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FILMS : Les Toiles Roses


Fiche technique :

Avec Leonardo Di Caprio, Mark Wahlberg, Lorraine Brasco, Juliette Lewis, Jim Caroll, Ernie Hudson, James Madio, Patrick McCaw, Bruno Kirby, Josh Mostel, Michael Imperioli, Brittany Daniel, Toby Huss, Michael Rapaport et John Hoyt.. Réalisation : Scott Kalvert. Scénario : Jim Caroll & Bryan Goluloff. Directeur de la photographie : David Phillips. Montage : Dana Congdon. Musique: Graeme Revell.

Durée : 100 mn. Disponible en VO, VOST et VF.




Résumé :

Jim (Léonardo Di Caprio) et sa bande de copains (dont l’un d’eux est joué par Mark Wahlberg, la future vedette que l’on connaît) suivent une scolarité rigide dans une école catho et traînent leur mal de vivre dans les rues de New York. Le basket, qu’ils pratiquent à un haut niveau, est leur seule passion. De dérapages en désillusions, ils vont préférer la seringue au ballon. Jim écrit son journal intime, celui d’une descente aux enfers...


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L’avis de Bernard Alapetite :

Le film, le premier du metteur en scène, est l’adaptation d’un livre autobiographique célèbre aux USA de Jim Carroll, l’un des chefs de file de l’avant-garde new-yorkaise des années 70, proche d’Andy Warhol, de Lou Reed et du Velvet Underground. Ce garçon précoce publie son premier recueil de poèmes à 22 ans, Living at the movies, pour lequel il est pressenti pour le prix Pulitzer. Il publie The Basketball Diaries en 1978, à l’âge de 28 ans, dans lequel il racontait au jour le jour son expérience d’ado paumé, drogué, clochardisé, prostitué... Cette prostitution homosexuelle est discrètement présente dans le film dans une scène où l’on perçoit un relent d’homophobie. Ce livre, publié en France par les éditions 10/18 (n°2644), sera le livre culte d’une partie de la jeunesse américaine ; il sidérera Jack Kerouac et marquera cette jeunesse comme l’avait fait avant lui le fameux L’Attrape-cœurs de Salinger. On peut le comparer à ce que fut en France au début des années 80, Flash (Le Livre de Poche). Pourtant le film connaîtra un échec commercial aux USA... Caroll a également commis plusieurs disques, dont Catholic Boy en 91, et on entend certaines de ses chansons dans la bande originale d’E.T.


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À noter que Caroll a suivi le tournage du film et a même joué le rôle d’un vieux junkie dans une scène avec Di Caprio. Ce dernier, comme pour le rôle de Rimbaud, fait preuve d’un grand talent d’interprète à la tête d’une distribution homogène et talentueuse. Il donne une dimension époustouflante à ce personnage d’adolescent désespéré qui ne rêve que de devenir pur. Il faut être courageux pour accepter un tel rôle à l’aube d’une carrière ; il est vrai que Basketball Diaries fut tourné avant son succès titanesque...

Le film n’a dû sa sortie en France, trois ans après son tournage, qu’en raison du succès de Titanic, et c’est une chance, car il aurait été dommage de se priver de ce film bien écrit et bien joué, mais assez mollement filmé, sauf dans les scènes où intervient la musique dans lesquelles Kalvert se souvient qu’il est un bon réalisateur de clips. Dans la lignée d’Outsiders de Coppola, Basketball Diaries est un mélo crépusculaire presque exclusivement interprété par une ribambelle de garçons, souvent dénudés.


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À signaler, à ce titre, quelques scènes particulièrement intéressantes comme celle où les jeunes gens improvisent une partie de basket streap-tease la nuit sous la pluie diluvienne, ou celle où le beau Léonardo se fait fouetter devant tous ses camarades de classe par un prêtre-professeur. On voit DiCaprio jouer au basket à moitié nu avec beaucoup de gros plans impudiques, dont un sur ses fesses nues : il est patent que la réalisation n’est pas insensible aux beautés garçonnières juvéniles. Mais on le voit surtout se battre dans des rues sombres, faire le plein d’héro, vomir et pleurer beaucoup. Le film installe une vision sans fioritures de la toxicomanie, on dira que c’est un peu « Drugstore Schoolboy ».

Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec Michel Piccoli, Mohsen Mohiedine, Mohsena Tewfik et Patrice Chéreau. Réalisé par Youssef Chahine. Scénario : Youssef Chahine. Directeur de la photographie : Mohsen Nasr. Compositeur : Gabriel Yared.
Durée : 115 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :
Avide de puissance et de gloire, Bonaparte entame la campagne d'Égypte. Loin de ces préoccupations guerrières, Caffarelli, l'un de ses généraux, part à la découverte de ce pays et de son aâme. Il va s'opposer à l'action exclusivement destructrice de Bonaparte.

Youssef Chahine

L'avis de Jean Yves :
Adieu Bonaparte retrace une tranche d'histoire : durant sa campagne d'Égypte en 1798, Bonaparte (Patrice Chéreau) avait recruté une soixantaine de chercheurs parmi lesquels le général Caffarelli (Michel Piccoli), qui se prend d'un attachement profond pour deux jeunes autochtones, tandis que le petit caporal fait couler le sang à travers le pays.
Youssef Chahine raconte avec une très grande pudeur comment un amour peut commencer : « qu'est-ce qu'un premier regard ? »
Ce film n'est pas une fresque sur la campagne égyptienne de Bonaparte : il se situe loin des délires du Corse malgré les déploiements d'artillerie et les reconstitutions méticuleuses. L'irrespect de Youssef Chahine envers le général y est largement perceptible, ce qui n'est que justice à l'égard d'un tyran arrogant qui saigna à blanc la jeunesse européenne pour satisfaire sa seule volonté de puissance.
Pour le réalisateur donc, l'expédition en Égypte n'est qu'un prétexte : pendant que Bonaparte répand le sang, il focalise l'attention du spectateur sur le général Caffarelli, un savant unijambiste en qui semblent se jouer toutes les luttes de l'âme. À travers l'amour de Caffarelli pour deux jeunes frères égyptiens, à travers l'amitié qu'ils lui rendent (ce qui n'est pas évident étant donné la situation), Chahine nous montre la conscience d'un homme encore humain devant la souffrance, devant l'injustice, devant l'absurdité dans laquelle les foules sont entraînées, de part et d'autre.
C'est une histoire d'amour à trois personnages : Caffarelli, Yehia la tête (Mohamed Atef) et Ali les jambes (Mohsen Mohiedine). Tout le film est axé sur la sublimation, l'engouement que suscitent les deux frères égyptiens, de culture et de coutumes islamiques. Caffarelli veut comprendre, apprendre, aimer, quitte à émettre des avis contraires à la parole de Bonaparte fiévreux, possédé par la mégalomanie.
Toutes les relations, crescendo, de l'approche amicale aux aveux de l'homme qui meurt, sont d'une exquise beauté, finement ciselées par Chahine et soutenues par l'interprétation juste et grave d'un Piccoli au meilleur de sa forme.
L'important, à travers le personnage de Caffarelli, c'est de voir le début d'un amour, ses mécanismes, la difficulté parce que l'autre est différent. L'important n'est pas qui on aime mais comment on aime. Caffarelli finit par transcender sa passion, il parvient à aimer moins pour aimer mieux.

Adieu Bonaparte, une parabole universelle sur l'amour : est-ce que Caffarelli pourra aimer Ali tel qu'il est, pour ce qu'il est, sans vouloir le réduire à une image qui lui convient, sans tomber dans le stéréotype style Indiana Jones, le dieu « civilisé » qui viendra séduire et baiser toutes les femmes, et pourquoi pas sauver le tiers monde ?
Derrière la façade fragile d'une reconstitution historique qui n'est qu'un alibi, Chahine nous offre une réflexion philosophique sur l'amour, et cela est admirable.

Pour plus d’informations :
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Fiche technique :

Avec Cui Zien, Zhang Kang, Wei Jiangang, Yan Qing, Yu Bo et Yu Mengjie. Réalisé par Liu Bingjian. Scénario : Cui Zien et Liu Bingjian. Directeur de la photographie : Jinliang et Xu Jiang. Compositeur : Ah Yi.

Durée : 90 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :

Hiver 1998, Xiao Bo, jeune homme réservé, arrive de province à Pékin pour chercher du travail. Il échoue par hasard dans une boutique de mode. La gérante, Qin Jie, l’engage aussitôt et met une chambre à sa disposition. Se prenant d’affection pour lui, elle lui présente sa meilleure amie, pensant qu’ils feront un beau couple, ce qui est parfaitement vrai, les deux jeunes gens étant très agréables à regarder. Mais Xia Bo ne manifeste aucun intérêt pour la jeune femme... Celui-ci préfère la compagnie de Chong Chong, son meilleur ami, un gay tendance folle flamboyante qui édite une revue consacrée aux graffitis et maximes des toilettes publiques !

L’avis de Bernard Alapetite :

Le Protégé de Madame Qing, dont le titre chinois est Nan nan nu nu voulant dire « Homme homme, femme femme » et aussi quelque chose comme « toutes sortes de gens », a été tourné en catimini et au nez et à la barbe des autorités. Liu Bingjian procède par collage et insert. La rapidité de tournage a sans doute influé sur le style. Le film s'attaque à un thème tabou dans un pays où le gouvernement nie encore l'existence du sida : l'homosexualité.

Dans ce film, les rapports entre les personnages ne sont pas ce qu’ils devraient être, et surtout, ils ne sont pas ce qu’ils semblent être. Ainsi une ambiguïté permanente pèse tout le long du film sur les sentiments des protagonistes, comme si la sophistication de la société chinoise avec l’intrusion de la technologie (ordinateurs, téléphones portables...) allait de pair avec la sophistication des êtres. L’ambiguïté touche également parfois le sexe des personnages, en témoigne la féminité troublante de Gui Gui (étonnant sosie de Sihanouk, l’empereur du Cambodge) ou la voix grave et masculine d’une amie de Chong Chong.

L’ineffable Gui Gui est joué par le très talentueux Cui Zi’En, qui est par ailleurs réalisateur de plusieurs films dont Night Scene.

Le film est animé par des personnages qui ont soif de liberté mais surtout de fantaisie, montre que le destin des chinois à l’aube du troisième millénaire n’est plus tout à fait ce qu’il était. C’est la grande et heureuse nouvelle qu’annonce ce film. On y voit surgir le vécu homosexuel sous de multiples formes presque inconnues du spectateur occidental, souvent cocasses comme ce journal des pissotières mettant à la disposition des lecteurs des petites annonces et des dessins trouvés dans les toilettes.

Le style du film est celui d'un réalisme qui confine au documentaire. Le cinéaste refuse tout effet de dramatisation pour atteindre une forme d'ascèse. La caméra est d'une fixité parfois exagérée, mais cette sobriété finit par créer un vrai climat et le film devient le constat de l'homosexualité en 1998 en Chine. On a le sentiment de vivre en direct la préfiguration d’une vie gay organisée et militante. On sent la genèse d'une émancipation, celle de garçons et de filles qui ont subi trop longtemps la répression communiste. Mais avec elle apparaît une occidentalisation à outrance de la Chine.

Bo nous est d'abord présenté comme un jeune homme que rien ne pourrait faire soupçonner de préférer les hommes. Masculin, il n'hésite pas à se battre si nécessaire. Il est donc aux antipodes de tous les clichés habituels. Pour cette raison, son indifférence face à l'amie de sa patronne, belle jeune fille que tout jeune homme devrait désirer, semble inconcevable. Dans cette première partie du film où Bo révèle très progressivement sa personnalité et son rapport aux autres, le spectateur est lui même en proie au doute quant à la conscience qu'il peut avoir ou non de sa propre sexualité. À partir de la rencontre de Bo et Chong, le film prend une autre dimension.

La représentation de l'amour entre hommes reste particulièrement chaste. Les attouchements sont très elliptiques. Si l’on sent le poids du tabou néanmoins le film est touchant et aborde quand même sans détour avec un réalisme saisissant un sujet banni par la censure en Chine. On ne peut que saluer le courage et la détermination du cinéaste.

Liu Bingjian appartient à ce que l’on peut appeler, faute de mieux, le cinéma indépendant chinois. Il recouvre une réalité assez enthousiasmante née des évènements tragiques de Tiananmen, qui voit des jeunes cinéastes passer à la réalisation dans des conditions de précarité, de clandestinité qui sont un défi à la censure de leur pays et à un cinéma en voie d’officialisation comme celui de Zhang Yimou, Chen Kaige...

Avec Liu Bingjian, Wang Xiaoshuai (So Close to Paradise, 1998), Zhang Yuan (Les Bâtard de Pékin, 1993), He Yi (Les Perles rouges, 1993), Jia Zhangke (Xiao Wu, 1997), Zhao Jisong (Scenery, 1998), Yu Likwal (Love Will Tear Us Apart, 1999) sont les principaux représentants de cet underground chinois qui prospecte les eaux troubles de la société chinoise.

Liu Bingjian n’a aucun complexe par rapport aux cinéastes de la 6e génération, comme l'illustre la scène entre le Xiao Bo et la meilleure amie de Madame Qing. Le héros y avoue son désintérêt du cinéma et de Gong Li !

Liu Bingjian a obtenu, pour Le Protégé de Madame Qin, le Prix du meilleur réalisateur au Festival du Film International de Locarno en 1999. Depuis, il a réalisé le savoureux Les Larmes de Madame Wang.


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L'avis de Philippe Serve :

Les Camarades (terme ironique employé par les homosexuels chinois entre eux)

Il fut une époque reculée où l'homosexualité (tongxinglian) était chose courante et parfaitement acceptée en Chine, une simple composante d'une sexualité ouverte malgré le poids de la tradition confucéenne qui voyait en l'homme un chef de famille appelé à créer une descendance en fidélité au culte des ancêtres. L'occidentalisation quelque peu forcée de la société après les guerres de l'opium (1839-1842 et 1858-1860) créera et développera une morale petite-bourgeoise qui mettra au pilori l'homosexualité, tout en tournant le dos à la polygamie (qui favorisait ou permettait le lesbianisme, des épouses encourageant leur mari à prendre pour concubine leur propre maîtresse). L'instauration du communisme à partir de 1949 ne fit que renforcer l'ostracisme envers cette déviance sexuelle. Jusqu'à très récemment encore, être homosexuel en Chine, sujet tabou, relevait d'une « anomalie médicale », mentale pour être précis. Le code pénal se montrant muet sur la question, la répression passait par l'assimilation de l'homosexualité au hooliganisme et au désordre de l'ordre public...

Cet amalgame disparut en 1997 et l'équation homo = malade mental fut définitivement repoussée par l'Association de Psychiatrie chinoise en avril 2001.... Aujourd'hui en Chine et notamment dans les grandes villes, les homosexuels ne se cachent plus et se retrouvent librement dans des bars, les saunas ou des boîtes gays, à Pékin ou Shanghai comme à Paris, Londres ou Berlin. C'est cette Chine là que l'on retrouve dans le très intéressant film de Liu Bingjian Le Protégé de Madame Qing (le titre original, Nan nan, nü nü, littéralement « Homme homme, femme femme » signifie aussi quelque chose comme « Toutes sortes de gens »).

Empruntant directement à la technique du documentaire (film indépendant tourné très vite et clandestinement en 10 jours, caméra fixe mais aussi portée, sujet de société, acteurs non professionnels et jouant leurs propres rôles, etc.) chère aux réalisateurs de la 6e génération dont Liu fait partie, le film surfe sur un humour dévastateur. Bo, peu sensible au charme de la jolie Meng, préfère se rapprocher de son ami Chong-chong. Celui-ci travaille et vit avec le très gay Gui-gui (joué par le scénariste du film, Cui Zien, professeur et militant de la cause homo). Leur activité ? Publier une littérature de toilettes publiques... Un exemple ? Les Fables des pissotières radieuses! Ainsi, Chong-chong se rend de toilettes en toilettes afin de recueillir sur les murs quelque prose immortelle que Gui-gui répercutera sur les ondes de son émission radio (émission « pirate » bien sûr).

Humour aussi ou plus exactement ironie avec cette Mme Qing, la quarantaine à la silhouette juvénile, qui materne Bo au plus près et finira par quitter son macho de mari pour... Meng, la jeune fille qu'elle destinait à son « protégé »...

Mais ne croyons pas pour autant que si la situation des homosexuels en Chine a très favorablement évolué, elle soit devenue facile, l'irruption massive du Sida ne faisant que compliquer les choses pour une communauté qui, si elle est moins harcelée par le pouvoir, a encore à se faire accepter par la société elle-même, paradoxalement plus conservatrice pour ne pas dire plus réactionnaire que l'État lui-même ! Mme Qing ne s'y trompe pas lorsqu'elle déclare: « Si il (Bo) l'est vraiment, il va souffrir... ».

Liu Bingjian a l'intelligence de ne faire preuve ni de didactisme ni de prosélytisme. Il raconte seulement une histoire et des gens par le biais d'une mise en scène sans effets particuliers. Les plans s'étirent en plans-séquences, parfois à la durée limite, Liu n'étant tout de même pas Hou Hsiao-hsien...

