Accueil

Ensembles-copie-1.jpg
pedeblog_kek_logo2.png
Blog LGBT du rédac' chef :
Daniel Conrad

twitter_logo_header.png

Daniel Hall


secondé par :

Gérard Coudougnan


L'équipe des "piliers" en exclusivité
ou en reprise autorisée :

Jean Yves
, Bernard Alapetite, Zanzi, Neil, Kim,
Matoo, Mérovingien02, Juju, Chori,
Shangols, Boris Bastide, Stéphane Riethauser,
 
Niklas,
Robert Wagner,
 Jag1366, Hari3669, Maykel Stone,
Marc-Jean Filaire,
Isabelle B. Price, Psykokwak,
Rémi Lange
, Henry Victoire, Didier Roth-Bettoni
et
BBJane Hudson...

Mais aussi, depuis, Cyril Legann,
Gérard Coudougnan (Livres), Voisin Blogueur,
Nicolas Maille, Sullivan Le Postec, Vincy Thomas,
Jann Halexander, Tom Peeping
, Lucian Durden,
Papy Potter, Nico Bally, Marie Fritsch,
Sir Francisco, Laurent Fialaix
et Hugo Rozenberg.

Special Guest Star : Philippe Arino.

Un grand merci à Francis Moury,
Olivier Nicklaus et à
Yann Gonzalez.
Et en special guest star gay-friendly... Dr Orlof !


et bien d'autres depuis le début et d'autres à venir...

Ce blog est partenaire de

Dreampress.com

Avec l'aide graphique de

Calendrier

Mai 2024
L M M J V S D
    1 2 3 4 5
6 7 8 9 10 11 12
13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26
27 28 29 30 31    
<< < > >>

Recherche

W3C

  • Flux RSS des articles

POUR SURFER SUR CE BLOG...

Les Toiles Roses  est un blog collaboratif, indépendant et bénévole optimisé pour Mozilla Firefox (cliquer ici pour le télécharger)

TOUTES LES CRITIQUES DE FILMS : ICI
LES CRITIQUES DE LIVRES (Gérard Coudougnan) : ICI
Nos chroniques vedettes : Zanzi and the City (Zanzi), Et les filles alors ? (Isabelle B. Price),
Derrière les masques : Homollywood (Marc-Jean Filaire),
Merci Bernard (Bernard Alapetite),
Le Bazar de l'Homo Vincy (Vincy Thomas),
L'Histoire de l'homosexualité,
Dans l'ombre de Jann Halexander (Jann Halexander), Spécial Abdellah Taïa (Daniel C. Hall),
La Crypte aux gays (BBJane Hudson), Certains l'aiment camp (Tom Peeping),
 
Le Chaudron rose (Papy Potter), Petits Contes Dark-en-ciel (Nico Bally),
Marie de traverse (Marie Fritsch), Spécial Salim Kechiouche, Si j'étais homo ou hétéro...,
Spécial Stonewall, 40 ans, La gâterie du chef (Daniel Conrad Hall), La Garac'Ademy (Jean-Louis Garac)
A tort ou à travers (Laurent Fialaix), Rencontres de tous les types (Hugo Rozenberg),
 
Le Phil de l'araignée (Special Guest Star : Philippe Ariño),
Dossier et chronique-soutien
à l'association "Le Refuge" (Daniel C. Hall).

Venez rejoindre la rédaction, les lectrices et lecteurs sur le groupe Facebook :
http://www.facebook.com/group.php?gid=61890249500#/group.php?gid=61890249500

FILMS : Les Toiles Roses


Fiche technique :
Avec Gael Garcia Bernal, Javier Camara, Fele Martinez, Daniel Gimenez Cacho et Lluis Homar. Réalisé par Pedro Almodovar. Scénario de Pedro Almodovar. Directeur de la photographie : José Luis Alcaine. Compositeur : Alberto Iglesias.
Durée : 110 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé :
En 1980, à Madrid. Enrique Goded (Fele Martìnez), sémillant metteur en scène de 27 ans, cherche une histoire pour son nouveau film. Le sort lui amène un visiteur muni d’un remarquable scénario écrit sous forme d'une nouvelle « La visite ». L’inconnu, par ailleurs fort à son goût, n’est autre qu’Ignacio Rodriguez (Gael Garcia Bernal), son ami d’enfance au collège des jésuites, mais aussi son premier amour. Le destin lie à nouveau les deux garçons par une sorte de providence divine, mais Enrique, intrigué par cet Ignacio qu’il ne reconnaît pas vraiment, va peu à peu s’apercevoir que la réalité de leurs retrouvailles est beaucoup moins idyllique qu’il n’y parait.
L'avis de Petit Ian :
Par où aborder le film de Pedro Almódovar ? Si une telle question se pose, c'est qu'il faut commencer par le montage. Comme dans l'inépuisable Mulholland Drive de David Lynch, il est ici un déroutant désordre temporel, des mises en abyme de récits, des égarements et, par ailleurs, des déguisements, des jeux de rôles, un tournage de film. Autant donc préciser d'emblée que cette comparaison a aussi pour but d'éliminer les faux sujets, les préjugés (La Mauvaise Éducation est présenté comme une œuvre sur la pédophilie), pour ramener cet opus à son essence même : un film noir. Depuis le générique d'ouverture jusqu'au générique de fin, l'orchestre (chargé en cordes) d'Alberto Iglesias entretient la tension. Si la musique n'est pas un argument suffisant, précisons qu'un suspense angoissant est maintenu pendant toute une partie de l'œuvre, et citons enfin cette réplique-clé, prononcée par Berenguer à la sortie d'une rétrospective de policiers : « A croire que tous ces films parlent de nous ! » Que le spectateur s'identifie aux personnages n'est pas un phénomène rare et il y a fort à parier que certains se reconnaîtront dans le récit d'enfance d'Ignacio, dont le caractère autobiographique demeure toutefois très relatif. Puisqu'il faut en parler, abordons le sujet secondaire de La Mauvaise Éducation : contrairement à certains de ses camarades, Pedro Almódovar n'a jamais été abusé sexuellement. Concernant la classification discutable du film, les uns auront tôt fait de clamer que la durée filmique est davantage consacrée au drame qu'au film noir, que le destin d'Ignacio repose sur le traumatisme d'enfance, que l'histoire s'articule autour de cette expérience à laquelle il est sans cesse fait référence... qu'à cela ne tienne ! : ceux-là se seront laissés happer par les stratégies commerciales d'un sujet fort médiatique (ceux qui font le succès d'Envoyé spécial, de Faites entrer l'accusé et des émissions de Mireille Dumas : Dutroux, Outreau, ainsi que les innombrables implications de prêtres dans des affaires de pédophilie). Quand il entend suggérer le viol, Almódovar se montre tantôt admirable (Parle avec elle), tantôt banal (La Mauvaise Éducation). Alors qu’un précédent opus en proposait une métaphore (par le biais de L'amant qui rétrécissait), celui-ci en soumet des clichés (Ignacio et padre Manolo sont isolés derrière un buisson, le garçonnet à la voix suraiguë chante, accompagné du prêtre à la guitare ; soudain, ce dernier cesse de jouer, on entend l'enfant crier « Non ! » et on aperçoit l'homme se rhabiller). En revanche, Almódovar se montre plus intéressant dans sa façon de déjouer le manichéisme : impossible, en effet, de prendre réellement parti pour un personnage plutôt qu'un autre (sinon pour Enrique) dans la mesure où un être sympathique devient monstrueux (Angel / Zahara / Juan - plusieurs noms pour désigner la même personne, comme dans Mulholland Drive), un méchant bénéficie d'une certaine beauté physique (le père Manolo, sosie de Mathieu Kassovitz dans Amen), un héros suscite le malaise (Ignacio junkie). Mais déjà, il n'est plus exactement question de l'époque initiale : voilà les acteurs du drame qui, bien plus que la série de viols évoquée, donnera au film son intensité. À côté de ce trio, la figure du réalisateur Enrique (porte-parole probable d'Almodóvar) exprime sa consternation face à des individus poussés au bout de leurs limites. Celui-ci vécut un amour avorté avec Ignacio quand tous deux se côtoyaient à l'école religieuse. Le film traite, en fait, davantage de religion que de pédophilie des prêtres. L'Église domine à travers la lourdeur de ses symboles érigés : les croix sont omniprésentes (dès le générique d'ouverture), les calices aussi (les spectateurs les plus attentifs en reconnaîtront une représentation dans la disposition des remerciements au générique de fin). La critique se tourne vers l'utilisation fallacieuse du divin pour justifier l'horreur (seul témoin des crimes perpétrés par les prêtres, Dieu se rangera de leur côté, pense l'un deux) et la pression du péché (quand Ignacio perd la foi, il acquiert sa liberté). La religion, semble dire Almódovar, est un gouffre. La reconstitution du dortoir est telle que la literie forme des rangées de croix et supporte le poids de corps endormis : il faut voir dans ce décor la transposition d'un cimetière. La Mauvaise Éducation regorge ainsi d'allusions diverses : à la Movida, à Sara Montiel, au Bigger Splash de David Hockney (outre la superbe séquence de la piscine, le générique d'ouverture témoigne une fois de plus du goût d'Almódovar pour le pop art), peut-être aux Amitiés particulières de Peyrefitte... Mais le film ne s'en tient pas qu'aux références, il abonde de trouvailles esthétiques, tels les changements de format pour distinguer le film du « film dans le film » ou telle la surprenante division de l'écran en deux, selon le filet de sang qui coule sur le visage d'Ignacio (transition plus originale que les morphings). Le scénario est, quant à lui, la mise en œuvre d'un humour rare mais cynique (les répliques et la diction de la Paca, les stichomyties "Por mi culpa - Por tu culpa", les « cours de pédale » que prend Juan/Angel pour jouer Zahara). Le final, zoom précipité sur le mot « passion » jusqu'à ce qu'il envahisse l'écran, est accaparant : le spectateur est alors absorbé par le sort insensé d'Ignacio, et consterné par les inscriptions qui concluent le film (Almódovar dévoile comme vrai le destin des personnages, selon le procédé habituellement utilisé à la fin des reconstitutions historiques). C'est là toute la force d'une œuvre immense, qu'une incohérence mériterait pourtant d'être mise à jour, car le cours des événements en serait probablement changé : Juan n'a-t-il pas fréquenté l'école religieuse, comme son frère ? On semble contraint de supposer que non, c'est-à-dire d'avancer un fait peu vraisemblable.
Mais l'authenticité est-elle l'objet de ce cinéma-là ?

