du XXIe siècle. Dans son personnage, Jeanne Balibar révèle des talents comiques (que je ne lui soupçonnais pas) en conne d’anthologie. Elle m’a d’autant plus fait rire, que n’étant pas un ségolâtre, son indéniable ressemblance avec la grande prêtresse de Poitou-Charente (même grand pif à piquer les gaufrettes par paquet de quinze, même sourire extatique de madone de sous préfecture) a pour moi renforcé l’effet comique des situations. Laurent Deutsch se tire très bien d’un rôle ingrat de faire-valoir. Aucun des personnages secondaires n’est sacrifié. Et ils sont tous parfaitement distribués.



C’est avec plaisir que l’on retrouve Nathalie Richard (une actrice de Rivette, justement déjà présente dans La Confusion des genres) en oto-rhino maffieuse acoquinée avec un bear et un prostitué angélique et pervers à la fois. C’est aussi avec joie que l’on revoit Guillaume Quatravaux, le beau mec de Les Petits fils, qui réussit à faire exister un rôle de potiche (une très belle potiche tout de même). Evelyne Kirschenbaum est extraordinaire en mère possessive et professeur de chant. Si tous les acteurs sont remarquables et bien dirigés, ils sont aussi bien filmés, que ce soit nus dans un lit, caressés par une lumière dorée, ou en surplomb d’une piste d’aéroport, nimbés de lumière bleue.

Pour son troisième film après le déjà torride et réussi La Confusion des genres et l’émouvant Les Petits fils, il a aussi signé en 2006 le convainquant téléfilm Les Amants du Flore sur les amours de Sartre et Beauvoir, Ilan Duran Cohen s'est lui-même exercé à la discipline lyrique durant l'année précédant le tournage, en prenant des cours sous la férule d’Evelyne Kirschenbaum, qui joue le professeur de chant dans le film. Et Marina Foïs, Lorant Deutsch et Jeanne Balibar et les autres se sont mis au diapason. Sans trucages ni doublages, ils nous montrent qu'ils possèdent de bien belles voix. Voilà des acteurs qui ne demandent qu’à briller dans de futures comédies musicales, qu’on se le dise à commencer par Ilan Duran Cohen dont c’était la première idée lorsqu’il a mis ce film en chantier.



Comme dans La Confusion des genres et Les Petits fils, Ilan Duran Cohen a mêlé dans le casting du Plaisir de chanter acteurs amateurs et professionnels. « J'aime faire appel à des acteurs très différents qui ne sont pas uniquement acteurs, et que je choisis comme s'ils étaient neufs, rien que pour moi, sans faire référence à leurs précédents rôles, à leur passé de comédien », confie le réalisateur. « Ces mélanges sont dangereux mais très excitants. Et puis, je suis mal à l'aise dans les clans, les familles de comédiens, c'est une façon d'assurer sa liberté. Moi-même, je n'ai pas de famille de cinéma, j'apparais peut-être comme un OVNI, on ne sait pas si je suis plutôt romancier ou réalisateur. » On a pu aussi constater qu’il était d’une grande fidélité puisque nombre des comédiens qui apparaissent dans Le Plaisir de chanter se trouvaient dans ses films précédents.



Le Plaisir de chanter est la comédie de l’année, un film érotique déguisé tour à tour en film d'espionnage ou en comédie musicale, qui sait faire rire en étant sensuel.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :

Avec Jerry Lewis, Stella Stevens, Del Moore, Kathleen Freeman, Howard Morris, Buddy Lester, Skip Ward, Med Flory, Elvia Allman, Norman Alden, Marvin Kaplan, Henry Gibson, Howard Morris, Milton Frome et David Landfield. Réalisation : Jerry Lewis. Scénario : Jerry Lewis et Bill Richmond. Directeur de la photographie : Wallace Kelley. Compositeur : Walter Scharf.

Durée : 107 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :

Un timide professeur de chimie, Julius Kelp (J. Lewis), tente de conquérir le cœur d'une de ses élèves, Stella (Stella Stevens), en inventant une potion magique qui le transforme en un irrésistible playboy, Buddy Love (J. Lewis).



L'avis de BBJane :

« Jerry pense rose. » Robert Benayoun

Commençons par un lieu commun doublé d'un euphémisme : Jerry Lewis est un cas à part dans l'histoire du cinéma hollywoodien.

À l'apogée de son succès, dans les années 60, ses films attiraient les foules américaines tout en étant méprisés par la critique. En France, le phénomène s'inversa : notre pays fut le premier à considérer Lewis comme un auteur, tandis que le public réservait à ses œuvres un accueil plutôt mitigé. Il fut l'un des comédiens les plus populaires et les mieux payés de son temps, et il est aujourd'hui l'un des cinéastes majeurs les plus négligés des cinéphiles, privé de la pratique de son art par des producteurs qui le boudent depuis bientôt trente ans.

Il a fait l'objet de l'un des plus beaux livres jamais consacrés à un cinéaste par un critique français – Bonjour Monsieur Lewis, de Robert Benayoun –, et ses films furent abondamment disséqués dans les années 60-70. De nos jours, son œuvre n'est plus évoquée dans aucune revue, et les médias ne s'intéressent à lui qu'une fois par an, à l'occasion du Téléthon, dont il fut l'instigateur.

Dans les nombreuses études qui lui furent jadis dédiées, les commentateurs s'extasiaient sur ses innovations et prouesses techniques, sa maîtrise virtuose du gag visuel, son art consommé de coloriste, le caractère iconoclaste, voire subversif, de son comique résolument ancré à gauche, et empreint d'un humanisme pessimiste.

Si la plupart des exégètes en appelaient à Freud pour élucider les implications sexuelles de ses films et justifier sa critique soutenue du matriarcat, s'ils s'étendaient volontiers sur le caractère conflictuel mais fondateur du duo qu'il forma avec Dean Martin, s'ils tombaient en pâmoison devant ses options picturales bariolées et outrancières, aucun n'a jamais risqué plus qu'une timide allusion à ce qui relève pourtant de l'évidence : l'univers lewisien, visuellement, thématiquement, est l'un des plus totalement queers jamais vus à l'écran.

L'esthétique « gay-kitsch-camp » y est souveraine, et le « personnage Jerry », développé par Lewis de film en film, peut être considéré comme l'une des incarnations cinématographiques les plus accomplies d'un caractère queer en mal d'adaptation au monde straight.

J'aimerais en faire la démonstration à travers l'étude de son film le plus connu (et le plus apprécié en France), Docteur Jerry et Mister Love, œuvre charnière dans sa filmographie, en ce sens qu'elle marque l'aboutissement de son parcours artistique, à l'orée d'une « seconde période » qui, bien que riche en réussites, n'apportera aucun renouvellement notable.

Jerry Lewis, le plus gay des grands cinéastes hétéros ?..

Comment résister à la tentation d'attribuer ce titre à un homme qui, le mois dernier, attisait la colère d'une partie de la communauté homo (en l'occurrence bien bêcheuse et chochotte) pour avoir prononcé – une fois de plus et de trop – le mot "faggot" (pédé) lors d'une interview télévisée ?

Oui, décidément, Mister Lewis est un cas à part...

 

Il existe une toute autre façon d'envisager l'intrigue ; une optique moins conventionnelle, mais nullement décalée, et relevant d'autant moins du délire interprétatif qu'elle explique et résout ce que l'approche habituelle soulève d'incohérences scénaristiques.

Voici le résumé alternatif qui peut en découler :

Le professeur Kelp, homosexuel honteux et refoulé, s'emploie à affirmer sa virilité en tentant d'amorcer une relation amoureuse avec l'une de ses élèves, et en suivant des séances de culturisme. Ses échecs successifs le font opter pour une autre méthode, artificielle et chimique : il invente une potion lui permettant de devenir le mâle idéal, l'hétéro parfait, séducteur machiste et baraqué : Buddy Love. Mais il ne peut annihiler sa véritable nature, laquelle réapparaît aux moments les moins opportuns, et l'empêche de concrétiser physiquement la liaison entamée avec son étudiante. Au fil du temps, son autre personnalité, Buddy Love, révèle de plus en plus nettement ses propres inclinations sexuelles – identiques à celles de Kelp. Ce dernier finit par renoncer à l'usage de sa potion – mais non à la dissimulation de ses penchants, puisqu'il épousera son élève afin de donner le change à sa famille et à son entourage professionnel.

Moralité : si l'on n'échappe pas à ce qu'on est, mieux vaut n'en rien laisser paraître !


Les saines lectures du Dr Jerry

 

On a beaucoup glosé sur le fait que Lewis (à l'instar de Terence Fisher, deux ans plus tôt, avec The Two faces of Dr Jekyll) inversait les données du roman de Robert-Louis Stevenson dont il s'inspirait, à savoir : Jekyll/beau contre Hyde/laid. En vérité, cette inversion va au-delà de l'aspect physique des personnages. Elle est ici totale : la créature hideuse et le monstre social (car queer), c'est Jekyll/le professeur Kelp ; l'être séduisant et conforme aux attentes de la société, c'est Hyde/Buddy Love.

