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FILMS : Les Toiles Roses

Fiche technique :
Avec Patri
ck Norbert, Michel Subor, Isabelle Rosais, Jean-Jacques Aublanc et Françoise Michaud. Réalisé par Gérard Blain. Scénario : Gérard Blain. Directeur de la photographie : E. Machuel. Compositeur : Catherine Lara.
Durée : 105 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Pierre est un jeune homme intransigeant, en révolte permanente contre la société. Il n’a qu’un seul but : faire le bonheur de sa jeune sœur Nathalie. Un film engagé et politique d’une grande rigueur esthétique.
L'avis de Jean Yves :
La pureté (prolétaire) contre le vice (capitaliste) est-elle toujours séduisante quand le gentil est hétéro et le méchant homo ?
Un jeune homme, Pierre (Patrick Norbert), dans une banlieue triste, en révolte contre tous les pourrissements, est obligé de céder aux chantages d'un homo riche et puissant, Hubert Beaufils (Michel Subor) car ce dernier l'a surpris en train de forcer une serrure de voiture. C'est le seul moyen pour lui de trouver un travail qui lui éviterait de laisser sa petite sœur Nathalie (Isabelle Rosais) partir dans un centre d'éducation spécialisée après la mort de la mère. Pierre, qui n'accepte pas les propositions sexuelles de Beaufils aux allures de chantage, finira par tuer le pédé. Il est alors lâché par ses « amis », Alain (Jean-Jacques Aublanc) et Corinne (Françoise Michaud), jeunes universitaires aux idées révolutionnaires, qu'il avait rencontrés à la suite d'un meeting communiste. Pierre est arrêté. Nathalie éclate en sanglots. En guise d'adieu, Pierre lui dit : « Il ne faut pas pleurer, Nathalie... Faut se battre. »
Gérard Blain n'a pas choisi de montrer – à travers le personnage d'Hubert Beaufils – une image de l'homosexualité militante ou sentimentale. Il a fait du personnage homo, un bourgeois vicelard voire traître, image finalement bien plus ancienne et perverse que celle de la folle, colorée. Comme si, à cette époque, 1980, l'homosexualité était acquise, les préjugés morts. En montrant un sale pédé, le cinéaste aurait-il levé un tabou ? Je me demande comment a pu être reçu – en 1980 – par le spectateur cette image ? N'a-t-elle pas été vue uniquement comme l'expression d'un moralisme conventionnel ?
Moralisme conventionnel d'autant que ce film défend aussi l'idée que la famille est la cellule sociale de base, qu'il faut la défendre contre le capitalisme. Cette cellule est même d'une pureté intangible. Pierre, le rebelle, est en plus totalement asexué. Seules ses relations avec sa sœur sont empreintes d'une certaine sensualité, bien vite éludée. Serait-ce donc lui, le héros total ? Le révolutionnaire. Car c'est une rengaine déjà entendue, « la révolution n'a pas de sexe ».

Sous couvert de grands sentiments et de nobles rébellions, Le Rebelle ne ressasse que les grands thèmes de l'hétérocratie, sous la forme d'un véritable mélo. Mais un mélo mal fait qui se prend au sérieux.
Pour finir, Pierre-le-rebelle tue-t-il le capitaliste ou le pédé ?
Pour plus d’informations :
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Fiche technique :
Avec Pascale Petit, Howard Hensel, Karl Scheydt, Lieke Leo, Ben van Os, Ann Petersen, Sep Van Kampen et Jacqueline Veuve. Réalisé par Eric de Kuyper et Paul Verstraten. Scénario : Eric de Kuyper et Paul Verstraten. Directeur de la photographie : Henri Alekan.
Durée : 92 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Une et des histoires d'amour se trament et se retrouvent autour du film Johnny Guitar qu'un professeur analyse pour ses élèves dans une école d'art aux Pays-Bas.
L'avis de Jean Yves :
À travers sa fascination pour l'un de ses étudiants, Michael, professeur d'esthétique du cinéma, retourne aux sources de son passé, et revit son « étrange histoire d'amour » avec le père de son élève, étudiant lui aussi, quelques années plus tôt.
Étranges amours
Michael est ébloui devant un de ses étudiants qui réalise un exposé sur une scène d'amour du film Johnny Guitar. Des liens se nouent, l'adolescent amène alors Michael à Bruxelles, chez ses parents. Là, surprise : Jim, le père du jeune homme est l'ancien amant, perdu depuis seize ans, de Michael, qui le cherchait à travers l’œuvre de… Nicolas Ray, le réalisateur du film que son fils a si brillamment analysé.
Eric De Kuyper et Paul Verstraten, les deux réalisateurs, tour à tour critiques, scénaristes et maîtres de conférence sur le septième art, livrent ici une œuvre d'une déconcertante pudeur et d'un grand intérêt. Alors que le sujet peut prêter à la confusion des sentiments, mais surtout de l'intrigue, De Kuyper et Verstraten, habiles meneurs de jeu, dérivent sur les rapports amoureux sans jamais tomber dans les clichés.

« En optant pour des personnages masculins, expliquent-ils dans un document qui accompagnait le film à sa sortie, il s'agissait pour nous de ne pas glisser dans un discours préétabli autre, celui de l'homosexualité. Un exercice d'équilibre s'imposait donc : éviter que les spectateurs récupèrent le thème de l'amour par les code usuels, de nos jours du discours homosexuel ; d'autre part, suggérer que ce choix homosexuel permettrait de préciser à nouveau les rapports amoureux. La notion d'asynchronisme est à la base de notre amour occidental : trop tôt, trop tard. Jamais là où on le voudrait, où on l'attendrait. Encore faut-il qu'on sache ce que l'on veut ! »
Leur discours rejoint le fil conducteur et les garde-fous qu'ils se sont donnés, pour mener à bien leur « étrange histoire d'amour ». Étrange et surprenante, car le spectateur navigue quelquefois en eaux troubles, plus précisément à partir du moment où Michael retrouve Jim, ne sachant plus très bien quand s'arrête la réalité et quand commence le flash-ba
ck. Malgré ces quelques regrettables dérivations, ce film est à voir si l'occasion se représente.
Pour plus d’informations :
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Fiche technique :
Avec Ken Robertson, Tony Westrope, Rachel Nicholas James, Maureen Dolan, Stuart Craig Turton, Clive Peters, Robert Merri
ck, Frank Dilbert et Peter Radmall. Réalisé par Ron Peck et Paul Hallam. Scénario : Ron Peck et Paul Hallam.
Durée : 113 mn. Disponible en VO et VOST.

L'avis de Jean Yves :
Ce film présente la césure douloureuse dans l'identité de Jim : celle d'être professeur de géographie et « oiseau de nuit », tout le temps à la recherche d'une véritable communication.
La scène où il en parle avec ses élèves est le moment qui, comme dirait le guide Michelin, « vaut le déplacement ». Le reste est plus contrasté.
Ce film de Ron Pe
ck est une interrogation sur le devenir homosexuel du pédé.
De quoi parle Nighthawks ? Un jeune prof gay, une fois la nuit venue, assume entre minuit et le petit matin sa malédiction : être homosexuel. Les boîtes ou les bars ne lui proposent que des rencontres fortuites qui ne correspondent pas tout à fait à ses aspirations.
Le malaise dans ce film vient que le cinéaste traite le cas de Jim comme celui de l'homosexualité toute entière. Ron Pe
ck a filmé comme s'il était le détenteur de la vérité et par-là même comme s'il avait le pouvoir de juger ses contemporains dans leur aliénation notamment avec les boîtes ou autres endroits de nuit. Ce film présuppose continuellement que l'homosexualité est un état problématique, qu'elle fait problème. Et par-là même, le cinéaste tente alors de la justifier comme étant une chose comme une autre : mais il ne s'agit là que de psychologie à bon marché, sans aucune analyse…
Le problème c'est toujours celui qui est en manque d'affection, de tendresse, de chaleur humaine. C'est toujours celui qui doit se cacher, ce perpétuel inquiet, cet enfant esseulé, apeuré, mal dans sa peau. Celui qui se forge sa prison, son cachot en tant qu'il est maudit. Il doit subir sa propre malédiction laquelle entraîne un désarroi, un manque à vivre évident.
L'affection pour les homosexuels se concrétise seulement dans ce film par l'amitié naissante avec une jeune collègue enseignante. Mais le spectateur ne connaît pas sa situation conjugale et sent qu'elle apparaît comme un modèle : idée que semble défendre le cinéaste.

Dès lors que penser de ce film si ce n'est qu'il a un propos plutôt contraignant en récupérant la seule critique des boîtes et du ghetto homo ?
Pour plus d’informations :
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Fiche technique :
Avec Kim Min-sun, Park Yen-jin, Lee Young-jin et Jong-hak Baek. Réalisé par Kim Tae-Yong et Min Kyu-Dong. Scénario de Kim Tae-Yong. Directeur de la photographie : Yoon-soo Kim. Compositeur : Sung-woo Jo.
Durée : 97 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :

Corée du sud, de nos jours, dans un lycée de filles. Min-Ah (Kim Min-sun), jeune écolière de 17 ans, trouve le journal intime partagé (magnifiquement et ingénieusement décoré) de deux autres élèves, la jolie Hyo-Shin (Park Yeh-jin) et la mystérieuse Shi-Eun (Lee Young-jin) qui ont une liaison amoureuse. Hyo-Shin a une aventure avec un de ses professeurs (homme) et Shi-Eun décide de rompre. Hyo-Shin se suicide en se jetant du toit de l'école ce qui entraîne consternation et remous au sein de celle-ci, d'autant qu'il s'agit du sixième suicide dans l'établissement. Tandis que Shi-Eun semble (faussement) peu affectée par le tragique événement, Min-Ah mène son enquête, via le journal, afin d'essayer de comprendre ce qui s'est passé. Au fur et à mesure de sa lecture du journal, elle se retrouve victime d'hallucinations. Elle tente de se rapprocher de Shi-Eun. Rapidement, d'étranges phénomènes se produisent, d'abord autour de Min-Ah puis au sein de l'établissement tout entier.