Pour plus d’informations :
Bande annonce
Site du film

Fiche technique :
Avec Ben Gazzara, Aidan Quinn, Gena Rowlands, Sylvia Sidney, Sydney Walsh, Bill Paxton, John Glover, D. W. Moffett, Terry O’Quinn et Cheryl Anderson. Réalisé par John Erman. Scénario : Lu Chris Columbus.  Directeur de la photographie : Michael Ballhaus. Compositeur : Thomas Newman.
Durée : 94 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Le 11 novembre 1985, « Un printemps de glace » est le premier téléfilm à parler du SIDA. Il nous raconte l’histoire de Michael Person (Aidan Quinn), un jeune et brillant avocat homosexuel touché par le SIDA. Après être hospitalisé, Michael Pierson rentre chez lui pour annoncer la mauvaise nouvelle à ses parents (Gena Rowlands et Ben Gazzara) et leur annoncer son homosexualité. Ces parents doivent donc à la fois accepter l’idée de mort annoncée par cette maladie et oublier leurs préjugés sur l’homosexualité. Chose difficile pour son père qui le rejettera violemment, mais l’histoire ne s’arrête pas ainsi... !
L'avis de Jean Yves :
Katherine et Nick Pierson ont tout pour être heureux, surtout grâce à leur fils, Michael, brillant avocat.
Tout est calme et paisible dans cette petite maison de Boston. Pour célébrer le trentième anniversaire de leur mariage, Papa et Maman ont réuni leur progéniture. À Chicago, Michael, leur fils aîné s'apprête à les rejoindre. Mais depuis quelque temps, il a du mal à se lever, il est constamment fatigué. Après des examens compliqués, il reçoit en pleine figure le diagnostic fatidique. Il a le sida. Et personne pour le soutenir alors qu'il se rend dans la maison familiale. Son petit ami lui reproche d'être allé baiser ailleurs, alors qu'ils vivent ensemble depuis deux ans.
Et ses parents qui ne se doutaient même pas de son homosexualité ! Sa sœur le fuit parce qu'elle est enceinte et sa mère est toujours au bord de l'affolement. Il faudra attendre l'arrivée de la grand-mère (Sylvia Sidney) pour recoller les morceaux d'une famille désemparée. Elle sera la première à oser « donner le baiser au lépreux ». Finalement le père lui-même mettra de l'eau dans son vin : il invitera le petit ami à venir partager leur toit.

Un Printemps de glace est un film d'une grande pudeur. Évitant le registre mélo, les acteurs donnent le meilleur d'eux-mêmes. Gena Rowlands dans le rôle de Katherine reste digne en mère de famille. Quant à Aidan Quinn (dans le rôle de Michael), loin de la caricature homosexuelle, il sait rester grave. Un film où l'émotion joue un rôle capital…
Ce film fut diffusé à la télévision française (Antenne 2) en mai 1986 dans le cadre de l'émission « Les Dossiers de l'écran » qui avait pour thématique : Le Sida ou La Peste du XXe siècle.

Pour plus d’informations :
--


Fiche technique :
Avec Brigitte Mira, Claudia Barry, Tally Brown, Peter Chatel, Walter Earl Haraway, Günther Kaufmann, Conrad Jennings, Evelyn Künneke, Ingrid Caven, Rainer Werner Fassbinder et Ortrud Beginnen. Réalisé par Lothar Lambert et Wolfram Zobus. Scénario : Lothar Lambert et Wolfram Zobus.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VOST.

Résumé :
John, G.I. noir, stationné à Berlin, quitte l'armée américaine. Il décide malgré tout de vivre à Berlin, mais son insertion sociale s'avère difficile. Son amie allemande veut, grâce à l'enfant noir qu'elle a eu, le faire « correspondre » à sa vie petite bourgeoise.
La révolte de John, face à cette situation, l'entraîne à rechercher autre chose mais il se trouve étouffé entre deux mondes : le racisme viscéral de la société allemande et l'attrait frénétique de la sexualité exotique. Il est réduit à un objet manipulable à volonté, soumis à l'emprise et aux désirs de ses partenaires aussi bien homosexuels qu'hétérosexuels. Toutes ses expériences s'enchaînent de manière dramatique et inéluctable jusqu'au moment où il est obligé de quitter précipitamment Berlin pour retourner dans son pays qu'il avait toujours pensé être le plus raciste du monde. (Résumé tiré du programme du Festival Question de Genre - Lille -1995)
L'avis de Jean Yves :
Lambert se penche sur le thème de l'absence d'amour dans une société pourrie jusqu'au trognon avec des individus « malades » que sécrète une société « malade » comme si l'amour avait toujours été le seul médicament. Le problème, c'est que l'amour, il n'y en a plus... ou alors il n'est pas à Berlin, et les personnages entretiennent l'illusion qu'ils pourront le trouver auprès d'une pureté qui existerait encore chez les immigrés. Mais ils sont à peine capables d'utiliser chez ces immigrés la seule chose qui les intéresse un peu : leur sexe. Les étrangers deviennent ainsi des objets sexuels et sont forcés de s'en accommoder dans une société où ils sont en état d'infériorité.
Incapacité d'aimer, impuissance à assumer la vie : ce n'est pas le mal, mais le malheur de vivre et la preuve que le seul désir en soi ne peut constituer une motivation suffisante.
Ces gens sont des légumes, racistes et frustrés, et j'ai du mal à avoir de la compassion pour leur misère. Je me dis que pour eux, partout et avec tout le monde, ce sera l'enfer. Ils ne semblent pas se rendre compte qu'ils sont les premiers responsables de leur souffrance et s'autodétruisent dans le cancer de leur insatisfaction. Un des rares désirs qui les excitent encore est l'humiliation : tout un programme.

Ce film souffre d'un manque évident de moyens. Il souffre aussi d'un rythme répétitif, des redites qui n'apportent rien de nouveau : pourquoi dire mal en une heure et demie ce qui aurait été beaucoup plus fort en vingt minutes ?
La recherche désespérée de bites noires par les homosexuels de Berlin-Harlem ne m'a ému pas un seul instant. Jamais je n'ai éprouvé pour tous ces personnages autre chose que de l'indifférence : mon cœur n'a pas été visé et tout s'est s'arrêté pour moi à la rétine.
Le regard de Lambert (bien qu'il s'agisse d'un film de fiction) est plus celui d'un observateur, d'un témoin, que celui d'un créateur : Berlin-Harlem est de l'ordre du documentaire sociologique, voire ethnologique : voici quelques spécimens humains observables à Berlin-Ouest dans les années 70 (j'imagine que cette observation ne devait pas être l'apanage de Berlin), et c'est à ce titre que ce film mérite ma considération.

Lothar Lambert met cependant le doigt sur des questions importantes, fondamentales même. À chacun d'en tirer ses conclusions...
Pour plus d’informations :



LE PROJET LARAMIE jusqu'au 7 mai 2006
Auteur(s) :
Moisés Kaufman - Adaptation et traduction : Hervé Bernard Omnes
Interprète(s) : Anna d’Annunzio, Hervé Bernard Omnes, Serge Chambon, Christine Gagnepain, Denis Laustriat, Elisabeth Potier, René Remblier, Cyril Romoli, Raphaëlle Valenti, Phillippe Villiers et la voix de Lisa Michael
Mise en scène : Hervé Bernard Omnes
Durée : 1h30
Vingtième Théâtre : 7, rue des Platrières – 75020 Paris