Le générique du film nous montre le professeur effectuant une expérience en classe. Seules ses mains sont cadrées, tandis qu'elles s'activent autour de diverses cornues et autres objets de chimie phalloïdes, jusqu'à ce que se produise une explosion ayant valeur d'orgasme.

Tentative symbolique de destruction de l'ordre établi, comme l'écrivirent les critiques ? Sans doute, mais également séance d'onanisme exhibitionniste, suscitant la fuite des témoins (les étudiants) d'abord médusés, puis indignés.


Fais gaffe, Jerry !.. Ça rend sourd !..

 

De manière significative, c'est dans un placard que Kelp se retrouvera coincé par l'un de ses élèves, qui veut ainsi se venger du fait que le professeur lui ait interdit de se rendre à un entraînement de foot. Car Kelp n'éprouve aucun intérêt pour le sport (carence souvent suspecte aux yeux de la jeunesse américaine), et manifeste même un certain mépris à l'égard de cette discipline.

Pour ne rien arranger, il n'est pas davantage intéressé par les femmes – on se demande, à ce propos, où les commentateurs du film sont allés pêcher l'idée qu'il crée avant tout sa fameuse mixture pour séduire son élève Stella, si l'on considère l'absence totale d'érotisation de leurs rapports.

Dans l'ensemble des films de Lewis, le potentiel érotique des personnages féminins est généralement fort congru (nous sommes loin, sur ce point, des notations graveleuses d'un Mel Brooks, et du cinéma comique américain en général). Même dans Le Tombeur de ces dames (The Ladies' man - 1961), où le pôle majeur de l'intrigue est la séduction féminine, celle-ci n'est appréhendée que comme un objet d'effroi ; elle se manifeste à travers un glamour sacralisé et quelque peu figé, n'ayant rien de charnel – mais typique, en revanche, de l'imagerie gay.

 

Jerry in the closet

 

Si ce n'est de séduire, quelle est l'utilité de la potion ?

Tout simplement de changer son image, de faire naître une personnalité acceptable par ses concitoyens, ne laissant plus rien subsister de la nature profonde de Kelp. La finalité de l'expérience n'est pas d'ordre sentimental, mais social : il s'agit, pour le professeur, de perdre sa voix haut perchée, ses manières efféminées (voir l'extraordinaire scène du bal de l'université, où Kelp se laisse gagner par le rythme de la musique, et entame une sorte de danse immobile où s'exprime la folle cachée en lui), de devenir, non pas ce qu'il rêve d'être, mais ce que les autres souhaiteraient qu'il soit. Un symbole de ce besoin d'en faire accroire qui taraude le professeur, peut être vu dans sa montre-gousset, laquelle, une fois ouverte, laisse échapper les accords tonitruants de la « Marche des Marines » – il la laissera accidentellement choir dans un aquarium, noyant ainsi son effort d'affirmation de ce qu'il n'est pas.

Contrairement à ce qui se passe chez Stevenson, Jekyll/Kelp ne libère pas son "Ça" en devenant Hyde/Love, mais son Surmoi.

 

Ceci n'est pas un câlin

(Le professeur Kelp au gymnase)

 

La scène de transformation – moment de bravoure dans toute adaptation du roman de Stevenson – offre une vision grotesque du processus de virilisation. Avant de devenir un mâle accompli, Kelp passe par un stade quasi neanderthalien, devient une sorte d'homme des cavernes couvert de poils, comme si l'accès à la forme idéale de la masculinité impliquait une régression, un retour à la bestialité. Il est intéressant de noter qu'au stade ultime de sa transformation, le professeur se recroqueville sur le sol de son laboratoire dans une mare de produits chimiques aux couleurs de... l'arc-en-ciel.

Malheureusement pour Kelp, si Buddy Love s'avère être l'incarnation parfaite du tombeur hétéro, infatué de son charisme et plein de morgue, il n'en présente pas moins certains traits ambigus. Et si son pouvoir de séduction opère assez largement sur le sexe opposé (non sans certaines réserves que nous verrons plus loin), il ne manifeste aucune envie spontanée d'en user, et semble tirer tout autant de satisfaction – sinon davantage – du prestige qu'il exerce sur les hommes.

 

Over the rainbow

 

Grisé par sa propre apparence, Buddy Love goûte avec délection aux plaisirs narcissiques, s'attirant bientôt cette remarque de celle qu'il est censé courtiser : « Tu auras une longue histoire d'amour avec toi-même. »

Lors de son entrée, filmée en caméra subjective, dans la boîte de nuit "The Purple Pit" (aux couleurs moins pourpres que roses), sa vue arrache un hurlement à l'une des demoiselles qu'il croise. Le visage de Buddy nous est montré pour la première fois suite à ce cri d'effroi, plutôt que d'extase, qui semble faire office d'avertissement : derrière l'image du bellâtre se cache quelque chose de terrifiant, qui ne saurait échapper aux yeux de certaines femmes.

Love se dirige directement vers Stella, l'élève que le professeur Kelp s'est désignée comme compagne possible. Mais la jeune fille sage et un brin timorée de l'Université, apparaît sensiblement plus féminine et libérée dans le cadre de la boîte de nuit, ce que Love semble apprécier modérément (il refusera de l'embrasser parce qu'elle porte du rouge à lèvres). Il manifeste une attention plus décomplexée aux jeunes hommes présents dans la boîte, que ce soit pour s'affronter à eux (il rosse l'un des élèves de Kelp), ou pour les taquiner gentiment (« Je vous laisserai jouer avec mon porte-clef » dit-il à un groupe de garçons pour les inciter à lui céder leur banquette).

 

Les caïds du "Purple Pink"... euh, pardon : "Pit"... À croquer !..

 

Quand Love se manifestera au campus où enseigne Kelp, ce sera pour jouer une singulière autant qu'hilarante comédie de la séduction avec le doyen de l'établissement, poussant ce dernier à dévoiler sa face cachée : celle d'une vieille tante émoustillée par la présence de ce bel homme entre ses murs. Ces scènes de parade amoureuse entre un homme mûr, détenteur de l'autorité ou de la force, et un élément perturbateur plus jeune, sont fréquentes dans le cinéma lewisien. La séquence dans le bureau du doyen en offre une expression définitive : elle s'achève par le déculottage du noble vieillard, après que Buddy lui a tourné la tête en le féminisant verbalement (il ne s'adresse à lui qu'en termes féminins : « Ma grande » ou « Fais pas ta modeste »), et en le comparant à Cary Grant (grande figure de l'homosexualité hollywoodienne, s'il en fut).

 

Pas folle, la guêpe ?

(Del Moore en plein émoi)

 

Mais c'est surtout dans ses rapports avec Stella que se révèle la nature profonde de Buddy Love. Ce séducteur impénitent est incapable de dépasser le stade du flirt, n'embrasse la jeune fille qu'à la sauvette et avec une gêne marquée, et, lorsqu'il est sur le point de passer aux choses sérieuses, doit y renoncer pour cause de transformation inopinée en professeur Kelp ! Sentant sa personnalité initiale prendre le dessus, il s'enfuit à toutes jambes du lieu où doit se dérouler l'étreinte tant attendue – par Stella...

Quand celle-ci se plaindra à Kelp du comportement décidément étrange de Buddy, le professeur lui répondra que Love « cache sa vraie nature pour éviter qu'on lui fasse du mal. »

Quelle « vraie nature » ?... "Quel « mal » ?.. S'il faut trouver une explication à cette réplique sibylline, je ne la vois que dans une réaction de dissimulation protectrice contre les attaques homophobes.

Stella aura cette repartie amère et révélatrice : « Je me sens comme une mariée le soir de ses noces, dont le mari va dîner chez sa mère ! »

C'est précisément le souvenir de cette mère que Kelp invoquera lorsqu'il s'interrogera sur les véritables raisons de sa double personnalité, et sur les effets contrastés de sa potion. Et la vision que nous aurons d'elle sera conforme en tout point à l'image classique de la mère lewisienne : une épouvantable matrone régnant par la terreur sur son entourage, et particulièrement sur son chétif époux – mère forte, père craintif : on connaît la chanson...

 

Notre Mère qui êtes odieuse...

(Elvia Allman)

 

Selon la tradition, le film s'achève par la révélation de la véritable identité de Hyde/Love devant des tiers – ici, tout un parterre, puisque l'événement se déroule lors du bal annuel du campus, où Buddy Love est convié à chanter. Plus que jamais, cette scène classique des diverses adaptations de Jekyll et Hyde prend valeur de "coming-out".