Le Protégé de Madame Qing n'intègrera certes pas les annales ou la légende des plus grands films chinois mais restera comme une œuvre originale, osée, attachante et drôle teintée d'une légère amertume aussi élégante que désabusée...

Pour plus d’informations :

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L’avis de Laurent :

Fiche technique :
Avec Liu Ye, Hu Jun, Su Jin, Li Huatong, Lu Fang, Zhang Yongning, Shunag Li et Minfen Zhao. Réalisation : Stanley Kwan. Scénario : Jimmy Ngai. Directeur de la photographie : Tao Yang. Compositeur : Yadong Zhang.
Durée : 86 mn. Disponible en VO et VOST.



Résumé :

Pékin, 1988.

Chen Handong appartient à la grande bourgeoisie de Pékin. Il dirige une société de courtage en pleine expansion. Un soir, son associé qui connaît sa préférence pour les garçons lui fait rencontrer Lan Yu, un jeune étudiant qui envisage de se prostituer. Cette rencontre sexuelle se transforme vite pour Lan Yu en un véritable amour.

Chen Handong ne veut pas s’engager et préfère considérer leur relation uniquement sur un plan sexuel, tout en rendant Lan Yu affectivement dépendant : Lan Yu, frusté et dépité, part. Quelques mois passent... Au moment des évènements de juin 1989, Chen Handong, très inquiet, se met à rechercher Lan Yu dans les rues de Pekin.

Les deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre. Chen Handong décide de vivre avec Lan Yu dans la somptueuse villa qu’il lui offre. Pourtant, Chen Handong n’assume toujours pas cette relation et préfère épouser une jeune traductrice. Les deux hommes se séparent mais bientôt Handong finit par divorcer et fait en sorte de retrouver Lan Yu à qui il déclare ses sentiments au moment même où sa propre société est accusée de vol...


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L’avis de Bernard Alapetite :

Stanley Kwan est le cinéaste qui offrit un très beau rôle à Maggie Cheung dans Center Stage. Lan Yu est son film suivant et traite d’une histoire d’amour au masculin. C’est l’adaptation d’un roman qui a été publié sur un site gay chinois et qui a fait scandale. Deux acteurs excellents (Hu Jun et Liu Ye) habitent ce marivaudage grave dans le Pékin de la fin des années 80. Le cinéaste montre le désir entre deux hommes à l’état brut, et nous rappelle le Happy Together de Wong Kar-Waï, le tango en moins.

La mise en scène élégante et la sensualité des images font de Lan Yu une histoire d'amour exaltée, riche d’envolées et de déchirements. Le cinéaste filme cette romance avec évidence. La force de Lan Yu, c’est de nous faire presque oublier son côté gay. C’est un film très délicat. On retrouve la sensibilité et la finesse d’un certain cinéma asiatique. La mise en scène est parfois très elliptique : des périodes de plusieurs années sont parfois coupées, lorsqu’ils sont séparés. Il y a d'ailleurs quelques problèmes de chronologie. Chaque séquence du film est un fragment de leur histoire, c’est très beau. Stanley Kwan filme de façon neutre, presque distante, mais malgré tout un brin mélancolique. Les images sont soignées, une musique discrète et très jolie les accompagne.

Lan Yu est pour la Chine un film hautement subversif d'autant plus pour les caciques du régime qu'il décrit une relation entre deux hommes où ce qui pose problème n'est pas la crainte de la répression mais l'ambivalence des sentiments. L'étudiant puceau connaît l'amour dans les bras de Chen Hadong, mais celui-ci veut obéir à trop de désirs contradictoires, stoppé dans ses élans par une antienne risquée : « Quand on se connaît trop bien, il faut se séparer. » Les deux acteurs sont filmés avec un sens inouï de l'intimité, dans une lumière hivernale et des intérieurs ombrés. L'incompréhension entre les amants devient peu à peu plus grave encore que l'opprobre sociale, si fortement inscrite dans le code amoureux qu'elle promet au sentiment du manque, une éternelle jeunesse.

Le tournage s’est déroulé en semi-clandestinité. Il a été très difficile car l’homosexualité est un sujet tabou en Chine. Le film, d’ailleurs, se déroule beaucoup en intérieur et de nuit alors que cet amour mérite la liberté et la lumière. Le réalisateur finit son œuvre avec une caméra embarquée dans une voiture, volant de jour des images des rues de Pékin baignées de soleil. Des rues où on peut penser qu’il aurait aimé voir Lan Yu et son amant enlacés.


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L’avis de Boris Bastide :

Stanley Kwan, réalisateur en provenance de Hong-Kong, fait un petit détour par la Chine continentale pour cette histoire d’amour homosexuel. Le film est adapté d’un roman publié en plusieurs parties sur Internet.

Lan Yu est une histoire d’amour hantée par la mort. Au commencement, une voix se souvient et nous ramène des images toutes droit venues de l’obscurité du premier plan. Les personnages nous apparaissent d’abord figés, en quelques plans en noir et blanc. Peu à peu, ils prennent vie. L’histoire peut recommencer. Nous sommes à Pékin, en 1988. Le film narre la rencontre, un soir, de deux personnages totalement différents. Le premier se nomme Chen Handong. C’est un chef d’entreprise d’une trentaine d’années, vieux citadin au niveau de vie aisé. Le second est Lan Yu, jeune étudiant venu de sa province du Nord-Est pour étudier l’architecture à Pékin. Ce dernier va tout d’abord se prostituer auprès du premier, avant que ne se développe entre eux une relation amoureuse.

L’intrigue se déroule sur plusieurs années, à coups d’arrêts et de recommencements, un peu à la manière du Happy Together de Wong Kar-Wai. D’un point de vue narratif, le film est composé d’une juxtaposition de scènes de la vie quotidienne. Cette forme nous rappelle les souvenirs qui viendraient à l’imagination du narrateur, de manière éparse et hasardeuse. Seule compte ici l’intimité qu’ont pu avoir ces deux hommes, intimité à la fois physique et sentimentale. Lan Yu et Handong se retrouvent donc quasiment toujours seuls, face-à-face. Le couple, par sa façon d’exister, annihile toute intervention de l’extérieur. Il est constamment reclus dans des intérieurs aux lumières très obscures. Ici, Stanley Kwan excelle à filmer ces scènes d’enfermement intime. La photographie de Lan Yu, toute en plages sombres menaçant constamment d’envelopper les personnages et de les engloutir dans la nuit, est somptueuse. La dimension politique du film est elle aussi déterminée par l’histoire des deux amants. On ne verra des massacres de la Place Tienanmen qu’une fuite de vélo en pleine nuit. Plus tard, Handong est menacé par le régime de peine de mort pour ses agissements illégaux, mais le réalisateur s’attache surtout à la manière qu’a Lan Yu de réagir à la situation.


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Le thème de l’homosexualité et de la prostitution permet néanmoins à Stanley Kwan de développer une vision critique d’une Chine moderne, dans laquelle l’argent joue un rôle moteur. Car si l’on ne voit pas grand chose de Pékin (hormis lors de la magnifique scène finale), le film nous en dit quand même beaucoup sur ce qui s’y passe. Les personnages vivent dans des espaces clos mais le pays, lui, s’ouvre aux relations commerciales avec l’extérieur. On comprend aussi qu’une partie de la population des régions les plus pauvres se rend à la capitale pour essayer de s’en sortir. Les normes imposées par la société sont encore fortes et mettent à rude épreuve l’amour des deux individus. L’un rêve de se marier, l’autre de quitter le pays. Les deux hommes sont aliénés dans leur propre intimité, constamment séparés dans l’espace par l’architecture des pièces ou les jeux de miroir.

Le plus dur, au delà des disputes et des ratés inévitables de la relation, ce serait donc de trouver le bonheur dans un monde en constante mutation. Tout le film est marqué par un fort sentiment de mélancolie, dans la musique, dans la lumière ou chez les personnages eux-mêmes. Tout semble déjà joué : Lan Yu n’est qu’un regard en arrière sur une belle histoire révolue, avant de pouvoir, peut-être, tout recommencer. L’amour des personnages est condamné à être à l’image de leur ville : en constant chantier, entre écroulement et reconstruction, entre la mort et la vie.


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L’avis de Géraldine (Ciné-asie) :

Pékin fin des années 80.

Venu de sa campagne pour y faire des études d’architecture, Lan yu est un jeune homme seul, sans un sou, un peu perdu. Vendre son corps à des hommes lui paraît être une solution de survie. Chen Handong n’a rien à se prouver ; la quarantaine florissante, il est le patron nanti d’une société prospère. Il ne compte que sur lui et son associé, son unique ami.

Son argent est son pouvoir, il peut se permettre de vivre ce qu’il veut avec qui il veut quand il veut. Il incarne la réussite. Ne lui manque que l’amour. Ils se rencontrent un soir d’été dans un bar à Pékin. Chen Handong détourne Lan yu d’un futur « client » et se l’approprie. Il ne lui promet rien, mais le relooke, le couvre de cadeaux, pendant que Lan Yu se laisse posséder et tombe amoureux de sa première relation homosexuelle. Lui, a découvert l’amour.


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Stanley Kwan a construit son film en trois actes. Après les deux premières parties décrites tout en douceur, en lenteur, le rythme s’accélère enfin pour amener les rôles que tiennent les deux principaux personnages à s’inverser progressivement. Le réalisateur hongkongais, qui connaît bien l’univers homosexuel, utilise là une nouvelle publiée sur le net en Chine, basée sur une histoire vécue. Il y décrit ses personnages avec une sensualité et une pudeur qui seyent parfaitement au contexte chinois. Il amène les personnages au plus profond de leurs contradictions et dépeint admirablement l’univers sensuel dans lequel ils vont évoluer.

Lan Yu n’est pas un film exceptionnel par son sujet à proprement parler, mais il faut avouer que Stanley Kwan, peut-être du fait qu’il n’a pu obtenir les autorisations nécessaires pour son film, a su avec talent placer ses personnages dans des scènes de huis clos, renforçant ainsi l’intensité de la relation qui lie Lan Yu à Chen Handong, et permettant ainsi au spectateur de s’immiscer étroitement dans leur vie de couple.

 Certains ont jugé nécessaire de préciser le contexte politique de Pékin à la fin des années 80 (Tian An Men 1989), peut être comme valeur ajoutée à « un plan marketing », ou bien parce que la Chine leur paraît encore « insondable ».


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À mon sens, cette référence historique n’a qu’une valeur anecdotique, sans aucune influence sur le récit de cet amour au masculin, qui ne serait d’ailleurs pas si remarquable sans l’interprétation talentueuse des acteurs et plus précisément de Hu Jun et Liu Ye.

Cet amour semble éternel, sans laisser malgré tout au spectateur la possibilité d’en oublier le caractère éphémère. Il plane dans ce film comme une douceur amère, une fragilité qui envahirait le couple lentement, une menace mystérieuse, « quand on se connaîtra bien, on se séparera ».

Mystère, qui ne se révèlera qu’à la toute fin du film comme s’il n’y avait qu’une seule chose, inéluctable qui puisse séparer deux êtres qui s’aiment.


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L'avis de Laurent :

De 1988 à nos jours, à Pékin, l’histoire d’amour impossible entre Lan Yu, étudiant en architecture et Chen, un riche homme d’affaires : c’est pour se faire un peu d’argent, afin de financer ses études, que Lan Yu accepte initialement de coucher avec Chen, plus vieux, plus « expérimenté » et surtout plus riche que lui. Mais Lan Yu s’éprend très vite et de manière inattendue de Chen. Or, celui-ci ne veut considérer leur relation que comme un divertissement et refuse de s’investir. Pour lui, à un certain âge, un homme doit savoir « se ranger » et fonder une famille...

Lan Yu est inspiré d’un roman anonyme (signé du simple pseudonyme « Bejing tongzhi » : littéralement « Le camarade de Pékin », le terme « tongzhi » désignant aussi une personne gay en argot chinois), qui fut publié sur Internet, sous le titre de Bejing Gushi (Bejing story). Stanley Kwan, lui-même homosexuel, n’a pu que se sentir concerné par l’histoire de ces amours interdites et contrariées : il a en effet lui aussi dû faire face à la volonté de son propre compagnon de trouver une épouse afin de fonder une « vraie » famille…



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En voyant Lan Yu, on repense bien sûr à Happy Together, de Wong Kar-Wai, autre film hongkongais traitant de l’homosexualité, mais surtout des problèmes de couples en général. Car la force des deux films, c’est de nous faire presque oublier le côté « gay » (Lan Yu était présenté au 7e Festival gay et lesbien de Paris), et de nous montrer une histoire d’amour « universelle », dans laquelle chacun peut se retrouver.

Pourtant, le film de Stanley Kwan n’atteint sans doute pas les sommets esthétiques, formels et émotionnels d’Happy Together (mais à l’impossible, nul n’est tenu). On reste en effet surpris par une fin incongrue et rapide, qui donne une fâcheuse impression de « bâclé ». Par ailleurs, de trop nombreuses ellipses et sauts dans le temps nous empêchent de nous investir totalement dans cette histoire et de ressentir fermement le lien qui unit les deux amants.

Cependant, le film est souvent touchant, il est servi par des acteurs exemplaires (le couple Lan Yu-Chen en particulier). De plus, il apporte certainement un vrai point de vue (il faisait partie de la sélection officielle d’« Un certain regard », à Cannes) et une approche novatrice de l’homosexualité. Il dépeint avec brio une Chine où l’homosexualité reste un tabou puissant, malgré les mutations formidables que le pays a subies depuis quinze ans, mutations dont Stanley Kwan saisit et restitue l’ampleur et l’ambiance à travers le croisement de deux destins hors normes.

Pour plus d’informations :


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Fiche technique :
Avec Alex Briley, David Hodo, Glenn Hughes, Randy Jones, Felipe Rose, Bruce Jenner, Valerie Perrine, Steve Guttenberg, June Havoc, Barbara Rush, Jack Weston, Leigh Taylor-Young, Paul Sand, Tammy Grimmes et Altovise Rush. Réalisation : Nancy Walker. Scénario : Allan Carr & Bronte Woodward. Musique : Jacques Morali. Directeur de la photographie : Bill Butler.
Durée : 124 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



L'avis du site
Nanarland (repris avec leur sympathique autorisation) :
Can’t Stop the Music : c’est la comédie musicale disco des Village People ! Y a-t-il vraiment besoin d’une chronique après avoir dit ça !
Si ? Oh ben, vous êtes exigeants vous, rien que le concept se suffit à lui-même, non ? Bon O.K alors… Eteignez les lumières, allumez les spots, ressortez la boule à facettes !
La fin des années 70. l’insouciance, les Ray Bans, les moustaches, les synthés rutilants, le melting-pot triomphant, la San Francisco Touch, le sexe sans SIDA. En un mot "The Village People" (oui je sais, ça fait trois mots…).
Dans la grande vague des films disco qui ont inondé les écrans suite au triomphe de La Fièvre du samedi soir, Jacques Morali, créateur-producteur du groupe, s’est dit que c’était le bon moment pour lancer un véhicule apte à propulser les Village au firmament du succès cinématographique. Une biographie romancée de ses poulains, pleine de musique et de couleurs, où des p’tits gars sympas et positifs, tout juste sortis des bas-fonds dans leurs défroques de carnaval, se lancent à la conquête du monde. Les années 80 naissantes portaient la promesse de tous les possibles. La planète déboussolée n’attendait que ça, et s’offrirait sans retenue à ces messies de la joie, de l’amour universel et de l’ambiguïté sexuelle. Tiens, c’est bien simple, à la pensée de tous ces billets verts qui n’allaient pas manquer de pleuvoir sur ce succès obligé, Morali en avait presque les larmes aux yeux…


Manque de bol, arrivé après la retombée de la fièvre disco aux States, distribué au même moment que Xanadu et BIM Stars, écharpé par la critique, récoltant les razzie awards du plus mauvais film et du plus mauvais scénario, le film se ramassa sévère au box-office. Il y eut bien une tentative pour sortir ce film en France, sous le nom Rien n'arrête la musique (merci à tous les forumers qui nous ont indiqué cette sortie) mais elle se solda vite par un bide tout aussi retentissant. Autant dire qu’après ça, Morali enterra la pelloche au fond du jardin et s’empressa de l’oublier, au grand désarroi des fans français qui ne virent jamais arriver en VHS cette fantaisie musicale, budgétée tout de même à 15 millions de dollars de l’époque (soit à peu près le budget de Mega Force et le double du premier Star Wars).
On a longtemps pensé qu’on ne reverrait jamais ce film, mais le goût du kitsch étant ce qu’il est, une édition DVD française, reprenant le titre original, est venue rattraper ce manque. Et à la vision du résultat final, on se dit que c'eut été vraiment dommage de rater ça !
Nous voici donc à New York, dans le Greenwich Village de 1980. Un endroit fun où tout le monde est beau, a le sourire et est toujours vaguement artiste. Un coin où on fait du patin à roulettes dans la circulation en chantant à tue tête, où personne ne se retourne quand vous vous baladez dans la rue déguisé en indien, où on rentre dans les appartements par les fenêtres (ouais, c’est New York quoi !) et où le risque principal est de se faire braquer au coin de la rue par une vieille dame. Nous rencontrons Jack Morell, un jeune compositeur bourré de talent qui cherche à monter le groupe de disco ultime pour mettre en valeur les chansons forcément géniales qu’il compose dans son coin. Morell partage un appartement avec Samantha, une top modèle adulée par sa profession mais qui a décidé de prendre sa retraite pour, tu vois, faire un peu le point sur le sens de sa vie. Justement, Samantha connait Felipe, un super danseur qui travaille dans une boîte déguisé en indien… Trouver d’autres gars bien typés pour renforcer le projet ne devrait pas être bien difficile…



New York en 1980. Un monde insouciant et léger...