www.vingtiemetheatre.com
M Ménilmontant

L’avis d’Alex et Greg :
Laramie, Wyoming... Ce nom ne vous dit peut-être rien mais sachez qu'aux États-Unis, il est aussi tristement célèbre que celui de Wacco ou Columbine. C'est en effet dans cette ville que Matthew Shepard est mort, assassiné après avoir été torturé et abandonné, agonisant, dans la nature, au point de devenir la victime-symbole des crimes homophobes. Au moment des faits, en 1998, Moisés Kaufman et sa troupe, au total dix comédiens, se rendent à Laramie pour mener plus de 200 interviews sur le meurtre de Matthieu Shepard. Il en naîtra une pièce, Le Projet Laramie, actuellement présentée au Vingtième Théâtre.
Du Théâtre-Documentaire
Le Projet Laramie est, à mon sens, une pièce qu'il faut absolument voir. Que l'on adhère ou pas à la démarche de son créateur, et si l'on fait abstraction de son sujet, cette pièce a le mérite de nous présenter une forme de théâtre rarissime, pour ne pas dire inédite, en France : le théâtre-documentaire ou, pour mieux dire, le théâtre-réalité. Car les mots qui sortent de la bouche des personnages ne sont pas des mots inventés, sortis de l'imaginaire d'un auteur. Ce dernier n'est intervenu que dans le montage de témoignages réels qui se mêlent, s'entremêlent, se répondent ou s'opposent. Tout est vrai dans ce flot de paroles et Matthew Shepard est bel et bien mort sous les coups de deux jeunes hommes, il y a de cela huit ans.Certains apprécieront ce coté docu-réalité, d'autres comme nous le trouveront choquant. Mais cette divergence des opinions constitue l'un des aspects les plus intéressants de la pièce car elle interroge : le théâtre, lieu privilégié de l'imaginaire, peut-il s'accommoder d'une telle réalité ? Personnellement, cet aspect « histoire vécue » m'a plutôt gêné, ce côté si réel devient, sous les traits des acteurs et la lumière des projecteurs, surréel, trop cru à la limite de l'indécence ou du supportable. Dans quelle mesure peut-on prendre la vie telle quelle de gens pour en faire une œuvre artistique ? N'est-ce pas là quelque part un vol, un viol même ? Toutes ces questions-là m'empêchent de crier au chef d'œuvre mais à coup sûr, c'est une pièce qu'il faut voir pour se faire sa propre opinion sur le sujet.
De la mise en scène et de l'émotion
Dur, dur d'arriver après Vincent River qui, sur le même sujet et avec un texte véritablement écrit, nous avait véritablement pris aux tripes. Véritable enquête, Le Projet Laramie cherche à identifier le monstre qui dort dans cette petite ville des États-Unis, l'hypocrisie de sa devise « Vivre et laisser vivre », la haine qui l'alimente comme une rivière souterraine. Nos avis étaient partagés à la sortie du théâtre. Je n'ai pas trouvé que la pièce, dans sa forme, laissait beaucoup de place à l'émotion ou, pour mieux dire, à l'émotion vraie. Esthétisante, la mise en scène, sans être complètement à côté de la plaque, ne permet aux sentiments de s'exprimer pleinement qu’à de rares moments. Et que dire de ces grands écrans qui parasitent un peu l'attention sans rien apporter d'intéressant à ce qui est dit.
Des acteurs
Reste que Le Projet Laramie est porté par d'excellents acteurs qui doivent à tour de rôle, en une seconde parfois, changer de personnage. Tous incarnent plusieurs personnes avec talent, crédibilité et force. C'est l'autre point fort de cette pièce. Car si l'on trouve qu'elle dure un peu trop longtemps et que la mise en scène se la joue un peu trop, les acteurs rattrapent vraiment le coup et réussissent en quelques secondes à recréer le paysage de ces différents personnages, sans aucune fausse note. Certains d'entre eux sortent vraiment du lot mais dans l'ensemble c'est très homogène.
En résumé, vous l'aurez compris, même si tout ne nous a pas plu dans cette pièce, il s'agit tout de même d'un spectacle de qualité et d'un pari osé qui mérite que l'on y assiste. Il est impossible de rester insensible au Projet Laramie tant cette pièce pose de questions à la fois sur le fond et sur la forme.

L’avis de Matoo :
Quand Matthew Sheppard fut assassiné en octobre 1998, à Laramie dans le Wyoming, je m’étais senti particulièrement touché et impliqué. Il était aussi né en 1976, et c’était la première fois qu’une telle médiatisation de l’homophobie touchait le monde entier. J’avais parcouru pas mal d’articles à l’époque, mais nous commençons tout juste à avoir du recul sur cette histoire.
Afin de créer une pièce de théâtre sur le sujet, des membres d’une troupe sont partis à Laramie et y ont recueilli des témoignages extrêmement divers : un chauffeur de taxi, professeurs, le barman qui servait Matthew ainsi que le propriétaire du bar, des amis et amies à lui ou de simples connaissances, les petites amies des meurtriers, les flics engagés dans l’affaire, etc. Mais plutôt que d’en tirer la matière pour créer une pièce, c’est cette même matière qui est le cœur de la pièce. Donc sont présentés par dix comédiens (et comédiennes) talentueux ces interviews qui délivrent peu à peu leurs propos plus ou moins passionnés.
Au Vingtième Théâtre, la scène est plongée dans le noir, sans décor ou parfois des chaises, les dix comédiens sont presque toujours sur scène, et ils changent régulièrement et un peu mécaniquement de position. Chaque acteur joue plusieurs rôles, et nous assistons à des reconstitutions saisissantes des interviews de l’époque. « Saisissantes » car le jeu des comédiens est véritablement d’exception, non seulement dans la manière dont ils interprètent certains personnages, mais aussi pour la faculté de passer de l’un à l’autre (et parfois diamétralement opposés) en un clignement d’œil.
Malgré tout il s’agit d’une œuvre traduite de l’américain, et elle en a les qualités et les défauts. C’est une opinion très personnelle, mais les amerloques ne peuvent pas s’empêcher d’en faire des tonnes et de vouloir donner la larme à l’œil, et là certains moments sont vraiment « too much ». Les écrans avec les vidéos, les musiques et certains éléments de mise en scène étaient superflus et desservent le sujet en versant dans un pathos surdimensionné. Heureusement, tout n’est pas comme cela, et la pièce permet aussi de traduire avec une belle sincérité et authenticité les sentiments et les pensées des gens impliqués dans l’affaire. Et en effet, l’affect développé par ces témoignages est très fort, et laisse le spectateur sur le carreau à plusieurs reprises. La pièce évoque aussi les différents jugements des protagonistes, et devient alors un peu plus « dynamique ».
On finit par oublier le manque de décor, et à la façon d’un Dogville les dialogues suffisent à replonger dans le drame. Similairement à Vincent River aussi, on retrouve à la fois le thème mais aussi cette manière de faire vivre des événements dramatiques par la simple force du récit et du jeu. J’ai aimé le fait que la pièce donne pas mal d’angles et de points de vue. Évidemment, nous sommes dans une présentation de Matthew qui reste assez idyllique et certainement peu réaliste, mais on devine aussi une histoire qui dépasse le simple « mythe » qu’on connaît maintenant.
J’ai découvert notamment que Matthew était séropositif, ce qui m’a vraiment étonné (pas qu’il le soit, mais de ne pas l’avoir appris avant, dans ce que j’avais lu). Cela ne change rien à ce qui est arrivé, et même si Matthew les avait cherché (ou même avait voulu se les faire) ou quoi que ce soit d’autre, ce crime est une horreur absolue. Mais bien sûr, maintenant que la communauté LGBT en a fait son fer de lance de la lutte contre l’homophobie et son martyr, il est difficile d’en parler autrement qu’en termes encomiastiques.
Cette pièce, de par sa forme même, est un peu moins animée qu’une œuvre traditionnelle, et donc peut un peu lasser par moment. Mais globalement j’ai vraiment aimé. J’ai été très touché par ce vibrant hommage et ce témoignage incroyable qui est ainsi gravé dans la pierre. Et quelle originalité que cette forme documentaire ! Avec des comédiens et comédiennes brillants qui insufflent énergie et passion dans l’interprétation de leurs personnages. Aussi cette pièce est une réussite qui vaut le détour.
PS : Ah oui, juste une erreur qui m’a chiffonnée. Sur la vidéo de la fin qui présente les dates de naissance de mort de Matthew, il est précisé : 1977-1998 en immenses lettres stylisées. Or Matthew est né en 1976… drôle d’erreur pour un hommage pareil.


Fiche technique :
Avec Rainer Werner Fassbinder, Karl-Heinz Böhm, Peter Chatel, Harry Baer, Ulla Jacobson, Adrian Hoven et Ingrid Caven. Réalisé par Rainer Werner Fassbinder. Scénario de Rainer Werner Fassbinder et Christian Hohoff. Directeur de la photographie : Michael Ballhaus. Compositeur : Peer Raben.
Durée : 123 mn. Disponible en dVO, VOST et VF.

Résumé :
Un jeune forain tombe amoureux d'un jeune bourgeois qui le depouille peu a peu de son argent.
L'avis de Jean Yves :
Après avoir gagné quelques millions à la loterie, Fox prolétaire et chômeur se lie avec Eugen, jeune patron désargenté qui va profiter de cette liaison pour renflouer son entreprise, racheter meubles, voiture... pendant qu'il tente d'inculquer les belles manières à Franz. Mélodrame politique, Le Droit du Plus Fort n’a rien perdu de sa force et de sa lucidité.
Rainer Werner Fassbinder vu par Frédéric Mitterrand :  « Quand il écrit ou quand il tourne Le Droit du plus fort, l’histoire extrêmement triste d’un jeune homosexuel utilisé, spolié et méprisé par ses clients protecteurs, il décrit le mécanisme de l’exclusion sociale, celle qui amène aux camps de concentration et à la mort. »
L’amour est là encore une forme d’aliénation, et la relation de Franz et Eugen n’est rien d’autre qu’une illustration radicale de la lutte des classes. L’homosexualité du couple n’est pas en cause : c’est la notion même de couple où l’un exploite forcément l’autre que montre Rainer Werner Fassbinder.
Cette histoire de dupes et le fossé bourgeoisie/prolétariat sont montrés d'une manière un peu caricaturale. La transposition dans le milieu homosexuel n’est pas l’essentiel car Fassbinder démontre là une morale universelle. Ce qui n’a pas empêché Fassbinder de montrer la nudité masculine et la drague entre mecs, sans inhibition, dans un érotisme suggéré : courageux pour le début des années 70.