Alors qu'il doit entamer une nouvelle chanson (« Qui plaît beaucoup aux copains du 'Purple Pit' », précise-t-il, avant de prier le doyen transi de lui pardonner d'avoir nommé ce lieu de débauche), notre crooner se retrouve inopinément affligé de la voix de fausset de Kelp, puis recouvre l'apparence disgracieuse du professeur.

Pour s'excuser d'avoir trompé son entourage, il déclare renoncer à se transformer désormais en Buddy Love : « Je ne veux pas être ce que je ne suis pas. Il faut s'accepter tel qu'on est. »

Une résolution d'autant plus facile à prendre que l'identité de Buddy trahit finalement plus nettement ce qu'EST le professeur...

En ce sens, les propos de Kelp, loin de constituer une apologie de la transparence et de la réconciliation avec soi-même, prennent un goût terriblement saumâtre. Ils n'annoncent pas une volonté de s'assumer en tant que gay, mais l'inverse. En demeurant Kelp, le professeur s'expose moins, tout compte fait, à exprimer/trahir sa nature authentique, qu'en continuant d'être le trop fantasque, voyant et tapageur Buddy Love.

Il peut même envisager de convoler avec Stella, qui se révèle être le type parfait de la « fille à pédés » – lorsque Kelp lui déclare : « Je ne serai jamais le mâle que vous voulez », elle lui assure que c'est aussi bien comme ça !

Le film s'achève sur un plan de Stella et Kelp s'éloignant de la caméra, bras dessus bras dessous. Dans les poches arrières du pantalon de la jeune fille, on remarque plusieurs flacons de la potion magique, qu'elle emporte à l'insu de son compagnon...

Au cas où la fade cuisine du couple hétéro aurait besoin d'être relevée par un filet de piment queer ?..

 

La danse de Saint Gay

 

Pour plus d’informations :

La fameuse danse de Saint Gay, justement !... Si vous déniez du génie à ce type, je me refais hétéro !... C'est ici, et sur VouzenTube... in Gorgeous Gay Colors !..

Son remix queer, par Biggie... Pas indispensable, vu que ça souligne l'évidence, mais sympa quand même...



Fiche technique :
Avec Brad Hallowell, Gregory J. Lucas, Jennifer Stackpole, Mindy Hofman, Charles Ard, Theodore Bouloukos, Michael John Dion, Hilary Mann, Nathan Johnson, Jennifer Mallett et Gregg Anderson. Réalisation : Todd Verow. Scénario : Todd Verow & Jim Dwyer. Image et montage : Todd Verow. Musique : Jim Dwyer & Colin Owens.
Durée : 104 mn. Disponible en VO et VOST.

 


Résumé :
Joe (Brad Hallowell) 18 ans, vit avec sa mère, une marie-couche-toi-là, et sa sœur aînée Theresa (Hilary Mann). On apprendra qu’il a été violé à l'âge de dix ans,  mais il a décidé de garder le secret. Il est dans sa dernière année de lycée et espère entrer après dans une école d’art. Il devient ami avec Victor (Charles Ard), un vieil artiste pour lequel il pose nu. Il vient habiter avec lui, espérant que le peintre l’aidera à échapper à la médiocrité de son milieu. Alors que l'horreur et le vice rôdent autour de lui, Joe tente par tous les moyens de s'en sortir et d'échapper à un destin minable et inéluctable s’il reste dans le quartier de Capeheart Projects dans la petite ville de Bangor, dans le Maine, banlieue blanche où tout est un peu étrange sous des apparences de normalité et où il est très difficile de s'épanouir, surtout lorsque l'on est, comme Joe, gay et amoureux de son meilleur ami, Andrew (Gregory J. Lucas), la vedette locale de football américain. Andrew, lui, n'assume pas son homosexualité. Il continue à sortir avec la chef des majorettes. Joe accompagne le couple dans leurs virées, suivi de Kriss (Mindy Hofman), la classique fille à pédé. Lasses d'attendre le grand soir, où leurs hommes enfin les dépucelleront, les deux jeunes femmes finissent par réaliser l'attirance réciproque des deux garçons. Elles vont alors devenir le catalyseur de leur première relation sexuelle... 


L’avis de Bernard Alapetite :
On peut penser que Todd Verow, qui a adapté à l’écran en 1999 Frisk, le célèbre roman de Denis Cooper, transpose l'histoire de sa jeunesse dans Vacationland. Il est en effet né en 1966 à Bangor dans le Maine, lieu où se déroule l’intrigue du film qui, cinématographiquement commence bien. Le réalisateur, dans les dix premières minutes, réussit, en quelques séquences justes, en particulier celle d’une mémorable drague dans des toilettes, à faire exister son héros avec la seule grammaire du cinéma; il y a peu de dialogues. Nous pourrions être alors dans le meilleur Gregg Araki. Mais les choses commencent à se gâter lorsque Joe rencontre sa sœur, Hilary Mann, peu crédible comme l’ensemble de la distribution féminine. Et cela continue très mal avec l’adjonction, aussi inopinée que calamiteuse, de la voix off de Joe nous expliquant qu’il est amoureux de son meilleur copain, Andrew, ce que l’on avait compris dès les premières minutes.


On sent tellement que ce procédé (affreusement mal postsynchronisé, avec un effet de son « cathédrale » des plus gênant) n’est fait que pour masquer l’incapacité du cinéaste à filmer une scène dans laquelle il montrerait la force de cet attachement, cela parait un peu pitoyable. Todd Verow fait suivre cette maladresse par une belle idée de mise en scène, une séquence dans laquelle Joe pose nu (malheureusement nous ne verrons pas grand chose de son appétissante anatomie) devant un peintre qui lui demande de se raconter pendant qu’il le dessine, un habile subterfuge pour nous informer sur le garçon. La mise en scène fera ainsi alterner le pire et le meilleur tout au long du film. Malheureusement, le pire est beaucoup plus fréquent que le meilleur.
Par le biais du portrait d’un jeune gay égaré dans une petite ville de l’Amérique profonde, Vacationland se veut un constat sombre, mais pas désespéré, sur une jeunesse en mal de repères. Nous assistons à l’apprentissage mutuel de la sensualité entre Andrew et Joe. C’est la partie la plus réussie du film et sans aucun doute la plus autobiographique, on y sent le vécu. Une des faiblesses du film est son incapacité à mêler l’autobiographie et le romanesque. On est en plus gêné de reconnaître un peu trop facilement les sources de ce romanesque dans les emprunts maladroits aux films L.I.E. (Long Island Expressway) de Cuesta, Bully de Larry Clark et surtout à Mysterious skin de Gregg Araki.


Les meilleurs amis abandonnent leur innocence en devenant amants. Ainsi, vaille que vaille, ils peuvent mieux affronter cet univers occasionnellement traversé de violences.
À la relation amoureuse de Joe et Andrew, une belle brochette de personnages secondaires compose un arrière-plan que l'on se serait accordé à trouver attachant si la plupart d'entre eux n’étaient pas malheureusement restés au stade d'ébauche. Ce regrettable manque de développement des seconds rôles gêne jusqu’à la compréhension complète du film.

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Il fut un temps où, en particulier dans le cinéma américain, tout était montré, remontré, expliqué aux spectateurs, niais qu’ils étaient sensés être, de peur qu’ils ne saisissent pas le moindre tenant et aboutissant. Aujourd’hui la nouvelle tendance est « d’oublier » de tourner quelques pages du script ou de ne pas montrer certaines scènes en se disant que cela fait plus « arty » ou que ces morceaux inédits feront des bonus vendeurs pour le futur DVD : voici arrivée l’ère des films gruyères ! C’est le cas de Vacationland, dont le scénario a de véritables béances, tout en nous infligeant des plans inutiles comme ceux du décollage de l’avion qui emporte la sœur de Joe pour un monde qu’elle espère meilleur. La frustration est en partie atténuée pour les possesseurs du DVD (qui annonce en bonus des coulisses qui sont introuvables), grâce aux scènes coupées qu’il propose heureusement en bonus. Ainsi, nous découvrons la personnalité du professeur LaBlanc (Nathan Johnson), personnage que l’on suppose envisagé comme important, puis finalement réduit à la portion congrue, dans une courte séquence dialoguée qui aurait bien mérité d'appartenir au montage final, comme la quasi totalité des images non retenues. Il aurait juste fallu abréger les déambulations solitaires de Joe et d’Andrew qui avaient leur utilité, puisqu’elles nous font découvrir Bangor. Même avec ces ajouts, le film serait demeuré lacunaire. Le scénario, aux ellipses souvent brutales, abonde en situations arbitrairement laissées en suspens.


La distribution pose aussi problème, composée en majorité d’acteurs inexpérimentés qui ont parfois un jeu approximatif et un âge rarement adéquat pour leur rôle. Les deux protagonistes principaux font preuve d’une spontanéité touchante qui ne peut qu’engendrer la sympathie du spectateur et puis même s’ils sont bien mal appairés, ils ne sont pas désagréables à regarder...