Reste à financer une démo et alpaguer un producteur… ou à défaut de trouver un pigeon… un brave gars avec un peu d’argent qui pourrait investir quelques dollars dans l’opération. Samantha va donc se mettre à vamper Ron, un jeune banquier sympa mais un peu coincé (il vient du Midwest) qui peut leur ouvrir les portes des studios.
Bon, soyons honnêtes, l’histoire n’a rigoureusement aucune importance, c’est un biopic totalement idéalisé du groupe qui fut, rappelons-le, un des premiers « boys band » préfabriqué de l’histoire. En effet, Jacques Morali construisit littéralement le groupe comme un concept, recrutant la plupart des membres par casting, composant toutes leurs chansons avec son complice Henri Belolo et accentuant volontairement l’imagerie gay du groupe pour accroître son aspect vendeur (alors que la plupart des membres du groupe ne le sont pas).



Les Village People babies...

Contrairement à ce qu’on pourrait penser au départ, les Village People en eux-mêmes ne constituent pas l'élément le plus nanar du film. Acteurs très limités, ils ne sont paradoxalement pas mis au premier plan ici, et apparaissent surtout pour se lancer dans des numéros musicaux délirants sur lesquels nous reviendrons car ils sont véritablement le clou du film. Si l’indien, l’ouvrier et le motard en cuir ont droit à des scènes à eux, voire à leur chanson solo, le soldat, le cow-boy et le policier (pourtant le chanteur du groupe) sont, eux, curieusement plus effacés. Jacques Morali, véritable patron du projet, a-t-il eu peur d’effrayer le public familial avec six personnages incarnant les plus flamboyantes caricatures de l’homosexualité ? Assez probable, puisqu'il noie le poisson avec les vrais héros qui sont incarnés par le trio beaucoup plus straight Jack/Samantha/Ron. Voulant ménager la chèvre et le chou, le film baigne finalement dans une ambiguïté sexuelle permanente à l'imagerie homo très très appuyée sous couvert de film consensuel.



Une imagerie gay vous dites ? Non, on ne peut pas faire plus viril...

Témoin cette scène über-hétéro qu'est la chanson de l’ouvrier en bâtiment, pourtant outrageusement typé gay, et qui se la joue super macho au milieu de girls lascives.


Jack Morell, le personnage joué par Steve Guttenberg, n’est autre qu’une réinterprétation fantasmée de Jacques Morali lui-même. Personnage curieux, qui donne une idée de l’égo du producteur. C’est un génie musical totalement asexué dans le film, véritable moine-soldat du disco, qui ne pense et vit que pour créer le groupe musical parfait. Plus rigolos sont les personnages de Samantha et Ron dont le vaudeville hétérosexuel prétexte donne lieu a des scènes grotesques et parfaitement graveleuses que n’aurait pas reniées un Philippe Clair, à base de pantalon sur les chevilles ou de robes coincées dans une braguette. Samantha est surjouée d’une façon parfaitement horripilante par l’ex playmate Valerie Perrine, (le rôle avait été proposé à Olivia Newton-John, qui préféra tourner dans Xanadu. Entre la peste et le choléra…) qui se retrouve mise en avant comme caution féminine d'un film qui pourrait paraître trop "gay friendly". Quand à Ron, il est interprété par Bruce Jenner, un ancien athlète au jeu limité mais qui porte très bien le body moulant coupé à ras le nombril.


De l'humour fin.

Des personnages pas caricaturaux...

Des T-shirts estampillés "Bruce Baron approved".

Le film est inégal, les scènes de comédie s’avérant assez vite gavantes à force de nunucherie et d’humour pas drôle. Le film fait quand même ses 2 heures et n’est pas toujours d’un niveau de crétinerie constant, avouons-le. Ainsi le final, qu’on aurait pu espérer grandiose eu égard à la tartignolerie des numéros musicaux précédents, n’est qu’un bien trop sage concert géant où les Village People peuvent faire triompher leur talent enfin reconnu. Heureusement (et c’est tout le moins dans un film musical), le film se lâche dans ses autres numéros chantés absolument déments, tel celui de l’audition où le motard en cuir, à genoux sur une table, se lance a capella dans un vibrant chant irlandais.


Oh Kenny Boy, the Pipes, the Pipes Are Calling...

Le sel de Can't Stop the Music réside également dans la débauche de sous-entendus gays et, plus largement, sexuels qui parsèment le film. J'en tiens pour preuve cette scène de folie où les Village sont embauchés pour tourner un clip promotionnel pour le lait. Vêtus de costumes blancs, entourés de danseuses et de bouteilles de lait bien phalliques, ils papillonnent autour d'une Valerie Perrine alanguie dans un verre de lait géant, avant, lancés dans leur chorégraphie, de littéralement prendre leurs showgirls par derrière ! Au final, après un crescendo orgasmique, tout explose dans un lâché de ballons blancs où ils entourent enfin leur amie rayonnante. Faut être sacrément aveugle pour ne pas voir la métaphore d’une éjaculation géante, avec nos 6 amis dans le rôle des spermatozoïdes et Valerie en ovule languissant.


Le pompon est atteint avec la reprise de YMCA (le seul de leurs succès réutilisé dans ce film, le reste des morceaux ayant été composé pour l’occasion), qui se déroule dans un club de sport pour hommes où la réalisatrice ne se donne même plus la peine de cacher les sous-entendus gays. C’est une avalanche de plans d’éphèbes sous la douche, d’athlètes au ralenti le muscle tendu par l’effort, de lutte gréco-romaine en gros plan, de ballets nautiques, de scènes en jacuzzi… On n'avait plus vu un tel culte du corps sportif masculin depuis Leni Riefenstahl ! On en a profité pour inclure un petit extrait vidéo qui devrait vous donner une idée de l’énormité de la chose…


Autant dire que dans son genre, voilà un film qui fleure bon l’insouciance et la folie de la fin des années 1970. Si le résultat final sombre dans un ridicule achevé, les Village People n’en sortent eux que plus funs et sympathiques. Alors comme ils continuent toujours à tourner sur scène ou dans les discothèques (même si certains membres du groupe ne sont plus ceux d’origine), n’hésitez pas à vous faire dédicacer le DVD à leur prochain passage dans votre Macumba local !
Pour plus d'informations :

Fiche technique :
Avec Linda Henry, Glen Berry, Scott Neal, Ben Daniels, Steven M. Martin, Meera Syal, Andrew Fraser, John Savage, Julie Smith, Jeillo Edwards, Anna Karen, Garry Cooper, Daniel Bowers, Martin Walsh et Tameka Empson. Réalisé par Hettie MacDonald. Scénario : Jonathan Harvey.  Directeur de la photographie : Chris Seager. Musique originale : John Altman.
Durée : 90 mn. Disponible en VO, VF et VOST.



Résumé :

Au sud de Londres, dans la cité de Thamesmead en plein été, trois adolescents se morfondent. Jamie est rejeté par ses camarades de classe et sèche les cours, Ste se fait battre par son père alcoolique et son frère. Leah, renvoyée du lycée, vit dans le monde de la musique de Mama Cass. Sandra, la mère de Jamie, battante, généreuse et enjouée, essaie de comprendre son fils et se bat pour obtenir une promotion.

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Elle essaie de maintenir sa relation avec son amant baba cool Tony. Un soir, Sandra ramène Ste couvert de bleus chez elle. Ste trouve à partir de là de plus en plus en souvent refuge chez eux, où il partage la chambre de Jamie. Les deux garçons se confient l'un à l'autre et leur amitié se transforme en sentiment amoureux.

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L'avis de
Jean Yves :
Adapté de la pièce de Jonathan Harvey, ce film révèle fraîcheur et spontanéité. A découvrir absolument sans être gay pour autant... Ce film a beaucoup de charme et d’émotion sans jamais tomber dans le pathos. C’est une histoire simple, gentille, attendrissante qui parle de la puissance de l’amour avec une vivacité et des couleurs inhabituelles d'autant plus que l'action se situe dans une banlieue ouvrière londonienne. Elle prend sa source dans une foi en l’esprit humain.

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Beautiful Thing défend la tolérance et la différence avec du charme et de l'humour tout en évitant de tomber dans les stéréotypes homosexuels. Par exemple, la scène où la mère de Jamie, initialement honteuse de révéler la « chose » à sa meilleure amie, lui fait savoir que son fils est homosexuel en lui disant seulement : « Tu sais, je ne serai jamais grand-mère ». Bien que les choses semblent ne jamais vraiment vouloir s'améliorer pour les héros du film, on peut tout de même prévoir le happy end final du film : conclusion prévisible car après tout, n'est-ce pas un conte de fées qui nous est montré là ?

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On a reproché à la réalisatrice sa vision un peu idéaliste du coming-out des deux garçons, surtout la scène finale où ils dansent un slow devant les habitants médusés de la cité. Hettie MacDonald défend son parti pris. Elle a voulu faire un film sans prétention, aux antipodes de La cage aux folles. Elle a doublement réussi son pari, en réalisant un très beau film qui a rencontré un succès en France, où il est pourtant difficile de sortir un long métrage sur l'homosexualité qui ne soit pas Pédale douce ou Gazon maudit.

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L'avis de Daniel C. Hall :

Comment parler d’un film qui m’a, à ce point, ému ? Pour tout dire, à chaque fois que je le revois, je pleure. Comme a pleuré mon amoureux, quand nous avons regardé ce film ensemble lors de nos premiers jours de liaison, il y a quelques années de cela. Peut-être parce que mon histoire personnelle ressemble beaucoup à celle-ci et que certaines scènes m’ont ramené quelques (heu... de nombreuses...) années en arrière.

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Ma première amourette, mon premier baiser, ma première nuit, mon premier petit ami. Mon amoureux pour la vie (mon coeur, mon chéri, mon homme...) en a tiré aussi quelques souvenirs de son passé, malgré la différence de culture, de religion et de manière de vivre sa prise de conscience identitaire. Nous avons pleuré sur notre passé, avec nostalgie, tendresse mais aussi soulagement.

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Car depuis nous avons entamé un véritable voyage vers le bonheur à deux. Et il faut bien reconnaître que nos souvenirs sont un peu idéalisés et enjolivés. Avons-nous à ce point oublié la souffrance, les doutes, la peur, les premières disputes, les premières hontes, la première rupture ?

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Je n’ai rien à rajouter aux commentaires de Jean Yves, sinon l’envie de confirmer que ce film est à conseiller à tous : jeunes, gays, hétéros... Ma mère, il y a quelques mois, l’a regardé en ma compagnie et s’est reconnue dans cette mère anglaise. Mais elle a surtout entrevu une parcelle de mon passé. Avec sérénité et bonheur.

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Beautiful Thing est un remède contre la morosité, la bêtise et la caricature. Ne passez pas à côté de ce rayon de soleil. Et n’oubliez pas de danser un slow avec votre ami, comme j'aime toujours (mais rarement) danser avec mon chéri…

Pour plus d'information :


Fiche technique :

Avec Avec Alexis Arquette, Jill St John, Julie Brown, Larry Sullivan, Ray Baker, Sirena Irwin, Steve Braun et David Mixner. Réalisation : Miles Swain. Scénario : Miles Swain. Image : Charles Barbee & Scott Kevan. Musique : Steven Chesne.
Durée : 95 mn. Disponible en VO et VOST.

 



Résumé :

Alan (Larry Sullivan) est un jeune journaliste débutant, républicain et conservateur. Il travaille à son premier livre, un traité sur les aspects négatifs de l'homosexualité. Il garde la sienne soigneusement cachée. Pour se documenter, il parcourt la Californie en interviewant des gays. Tommy, blond et très sexy (Steve Braun), est avocat et surtout un militant gay doté d’un solide sens de l'humour.

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Les deux jeunes hommes se rencontrent lors d'une fête en 1973. Bien malgré lui, Alan finit par succomber au charme de Tommy. Les deux hommes vivent heureux ensemble pendant quatre ans, jusqu’au jour de la parution du livre d'Alan. Tommy, dégoûté, par ce qu’il y découvre quitte alors Alan. Mais le destin n'en a pas fini avec eux...

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L’avis de
Bernard Alapetite :
Sur la longue route de la vie, tout peut arriver ! C’est la première leçon de cette production pleine d’émotion, aux moyens modestes, mais ambitieuse. The Trip nous raconte onze années de passion entre deux hommes, une romance où s'entrecroisent politique, sexe, humour, farce et tragédie. Un tel film nous fait prendre conscience combien peu sont ceux qui réussissent à mêler aux péripéties d’une vie, les grands et les petits événements de l’histoire qui parfois bouleversent ces destinées individuelles et qui, toujours, sont le décor dans lequel nos existences cahotent. The Trip c’est un peu un Forrest Gump gay.

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Miles Swain nous offre dix ans de l’histoire de l’Amérique vue du coté gay avec une légèreté remarquable grâce surtout aux dialogues aussi brillants que drôles, en particulier dans les dix premières minutes. Le réalisateur fait commencer son œuvre dans la pure comédie de texte pour la continuer dans l’émotion. Un film qui, comme souvent la vie, est un rire qui vire aux larmes.

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Nous revisitons ce monde des années 70 et 80, période qui a vu tout changer pour les homosexuels, par d’habiles inserts de bandes d’actualité dans la narration. On y croise des grandes figures de la scène gay américaine d’alors, comme Anita Bryant, la pasionaria de la croisade contre les homosexuels, Harvey Milk le premier politicien gay américain... qui finit assassiné. Swain nous donne sans en avoir l’air une leçon d’histoire, sans pédantisme et sans jamais perdre de vue son fil conducteur, la love story de ses deux amoureux hétéroclites. Tout cela est tissé avec beaucoup de tact et de sensibilité.

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Elle a été longue cette histoire de la libération des gays, toujours inachevée, beaucoup d’entre nous ne la connaisse pas ou ont voulu l’oublier trop vite. Pourtant que de combats, que de coups, que de douleur et puis quand cela paraissait presque gagné, il y eut cette maladie que presque tous n’ont pas voulu voir. Pour bon nombre, ils ont été écrasés par ce rocher de Sisyphe qui a dévalé presque en bas de la pente alors qu’ils avaient eu tant de mal à le hisser. Mais d’autres ont poursuivi l’effort, et le rocher de la liberté, poussé par une foule de héros anonymes, s’est mis à remonter la pente. C’est d’un de ces tournants du chemin escarpé que nous contemplons ce beau film, The Trip, qui nous fait nous souvenir que la route a été dure et quelques fois belle.
Sur un ton primesautier Swain, dont on attend avec impatience la deuxième réalisation, ne nous parle pas moins de choses aussi graves que la vérité que l’on se doit à soi même, de la fidélité, de la trahison, de la mémoire, du sida, de la difficulté de mettre en accord le public et le privé...

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Il tendra pour certains anciens le miroir où ils verront leur jeunesse. On s’aperçoit combien l’idéal masculin, représenté ici par Tommy, a changé. Il est à parier qu’aujourd’hui, un garçon lui ressemblant avec ce corps longiligne aux forme douces et tendres, ce beau visage à la douceur presque enfantine, encadré de longs cheveux blonds, que cette silhouette boticellienne, ne susciterait guère l’engouement qu’elle pouvait provoquer vers 1975. C’est jusqu’à l’incarnation de nos désirs que la route aura modifiée...
Si vous êtes né vers 1950, The Trip aurait pu être votre histoire... de l’autre côté de l’Atlantique. Cinéaste français, généralement de bien peu d’imagination, il serait très facile d’adapter ce beau scénario à notre contrée. Alan se nommerait François. Il militerait en loden vert chez les jeunes giscardiens tandis que Tommy s’appellerait Patrick et serait un activiste du FHAR...

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Swain aurait pu écrire des dialogues brillantissimes, nous donner un travelling la vie gay nourri par un vrai travail de recherches, nous offrir une reconstitution de ces années enfuies sans une erreur, réinterprétées par un vrai œil de cinéaste comme il le fait, mais rien de ceci serait opérant s’il n’avait pas eu le talent de faire incarner ses deux héros par des comédiens exceptionnels dont on comprend mal la modeste notoriété. Larry Sullivan et Steve Braun, comme Alan et Tommy, provoquent une alchimie qui habite l'écran dès qu'ils y apparaissent ensemble. On sent un vrai amour et un grand respect des acteurs pour les personnages qu’ils jouent. C'est ce duo qui fait fonctionner le film parfaitement.

