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FILMS : Les Toiles Roses

Fiche technique :
Avec : François Négret, Hito Jaulmes, Raoul Billerey, Martine Sarcey, Arlette Gilbert, Henri Serre, Jean Pemeja, Gérard Dauzat et Olivier Picq. Réalisation : Fabrice Cazeneuve. Scénario et adaptation : Pierre Dumayet, d’après la nouvelle « Alcyon » de Pierre Herbart. Musique : Michel Portal. Image : Pierre Novion.
Durée : 90 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Au début du XXe siècle, une mutinerie éclate dans un pénitencier pour enfants installé sur une île. Les jeunes mettent le feu et s’évadent. Les gardiens, aidés par les notables de la région, organisent une chasse à l’homme pour retrouver les garçons qui courent nus dans la nuit. Certains sont repris ; quelques uns tentent de s’enfuir à la nage, la plupart se noieront. Les notables tirent sur les fuyards et l’un deux, Marceau, est blessé. L’un des gardiens (une baleine selon l’argot du lieu), le père Jules le tire de l’eau. Pour se dégager, le garçon le mord et s’enfuit à la nage malgré ses blessures. On ne retrouvera pas son corps.
Dix ans se sont passés. L’île a été désertée. Le pénitencier a été réinstallé sur le continent. Un des jeunes détenus, Fabien (François Négret) en est détaché pour travailler dans une ferme. Là, Marcel, le fils du propriétaire (Hito Jaulmes) recherche l’amitié de Fabien. Dans cette ferme se trouve un autre adolescent, Lino, (Roch Lebovici), plus âgé qui y a été placé par son père. Julien, craignant devoir retourner au pénitencier, décide de s’enfuir pour l’île en entraînant Julien. L’île devient un refuge édénique aux confins de la réalité. Les deux robinsons sont approvisionnés par Lino. Quelques temps après leur abordage, ils s’aperçoivent que l’île est habitée par le père Jules qui garde les ruines du pénitencier. Le vieux gardien à la mémoire brouillée croit reconnaître en Fabien, Marceau. Fabien, au fil des jours, s’identifie de plus en plus à Marceau. Inquiet de la transformation de son ami, Marcel décide de regagner le continent pour s’engager et faire la guerre qui a éclaté. Fabien se prend si bien pour Marceau qu’il engage un duel mental avec l’ancien garde-chiourme, amenant le vieil homme aux limites de la folie, l’incitant à tuer celui qu’il aime...

L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Voici une brillante réalisation quelque peu trahie par ses interprètes, non qu’ils soient calamiteux, seulement un peu juste devant la lourde tâche qui leur incombaient. Voilà un constat que l’on fait très rarement pour les productions américaines, même télévisuelles, et quasiment jamais dans les britanniques. Pourquoi ? Alcyon est un film qui amène bien des questions, ce qui est la marque des œuvres fortes même lorsqu’elles ne sont pas complètement abouties. Ce film marque bien les limites des productions télévisées françaises, malgré ici le talent de son réalisateur. La première difficulté lorsque l’on veut faire jouer des adolescents dans notre pays, outre les moults entraves purement juridiques, est que l’on a presque toujours affaire à des débutants complets. Ceux-ci, à de très rares exceptions, ne lisant pas, ne sont pas habitués au respect du texte. Deux défauts qu’ont rarement les jeunes acteurs anglais, qui souvent se frottent à l’art théâtral dès huit ans et se mettent en bouche à un très jeune âge les textes de Shakespeare alors qu’ils sont certes loin de pouvoir en appréhender tous les sens, mais ils sont rompus à la musique de la langue d’un théâtre qui, en plus, demande des qualités physiques plus grandes et diverses que le théâtre classique français. Nos jeunes aspirants comédiens eux, attendent le plus souvent seize ans pour s’initier au jeu quand ce n’est pas dix-huit, après le fameux : « Passe ton bac d’abord ». En Angleterre, le métier d’acteur jouit d’une aura, d’une respectabilité qu’il n’a pas en France où l’acteur est encore considéré trop souvent comme un saltimbanque, un crève-la-faim un peu louche et vaguement bravache. Le syndrome du capitaine Fracasse est encore bien présent. La situation s’est encore aggravée par rapport à l’époque du tournage d’Alcyon. Toute une partie de la population, la moins cultivée, ne voit que la starification, ce qui ne concerne qu’une infime minorité de la profession. Les adolescents veulent être acteurs alors que pour vivre matériellement ici on ne peut être que comédien. Voilà quelques faits, il y en a bien d’autres, avérés et vérifiés qui expliquent la fréquente médiocrité des jeunes acteurs français en comparaison de leurs camarades américains et britanniques.