Fiche technique :
Avec Naomi Watts, Laura Elena Harring, Justin Theroux, Ann Miller, Dan Hedaya, Brent Briscoe, Robert Forster, Katharine Towne, Lee Grant, Scott Coffey et Billy Ray Cyrus. Réalisé par David Lynch. Scénario : David Lynch. Directeur de la photographie : Peter Deming. Compositeur : Angelo Badalamenti.
Durée : 146 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
À Hollywood, durant la nuit, Rita, une jeune femme, devient amnésique suite à un accident de voiture sur la route de Mulholland Drive. Elle fait la rencontre de Betty Elms, une actrice en devenir qui vient juste de débarquer à Los Angeles. Aidée par celle-ci, Rita tente de retrouver la mémoire ainsi que son identité.
L’avis de Petit Ian :
Entre amnésie, fantasme, cauchemar et réalité, deux jeunes femmes sans âme abritent en elles divers personnages métallescents, incandescents, mais pas forcément attendrissants... avec des « sans », il y a bien des vides à combler par de l'hallucinant. Déroutant ? C'est Lynch qui conduit...
Mulholland Dr., où bien des âmes ont péri, où bien des étoiles se sont décollées. Là haut dans la montagne, les lettres d'HOLLYWOOD pourrissent. Une musique lancinante, à vous tordre les boyaux. Sur la route, une femme sublime avance comme elle le peut, dernière victime en date de la malédiction qui y pèse. En bas, les rêves poussent et fanent à la même allure, une jeune actrice croit encore à la lune. Les deux âmes se rencontrent et vont partir à la recherche de ce qu'elles sont. Un soir, leurs chairs s'unissent. Vers le chaos, comprenez que nous avons bien des choses à exorciser.
Mulholland Drive... Voici un incroyable feuilleton. Voici également un film d'horreur à la fois soft et puissant. Et parmi les phobies qui vous dévorent, celui-ci pourrait peut-être bien en faire partie. Avez-vous jamais désiré entrevoir, une fraction de seconde, la forme de vos peurs ? Une forme bestiale qui dévoile son visage du mur derrière lequel elle est cachée. C'est une des images du film de David Lynch, un de ses délires.
Dans Mulholland Drive, l'amour précède le désordre, l'onanisme précède la mort. C'est le prix pour arracher hors de soi ses pulsions homosexuelles, son désir de masturbation, sa gloire rêvée, sa gloire ratée. La mémoire que l'on perd, les corps que l'on désire, l'humiliation que l'on subit, que l'on finit par s'infliger. Durant ces deux heures et demi, peut-être reconnaîtrez-vous vos fantasmes inavoués, votre désarroi enfoui.
Mettre en scène du n'importe quoi, c'est aussi facile que fascinant.
Il y a des scènes magnifiques. Il y a aussi une profonde obstination à souligner la psychose de façon grotesque.
Vous l'aurez compris, sur Mulholland Drive, on fait parfois de mauvais rêves. Devant aussi.

L’avis de Philippe Serve :
Silencio

La ligne droite et simplissime d'Une Histoire vraie (A Straight Story, 1999) n'aura donc bien été qu'une parenthèse, inattendue et quasi iconoclaste dans la filmographie de David Lynch. Avec Mulholland Drive le cinéaste revient à sa veine la plus personnelle, celle des démons cachés de Twin Peaks (feuilleton et film, 1992), Blue Velvet (1986) ou Lost Highway (1996)…
Si ce nouvel opus lynchien contient lui aussi sa part importante d'ombres et de mystère, aller jusqu'à affirmer comme la plupart des critiques qu'il débouche à l'arrivée sur un chef d'œuvre incompréhensible me paraît assez étonnant. « Chef d'œuvre », oui, aucun doute tant le film est achevé, maîtrisé, inquiétant et passionnant de la première à la dernière de ses 146 minutes… Mais incompréhensible ? Je ne crois pas… Attention ! Je ne prétends pas être sorti de la salle de projection habité de la plus grande certitude sur ce que je venais de voir. Non. Mais au fil des heures, revoyant et reconstruisant mentalement le film, il me semble être parvenu à ce qui ressemble à « une » lecture possible de Mulholland Drive. Le film ne m'a plus alors seulement parlé aux sens mais aussi à l'intelligence, ultime marque de respect et de considération de David Lynch à son public.
Je ne livrerai pas mes hypothèses personnelles au sein de cette critique ne voulant pas gâcher le plaisir du futur spectateur.
Le projet de Mulholland Drive tenait à cœur de David Lynch depuis longtemps, en fait juste après qu'il en eut fini avec Twin Peaks, la série (puis le film Twin Peaks: Fire Walks With Me) qui établit sa réputation à l'échelle mondiale et consacra surtout l'univers lynchien, si spécial. La chaîne de télévision ABC lui passa commande pour un « pilote » destiné à un nouveau feuilleton qui surferait sur le succès phénoménal de Twin Peaks. Hélas, le projet capota, le média US n'aimant à peu près rien de ce qui lui fut proposé, à l'exception du titre, "MULHOLLAND DRIVE"… Il faut ici préciser à quoi renvoie ce titre. Mulholland Drive est une route qui serpente sur la colline surplombant Los Angeles et Hollywood. Sans feux de signalisation, sans Stop, elle semble mener nulle part. Lynch assure qu'elle doit sa réputation mythique (à l'égale d'Hollywood Boulevard) à tous les mystères, plus étranges les uns que les autres, qui y sont attachés… Après le rejet de ABC, le projet aurait pu disparaître à jamais sans l'intervention du Studio Canal Plus qui reprit l'idée et demanda à Lynch de réaliser non plus un feuilleton mais un film.
Les thèmes évoqués par le film ? (je vais essayer de ne pas déflorer l'essentiel): Hollywood, ses mirages, les rêves et espoirs insensés qu'il génère, les déceptions et désespoirs qu'il provoque, la Vie, la Mort, l'Amour, la passion, la jalousie, la frustration et encore et toujours le choc frontal entre rêve et réalité (s'agissant de l'univers si particulier à Lynch, on pourrait presque dire « entre cauchemar rêvé et cauchemar éveillé »)…

Mulholland Drive est un film en forme de puzzle dont chaque pièce nous passe sous le nez sans que nous le sachions durant les deux premiers tiers du film. Ce n'est que dans la dernière partie (le dernier tiers), alors que tout bascule et que le scénario rebondit cul par-dessus tête que nous commençons à réaliser que le cinéaste nous a manipulés depuis le début et que vite, vite, il faut rassembler les pièces éparses auxquelles nous n'avions pas prêté attention. Disons en gros que la première partie du film nous rend spectateur passif (mais complètement sous le charme vénéneux d'un film noir superbe) tandis que la dernière agit sur nous comme un électrochoc visant à nous faire participer pleinement dans une sorte de relation interactive. 
Que voyons-nous à l'écran ?
Tout d'abord, succédant au générique, une séquence endiablée de Jitterbug (sorte de boogie des années 50) dont l'explication viendra beaucoup plus tard dans le film… Une jeune femme brune, superbe (Laura Elena Harring), dans une limousine qui grimpe les lacets de Mulholland Drive. La voiture s'arrête et le chauffeur pointe un revolver sur la femme. Il semble s'apprêter à la tuer quand une voiture filant à toute allure et emplie de jeunes fêtards vient violemment heurter la limousine. Seule, la jeune femme survit dans le choc et s'extrait, hagarde, de la carcasse de la voiture. Elle descend la colline menant aux lumières de L.A. et trouve refuge dans une maison que vient de quitter sa propriétaire… Le lendemain matin, une autre jeune femme, blonde celle-là, Betty (Naomi Watts) débarque à l'aéroport de la ville et vient emménager dans cette même maison dont la propriétaire est sa tante. Betty vient à L.A. pour y embrasser une carrière d'actrice, elle se montre pleine d'enthousiasme et de fraîcheur. Visitant la maison, elle découvre la jeune femme brune sous la douche. Celle-ci se révèle amnésique, ignorant jusqu'à sa propre identité, « volant » le prénom "Rita" à l'actrice Rita Hayworth dont le nom s'affiche sur un poster du mythique Gilda. Dans son sac, les deux jeunes femmes découvrent 50 000 dollars. Dès lors, Betty et "Rita" décident de mener l'enquête pour découvrir la mémoire oubliée de la seconde nommée, à commencer par les raisons de l'accident… Pendant ce temps, un jeune réalisateur, Adam Kesher (Justin Theroux) se voit imposer par des maffieux contre sa volonté et sous la menace, l'engagement d'une jeune actrice avant de trouver son épouse au lit avec un autre homme qui le rosse…
Aller plus loin dans le résumé serait criminel… Un conseil au spectateur potentiel: regardez TRÈS attentivement chaque plan, écoutez religieusement chaque réplique, chaque son, retenez bien le moindre visage et le nom qui lui est attaché. Car tous ces éléments sont autant de pièces indispensables à la formation finale du puzzle…
David Lynch parie donc sur l'attention et l'intelligence du spectateur, n'hésitant pas à semer son film de multiples références cinématographiques, telles que le célèbre Vertigo (Sueurs froides, 1957) d'Alfred Hitchco
ck, Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard, 1950) de Billy Wilder ou le cultissime En quatrième vitesse (Kiss Me Deadly, 1955) de Robert Aldrich, via une étrange boîte (de Pandore ?), voire le plus récent Pulp Fiction de Quentin Tarentino (1994), sans oublier ses propres films. Ainsi de la séquence (primordiale à la bonne compréhension du film) du théâtre où un acteur-bonimenteur affirme, play-back et chanteuse à l'appui, que tout est déjà enregistré, autrement dit que rien n'est vrai et qu'il faut se méfier des apparences. Lynch, cinéaste, peintre, photographe mais aussi musicien, a toujours aimé insérer des scènes de cabaret, de chansons dans ses films. Que l'on songe à la "Dame du radiateur" chantant sa berceuse dans Eraserhead (1977), à la représentation théâtrale qui fait pleurer John Merrick, l'Elephant Man (1980), à Isabella Rossellini susurrant "Blue Velvet" dans le film du même nom ou, dans la même œuvre, à Dean Stockwell mimant le "Dreams " de Roy Orbison, ou à d'autres scènes dans Twin Peaks ou Lost Highway
Mulholland Drive est aussi une étonnante leçon de cinéma et le Prix de la Mise en Scène attribué au film au Festival de Cannes 2001 (ex-aequo avec The Barber de Joel Coen) est entièrement mérité, ainsi que le César du meilleur film étranger ! Mulholland Drive est une œuvre d'une très grande beauté, aux images léchées, aux couleurs magnifiques et on retrouve une fois de plus avec un énorme plaisir les partitions musicales du fidèle et ô combien talentueux Angelo Badalamenti (employé pour la première fois comme acteur dans le rôle d'un producteur).
Les deux actrices principales du film, largement inconnues du grand public, font merveille. Laura Elena Harring, brune piquante, dans un registre à mi-chemin entre Rita Hayworth (on l'imagine aisément dans un  remake de Gilda) et Ava Gardner, joue comme un oiseau de nuit fragile et apeuré avant de retrouver une assurance de femme fatale en fin de film… Naomi Watts, la blonde très hitcho
ckienne (entre Tippi Hedren et Grace Kelly), hérite du meilleur rôle par sa complexité et ses rebondissements, ce qui lui permet de faire preuve d'une versatilité d'actrice assez remarquable…
Tous les autres acteurs assurent parfaitement leurs rôles, à commencer par Justin Theroux dans le rôle du jeune cinéaste Adam ou Ann Miller, ex-reine des claquettes des années 50…