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Il est amusant de noter qu’une partie de The Trip a été tournée à Falcon Air, la dernière maison de Rudolphe Valentino qui fut occupée ensuite par Gloria Swanson.
Le dvd contient en bonus des scènes coupées et un petit making of sympathique.

Ces louanges ne doivent pas dissimuler que la réalisation n’est pas particulièrement inventive, que certains personnages de second plan sont à la fois insuffisamment développés et trop caricaturaux et que le choix de tirer les situations vers la comédie parait quelques fois un peu forcé, mais ce ne sont que vétilles face à l’émotion qui nous étreint devant ce film.
Pour plus d’informations :



Fiche technique :

Avec Silvana Mangano, Terence Stamp, Massimo Girotti, Anne Wiazemsky et Laura Betti. Réalisation : Pier Paolo Pasolini. Scénario : Pier Paolo Pasolini. Directeur de la photographie : Giuseppe Ruzzolini. Compositeur : Ennio Morricone. Durée : 100 mn. Disponible en VO, VOST et VF.




Résumé :
Un jeune homme d'une étrange beauté s'introduit dans une famille bourgeoise. Le père, la mère, le fils et la fille succombent à son charme. Son départ impromptu ébranle tous les membres de la famille.


L'avis de Neil :
Cet obscur objet, le désir.
Le sulfureux Pasolini écrit et porte à l'écran en 1968, l'année emblématique des révoltes estudiantines et sociales, Théorème, une œuvre délibérément anticonformiste et provocatrice. Pour la petite histoire, le film fait scandale au festival de Cannes mais reçoit le prix de l'Office catholique international du cinéma.


Ulcérés, les conservateurs bien pensants accusent l'œuvre de « pornographie » (ce qui aujourd'hui paraîtrait sans doute aberrant) et L'Osservatore romano désavouera l'O.C.I.C. Il est vrai qu'à y regarder de plus près, le film s'attaque férocement aux valeurs traditionnelles de la bourgeoisie, la religion la première.



Le point de départ est simple : un individu (que l'on ne nommera jamais et dont on ignore tout) sème le trouble dans une famille bourgeoise de Lombardie. Une trame dont s'inspireront d'ailleurs, plus de trente ans, après Takashi Miike pour son Visitor Q ou François Ozon pour Sitcom. Ici, l'inconnu au charme ravageur et aux postures hautement suggestives s'appliquera à séduire tour à tour la bonne, le fils, la mère, la fille et le père de cette charmante petite maisonnée qui n'avait jamais connu une telle effervescence. À cette première partie, fulgurante et envoûtante, sensuelle mais jamais vulgaire, succède une seconde partie nettement plus intellectualisée et un peu plus laborieuse où l'on suit la déchéance de chacun des membres de cette famille.


Tous seront bouleversés par le départ de l'intrus, qui leur aura servi de révélateur dans leur existence jusqu'alors vaine et futile. Ils vont alors réagir violemment et individuellement pour essayer de supporter la perte de cet ange, figure quasi christique, qui les laisse face à leurs propres angoisses métaphysiques.



Dans le rôle de cet Adonis qui n'aura quasiment aucun dialogue dans le film, le fascinant Terence Stamp impose sa présence et son charisme avec talent et naturel. Silvana Mangano, bien loin du Riz amer qui l'a révélé, est magnifique en femme tourmentée.


La fable est, comme il est indiqué dans le préambule, éminemment politique puisque la famille bourgeoise est éclatée, ses failles nous sont apparues et aucune rédemption ne semble survenir pour eux, tandis que la bonne, figure prolétaire symbolique, trouvera une issue certes tragique mais quelque part apaisante.


Même si il peut apparaître comme déséquilibré et abscons (car plein de références littéraires et bibliques à décoder), Théorème n'en reste pas moins un film marquant et passionnant.

Pour plus d'informations :
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Fiche technique :

Avec : Sook Yin Lee, Paul Dawson, Lindsay Beamish, PJ Deboy, Raphael Barker, Jay Brannan, Peter Stickles, Alan Mandell, Adam Hardman, Ray Rivas, Bitch, Shanti Carson, Justin Hagan, Jan Hilmer, Stephen Kent Jusick, Yolonda Ross, Jd Samson, Daniela Sea, Miriam Shor, Rachael Cyna Smith, Paul Oakley Stovall, Lex Vaughn, Justin Bond. Réalisation : John Cameron Mitchell. Scénario : John Cameron Mitchell et le collectif de comédiens. Image : Frank DeMarco. Montage : Brian A. Kates. Musique : Yo La Tengo
Durée : 102 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé (rédigé par Bernard Alapetite)
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Shortbus est un film d’amour à l’amour. Il suit, pendant quelques temps, plusieurs personnes trentenaires qui ont des problèmes dans leur couple en raison d’un refus d’un acte sexuel ou dans l’incapacité d’éprouver le plaisir sexuel avec son partenaire. Très vite, deux couples se détachent de la photo de groupe. L’un est hétérosexuel, composé d’un chômeur et d’une sexologue, Sofia (Sook-Yin Lee) qui n’a jamais connu l’orgasme. Pourtant le couple nous démontre devant la caméra qu’il ne ménage pas sa peine dans la révision de leur Kamasutra. Mais Sofia simule le plaisir depuis des années avec son mari Rob (Raphael Barker). Elle croise Severin (Lindsay Beamish), une maîtresse dominatrice décidée à l’aider. L’autre couple, homosexuel, formé de Jamy (PJ Deboy) un acteur sans emploi, ancienne babystar, et de James (Paul Dawson) un ex-prostitué reconverti en maître-nageur. Ce sont des clients de Sofia. Ils songent à ouvrir leur sexualité à un troisième partenaire, le très mignon Ceth (Jay Brannan), mais Jamie ne parvient pas à se décider. Tout ce petit monde se retrouve dans un club libertaire, le Shortbus. Ils croiseront notamment une prêtresse sado-maso, un jeune voyeur, un groupe de lesbiennes engagées et un ancien maire de New York (Alan Mandell). Ce club est dirigé par Justin Bond, figure de la scène underground new-yorkaise, dans son propre rôle. Dans cette enclave, tous les personnages y apprivoiseront progressivement leurs névroses. Dans ce petit club underground, jamais glauque, on y partouze, chante, discute d'art et de sentiments... Chacun y trouvera peut-être ce qu'il cherche, des histoires d'amours et d'amitiés... Car ces habitants de New York ont peur d'aimer, peur de perdre ceux qu'ils aiment...

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L’avis de
Matoo :
Ah moi, il suffit de me dire que John Cameron Mitchell sort un film, et je cours le voir. En effet, depuis Hedwig and the Angry Inch qui est un de mes films cultes, et que je trouve doté de toutes les qualités, je n’attendais que ça. Et je n’ai pas été déçu, j’ai trouvé que c’était un très bon film.
Ce n’est pas non plus le plus grand chef-d’œuvre que la Terre ait porté, mais j’ai trouvé un charme fou à cette œuvre, et surtout un grand talent de réalisateur à John Cameron Mitchell. Je sais que ce qui retient l’attention des médias et des gens, ce sont les fameuses scènes de cul, qui sont non simulées donc, et je serais hypocrite de dire qu’elles ne sont pas importantes. Tout tourne autour du cul, mais c’est tellement décomplexé et désinhibant qu’on finit par ne plus trop faire gaffe aux bouts de bites et de nichons qui se baladent. En outre, le film raconte vraiment quelque chose, et son propos est assez intéressant et impliquant pour que le sexe ne redevienne qu’un prétexte à une vraie histoire.

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L’histoire, c’est celle de plusieurs personnes en proie à des problèmes « sexuels » divers et variés, et qui se retrouvent dans un club underground, le « shortbus », pour tenter de trouver un sens à leurs errances et questionnements. Inutile de dire que tout cela est très new-yorkais, et aurait pu difficilement être situé ailleurs. Il y a Sofia qui est sexologue et qui n’a jamais eu d’orgasme avec son mari, qu’elle aime et désire pourtant sincèrement. Elle a pour patients un couple de gays, dont l’un d’eux souhaite faire entrer un troisième. Le mec qui veut le trio est un peu étrange, il filme tout ce qu’il fait, dont une autofellation avec éjaculation buccale, et ne remarque pas qu’il est lui aussi espionné par le voisin d’en face. On croise aussi Severin, une dominatrice SM qui a un problème avec son vrai patronyme. Tous ces gens, et bien d’autres, se retrouvent au « Shortbus », et s’ouvrent à de nouvelles expériences… ou pas !

J’ai trouvé que pour des comédiens amateurs, le film était tout de même remarquablement joué. J’y ai étonnamment reconnu (je dois être un peu le seul sur cette planète) Sook-Yin Lee (qui jouait la fabuleuse Kwahng-Yi dans Hedwig, un tout petit rôle mais qui m’avait marqué) dans le rôle titre. Je l’ai trouvée particulièrement convaincante, et j’espère bien qu’on la reverra. Après il y en a un peu pour tous les goûts, mais on reconnaît bien les appétences de Cameron Mitchell, pote de Gus Van Sant et Jonathan Caouette, pour les jeunes mecs canons et aux regards singuliers.

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Et ça baise en effet dans tous les sens, et ça se pose des questions, et ça vire aux scènes les plus queers qui soient, avec donc beaucoup d’humour et de dérision, d’aigre-doux et de tendre-amer. Mais surtout, j’ai eu l’impression que cela montrait un peu la voie vers la nouvelle sexualité. Cette manière décomplexée de se représenter le désir et le plaisir sexuel, sans forcément avoir une orientation ou schéma normatif, c’est peut-être bien la sexualité du futur (proche) ? Et ce qui est génial dans ce film et qui est formidablement bien approché par l’auteur, c’est que le sujet principal du film c’est l’amour. Avant tout, c’est d’amour dont il s’agit. Le sexe est une de ses expressions, mais les personnages du film sont dans l’émotion, dans le rapport humain, dans le désir, dans l’altruisme, dans la volonté de s’affirmer dans leur couple et leur relation amoureuse.
Le film n’est pas exempt de défauts, et il a un côté un peu gratuit qui peut agacer, mais je trouve qu’avec tous les risques de virer dans le trash ou l’intello, ou bien de simplement vouloir choquer, là John Cameron Mitchell a incroyablement bien joué. Son film est beau et troublant, et il marque encore son temps d’une empreinte indélébile, comme Hedwig l’a marqué pour moi, il y a cinq ans.

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L’avis de Niklas :
Sofia est une sexologue qui n'a jamais connu l'orgasme, avec son mari Rob, elle simule depuis longtemps. Elle reçoit dans son cabinet James et Jamie, un couple d'homos dont le premier souhaiterait ouvrir leur relation à un troisième partenaire alors que Jamie y est plutôt hostile. Au Shortbus, où ils invitent Sofia à les rejoindre, ils font la connaissance de Ceth, un jeune mannequin, et de Severin, une maîtresse SM...

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Sex is a comedy par James Cameron Mitchell.
Sur le papier, le nouveau film du réalisateur d'Hedwig and The Angry Inch (que j'ai découvert cette année grâce à Matoo), a tout, de par son sujet et les héros qu'il place en avant, pour devenir culte dans la communauté gay. Shortbus est le nom d'un club underground où la musique, loin d'être assourdissante, permet aisément la discussion, dans des salles qui accueillent plus ou moins de nombreuses personnes, et où on baise (ou pas) sous le regard des autres. Il emprunte ce nom, nous explique le maître des lieux, l'excentrique et délicieux Justin Bond, aux petits cars américains qui servent à mener les élèves un peu marginaux, handicapés ou surdoués de la maison à l'école. Ses visiteurs sont de toutes sexualités, de toutes origines sociales et s'y mélangent avec pour seul point d'orgue le plaisir.

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Loin de filmer ces partouzes ou autre auto-fellation comme de la pornographie chic ou choc, Mitchell fait dans la simplicité, évite de trop intellectualisé son sujet et joue plutôt sur le côté tragi-comique de ses personnages. Parce qu'on rigole beaucoup du croisement de ces hommes et femmes mis à mal dans ce qu'ils ont de plus intime et qu'ils affichent volontiers ou non à leurs concitoyens.
Par les yeux de Sofia, le spectateur découvre l'étrange univers nocturne du Shortbus alors qu'en compagnie de Jamy et James, nous sommes déjà en lieu conquis. La recherche du plaisir peut commencer, mais le club n'est pas ici un supermarché du sexe, non ici on s'approche plus du commerce de quartier, pas beaucoup de choix, mais le modèle sollicité existe toujours. Du godemiché ovoïde à télécommande, porte ouverte à de nombreuses confusions, en passant par un triolisme nationaliste où l'hymne américain est entonné dans le plus que charmant postérieur du jeune Jay Branan, Mitchell désacralise le sexe en le ramenant à ce qu'il devrait être, un acte du quotidien comme un autre, tout en gardant en mémoire combien il peut être source de frustration et bien évidemment d'épanouissement.
Le film est construit avec assez de rythme pour ne pas ennuyer et cette construction est à l'image de son discours. Si l'orgasme ne guérit pas des maux, au moins il aide à faire passer le temps, tout comme ce Shortbus qui ne cherche pas à changer le cinéma mais à passer un bon moment parce qu'il est tendre et souvent juste sur la sexualité contemporaine.

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L’avis de Bernard Alapetite :
On sort de ce film ragaillardi au sens ancien du terme, plus gaillard, avec sa bandaison sous le bras. Les acteurs de Shortbus sont beaux et bandants (surtout James) ou plutôt Mitchell a réussi à nous les rendre beaux par l’amour communicatif que sa caméra porte à tous.
Mitchell c’est un peu Casavetes qui réfléchirait moins mais mieux et probablement boirait beaucoup moins. Bien des noms affluent dans notre mémoire cinéphilique après avoir vu le film. C’est aussi du Woody Allen qui passerait aux travaux sexuels pratiques et puis cela rappelle par le mélange d’amour et d’humour, de crudité et de délicatesse les débuts d’Almodovar. Quand à la représentation du sexe, il faut remonter jusqu’à Taxi zum klo pour voir une représentation des actes sexuels aussi désinhibée.
L’humour n’est jamais absent du film. Il désamorce souvent ce qu’il pourrait y avoir de salace et le rire efface la gêne. On ne s’y sent jamais voyeur mais partie prenante. Comme le dit l’un des personnages : regarder c’est aussi participer. Avec générosité, le réalisateur n’exclut personne et surtout pas le spectateur qu’il invite à se joindre aux amis qu’il filme.
Mitchell part du principe que le sexe est le meilleur révélateur de l’être profond : « J’ai toujours considéré la sexualité comme la terminaison nerveuse de la vie des gens. J’ai toujours pensé qu’en observant deux inconnus qui font l’amour, on peut tirer des déductions assez précises sur ces personnes, sur leur enfance, ou sur ce qu’ils ont mangé au déjeuner. » Et pourtant les scènes d’orgies, dans lesquelles les corps s’enchevêtrent avec élégance finissent par s’effacer de notre mémoire pour laisser place à ce qu’elles révèlent : une quête, celle des sentiments, d’un orgasme, du bonheur ou d’une normalité rêvée, heureusement inatteignable.

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Une des rares faiblesses est inhérente à son processus scénaristique. Tous les personnages, malgré la grande générosité du metteur en scène, ne provoquent pas chez lui la même empathie, ce qui l’amène à en privilégier certains notamment James et on le comprend aisément...
L’autre petit défaut est cette parade finale unanimiste un peu forcée qui rappelle la fin, pas complètement réussi, de cet autre chef-d’œuvre nihiliste qu’est The Party de Blake Edwards. Autant de références cinématographiques pour un film qui n’est jamais post-moderne mais toujours novateur et s’inscrit dans l’histoire la plus actuelle (la vue de ground zéro). Ce n’est pas une coquetterie critique mais une évidence. Mitchell est un grand cinéphile comme l’illustre ses déclarations dans lesquelles il se révèle beaucoup moins gentil que dans son film : « Je voulais montrer le sexe comme je ne l’avais jamais vu. J’avais vu beaucoup de films européens de la fin des années 90 qui utilisait du sexe non simulé mais il y semblait quelque chose d’aussi négatif que, disons, les chrétiens conservateurs. J’ai adoré le film de Catherine Breillat À ma sœur mais il m’a donné envie de me jeter par la fenêtre... Les acteurs ne sont pas des marionnettes. Ils sont des associés. Je peux apprécier les films de Bresson, mais Bresson ne laisse pas jouer ses acteurs. D’autres réalisateurs choisissent leurs acteurs juste parce qu’ils veulent les baiser, comme Godard, Visconti ou Pasolini. »
Shortbus est le résultat d’un processus de production totalement original. La recherche des acteurs a duré deux ans. John Cameron Mitchell voulait que les rapports sexuels ne soient pas simulés, ce qui au final est le cas dans le film. Une exigence qui interdisait l’emploi de stars, et même d’acteurs professionnels. Il voulait en plus que ses acteurs soient capables d’improviser et disponibles pour de longues répétitions avant le tournage. Il devait donc trouver des comédiens amateurs dévoués corps et âme au projet. Ce fut fait par l’intermédiaire d’appels dans plusieurs magazines underground. Il y demandait que chacun lui envoie une vidéo sur laquelle il raconterait une expérience sexuelle marquante. La production reçut plus de 500 vidéos. Tandis que certains candidats s'adressaient directement à la caméra, d'autres chantaient ou dansaient, d'autres encore allaient même jusqu'à se masturber. Au final, quarante personnes furent choisies. L’équipe du film a convié les heureux gagnants à l’une des fêtes mensuelles que Mitchell organisait. Par l’intermédiaire de petits jeux, par exemple des couples désignés devaient s’embrasser, des affinités se sont formées... La grande aventure de Shortbus pouvait commencer. 