L'avis de Philippe Serve :

Depuis quelques années, le cinéma coréen s'affirme lentement mais sûrement comme peut-être le plus passionnant émergeant d'Asie et à coup sûr le plus inventif. La disparition de la dictature et de la censure semble avoir libéré les esprits et les talents. À la vision des œuvres qui ne cessent de nous parvenir depuis quatre ou cinq ans, on constate qu'il n'y a pas deux films qui se ressemblent. Quels rapports entre Le Chant de la fidèle Chunhyang, Fantasmes, La vierge mise à nue par ses prétendants, Sur la trace du serpent ou L'Ile ? Rien si ce n'est à chaque fois une originalité scénaristique ou cinématographique, une science du montage toujours avérée et des interprètes parfaitement à leur place. Ajoutons pour nous Occidentaux peu au courant peut-être de la culture et du mode de vie (et de pensée) coréen cette sensation de découvrir à chaque fois un nouveau monde.
Memento Mori, qui a écumé les Festivals avant de sortir enfin en salles en France trois ans après sa réalisation, ne dément pas l'impression générale. Voilà un film bigrement bien fait, à partir d'un thème (le lesbianisme adolescent) non seulement assez peu abordé au cinéma mais, lorsqu'il l'est, peu favorable à la finesse du traitement (notons que plusieurs scènes « explicites » prévues dans le scénario ont été abandonnées avant le tournage et d'autres purement et simplement censurées avant la sortie en salles).
Les deux réalisateurs, Kim Tae-Yong and Min Kyu-Dong, ont décidé de tourner une sorte de fausse suite à Whispering Corridors, en créant une vraie atmosphère d'angoisse proche de la terreur mais (heureusement) très éloignée des « slasher (et "college") movies » hollywoodiens, tel que la série des Scream par exemple. Car à l'effrayante histoire (trop) évidente, les cinéastes y ont ajouté une cinglante dénonciation du milieu scolaire coréen, fait de brimades, de punitions (y compris corporelles) et de moralisme étroit.
Memento Mori s'articule autour de trois jeunes filles, fascinantes autant par leur rapport à l'histoire que par leurs physiques très complémentaires. Les comportements émotionnels des étudiantes (y compris de celles occupant les deuxième ou troisième plans) sont extrêmement crédibles. Les adolescentes alternent rires, pleurs et cris de la même façon quasi hystérique, comme on le fait à cet âge là. Elles vivent leurs sentiments à 100 à l'heure sans prendre le temps de vraiment réfléchir et, inévitablement, finissent dans le mur...
La force des sentiments s'avère absolue, qu'il s'agisse de curiosité, de haine, de jalousie et bien sur d'amour. Car Memento Mori est aussi et avant tout une puissante histoire d'amour. Ainsi que du rejet, souvent violent, qu'un tel amour tabou entraîne, révélant le puissant sentiment d'homophobie de la société coréenne. Les auteurs du film ont multiplié les recherches avant de se lancer. Ils ont interrogé quantité de filles de 17 ans, ont lu des journaux intimes, ont étudié des cas de suicides d'adolescentes et on trouvera dans toute cette démarche la raison principale à ce sentiment d'authenticité qui étreint le spectateur à la vision du film. Authenticité que la dimension « fantastique » du film et une mise en scène laissant une large place à l'onirisme et à l'imaginaire n'entament en rien. Ce subtil mélange (dans lequel la partition musicale, splendide, joue un rôle très important) débouche sur une poésie inattendue. Pourtant, l'histoire pourrait être difficile à suivre avec tous ces flash-ba
ck insérés ici et là sans prévenir et sans rien qui puisse les différencier au premier coup d'œil des scènes au présent.
La séquence pré-générique est superbe d'étrangeté et (déjà) d'inventivité. Cadrages, lumière, sons, musique sont étroitement fondus et vous colle immanquablement à votre fauteuil... À partir de là, les instants marquants vont se succéder à un rythme soutenu : le premier baiser des deux amoureuses dont l'une a la bouche qui saigne ; la séquence de nettoyage de piscine imposée aux deux filles ; les heures passées ensemble sur le toit ; Hyo-shin déclinant la philosophie de Lao-zi ; la visite médicale collective préludant au suicide de Hyo-shin et, juste après, l'irruption d'un oiseau rouge dans la classe qui déclenche panique et hystérie ; les visions subjectives du « fantôme » de Hyo-shin ; le reflet d'une élève dans l'œil de Min-ah ; l'intérieur du piano incroyablement décoré par Hyo-shin pour l'anniversaire de Shi-eun ; séquence des manifestations surnaturelles de Hyo-shin enfermant les lycéennes dans l'école dans un climat de terreur ; le visage surplombant la verrière du toit du lycée...

Un professeur enseigne : « Ce n'est pas la façon dont vous vivez qui compte mais celle dont vous mourez »... « Memento Mori » signifie « Souviens-toi des morts » et résume bien la dimension surnaturelle du film. Celui-ci a aussi l'intelligence de réserver des moments de franc humour, tels les complexes physiques exprimés par les jeunes filles (trop petites, trop grosses, à la poitrine trop plate, etc.) La séquence de la visite médicale déjà évoquée en est un bel exemple, d'autant qu'elle précède le drame de Hyo-shin.
La mise en scène est brillante car elle sait alterner les divers effets sans pour autant tomber dans l'excès ou dans l'artificialité. Les angles de vue sont régulièrement variés (plongées, contre-plongées, gros plans ou éloignés, accélérés, caméra portée ou fixe, etc.) et restent au service de l'histoire et de chaque séquence ou plan particulier. Je l'ai déjà dit mais il est bon de le répéter, la partition musicale accompagnant ce film ajoute, par sa beauté, une dimension primordiale au film.
Les trois actrices principales, précédemment mannequins « ados », effectuent là leurs débuts à l'écran. Le moins qu'on puisse dire est qu'elles le crèvent et sont promises à un superbe avenir cinématographique. Il faut y ajouter la tout aussi excellente Paek Chong-hak dans le rôle de Ji-won, la fille aux cheveux courts et surnommée « la plate » en raison de son manque de poitrine...
Memento Mori, qui a multiplié les critiques enthousiastes dans le monde, est un film à découvrir d'urgence.
Ne vous en privez pas !

Note: Vainqueur du Prix de la meilleure photographie au Festival du film de Slamdance.
Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec Takeshi Kitano, Shinji Takeda, Tadanobu Asano, Koji Matoba, Ryuhei Matsuda et Tommy’s Masa. Réalisé par Nagisa Oshima.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VOST.

Résumé :
Kyoto, 1865. Alors que le Japon commence à s'ouvrir vers le Monde, le Shogunat (gouvernement militaire) vit ses dernières heures. Bientôt, l'Empire sera restauré. Une école de samouraïs organisée en milice, le Shinsengumi, recrute. Deux jeunes gens sont retenus: Tashiro (Tadanobu Asano) et Kano (Ryuhei Matsuda).
La beauté androgyne de ce dernier trouble très vite la plupart de ses nouveaux camarades. Tashiro tombe sérieusement amoureux de lui mais c'est un autre qui le possédera charnellement. Le capitaine Hijikata (Beat Takeshi) observe tout ça d'un œil curieux, intéressé et parfois ironique. Mais le Shinsengumi se trouve plongé en eaux troubles lorsque plusieurs de ses membres sont retrouvés assassinés... 

L'avis de Philippe Serve :
Ceux qui espéraient se retrouver devant une version gay de L'Empire des sens du même réalisateur ont dû être déçus... Si la passion, le sexe et la mort sont bien au rendez-vous, les images montrées ne scandaliseront cette fois personne. Et le thème ? Ce sujet « tabou » de l'homosexualité chez les samouraïs ? Pas certain, vu que l'homosexualité y a toujours été connue et reconnue, nous ne sommes pas là en présence d'un scoop...
Tabou est un très beau film mais peut-être pas un chef-d'oeuvre, contrairement à L'Empire des sens pré-cité. On attendait sans doute trop du retour de Nagisa Oshima après 15 ans d'absence d'où un certain sentiment de déception à la sortie du film. Le réalisateur japonais n'a rien perdu, certes, de son talent de « peintre ». Les images, très léchées, sont superbes, pas un poil ne dépasse du cadre (maîtrisé lui-même à la perfection). Tout le film baigne dans une très grande froideur esthétique, souvent à la limite de l'abstraction. Certes, le traitement formel de l'histoire correspond bien au code étroit, dépouillé, sévère de l'ordre des samouraïs et à ce niveau on ne peut qu'approuver Oshima dans son choix. L'insertion d'intertitres, à la manière des films muets, apporte presque une note d'humour. Ainsi celui qui prévient le spectateur: « On doit compatir avec Tashiro » ou bien « Il (Kano) garde sa frange, une provocation pour des hommes sensibles à son charme »... 
Le tournage en studio (en partie du moins) « se voit » et Oshima en joue volontairement, y compris et surtout lors de la scène finale censée se passer à l'extérieur. Le brouillard, les marais, les silhouettes des arbres, les couleurs, la mort qui rôde, tout renvoie à de nombreux films de fantômes japonais. La manière dont Kano s'évanouit littéralement de la pellicule, comme dissous par le brouillard avec qui il se confond alors qu'il s'éloigne à la fin de la scène accentue encore cet effet, l'un des plus beaux du film. Pour un peu on se croirait chez Mizoguchi ou Kobayashi ! Cet aspect fantomatique plane tout au long du film par le biais de ce personnage. Son visage, très blanc, véritable masque de Nô, ne reflète aucune émotion, presque aucune vie. Son regard ne cille jamais et semble éteint, sa démarche même est raide et mécanique. On peut alors se poser la question: Kano existe-t-il vraiment ou n'est-il pas en quelque sorte le phantasme absolu de ces hommes, celui qui vient les hanter et, tel un ange exterminateur, les détruire par le pouvoir de sa seule beauté ? Destruction du Shinsengumi et de là du Shogunat...
Dans ses interviews, Oshima affirme avoir tourné ce film pour « dénoncer la tentation fasciste inhérente à la société japonaise ». Le spectateur occidental non-spécialiste de la civilisation nippone ne fera peut-être pas forcément le rapprochement mais rapporté à un cinéaste aussi politique que l'a toujours été Oshima, grand pourfendeur de la société nippone et de son conservatisme, il ne surprendra pas !
Ce que ce spectateur comprendra en revanche est l'effet dévastateur produit par l'introduction d'un corps étranger dans un groupe fermé et aux principes rigides. La beauté et la féminité de Kano, sa frange ou son costume blanc, les autres samouraïs étant vêtus de noir, illustrent bien cette différence. 
Les personnages ne sont pas approfondis sur le plan psychologique et restent tous des mystères. En tout premier Kano dont les motivations semblent aussi lisses que le visage. Nul ne connaîtra les raisons profondes de son engagement dans le Shinsengumi à seulement 18 ans (« Pour avoir le droit de tuer » affirme-t-il) ou ce qui se cache derrière son explication à vouloir garder sa frange encore enfantine (« J'ai fait un vœu »). Le mystère et la pureté de ce visage fascinent ses camarades car chacun peut y lire ses désirs et phantasmes personnels. Même lorsque, juste après son acceptation au sein du Shinsengumi, il est chargé de décapiter un homme, il ne montre pas la moindre émotion et s'acquitte parfaitement de sa tâche.
Que le spectateur ne cherche aucune trace de réalisme (hors le son très particulier des entraînements de kendo que Oshima a tenu à rendre au plus près) ou guère de reconstitution historique dans ce film (même les uniformes de la milice ont viré au noir esthétique et symbolique). En découvrant Tabou lors de sa sortie, je n'avais guère ressenti d'autre émotion que visuelle ou intellectuelle. En le revoyant deux ans plus tard, je trouve ce film bonifié et passionnant et ce qui me paraissait un handicap (son esthétisme léché) représente aujourd'hui l'une de ses forces. La beauté du film donne corps, un corps purement cinématographique, au thème même du film: la beauté destructrice. Ici, on louera très fort le superbe dernier plan où Oshima déploie toute sa grâce. Pour exprimer sa rage et son impuissance, le capitaine Hijikata tranche d'un coup de sabre bien ajusté un cerisier en fleurs. La beauté de l'image alliée à son sens parabolique restera dans la mémoire du spectateur...
Ajoutons la solidité de l'interprétation avec une mention spéciale pour Beat Takeshi (Kitano), d'une sobriété toujours exemplaire seulement traversée parfois d'un éclair d'humour. Lui aussi possède un visage/masque, effet renforcé par la demi-paralysie faciale dont l'acteur-réalisateur souffre depuis un grave accident de moto. L'impassibilité extraordinaire de ce visage parfois secoué d'un tic ou d'un rire aussi bref qu'inattendu marque ce film et en est comme le point d'ancrage.
Un film à voir et surtout à revoir pour mieux l'apprécier encore.