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En revanche, les actrices jouant les lycéennes, de vraies caricatures, sont beaucoup trop âgées, certes ce sont de telles idiotes que l’on peut penser qu’elles ont redoublé plusieurs fois (mais ce n’est pas une pratique américaine), quant à la femme jouant la mère de Joe, elle est  ridiculement trop jeune !

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Vacationland est tourné en D.V., avec des moyens visiblement dérisoires. La photo est fréquemment sous-exposée et parfois sur-éclairée ! Mais souvent on voit très bien qu’il n’y a pas d’éclairage additionnel du tout. Le manque de moyens et de maîtrise technique ruinent complètement l’effet qu’aurait dû produire sur le spectateur la scène de vengeance qui aurait du être l’acmée de l’œuvre. Elle nous parait comme filmée par un mauvais cinéaste amateur.


Le paradoxe du cinéma de Verow, qui débouche au final sur une impuissance, c’est qu’il allie des sujets sexuels à une réalisation pudibonde : c’est à peine si on aperçoit quelques secondes les fesses de Joe, alors même qu’il est modèle pour un peintre, qu’il fait le gogo dans une boîte, qu’il couche avec son meilleur ami (consentant), qu’il drague un mec pour lui voler son argent, qu’il tripote son prof de français dans les toilettes de son lycée pour lui extorquer un diplôme, et qu’il entraîne son ami-amant dans une vengeance sordide dans laquelle il sert d’appât sexuel !

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Il est indéniable que Todd Verow a le potentiel pour nous offrir des films de qualité. Il faudrait seulement qu’il admette que faire un film est une œuvre collégiale et que l’on ne peut pas être à la fois le réalisateur, le scénariste, le directeur de la photo et le monteur d’un film. Ce qui ne le privera pas de se coltiner avec la grammaire du cinéma qu’il semble encore loin d’avoir assimilée.

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Vacationland est un film un peu « sexe », pas assez en fait, surtout romantique, d'un réalisme à fleur de peau, parfois à la limite du glauque avec quelques très beaux moments émergeant difficilement d’un amateurisme complaisant.
Pour plus d’informations :
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Fiche technique :
Avec Lizzie Brocheré, Jean-Christophe Bouvet, Valérie Mairesse, Arthur Dupont, Pierre Perrier, Nicolas Nollet, Guillaume Baché Mathieu Boujenah, Guillaume Gouix, Fabrice Michel et Karl E Landler. Réalisation : Jean-Marc Barr et Pascal Arnold. Scénario et dialogues : Pascal Arnold. Compositeur : Irina Decermic. Son : Pascal Armant. Montage : Chantal Hymans.
Durée : 95 mn. Bientôt en DVD.



Résumé :
Pierre (Arthur Dupont) et Lucie (Lizzie Brocheré) sont frère et sœur. Ils vivent une relation quasi incestueuse, ce qui ne les empêche pas de vivre en symbiose avec trois garçons, leurs amis d'enfance. Ils montent leur groupe de rock et font l'amour ensemble... Lucie sort avec Sébastien, après avoir flirté avec Nicolas. Mais ce dernier vit aussi une histoire amoureuse avec Pierre qui vend son corps aux notables locaux, en particulier à Vincent (Jean Christophe Bouvet) un adepte du rituel de la partouze mensuelle.
Un soir, Pierre ne rentre pas chez lui. Lucie et sa mère (Valérie Mairesse) s'inquiètent. La police finit par découvrir son cadavre. Il a été battu à mort.
Sans piste, l'enquête piétine. Lucie est déterminée à découvrir la vérité et traque les suspects...
Genre : enquête du Club des cinq monté en graines, filmée par un Hamilton qui aurait oublié sa vaseline (que l’on ne se méprenne pas, la vaseline est à mettre sur l’objectif pour réaliser des flous non artistiques).


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L’avis de Bernard Alapetite :
Avant toute chose, en étant conscient de ma grande outrecuidance, j’aimerais rappeler à nos deux cinéastes quelques règles du cinématographe qu’ils ont apparemment oubliées.
Premièrement : pour donner du mouvement à une scène statique, la caméra portée n’est pas la seule solution. Elle est même fortement déconseillée quand comme ici, le cadreur vibre comme une chaufferette ! Le pied de caméra évite le piège du bord du cadre vibrant. Il me parait la bonne solution quand les protagonistes, eux, sont statiques et puis le plan fixe permet de travailler le cadre, ce qui n’est visiblement jamais le cas dans ce film. Il permet en outre le panotage. Il me semble que même un petit budget peut s’offrir cet investissement qu’est la location d’un pied. Plus cher mais beaucoup moins statique : le travelling avec ses rails, son chariot et son musculeux pousseur qui peut parfois réjouir un ou plusieurs membres de l’équipe, extravagance complètement ignorée de cette production. Pour ne rien dire des grues et autres steady cam tout aussi inconnues au bataillon de Chacun sa nuit.


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Autre solution, faire bouger ses comédiens : entrée de champ, sorties de champ... Parfois, dans l’opus de nos deux compères, on craint que la troupe soit devenue paralytique. Mais il devait faire chaud et par économie, pour éviter la transpiration et donc des raccords de maquillage, on a sans doute conseillé aux acteurs de ne pas trop bouger. Pour donner de la vie au cadre, on peut le faire traverser par des figurants. Dans le cas présent, l’assistant en charge de la dite figuration a du vivre un tournage reposant.


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Deuxièmement : il n’y a pas de mal que le cinéaste se fasse plaisir mais il est conseillé qu’il le fasse partager aux spectateurs.
Vu la vacuité de l’intrigue, on aura compris que le but à peine caché du film était de permettre aux cinéastes de filmer des corps dénudés, surtout masculins, à peine post-adolescents. Il n’y a aucun mal à cela, à condition de se souvenir qu’il est indispensable de ne pas être égoïste. C’est le moment d’être prosélyte. Sur l’écran, nous voyons cette belle brochette d’anatomies filmée avec la même sensualité que s’il s’agissait d’une collection de coléoptères. Pourtant la plastique de Pierre Perrier n’a rien perdu de son attrait depuis Douches froides.


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Il aurait été bon, avant par exemple de tourner la scène de sexe à trois, que nos mateurs patentés revoient celle de la fin du Ken Park de Larry Clark. Soyez charitable envers les réalisateurs : si vous avez la très mauvaise idée d’aller voir Chacun sa nuit, en rentrant chez vous ne mettez pas le film de l’Américain dans votre lecteur de DVD. Car l’inspiration évidente du film est bien Larry Clark et plus précisément Bully, dont le scénario est proche. La comparaison est accablante mais la charité chrétienne est une vertu mal partagée chez les critiques de cinéma.


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Malheureusement pour notre tandem, le hasard des sorties en salle le met en concurrence avec un autre film français abordant lui aussi la relation frère-sœur. La relation fusionnelle de Chacun sa nuit ressemble à celle à l’œuvre dans le film de Philippe Lioret, Je vais bien, ne t’en fais pas. Même attachement viscéral, et par conséquent même vide abyssal lorsque le frère disparaît mystérieusement. Mais la ressemblance s’arrête à l’anecdote. Là où Je vais bien, ne t’en fais pas décline avec pudeur l’histoire d’une famille comme tant d’autres, Chacun sa nuit né d’un fait-divers glauque ne met en scène que des corps complètement déconnectés de notre monde.


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Troisièmement : l’utilisation de la voix off est très délicate et si possible à éviter. Bien sûr, l’histoire du cinéma est balisée par de grands films ayant utilisé ce procédé des Mémoires d’un tricheur à American beauty par exemple mais le moins que l’on puisse dire, c’est que Pascal Arnold n’est pas Sacha Guitry. Il réussit ce tour de force de faire à la fois plat et emphatique. Dans Chacun sa nuit, la voix off n’est qu’une béquille pour tenter de faire exister les personnages, ce qu’elle ne réussit jamais et ce que l’image ne parvient pas plus à faire. Les personnages n’ont aucune épaisseur, aucune réalité pas plus psychologique que sociologique. Le résultat, c’est que l’on n’éprouve aucune émotion devant cette pourtant tragique histoire dont on évente très vite le pseudo suspense.


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À l’indigence du texte s’ajoute un grave défaut : celui d’un trop grand nombre de personnages qui n’ont pas le temps d’exister à l’écran. Jean-Marc Barr nous apprend que le montage initial durait 2h20, ceci explique peut-être cela…

La construction morcelée en flashbacks, dont le modèle semble être le très beau Presque rien de Sébastien Lifshitz, au lieu d’apporter un regard nouveau sur le récit, ne fait qu’enrober cette triste histoire d’un mystère de pacotille.