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Chaque comédien a apporté sa pierre à la trame scénaristique. Prenons le personnage de James, qui est un peu le porte-parole du réalisateur, il a été inspiré par le vécu de son interprète qui photographie continuellement sa propre vie et par Jonathan Caouette, le réalisateur de Tarnation que Mitchell a co-produit. Le film est donc le fruit d’un travail collectif, un travail partagé entre le réalisateur et ses comédiens.
Malgré le coté underground revendiqué de l’entreprise, Mitchell n’oublie jamais de faire du cinéma. Il prouve qu’avec un dispositif léger de tournage on peut faire des images aussi belles que novatrices comme celles de la collection de godes multicolores sur fond de ground zéro, filmées dans une belle lumière chaude. Même s’il y a peu de vues d’extérieur, on sent un amour débordant du cinéaste pour  New York aussi explicite que celui de Woody Allen dans Manhattan, autre référence implicite de Shortbus.
Ce film ne pouvait être que new-yorkais, chaque scène est située précisément par l’intermédiaire de la simulation poétique de la ville en 3D dont l’apparition aère les ébats érotiques. Par son truchement, on suit les cheminements, tant géographiques que mentaux (par le biais de la lumière), des personnages. Elle a été conçue par John Bair, un animateur qui avait déjà réalisé les images numériques sur Hedwig, le précédent film du cinéaste. Il a scanné ses propres dessins pour après les retravailler ; ce qui apporte une touche naïve, un côté peint à la main au résultat. À noter au début du film l’apparition de la Statue de la Liberté, on entend alors chanter “Is you is, or is you ain’t my baby ?” (Es-tu bien ou n’es-tu plus ma chérie ?) tout en découvrant son visage. Un exemple significatif de la manière subtile qu’a Mitchell de faire passer son message politique. La nostalgie des années 70 apparaît au détour d’une conversation lorsque Justin Bond lâche : « There was a time when I wanted to change the world, now I just want to crawle out of this room whithout loosing all dignity » (Il fut un temps où je voulais changer le monde, maintenant je veux juste ramper hors de cette pièce sans perdre toute dignité).
La lumière, ici symbole de la vie, joue aussi un rôle important dans le film car elle défaille à certains moments-clés, et finit par s’éteindre complètement lors d’une panne de courant générale dans New York. La simulation de la ville retrouvera ses loupiotes multicolores lorsqu’un personnage sera arrivé à l’orgasme ou aura résolu une de ses interrogations existentielles.

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Les scènes du Shortbus ont été tournées à Brooklyn dans un atelier collectif d’artistes gays où des soirées dans le genre de celles du Shortbus ont été organisées. Le nom du club, Shortbus, évoque le célèbre bus scolaire jaune américain. Les enfants « normaux » empruntent le Schoolbus, le long bus jaune. Les enfants qui ont besoin d’une attention particulière, les handicapés, les caractériels, les surdoués... utilisent le petit bus parce qu’ils sont moins nombreux ; d’ou le parallèle avec ce club, rassemblement de hors normes. J’ajoute que les shortbus sont surtout utilisés dans les grandes villes américaines, en particulier à Manhattan, parce qu’ils se faufilent plus facilement dans le trafic que les longs schoolbus.
À la sortie du film, une fois mon euphorie apaisée, une phrase du Journal d’André Gide affleura à ma mémoire : « Les personnages de tragédie sont toujours plus ou moins des désœuvrés. “To be or not to be” est un fruit du loisir. » Nous pouvons faire la même réflexion en l’appliquant à la quasi totalité des personnages des films qui nous sont proposés chaque semaine. Cet évitement du travail n’est-il pas symptomatique de nos crises de civilisation ?  
Un grand coup de chapeau à Fortissimo, coproducteur et distributeur international du film à qui l’on doit déjà entre autres Mysterious skin, Ken Park et la découverte en occident de Tsai Ming-Liang, ce n’est pas rien !
Les acteurs sont aussi presque tous musiciens, puisque ce sont eux qui ont signé la bande originale du film.
C'est un beau film hédoniste que nous offre John Cameron Mitchell, un film émouvant, attendrissant, drôle et qui réussit à travers un petit groupe à nous faire un peu plus aimer l’humanité. Shortbus c’est un merveilleux happening et un orgasme cinématographique.

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L’avis de mérovingien02 :
Vous n'en avez pas marre de tous ces films proposant systématiquement des scènes de sexe d'une telle platitude que même votre voisine ménopausée ne serait pas excitée ? Du genre les baisers faussement romantiques donnés du bout des lèvres pendant que monsieur fait des mouvements de va et vient si lentement qu'on se demande s'il ne va pas s'endormir ? Ou encore cette manie de s'envoyer en l'air en se recouvrant d'un drap (c'est d'un pratique, c'est bien connu) ou alors de garder ses sous-vêtements pendant l'acte (madame aime beaucoup ses soutien-gorge) ? L'excès de pudeur est souvent l'ennemi de la crédibilité et c'est pour cela que l'on ne remerciera jamais assez John Cameron Mitchell d'injecter un peu de sperme et de sueur dans un Cinéma paralysé à l'idée de confondre Art et pornographie.

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Comme s'il était honteux qu'un spectateur puisse ressentir de l'excitation sexuelle face à une œuvre, le 7e Art n'a jamais cherché à montrer le plaisir dans toute sa crudité et toute sa beauté. Un film a le droit de faire rire, de faire pleurer ou de faire peur mais pas d'exciter. Voilà qui en dit long sur notre société bien pensante et sur son rapport aux plaisirs de la chair, soit disant réservés à la sphère de l'intime (merci l'héritage judéo-chrétien). C'est un fait : chaque fois que des organes génitaux sont montrés sans fard ou que des rapports sexuels ne sont pas simulés devant une caméra, cela se fait soit dans le domaine de la pornographie pure (et donc limité à une fonction purement masturbatoire), soit dans des films d'auteur froids et tristes. Qu'il s'agisse des œuvres de Catherine Breillat, porte-parole des femmes frustrées (va tirer un coup, chérie, ça ira mieux) ou des machins tout moches de Bruno Dumont, le sexe intellectualisé bande mou et ramené à un acte sale et dégradant. Subsistaient heureusement quelques tentatives pour se sortir de ce carcan moralisateur avec des résultats plus ou moins convaincants (9 Songs souffre de son concept limité et d'une romance mal définie, Ken Park possède une superbe séquence finale mais s'égare parfois dans la provocation facile). Ça, c'était avant Shortbus, le nouveau long-métrage indispensable du réalisateur d'Hedwig and the Angry Inch, comédie musicale glam-rock autour d'un chanteur transsexuel. Pour la première fois sur grand écran, la quête du plaisir n'est plus une invitation à la neurasthénie mais une aventure joyeuse et positive où l'amour triomphe sous toutes ses formes, qu'il soit physique, sentimental ou intellectuel. Avec son club underground sortit tout droit des années 70 et sa bande originale digne d'une tracklist d'étudiant peace and love, on se croirait en pleine libération sexuelle post 11 Septembre.

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Pas question pour autant d'alimenter un scandale stérile ou de satisfaire le bobo ayant trouvé une excuse pour mater du porno. Si Shortbus donne à voir des fellations, des pénétrations, des éjaculations et de la masturbation, s'il filme aussi bien les ébats hétérosexuels qu'homosexuels, il se garde bien de juger ses personnages et les rend instantanément attachants parce que ancrés dans une réalité quotidienne. Quand un jeune homme tente de s'auto-sucer en se mettant en boule, le réalisateur désamorce le graveleux en insistant sur les efforts accomplis (les pieds qui tentent de s'appuyer sur le rebord d'une étagère par exemple). Quand une femme essaie de se masturber dans la salle de bain, le bruit que fait son mari la perturbe et elle se cogne la tête. Rien de vulgaire là-dedans, juste un profond sentiment de vécu à partir duquel découle une sincère émotion. Car John Cameron Mitchell ne retient pas que le goût et l'odeur de la peau. Il contemple aussi la détresse de ses personnages, leurs larmes après l'orgasme (ou leur absence), leurs doutes ou leur quête d'ouverture.
La jolie sociologue ne parvient pas à monter au 7e ciel et tente de maîtriser son vagin, le couple gay est condamné par la séropositivité d'un des garçons, la dominatrice SM est totalement incapable de s'accepter elle-même... Le sexe est le parfait révélateur des sentiments de chacun, comme viendra l'évoquer cette giclée de sperme sur une toile de Jackson Pollock (art abstrait tout ça...). La difficulté qu'a James à se confier est toute entièrement exprimée par la révélation qu'il n'ait jamais accepté d'être pénétré. Le fait que Severin fasse du mal aux autres est révélateur de son dégoût d'elle-même (elle cherche d'ailleurs la solitude en s'enfermant dans un caisson d'isolement). Le malaise de Sofia vient certainement de son expérience d'enfant et de sa peur panique de l'homme (ce n'est que seule, sans l'aide d'objet phallique qu'elle parviendra à trouver le plaisir)...
Pour parvenir à atteindre le plaisir, il convient simplement de trouver la personne avec laquelle on a des connections (voir plusieurs personnes). Le réalisateur illustre cette idée par un black-out total sur New York, une panne de courant généralisée qui ne sera réparée que par un immense orgasme, le sexe devenant une énergie électrique réanimant la Vie. La quête de l'hédonisme doit aussi être une quête du plaisir de l'autre. La grande ville déshumanisée où chacun est coupé des autres (plans aériens sur une charmante maquette en carton pâte servant de transitions entre différents immeubles) s'effacera dans le plaisir mutuel, en se mélangeant aux autres, dans la clameur d'un orchestre et d'une chanson mélancolique (« In the End », interprété par Justin Bond, figure mythique du quartier de Downtown et dans son propre rôle).

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John Cameron Mitchell ne fait pas de la sociologie ou de la politique, même s'il revendique clairement un ton libertaire tranchant avec le conservatisme républicain (à ce titre, on n’est pas près d'oublier cette séquence tout bonnement effarante où une partie à trois entre hommes se termine en entonnant l'hymne américain tout en se bouffant le cul et en prenant un pénis en guise de micro). Pour lui, le sexe est indispensable au bien-être, l'amour physique se mêlant à l'Amour au sens large. Sorte d'ode émouvante à la partouze, le métrage n'hésite pas à prôner le partage et le mélange avec d'autres couples et individus pour ne pas s'enfermer dans la solitude ou l'exclusivité. Un des plus beaux moments sera d'ailleurs un des plus inattendus, lorsqu'un jeune garçon embrassera avec sincérité un vieil homme au discours émouvant. Bien que le titre du film se réfère aux bus scolaires réservés aux handicapés, Shortbus ne parle pas simplement de marginaux en recherche d'expériences sexuelles nouvelles mais est bel et bien un objet universel sur ce besoin d'aimer les autres et de s'aimer soi-même.
Porté par de remarquables acteurs inconnus se livrant sans détour, traversé de purs moments d'émotions brutes (la tentative de suicide et son sac plastique sous l'eau) et justifiant le sexe par une touchante quête affective, le deuxième long-métrage de John Cameron Mitchell est un bijou d'une incroyablement pureté qui parle du corps comme moyen essentiel de langage. Osé mais sensible, beau et extrêmement sain. N'hésitez pas à embarquer dans ce Shortbus, en route pour le plaisir !
Pour plus d'informations :



Fiche technique :

Avec Asanee Suwan, Sorapong Chatree,  Nukkid Boonthong, Orn-Anong Panyawong, Sitiporn Niyom, Kyoko Inoue et Keagan Kang. Réalisé par Ekachai Uekrongtham. Compositeur : Amornbhong Methakunavudh.
Durée : 118 mn. Disponible en V0 et VOST.



Résumé :
L'histoire de Parinya Charoenphol, boxeur de Muaythai, un sport de combat ultra violent, qui subit une opération chirurgicale pour changer de sexe et devenir une femme.


L'avis de Steph (Cinéasie) :
Ne vous fiez pas aux apparences, cette femme n'est pas celle que vous croyez ! Beautiful boxer est l'histoire spectaculaire d'un champion de boxe thaïlandaise, dont chacun connaît la violence et, qui n'a qu'un seul souhait, devenir une femme.
Les premières minutes du film mettent en scène un journaliste américain qui, attiré par l'histoire de Parinya "Nong Toom" Charoenphol, cherche à faire une interview de celui-ci (celle-ci) et se présente à la fin d'un spectacle de travestis à Bangkok où il a rendez-vous. Un artiste présent lui explique qu'il(elle) est parti à l'instant. Le journaliste sort du théâtre et court dans la direction de Parinya "Nong Toom" Charoenphol lorsque trois hommes lui tombent dessus et l'agressent.


Une femme vient alors prendre sa défense, et à coups de talons et de manchettes règle le compte des trois agresseurs. La femme n'est autre que Parinya "Nong Toom" Charoenphol.
Le sujet du film est intéressant car le réalisateur met en scène sur la base d'une histoire vraie, la vie d’un jeune garçon, boxeur, un sport viril et violent, qui ne souhaite qu'une chose, devenir une femme. De plus, ce jeune boxeur a une motivation que les autres n'ont pas et deviendra en plus d'être un boxeur avec rouge à lèvre, un champion de boxe thaïlandaise. Face à ses adversaires, c'est plus que la honte qui est en jeu, c'est le respect et l'honneur.


L'histoire commence dans un bar, avec le journaliste, celui-ci démarre l'interview, Parinya "Nong Toom" Charoenphol va lui raconter sa vie. Le spectateur va alors être plongé dans la vie du boxeur, depuis l'enfance du jeune garçon jusqu'à la vie d'adulte de la femme qu'il est aujourd'hui.
On comprend rapidement le conflit qui règne en Parinya "Nong Toom" Charoenphol au regard des autres enfants de son village qui sont déjà tous de jeunes boxeurs. Lui, n'apprécie pas la violence et les premiers entraînements seront assez éprouvants tant physiquement que moralement. Cependant, déterminé, "Nong Toom" a la volonté de ne pas décevoir et ses premiers entraînements et ses premiers combats seront pour lui décisifs et déterminants.


On retiendra toute la partie culturelle de ce film qui nous plonge au centre même de la Thaïlande, là où se construit l'avenir des futurs champions. Notre héros, au fur et à mesure de sa formation, va s'affirmer aussi bien en tant que boxeur que femme. On assistera alors à des combats où les querelles d'adolescents et les moqueries seront les motifs de sa motivation.
Parinya "Nong Toom" Charoenphol lit des livres de combats, maîtrise de mieux en mieux ses coups pour affiner ses techniques et devenir le meilleur, certainement pour aussi gagner le respect de ses adversaires et de son entourage.


Beautiful boxer est finalement loin d'être un film d'action et de boxe thaïlandaise comme on pourrait s'y attendre et, bien que les combats soient nombreux comme les phases d'entraînements, c'est avant tout la vie de Parinya "Nong Toom" Charoenphol que l'on suit, c'est en réalité le parcours vers sa propre identité que cherche avant tout le jeune homme. La boxe thaïlandaise n'est finalement que le moyen d'arriver là ou il le souhaite.


Beautiful boxer est aussi un film qui apprend la tolérance et le regard sur les autres, surtout dans un contexte de Muay Thai, sport violent par excellence. Ekachai Uekrongtham a souhaité mettre en scène la « vraie » vie atypique d'un boxeur dont l'identité est en désaccord avec la pratique de ce sport. Ce conflit mis à nu dans un contexte jeune est finalement violent moins par l'acte, mais par la vision d'incompréhension de son entourage. Une mise en scène évolutive où l’acteur principal, le jeune Asanee Suwan, ici dans son premier film interprète avec finesse ce rôle.
Nous vous conseillons ce film.
Pour plus d’informations :
Site officiel du film


Fiche technique :
Avec Jun Hee Lee, Raymond Ma, Julia Nickson-Soul, Kevin Kleinberg et Jerry Hernandez. Réalisation : Quentin Lee. Scénario : Quentin Lee. Images : James Yuan. Montage : Christine Kim. Musique originale : Steven Pramoto.
Durée : 88 mn. Disponible en VO et VOST.