Note 1: Tabou a été adapté par Nagisa Oshima de deux nouvelles de l'écrivain d'après-guerre Ryotaro Shiba : "Maegami No Sozaburo" et "Sanjogawara Ranjin", toutes deux extraites du recueil "Shinsengumi Keppuroku".
Note 2
: La musique (très belle) est due à Ryuichi Sakamoto, le jeune officier héros de Furyo (et déjà compositeur de la B.O.).

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Gérard Depardieu, Michel Blanc, Miou-Miou, Bruno Crémer, Jean-Pierre Marielle, Michel Creton, Jean-François Stévenin, Mylène Demongeot, Caroline Sihol et Bernard Farcy. Réalisé par Bertrand Blier. Scénario : Bertrand Blier. Directeur de la photographie : Jean Penzer. Compositeur : Serge Gainsbourg.
Durée : 84 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Antoine est amoureux de la froide Monique qui le rabroue en permanence. Alors Antoine confie son désespoir à son copain Bob qui l'écoute avec beaucoup d'intérêt, car il est amoureux d'Antoine. C'est ainsi que débute cette histoire d'amour...
L'avis de Jean Yves :
Bertrand Blier ne s'est pas contenté de jouer la provocation. Au-delà du délire, de la folie et du bon mot, sans omettre l'outrance du propos (Gérard Depardieu en pute, manteau de vison et lipstick dégoulinant), le cinéaste parle tout simplement du besoin d'amour.
La forme a peu d'importance : un homme, une femme ; un homme, un homme ; une femme, une femme. Quelle importance ? La quête est la même, le désir est identique : l'amour, aimer, être aimé. Point.
La première scène de Tenue de soirée est à cet égard très significative. Monique (Miou-Miou) insulte avec véhémence son mari, une cloche, fou amoureux de la garce qui lui crache son venin à la gueule, un « Pauvre con ! Tu n'es qu'un nul, une merde ! ». Elle n'en peut plus. Qu'est-ce qu'elle fout avec cette lopette d'Antoine (Michel Blanc) ? Il n'est même pas capable de gagner du fric, tout juste bon à lui adresser des mots tendres, à la regarder vitupérer contre lui. Un mâle arrive à la rescousse. Jean-Claude, alias Bob (Gérard Depardieu en voleur de charme), complet taille large et une écharpe de soie. Excédé par tant de haine, il balance une paire de baffes en plein dans la tête de Monique, un rien décontenancée : « Connasse ! Pouffiasse ! Tu n'as pas honte de parler ainsi à ton homme ? Tiens prends ça ! » Et il lui tend 5 000 ou 10 000 balles, peu importe, de quoi lui clouer le bec.

Et voilà le spectateur embarqué dans la plus grande des folies, le plus exaltant des délires : Monique n'en veut qu'au fric de Bob. Lui n'en veut qu'à son mec, Antoine.
– Antoine [Michel Blanc] : « Tu vas m'aimer toi au moins ?
– Bob [Gérard Depardieu] : Bien sûr que je vais t'aimer, je vais faire de toi une reine ! »
Un dialogue qui en dit long sur les surprises incessantes du film...
Michel Blanc a joué son personnage avec une très grande sincérité. Quand il devient femme, c'est assez étonnant. Aucun artifice, seulement une petite robe misérable et une malheureuse perruque.

Tenue de soirée est un film qui n'a rien à démontrer. L'homosexualité n'y est pas enfermée dans un ghetto, on en rigole comme on rigolerait de l'adultère, sans en faire un monde à part. C'est une histoire d'amour comme les autres… à la condition d'accepter de suivre ce trio pendant un moment, sans chercher de pourquoi, de logique sur les réactions de ces crapules sympathiques et douloureuses.
Il y a une scène émouvante quand Depardieu en string léopard dit à Antoine qui est dans le lit :

« Où est-ce que tu vois Monique ? Il n'y a pas de Monique. Tout ce que je vois, ce sont deux hommes merveilleusement faits l'un pour l'autre comme le ciel et la mer. Monique, ce n'est rien qu'une mouette. Tu enlèves la mouette, ça ne change rien au tableau. »
Une autre scène, celle de la dispute entre Antoine et Gérard est étonnante ; le dialogue est hallucinant, à en pleurer de rire alors que là l'envie de rire n'est pas au rendez-vous :

Antoine : « - Dehors c'est le printemps, tu ne m'as même pas emmené voir les bourgeois.
Et Gérard répond : - T'as rien foutu, tu t'es encore bourré de chocolats toute la journée. »
Cette scène ne se passe pas comme une blague, mais comme un cri de désespoir. On est vraiment là dans un archétype de la scène de ménage. C'est très fort. Et le dialogue se poursuit :

« Regarde ! Bientôt je vais avoir une culotte de cheval, et tu ne t'en apercevras même pas. Tu me traites comme la dernière des dernières.»
Le film se termine sur un « cul-de-sac », tout en restant drôle et en ne se fermant pas. Il passe à un cran supérieur dans l'onirisme et la folie : les personnages s'en vont en disant :

« On vous a raconté notre histoire. Bonjour chez vous ! »

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Daniel Brühl, August Diehl, Anna Maria Mühe, Jana Pallaske et Thure Lindhardt. Réalisé par Achim von Borries. Scénario : Achim von Borries.
Durée : 89 mn. Disponible en VO et VOST.


Résumé :
Allemagne 1927, une Garden party entre jeunes aristocrates. C'est l'été. Amour, désir, ivresse les envahissent pour le meilleur comme pour le pire.
Ni limite, ni compromis : guidé par la seule quête d'absolu, Günther est entré dans la spirale de la perte des valeurs. Hilde, sa sœur, a épousé la même conduite, allant jusqu'à entretenir une liaison avec Hans, l'amant de Günther.
Attisant les jalousies, cette relation va devenir le centre d'un drame orchestré par un Club du suicide. Paul, l'écrivain, en sera le témoin actif précipitant ainsi la tragédie.

L'avis de Eloah Moon (La Lucarne) :
Deux jeunes hommes, Paul Krantz (Daniel Brühl) et Günther Scheller (August Diehl), décident de fonder un club romantique, le Club du Suicide, qui prône la seule véritable raison de choisir sa mort : la perte du grand amour. Günther est amoureux de Hans (Thure Lindhardt), qui couche avec lui, mais est épris de la sœur de Günther, Hilde (Anna Maria Mühe). Cet amour pour Hilde est réciproque, mais la jeune fille, qui ne veut encore appartenir à quiconque, est volage ; elle séduit et couche avec Paul qui, lui, n’a d’yeux que pour elle. Lors d’un week-end dans la maison de campagne des parents Scheller, alors absents, Hilde et Günther organisent une grande fête, où tous les protagonistes de ce kaléidoscope amoureux s’entrecroisent parmi d’autres amis. Une grande fête, arrosée d’alcool, d’absinthe et fatalement de drame, s’annonce…
Dans la lignée romantique des Souffrances du jeune Werther, ce film, fondé sur des faits réels que vécut l’écrivain Paul Krantz (accusé dans un premier temps d’être l’instigateur de ce drame), évoque de manière profonde et épurée le mal-être d’une certaine époque à l’adolescence, en quête d’exploration et de grand amour, désireuse de briser les chaînes et tabous d’une éducation parentale qui semble ne pas les comprendre. C’est tout le désir ardent de cette jeunesse allemande de l’entre-deux-guerres, qui ne s’est pas encore détachée de ses liens romantiques, tout en tendant déjà vers la liberté qu’annonce la proximité des années folles, qui s’exprime dans cette œuvre à la réalisation consciencieuse et profondément juste.
Daniel Brühl (Good Bye Lenine) est égal à lui-même : magistral en jeune poète débutant, énamouré et rêveur. Les autres acteurs brillent également par leur excellence, et ajoutent à cette œuvre un accent d’incontournable. À noter également, la ravissante chanson, thème du film, Die Liebe in Gedanken (du titre du film en allemand) et chantée délicatement par Daniel Brühl et August Diehl, mettant en lumière une nouvelle facette de leurs nombreux talents respectifs ; ainsi que la parfaite harmonie de leur première rencontre cinématographique. Il faut bien sûr aimer le genre, et on est bien loin des gros burgers plein de « graisse-stories » made in « Hollybush » mais, même si les raisons ont quelque peu changé aujourd’hui, le sujet reste (malheureusement) intemporel. Alors, quand on nous sert un film, dont l’histoire des protagonistes donne à réfléchir (et ce de manière intelligente, ce qui est un trait non négligeable en soi), là je dis bravo !
Si après ça vous n’êtes pas convaincus… on vous aura quand même prévenus !