Mulholland Drive intrigue, inquiète, angoisse, amuse (une scène étonnante de tuerie, les maffieux, l'adultère…). En un mot, excite l'intérêt du spectateur. Si vous n'aimez que les histoires mâchées et remâchées, bien rationnelles et sur lesquelles vous pouvez vous reposer sans avoir à réfléchir, alors passez votre chemin, ce film n'est pas pour vous… À l'inverse, si vous vous régalez à vous retrouver baladés entre ombres et lumière, à plonger dans un délire d'inventivité scénaristique et cinématographique, précipitez-vous sur ce Mulholland Drive, vous en sortirez ébloui !
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Julianne Moore, Dennis Quaid, Dennis Haysbert, Patricia Clarkson, Viola Davis, James R
ebhorn, Brette Henritze et Michael Gaston. Réalisé par Todd Haynes. Scénario de Todd Haynes. Directeur de la photographie : Edward Lachman. Compositeur : Elmer Berstein.
Durée : 107 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Dans l'Amérique provinciale des années cinquante, Cathy Whitaker est une femme au foyer exemplaire, une mère attentive, une épouse dévouée. Son sourire éclatant figure souvent dans les colonnes du journal local.
Cathy sourit toujours. Même quand son mariage s'effondre, même quand ses amies l'abandonnent. Quand l'amitié qui la lie à son jardinier provoquera un scandale, elle sera forcée, derrière son sourire, d'affronter la réalité.

L'avis de Mérovingien02 :
Le générique commence : musique rétro, pour ne pas dire ringarde, avec des violons mélodramatiques. Couleurs automnales, un rien saturées avec des vieilles voitures avançant tranquillement au milieu d'une rue où les figurants semblent sapés comme s'ils jouaient dans un film des années 50. Le générique apparaît, kitch à mort avec ses lettres en ruban bleu. Mais attendez voir... c'est un film des années 50 ça, non ? Tiens, ben non, y a Julianne Moore dedans ! Mais c'est quoi ce bordel, alors ??
Ce bordel, c'est Loin du Paradis, un film de Todd Haynes sorti en 2002. Le réalisateur n'a pas cherché à faire un simple film sur les années 50 mais a épousé le style visuel du cinéma de l'époque en livrant rien de moins que le film des années 50 qui n'aurait pas pu sortir dans les années 50. Un exercice de style donc, qui trouve son inspiration dans les œuvres de Douglas Sirk, cinéaste a qui l'on doit Le Secret Magnifique ou encore Mirage de Vie. Les mélodrames de Sirk, Todd Haynes les adore visiblement, au point de transformer son œuvre en authentique hommage rétro (jusqu'à faire porter au jardinier la même chemise que Ro
ck Hudson dans Tout ce que le Ciel Permet) . Il a ainsi bâti un scénario sur le même modèle que ceux de l'époque. Son héroïne est une femme typique de la société de l'époque vivant dans un univers lisse et un rien factice et qui se trouve confrontée à des problèmes sociaux. Le décors est classique (une jolie petite banlieue WASP), le groupe de personnage clairement établi (une jolie petite famille avec la mère au foyer, les enfants bien élevés et le papa qui va au boulot) et les valeurs de l'époque totalement respectées (les domestiques noirs méprisés). Nous sommes en 1957 et Cathy Whitaker est une femme heureuse et aimable qui fait la couverture du journal. Épouse comblée, mère modèle, citoyenne engagée, elle est l'incarnation de la réussite. Souriante, vivant dans un petit monde parfait où chaque chose est à sa place, elle sera pourtant contrainte de quitter son petit paradis. Le titre du film n'a pas menti : il apparaît sur de jolies images en précisant que nous sommes loin du paradis. Et la façade proprette de dévoiler peu à peu un monde froid et intolérant.
Car dans cette époque soi disant merveilleuse, on aimait enfermer tout le monde dans une case. Cathy est associée au salon dans lequel elle organise des réceptions et des réunions entre voisines (elle en revient constamment au canapé), Sybil est toujours dans la cuisine, Raymond est dans le jardin... Chacun a une zone délimitée de laquelle il ne doit pas s'échapper au risque de briser les règles du code de conduite en société. Frank ne doit pas entrer dans le bar homo sous peine de reconnaître qu'il l'est, Raymond ne doit pas entrer dans un lieu réservé aux blancs sinon il est montré du doigt, même chose pour Cathy qui ne semble pas à sa place dans le bar noir...
C'est en transgressant les barrières que chacun peut découvrir la vérité mais c'est aussi en se confrontant à d'autres mœurs qu'on est rejeté de son propre milieu social. En franchissant la porte du bureau de son mari, l'héroïne découvrira l'homosexualité et son univers si plat va s'effondrer, les cadrages devenant à cet instant précis de travers, comme un navire prenant l'eau. En acceptant d'accompagner Raymond en public, Cathy sera montrée du doigt par tout le voisinage qui ne comprend pas qu'elle puisse être amie avec un homme de couleur. La situation inverse sera également valable puisque la petite fille de Raymond sera agressée en guise de punition. Les trois principaux protagonistes vivent dans la frustration car la société n'accepte pas la différence. Frank ne peut afficher son homosexualité qui est considérée comme une maladie, Raymond ne peut vivre tout à fait normalement car les blancs ne comprennent pas qu'un noir puisse aussi aimer les mêmes choses qu'eux (en l'occurrence ici : l'art) et Cathy est conspuée parce qu'elle est tout simplement attachée amoureusement à un homme d'une échelle sociale et d'une couleur différente que la sienne.
En réalisant son film à l'ancienne, avec un montage tranquille (fondu enchaîné lent, peu de coupures) et des couleurs flamboyantes, Todd Haynes nous rappelle que ce qui était tabou il y a un demi siècle l'est malheureusement encore un peu aujourd'hui. Les sujets de société que sont la discrimination raciale et l'homosexualité sont introduits dans le film de manière distante, comme on n'osait pas accepter les différences. Lorsque Cathy discute des séances de psychanalyse avec son mari, celui-ci est filmé dans un miroir, sa femme lui tournant le dos. Lorsque Cathy voit Raymond dans le jardin, c'est uniquement par la fenêtre du salon. Et lorsqu'elle ira le saluer par la suite elle franchira le seuil de la porte alors que la journaliste témoin de la scène observera tout cela à distance, derrière une vitre. Loin du Paradis traite donc de la prison sociale et du conformisme de la société qui nous enferme dans des cases, telle cette Cathy qui, pour avoir renoncé à l'amour pour rassurer ses amies, sera filmée de l'extérieur de la maison, avec des barreaux aux fenêtres l'emprisonnant dans sa bourgeoisie.
Todd Haynes ne laisse guère d'espoir à ses protagonistes. Le choix des éclairages est assez révélateur car ceux-ci baignent l'ensemble du métrage dans des teintes automnales déprimantes, avec des bourrasques faisant voler les feuilles mortes en permanence. D'une certaine façon, les protagonistes sont déjà condamnés à la solitude avant même d'entreprendre quoi que ce soit. Et lorsqu'ils affronteront leurs sentiments et verront la vérité en face, ce sera toujours en se cachant dans l'ombre (les discussions nocturnes entre Karl et Cathy dans le salon). Chacun se masque derrière des apparences trompeuses, le plus bel exemple étant le sourire lumineux et trompeur qu'affiche Julianne Moore d'un bout à l'autre du récit avant de pleurer dans sa chambre, loin des regards.
Au delà de la mise en scène simple et délicate, le réalisateur décuple l'émotion de l'histoire grâce aux interprétations subtiles de ses trois principaux interprètes : Julianne Moore retrouve la grâce de Jane Wyman, Dennis Quaid brille par sa fragilité en homme n'étant pas reconnu comme tel et Dennis Hayberg confirme tout le bien qu'on pensait de lui depuis 24 Heures Chrono. En dénonçant tous les préjugés quels qu'ils soient, Todd Haynes livre un joli mélo féministe fleurant bon la naphtaline et le charme désuet des œuvres de Douglas Sirk. Intemporel, tout simplement.

Pour plus d’informations :
Bande annonce


Fiche technique :
Avec Michael Maniatis, Dionyssis Xanthos, Katerina Helmi, Vassilis Tsaglos, George Bartis, Eleni Kourkoula et Maria Alkeou. Réalisé par George Katakouzinos. Scénario : George Katakouzinos.  Directeur de la photographie : Tassos Alexakis. Compositeur : Stamatis Spanoudakis.
Durée : 120 mn. Disponible en VO et VOST.

L'avis de Jean Yves :
L'histoire vraie d'un jeune homosexuel qui, pressé par son amant de se travestir pour se prostituer, ne peut supporter le poids de la violence et de la frustration qui empoisonne son existence.
Violence et irrationalité de la passion amoureuse
La passion d'Anguelos pour Mihalis – où la sérénité est totalement absente – est avant tout le lieu privilégié de la souffrance, de la blessure intime, de la faille qui fait plonger l'être tout entier dans le gouffre de sa solitude : sa lucidité – tout autant que sa déraison – le mène au cauchemar, et ce cauchemar devient source d'existence.
L'absence de sérénité apparaît aussi dans le cadre de vie du jeune Anguelos : milieu très populaire de la banlieue d'Athènes, ambiance familiale insupportable, besoin effréné de tendresse, d'amour, de passion. Besoin de donner sans réserve, besoin de se donner corps et âme. Anguelos (Michael Maniatis) est impliqué dans une quête impossible, impossible parce que disproportionnée : l'homme qu'il aime et en qui il a placé toute sa foi dans un abandon quasiment religieux ne peut donner plus que ce dont il est capable : comme Mihalis (Dionyssis Xanthos) est un « traître », un médiocre, un raté, il ne peut donner que de la trahison et de la médiocrité : en cela, ce film ressemble étrangement à la passion d'Henri pour Jean dans L'homme blessé de Patrice Chéreau.