Résumé :
Ethan (Jun Hee Lee), un jeune étudiant américain d’origine chinoise, aide son père (Raymond Ma), prospère commerçant, à sa boutique. Un soir, ils sont braqués par un jeune homme que le père tue de sang-froid. Après cette scène fondatrice du film, on apprend que le garçon et son frère vivent mal le remariage, après le décès de leur mère, du père avec une femme ayant elle-même un fils de leur âge. Ethan est gay, en cachette des siens, ce que découvre sa belle-mère (Julia Nickson-Soul) à cause d’une revue porno gay mal dissimulée. Elle s’empresse, perfide, de la montrer au père qui chasse immédiatement son fils de la maison.



Le garçon n’a guère alors d’autres solutions que de se prostituer pour subsister. Dès son arrivée sur le trottoir, un mignon dealer de son âge, Remigio, tombe amoureux de lui. Il offre à Ethan, en tout bien tout honneur, de partager son modeste logis. Malgré leur intimité, Ethan, trop blessé par la vie, reste replié sur lui-même. Un jour, Ethan apprend par son frère que les siens seront absents de la maison familiale pour Thanksgiving. Par vengeance, accompagné de Remigio, il décide de la cambrioler. Mais ses habitants rentreront plus tôt que prévu...


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L’avis de Bernard Alapetite :
À la lecture du résumé, vous aurez compris que l’originalité n’est pas l’atout majeur des prémices du scénario de L’Enfer d’Ethan. En revanche, Quentin Lee propose un film très juste où chaque phrase du dialogue sonne vrai. Il réussit, chose très difficile et rare, surtout dans le cinéma gay, le mélange des genres que sont le drame familial, la romance gay et le film de suspense.



L’Enfer d’Ethan contient habilement une histoire dans l’histoire. Celle de la façon dont un père chinois traditionnel rejette son fils gay. Quand le film commence, Ethan Mao, 18 ans, est conscient du fait qu'il est homosexuel, mais son père – tenant d’une éducation stricte – l’ignore. Sarah, sa belle-mère narcissique, s'intéresse peu à Ethan et à son frère, leur préférant son fils Josh (Kevin Kleinberg) qu’elle a eu d’un premier lit. Lorsque Sarah découvre un magazine porno gay dans la chambre d’Ethan et le donne à son mari, elle prévoit et espère qu'il la débarrassera de son beau-fils qu'elle déteste. Ce qui ne manque pas d’arriver.



Tout cela est rapidement mené sans pathos ni lourdeur. Ce conflit prestement exposé introduit ce qui est le cœur du film, la confrontation entre Ethan, accompagné de Remigio, et sa famille, dans un huis clos toujours dynamisé par de longs plans séquences qui suivent les protagonistes dans les différentes pièces de la villa, rompant ainsi la monotonie qui aurait pu gagner le film, tout en conservant un suspense tendu jusqu’au coup de théâtre final qui propose une fin ouverte, avec une alternative surprenante. À la toute dernière minute, Quentin Lee nous rappelle qu’il est friand de contraintes scénaristiques.


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Par ce scénario linéaire, Quentin Lee prend le contre-pied de Drift, son premier long-métrage à la construction très formelle qui, malheureusement, péchait à la fois par le jeu approximatif de ses acteurs et par son filmage médiocre. Ici, la fluidité de la caméra, presque toujours portée – un peu trop souvent tout de même – fait merveille, aussi bien dans les scènes d’extérieur tournées en vidéo. À ce propos, Quentin Lee aurait dû plus « aérer » son film, notamment les longs plans séquences à l’intérieur de la maison qui sont, eux, filmés en 35mn. Mais on est toujours heureux de constater les progrès d’un cinéaste qui a corrigé les défauts de son précédent film sans perdre son goût pour l’expérimentation.



On a d’emblée de la sympathie pour Ethan et Remigio, grâce aux deux jeunes acteurs très convaincants. Raymond Ma, un vétéran des séries télévisées (Old school, Starsky & Hutch), apporte une véritable épaisseur au rôle du père d'Ethan.


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Le titre français n’est guère heureux : l’original, Ethan Mao, le nom et prénom du héros, convenait parfaitement à la simplicité du film. La clarté dans son architecture sert le réalisateur qui peut y instiller des thèmes annexes, comme les conflits dans les familles d’émigrés – entre les jeunes,influencés par la culture occidentale, et les pères, restés proches de leur morale traditionnelle – ou le problème des mariages dans lesquels un homme mûr croit acheter l’amour de sa jeune femme en lui procurant l’aisance matérielle ; la discrimination raciale que subit une famille d’émigrés installée dans un quartier habité par la classe moyenne... tout cela sans perdre jamais le fil de son histoire.


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L’Enfer d’Ethan a reçu un accueil enthousiaste dans les festivals gays à travers le monde où il a été souvent primé. En revanche, la critique américaine a été beaucoup plus réservée, lui reprochant principalement que les deux tiers du film ressemblent à du théâtre filmé. Une telle allégation montre encore une fois la méconnaissance de la pratique cinématographique de la part de la critique, là-bas comme ici. Quentin Lee déplace continuellement les personnages dans la maison où ils sont séquestrés, les isole souvent par couple et varie les décors et les situations : ce qui serait très difficile au théâtre.



Mais l’impossibilité d’adapter le scénario au théâtre viendrait surtout de la jeunesse des rôles principaux. S’il est possible de faire jouer au cinéma de jeunes acteurs inexpérimentés – et ils le sont le plus souvent, par définition même, comme dans ce film qui pourtant bénéficie d’un filmage inventif mais contraignant pour eux, composé en majorité de plans séquences, dont on peut toujours multiplier les prises –, il serait tout à fait impossible de leur faire jouer sur scène toutes ces situations et leur faire apprendre autant de texte. Une pièce n’est pas autre chose qu’un très long plan séquence de plus d’une heure trente. On comprend bien qu’un tel exploit est hors de portée de la presque totalité des jeunes acteurs. En plus, n’oublions pas l’énorme contrainte de l’aspect physique – dans ce cas, mignon et asiatique – qui pèse sur le casting.


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Les éditeurs de DVD, comme les attaché(e)s de presse, devraient s’apercevoir que c’est parfois un bien mauvais service à rendre au cinéaste que de publier sa note d’intention, quelque soit par ailleurs la qualité de son film. Quand Quentin Lee déclare : « Quand j’étudiais la littérature, les personnages de Thomas Hardy m’ont beaucoup inspiré comme Tess d’Urberville ou Jude l’Obscur. L’étude emphatique de ces personnages sans illusions et défavorisés a laissé en moi un souvenir indélébile. J’étais particulièrement fasciné par l’ironique innocence de Tess, violée à la trentième page, mais qui ensuite poursuit sa vie avec la candeur d’une vierge effarouchée ! L’Enfer d’Ethan est un hommage à Tess avec des clins d’œil à Bonnie & Clide et Roméo & Juliette. » On a beau chercher, ces influences ne sont guère perceptibles dans son œuvre.



Et quand il nous dit que son style est un métissage entre celui de Truffaut, Wong Kar Wai, De Palma et Ozu : on a surtout envie de rétorquer qu’un peu de modestie est souhaitable, aussi talentueux et ambitieux soit-il. On doute tout de même qu’il parvienne jamais à réaliser cette improbable synthèse que je visualise assez mal...
Quentin Lee a lâché la caméra temporairement pour écrire son premier roman, Dress like a boy, vraisemblablement et passablement autobiographique, qui met en scène un jeune gay perturbé autant par son identité asiatique dans un monde occidental que par son homosexualité…

L’Enfer d’Ethan est un film gay paradoxalement original, malgré un point de départ convenu qui sait mêler habilement plusieurs genres cinématographiques. Il est servi par deux acteurs aussi adorables que sympathiques. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour n’être pas touché par son dénouement…
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Laetitia Casta, Yannick Renier, Yann Trégouët, Christine Citti, Marc Citti, Sabrina Seyvecou, Théo Frilet, Edouard Collin, Kate Moran, Fejria Deliba, Gaetan Gallier, Osman Elkharraz, Slimane Yefsah, Matthias Van Khache, Thibault Vincon, Marilyne Canto, Alain Fromager et Gabriel Willem. Réalisation : Olivier Ducastel & Jacques Matineau. Scénario : Olivier Ducastel & Jacques Martineau. Musique : Philippe Miller. Image : Matthieu Poirot-Delpech. Montage : Dominique Galliéni.
Durée : 177 mn. Actuellement en salles en VF.

 

 

Résumé :
Catherine, Yves et Hervé (Yann Tregouët) ont une vingtaine d’années. Ils sont étudiants à Paris et ils s'aiment. Mai 68 bouleverse leur existence. Séduits par l'utopie communautaire, ils partent avec quelques amis s'installer dans une ferme abandonnée du Lot. Loin des préoccupations du capitalisme, ils refusent le diktat de l'accumulation des richesses et de l'individualisme. Cependant, très vite, l'utopie communautaire révèle ses limites, celles de l'expression des ego et de l'amour qui ne souffre d'aucun partage. Le groupe se désagrège mais Catherine refuse de se soumettre. Elle continue à être fidèle à ses idéaux et tient la ferme seule. Elle y élève ses enfants.



1989. Les enfants de Catherine et Yves entrent dans l'âge adulte. Ils affrontent un monde qui a profondément changé : entre la fin du Communisme et l'explosion de l'épidémie du sida, l'héritage militant de la génération précédente doit être revisité...


L’avis de Bernard Alapetite :
Nés en 68 (il faut comprendre le titre dans le sens où les protagonistes sont véritablement nés au monde sur les barricades, c'est-à-dire à l'âge de 20 ans) a tous les défauts et toutes les qualités d’un premier film d’un réalisateur qui a un cœur « gros comme ça » et qui a voulu tout mettre dans son premier long métrage, craignant que ce soit le seul. On peut dire sans craindre de se tromper que c’est un vrai film d’auteur avec ce que devrait toujours signifier ce terme : l’urgence vitale pour le réalisateur de le faire sien. Le cœur à gauche, il y a mis toutes les luttes, tous les espoirs et aussi toutes les déceptions des quarante dernières années de son camp, qui se vit et s’imagine toujours floué par l’histoire. Ça commence avec les barricades de mai 68, ça continue par les espoirs mis en Mitterrand, pour se terminer dans l’affirmation que les sectateurs du grand soir sont toujours prêts à bouter l’actuel président, qui lui se rêve en fossoyeur de mai 68... Mais le réalisateur a peut-être voulu surtout, à travers de cette fresque généreuse faire un beau portrait de femme, celui de Catherine, qu’incarne merveilleusement Laetitia Casta. Peut-être est-ce celui de sa mère, si le cinéaste est né en 1968 ? À moins que les chapitres qui lui tiennent le plus à cœur soient ceux de la saga du combat des homosexuels, d’abord pour leur affirmation, puis pour leur survie et enfin pour leur devenir... À moins encore que ce qui lui importe le plus, soit de nous parler avec pudeur de son amour de jeunesse, fauché par le sida à quelques semaines de la mise en service des trithérapies... Voilà ce que j’aurais écrit si je n'avais pas su que Né en 68 a été réalisé par Ducastel et Martineau et que leurs précédents films, dans l’ordre chronologique Jeanne et le garçon formidable, Drôle de Félix, Ma vraie vie à Rouen et Crustacés & Coquillage, sont en bonne place dans ma dévéthèque.



Nés en 68 contient deux films. Il est distinctement divisé en deux parties. La première consiste surtout à décrire l’expérience de la communauté agricole qu’ont fondée le groupe de gauchistes autour de Catherine (Laetitia Casta). Elle se termine lorsqu’arrive sur l’écran le panneau « 8 ans plus tard ». La deuxième est plus politique et se focalise surtout sur la geste des homosexuels, de la libération jusqu’à la quasi banalisation en passant par le drame du sida, la lutte pour le PaCs et l’avènement des trithérapies et n'échappe pas toujours au didactisme.
La première est la plus dense et la plus réussie. Ducastel et Martineau réussissent, comme je ne l’ai jamais vu au cinéma, à capter l’esprit de mai 68 (beaucoup mieux que le très très très... sur-coté Garrel dans son super chiant Les Amants réguliers) ou plutôt celui de l’immédiat après mai. Curieusement, c’est dans la première moitié du film qu'à la fois, la prestation collective des acteurs est la meilleure mais c’est aussi dans celle-ci que certains sont mauvais dans certaines scènes ou transparents. Les cinéastes peinent à individualiser les protagonistes de la communauté, certains ne font que passer ou disparaissent arbitrairement.



Contrairement à Renaud Bertrand, le réalisateur de Sa raison d’être, avec lequel on ne peut faire que la comparaison, Martineau et Ducastel n’ont pas eu le projet fou de mettre tous les grands événements de ces quarante dernières années dans leur film. Ils réussissent souvent à les intégrer subtilement à leur récit, c’est le cas pour le 11 septembre, c’est d’ailleurs presque la seule intrusion de la politique internationale dans le film, qui est trop centré sur la seule petite France. On voit les images de l’attentat contre le World Trade Center sur une télévision pendant qu'à côté, Boris (Théo Frilet) et Vincent (Thibault Vincon) font l’amour avec passion, leur histoire personnelle est si forte qu’elle les ferme à cet instant au monde et leur font rater l’événement. Mais le spectateur sait qu’ils verront ces images après...
Si chez Renaud Bertrand on sentait derrière la réalisation le cahier des charges de la production, en l’occurrence la chaîne de télévision qui allait diffuser le film, rien de tel chez nos deux cinéastes qui ont pourtant eux aussi beaucoup (trop ?) chargé la barque de leur scénario et ont eu également la tentation du mélodrame. Genre qui revient en ce moment en force dans toutes les cinématographies. Si on croit à ce qui arrive aux personnages, c’est qu’ils ont réussi à inscrire les péripéties de leur vie dans leur propre logique.
Une des scènes m’a beaucoup fait réfléchir, en particulier sur sa réception, est celle de l’amour libre entre fleurs et prés dans laquelle les membres de la communauté et des amis de passage s’ébattent nus dans une sorte de ronde dionysiaque. Elle est sans doute une des plus naturalistes du film, oui c’était comme ça, et pourtant il est probable qu’elle paraîtra to much pour la plupart des spectateurs. On voit en cela combien à la fois la liberté sexuelle a régressé et combien la perception du corps a changé. À ce propos, si la réalisation dans cette séquence ne se montre pas pudibonde, elle manque d’audace et de vérisme dans les scènes de sexe qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles.



Ducastel et Martineau se prennent un peu les pieds dans le tapis de la chronologie, en particulier pour le personnage de Gilles (Yannick Renier) dont le conseil de révision me parait arriver bien tard dans son histoire ; par ailleurs, cette bonne scène montre que l’armée n’est pas qu’un ramassis de ganaches. Souvent ainsi avec bonheur le scénario prend le contre-pied des clichés. Il serait bon que les scénaristes, lorsqu'ils ont à « gérer » un grand nombre de personnages, comme ici, se souviennent de la méthode de Roger Martin du Gard lorsqu'il préparait Les Thibault. Il écrivait la biographie séparément et complète pour de chacun de ses personnages, y compris pour des périodes qui ne se trouveraient pas dans le roman, puis les confrontaient pour les faire coïncider.
Gilles, qui semble à peine vieillir durant quarante ans, soulève le problème récurrent du vieillissement des acteurs lorsqu’on suit les personnages qu’ils incarnent sur une longue période. Ducastel et Martineau ne s’en tirent pas mal, même si le temps est un peu trop clément pour leurs créatures. Peut-être est-ce pour équilibrer la cruauté des vies qu’ils mettent en scène ? Peu de films parviennent comme celui-ci à nous faire ressentir le poids des ans et des malheurs qui accablent toute vie sur sa durée.



Le mot durée me fait venir à envisager celle du film qui ne parait pas trop longue, jamais l’ennui pointe ; néanmoins, il aurait du s’arrêter en 2002, comme cela était prévu initialement, ce qui aurait évité le pathos filandreux de la dernière séquence et l’anti sarkozisme de rigueur qui ne fait qu’alourdir le message qui est beaucoup moins manichéen qu’on pourrait le croire.
Tout d’abord, Nés en 68 a été pensé et écrit pour la télévision. Il y aura prochainement une diffusion sur Arte, dans un format plus long, remonté pour l’occasion. À ce sujet, Olivier Ducastel déclare : « Le propos initial était de produire deux longs métrages pour la télévision, qui fonctionnent en diptyque, coproduits par Arte et France 2. Une fois les films tournés, le producteur a fait lire les scénarios à Pyramide, le distributeur, qui a choisi de donner sa chance au film sur grand écran, à condition qu’on puisse couper entre trois quarts d’heure et une heure. Le fait que le film sorte au cinéma nous a permis de pouvoir obtenir des moyens supplémentaires, notamment pour la musique. Nous avons tourné beaucoup. Pour ce film, qui fait un peu moins de trois heures, nous avions un premier montage, avec tout le matériel mis bout à bout, de près de quatre heures trente. Les comédiens ont donc joué beaucoup plus que ce qui apparaît à l’écran et cela les a énormément nourris. Ça a nourri leur parcours, ça les a aidés à porter le poids du temps qui passe. C’est toujours un peu désespérant de couper autant mais, en réalité ces scènes coupées restent dans le film, en creux. Je pense qu’elles aident à la perception de la durée et à la fluidité de l’ensemble. » Espérons que les scènes coupées figureront dans la diffusion télévisée et surtout sur le DVD. Nous aurons ainsi sans doute une meilleure perception de certains personnages qui ont du être sacrifiés au montage.
Malheureusement, le film n'échappe pas non plus à la maladie la plus fréquente qui accable le cinéma : celle des fausses fins.