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Vous me direz, pourquoi s’acharner sur un si mauvais film qui n’appellerait que le silence s’il n’était pas symptomatique de la misère du cinéma français qui ne propose souvent que l’alternative entre un voyeurisme impuissant (Chacun sa nuit) et une nostalgie moisie (Le Grand Meaulnes). Deux films sortis le même mois. D’autre part, la lecture du dossier de presse et les déclarations des auteurs relèvent d’une telle infatuation, ou pour le dire plus crûment de gens qui pètent beaucoup plus haut que leur cul, que cela appelle un bon coup de gueule. Que l’on en juge plutôt : « 
ce n'est pas l'élucidation circonstancielle du crime qui nous a intéressé, c'est la relation que le spectateur instaurera entre sa scandaleuse absence d'explication et l'expérience hédoniste dans lequel le film inscrit désespérément ses protagonistes » ou encore « Nous souhaitons créer un cinéma novateur dans le paysage français avec la volonté de faire "autrement". Nous avons filmé en numérique, sur le modèle du cinéma indépendant américain mais avec la touche intimiste française ». Le franco-américain Jean-Marc Barr aurait peut-être du se rendre au dernier festival de Sundance et voir Brick, film qui lui aussi met en scène la jeunesse… Et voir le dernier film de Michael Cuesta, 12 and Holding, déjà auteur de l’indispensable L.I.E., autant de films qui traitent du sexe et de la violence chez les adolescents.
Il est sidérant de voir aussi combien Jean-Marc Barr est incapable d’utiliser les magnifiques lieux de tournage, soit la Provence près d’Aix et plus précisément le massif de la Sainte Victoire. On constate que ce qui a manqué aussi à ce film, c’est un directeur de la photo. En voyant Wilde side, on peut imaginer ce que par exemple Agnès Godard aurait apporté au film.


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Il ne faut pas oublier de rendre hommage aux comédiens qui doivent défendre une telle partition. Arthur Dupont, que j’ai vu assez justement comparé à un jeune et joli Belmondo, et plus encore Lizzie Brocheré, découverte dans Une autre femme, font preuve d’une réelle présence. Pierre Perrier et Guillaume Baché ne déméritent pas non plus. Ainsi que les acteurs devant interpréter de grossiers clichés (les pachydermiques et convenues fausses pistes de l’enquête) comme Karl E. Landler dans le personnage de l'idiot du village, évidemment doué de talents divinatoires, ou Jean-Christophe Bouvet en notable – bien sûr – organisateur de partouzes. On lui doit d’ailleurs l’hilarant sommet du ridicule du film lorsque Vincent (Bouvet au bord de l’apoplexie) couvre les épaules de son amant, pour qu’il ne prenne pas froid, d’un lourd manteau de fourrure alors qu’il se désaltérait nu après l’amour dans la cuisine…
En son temps Grande École avait obtenu le prix de la daube gay de l’année. Je ne vois pas comment le prix 2006 de la daube gay de l’année pourrait échapper à Chacun sa nuit.

Pour plus d'informations :



Fiche technique :

Avec Giovanni Andrade, Brent Fellows, Ellie Nicholson, Drew Zeller, Pam Munter, Ron Upton, Nolan Chard, Deanna Alexich et Jennifer Utley. Réalisation : James Bolton. Scénario : James Bolton. Image : Judy Irola. Montage : Elizabeth Edwards. Son : Daniel Palin. Musique : Stephin Merrit.

Durée : 89 mn. Disponible en VO et VOSTfr.



Résumé :

Eban (Brent Fellows), 29 ans, ex-professeur de football, retourne dans sa ville natale pour vivre chez ses parents. Il se lie d'amitié avec Charley (Giovanni Andrade), un adolescent de 15 ans qui vient de perdre sa mère. Eban et Charley découvrent que leurs singularités dans cette petite ville côtière se ressemblent. Ils aiment tous les deux jouer de la guitare, se promener sur la plage, faire des ballades en bicyclette, discuter de poésie... Ils entreprennent peu à peu une relation amoureuse, malgré la menace du père d’Eban (Ron Upton) qui prend conscience de la situation.



L’avis de Bernard Alapetite :

Avant toute chose, il faut remercier Bolton pour le courage qu’il a eu à traiter dans son premier film la relation amoureuse et sexuelle entre un garçon de 15 ans et un adulte.

Ensuite, il faut louer sa lucidité pour avoir choisi Giovanni Andrade pour le rôle de l’adolescent. Il dégage une présence incroyable à l’écran. Mais on ne pouvait se douter que le joli garçon sensible qui crève la toile deviendrait quelques années plus tard un des performers les plus en vue de la scène underground new-yorkaise et surtout un remarquable graphiste connu sous le nom de Gio Black Peter (voir chronique ci-dessus).



Le choix de Brent Fellows pour interpréter Eban est judicieux. Bolton n’a pas fait l’erreur de le choisir trop beau. Avec son physique ingrat et son attitude un peu fuyante, Eban n’obtient pas d’emblée la sympathie du spectateur ; au début, on le perçoit même comme un prédateur. Il la conquiert in fine parce que l’on s’aperçoit qu’il est un garçon fragile, un peu perdu et qu’il n’y a pas que le corps de Charley qui tente Eban… mais qu’il est véritablement amoureux du garçon.

Au fil du film, on découvre que le plus mature n’est pas l’aîné mais le plus jeune des garçons. Cette inversion des rôles est la grande idée du scénario.



Bolton a fait de nombreux choix heureux pour son scénario, comme celui de faire de Charley un garçon qui ne semble pas avoir une inclinaison sexuelle avant sa rencontre avec Eban. Cela semble être la première fois pour lui. Eban a un passé qui est moins gratifiant. Eban semble aussi un peu "bête", ne réalisant pas complètement ce qu’il se passe pour lui. Il semble souvent incapable de s'exprimer en adulte et de justifier ses actes et ses sentiments.

Le rythme du film est lent. On partage avec les deux amoureux d’heureux moments de leur quotidien. Pourtant, jamais on ne s’ennuie, tant on sent qu’une terrible menace plane au-dessus de ce bonheur simple.



Eban & Charley, s’il n’est en aucun cas un film militant (ni les protagonistes ni leur relation ne sont idéalisés) est néanmoins un film moralement important car il déculpabilise les relations intergénérationnelles pour ceux qui ont vécu une telle expérience qui, aujourd’hui, sont stigmatisées par la société, peut-être comme jamais elles ne l’ont été.

Eban & Charley a été un des premiers films tournés en numérique, d’abord pour des raisons d’économie mais aussi parce que la caméra numérique permet d’être plus près des acteurs et est idéale pour filmer les scènes intimistes. D’autre part, elle est moins intimidante pour des acteurs débutants comme l’étaient ceux du film. En outre, elle permet une plus grande liberté de déplacement aux acteurs : c’était donc un très bon choix. Bolton était aussi très tenté par les principes du « Dogme » qui, alors, connaissaient une certaine vogue. Mais si le label « Dogme » lui aurait valu quelques subsides supplémentaires, il l’aurait privé de la musique qui est très belle. La B.O. a connu un succès bien supérieur à celui du film ; elle tient une place essentielle dans Eban & Charley.



L’image est presque toujours belle. Les scènes d’extérieur sont les plus réussies et c’est très bonne idée d’avoir situé cette histoire dans un petit port de pêche pittoresque (le film a été tourné dans l’Oregon). On décèle cependant quelques erreurs de lumières dans les scènes d’intérieur, ainsi que quelques faux raccords.

Quelques approximations scénaristiques nuisent également à la crédibilité de l’entreprise. Le plus gros défaut du scripte est celui d’avoir voulu ramasser la relation d’Eban et Charley dans la durée des vacances scolaires. Ce qui n’est guère crédible et est en contradiction avec le rythme lent du film qui montre bien comment chacun, petit à petit, s’apprivoise. On comprend bien qu’ainsi Bolton a voulu échapper (en particulier) aux incontournables scènes de collège qui sont coûteuses en figuration et difficiles à régler. Mais en cinéma, la facilité est presque toujours ennemie de la vérité.



Dans le montage final Bolton, timoré, n’a pas retenu la seule scène qui montrait de façon explicite que les deux amoureux avaient des relations sexuelles. Lorsque j’ai édité le film en DVD en France (Eklipse), j’ai demandé au réalisateur les scènes coupées pour les faire figurer en bonus dans le DVD. J’ai ainsi découvert cette scène et l’ai ajoutée dans mon édition malgré les réticences du réalisateur. L’édition française, aujourd’hui épuisée, est la seule à la posséder.

Avant Eban & Charley, Bolton avait réalisé un premier court-métrage, Growing Up, tourné alors qu’il était encore adolescent, qui raconte l'histoire de deux amis dans les rues de Los Angeles. Le film a été projeté dans de nombreux festivals à travers le monde et a donné à Bolton la réputation d'un cinéaste contestataire.