Citation : « Paul Krantz et Günther Scheller en sont les membres.
Primo : le nom de ce club est « Fehou ».
Secundo : l’amour est la seule cause pour laquelle nous sommes prêts à mourir.
Tertio : l’amour est la seule raison pour laquelle nous tuerions.
Nous mettrons un terme à nos vies quand nous n’aurons plus d’amour, et nous emmènerons avec nous ceux qui nous l’ont volé. »

Pour plus d’informations :

Merci à Antiprod pour les photos.

Fiche technique :
Avec Ni
ck Nolte, Bette Midler, Richard Dreyfuss, Little Richard, Tracy Nelson, Elizabeth Pena et Evan Richards. Réalisé par Paul Mazursky. Scénario : Leon Capetanos et Paul Mazursky.
Durée : 103 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Après la disparition de son chien, un clochard tente de se suicider dans une piscine de Beverly Hills. Le propriétaire des lieux, Dave Whiteman, le sauve, l'installe chez lui et met les nerfs de sa femme à rude épreuve.
L'avis de Jean Yves :
Ce film n'a plus rien à voir avec la mouture française, dont il s'est légèrement inspiré : Boudu sauvé des eaux, de Jean Renoir (1932), avec Michel Simon.
Ici, le clochard, américain, n'est pas dupe, il préfère fouiller et fréquenter les poubelles de Beverly Hills que celle des bas-fonds de Los Angeles.
Après s'être fait volé son chien appelé "Kérouac" (quel programme !), il décide de mettre fin à ses jours en se jetant dans la piscine la plus chic de Beverly Hills. C'était sans compter sur la famille la plus branque et la plus dissolue qui n'a de cesse de lui redonner goût à la vie.
En son sein cette famille comprend :

un père désabusé, self-made man ayant fait fortune dans les cintres,
une mère carrément cintrée, se réfugiant dans la méditation orientale et la bouffe macrobiotique,
une fille anorexique, étudiante en psy,
un fils décalé, aux très nettes tendances homosexuelles.
De quoi remplir le divan d'un savant docteur Freud pour de nombreuses séances.
Ce Boudu sauvé des eaux, confortablement installé au cœur de cette famille perturbée, va mettre à profit sa philosophie et sa saine conscience pour démêler l'écheveau passablement emmêlé de la tribu. Dans l'ordre des urgences : il va réveiller et animer la vie du PDG qui avait fini par oublier de sourire ; coucher avec l'épouse afin que les tissus se détendent une bonne fois pour toutes ; libérer la bonne et la fille par des culbutes révélatrices ; et rassurer le fils homo quant à sa sexualité, sans toutefois coucher avec, et ce dernier de s'affirmer tellement bien qu'il finira en folle démente, petite sœur de Boy George, au temps de sa splendeur.
Malgré un scénario généreux et plein de bonnes intentions, ce film provoque un malaise, car il vire souvent à la banalité et au superficiel. Résultat, les acteurs cabotinent…

Pour plus d’informations :

Fiche technique :
Avec Sami Frey, Michel Aumont, Christine Murillo, Mario Gonzales et Nicole Jamet. Réalisé par Coline Serreau. Scénario : Coline Serreau.
Durée : 93 mn. Disponible en VF.

Résumé :
La vie mouvementée d'un ménage à trois dans un pavillon de banlieue qui suscite la curiosité de leur entourage dont celle d'un inspecteur de police.
L'avis de Jean Yves :
Deux hommes et une femme vivent ensemble en banlieue. Et ils s'aiment. Ils font la cuisine et le ménage ensemble. Mais aussi l'amour...
Le succès du film de Coline Serreau Pourquoi pas ! a d'abord été celui du bouche à oreille. En 1977, je me souviens, il envahissait toutes les conversations. Il est aussi celui d'une rencontre entre un sujet et une époque. La fin des années 70 a marqué, qu'on le veuille ou non, le début d'une ouverture d'esprit et de comportement que nous regardons aujourd'hui comme si elle avait toujours existé.
Deux hommes (Fernand/Sami Frey et Louis/Mario Gonzalès) et une femme (Alexa/Christine Murillo), vaguement post-soixanthuitards, vivent ensemble dans un pavillon de la région parisienne. Alexa gagne l’argent de ce ménage à trois. Et ils s'aiment. Vraiment. Ils font l'amour, la cuisine, le ménage ensemble.
Un film pas intello. Aucun discours pontifiant ou psy-quelque chose sur la bisexualité, l'homosexualité et toutes ces notions-là. Aucune leçon de morale. Pourquoi pas ! n'est ni un pensum, ni un film de propagande pour une quelconque officine de libération des mœurs sur fond de marches militantes. C'est seulement un film sensible et émouvant, une histoire d'amour avec les inévitables problèmes qui se posent à de nombreux couples.
Et ne croyez pas que lorsqu'on est heureux à trois, la jalousie n'a pas son mot à dire. Elle se déchaîne même lorsqu'un quatrième vient s'inscrire dans le tableau. Une quatrième, pour être plus précis. Et alors là...

Pourquoi pas ! est un film qui m'a d'abord fait rêver. Je me rappelle qu'à sa sortie, j'ai envié la liberté et le naturel de ces personnages qui vivaient exactement comme ils l'entendaient, sans se soucier de l'opinion des autres et sans, surtout, se mettre des étiquettes superflues sur le dos.
Maintenant, je sais que cette vision de la liberté totale (hier comme aujourd'hui) ne marche pas. Car cette comédie a oublié qu'il y a le plus souvent un dindon de la farce... dommage que cette dimension n'ait pas été prise en compte par la cinéaste.

Pour plus d’informations :



DVD 1 : FLESH (1968)

1h25’50’’

FICHE TECHNIQUE

Mise en scène, sr., photo, :               Paul Morrissey

Distribution                                        Scores Movies Ltd. (1968)

Production                                         Andy Warhol

Musique                                              une chanson de Fred Astaire au début

CASTING

Joe Dallesandro, Geraldine Smith, Patti Darbanville, Louis Waldon, Candy Darling, Jackie Curtis, Geri Miller, Barry Brown, Maurice Braddell

Résumé du scénario :

A New York, en 1968. La journée ordinaire de Joe : un itinéraire marginal d’un prostitué italien bisexuel de 18 ans marié et père de famille. Joe croise lesbiennes rivales, transsexuelles intéressées et amis-clients possessifs afin, éventuellement, de ramener 200$ qui devront servir à financer l’avortement de la meilleure amie de sa femme. Mais il les croise aussi parce que, tout bonnement, il les aime. Une certaine conception de la pureté…

CRITIQUE

Tourné après la tentative de meurtre de Warhol par Valérie Solanas – en fait à peu près pendant que Warhol était soigné de ses blessures à l’hôpital - mais déjà en projet antérieurement, Flesh est un second tournant – Chelsea Girls (1966) étant le premier - dans l’histoire de la Factory. Il marque le passage progressif de Warhol du flambeau de la réalisation à Morrissey. Ce passage a été jugé positivement par les uns – qui y voyaient la maturité enfin atteinte – ou négativement par les autres - qui y voyaient précisément l’amorce d’une irrémédiable décadence.

De 1963 (Sleep est le premier film signé Warhol : il dure 6H, est tourné en 16mm et en 16 images/secondes - selon qu’on respecte ou non la vitesse originale de projection, le film varie en durée - constitué de « segments » de 10’ cadrant telle ou telle partie du corps d’un homme qui… dort) à 1974 (Blood of Dracula [Du sang pour Dracula] est le dernier film de cinéma auquel Warhol ait pris une part directe ou indirecte et marque le point de séparation avec Morrissey), on peut dire que les rôles de Warhol furent ceux d’un homme-orchestre mais que ses collaborateurs ne le furent pas moins.

Certes, rien ne se faisait sans l’aval de Warhol, sa présence effective et c’est bien lui et sa « Factory » à l’intégration verticale au fond très analogue à celle d’une société hollywoodienne qui contrôlait chaque produit filmique. Mais Gérard Malonga, Chuck Wein, Ronald Tavel, Morrissey et les autres furent tour à tour aussi bien opérateurs, scénaristes, réalisateurs, cadreurs sur Sleep, sur Eat (1964 : un homme mange des champignons hallucinogènes pendant 45’), Blow Job (1964 : un mec se fait sucer par 5 autres mecs pendant 30’), Couch (1964 : sur le canapé de Warhol, 50 bobines de 35’ chacune totalisant 24’ de projection montrent des ébats divers – hard !), Horse (1965 : une parodie de western – avant Lonesome Cowboys ou Cow-Boys selon les sources – impossible de me rappeler du générique que j’ai vu vers 1985 pour confirmer ou infirmer le trait d’union et la séparation ! 1968) - dont le titre joue aussi sur un mot d’argot désignant une certaine catégorie de drogue, durée 105’), Vinyl (1965 : première version filmée du roman d’Anthony Burgess, Clocwork Orange, durée 64’), Blue Movie (1968 : histoire d’un film porno avec Viva, tourné en 16mm, durée 130’ à 24 images/secondes) et bien d’autres ! Et ces postes qu’ils tinrent pour leur producteur, leur producteur les endossa lui aussi et parfois simultanément et sur le même film.

Cela dit, aucun doute sur l’évolution cinématographique globale de la Factory : elle commence vers 1960 dans l’expérimental et l’underground le plus narrativement absolu, dépouillé – à tel point qu’on pouvait évoquer une esthétique proche dans sa visée à celle d’un Carl Theodor Dreyer – afin d’enregistrer, souvent en plan fixe mais pas systématiquement, aussi bien ce qui est cadré que le son, lorsqu’il est utilisé, de ce qui est hors-champ mais audible et proche.

Un peu comme si le langage cinématographique renaissait sous nos yeux dans son histoire mais selon un autre principe, les autres types de plan et de cadrages, les mouvements d’appareils divers, les effets de montages « images et sons » retrouvent ainsi une densité, une fraîcheur, une intensité perceptive et signifiante comme vierge et neuve.