Si Théo Frilet, qui joue Boris, a le plus beau cul que j’ai vu au cinéma depuis, disons celui aperçu dans le Lilies de John Greyson en 1996, il a surtout beaucoup de talent. Il devrait prochainement interpréter Guy Mocquet à la télévision. Avec Laetitia Casta, d’une présence exceptionnelle, il est le seul à être bon dans toutes ses scènes. Ce qui n’est malheureusement pas le cas, en particulier, des interprètes masculins qui sont parfois époustouflants dans une scène mais médiocres dans la suivante, sans doute à cause d’un manque de répétitions ? Ou est-ce du à une trop grande impatience des réalisateurs qui ne voulaient (ou ne pouvaient) pas faire trop de prises ? Théo Frilet, outre qu’il soit bien mignon (ce que l’on peut vérifier sur l’affiche), a comme la plupart de ses camarades du casting, un physique inhabituel dans le cinéma français, ce qui n’est pas le moindre charme du film. Les réalisateurs font aussi preuve de fidélité, puisqu’ils retrouvent Sabrina Seyvecou et Edouard Collin, qui assure dans le rôle de Christophe, mais sans nous surprendre, tant celui-ci est dans la ligne de plusieurs de ses prestations, tant au théâtre qu’à l’écran ; deux acteurs qu'ils avaient dirigés dans Crustacés et Coquillages.
Les déclarations des deux cinéastes, dans le dossier de presse, sur leur dernier opus sont des modèles d’honnêteté et de clairvoyance : « Écrire et réaliser un film sur cette période, c’était pour nous une façon de reprendre possession d’une partie de notre existence qui appartient déjà à l’Histoire, et même, pour l’essentiel, à l’Histoire révolue. C’est un retour sur notre passé personnel et collectif. Le film propose ainsi comme une recomposition, à partir d’aujourd’hui, de ce passé. Il n’était pas question pour nous d’aborder ces quarante dernières années d’un point de vue d’historiens, mais d’un point de vue très intime, à la lumière de ce que nous sommes aujourd’hui... C’est donc nettement le romanesque et le destin des personnages qui ont primé par rapport à la chronique historique... La grande technique du roman historique, c’est de prendre un personnage, de le faire entrer dans les événements de l’Histoire, et, dès lors, il devient support à un récit historique. Ce n’est pas cette démarche que nous avons adoptée. Par exemple, Mai 68 est pratiquement toujours perçu dans des intérieurs, ou par la radio… Et les personnages ne sont pas trois meneurs de Mai. Ce sont trois étudiants anonymes... quelque chose change entre les années 1960 et 1970 et les années 1990. Après Mai 68, même s’ils sont dans une certaine attitude de « retrait » du monde dans leur communauté, les personnages vont volontairement vers l’Histoire. Alors que dans les années 1990, c’est l’Histoire qui a tendance à rattraper violemment les personnages, qui les confronte à l’histoire politique. »



 

On ne peut qu’être d’accord avec le message que veut délivrer le film : « Il s’agit de mettre fin à ce discours qui consiste à dire que l’arrivée du sida doit mettre fin à l’amour libre et renforcer les positions réactionnaires. Non ! Il suffit juste de se protéger. Et ce n’est rien qu’un petit bout de latex ! Il faut arrêter d’être victimes de ce discours ultra réactionnaire, qui profite littéralement de cette épidémie pour liquider une liberté qui dérange. »
On peut être surpris des conditions de sortie en salles de Nés en 68. La vie d’un film ne s’arrête pas lorsque la post production est terminée, au contraire elle commence. On peut donc se poser la question de la date de sortie du film, qui me parait aberrante, en plein festival de Cannes, face au dernier Indiana Jones, et surtout confronté au dernier Desplechin qui a « la carte » du triangle des Bermudes de la critique cinématographique française (Les Inrockuptibles, Télérama, Les Cahiers du cinéma), il suffit de voir la honteuse différence de traitement faite dans les Inrockuptibles entre Un Conte de Noël et Nés en 68.

Nés en 68, un projet fou au départ et qui à l’arrivée donne un film généreux et intelligent, malgré quelques faiblesses. Il démontre que le cœur peut transformer une utopie artistique en une courageuse réussite.
L’avis de nicco :
Dites-le avec des fleurs…
Elle est moche cette affiche, non ? Face à la grosse Bertha rouillée Indy 4, il faut une sacrée dose de témérité pour tenter d'attirer ainsi le chaland qui, dès connaissance de la durée de la chose (pratiquement trois heures), sera définitivement convaincu d'aller batifoler avec les chiens de prairie numériques et les singes gominés de tonton goitre. Dommage, car ce Nés en 68 est un vrai bijou.
Nous sommes en 68, donc, en mai exactement. Catherine fait des bisous à Yves, puis fait des bisous à Hervé ; ils sont étudiants, contestataires, ils s'aiment. Sous les barricades et les pavés parisiens, non pas la plage, mais la campagne. Le Lot, où le trio, accompagné de l'immanquable bonne (dans les deux sens du terme) copine anglaise et quelques amis fondent une communauté hippie dans une ferme abandonnée. La vie en groupe et les conditions précaires auront raison au fil du temps des convictions les moins fortes, des doutes les plus profonds et de la confection de fromage de chèvre sur les airs mièvres du barde de la bande.
Succession des saisons, élection de Mitterrand, les années 80 : les enfants de Catherine héritent des succès de leurs combattants d'aînés, mais doivent faire face à de nouvelles embûches, telles les contrecoups d'un traitement de choc se répercutant jusqu'à nos jours.
La représentation de Mai 68 au cinéma a ceci de particulièrement français que du plus important mouvement populaire hexagonal d'après-guerre, les cinéastes, à quelques exceptions près (L'An 01 par exemple) n'en ont majoritairement produit que d'austères objets destinés aux ciné-clubs et à un public de festival, aussi excitants que des tracts coco de 180 pages tirés à la photocopieuse à alcool. Le charme discret de notre culture en quelques sortes… (un ami plus pessimiste y voit un symbole de la spoliation des acquis du peuple d'en bas pour le plaisir feutré de celui du haut. Soit).



Là-dessus, le duo à l'origine du très demyesque Jeanne et le Garçon Formidable se dit qu'il serait bienvenu de proposer un film ouvertement romanesque et ambitieux non seulement sur les évènements, mais surtout sur ses conséquences, à travers une saga familiale s'étalant sur quarante années, permettant d'ouvrir ainsi un champs de contrastes et de perspectives rarement vu sur les bandes françaises contemporaines. Intention hautement louable qui se verra targuée de « cours d'histoire de France pour les nuls » (20 Minutes) gavé des « clichés et poncifs habituels » (Le Figaroscope). Rassurez-vous, la presse de gauche est tout autant à l'ouest pour défendre ce film, voire même pour simplement en parler ; il faut croire qu'elle préfère hurler au génie lorsque les mêmes Ducastel & Martineau filment à la MiniDV un ado faire du patin à Rouen…
Nés en 68 est une fresque imbriquant ses personnages dans l'Histoire avec du grand hasch, procédé classique visant à impliquer le spectateur dans la découverte de périodes et évènements passés. Mais le procédé développe ici une grande puissance émotionnelle, par le biais du montage tout d'abord, qui ne souligne jamais ses multiples ellipses (mise à part la plus grande à mi-métrage, sûrement prévue dans l'optique du projet télé qu'était Nés en 68 à l'origine), laissant ainsi le spectateur découvrir seul les changements survenus dans l'entourage des héros et être témoin comme eux du temps qui passe et des évolutions diverses de la société, le rythme quasi parfait du film nous emportant dans l'inéluctabilité des destinées croisées de la bande révolutionnaire (les trois heures passent d'ailleurs comme une lettre à la poste). Et ensuite par la performance superbe du casting, Laetitia Casta en tête, interprétant avec justesse et ambivalence des personnages attachants, devenant de fait, par la logique du projet, des figures synedoctiques des époques traversées. Difficile dès lors d'échapper aux clichés dès que l'on illustre la période hippie tant ses codes esthétiques ont marqué l'inconscient collectif. Il faut donc savoir faire la part des choses et ne pas mélanger un décorum pouvant difficilement s'éloigner de la réalité (ben oui les hippies partouzaient dans les champs avec des fleurs peintes sur les seins, et alors ?) et les motivations des personnages, bien particulières à la présente fiction, affranchies de toute caricature : au-delà de la traite des chèvres et de la confection de pulls en chanvre, ici nos hippies s'engueulent, se critiquent, font des erreurs, repoussent des camarades demandeurs de cul pour raison de sale gueule et grosse bedaine, et fraternisent avec les paysans du coin, même s'ils sont de droite. Vachement « clichés »… (sic).
Car même si Ducastel & Martineau adoptent dans un premier temps un point de vue naïf et idyllique de l'après mai 68, reflétant les espoirs de cette génération, ils ne font pas l'impasse sur une critique de ce mouvement. Ainsi Yves, le père des enfants de Catherine (Laetitia Casta), se demande comment changer le monde en vivant repliés sur soi-même en haut d'une colline du Lot. Dans la deuxième partie du métrage, celle des désillusions (il faut voir la tête du même Yves au soir du 21 avril 2002…) son fils lui lancera un cinglant « Vous imaginez avoir transformé en profondeur la société en pratiquant l'amour libre ? » Cruelle ironie que de voir ce même fils confronté au VIH, se retrouvant alors à devoir se battre pour pratiquer cet amour libre… Parallèlement, sa sœur, devenue working girl, impose ses choix à son mari, tandis que sa mère devait risquer sa vie pour avorter. Autant de comparaisons et d'observations sur l'évolution des mœurs et de la société intelligemment agencées par les auteurs, dont la mise en scène s'échine à ne jamais surligner quoi que ce soit pour mieux exposer les contrastes (une captation à plat qui trouve quelques fois ses limites sur la durée). Et si les réalisateurs de Drôle de Félix n'apprennent pas grand-chose à ceux qui ont vécu ces époques, ils ont le mérite d'appliquer la force du récit et le romantisme de la fresque au service d'une synthèse mettant en relief quarante années de luttes diverses que certains voudraient bien "liquider".
Et lorsque nos deux révoltés de 68, Yves et Hervé, se retrouvent en 2007, ils tentent de réveiller les morts (vraiment !) pour reprendre le flambeau, mais comprendront qu'en fait l'Histoire est un éternellement recommencement : le dernier plan du film, un long travelling autour d'un rond-point (un cercle) sur lequel manifestent des étudiants (et autour duquel évoluent Yves et Hervé, comme mis en orbite) illustre cette superbe phrase taguée sur un mur du Buena Vista Social Club : « Cette révolution est éternelle ».

Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec Philippe Noiret, Rupert Everett, Valeria Golino, Nicola Farron, Roberto Herlitzka. Réalisation : Giuliano Montaldo. Scénario : Nicola Badalucco. Directeur de la photographie : Armando Nannuzzi. Monteur : Alfredo Muschietti. Compositeur : Ennio Morricone.
Durée : 103 mn. Disponible en VO et VF.

Résumé :
1938 : un respectable médecin de Ferrare est insensiblement amené à se suicider pour son amitié dite coupable pour un jeune homme d'origine juive. Ce que l'on appelle la bonne société, cruelle, hypocrite et timorée, sera l'instigatrice de ce geste subversif. Ce film est adapté d'un roman de Giorgio Bassani, originaire de Ferrare, qui s'inspira pour cette réflexion sur la solitude d'un fait réel.



L’avis de Jean Yves :
Italie, 1936. Le docteur Fadigati tombe amoureux d'un boxeur. Scandale dans la bonne société de sa ville, Ferrare. David, un jeune Juif, comprend que le destin du docteur rejoint celui de sa race. Bientôt, Mussolini fera déporter les juifs et les homosexuels.
Riccione, une petite ville balnéaire de l'Italie en 1936. Dans les jardins d'un luxueux hôtel, une bande de jeunes gens plutôt aisés discutent d'un grand jeu d'équipe auquel ils vont participer. Au fond du jardin apparaît soudain une superbe Alfa Roméo rouge vif, conduite par un garçon beau comme un dieu grec.


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La voiture stoppe. Le garçon descend, aussitôt fêté par les jeunes filles de la bande, devant lesquelles il parade un moment. Il y a du soleil, la mer est bleue, toute proche. On pourrait croire que l'ambiance est à la détente, à la joie de vivre... Pourtant, parmi les jeunes gens, il en est un qui est resté sombre. C'est David (Rupert Everett), le narrateur des Lunettes d'or. Une nouvelle de Giorgio Bassani qui date de 1958, que Giuliano Montaldo a adaptée pour le cinéma.


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Dans les salons de l'hôtel, derrière les rideaux de la fenêtre, un homme d'une cinquantaine d'années (Philippe Noiret) regarde la scène avec nostalgie. C'est lui qui a offert cette voiture au beau Deliliers (Nicolas Farron). Sur son visage, on peut lire tout le désenchantement, toute la tristesse des gens qui savent qu'on ne les aimera jamais vraiment pour eux-mêmes. Cet homme, c'est le docteur Fadigati. Il est installé à Ferrare, où il jouit de la meilleure réputation. Intelligent, fin, cultivé, amateur de belles lettres et d'opéra, une seule question plane sur son passage : pourquoi ne s'est-il jamais marié ? Pourquoi voit-on parfois scintiller ses célèbres lunettes montures dorées dans l'obscurité de certains endroits louches ?


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Et un jour, la vérité éclate : Fadigati est homosexuel. Dans le train qu'il prend chaque jour pour Bologne, il doit alors faire face aux réflexions à double sens d'une bande de jeunes qui font le trajet avec lui. Parmi eux, David, jeune juif de Ferrare. Et Deliliers, un boxeur ambitieux dont la beauté fait des ravages dans toute la région. Quelques mois plus tard, Fadigati provoque un véritable scandale : le beau Deliliers, a compris tout le parti qu'il pourrait tirer d'une liaison avec ce riche docteur. Il est devenu son amant. Les deux hommes, en vacances à Riccione, s'affichent publiquement sur la plage et à l'hôtel. Pour tous les Ferrarais en villégiature dans le coin, ils deviennent les "tourtereaux". La fin de l'histoire sera tristement classique. Deliliers dépouillera son protecteur de sa fortune, et Fadigati perdra sa clientèle. Il se retrouvera seul et pauvre, dans un petit appartement, et finira par se suicider en se jetant dans le Pô.


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Drame de l'homosexualité, penserez-vous. Le déclin du bon docteur ferrarais sur fond d'images estivales va-t-il ressembler à la marche vers la mort d'un certain Aschenbach, poursuivant l'image de la beauté dans les ruelles de Venise ? Je n'ai pas vu ce film ainsi. Plus qu'un film sur l'homosexualité, Les Lunettes d'or, c'est la rencontre de deux solitudes. Celle de Fadigati, et celle de David, le narrateur.
Nous sommes en 1936, au sein de la communauté juive de Ferrare. David est très jeune, mais il a compris que des événements graves se préparent. Les premières lois raciales vont être votées en Italie. Beaucoup de Juifs de Ferrare se font encore des illusions sur Mussolini. On pense qu'il ne suivra pas Hitler jusqu'au bout. Pourtant, on commence déjà à arrêter des professeurs parce qu'ils sont juifs... À la fin du film, David se retrouve abandonné par sa maîtresse Nora (Valeria Golino), qui se convertit au catholicisme par peur du racisme. C'est le moment où Fadigati est abandonné par Deliliers. Malgré leur différence d'âge, les deux hommes se rencontrent un instant...


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Philippe Noiret dans le rôle du docteur Fadigati incarne un homosexuel "banalisé", à peine un peu trop soigné, sans manières efféminées.
On voit aussi poindre un autre personnage important de l’œuvre : la ville de Ferrare. Bassini est l'écrivain de Ferrare. Presque toutes ses nouvelles font le portrait de ces petits provinciaux conformistes, ligotés par la peur du scandale, et dont l'irresponsabilité amènera les fascistes au pouvoir. Ferrare où on n'échappe pas au regard des autres, Ferrare et sa communauté juive. Autre douloureux chapitre de cette période.
Pour incarner David, l'étudiant juif qui jette un regard inquiet sur les événements, Giuliano Montaldo a choisi Rupert Everett : son rôle est plutôt passif. Il ne fait rien. Il sert surtout à faire réagir les personnages. Un rôle où tout est intérieur.