Le scénariste, Pierre Dumayet qui fut un des grands inventeurs de la télévision française en son âge d’or et que l’on est un peu surpris de retrouver au générique, a été trop timoré. Il n’a pas voulu rendre trop explicite l’attirance sexuelle entre les deux garçons qui est suggérée dans le livre, dans lequel il faut beaucoup lire entre les lignes. On peut penser à la lecture que ce désir est consommé lors de la dernière nuit que les deux garçons passent ensemble dans l’île. Dans le film, elle est escamotée. Il n’a pas voulu non plus s’engager plus avant dans la voie du fantastique qui, elle aussi, est en filigrane du texte. Fabien est-il possédé par le fantôme de Marceau ? Lorsque Marcel découvre une cicatrice près de la lèvre de Fabien endormi, marque qu’il n’avait jamais remarquée jusqu’alors et qui serait apparue soudainement…
Si l’époque est précisément située, les deux garçons abordent l’île dans les premiers jours de l’été 1914, le lieu en revanche est indéfini. Sont-ce les tonalités de l’image, très belles, ou parce que l’on sait que le seul bagne pour enfants sur une île était celui de l’île de Ré, que l’on est persuadé d’être au bord de l’Océan. Alors que le film a été tourné dans les îles d’Hyères à Port Cros et à Porquerolles et que la nouvelle d’Herbart est située dans les Maures.
On sent chez Fabrice Cazeneuve un vrai bonheur à filmer la nature mais plus encore les corps adolescents. On entrevoit leur nudité éclairée à l’incendie du pénitencier.
Pierre Herbart est un grand méconnu de la littérature française du XXe siècle. Ses livres ont un ton, un style et un parfum uniques qui font regretter qu'il soit si oublié et qu'il ait, finalement, si peu produit. On y parle de garçons et de putains, de ports, de bateaux étranges et de voyages incertains, de nuits brumeuses, de solitudes urbaines illuminées par le seul fait d'exister, de corps radieux aimés dans d’impérieux désir. "L'Âge d'or" est l'un des plus beaux récits gays qui soient, sans discours de légitimation ni pathos. "Le Rôdeur", "'La Ligne de force" ou "'Alcyon" produisent le même envoûtement. L’écrivain avait entrepris, avec Jean Grémillon qui devait tourner le film, de tirer un scénario d’Alcyon.
Un bagne d’enfant est aussi le sujet de La révolte des enfants de Gérard Poitou-Weber et devait être celui de La Fleur de l’âge que Marcel Carné n’a jamais terminé.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Felicity Huffman, Kevin Zegers, Fionnula Flanagan, Elizabeth Pena, Burt Young, Carrie Preston, Venita Evans, Raynor Scheine, Grant Monohon et Jon Budinoff. Réalisation : Duncan Tucker. Scénario : Duncan Tucker.  Directeur de la photographie : Stephen Kazmierski. Musique originale : David Mansfield & Dolly Parton.
Durée : 103 mn. Bientôt disponible en VO, VOST et VF.

L’avis de Matoo :
C’était un sacré risque de faire un film sur ce sujet, et encore plus de la part d’une production bien américaine, or cette œuvre a évité tous les travers. C’est bien de transsexualité dont il s’agit, et même si le scénario est un peu convenu et bateau (le trans qui a eut une seule relation sexuelle hétéro, et qui a un fils qui débarque 17 ans plus tard), le film ne verse pas dans un ridicule pathos, réussit miraculeusement à ne pas mettre les deux pieds dans la transphobie, ne joue pas les moralisateurs et utilise avec un parfait dosage les blagues qu’on attendait du « Chick with a dick » (sans que ce soit trop vulgaire ou caricatural).
