Fiche technique :
Avec Philippe March, Yann Favre, Jean Claude Dauphin, Nathalie Fontaine et Liliane Valais. Réalisation : Gérard Blain. Scénario : Gérard Blain et André de Baecque. Images : Jacques Robin. Musique originale : François de Roubaix. Son : Raymond Saint-Martin. Montage : Bob Wade.
Durée : 100 mn. Disponible en VF.
Résumé :
Paul (Yann Favre), un adolescent instable de quinze ans, issu d’une famille modeste et désunie est livré à lui-même. Il souffre de la médiocrité de son milieu. Il fait la connaissance de Philippe (Philippe March), la quarantaine, un riche industriel marié sans enfant qui possède des usines en province, mais ses affaires l’obligent à monter régulièrement à Paris. Une amitié réciproque s’instaure entre eux. Bientôt, ils deviennent amants. Philippe se passionne pour la fougue instinctive de Paul, pour cette intelligence vive qui ne demande qu’à s’exprimer. Il le guide, le conseille, l’aide à devenir un homme. Il devient la source d’épanouissement qui manquait au garçon. Tout d’abord Paul continue à vivre chez sa mère, tout en voyant Philippe, de plus en plus fréquemment. Ils font des projets, échangent des confidences parfois intimes. Paul voudrait faire du cinéma. Comme ils l’avaient décidé, Philippe et Paul se rendent à Deauville. Paul y fréquente la jeunesse dorée locale. Il joue un mauvais rôle d’adolescent vantard. Il s’amourache de Marie-Laure, une jeune fille qui appartient à ce groupe. Mais cet amour n’est pas réciproque. Paul revient vers Philippe. Il s’inscrit à un cours de comédie où il fait des progrès rapides. Mais bientôt c’est le drame. Philippe se tue dans un accident de voiture. Aussi la mort accidentelle de Philippe laisse Paul un moment désemparé mais il a suffisamment évolué pour pouvoir affronter la vie.
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Il est toujours difficile de parler d’une œuvre réalisée par un ami que l’on a connu un quart de siècle, d’autant plus que ce film a été comme une sorte d’homologation de ce que je ressentais au plus profond de moi. Je pressentais que ma future vie emprunterait des chemins qui auraient quelque chose à voir avec ceux parcouru par Paul et Philippe.
Gérard Blain a du révéler à bon nombre que le schéma éraste/éromène n’était pas qu’une figure de l’antiquité grecque mais que nous pouvions la vivre ici et maintenant.
Bien des fois le cinéaste a répété qu’avec Les Amis, pour la première fois dans le cinéma français, il avait présenté l’homosexualité d’une façon positive. C’est l’histoire d’une éducation, sentimentale et sociale tout à la fois, d’un adolescent par un homme mûr.
Bien que tourné avant, ce film est en quelque sorte la suite d’Un Enfant dans la foule dont il reprend le personnage principal. Ces deux films sont largement autobiographiques.
Gérard Blain a dû batailler quatre ans pour monter le projet. Lorsqu’il le présenta à la commission de contrôle, on lui répondit ceci le 7 août 1970 : « Les expériences masculines du jeune héros qui sont le sujet du film, l’aspect tout à fait normal et même bénéfique de ces expériences, que le film souligne, constituent de toute évidence un sujet cinématographique scabreux et, selon l’acceptation courante, contraire aux bonnes mœurs, au sujet duquel je ne peux, au stade actuel de la procédure, qu’émettre un avis défavorable. » Voilà où on en était en 1970, en est-on beaucoup plus loin aujourd’hui ?
Curieusement, dans un premier temps, Gérard Blain voulait confier la réalisation de son scénario à François Leterrier, un proche de Bresson dont il avait été l’interprète dans le téléfilm La guêpe et qui ne fut que son conseiller technique sur le film.
Gérard Blain parlait si bien et si franchement de ses films qu’il ne faut que lui laisser la parole et presque tout est dit : « J’ai voulu raconter une histoire simple. Une sorte de plaidoyer en faveur de l’affection et de la tendresse. Paul a 15 ans. Il est issu d’un milieu social modeste. Philippe a 45 ans. Il est imprimeur en province. Pas milliardaire mais assez fortuné pour s’offrir quelques week-ends à Deauville. La différence de milieux est très importante pour moi. Tous deux sont en rupture d’affection. Rupture d’affection familiale chez l’un, conjugale chez l’autre. Ce n’est pas un film sur les amitiés particulières. Qu’est-ce que cela veut dire –particulières ? Sans doute mon film n’escamote pas la liaison de Paul et de Philippe. Mais le propos sexuel me parait secondaire par rapport au propos affectif.
Je ne suis pas un intellectuel. Je crois être un instinctif. Un moment j’ai pensé faire de Philippe un intellectuel qui prendrait en charge l’éducation psychologique de Paul. Mais cela aurait été une caricature banale de Pygmalion. Certainement Paul et Philippe ne s’aiment pas de la même façon. Mais ils ont besoin l’un de l’autre. Lorsque Philippe se tue en voiture, n’y voyez pas je ne sais quel relent de moralisme chrétien. C’est simplement le destin, rien de plus. Cela permet en tout cas à Paul de prendre conscience de sa solitude. "J’aurais préféré perdre mon père et ma mère" avoue-t-il. C’est l’aboutissement du transfert. Dans le film ; il n’est question que d’amour. Le scandaleux ne m’intéresse pas.
J’ai besoin de parler de problèmes qui m’obsèdent. C’est-à-dire le besoin d’affection d’une part, d’autre part le rôle de l’argent dans le monde moderne... Je ne sais si Les Amis est un film de moraliste. Mais c’est certainement un film moral. Pour moi, est moral ce qui ne contrecarre pas l’épanouissement de l’amour. Paul, dans mon film, ne cherche qu’à aimer et à être aimé. Est-ce de sa faute si sa mère, puis cette jeune fille de bonne famille lui refusent le leur ?