Eban et Charley est un film courageux et original qui parvient, malgré quelques facilités et son petit budget, à nous émouvoir et à s’inscrire durablement dans notre mémoire.

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Yoshikazu Kotani, Takumi Saito, Hiroya Matsumoto et Masashi Taniguchi. Réalisation : Kotoro Terauchi. Scénario : Kotoro Terauchi, Karoruko & Saki Senoo. Musique : Chiko Fujino. Montage : Kenji Sagami.

Durée : 90 mn. Disponible en VOST anglais.


 


Résumé :

Taishin Mamiya (Yoshikazu Kotani), jeune journaliste dans un magazine, rencontre pour réaliser une interview, un jeune lycéen type, Noeru Kisaragi (Takumi Saito). Ce dernier est impertinent lors de l’entretien mais Mamiya est subjugué par le garçon. Un tableau représentant l’océan, peint par Noeru, offre un prétexte à Mamiya pour l’inviter au restaurant. Le lycéen se montre sans gêne durant tout le repas. Lorsque Mamiya se rend aux toilettes, Noeru le suit et ils ont leur première relation sexuelle. Le lendemain, la rédaction du journal de Mamiya reçoit un appel comme quoi leur journaliste n’a pas été correct avec l'interviewé. Mamiya, pour s’excuser, et aussi pour revoir Noeru, se rend chez le garçon avec un cadeau, mais il le surprend au lit avec un individu qui a tout du pervers. Mamiya, choqué, s’aperçoit que Noeru ne lui est pas du tout indifférent...



En cherchant à connaître mieux Noeru, Mamiya découvre qu’il a une âme torturée et qu’il se prostitue à des hommes différents chaque nuit à la recherche de sensations fortes mais voulant surtout pour fuir l’amour en raison d’un secret qui le taraude (mélodramatique à souhait). Mamiya, qui s’est donné comme mission de remettre Noeru dans le droit chemin, finira par le découvrir.

Mais leur relation est contrariée par la jalousie d’un camarade de classe (Hiroya Matsumoto) de Noeru qui est follement amoureux de lui...



L’avis de Bernard Alapetite :

Nous sommes devant une adaptation cinématographique d’un yaoi, ces mangas, généralement réalisés par des femmes et lus au Japon, surtout par des jeunes filles, dans lesquels des garçons s’aiment d’un amour rarement sage et parfois peu doux... L’origine de Boys Love transparaît dans chaque plan tant on a l’impression de voir une suite de cases d’une bande dessinée, toutes soigneusement cadrées et bien éclairées. Si la grammaire cinématographique est extrêmement simpliste lors des face-à-face entre les deux personnages principaux, se résumant le plus souvent au champ, contre-champ, la réalisation – néanmoins – sait faire preuve d’audace dans ses angles de prise de vues et dans ses scènes de sexe (qui auraient été beaucoup plus explicites dans un manga), comme le ballet des pieds lors de la première relation sexuelle entre Mamiya et Noeru dans les toilettes du restaurant. Le réalisateur n’est pas trop pudibond et nous offre quelques beaux plans de nu intégral... de dos.



Boys Love n’évite aucun des passages obligés du yaoi, comme les scènes de lycée avec le camarade, meilleur ami, pas très beau et bien sûr jaloux de la vie extérieure (par rapport au lycée) que mène son ami à son insu. Et sans doute plus étonnant pour des non habitués aux mangas, des lieux habituels de ce mode d’expression, le train, les ascenseurs, les toilettes... et l’ exacerbation des sentiments.

Mais si nous sommes bien du côté de l’amour, façon collection Harlequin, à la différence de malheureusement la quasi totalité des yaois, la psychologie dans Boys Love est fouillée. On s’aperçoit que si Noeru couche avec des hommes au hasard, c’est plus pour combler sa solitude que par soif de sexe.



Mine de rien, le film est aussi une réflexion sur l’amour. La mise en image de l’obsession de Mamiya par Noeru est très convaincante. Très intéressante aussi de mettre au centre et comme moteur de la relation amoureuse la curiosité pour l’histoire de l’autre.

Le spectateur peu habitué à la lecture de mangas sera surpris par l’aspect juvénile de Mamiya, que tout occidental, à la lecture du pitch, aurait imaginé plus mûr, mais ce décalage entre la fonction du héros et sa silhouette adolescente est bien dans la tradition nippone du manga. On a d’ailleurs l’impression que tous les protagonistes du film ont peu ou prou le même âge. De même que le spectateur sera peut-être étonné que dans ce monde l’homosexualité semble la norme et que tous les mâles soient gays. Les femmes sont ici réduites à des silhouettes fugitives. La seule surprise est que c’est celui qui est sensé être le plus jeune, ce qui n’est pas évident à l’image, donc le dominé,qui prend l’initiative en matière de sexe.



Les deux acteurs sont très mignons et Takumi Saito, avec ses grands yeux de faon, semble s’être échappé des pages d’un yaoi.

Grande nouveauté au cinéma, surtout dans le cinéma gay qui brille rarement par son intellectualisme, le fait que Terauchi sépare les scènes par des citations sur la nature de l'amour tirées d’œuvre de Shakespeare, Hemingway, Montaigne...



Dans ses déclarations, Terauchi développe une thèse pour le moins radicale : celle que la relation homosexuelle est plus pure et plus romantique que l’hétérosexuelle car elle n’a pas l’alibi utilitaire de la reproduction ; étant entièrement gratuite, elle est donc plus désintéressée et plus pure.

Devant le succès Boys Love, qui est son premier film, Terauchi a tourné un Boys Love 2, une année après celui-ci, qui n’en est pas la suite, mais qui reprend comme acteur principal, Yashikazu Kotani.

Dans les limites étroites du yaoi, Terauchi a réussi un beau mélodrame.



Nota : Toutes les sources donnent une durée pour ce film de 90 mn alors que mon exemplaire ne dure que 83 mn !

Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec : Gina Philips, Justin Long, Jonathan Breck, Patricia Belcher, Eileen Brennan, Brandon Smith, Peggy Sheffield. Réalisation : Victor Salva. Scénario : Victor Salva. Directeur de la photographie : Don E. FauntLeRoy (ben tiens ! le petit Lord...). Musique : Bennett Salvay. Montage : Ed Marx. Producteur exécutif : Francis Ford Coppola.

Durée : 91 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :

Trish (Gina Philips) et Darry Denner (Justin Long), en route vers le domicile parental, sont pris en chasse par une camionnette vétuste, dont le conducteur leur apparaît quelques kilomètres plus loin, à proximité d'une église abandonnée. L'étrange personnage (Jonathan Breck), tout de noir vêtu, jette d'encombrants paquets de forme humaine dans une sorte de goulot de tôle. Résolu à percer ce mystère, Darry entraîne sa sœur vers l'église, dans le sous-sol de laquelle il découvre un amoncellement de cadavres. Son incursion dans l'antre du meurtrier n'a pas échappé à ce dernier, qui se lance à nouveau à ses trousses...


Pause pipi...


L'avis de BBJane :

Jeepers Creepers présente la particularité d'être le premier film fantastique « à succès » dont le caractère homosexuel fut unanimement reconnu, dès sa sortie en salles, par les fans du genre. La raison de cette clairvoyance inaccoutumée peut être trouvée dans le « scandale Salva », présent dans toutes les mémoires, bien que vieux d'une bonne dizaine d'années quand le film parut sur les écrans. En 1989, le cinéaste purgea quinze mois de prison pour abus sexuels sur la personne de l'un des jeunes comédiens de son premier film : Clownhouse. Gageons que si le public n'avait eu connaissance de ce fait-divers copieusement répercuté par la presse, Jeepers Creepers serait simplement considéré comme un excellent film de trouille, point barre. Un peu plus malsain que les autres, peut-être ? Quant à savoir pourquoi, on s'en branle, les mecs !... L'important, c'est qu'ça foute les j'tons !..

Comme dans la majorité des films fantastiques à caractère queer, l'homosexualité est ici assimilée à l'élément monstrueux, générateur de peur. Si Jeepers Creepers est aussi efficace sur le plan de l'angoisse qu'il génère (il fut d'emblée salué par le public et la critique comme l'une des œuvres les plus flippantes du début de la décennie), c'est que son auteur met ouvertement en scène ses propres démons, qui se trouvent relever de l'un des tabous les plus redoutés de notre époque : la tentation pédophile – ou plus exactement, la pédérastie, dans le cas qui nous occupe.

N'envisageant évidemment pas d'en faire l'apologie, Salva ne peut néanmoins renoncer à en tenter la justification – non sans mauvaise conscience, d'où une certaine ambiguïté dans le propos du film, et le déséquilibre qui l'affecte.