Mais plus que d’évoquer les écueils évités, il faut tout de même avouer que les personnages sont attachants, l’histoire est excellente, l’humour est irrésistible et le fond permet aussi de véhiculer un important message. C’est donc une vraie réussite pour cette comédie qui émeut sans emphase superflue, et qui réussit même à surprendre de temps en temps. Le personnage de la mère ou l’ultime fin, ce sont deux moments qui auraient pu être traités de manière beaucoup plus conventionnelle.
Il faut évidemment saluer la brillante performance de Felicity Huffman qui fait montre là d’une sacrée prouesse de comédienne. Elle est vraiment parfaite dans ce rôle, qu’elle tient avec brio de bout en bout. Son fils dans le film, Kevin Zegers, est un mignon petit mec qui ne manque pas non plus de retenir l’attention. Et globalement, les personnages sont tous plutôt bien campés et attendrissants.
Bree est donc une transsexuelle qui doit se débarrasser définitivement de son sexe d’homme dans quelques jours. Or elle reçoit un coup de fil d’un jeune garçon qui se dit être le fils de « Stanley », son nom d’homme. Ainsi elle réalise qu’elle est « le père » d’un jeune délinquant à problèmes. Sa psy, pour donner un aval final à l’opération, lui recommande de gérer cela, et voilà Bree qui traverse le pays pour aller chercher son fils en détention à New York, et tenter de le ramener à la raison. Finalement, un road movie entraîne les deux personnages dans de rocambolesques aventures, mais sans que le fils sache que Bree est son père, ou même trans.
Le personnage de Bree est vraiment d’une frappante justesse, autant dans sa motivation pour réconcilier son sexe psychologique et biologique, que dans les souffrances qu’elle endure pour cela, ou dans la transphobie qu’elle affronte quotidiennement. Mais le film fourmille aussi de blagues géniales, et de bons mots qui provoquent de sincères éclats de rire (très bons dialoguistes). Les scènes avec les parents de Bree notamment sont d’une extraordinaire tragicomédie !
Et cette « traversée de l’Amérique » (explication littérale du titre) sera autant le voyage de Bree vers l’opération, mais aussi vers une réconciliation avec sa famille, et finalement son passé. Voilà un film qui mérite tous les suffrages, tant il arrive à être drôle, touchant et intelligent.

L’avis d’Oli :
Bree va se faire opérer dans une semaine pour un changement de sexe. Mais elle reçoit un soir un coup de fil de quelqu'un qui prétend être le fils de Stanley. Stanley, c'était elle, avant. Sa conseillère en vie meilleure (sic) lui demande alors de tirer cette affaire au clair pour être bien dans sa tête avant l'opération. Début d'un road movie entre une quadra aux prises avec son problème d'identité et un ado de 17 ans lui-même assez décoiffant.
On ne peut pas parler de ce film sans s'intéresser à ses aspects anecdotiques. L'actrice qui joue Bree, c'est Felicity Huffman. Qui juste après le tournage de ce film est allée incarner Lynette Scavo, mon personnage préféré de Desperate Housewives (celle qui a du mal à tenir ses mômes). Amusant donc de voir qu'elle porte (par un pur hasard apparemment) le même prénom qu'un autre personnage des Desperate Housewives, Mrs. van de Kamp. Et la date de sortie du film en Europe indique donc que le montage du film a dû être assez long. Et ça se voit.
J'ai bien aimé ce film pour des tas de raisons. Felicity Huffman réalise un tour de force vocal, à la mesure de celui de Philipp Seymour Hoffman dans Capote, en interprétant un homme imitant une voix de femme. Tiens, les 2 acteurs ont presque le même nom de famille et ont tourné dans Magnolia tous les deux.

L’avis de stef-trans-ftm-gay :
Les médias axent dans la majorité des cas le sujet trans autour de l'opération avec « un grand O ».
Ce film met à nouveau l'opération comme déterminant tout le parcours trans, c'est d'ailleurs la base du scénario de ce film.
Le rapport avec le psychiatre, bien qu'étonnant vu les liens qui ne paraissent pas vraiment professionnels mais plutôt amicaux, reflète assez la réalité quand au pouvoir que s'octroient les psychiatres sur notre vie. Le fait de mentir au psychiatre est une réalité.