Ces valeurs négatives deviennent grandes et pathétiques, parce qu'il y a l'amour, ce ciment ravageur, qui les transforme et les sanctifie. C'est ce « miracle » qui fait peur, car le véritable visage de l'amour échappe ainsi aux barrières, aux garde-fous patiemment construits par la raison pour créer un semblant de sécurité. La passion amoureuse révèle une fois encore son pouvoir indéfini d'irrationalité et de subversion.
La force physique de Mihalis est un facteur supplémentaire de fascination sur Anguelos : Katakouzinos a utilisé (comme Chéreau d'ailleurs) le décor d'une fête foraine où Mihalis exhibe la force de son coup de poing sur un punching-ball.
Mihalis évolue dans un milieu interlope et trempe dans des affaires de prostitution. À la fin, Anguelos l'égorge dans son sommeil : le meurtre de Mihalis participant de la punition, du ressentiment, de l'illustration émouvante et mélodramatique d'un fait divers authentique.
Personnellement, je n'ai pas ressenti que ce meurtre participe à une métaphore ni qu'il s'inscrive dans une vérité des tréfonds de l'âme humaine qui dépasserait une simple histoire d'homosexualité : ce qui fait que ce film n'a pas réussi à me transmettre des émotions intenses.

Le réalisateur n'a pas à mené à terme le voyage ambigu où le spectateur aurait pu s'interroger : celui au pays de ses démons car ce sont eux qui dérangent le plus.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Charles berling, Mehdi Dehbi, Alexis Loret, Abbec Zahmani, Julia Maraval, Clotilde de Bayser, Ouassani Embarek, Lofti Abdelli, Fathi Heddaoui et Hichem Rostom. Réalisé par Abdelkrim Bahloul. Scénario de Abdelkrim Bahloul, Charlotte Guigue et Jean-Pierre Peroncel-Hugoz. Directeur de la photographie : Charlie Van Damme.
Durée : 85 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Ce film tourne autour de la figure de Jean Sénac, poète pied-noir qui après l’indépendance de l’Algérie, a choisi d’y rester. Dans tout le pays, un large public écoute alors son émission radiophonique « Poésie sur tous les fronts ». Tout se passe bien les premières années. Puis le nouveau régime va le stigmatiser, le persécuter pour sa différence parce qu’il est d’origine française, catholique, et en plus homosexuel, dans un pays qui s'appuie sur l’Islam. Sa rencontre avec deux étudiants Hamid et Belkacem, dont la pièce vient d’être refusée par le Festival de Théâtre Algérien, car écrite en français sera l'occasion de suivre son combat pour amener le peuple algérien à la conscience de sa propre identité jusqu'à son assassinat en 1973.
L'avis de Jean Yves :
Ce film au scénario fictionnel (les deux étudiants sont inventés) conserve une majorité de faits réels et n'est jamais caricatural.
Le réalisateur, Abdelkrim Bahloul, a eu la bonne idée de ne jamais exagérer la diabolisation du poète, excellemment joué par Charles Berling. Au contraire, il s'attache à seulement montrer la suite de ses désillusions face aux tracasseries imposées par le régime. A aucun moment, on ne voit les ordres donnés par le pouvoir pour contrer le poète : cette répression, qui semble venir de nulle part, impalpable, exacerbe la cruauté qui lui est faite.
Le réalisateur a très bien intégré la poésie de Jean Sénac. Elle est même le moteur nullement artificiel du film puisque chaque passage permet d'insister sur sa vision humaniste. Ce qui rend le film plutôt optimiste.
Jean Sénac est l'emblème de celui qui devient étranger dans son propre pays (sa famille était pourtant là depuis cinq générations et il s’est battu au sein du F.L.N pour l’indépendance). Le film montre à plusieurs reprises la césure qui peut exister entre un peuple et son régime : la gêne du concierge à qui on a ordonné de ne plus donner au poète les clés du studio de radio où il travaille d'habitude ; l’embarras du public face à Sénac quand ce dernier doit justifier son amour des garçons. On sent bien avec cette scène comment le régime a pu utiliser l'homosexualité de Sénac pour le discréditer aux yeux de ses auditeurs.
Un film qui parle tout à la fois d'espoir et de la difficulté d’un pays à vivre avec sa diversité. Le titre Le soleil assassiné résume bien cette dualité.

Pour plus d’informations :
Bande annonce



Fiche technique :
Avec Adam Chubbu
ck, James Ransome, Tiffany Limos, Stephen Jasso, James Bullard, Shanie Calahan, Eddie Daniels, Bill Fagerbakke et Patricia Place. Réalisé par Larry Clark et Edward Lachman. Scénario de Harmony Korine. Directeurs de la photographie : Larry Clark et Edward Lachman. Compositeur : Matt Clark.
Durée : 95 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Un tableau provocant d'adolescents américains de classe moyenne qui trompent leur ennui avec du sexe, de la violence et de la perversion à Visalia, une petite ville de Californie. Leurs parents sont pour la plupart médiocres, aveugles, méprisants et alcooliques.
L'avis de Jean Yves :
La solitude ne se mesure pas à l'étalon des kilomètres de l'éloignement. La communion se nourrit parfois d'une distance vivante, alors qu'une immense solitude est sécrétée par une proximité étouffante... Ken Park, le film de Larry Clark, évoque en des termes très crus la trajectoire perdue d'adolescents cherchant leur chemin en emmêlant leurs corps. Leurs parents eux-mêmes sont dans la confusion, et n'ont de plus pressé que d'abolir la distance avec les jeunes en se mélangeant à eux en sexualité, car ils sont dans l'impossibilité d'accepter le décalage temporel entre les générations. L'un de ces adolescents - Ken Park - en arrive à se suicider, mettant ainsi en acte le vœu de mort dirigé inconsciemment envers lui par ses géniteurs qui ne l'ont pas vraiment voulu vivant. Autant alors terminer le « travail » qui n'a pas été jusqu'au bout effectué. Extrêmement seuls, désolés, oubliés, ces adolescents prisonniers du corps des adultes nous donnent l'image du désert de l'abandon. La distance n'a rien à voir avec la géographie, et le désert s'impose parfois dans la bousculade de l'indifférenciation, comme une prison intérieure sans remise de peine.
L'avis de G.F. :
Comment filmer la morosité, la bêtise, la laideur, l’ennui, l’alcoolisme, la monotonie, les rues à angles droit, bref, une certaine Californie, sans intrigue et sans histoire, juste comme ça, par tableaux et motifs ?
En filmant comme Larry Clark.
La Californie dépeinte ici est loin des utopies d’Edgar Morin en 1969 ou, plus prosaïquement, de Julien Clerc dans sa jeunesse. La Californie, ce n’est rien d’autre qu’une banlieue gigantesque couverte de ce que l’on nomme ici des lotissements et nourrie de ce que l’on appelle là-bas (à tout bout de champs) des « communautés ». On y ajoute du soleil et des palmiers, des seins en silicones et puis voilà.
A travers les vies de gamins paumés, on découvre l’envers du décor, le revers de la médaille. Larry Clark nous conte l’histoire de plusieurs adolescents, déjà trop adultes mais encore bien trop jeunes pour leurs petites vies ratées. Quant aux adultes, leurs portraits en ratés dérangent perpétuellement. Leur incapacité à agir, l’inceste qui rôde, toutes ces images tendent à montrer leur incapacité à être adulte, tout comme les adolescents semblent incapables de le devenir, navigant constamment entre l’enfance et un âge d’irresponsable...
Si Larry Clark souligne parfois trop le trait, en particulier à travers quelques scènes porno dont on se passerait volontiers de détails, si ce n’est pour les malaises provoqués, on se retrouve face à des images (la photographie est magnifique), des acteurs (tellement eux-mêmes qu’on frôle le reportage) et une réflexion en filigrane : l’ennui, quand on a tout, c’est sans doute l’absence réelle de désir. Ça va de soi, mais ça va mieux en le disant.
Si le film a fait scandale pourtant, c’est sans doute plus par hyper-réalisme que par pornographie avérée. Il fait partie de ces films qu’on oublie mal, peut-être aussi parce qu’il dépeint ce qui risque de nous arriver aussi....