En marge et cachée parce qu’elle révèle ce qu’on ne montre pas d’habitude : la mort, le sexe, le rêve sont au cœur d’une anti-représentation hollywoodienne qui prétend être, comme d’habitude dans l’histoire de l’art, une approche plus vériste de la réalité. Mieux : qui prétend la modifier ! Le pop-art avait décrété que chacun pouvait faire tout ce qu’il voulait et comme il le voulait. Pourquoi donc ne pas filmer des heures durant une bouche mangeant une banane, un homme en train de dormir, des bouches diverses s’embrasser en close-up durant des heures aussi ?

Avec le temps, le succès, l’argent aussi – voir les nombreuses remarques mi-cyniques mi-convaincues de Warhol lui-même sur la nécessité pour l’artiste de « réussir » s’il veut atteindre son but d’artiste - la normalité dramatique, le montage classique, la mise en scène conventionnelle s’introduisent. Ce fut aussi bien une volonté, semble-t-il, de Warhol que de Morrissey. En 1966 le pli commençait à se prendre et il fut accentué par le succès critique et commercial de Flesh. Les films postérieurs marqueront une résistance latente à cette tendance de fond ou au contraire son avancée. En 1974, il était clair que la « convention » l’avait emporté. Ce qui n’empêcha pas Morrissey, désormais seul, de poursuivre une démarche intéressante : Forty Deuce [New-York quarante deuxième rue] (1982) emploiera le thème des « hustlers » si fréquent dans les « Factory movies » en l’alliant au suspense et au split-screen (après Richard Fleisher (1968) et Robert Aldrich (1974 et 1977) il est vrai…) et Mixed Blood [Cocaïne] (1985) sera un dynamitage provocant et détonnant du film de gang traditionnel – trouvant peut-être un équilibre parfait entre cinéma conventionnel et underground, longtemps recherché par Morissey.

C’est donc, précisément, la période 1968-1972 qui est celle où ces deux tendances se combattent, s’alimentent l’une l’autre qui voit naître la fameuse « trilogie » de la Factory. Et Flesh est sa première figure.

Il y a dès lors deux possibilités pour le spectateur : découvrir Flesh au hasard, en ayant une très vague idée de la période et des créateurs et sans avoir rien lu de précis sur Warhol et la Factory, son évolution esthétique et son histoire interne – ni rien vu d’antérieur à Flesh ou de postérieur produit par cette même Factory. C’était notre cas lorsque nous l’avons découvert lors d’une reprise parisienne vers 1982 ou 3. Et dans ce cas, disons-le, la surprise est totale, géniale, inoubliable. Le plaisir procuré par le film donne immédiatement envie de suivre Joe et de découvrir Trash. Puis Heat – bien que ce ne soit plus, ici dans cette troisième « partie », le Joe de Flesh et Trash. Ou bien on connaît tout de ce mouvement et on opte pour l’un des camps en présence : Flesh est l’amorce d’une décadence de la Factory confirmée par les deux films suivants ou au contraire son accomplissement, sa perfection équilibrée, confirmée par les deux films suivants. Et lorsqu’on dit « films suivants », il faut encore savoir que les partisans de la « décadence » y incluent tous ceux signés Morrissey – qui, par définition, ne serait plus Warhol mais « juste » Morissey.

Flesh revu en avril 2003, que reste-t-il d’une telle querelle, frappée au cœur des années 70 ? En fait tout et rien à la fois. « Chair » qui est la traduction littérale de son titre original - jamais utilisée pour le dénommer d’ailleurs -  est génial en soi. Il se porte bien. Au sens de « se tenir tout seul sur ses pieds » et au sens de « fonctionner à plein rendement ». Il présente – représente – une synthèse et un point d’équilibre entre le cinéma expérimental pur et le cinéma traditionnel. Les deux camps ont un peu raison de le revendiquer.

On n’est pas près d’oublier la journée de Joe : chassée de son lit par une emmerdeuse qui le houspille alors qu’il dormait, nu, du sommeil de l’innocent (du juste ?), aussi innocent que son bébé, nu, qu’il tient un moment dans ses bras, à égalité de regard et de sensation mais avec un certain décalage inévitable tout de même… puisque Joe est en fin de compte aussi rusé qu’innocent, hésite entre la ruse et l’innocence, entre l’habillage et le déshabillage voire la nudité totale physique comme spirituelle, tout au long du film.

Ce portrait acide, dialectique, réceptif aux contraires et tenu par une unité de temps et d’action – presque de lieux mais plus tout à fait (intérieurs et extérieurs commencent à être nettement différenciés), se développe suivant son rythme propre qui est, précisément, de refuser le rythme du scénario. Joe devrait rechercher de l’argent fiévreusement : il est décontracté avec ses clients. Au fond, il n’est pas intéressé par l’argent mais par ce qu’elle l’oblige à faire : vivre = séduire = être séduit = parler = écouter = tout et rien. D’ailleurs lorsque Joe ramène l’argent au foyer, c’est pour constater que rien n’en est modifié pour autant : sa femme s’en moque et flirte avec une amie d’enfance aussi défoncée qu’elle. Il aurait pût aussi bien rester couché. C’est peut-être ce qu’il pense avant de se rendormir. À quoi rêve-t-il ?

Le délire du film est de montrer un prostitué italien marié et père d’un enfant, vivant pauvrement, probablement un peu « junkie », se promener chez les uns et les autres comme un londonien de la City irait discuter posément et objectivement, avec détachement qui n’est pas non plus du désintérêt, de la meilleure traduction de Shakespeare avec les membres de son club. C’est l’un des rares films de l’histoire du cinéma qui puisse être interprété d’une façon totalement opposée par les critiques. Le fait que les interlocuteurs de Joe soient des marginaux de la société américaine de 1970 est une revendication, révolutionnaire à l’époque, pour la liberté des minorités (sexuelles ou usagères de drogues). Revendication dont la proximité provoque la tendresse mais aussi une ironie socratique et sympathique : l’incroyable client de Joe qui veut lui faire imiter la pose d’une statue antique est un de ces personnages inoubliables. Candy Darling et Jackie Curtis commentant en historiennes émérites et fascinées les techniques de maquillage décrites dans un vieux magazine d’Hollywood tandis que Geri Miller suce Joe juste à côté d’elle en hors-champ puis en contre-champ est une scène inoubliable. En fait le moindre plan de Flesh, je m’en rends compte aujourd’hui, est inoubliable.

Mais c’est aussi dû à une qualité particulière de Warhol et aussi de Morrissey qui partageaient la même conception du casting : le soin extrême à sélectionner des personnalités originales, à les diriger librement et à leur faire donner le meilleur d’elles-mêmes. C’est un cinéma-vérité dont les néo-réalistes des années 1945 avaient rêvé en Italie mais qu’il fallut attendre 1970 pour voir achevé et on comprend qu’il ait fasciné certains critiques du néo-réalisme devenus réalisateurs : un Rivette, un Pasolini par exemple... La pauvreté du budget est une composante quasi-obligée de l’aspect expérimental du film. La qualité des acteurs est une composante quasi-obligée aussi de l’aspect commercial du film. Entre les deux, il ne faut précisément pas choisir. Le charme de Flesh, cet alliage réalisé en 1968, est précisément d’être un bon exemple d’un alliage typique du cinéma de Wahrol influencé par Morrissey et du cinéma de Morrissey influencé par Warhol.

 
DVD 2 : TRASH (1970)

1h45’

FICHE TECHNIQUE

Mise en scène, sr., photo, montage :            Paul Morrissey

Distribution                                        Score Movies Ltd. (1970)

Production                                         Andy Wahrol

Musique                                              d’époque

CASTING

Joe Dallesandro, Geri Miller, Bruce Pecheur, Michael Sklar, Andrea Feldman, Diane Podel – introducing Jane Forth & Holly Woodlawn

Résumé du scénario :

Dans la même ville, deux ans plus tard, Joe est devenu drogué à l’héroïne, voleur et impuissant. Il a abandonné la prostitution mais est toujours en butte aux désirs fantasques des unes et des autres. La société qui l’entoure est un peu sur la même pente que lui. Ses problèmes d’argent se seraient plutôt aggravés depuis le film précédent. À une petite différence près : Joe est ailleurs. Sa maîtresse transsexuelle a l’idée, à la suite d’une scène de ménage provoquée par sa sœur, d’un subterfuge pour bénéficier de l’aide sociale. Constat réaliste ou exaltation  de l’ascèse ? Le film central de la trilogie.