Sauf qu'à ma connaissance, les psychiatres ne détectent pas les mensonges. Les trans mentent afin de correspondre aux critères établis par les psychiatres et ce n'est pas neuf (pour info, les critères trans primaires et trans secondaires ont été enlevés du « Standart of care » à cause de cela – ex : des trans homosexuel(le)s se disaient hétéros).
Le scénario de ce film met en scène une trans qui est forcée par une psychiatre, pour accéder à son opération, de s'occuper de son fils
Ce qui laisse supposer qu'une trans préférerait abandonner ses enfants plutôt que de renoncer à une opération. Et cela laisse supposer qu'il y a un choix à faire. C'est dire : « Merci monsieur le psychiatre d'empêcher cela ! » et en conclure que le psychiatre est indispensable.
Le pouvoir du psychiatre est malheureusement bien réel, la notion d'aide qu’il amène est par contre totalement fausse quand il s'agit de parcours trans. Quelqu'un qui a le pouvoir sur nous ne peut nous aider, si aide psychologique il y a besoin, c’est pour cela que les trans conseillent d'aller consulter un psychiatre qui n'a pas le pouvoir sur notre transition.
D'autre part, je m'interroge : avoir comme père une femme avec pénis ou une femme avec vagin est-il vraiment déterminant dans la relation parent-enfant ?
Problème complètement erroné, car vivre dans son bon genre non opéré a déjà placé le trans face à ses enfants, sa famille, ses amis (ect.)… bien avant la « fameuse opération ».
Cette absurdité est la réalité de pas mal de psychiatres.
Est passé à nouveau sous silence, le fait que tous les trans ne veulent pas se faire opérer, et que l'opération est loin d'être l'axe central de la réalité trans.
Message du film : la trans qui se soumet au psychiatre qui la « sauve » a droit a son opération... et est enfin accomplie/finie…
« Happy end » ?

Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec River Phoenix, Keanu Reeves, James Russo, William Richert, Rodney Harvey, Chiara Caselli et Jim Caviezel. Réalisé par Gus Van Sant. Scénario : Gus Van Sant. Directeur de la photographie : John J. Campbell et Eric Alan Edwards. Compositeur : Bill Stafford.
Durée : 105 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Scott et Mike sont prostitués et amants. Mais si Scott, dont le père est très riche et qu'il déteste, a un avenir tout tracé, Mike, quant à lui, traqué par ses souvenirs, sombre dans des crises de narcolepsie. Au cours d'un voyage en Italie, Scott tombe amoureux de Carmella et abandonne Mike.
L'avis de Jean Yves :
Est-ce un rêve ou est-ce le réalisme cru des bas-fonds urbains et de la prostitution ? Le film de Gus Van Sant, My Own Private Idaho, navigue subtilement entre ces deux univers. Un itinéraire indispensable pour décrypter l'aventure du jeune héros Mike Waters (River Phoenix), tapin à l'enfance brisée, ado en quête d'un futur moins amer.
Le film de Gus Van Sant s'ouvre sur le visage de River Phoenix, un ancien duvet clairsemé sur ses joues d'enfant glabre, le cheveu en bataille. Le garçon bat des paupières, il a le souffle court, il paraît en transe : on croit à une épilepsie, sa tête se renverse et le râle s'enfle.
Et puis l'image recule, la caméra prend dans son champ la silhouette d'un homme très laid qui se retire furtivement. On comprend que Mike Waters vient d'éjaculer. Avec cette fellation proprement expédiée, on entre dans le vif du sujet.
Voilà pour le réel, à ras de terre. Puis l'image s'envole vers les nuées, dans un accéléré fuligineux, celui de la mémoire du héros, qui peuple malgré lui ses rêves fugaces, car Mike s'évade, par intermittence, dans de brusques accès de narcolepsie (ne pas rater le prélude, qui nous en donne la définition, dans le dictionnaire : sommeil transitoire et irrésistible). Cette pathologie, dans le film, n'a rien de purement accessoire : l'histoire se développe tout entière à travers le prisme de cette conscience brouillée, vulnérable, qui dans ses visions s'échappe vers son enfance brisée, vers cette mère absente et la violence lacunaire d'un passé trop amer.
L'Idaho du titre, c'est celui de la terre natale (« my own private... »), mais surtout le paysage intérieur du héros dont le film n'est jamais que la projection. Le réel y traverse le rêve, plutôt que l'inverse.