Le cinéma ne doit pas être une copie de la vie, il doit être plus vrai. Je filme les êtres de la manière la plus directe, la plus droite possible sans faire de vagues inutiles autour d’eux, pour mieux tenter d’approcher leur mystère. »
Il ne faut donc pas chercher un quelconque naturalisme dans ce film qui refuse toute complaisance romanesque. Même si Gérard Blain était à la longue agacé que l’on s’y réfère à chaque fois que l’on parlait de son cinéma, on ne peut s’empêcher de penser en voyant Les Amis, au niveau de la forme, aux films de Robert Bresson. On y retrouve l’emploi d’interprètes amateurs, la prise de vue frontale, la rigueur du cadre presque toujours immobile et l’emploi autant que possible d’un seul objectif ne sont que les traces extérieures d’un cinéma placé sous le signe de l’évidence des êtres et des choses, ennemi de tout artifice pathétique. Cette manière de rester en retrait des sentiments fait la force des Amis.
Jamais Gérard Blain ne retrouvera un acteur comme Philippe March, un acteur aussi en phase avec sa mise en scène, pas même l’acteur Gérard Blain. Les Amis constitue l’un des deux seuls premiers rôles dans la carrière de Philippe March, avec celui du joueur, en 1963, dans La Baie des anges de Jacques Demy. Philippe March, grâce en partie à sa voix, à la fois blanche, monocorde, métallique, quelque peu nasillarde et gourmée, au service d’une diction qui parfois semble buter sur son texte puis s’accélère pour mieux traîner ensuite, donne à son personnage, très complexe, une présence inoubliable. Son aspect un peu trop élégant et sa distinction naturelle font de Philippe March l’image cliché que la société hétérosexuelle se faisait de l’homosexuel dans les années 60, forcément aisé, forcément dissimulé, forcément cultivé. Il promenait déjà semblable silhouette en 1966 dans Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville, en mauvais garçon précieux que l’on devinait ou plutôt que l’on devine aujourd’hui homosexuel.
La sobriété du jeu des acteurs, ajouté à la rigueur du scénario, élagué de toutes anecdotes non signifiantes, et à une mise en scène épurée font des Amis un film à la charge émotionnelle puissante.
Trop souvent Gérard Blain, cinéaste, a joué à l’artiste incompris, ce qui a grandement nuit à sa carrière, pour ne pas montrer que pourtant dès son premier film il avait été reconnu par ses pairs. Voici ce qu’écrivait François Truffaut à la sortie du film : « Le premier film de Gérard Blain est une œuvre intelligente, naturelle et d’une totale justesse de ton. Il a la franchise non d’une confession, mais d’un récit vécu. Gérard Blain a eu le courage de se priver de toutes précautions oratoires ; par exemple ce n’est pas à cause de la guerre d’Indochine que son jeune héros vit une aventure homosexuelle, mais simplement parce que son aîné lui apporte la sécurité, le confort, l’attention dont il a besoin. Avec Les Amis, Gérard Blain se révèle un cinéaste puissant, c’est-à-dire logique. La logique – logique du propos, du style, logique de l’exécution par rapport aux intentions – constitue, à mon avis, le seul point commun entre les bons cinéastes... Tout le film se déroule ainsi sous le signe de la simplicité et de la logique : pas d’enjolivures, rien de décoratif, pas un plan inutile et, à ce propos, j’attire votre attention sur l’accident de voiture, selon moi, le meilleur jamais filmé. »
Cette reconnaissance dépassait le monde du cinéma. Pour Les Amis, François Nourissier dans L’Express prit la posture du critique de cinéma : « Notre société offre peu de moyens, à des jeunes gens d’origine modeste, d’échapper à la médiocrité qu’à tort ou à raison ils redoutent. Le vedettariat (chanson), la prouesse sportive (cyclisme, boxe) sont de ces moyens. Et le brave travail quotidien, bien sûr mais qui croirait qu’il va bouleverser un destin ? Dans les faits, il existe une autre issue, difficile à prendre avec délicatesse : la prise en charge d’un adolescent par un adulte plus raffiné, plus riche, qui lui apprendra à se vêtir, à parler, à oser nommer ses dégoûts et ses désirs, en échange de quoi il l’introduira dans la complicité de sa singularité sexuelle. On peut s’en offusquer, cette sorte de relation existe. Elle est à l’origine de carrières accomplies et d’existences – assumées... Simples, discrets, par instant presque naïfs. Blain est parvenu à suggérer des tragédies très fragiles, que la moindre vulgarité réduirait à la chiennerie... On pourra considérer que Deauville, le luxe, les privilégiés sont filmés avec une candeur excessive. Mais n’est-ce pas ainsi que les voit, fasciné, le gosse à qui l’on offre soudain ce petit monde faisandé, parfumé ? Tout, dans Les Amis, est en demi-silences, en équivoques. C’est pourquoi la narration devait être d’une parfaite pudeur. Aidé par Philippe March et Yann Favre, Gérard Blain a réussi un difficile premier film. Un peu l’équivalent, sur le versant clandestin des sentiments, de ce que sont les Contes moraux de Rohmer sur leur versant orthodoxe. »
Les Amis ont reçu en 1971 le Léopard d’or au Festival de Locarno.
La très belle bande originale due à François de Roubaix connu un certain succès. Elle fut éditée sur un super 45 tours (4 airs) comme l’on disait alors.
Les Amis existe seulement en VHS chez René Château
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