 

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Le personnage de Deliliers a été légèrement modifié par rapport à la nouvelle de Bassani. Dans le livre, il est très cynique. Dans le film, on sent à plusieurs reprises qu'il estime vraiment Fadigati. Comme s'il se cherchait un père. C'est un peu un exhibitionniste. Il veut ressembler aux riches, avec une belle voiture, être le plus élégant de Ferrare. Il a une revanche à prendre. C'est peut-être pour ça qu'il fait de la boxe.
Les personnages de Bassani ont bien existé. Parfois, ils ont plusieurs modèles. Le vrai Fadigati ne s'est pas suicidé. Il a été assassiné par des partisans parce qu'il était tombé amoureux d'un jeune fasciste.


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Dans le livre de Bassani, il y a encore un autre personnage important, la signora Lavezzoli (jouée par Stefania Sandrelli). C'est une femme stupide et écervelée qui, par ses propos, symbolise bien le manque de clairvoyance de la bourgeoisie ferraraise.
Ce film nous montre qu'à un moment de l'histoire, la destinée d'un homosexuel a pu coïncider avec celle de toute la communauté juive, condamnée à disparaître par une société "bien-pensante".
Pour plus d’informations :


 

Fiche technique :
Avec Dirk Bogarde, Silvana Mangano, Bjorn Andresen et Marisa Berenson. Réalisé par Luchino Visconti. Scénario de Luchino Visconti et Nicola Badalucco. Directeur de la photographie : Pasqualino De Santis.
Durée : 131 mn. Disponible en VO, VOST et VF.



Résumé :
Juste avant la première guerre mondiale, un musicien allemand, Gustav von Aschenbach, se rend à Venise. En villégiature à l'hôtel des Bains, il y croise un jeune adolescent polonais, Tadzio, dont la beauté le fascine immédiatement. Leur relation demeure distante, uniquement réglée par le jeu des regards échangés. Mais la beauté de Tadzio trouble le musicien, qui voit peu à peu ses certitudes morales et esthétiques, et son existence toute entière, remises en question par le désir qu'il ressent. Il tente de fuir ce désir en quittant Venise, mais un événement fortuit lui sert de prétexte pour revenir à son hôtel. Il demeure à Venise, malgré l'épidémie de choléra qui y sévit. Il s'abandonne à la contemplation du jeune homme, tente de nier sa vieillesse et d'oublier la fièvre. Il meurt sur la plage presque désertée de l'hôtel, le regard tourné vers Tadzio.



L'avis de Jean Yves :
C'est en voyant pour la première fois Mort à Venise, que j'ai compris :
– que j'étais mortel, ma jeunesse aussi,
– que l'amour est une « vacherie »,
– que ce n'est pas un fossé qui sépare les générations, mais cette fascination, si bien exprimée, d'abord par Thomas Mann, ensuite par Luchino Visconti, de la vieillesse pour des âges plus tendres.
Ce n'est pas la beauté du jeune Tadzio, si bien incarnée par Björn Andresen, qui me trouble quand je revois les images viscontiennes pour la enième fois, mais bien plus ce regard lancinant, exaspéré du vieux compositeur, le génial Gustav von Aschenbach – Dirk Bogarde – qui ne peut, de sa contemplation passionnée, réussir à inventer la communication dont il aurait tant besoin.



Ce n'est pas un vieillard draguant un biquet que je vois, mais un spécialiste du beau – tout créateur ne l'est-il pas à sa façon ? – mis en échec par le mystère de cette perfection éphémère qu'est l'adolescence.
Quoi de plus inachevé que l'immaturité gracile d'un jouvenceau, et de plus inaccessible ?
Là où l'art s'appuie sur l'inspiration jugulée par des règles et une discipline de tous les instants, la nature inspire à certaines formes une miraculeuse harmonie. Un miracle voué à la destruction par le temps.
Et c'est cette fragilité de la jeunesse qui nous la fait voir sous un jour si désirable. Mort à Venise en liant dans une même étreinte du regard les ravages de l'amour et ceux de la mort nous indique une étrange et dangereuse morale : nous mourons de ce que nous aimons.
Est-ce du choléra ou de ce visage trop longtemps contemplé, à la limite de l'insoutenable, que meurt le héros ? Du poison qui coule dans nos veines, ou dans nos vies, nous nous nourrissons.
Comment échapper au feu quand on ne peut s'empêcher d'aimer si fort la lumière ?



L’avis de Clémentine :
Adaptation austère et contemplative de la grandiose nouvelle « La Mort à Venise » de Thomas Mann, Mort à Venise (Prix du 25ème Anniversaire du Festival de Cannes) figure bien souvent comme le testament de Luchino Visconti puisqu'il laisse transparaître toutes les obsessions et préoccupations, développées de façon très aboutie, de ce cinéaste, véritable artiste de génie, personnage de fascination et de scandale pour ses mœurs et son goût raffiné de la décadence. Mort à Venise, incompris par certains à son époque (... et actuellement toujours), a d'ailleurs été l'objet d'une polémique pour la soi-disant pédophilie qu'il expose.



Certes l'histoire laisse suggérer un peu cet aspect-là du film mais les réflexions que mettent en place Mort à Venise balaye rapidement cette idée. Paradoxalement, même s'il s'agit d'une adaptation cinématographique, Mort à Venise est quelque peu autobiographique ou du moins en fait un film très personnel car Mort à Venise place la figure de l'artiste comme l'élément central du film, autour duquel gravite plusieurs thèmes en relation avec l'Art ainsi que la Beauté, la fuite du Temps et la Mort qui rattrape le personnage principal, Aschenbach tout comme il semble rattraper Visconti qui mourra cinq ans après la réalisation de son chef-d'œuvre ultime et absolu.



Visconti y fait l'évocation intérieure de l'artiste dans son mal-être, du créateur en manque d'inspiration, plus particulièrement ici d'un musicien d'âge mûr déprimé qui souffre encore de la mort de sa femme et dont la sexualité va se troubler. Un système de flashs-back permet d'amener le spectateur en dehors de Venise pour jouer sur un double point de vue confrontant Aschenbach et l'un de ses amis Alfried. Tous deux, dans des conversations intellectuelles, en viennent à parler de création artistique et de Beauté. Contrairement à son ami Alfried qui affirme que la Beauté surgit à l'improviste et qu'elle n'est en aucun cas le fruit d'un travail, selon Aschenbach, la Beauté ne peut être que issue du travail de l'imagination de l'artiste et qu'elle naît de ses seules facultés spirituelles. Mais son voyage à Venise va être la ville d'une double rencontre, tout d'abord celle de la Beauté, c'est-à-dire la rencontre de Tadzio, jeune adolescent polonais d'une beauté androgyne qui va le foudroyer. On se souvient de la première apparition du jeune adolescent. Lui, seul, entourée de femmes, avec ses cheveux longs, d'abord confondu à celui d'une femme, son visage attire immédiatement l'attention d'Aschenbach. Cette façon de rendre ce personnage désirable est exprimée par un zoom. Très récurrent chez Visconti (particulièrement dans Mort à Venise et Les Damnés), ce choix esthétique qui ne gâche en aucun cas l'impact visuel cherche à exprimer la caresse du regard sur l'objet du désir.



Tadzio est jeune et beau. Cet Apollon gracieux est même presque une sorte de fantasme cliché puisque d'abord habillé d'un uniforme d'écolier ou de marin puis enfin d'un maillot de bain qui moule toutes ses formes. On pourrait voir en Tadzio, une double incarnation : Tadzio, représentation de la jeunesse (du film), est l'incarnation de la Beauté elle-même incarnation de la jeunesse. Contrairement à Tadzio, Aschenbach, lui vieillit et évolue dans cette Venise moribonde et prend enfin conscience, après la rencontre du jeune adolescent, du temps qui passe. Après cette prise de conscience et cherchant à plaire à Tadzio, il veut se donner l'illusion d'être jeune et beau par des artifices : il se coiffe et se maquille. En effet, depuis la mort de sa femme, un vide affectif semble s'être crée autour du musicien et, depuis, son travail en tant que compositeur devint de plus en plus médiocre. La seule façon qui parviendrait à satisfaire Aschenbach sur deux plans (affectif et spirituel) est donc d'aimer et de se faire aimer en retour par Tadzio qui, en deux temps, pourrait d'abord remplir cette absence d'affection puis enfin être la muse d'inspiration d'Aschenbach pour son Art. C'est cette beauté, cette jeunesse qui lui permettrait de se « renouveler » à nouveau, de se compléter et donc de créer, avec, une sorte d'osmose. Malheureusement, le musicien qui cherchait à tendre vers un idéal et une perfection intérieure, est quasiment déjà mort. Du moins, il agonise. Il se rend sur la plage et observe Tadzio, depuis sa chaise longue, irremplaçable dans une harmonie et meurt enfin dans son impureté et sa vieillesse, incapable de rejoindre un tel spectacle.



Mais durant tout le long du film, Tadzio était un objet de désir inaccessible, une image de la perfection et un idéal de Beauté. Une relation s'était certes instaurée entre Aschenbach et Tadzio mais il ne s'agissait là que d'une relation à distance qui se basait sur un jeu de regard. Comprenant que le jeune adolescent n'est pas insensible aux regards insistants du musicien, ce dernier ne cesse de contempler le bel adolescent tout comme Visconti observe les évolutions et mouvements des personnages. Tadzio, lui, s'en aperçoit et se met à rentrer dans ce jeu et lui offre des regards et sourires lors de rencontres. Et c'est cette impureté des sentiments ainsi que l'impuissance, l'incapacité à créer la Beauté même, la fuite du Temps et donc la Mort qui approche qui sont à l'origine de l'angoisse d'Aschenbach qui s'avance toujours de plus en plus vers la Mort, sans cesse, omniprésente, même dans le titre du film et qui est donc attendue mais qui n'est sûrement pas une surprise pour le spectateur. Je parlais plus haut d'une double rencontre, d'abord celle avec la Beauté mais il y a par après et en même temps, bien entendu, celle avec la Mort et c'est là-dedans que réside tout l'intérêt du film, dans la longue et lente agonie du personnage.



Alfried : « La Beauté naît, selon toi, de tes seules facultés spirituelles ? »
Aschenbach : « Nieras-tu que le Génie de l'Artiste puisse la créer ? »
Alfried : « Oui, c'est le pouvoir que je lui dénie. »
Aschenbach : « D'après toi notre labeur d'artiste... »
Alfried : « Ton labeur ! La Beauté fruit du labeur ! Quelle illusion ! Non ! La Beauté jaillit d'un éclair et ne doit rien aux cogitations de l'artiste ni à sa présomption ! »

C'est sur l'image tragique du cadavre transporté que se clôt le testament de Luchino Visconti, ce lent voyage initiatique vers la Mort et le Désir, cette méditation magistrale sur la Beauté, la création artistique, le créateur, le Temps et la Mort. Et c'est avec une lenteur d'une beauté glaciale que filme Visconti une Venise morte et pourrissante, avec une grande intelligence dans la mise en scène que le cinéaste parvient à exprimer le désarroi, l'angoisse et les troubles de son protagoniste, incarné par un Dirk Bogarde au sommet de son Art. La 5ème Symphonie de Gustav Mahler ne fait qu'amplifier la dimension tragique qu'émane du film et contribue largement à amplifier l'intensité émotionnelle de Mort à Venise. Le trouble s'instaure dès les premières secondes de film et les sons de la 5ème Symphonie, et se renforce à l'apparition foudroyante de l'ange Björn Andresen qui irradie de sa beauté. D'une mélancolie désenchantée, tout subjugue le spectateur dans la maîtrise parfaite et extraordinaire du film.


Sur un tempo très lent, Visconti nous conduit au cœur d'interrogations fondamentales qui se posent à tout artiste au sujet de la création et de la Beauté mais aussi à toute personne au sujet de l'amour, de la fuite du temps, de la Mort et de la vieillesse. Ce rythme très lent qui en déroutera plus d'un permet de mieux nous plonger au coeur de la réflexion faite sur la Beauté et jeunesse éphémère et sur le pouvoir de l'Art à affronter le Temps. La perfection est touchée et il s'agit alors peut-être bien de l'un des meilleurs films qui soit.

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Fiche technique :

Avec Maria de Medeiros, Antonia Liskova, Steffan Boje, Gisella Burinato, Mounir Ouadi, Vitaliano Trevisan. Réalisation : Marco Simon Puccioni. Scénario : Marco Simon Puccioni & Monica Rametta. Directeur de la photographie : Tarek Ben Abdallah. Musique : Dario Arcidiacono & Cristiano Fracaro.
Durée : 98 mn. En salles en août 2008 en VOST.




Résumé :
Anis, jeune adolescent marocain rêvant d’Europe, réussit à gagner clandestinement l’Italie caché dans le coffre de la voiture de Mara et Anna, un jeune couple d’italiennes de retour de vacances. Les chemins de ce jeune homme et des deux femmes ne cessent alors plus de se mêler. En déboulant dans leur quotidien, Anis devient malgré lui le révélateur des distances qui séparent Anna et Mara.


Riparo
est un drame prenant dans lequel on s’attache tour-à-tour à chaque protagoniste pour mieux s’en détacher quelques instants plus tard. Vous tomberez sous le charme de la lumineuse Maria de Medeiros et de sa justesse. Troublant…


L’avis de Psykokwak :
Anna (Maria de Medeiros) et Mara (Antonia Liskova), deux touristes italiennes achèvent leurs vacances en Tunisie. Sans le savoir, elles embarquent un passager clandestin, tapi dans le coffre de leur voiture. Arrivées en Italie, elles découvrent Anis (Mounir Ouadi) un adolescent deshydraté. Elles se chamaillent un peu quant à la conduite à suivre. Anna, la plus âgée, propose de l’aider tandis que Anna préférerait qu’il se débrouille tout seul. Elles finissent par le fourguer dans un train pour qu’il rejoigne son oncle à Milan. Las, l’oncle introuvable, Anis rapplique à Udine où habitent les deux femmes. Anna, dans sa générosité, lui avait laissé son numéro de téléphone. Son arrivée provoque une fêlure dans leur couple. Anna paraît plus posée, calme, alors que la violence caractérielle de Mara renvoie certainement à une histoire douloureuse.


Anna, femme d’affaire socialement bien installée, peut s’autoriser à accueillir le jeune homme. Elle lui dégotte un petit job au noir dans l’entreprise familiale. Mara, ouvrière et d’origine modeste, connaît les rigueurs de la vie et elle n’a guère envie de jouer les Saint-Bernard. Anis s’installe dans leur villa. Il s’étonne qu’elles n’aient pas de maris, ni d’enfants et qu’elles partagent la même chambre. Il est figé dans des représentations culturelles et sociales ; pendant tout le film, il lui semblera incongru d’imaginer une vie affective entre les deux femmes.


Anna accueille Anis comme un fils de substitution, sa fibre généreuse lui voile la dimension érotique de l’adolescent. Au contraire, Mara – qui a été mariée – perçoit le danger d’abriter (riparare) le jeune homme.
La famille d’Anna accepte du bout des lèvres son choix de vie ; la mère ne manque pas une occasion de manifester une sourde homophobie ; quant au frère qui a embauché Anis, sa bienveillance cache une condescendance bon teint.


Mara accompagne son père en fin de vie qui se révolte face au sentiment d’injustice qu’il ressent. Le décès de son père va curieusement l’amener à répondre favorablement aux avances d’Anis, ce qui déclenche la colère de sa compagne. Anna décide de renvoyer le garçon au moment où l’entreprise familiale licencie des salariés.
Anna conserve un ascendant psychologique et social sur Mara. Elle lui dissimule certains évènements. Elle avait aperçu l’ado recroquevillé sous les bagages et elle avait choisi de ne pas le dénoncer ni aux douaniers, ni à sa conjointe. Elle lui avait donné son numéro de téléphone sans prévenir Mara.


Si le souci de la protéger de ses emportements caractériels part d’un bon sentiment, il contribue néanmoins à maintenir sur elle une emprise infantilisante. Pouvoir qui se conjugue aussi au niveau financier, Mara travaille dans l’entreprise familiale d’Anna et elle échappera à la charrette des licenciements économiques.

On observe l’équivalent avec la situation d’Anis : fragilité due à son statut de clandestin, d’isolement affectif – il se dit orphelin. Pour lui, sa seule raison d’être en Italie est de gagner de l’argent. Mais il demeure en partie assujetti au bon vouloir des deux femmes.

 

Anis tra di noi
évoque Fassbinder (Le Droit du plus fort) par cette lecture qui mêle les sentiments et réalité sociale. L’asservissement des individus par le pouvoir de l’argent. Chaque protagoniste cherche sa voie et son identité. Trouver un refuge peut amener à un asservissement et il est alors nécessaire de sortir de son abri. Riparo  s’ancre dans l’actualité avec les thèmes de l’émigration et de l’homophobie.



On notera que les biographies des acteurs rejoignent celles de leur personnage. Maria de Medeiros, portugaise, a la nationalité française et elle a épousé un catalan. Antonia Liskova, née en Slovaquie (à l’époque Tchécoslovaquie), vit en Italie. Mounir Ouadi, né au Maroc, connaît les vicissitudes du parcours de l’émigration pour l’avoir effectué à l’âge de 14 ans, habite en France.

Riparo (Anis tra di noi) a été présenté en clôture au festival Vues d’en Face de Grenoble.
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