Un autre registre du film n'est pas moins frappé d'irréalité : c'est celui des bas-fonds urbains, revisités par une caméra virevoltante, instable. En plus, le réalisateur force parfois outrancièrement la couleur.
C'est dans la mouvance de Bob Pigeon (William Richert) et de sa colonie de paumés que Scott Favor (Keanu Reeves) a pu faire sécession d'avec son milieu d'origine, représenté par un père acariâtre, veuf en chaise roulante qui persiste à protéger son fils du haut de ses fonctions municipales. Par défi, le jeune homme s'est lancé dans la prostitution – comme on monte une entreprise d'import-export. Rien à voir avec Mike, pour qui c'est une question de survie matérielle et de traumatisme moral.
Scott et Mike sont deux largués qui, chacun à leur manière, n'en finissent pas de courir après une famille improbable. Aux refuges cataleptiques de Mike répondra le vagabondage de Scott. Leur périple en Italie, sur les traces d'une mère introuvable, est comme un voyage de noces raté. C'est bien sur ce sentiment d'exclusion que se fonde leur complicité.
Le vrai sujet du film est là, dans l'intimité de cette relation entre deux garçons qui partagent leur exil dans la prostitution : ils ne vendent leur corps que pour garder leur âme. Le tapin, dans les hôtels de Portland, n'est pas vécu par eux comme une dégradation. C'est un spectacle : d'où la séquence incroyable ou Hans, l'industriel allemand, fait son show dans la chambre du palace.
Entre Mike et Scott, la relation culminera dans ce tête-à-tête noctambule, auprès d'une énorme flambée : sans aucun doute une des plus belles déclarations d'amour de tout le cinéma. Cette scène est la plus forte du film. Répliques maladroites, voix nouées, le dialogue se suspend autour de quelques mots arrachés au silence, pour chuter dans une étreinte muette. À cet endroit du film, l'émotion passe, plus que partout ailleurs.
« Deux mecs peuvent pas s'aimer... », lâchera Scott, « Moi, je crois que je pourrais aimer quelqu'un, même si c'est pas pour le fric... » L'amour tâtonne vers son aveu. Et le lent cheminement de la trahison est le parcours le plus profond de cette histoire hybride, baroque, où s'imbriquent sans faux-semblants les transactions du sexe et les échanges du désir.
Gus Van Sant a fait un film illuminé d'une formidable générosité, et d'une grande tendresse vis-à-vis de son héros, Mike, cet ado valétudinaire, errant entre deux songes tétanisés.
Au détour de leur périple italien à la recherche de la mère de Mike, Scott ramasse pour finir une Carmella (Chiara Caselli) des faubourgs. À cette rencontre, il sacrifie brutalement son compagnon.
La caméra repart à la poursuite de Mike, seul, dépouillé de tout, dans son « own private Idaho » échevelé, sans horizon.
Dans la dernière image, en contre-plongée, une ultime voiture stoppe, vue de très loin, une silhouette se penche sur le corps de Mike évanoui sur la chaussée, le soulève, l'emporte : chaque spectateur peut s'identifier à ce hasard secourable.

Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec River Phoenix, Keanu Reeves, James Russo, William Richert, Rodney Harvey, Chiara Caselli et Jim Caviezel. Réalisé par Gus Van Sant. Scénario : Gus Van Sant. Directeur de la photographie : John J. Campbell et Eric Alan Edwards. Compositeur : Bill Stafford.
Durée : 105 mn. Disponible en VO, VOST et VF.

Résumé :
Scott et Mike sont prostitués et amants. Mais si Scott, dont le père est très riche et qu'il déteste, a un avenir tout tracé, Mike, quant à lui, traqué par ses souvenirs, sombre dans des crises de narcolepsie. Au cours d'un voyage en Italie, Scott tombe amoureux de Carmella et abandonne Mike.
L'avis de ACTE :
Mike Waters, jeune prostitué homosexuel hanté par le souvenir d'une mère, dont il a perdu la trace, et les champs de son Idaho natal, fait partie d'une bande de marginaux regroupés derrière un clochard lyrique. Sujet à de fréquentes crises de narcolepsie, Mike erre de cafés en hôtels de passe. Il rencontre Scott, prostitué également, et le persuade de l'aider à retrouver sa mère. Ensemble, ils partent pour l'Idaho...