Pour plus d’informations :
Bande annonce


Fiche technique :
Avec Gael Garcia Bernal, Javier Camara, Fele Martinez, Daniel Gimenez Cacho et Lluis Homar. Réalisé par Pedro Almodovar. Scénario de Pedro Almodovar. Directeur de la photographie : José Luis Alcaine. Compositeur : Alberto Iglesias.
Durée : 110 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
En 1980, à Madrid. Enrique Goded (Fele Martìnez), sémillant metteur en scène de 27 ans, cherche une histoire pour son nouveau film. Le sort lui amène un visiteur muni d’un remarquable scénario écrit sous forme d'une nouvelle « La visite ». L’inconnu, par ailleurs fort à son goût, n’est autre qu’Ignacio Rodriguez (Gael Garcia Bernal), son ami d’enfance au collège des jésuites, mais aussi son premier amour. Le destin lie à nouveau les deux garçons par une sorte de providence divine, mais Enrique, intrigué par cet Ignacio qu’il ne reconnaît pas vraiment, va peu à peu s’apercevoir que la réalité de leurs retrouvailles est beaucoup moins idyllique qu’il n’y parait.
L'avis de Jean Yves :
Un film sur les effets d'une éducation sans ridiculiser le sujet. Un film qui traite de la transsexualité et de la pédophilie sans verser dans le voyeurisme et/ou le larmoyant. Un film qui fait passer des sentiments tout en dissertant sur le cinéma. Réalité, fantasme et fiction se mêlent allègrement dans cette histoire tantôt vécue par Ignacio et Enrique, tantôt rêvée, écrite par le premier, ou filmée par le second. Un intelligent écheveau où s'enroulent les souvenirs d'enfance, avec ces fameux « films dans le film » dont Pedro Almodóvar a le secret.
Il ne faut en aucun cas rater le générique de début qui donne une clef pour procéder à la lecture du film : des lambeaux d'affiches et de photos anciennes sont arrachés afin de découvrir chaque fois qu'il y a un dessous. On réalise alors que l'on va avoir affaire à un scénario à la structure narrative et filmique complexe. Avec ses nombreuses mises en abîmes et l'éclatement de ses temporalités, ce film donne le vertige : récit dans le récit à l'intérieur duquel s'inscrira une troisième histoire plus ancienne.
Autre élément à saisir : trois personnages importants ont une personnalité double : Juan se fait d'emblée passer pour Ignacio, son frère, mais tient à se faire appeler Angel. Son frère, Ignacio, est devenu « une » autre sous le nom de Zahara. Le père Manolo, autrefois prêtre et enseignant au collège d'Ignacio, est devenu monsieur Berenguer, marié et père de famille. Seul Enrique, jeune réalisateur, assume totalement son identité, unique, et son homosexualité. Enrique va être ballotté dans le jeu du « Qui est qui ? », entraînant lui-même et le spectateur dans une fiction qu'il tourne et qui devient un film dans le film.
La duplicité est ce qui caractérise le mieux le personnage d'Angel qui a tout de la femme fatale. Froid, calculateur, immoral, le sexe représente pour lui un moyen d'arriver à ses fins. Ce troublant imposteur est-il ange ou démon ? Le mystère qui l'entoure participe de son pouvoir érotique sur son entourage. Notamment avec M. Berenguer avec qui il formera un couple d'amants criminels.
Le père Manolo aime Ignacio qui aime Enrique qui va aimer plus tard le frère d'Ignacio : Angel. Et au final, le prêtre, devenu entre temps éditeur, aimera ce dernier. On a là un étrange jeu de translations entre les personnages. Ce qui me fait penser aux « lignes » qui saturent l'écran et qui sont un élément récurrent du film : la scène où Ignacio enfant se fend le crâne est emblématique ; un mince filet de sang s'écoule sur son visage, le partageant en deux (l'image à l'écran se déchire à ce moment là). Cette coupure va alors sans cesse contaminer intimement toute l'existence des personnages.
Ces « lignes » qui saturent l'écran sont aussi une métaphore de la césure où vivent les personnages et où sont plongés les spectateurs. Métaphore du trouble des identités des personnages mais aussi métaphore du mensonge découvert juste au milieu du film et qui fait découvrir au spectateur qu'il s'est trompé : ce qui avait été perçu jusque là comme un retour dans le passé, initié par la lecture de la nouvelle « La visite », était en fait une mise en scène mentale, entre fantasme et réalité, projection des désirs d'Enrique pour son acteur, une représentation annonçant l'œuvre qu'il réalisera ultérieurement.
C'est encore dans les « lignes » du portail « se découpant » que le mot PASSION en lettres géantes, envahit l'écran à la fin du film. Il exprime peut-être la « confession » du cinéaste qui envisage son œuvre comme un espace cathartique. Ce mot recèle sans doute aussi la part intime de La Mauvaise éducation, prétendument bonne au sein d'un établissement catholique où interdits religieux et sociaux et sexualité s'opposent, tourmentant le prêtre pédophile et les adolescents en quête d'identité.

Pour plus d’informations :
Bande annonce
Site du film


Fiche technique :
Avec Saskia Reeves, Amanda Plummer, Kathy Jamieson et Lisa Jane Riley. Réalisé par Michael Winterbottom. Scénario : Frank Cottrell Boyce.  Directeur de la photographie : Seamus McGarvey.
Durée : 85 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Eunice, une femme visiblement dangereuse, passe sa vie à arpenter les autoroutes du nord de l'Angleterre à la recherche d'Edith, la seule qui lui ait jamais témoigné de l'amour. Dans une station-service, elle rencontre Miriam, qui quitte tout pour la suivre, même si elle devine très vite qu'Eunice est une meurtrière.
L'avis de Philippe Serve :
Eu and Mi

Ne vous laissez pas abuser par le générique de début sur (gros) plans en noir et blanc de Saskia Reeves et sur fond de ritournelle acidulée et estampillée « early 60's » (le "Walkin' Back to Happiness " d'Helen Shapiro). Le film qui va suivre ne fait pas dans la gentille bluette…
Nous sommes de nos jours dans le nord de l'Angleterre, du côté de Bla
ckpool, station balnéaire, là où la classe ouvrière du pays se rue dès les vacances. Mais en dehors de ces périodes, la région flirte plus du côté de la désespérance que des réjouissances…
« Regarde qui est là. Regarde… C'est moi. Me voici. » Chevelure courte et rousse, taillée à la serpe, Eunice (Amanda Plummer) arpente le bitume d'une autoroute en répétant ces phrases en boucle. Voilà. De la première séquence à la deuxième, le ton a changé. On va voir ce qu'on va voir…
Eunice entre, fébrile, dans une station-service, prétend chercher un disque, un chanson d'amour, non, « sur l'amour », précise-t-elle, et une certaine Judith, peut-être la vendeuse ?… Non… Quelques instants plus tard, celle-ci gît au sol dans une mare de sang. Que s'est-il passé ?
Eunice, elle, boit un café ailleurs tandis que Gloria Gaynor chante "I Will Survive " (pré-Mondial 98)…
Et la voici repartie, une nouvelle station, le même baratin. Ici, la vendeuse se nomme Miriam (Saskia Reeves). On la retrouve à la séquence suivante telle qu'au générique, en noir et blanc, s'adressant à la caméra, elle parle d'Eunice dont, dit-elle, « on savait instantanément si elle était gaie ou en colère ». Cette scène de confidences sera utilisée, tronçonnée, comme inserts et fil rouge du film.
Miriam et Eunice… Autrement dit Mi (Me = Moi) et Eu (prononcez You = Toi)… Moi et toi…
Mi affiche une naïveté désarmante et porte un appareil auditif à l'oreille gauche… Eu a le corps couvert de tatouages (17) et bardé de chaînes qui lui entrent et lui sortent de la peau… Elle ne croit qu'en une chose: le châtiment. Surtout envers elle-même. D'où les chaînes et toujours plus de meurtres censés provoquer la punition. Qui ne vient pas. « Dieu m'a oubliée. Je tue des gens et il ne se passe rien. Il pourrait me châtier ou m'asservir. Mais non… rien. Je fais ce que je veux. Il ne me voit pas. »
« Dieu est mort… »
Eunice, la tueuse en série lesbienne, séduit et entraîne Mi avec elle dans une sorte de Thelma et Louise british. Mi ne veut que l'aider à « être une meilleure personne » sans jamais la juger car  persuadée « qu'on ne peut avoir le bien sans le mal ». Elle est décidée à la suivre partout, jusqu'au bout… « Pour me rendre bonne ? Je te pervertirai avant », la prévient Eu… Et effectivement… Lorsque le moment surgit, Eu lui lâche « Bienvenue en enfer »

Butterfly Kiss  est le quatrième long métrage du réalisateur anglais Michael Winterbottom, né en 1961 à "Four Thousand Holes in" Blackburn, Lancashire (les fans des Beatles comprendront…). Son premier succès. En deux ans, il réalise quatre films, pas moins, tous très remarqués ! Après celui-ci ce sera Go Now (95), Jude (96) et Welcome to Sarajevo (97), s'affirmant comme l'un des cinéastes les plus prometteurs de son pays…
Avec Butterfly Kiss, il réussit un excellent film, très éloigné des habituels portraits de « serial killers ». Il s'appuie pour cela sur une mise en scène dépouillée, elliptique (on ne voit quasiment rien des meurtres), et se sert à merveille d'une excellente bande-son : musique originale de John Harle, mais surtout excellente utilisation de morceaux pop avec notamment quatre morceaux des Cranberries. La séquence finale sur fond de "No More Argue" est particulièrement réussie.
Mais le film ne serait sans doute pas ce qu'il est sans ses deux interprètes… Saskia Reeves s'était déjà faite remarquée en étant l'Antonia de Antonia et Jane de Beeban Kidron (91). Elle interprète avec beaucoup de subtilité le rôle de Mi et j'ai particulièrement apprécié sa performance dans les séquences noir et blanc où elle évoque Eunice… Cette dernière est incarnée par Amanda Plummer (dont il est difficile de croire qu'elle avait déjà 38 ans à l'époque tant elle semble juvénile). Fille du grand acteur anglais Christopher Plummer, Amanda n'était pas passée inaperçue dans des films comme Fisher King de Terry Gilliam ou Pulp Fiction de Quentin Tarantino. Ici, plus que jamais, sa performance mérite le détour. La diction rauque, fortement marquée de l'accent du nord de l'Angleterre, les yeux incroyablement fiévreux et expressifs, c'est elle et elle seule qui imprime tout son rythme au film et fait de Eunice un personnage fascinant car échappant à toute grille classique d'analyse…

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Parker Posey, Don McKellar, Sarah Polley, Jane Leeves, Brent Carver et Olympia Dukakis. Réalisé par Thom Fitzgerald. Scénario : Thom Fitzgerald, Steven Hillyer et Tim Marba
ck. Directeur de la photographie : Tom Harting. Compositeur : Christopher Beck.
Durée : 114 mn. Disponible en VO et VOST.