CRITIQUE

Probablement le film le plus original et le plus libre de la présente trilogie. Celui qui va le plus loin dans l’ambivalence qui a présidé à sa réception par le public de l’époque. Le titre est un jeu de mots : « ordure » signifiant aussi bien les ordures qui peuvent receler des trésors repérés par Holly dans les décharges publiques que l’insulte adressée à Joe lorsqu’il est impuissant. Il était un « hustler ». Il est devenu un hustler impuissant pour cause d’héroïne : un « trash » - un rebut de la société dans laquelle le sexe était justement son moyen de gagner sa vie par la prostitution. La scène initiale est un lien direct avec Flesh. Geri Miller est devenu la maîtresse entretenue d’un homme qui ne la satisfait pas. Elle fait appel à Joe qui ne le peut pas davantage en dépit de ses efforts. La fin de cette scène est le début réel de Trash. Quant à la rencontre avec Andrea Feldman et celle avec Jane Forth et son mari, elles s’opposent et se répondent. Joe ne trouve la paix ni chez les femmes droguées et marginales, ni chez les femmes bourgeoises : elles l’agressent de la même façon pour lui demander ce qu’il ne veut plus donner. Holly, la transsexuelle « mode » héroïnomane comme lui est donc la seule personne qui le comprenne et l’accepte et qu’il comprenne et qu’il accepte. Le reste du monde n’existe plus. De ce point de vue, le film est l’histoire d’un amour fou aussi fort que celui que peignaient les films de monstre de la Universal des années 30 sauf qu’ici, ironiquement, ce sont deux « monstres sacrés » de la Factory qui s’aiment et que le spectateur est estomaqué et sans point de repère en face d’eux, surtout aujourd’hui. Les transsexuelles sont en voie relative de reconnaissance par la société et l’héroïne n’est plus un phénomène sociologique évoquant une certaine mystique comme elle put l’être à l’époque. Cela dit, la structure même du film a préservé, intangiblement, la force et la vérité de ce couple. « Seuls contre tous » a-t-on envie d’écrire sans qu’il y ait pour autant un lien quelconque avec le cinéma contemporain ! La scène finale, longue, du dialogue hallucinant entre Joe Dallesandro et Holly Woodlawn, d’une part, et le fonctionnaire de l’assistance sociale chargé d’enquêter sur leurs revenus est une des séquences les plus drôles de toute l’histoire du cinéma. Elle s’achève par la fameuse tirade du fonctionnaire fétichiste qui dit en substance : - «  Vous méritez de crever, vous n’êtes que des hippies, des marginaux, des drogués ! ». Tout ça parce que Holly a refusé de lui échanger, contre la signature du document administratif ouvrant droit à l’aide sociale, sa super-paire de chaussure « Drag-Queen » rare et qu’elle n’est pas certaine de retrouver dans une autre poubelle ! La partie de cette séquence coupée au montage et restituée dans les bonus montre à quel point les acteurs étaient géniaux, jusqu’où ils pouvaient aller sous la caméra imperturbablement « objective et vraie » de Morrissey et quel grand directeur d’acteurs est celui-ci. On n’oubliera pas non plus la réconciliation sublime entre Holly et Joe, en contre-jour sur fond noir et gros plans en champ/contre-champ : lyrique, sensible, un peu ironique mais très tendre… Ce « noir et blanc coloré » qu’obtient la photo est ici sublime. Quant à Andrea Feldman, défoncée ici autant qu’elle le sera dans Heat, on ne s’étonne pas trop d’apprendre qu’elle se suicida en se jetant du 17ème étage avec une bible à la main. Elle ne pouvait sans doute pas continuer comme ça. Mais elle introduit avec intelligence un sentiment de folie totale jouant le jeu de la représentation à un point rarement atteint. Le travail de la caméra partagé, entre intérieurs (3/4) et extérieurs (1/4) un peu comme dans Flesh, est plus équilibré et moins fractionné. L’échantillonnage des plans est plus ample et Morrissey adopte même le style le plus classique lors de diverses séquences. Mais il introduit régulièrement d’admirables ruptures de ton (la rencontre devant le porche lumineux, encore en contre-jour, d’Andréa et Joe, les déplacements fréquents de Joe en gros plan engendrant une sorte de confusion constante entre sa vision du monde extérieur et la notre). Plus dur que Flesh en raison d’une représentation insistante et objective de la misère physique, il est une réflexion, d’essence mystique du début à la fin, sur le rapport entretenu par le désir et son insatisfaction, voire même par le désir du renoncement au désir : Joe se pique autant pour trouver la paix intérieure face à un monde pourri (réflexion de l’entraineuse qui veut le faire bander mais n’y arrive pas au sujet des informations télévisées et sa réponse) que pour échapper au désir excessif que sa beauté engendre. Son rapport à Holly est très proche de celui qu’il entretenait avec son épouse de Flesh. Il est néanmoins franchement plus risqué car encore moins reconnu par la société. Mais il est traversé par des témoignages d’amour authentique que le Joe de Flesh n’avait pas reçu. Holly est amoureuse donc jalouse de Joe, élabore des plans pour améliorer leur situation, veut maintenir un équilibre sexuel entre promiscuité et liberté sexuelle d’une part, respect de son partenaire d’autre part… de même qu’elle veut établir pour le « sauver » de la déchéance objective – la drogue l’empêche de faire l’amour – un « programme de substitution ». Mais Joe ici aussi l’aime plus pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle dit. Il apprécie cette communauté marginale fondée sur une base a-sociale mais réinventant une société sur de nouvelles bases. Holly ne dit-elle pas à un moment au fonctionnaire de l’aide social : - « Nous ne faisons de mal à personne. » ? Entre affirmation de la nouvelle morale du pop-art et le refus de l’abrutissement « hippie » - Joe explique tranquillement au petit jeune homme qu’a ramené Holly chez elle qu’il n’est pas un « hippie », qu’il « n’aime pas écouter des concerts de musique », qu’il n’y a pas « différentes sortes de drogues » - Trash est au fond en dehors de ces classements, de ces partitions, de ces catégories. Son choix et son refus vont au-delà de tout cela. Holly est le dernier lien qui puisse ici retenir Joe à la vie et il le sait. Mais il est presque ailleurs tout du long. Le film repose sur le « presque ». Trash est donc le film le plus risqué scénaristiquement et dramatiquement de cette trilogie. Celui où le cinéma expérimental underground semble porté de l’intérieur autant que par des signes cinématographiques extérieurs.

 
DVD 3 : HEAT (1972)

1h36’20’’

FICHE TECHNIQUE

Mise en scène, photo :                      Paul Morrissey

Scr.                                         Paul Morrissey d’après une idée originale de John Hallowell

Montage                                 Lana Jokel & Jed Johnson

Distribution                            Score-Sarx Company (1972)

Production                              Andy Warhol & Jed Johnson

Musique                                  John Cale – Warner reprise album « Academy in peril”

CASTING

Joe Dallesandro, Sylvia Miles, Andrea Feldman, Pat Ast, Ray Vestal, P.J. Lester, Eric Emerson, Harold Chile, John Hallowell, Gary Koznocha, Pat Parlemon, Bonnie Walder

Résumé du scénario :

Joe Davies a tâté de la télé et de la chanson mais le service militaire a ralenti sa carrière… Attendant un hypothétique contrat avec son agent à L.A., il élit domicile dans  un motel d’artistes en Californie : la lumière est plus dorée que celle de la côte Est mais les chairs et les âmes ne sont pas moins tourmentées et avides. Joe rencontreJessie, la fille droguée bisexuelle de Sally Todd,  actrice célèbre et riche mais en perte de vitesse. Elle le présente à sa mère dont il  devient l’ amant. Un « Sunset Boulevard » underground aux accents acides.

CRITIQUE

Dernier film de la Trilogie, Heat marque une rupture avec les deux précédents. Dans son scénario tout d’abord puisque le personnage interprété par Dallesandro n’est plus celui des deux films précédents : le dialogue nous précise son histoire. Il fut enfant la vedette d’une série télévisée débile, a fait un peu de musique puis arrive à Los Angeles parce que son agent lui a promis un contrat qu’il n’obtiendra d’ailleurs pas plus que le rendez-vous qu’il escomptait. Les ruptures étant posées pour être surmontées, Morrissey se plait à l’immerger dans un motel – thème inépuisable de divers films antérieurs de la Factory – où il va croiser quelques spécimens qui semblent directement issus par leur outrance et leurs aberrations des deux films précédents. Mais ici, Joe ne veut pas rester dans ce motel. Il ne s’y sent plus du tout chez lui. Il rêve d’en partir et de fait, il le quitte pour une liaison avec une actrice mûre qui vit dans une luxueuse villa. Nouveau dépassement en forme de synthèse ironique : la rupture avec l’actrice consommée – provoquée par sa fille droguée en grande partie et l’insistance d’un ami homosexuel de Sylvia ! – Joe sera contraint de retourner au motel où il manquera d’être assassiné par Sylvia Miles, ici encore plus géniale que Gloria Swanson dans le sien. Morrissey a l’air de dire : - «  Vous voyez, il croyait que ce n’était pas son monde, mais il se trompait. Il en fait partie au fond et il n’y est pas si mal. » Mais la peinture du personnage est d’un noir en demi-teinte. Ce qui le séduit chez Sylvia, c’est certes son argent mais aussi sa liberté, son refus des conventions dans sa vie privée, son art de conserver son quant à soi. Sylvia Miles : c’est le nirvana autant qu’Holly mais dans le luxe matériel.

Différence que l’on reprochera à Morrissey pour l’accuser d’avoir fait un remake « underground » de Sunset Boulevard. Mais il nous assure qu’il avait songé à L’ange bleu et pas du tout à Sunset Boulevard. Morrissey a raison de brouiller les cartes et le film n’est pas si simple. Au premier degré c’est un « Sunset Boulevard underground » et au second c’est bien aussi un « Ange bleu underground ». Et Morrissey continue d’exalter – en moraliste critique mais tout de même avec la plus profonde sympathie – la recherche de l’absolu de Joe. Le sexe, la drogue, l’amour de Holly, celui de Sylvia : autant d’étapes qui ne défont pas l’unité profonde du personnage. D’autant que Joe a toujours été un « acteur », a toujours maintenu une « distance » avec le monde dans Flesh, dans Trash comme dans Heat. Comme ici il interprète le rôle d’un acteur malchanceux, la boucle peut paraître encore plus bouclée. La liberté pour Morrissey serait de ne jamais adhérer, coller, se confondre avec un rôle. Celui qu’on croit vouloir jouer, celui que les autres veulent vous voir jouer envers eux. Le brillant de la mise en scène de cette mise en abyme formelle du vieux mélodrame hollywoodien et même de la réflexion wilderienne sur lui vient aussi de là : un jeu de miroirs qui ne renvoie qu’à lui-même. Un peu comme l’eau de cette piscine dans laquelle Joe se baigne rarement mais qui le dissout en fragments lumineux, l’anéantit comme personne pour le montrer comme reflets, réfléchissements infiniment renvoyés d’un plan à l’autre…

Heat est certes bien une comédie, drôle, ironique, amère mais il est aussi la suite d’une quête métaphysique, d’une réflexion de l’artiste sur son œuvre et sur le devenir de cette œuvre. Heat marque aussi une étape esthétique : le cinéma traditionnel semble y avoir intégré les éléments expérimentaux, les avoir digérés, intégrés. L’alliage est intelligent et brillant comme d’habitude mais n’a plus la faculté de surprendre. En trois films, le style et la forme ont perdu de leur nouveauté, il est vrai. On s’attache plus aux personnages. La transition filmique entre deux styles est ici achevée. Digestion passionnante et réussie dont Hollywood, juste retour des choses, sera rapidement le bénéficiaire. Ce motel en était bien l’antichambre, au fond. Mais la rupture avec le cinéma pur et dur d’un Mekas ou d’un Warhol est bien consommée.