La réussite exemplaire des quarante premières minutes tient, d'une part, au fait que Salva s'abstient de tout effet de terreur surnaturelle, et d'autre part à ce qu'il épouse exclusivement le point de vue des proies du Creeper – particulièrement de Darry, le seul qui soit véritablement concerné par les visées du monstre. Or, il se trouve que l'adolescent, malgré la terreur que lui inspire son poursuivant, éprouve à son égard une irrésistible attraction, qui le conduit, tout au long du film, à aller à sa rencontre.

Si l'on prend Jeepers Creepers pour ce qu'il est (une allégorie pédérastique), on ne peut qu'être frappé par l'attitude qu'adopte la victime envers son agresseur, et qui témoigne d'autant d'attirance que de répulsion.

Il y a fort à parier qu'un tel propos, énoncé dans un contexte réaliste, et non sous le couvert du "fantastique", aurait de quoi susciter une rude polémique, propre à fermer à son auteur les portes des producteurs (et le soutien des spectateurs) pour nombre d'années, comme le fit son incartade passée.

Dès la première scène, la suspicion d'homosexualité pèse sur Darry. Ses efforts pour affirmer sa virilité (vitesse inconsidérée au volant, propos machistes envers sa sœur) sont ruinés par une malencontreuse série d'« actes manqués » (dans le « 6A4EVR » d'une plaque minéralogique, il lit « Gay forever », au lieu du plus judicieux « Sexy forever » indiqué par sa sœur ; plus tard, il constate que le linge lavé par sa mère a fâcheusement déteint : « J'ai douze paires de caleçons roses ! », lance-t-il à Trish, qui lui réplique ironiquement que « c'est peut-être un signe ».)

Après avoir tenté d'effrayer les occupants d'un camping-car en se ruant sur leur véhicule, il est à son tour harcelé de la même manière par la camionnette du Creeper – qui n'hésite pas, pour sa part, à lui rentrer dans le train (oserais-je parler d'« enculeur enculé » ?.. Oui, j'ai osé...) Une conjonction pulsionnelle est ainsi signalée entre le poursuivi et son poursuivant.


Suck my truck !!!


Première indication d'une menace pédérastique : la camionnette de l'agresseur accuse plusieurs kilomètres au compteur (« Une vieille caisse toute pourrie », commente Darry, avant de s'insurger, non sans une pointe d'admiration : « Il a gonflé son moteur, ou quoi ?.. »)

Ancêtre boosté au Viagra, franc du pare-choc et avide de collision : le truck vétuste du Creeper est une image transparente du « monstre pédéraste ». (L'influence du Duel de SPIELBERG, évidente durant le premier tiers du film, et revendiquée par Salva, me confirme qu'il ne serait pas malvenu d'apporter une lecture queer au chef-d'œuvre du papa d'E.T.)

Quelques kilomètres plus loin, Darry et Trish découvrent la camionnette à l'arrêt près d'une église abandonnée, et son conducteur occupé à jeter de sinistres paquets dans une sorte de boyau de tôle. Darry ne sera pas long (Long, vous avez dit Justin ?..) à vouloir retourner sur les lieux, contre l'avis de sa sœur. Il inaugure ainsi la série des "rétrogradations" que j'ai signalées plus haut, témoignant de son empressement à se jeter « dans la gueule du loup ». Si la peur lui interdit de répondre spontanément aux avances du monstre, il ne peut néanmoins s'en détourner.

Trish lui reproche sa coupable envie « d'aller voir s'il n'y a pas un truc sordide ».

« Dans les films d'horreur, y a toujours un con qui déconne. T'es ce con-là ? » ajoute-t-elle, comme pour anticiper la réaction des spectateurs. Ce réflexe récurrent chez les protagonistes de films fantastiques, qui consiste à se diriger résolument au devant du danger, suscite invariablement les sarcasmes des adversaires du genre. Pour sa défense, les fans ont coutume d'objecter que, sans ce comportement des victimes, il n'y aurait jamais d'affrontement – et, partant, pas de film... Justification un peu courte, et argument fort pratique pour éluder la question sensible : l'attirance de la future victime pour son futur bourreau (et, dans le cas de films au sous-texte queer, l'irrésolution des héros dans leurs choix sexuels.)

Attiré par « les trucs sordides », Darry ira donc se pencher sur le curieux orifice dans lequel le Creeper balance ses cadavres. Ce conduit menant aux entrailles de l'Enfer, et qui exhale une forte puanteur, n'est autre que l'anus du Mal (qui a dit du Mâle ?.. Désolé, on l'a déjà faite, celle-là...), objet de curiosité autant que d'appréhension pour notre hétéro vacillant, et source de révélations prodigieuses.

La scène de la chute de Darry dans Le Trou multiplie les allusions olfacto-scatologiques à tendance homoérotique – depuis l'insistance de Trish à évoquer l'odeur de chaussettes et de baskets crades de son frère (on sait le fétichisme homo relatif aux « skets et panards » – et cette référence abonde dans le film...), jusqu'à la dégringolade dans « toute cette merde », en passant par les multiples cadrages accusant l'aspect organique du conduit.


Le trou du cul du Mal


Forcément, cet œillet ne sent pas la rose...


Ce que découvrira Darry dans le sous-sol, sera – selon ses propres termes – « la Chapelle Sixtine d'un fou » (l'allusion à Michel-Ange, de qui l'on connaît les inclinations sexuelles, n'est certainement pas innocente, dans le contexte.) Les parois de l'antre et sa voûte sont tapissées d'un enchevêtrement de cadavres pourrissants, vision dantesque empruntée au Frayeurs de Lucio FULCI (l'exploration souterraine du cimetière de Dunwich), mais également évocatrice des charniers de la Seconde Guerre Mondiale. Salva – comme la plupart des auteurs spécialisés dans le fantastique – semble suggérer que le retour du refoulé, et son déchaînement, ne peuvent qu'aboutir sur l'horreur du serial killer ou sur celle du nazisme – encore ne faut-il pas oublier que le refoulé n'existerait pas, et, de fait, n'aurait aucune raison de se déchaîner, sans les contraintes entretenues par la Raison Sociale. Ce sont les garde-fous qui engendrent les fous, ce que le "fantastique", essentiellement réactionnaire et puritain, répugne à considérer.

Darry regagnera l'air libre et la surface terrestre dans un état de stupeur identique à celui d'une victime d'un viol. Sa sœur, assez peu soucieuse de sa traumatisante expérience, ne cessera de lui marteler qu'il « sent la merde » – inévitable conséquence de l'exploration des fondements...

Comme s'il prenait soudain conscience de s'être aventuré (et d'avoir entraîné son public) dans des régions décidément trop obscures et trop intimes, Salva fait dès lors basculer son film dans le fantastique pur.

Plus question de laisser planer le doute sur l'origine surnaturelle du Creeper ; tout est mis en œuvre pour que le spectateur renonce à s'interroger plus longuement sur les motivations profondes (trop humaines ?) du monstre. Textuellement, il devient un épouvantail de plus dans la galerie des famous monsters.

L'accumulation frénétique de détails abracadabrants et d'invraisemblances scénaristiques témoigne de la panique de Salva, atterré par les implications profondes de son œuvre, et par le ton de confession qu'il avait jusqu'alors adopté.

Décidé à se ressaisir, le cinéaste fait sombrer son film dans le n'importe quoi : intervention soudaine d'une voyante noire qui connaît tout sur tout et nous assène l'historique complet du monstre en deux coups de boule de cristal ; scène parfaitement superfétatoire de la « Vieille aux Chats », victime du Creeper ; introduction de gimmicks ineptes et jamais justifiés (pourquoi la chanson "Jeepers Creepers" annonce-t-elle inévitablement le surgissement du monstre ?.. pourquoi se manifeste-t-il uniquement « tous les 23 printemps pendant 23 jours » ?..)


"La Vieille aux Chats". On déplorera que Victor Salva n'ait rien trouvé de mieux à offrir que ce rôle ridicule à la sublime Eileen Brennan.

Jezelle, la voyante black, dans tous ses états...
(Divine avec du cirage ?..
Non : Patricia Belcher)


Pour excuser ces lacunes, Salva fait remarquer par sa providentielle voyante black que ses révélations ne sont pas « comme un film... il y manque des bouts, parfois... »

De-ci de-là, cahin-caha, le sous-texte rejaillit pourtant à la faveur d'un plan ou d'une réplique. Ainsi, le Creeper est décrit comme « une créature avide, échappée de la face cachée du Temps » (ou du "placard" de l'Histoire ?...) ; on nous apprend également qu'il est « habillé en homme pour cacher qu'il n'en est pas un », et qu'il « mange des organes qui le renouvellent » (retour au croquemitaine pédéraste, trouvant dans la jeunesse de ses proies matière à tromper son vieillissement).

De même, au plus fort du danger, Darry continue de renâcler lorsqu'il s'agit d'échapper au monstre : « Ralentis ! Tu vas nous tuer ! », lance-t-il à sa sœur, qui les exposerait pourtant à une mort plus sûre en roulant plus lentement...