Résumé :
Matt Shapiro est mort. New York compte une victime de plus du SIDA. Mais un de ses amis a appelé les urgences. L'assistante du procureur Nicole Devivo doit interroger tous les témoins pour clore l'enquête. L'étrange attitude des proches et de la famille de Matt, à propos des circonstances du décès, sème le doute chez Nicole. Est-il mort du SIDA ? S'est-il suicidé ? Quelqu'un l'a-t-il aidé ?
L’avis de Tati :
Il y a bien longtemps que je ne m’étais pas pris une telle claque ! The Event est un film absolument bouleversant.
Il nous conte l’histoire de Matt, un gay atteint par le VIH. Après maints essais thérapeutiques, son médecin lui annonce qu’il se retrouve en plein échappement. Il décide alors qu’il ne veut plus subir de dégradations physiques. Matt ne souhaite pas que la maladie puisse l’amener jusqu’à un état végétatif et veut continuer à reconnaître ses proches. C’est alors qu’il fait le choix de réunir ses amis et sa famille à l’occasion d’une grande fête durant laquelle il tirera sa révérence.
C’est un film qui traite intelligemment et brillamment le sujet de l’euthanasie, du droit à mourir dignement et surtout, de l’amour au-delà de tous les… maux.
Si l’on fait l’impasse sur les vingt dernières minutes du film, The Event est un film très drôle car les amis du protagoniste sont hauts en couleur (pédés, gouines, trans, trav, drags, et même... hétéros !).
Par contre, pour la fin, prévoyez votre boîte de mouchoirs. C’est véritablement et terriblement éprouvant…
L'avis de Christian Collin :

Donner la mort par amour. Nick doit enquêter sur une série de suicides de sidéens, tous patients du même médecin. Il s'attarde au cas de Matt et se fait peu à peu une idée précise du drame de ces malades. L'euthanasie, ce douloureux et controversé thème de société est traité par deux films, Mar adentro et The Event. Tous deux aboutissent aux mêmes conclusions, après s'être attardés longuement sur les obstacles légaux à l'interruption sollicitée de la vie. La fin de The Event est bouleversante et déborde d'un amour auquel il est difficile de ne pas être sensible. La mort y est apportée comme un cadeau d'un élan collectif d'affection et la charge émotionnelle qui submerge les scènes finales a une force rare.
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Laurent Lucas, Clara Choveaux, Thiago Teles, Célia Catalifo, Lou Castel, Alex Descas, Marcelo Novais Teles, Olivier Torres et Fred Ulysse. Réalisé par Bertrand Bonello. Scénario de Bertrand Bonello. Directeur de la photographie : Josée Deshaies.
Durée : 115 mn. Disponible en VF.

L'avis de Petit Ian :
Si Tiresia n'est pas le meilleur film de cet automne [l’article a été écrit à la sortie du film, note de Daniel] , il est de loin le plus original. Face à la beauté formelle de Ken Park et d'Elephant, une splendeur d'outre-tombe apparaît comme un autre manifeste du 7e art. Ce projet franco-canadien est l'un des plus troublants poèmes qu'ait produit le cinéma. Voilà sept nuits que la chanson de Tiresia illustre mes rêves et, à l'heure où j'écris ces mots, Navajo Dream de Venus tourne sur ma platine. Dans cet extrait de Vertigone (un magnifique album dont la couverture représente un homme nu comme empêché par une force invisible d'accéder à la surface de l'eau sombre dans laquelle il est immergé), Marc A. Huyghens évoque la soumission d'un être à une population. Poursuivi par une femme armée, le héros perd peu à peu son humanité jusqu'à devenir chat, mais répète obstinément "Everything's ok". Dans l'œuvre de Bertrand Bonello, transposition à la fois actuelle et intemporelle du mythe de Tirésias, une prostituée brésilienne (Tiresia) est captive d'un poète (Terranova) qui ne possède pas les hormones dont elle a besoin pour rester femme. D'abord hystérique, Tiresia consent progressivement à aimer, ou feindre d'aimer, son geôlier. Cependant, le caractère mâle regagnant ce corps enchaîné répugne le poète, qui lui crève les yeux et l'abandonne au bord d'une rivière. Redevenu homme, Tiresia est pris sous la protection d'une fille muette, développe des capacités divinatrices et suscite notamment l'intérêt d'un prêtre.
Découpé en deux parties (Tiresia femme, jouée par Clara Choveaux ; Tiresia homme, par Thiago Telès), le film exploite comme moyen de transition, mais aussi d'ouverture, l'image d'un volcan en éruption. Tiresia est née des entrailles de la terre, a été tour à tour femme et homme [1], et est passée de l'une à l'autre par un état intermédiaire, qui est aussi celui de son origine : créature. Toute l'œuvre est tiraillée entre des thèses ennemies, le mythe (Tiresia créature) et la réalité (Tiresia trans), le profane (l'oracle) et le sacré (le père François), la femme (Clara Choveaux) et l'homme (Thiago Telès), la cécité (Tiresia aveugle) et la voyance (Tiresia devin), le démon (Laurent Lucas bourreau) et le saint (Laurent Lucas prêtre). Difficile de savoir si cela est le fruit du hasard, mais déconcertant est le doublé de toutes les initiales : B (Bertrand Bonello), C (Clara Choveaux, Célia Catalifo), L (Laurent Lucas), T (Thiago Telès, Tiresia/Terranova)... que faut-il décrypter ?! En duel ou en duo, Tiresia est organisé sur un mode binaire et pourtant ni manichéen ni rationnel. L'exemple le plus intéressant n'est d'ailleurs pas donné expressément : d'abord méfiant, le père François se laisse ensuite convaincre par les dons de l'oracle, mais ce changement s'opère de façon latente, tout comme Tiresia femme peut affirmer sa virilité plus ou moins secrète en un rien de temps (lorsqu'on la prive de ses hormones).
Pas de poésie sans esthétique. Il y a dans Tiresia de magnifiques plans, longs et contemplatifs, sur une éruption volcanique, sur les prostituées du bois de Boulogne, sur la toilette du corps féminin-masculin de Tiresia, sur une scène d'amour à trois répétée deux fois (l'homme, la femme, le trans, des seins, des fesses, l'érection d'une verge imposante : la caméra caresse la peau, la lisse, la lèche), sur l'agonie de Tiresia (ses yeux crevés, ensanglantés, éclairés par intermittence, c'est-à-dire lorsque la voiture en croise une autre ou passe sous un lampadaire, et sa voix qui hurle, puis s'affaisse : une terrible séquence), sur la découverte de cette dépouille par Anna au bord d'une rivière (arbres morts, eaux troubles, ciel gris : une froideur qui plairait à Tim Burton)... Une bande-son éclectique (Beethoven, Albin de la Simone, Alberto Iglesias [2], la fameuse complainte de Tiresia...) accompagne ces images en profondeur, rappelant que le cinéma est un autre monde et plongeant le spectateur dans son obscurité (la première heure se déroule de nuit et la plupart du temps à huis clos, la deuxième de jour mais Tiresia est désormais aveugle). « Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige... », écrit Baudelaire dans Les Fleurs du mal [3]. C'est l'image qu'il nous reste de Tiresia, une beauté ensanglantée contemplée par un étrange poète.

[1] « sa nature est d'être d'abord une femme, puis un homme » (Thiago Telès, TéléCinéObs n°2032)
[2] compositeur pour Almodóvar
[3] Harmonie du soir. On pense également à Une charogne.
Pour plus d’informations :
Bande annonce
Secrets de tournage

Fiche technique :
Avec Jacques Nolot, Patri
ck Ferry. Réalisé par André Techiné. Scénario : Philippe Du Janerand, Jacques Nolot, Laurent Perrout et André Téchiné. Directeur de la photographie : Pascal Marti.
Durée : 48 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Jean-Claude, jeune comédien parisien, retourne dans son village natal après dix ans de silence. Il retrouve son frère, marié à une fille du pays, la Matiouette. Les retrouvailles seront difficiles.
L'avis de Jean Yves :
La Matiouette ou le face à face de deux frères
La Matiouette a d'abord été une pièce de théâtre (1) écrite par Jacques Nolot, jouée sur scène en 1981 puis filmée par André Téchiné en 1982.
Un salon de coiffure comme on en fait plus. Une échoppe pièce de musée où croupit un phallocrate bon cru. Venu d'on ne sait où, surgit l'étranger. Un client ?
Non, le frère du coiffeur, de passage au village natal après dix ans d'absence. La surprise passée, s'affrontent alors deux histoires opposées, toutes deux nées du même creuset : la famille. D'un côté l'héritier aveugle de la France silencieuse en butte aux singularités du marginal, de l'autre celui qui est monté à Paris, le suspect.
L'arrivée éclair du frère prodigue ravive les incidents de parcours : gosse, il tricotait, avait des barrettes dans les cheveux, aujourd'hui il porte un foulard de pédé, fume des cigarettes de gonzesse...
Bref il est anormal. De là à penser que...
Au-delà du propos caricatural super phallo qui provoque rires et sourires grinçants, l'essentiel de la « Matiouette » (c'est le surnom de l'épouse du coiffeur) que Jacques Nolot, l'auteur, porte de bout en bout avec une verve contenue, jamais vulgaire, constamment vrai, se trouve dans le non-exprimé, dans le non-dit que suggère sans jamais le nommer, le discours phallo. L'anormal est-il homosexuel, fou, drogué ?

Qu'importe ! Il dérange.
Son salut n'a tenu qu'à son départ forcé et c'est parce qu'il n'était pas comme les autres qu'il a quitté le pays. Le coiffeur, dans les normes, est resté, sans une lueur de révolte, le système sécrétant son propre enfermement.

La Matiouette est le deuxième volet d'une trilogie : le premier volet J'embrasse pas réalisé aussi par André Techiné en 1991 racontait le départ du « héros » adolescent de son village natal. Le troisième volet L'Arrière-pays réalisé par Jacques Nolot en 1997 raconte le second retour du « héros » dans son village après avoir « réussi » à Paris : il n'est plus regardé - comme dans la Matiouette - en anormal du fait de sa réussite sociale, même s'il reste et restera toujours différent.

(1) Editions Actes Sud, Collection Papiers, 1992, ISBN : 2869432461
Pour plus d’informations :

Catégories

Contact - C.G.U. - Signaler un abus - Articles les plus commentés