 Francis MOURY, mai 2003
— Droits réservés —

Fiche technique :
Avec Francis Huster, Keiko Ito, Marie-France Pisier, Eva Darlan, Jean Marais, Laurent Malet, Gérard Klein et Marion Game. Réalisé par Jacques Demy. Scénario : Jacques Demy. Directeur de la photographie : Jean-François Robin. Compositeur : Michel Legrand.
Durée : 95 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Orphée est une pop-star adulée. Lorsque sa compagne Eurydice meurt subitement, il tente de la rejoindre dans l'au-delà. Un mystérieux personnage va lui proposer un bien étrange contrat.
L'avis de Jean Yves :
Avec Parking, Jacques Demy montre encore une fois qu'il se préoccupe des malaises et des angoisses des humains, en nous offrant les plus beaux spleens, les plus touchantes histoires d'amour.
Le mythe d'Orphée et d'Eurydice est une superbe histoire d'amour, magique. C'est un conte fantastique. Il était une fois Orphée (Francis Huster surprenant d'humilité), pop-star française au zénith de sa gloire, adulé par des milliers de fans, aimé confusément par une épouse japonaise Eurydice (Keiko Ito), et adoré jalousement par son ingénieur du son, Calaïs (Laurent Malet). Lors d'un concert, il est électrocuté par sa guitare.
La transposition est ingénieuse, et tout en jonglant avec les siècles, Demy reproduit l'exacte histoire d'Orphée.
Orphée n'avait qu'un seul souci, plaire et se faire aimer. Des hommes (somptueux et enivrant baiser entre Orphée et Calaïs), des femmes, des animaux (les biches aux abois), des plantes…
Tout irait pour le mieux du monde si Orphée n'avait pas été appelé, par erreur de programmation, aux Enfers. Renvoyé illico chez les pauvres terriens, bien qu'il puisse trahir le secret de l'au-delà.
Et là, le réalisateur a été génial et grandiose. Il a eu le déclic, en pensant aux parkings. Ces parcs à voitures ne sont-ils pas précisément des boxes pour l'autre monde ?
Une descente aux Enfers, précisément.
Peu de temps après être revenu sur terre, Orphée perd sa femme Eurydice. Pour la retrouver, il décide de rejoindre l'Enfer, là où elle est désormais...
Tous ces voyages souterrains sont filmés en noir et blanc, seules les taches rouges (le sang) colorent l'écran. Les gardiens du parking sont, légende oblige, Hadès et Perséphone, Jean Marais et Marie-France Pisier. Une drôle d'invention ce couple.
Bien sûr, Demy n'a pas pu s'empêcher de saupoudrer son film de quelques chansons, écrites par lui-même et mises en musique par Michel Legrand.
L'Orphée de Jacques Demy est bisexuel : il n'y a pas d’équivoque de ce côté-là. Et pourtant le cinéaste a joué merveilleusement avec la subtilité et le tact. Son film n'est ni un drame bourgeois, ni du boulevard. Quand Calaïs pleure de jalousie, Orphée chante : « Entre vous deux mon cœur balance. » Il suffit d’écouter le texte…

Loin de toute préoccupation mode, Demy s'est donné les moyens de faire un pied de nez à la mythologie, en nous brossant un nouveau code amoureux, une nouvelle Carte du Tendre...
Garez-vous, et profitez de ce délicieux voyage pour l'Enfer.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Alan Bates, George De La Pena, Leslie Browne, Alan Badel, Colin Blakely, Ronald Pi
ckup, Ronald Lacey, Vernon Dobtcheff et Jeremy Irons. Réalisé par Herbert Ross. Scénario : Hugh Wheeler. Directeur de la photographie : Douglas Slocombe. Compositeur : John Lanchbery.
Durée : 129 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

L'avis de Jean Yves :
La vie du célèbre danseur russe et comment il parvint au sommet de son art.
Le film débute à Budapest, en 1912. Serge Diaghilev, qui rentre d'Angleterre, y retrouve Vaslav Nijinsky légèrement souffrant, et une des premières scènes du film nous montre les deux hommes s'embrassant tendrement.
Il faut l'avouer, l'homosexualité de Diaghilev (Alan Bates) et Nijinsky (George De La Pena) y est abordée avec une certaine honnêteté. La rupture des deux amants nous est restituée dans toute son ambiguïté. Quant à Alan Badel, mécène des Ballets Russes, il cristallise dans son personnage du Baron de Gunzburg les clichés de la folle vieillissante.

Nijinsky, le film, n'est pas seulement l'histoire d'un ballet. L'époque éblouissante des Ballets Russes de Diaghilev sert de toile de fond, et le cinéaste raconte le drame de ce fantastique danseur, son succès, sa tragédie, le conflit entre l'homosexualité et l'hétérosexualité qui plonge les protagonistes, Nijinsky, sa femme Romola et Diaghilev dans la douleur et le désarroi.
Alan Bates campe Diaghilev avec autorité et suprême intelligence. À ses côtés, George de la Pena, choisi pour être Nijinsky bien que ne lui ressemblant pas physiquement, la vingtaine, beau, excellent danseur réussit à convaincre.
Personnellement je regrette que le film ne décolle pas, tout alourdi qu'il est par la mise en scène d'une facture très classique, linéaire : il manque à cette mise en scène la démesure et la densité du personnage-légende Nijinsky.
Restent la luxuriance du décor et la minutie de la reconstitution historique. Ce n'est déjà pas mal.

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Fiche technique :
Avec Bruno Crémer, Marie-Christine Barrault, Stéphane Bonnet, Bruno Pradal, Cécile Vassort et Fabienne Lafont. Réalisé par Claude Bernard-Aubert. Scénario : Claude Bernard-Aubert. Directeur de la photographie : Claude Becognée. Compositeur : Alain Goraquer.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Michel et Nicole, mariés et heureux, vivent une vie des plus paisibles, jusqu'au jour où lui est de plus en plus attiré par Philippe, un de ses collègues...
L'avis de Jean Yves :
Un bourgeois marié et père de famille découvre qu'il peut tomber amoureux d'un beau jeune homme, et braver quelque temps tabous et préjugés. Mais sa femme est là et elle veille au grain pour que tout rentre dans le bon ordre moral.
Un couple à la dérive
Nicole (Marie-Christine Barrault) et Michel Dupré (Bruno Crémer) forment un couple bourgeois qui s'emmerde : la femme sent que son mari s'intéresse à quelqu'un d'autre, lui imagine quelques secrétaires sexy et, au lieu de ça, découvre que son homme couche avec son jeune collaborateur (Stéphane Bonnet). D'abord réfugiée chez son meilleur copain, pédé cliché, Marc (Bruno Pradal) tenant une galerie, elle réagit et, fine mouche, récupère son mari en séduisant l'amant.
Le ménage à trois sera un fiasco et Michel Dupré rentrera dans le rang : est-il un hétéro qui vit son fantasme pédé, ou une « honteuse » qui assume un moment mais revient dare-dare dans le moule majoritaire ? La réponse se situe sans doute dans l'entre-deux.
Le personnage de Philippe (le collaborateur du mari) est assez mal défini : est-ce qu'il est un peu gigolo ? Est-ce qu'il couche avec un homme pour la première fois ? On n'en sait rien. On peut lui trouver un côté profiteur, même si, sur certains côtés, on a l'impression qu'il subit aussi la situation.
Quand il est nu sous la douche, Philippe joue l'ambiguïté, comme le symbolise sa façon de regarder le mari. De même, avec son sourire un peu narquois quand le couple retrouvé, l'abandonne sur la plage.
Nicole Dupré, la femme semble la « gagnante » immédiate de l'histoire, mais on peut penser que le couple sera beaucoup plus marqué que Philippe par cette expérience. Michel Dupré en gardera sans doute une amertume qu'il aura bien du mal à dépasser.
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Fiche technique :
Avec Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Leo G. Carroll, Patricia Hitchco
ck, Marion Lorne, Jonathan Hale, Laura Elliot, Howard St-John, Norma Varden, John Brown et Robert Gist. Réalisé par Alfred Hitchcock. Scénario : Raymond Chandler, Czenzi Ormonde, Whitfield Cook et Ben Hecht. Directeur de la photographie : Robert Burks Compositeur : Dimitri Tiomkin.
Durée : 100 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Un champion de tennis est abordé dans un train par un inconnu qui lui propose un étrange marché : il supprime sa femme encombrante si celui-ci se charge d'éliminer son propre père. Croyant avoir à faire à un fou, le tennisman ne lui prête aucune attention. Peu de temps après, sa femme est assassinée...
L'avis de Mérovingien02 :
Psychose, Les Oiseaux, Sueurs Froide... Les films les plus connus d'Hitchcock auraient tendance à éclipser d'autres petites perles du maître dont cet Inconnu du Nord-Express qui mérite tout autant de lauriers que les précédentes œuvres citées. On y parle de folie, de relations Œdipienne et d'homosexualité avec une maestria hors du commun. Des thèmes chers à Hitchcock habilement insérés dans une trame de thriller machiavélique (adapté d'un roman de Patricia Highsmith).
Ou comment deux hommes vont se rencontrer dans un train et l'un subir le chantage de l'autre. Au gré d'une discussion anodine, Bruno va tenter Guy afin de tuer sa femme pour lui, en échange de quoi Guy devra tuer le père de Bruno. Le crime parfait, sans mobile ni pour accuser l'un, ni pour accuser l'autre. Leur première rencontre permet à Hitchco
ck de placer la relation d'échange qui va lier les deux hommes. L'introduction du récit suit des pieds qui vont finir par se heurter dans un train. Un premier élément fétichiste qui place l'idée du miroir de l'homme (les deux pieds semblent aller à la rencontre de l'autre dans une symétrie). En effet, le film va nous montrer, à travers le personnage de Bruno, le reflet de nos propres pulsions inavouables. Bruno est ainsi décrit comme un homme vouant une haine tenace à son père et qui privilégie l'exclusivité de l'amour maternel. Le meurtre est pour lui un véritable plaisir. Hitchcock annonce que nous avons tous déjà eu au moins une fois envie de tuer quelqu'un (la scène de colère au téléphone de Guy) et que la mort devient parfois sujet à plaisanterie (la bourgeoise qui accepte de se faire étrangler). La bourgeoise ou encore Guy, dans la scène du train, en acceptant de plaisanter sur le thème du meurtre, deviennent finalement des complices de l'assassin. D'une certaine manière, nous avons tous une part de Mal en nous que l'on réfrène mais qui ne demande qu'à exploser au grand jour. Il n'y a qu'à voir le lieu du meurtre qui devient très visité pour s'en convaincre.
Pour renforcer sa théorie, Hitchco
ck prend le risque de nous attacher au criminel. Qu'on le veuille ou non, on le prend en sympathie. Si on replace le film dans son contexte, on imagine aisément les ligues de vertu de l'époque s'offusquer, puisque le criminel est finalement un homosexuel psychotique pour lequel les spectateurs ont une certaine affection (élément qui, de nos jours, n'est pas dérangeant). Car le personnage de Bruno laisse en filigrane apparaître une fascination pour Guy, qui est champion de tennis. La mort du père et l'affection de la mère sont autant d'indices qui deviennent plus explicites par la suite, tout comme le meurtre de la femme une fois sortis du tunnel de l'amour. Bruno est fasciné par Guy. Il l'épie constamment, lui téléphone, la rencontre entre les deux hommes se fait par un mouvement du pied (évoquant les caresses du pied des jeux amoureux), petits mots... Même la séquence finale, dans le manège, prend des allures de corps à corps dans un environnement tourbillonnant. L'homosexualité est donc latente durant tout le récit.
La symétrie des pieds au début tout comme les jeux de reflets offre à Guy et Bruno une relation d'interdépendance. L'un et l'autre sont liés par leur destin, comme viendra le démontrer la digression narrative finale où, pendant que Guy joue un match, le montage parallèle nous présente Bruno tentant de récupérer le briquet de Guy qu'il a fait tomber dans un égout. À noter que le thème de l'homosexualité était déjà présent dans Rebecca et La Corde.
Au-delà de la réflexion sur la dualité Bien/Mal qui habite tout individu, au-delà de la réflexion sous-jacente sur le couple gay, Hitchco
ck nous convie comme dans ses plus grandes œuvres, à une démonstration de savoir-faire technique qui le désigne définitivement comme un grand architecte du cinéma. Bien entendu, quand on évoque l'Inconnu du Nord-Express, on pense à un film noir, à un suspens au couteau, à de grands numéros d'acteurs (Robert Walker, dont c'est ici l'avant-dernier rôle avant sa mort, est tout simplement parfait, éclipsant même Farley Granger) et à l'habituel caméo du réalisateur (il monte dans le train avec une contrebasse). Mais ce qui frappe le plus dans le film, c'est sa construction géométrique et sa rigueur mathématique. Car au-delà des plans cités plus haut mettant en avant la dualité qui nous habite et la thématique du double, Hitchcock parsème son film de plans évoquant le reflet (il en retire d'ailleurs les scènes les plus marquantes). Ainsi, le meurtre sera filmé dans un reflet de lunettes et l'instant précédent le meurtre se fera par un jeu d'ombres renvoyant à nos propres démons. De la même manière, si les deux héros se font échos dans le récit, une séquence va marquer définitivement la rupture entre les deux individus lors de la scène de tennis où, alors que les spectateurs effectuent un mouvement de la tête gauche-droite tandis qu'au milieu de la foule, seul Bruno est fixe, apparaissant comme un élément perturbateur loin de la masse (on retrouve cette idée d'un élément différent et dangereux dans la scène du Sénat où la silhouette noire de Bruno fait parasite dans le décor blanc immaculé).
Une anecdote du tournage du film rapporte que Farley Granger, inquiet de voir Hitchco
ck assis dès le début du tournage, lui avait demandé s'il se sentait bien. Ce à quoi le maître répondit qu'il s'ennuyait car il avait déjà le film en tête et avait la sensation de faire de la redite. Une preuve de la rigueur du réalisateur qui savait parfaitement où poser sa caméra et ce qu'il souhaitait nous dire. Ainsi, toujours dans l'optique d'un film aux plans mathématiques, l'Inconnu du Nord-Express nous décrit la chute de Guy comme une spirale infernale dont il ne parvient pas à s'extirper. Le motif du cercle infernal revient constamment à l'écran. En effet, L'objet déclencheur de l'engrenage pour Guy est sa femme qu'il veut voir mourir. Or, celle-ci se révèle être une vendeuse de disque. Puis avant de commettre son meurtre, Bruno fera claquer un ballon avec sa cigarette. Le motif du cercle s'impose de plus en plus au fur et à mesure que le film avance et que les enjeux se resserrent. Avant la confrontation finale, nous assistons au coucher du disque solaire vu par les deux protagonistes. Enfin, c'est dans un manège circulaire que prendra fin le récit, le héros se libérant de son ennemi lorsque le manège finira par être détruit, le cercle infernal étant brisé.
L'Inconnu du Nord-Express demeure donc encore aujourd'hui une référence dans la filmographie du réalisateur. Un scénario exemplaire, une thématique récurrente du maître qui trouve ici un terrain de jeu propice à son exploitation et à des quantités de trouvailles visuelles. Que demander de plus ?
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Fiche technique :
Avec Pascale Bussières, Don McKellar, Rachael Crawford et Henry Czerny. Réalisé par Patricia Rozema. Scénario : Patricia Rozema. Directeur de la photographie : Douglas Koch. Compositeur : Lesley Barber.
Durée : 95 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Camille et Martin s'aiment. Les responsables du collège religieux où ils enseignent leur demandent de légaliser leur union. Camille ne se sent pas prête pour le mariage. La mort de son chien la plonge dans un total désarroi. Sa rencontre avec Petra, irrésistible jeune femme, acrobate dans un cirque ambulant, va remettre en question son amour pour Martin.
L’avis de gayvisual :
Deux femmes projetées dans deux chemins de vie différents, tombent amoureuses l’une de l’autre, avec en toile de fond l’univers sacré de la religion mêlé à la magie du cirque. Magnifique, merveilleux, fantastique sont autant de qualificatifs employés par la critique pour célébrer la distribution de ce film en salle.
Elle-même élevée dans la rigidité du calvinisme, la réalisatrice canadienne, Patricia Rozema, va utiliser l’austérité et la dureté de la religion pour mieux libérer ses personnages et faire vivre une histoire d’amour. Elle se dit profondément influencée par Ingmar Bergman et Woody Allen, parce qu’ils parviennent à exprimer cette coexistence profonde entre spirituel et charnel. Ainsi, le titre du film est inspiré d’une réplique tirée du film de Bergman Fanny et Alexandre, qui se termine par « Le monde est un repaire de brigands et la nuit est en train de tomber… Aussi dépêchons-nous d’être heureux, gentils, généreux et bons. »