Dans la plus totale confusion scénaristique (ou en raison de cette confusion), Salva laisse néanmoins certains indices lui échapper. Ainsi, à l'issue de la première confrontation entre le Creeper et « la Vieille aux Chats » : « Qu'est-ce que TU m'as ramené ? », lance cette dernière à Darry, en lui balançant la crosse de son fusil dans les parties. Elle suggère par-là que l'adolescent (non sa sœur) est la proie d'élection du monstre. Ce que nous confirme le finale : ayant reniflé tour à tour Darry et Trish, le Creeper envoie dédaigneusement valdinguer le jeune fille, et prend la poudre d'escampette avec son frère.

Trish a beau prétendre désespérément, pour inciter la créature à la choisir, qu'elle a « la même chose que Darry en elle » ("chose" qui, là encore, n'est jamais explicitée, mais est très clairement un parfum d'homosexualité), rien n'y fera : le croquemitaine n'en pince résolument que pour les garçons...


Encore un bel exemple d'« acte manqué »...
Comment réparer les outrages homosexuels ? En nouant un slip rose à son pare-choc arrière, bien sûr !..


Le dernier plan du film nous montre le Creeper regardant la caméra à travers les orbites vides d'un Darry fraîchement dépecé. Ces yeux qui nous fixent, brillant de haine – ou de convoitise – sont ceux du jeune garçon, que le monstre vient de se greffer. Par cet acte, il consacre l'union avec sa victime – et par ce regard, il nous rappelle qu'au fond, tous deux ont toujours partagé le même point de vue.


Par le petit bout de la lorgnette : « l'enculeur enculé ».


Parce qu'il amena les fantasticophiles à s'interroger (enfin !) sur le sous-texte homosexuel de leur genre favori, Jeepers Creepers peut être regardé, en dépit de ses faiblesses et de ses regrettables ruptures de ton, comme un film-charnière. En ce sens, on peut considérer qu'il y a désormais un avant et un après J.C.


J.C.

 

N.B. : Sauf erreur de ma part, aucun commentateur n'a signalé l'évidente parenté entre le Creeper et les « Maigres Bêtes de la Nuit » lovecraftiennes – créatures ailées arrachant leurs proies à la Terre pour les emmener vers un ailleurs de cauchemar, qui hantèrent les nuits du « reclus de Providence », sa vie durant. Hommage conscient, ou similaire sublimation onirique/artistique d'obsessions pédérastiques ?.. Je vous laisse en juger...

Liens et pour plus d’informations :

Aucun qui mérite d'être signalé.



Fiche technique :

Avec Jeffrey Wright, Michael Wincott, Benicio Del Torro, Claire Forlani, David Bowie, Dennis Hopper, Gary Oldman, Christopher Walken, Willem Dafoe et Courtney Love. Réalisation : Julian Schnabel. Scénario : Lech Majewski, John F. Bowe, Julian Schnabel et Michael Holman. Image : Ron Fortunato. Musique : John Cale & Julian Schnabel. Montage : Michael Berenbaum.

Durée : 105 mn. Disponible en VO.



Résumé :

À 21 ans, Jean-Michel Basquiat, artiste noir surdoué, exerce son talent sur les murs de New York. Le jeune homme est découvert par le milieu de l’art new-yorkais. Avec le parrainage d’Andy Warhol, les toiles de Basquiat s’arrachent bientôt à prix d’or. Mais le succès n’efface pas les souffrances de l’artiste...



L’avis de Bernard Alapetite :

Schnabel, peintre mondialement reconnu, s’est fait cinéaste par amitié et admiration envers Basquiat, peintre à la carrière météorique et premier artiste noir à atteindre la notoriété internationale, mort d’une overdose en 1988, à l’âge de 28 ans.

Basquiat, dans sa peinture, s’inspire de l’expressionnisme abstrait et du pop art. Il y ajoute des mots concepts, des poèmes, des totems vaudous, il y revendique ses origines haïtiennes et portoricaines, mais on y trouve aussi tous les symboles de la société de consommation américaine.



Basquiat, le film, raconte magnifiquement et avec beaucoup d’émotion cette trajectoire trop brève. Schnabel n’a pas cherché à être plus artiste que son modèle, et a fait preuve d’humilité devant la figure de son modèle. On pouvait craindre soit une mise en avant de Schnabel, le peintre, qui se serait donné le beau rôle dans cette tragédie (car c’est bien une tragédie que la vie de Basquiat) soit à une hagiographie de l’ami. Il n’en est rien, bien au contraire. Le petit milieu de la jet-set new-yorkaise est vu d’un œil acerbe ; Schnabel ne se met pas hors-jeu. Il se livre même à un exercice de pur masochisme en se dépeignant sous le nom de Milo, joué parfaitement par Gary Oldman, habitué aux rôles de méchant, en artiste arriviste et jaloux du succès de son jeune collègue, et cependant fasciné par le charisme de Basquiat. C’est aussi l’histoire d’une amitié manquée (entre Schnabel et Basquiat), et surtout de la part du réalisateur l’aveu cruel de n’avoir pas su aimer et comprendre le génie pictural de Basquiat. La seule entorse à la vérité est la jolie scène que Schnabel s’est offert, pour dire ce qu’il n’a jamais dit à son ami de son vivant. On voit Milo montrer une toile à Basquiat, dans son atelier. Sur la toile gigantesque, une date, 12 août 1988. « J’ai peint ce tableau pour un ami qui est mort », commente Milo. Ce tableau, c’est celui que Julian Schnabel a peint le jour où il a appris la mort de Jean-Michel Basquiat. « Au cinéma, c’est un peu comme dans les rêves : vous pouvez faire revenir quelqu’un d’entre les morts et lui montrer un tableau que vous avez peint en pensant à lui. Vous pouvez même lui demander son avis sur ce tableau. Et, ainsi, lui dire que vous l’aimez » a déclaré le cinéaste.



Les toiles que l’on voit dans l’atelier de Milo sont celles de Schnabel. La fille de Milo est jouée par la propre fille de Schnabel. La relation entre les deux hommes ne cesse d’évoluer tout au long du film, Milo passant de l’acrimonie à l’admiration protectrice envers Basquiat.

La démarche de Basquiat est celle d’un ange noir sublime, le rôle est dansé par un merveilleux comédien inédit, le sensuel Jeffrey Wright. Schnabel n’élude pas la question qui travaille le monde de l’art, depuis l’apparition de Basquiat : son immense succès est-il dû à son talent ou n’aurait-il été fabriqué que par le microcosme artistico-médiatique new-yorkais qui, pour des raisons de politiquement correct, aurait eu besoin en 1980 d’un jeune artiste noir photogénique (sur ce petit milieu, il faut voir le réjouissant film-charge de John Waters, Pecker) ? La réponse est dans un plan du film, celui de la superbe toile de Basquiat qui le fit découvrir par hasard par un des plus grands critiques d’art new-yorkais.



Ce sont deux histoires d’amour qui sont les moteurs de ce film, celle de Basquiat avec une jeune serveuse, Gina (Claire Forlani), et celle du jeune artiste pour son aîné et mentor (?) Andy Warhol. Je ne crois pas qu’il soit abusif de parler d’histoire d’amour entre les deux hommes, même si elle n’est pas charnelle. L’homosexualité est le filigrane de tout le film. David Bowie en Andy Warhol fait un numéro succulent de folle tordue tiquée, opportuniste, néanmoins généreux et émouvant. Il faut voir Bowie grimé sous sa perruque blonde, marchant à petits pas telle une geisha, jouant avec une certaine préciosité, à la limite du ridicule mais n’y tombant jamais, David Bowie est Warhol. Comme dans Furyo, David Bowie démontre qu’il est un grand comédien.



Basquiat avec le Van Gogh de Pialat et le film sur Pollock est un des rares films où l’on éprouve le sentiment véritable de se trouver en présence d’un peintre, et non d’un fantasme de peintre. Schnabel parvient à intégrer dans le temps du film, le temps de la peinture. Ce temps qui était la vraie matière de l’œuvre de Warhol. « Warhol voulait faire des placards publicitaires qui recouvriraient l’espace et avec la répétition infinie des mêmes images dans ses films il voulait placarder le temps. » (Ultra Violet, Ma vie avec Andy Warhol, Ed. Albin Michel).



Dans le film lorsque Basquiat et Warhol échangent des propos en regardant les toiles qu’ils sont en train de peindre ensemble, le dialogue est sérieux mais le geste insouciant. Ils n’ont rien à prouver. Tout comme le film. Il s’agit juste de montrer que Basquiat et Warhol sont des artistes.

Julian Schnabel ne s’est pas consolé de la mort de deux hommes (Basquiat et Warhol). Pour cette raison, pour cette unique raison, il a eu besoin de faire son film. Et il a eu raison.

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