When Night is Falling est récompensé en 1995 dans six festivals internationaux, dont le très convoité festival de Berlin.
Camille enseigne « les belles histoires » de la mythologie dans un collège religieux calviniste au Canada. Équilibrée dans sa vie austère, elle semble promise à un de ses confrères ambitieux, Martin, qui enseigne la théologie. Alors qu’ils sont sur le point d’être promus responsables du collège, le Révérend, supérieur de l’établissement, leur demande d’abord de légaliser leur union devant Dieu. Camille doute. Elle n’est pas décidée à s’engager.
La mort de son chien Bob bouleversera son destin tracé et réglé par les institutions et l’ordre moral,  en lui faisant prendre conscience qu’elle vit à côté d’elle même. Elle place le corps de son chien dans son réfrigérateur afin de le préserver, pour ne pas devoir affronter sa disparition. Cryogénisé, le temps s’est arrêté. Elle l’aimait plus que n’importe qui d’autre au monde. Désemparée et inconsolable, elle entre alors dans une laverie automatique. C’est là qu’elle rencontre Petra, une artiste de cirque, qui la voyant pleurer, tente de la réconforter. Petra est très attirée par la fragilité de Camille et use d’un subterfuge pour la rencontrer à nouveau. Elle intervertit le contenu des sacs de vêtements.
Camille est troublée par la force douce de la liberté sensuelle de Petra. Tout semble pourtant séparer les deux femmes. Petra jongle avec la lumière alors Camille professe celle de Dieu. L’une est homosexuelle, l’autre pas. L’ordinaire de la vie de Petra est « sauvage », Camille évolue dans la tradition, l’austérité et le silence. Ces deux personnages profonds, imprégnés de mystère et irradiant de beauté vont s’apprivoiser et vivre un nouveau départ.
Le cirque, sanctuaire du rêve, de l’imaginaire et de la liberté fascine et impressionne Camille. D’abord elle ne se reconnaît pas dans ce nouveau monde. Elle a peur de Petra et d’elle même. Puis ses points de repère et les institutions vont voler en éclats au fur et à mesure qu‘elle va pénétrer l’univers initiatique de Petra. À cet instant, il n’est plus question d’aimer Dieu ou d’avoir la foi. Cet amour épidermique, où vibre une autre forme de spiritualité, l’ensorcelle.
Comment ses sentiments et ses désirs peuvent-ils coexister avec les exigences pesantes de sa vie ?
L’Amour profane effrite l’intransigeance du Sacré. Ses élans de tendresse ébrèchent ses convictions. Le charnel se confronte à la religion.
Le choix de Camille est une épreuve. Il s’agit, pour elle, de distinguer pour la première fois ce qu’est véritablement le bien et le mal. Tiraillée à la fois par son affection pour Martin et ses sentiments profonds pour Petra, sa carrière et le désir de vivre un amour intense, l’éthique et la liberté, elle doit choisir entre ombre et lumière. Une porte s’est ouverte, elle ne la refermera pas.
Ce dilemme est parfaitement illustré par l’esthétisme des images fortes et sensuelles qui soulignent le contraste entre l’univers austère, figé et intolérant du collège et celui du cirque où tout est bruit, couleur, mouvement, libération et profusion.
L’apport de ce film réside sans doute dans le fait que l’amour entre ces deux femmes soit célébré avec une grande liberté de ton et d’image. Alors que bien souvent, une histoire comme celle-ci est traitée d’une façon violente et douloureuse, ou bien à l’inverse à travers une comédie souvent réductrice, When Night is Falling choisit douceur et poésie. La sensualité et le velouté s’expriment à la fois à travers les personnages, les dialogues et les scènes de cirque.
Le film fait l’apologie de l’exploration de soi, du courage d’affronter ses désirs et de dépasser ses peurs, de la liberté d’être et de choisir sa vie.

When Night is Falling n’est pas un film gay militant bien qu’il soit devenu culte pour la communauté lesbienne dès sa sortie. Ce n’est pas non plus un film noyé dans l’eau de rose.
Il s’agit d’un conte de fée, sensuel et envoûtant, d’une haute qualité cinématographique qui apporte un souffle nouveau à la poésie des histoires d’amour au cinéma en balayant les tabous religieux. D’ailleurs la réalisatrice est persuadée que « la foi religieuse et l’amour profane sont d’une certaine façon similaires. L’amour est une croyance en quelqu’un, croyance par nature irrationnelle. »
Ce film canadien qui s’inscrit dans la lutte contre l’imprégnation du puritanisme en Amérique du Nord possède une sensibilité européenne. D’ailleurs il reçut aux Etats-Unis la même classification (NC17) que les films pornographiques. Comme s’il était intolérable et subversif d’oser présenter deux femmes faisant l’amour, ou bien peut être encore parce que l’une d’elles est noire. C’est avant tout un film d’amour et de douceur.

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