Inspiré d'une pièce de Shakespeare (Henri IV), et adapté à la sauce Van Sant pour le grand écran, ce film remarquable est complètement dans l'esprit du cinéaste.
Longue métaphore sur le thème de l'homosexualité et de la prostitution, ce film est magistralement interprété par Keanu Reeves et River Phoenix, qui disparaîtra à l'âge de 24 ans, à la fin de l'année 1993, soit deux ans seulement après ce film, dans lequel il remportera le prix d'interprétation masculine, partagé avec Keanu Reeves, au festival de Venise.
Sublime œuvre indépendante, qui laisse voir à l'époque, l'immense talent de Gus Van Sant, qui réutilisera les plans longs, les travellings lents et le style visuel, dans Elephant et Gerry. My own private Idaho est un film expérimental, une chronique à mi chemin entre le film et le documentaire. Il fascine par la réalité de ses événements, par la justesse de ses images, et par son thème, peu évident, mais maîtrisé...

L’avis de Fritz :
Il est des films, des livres ou des peintures qui bien qu’ancrés dans un réalisme sans artifice vous transportent dans une espèce de voyage onirique. Une œuvre qui vous intrigue, vous imprègne et vous touche. Ce troisième film de Gus Van Sant est de cet acabit. Road movie sans concession, on se passionne pour le parcours chaotique de Scott et Mike, qu’on nous livre à l’état brut tant au niveau de leur sordide existence qu’à travers leur bouleversante relation à la limite de la fraternité et de l’homosexualité. Gus Van Sant les fait évoluer tantôt en vase clos, tantôt dans de grands espaces juste pour mieux signifier combien ils exècrent les contraintes et leur énorme besoin de liberté. D’une sobriété implacable, sa mise en scène vise le minimalisme qui dans le contexte sert cette extraordinaire histoire. River Phoenix et Keanu Reeves sont purement et simplement bluffants. Un film incontournable !
Pour plus d’informations :

Fiche technique :
Avec Thomas Ian Griffith, Daphné Ashbrook, William R. Moses, Andrew Robinson, Thion Mathews, Michael Ensign et Matthieu Carrière. Réalisation : John Nicolella. Scénario : Dennis Turner, d’après l’ouvrage de Phyllis Gates. Images : Newton Thomas Sigel. Musique : Paul Chihara. Son : Tom Hartig. Montage : Peter Parasheles.
Durée : 100 mn. Disponible en VO et VF.
Résumé :
Première biographie de Rock Hudson (1925-1985) (Thomas Ian Griffith) plus axée sur sa vie privée que sur sa carrière cinématographique. Elle nous montre comment sous les hospices intéressées d’un agent pygmalion (Andrew Robinson), un beau chauffeur-livreur, à force de travail et du reniement de son homosexualité devient une grande star dans le Hollywood des années 50 et, ironie du sort, la coqueluche de toutes les femmes américaines. En 1955, il épouse Phyllis Gates (Daphné Ashbrook), une employée du studio. Ce mariage arrangé lui permet d'échapper aux tabloïdes qui menacent de révéler son homosexualité. Il divorce quelques mois plus tard. Le film montre l’envers du décor de la gloire. Le constant déchirement que Rock Hudson vivait entre l’envie de vivre au grand jour son homosexualité et la contrainte que lui imposait Hollywood. Après une carrière bien remplie au prix d’une vie privée en contrebande, lorsqu’il est atteint du sida son homosexualité est révélée au grand jour.
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Le film est basé sur le livre de Phyllis Gates, son épouse, et sur les minutes du procès post-mortem que lui a intenté son ancien amant, Marc Anthony (William R. Moses).
Il est tourné par John Nicolella, décédé en 1998, surtout connu pour ses réalisations à la télévision, en particulier de nombreux épisodes de la série Miami vice. Il redonnera la vedette à Thomas Ian Griffith dans son denier opus, une héroïc fantasy, Conqueror (1997). Plus que par sa réalisation sans aspérité, le film vaut par son interprétation. Les acteurs, tous des vieux bons routiers de la télévision, dont certains interprètent des célébrités de Hollywood comme Doris Day, Raoul Walsh ou Robert Stark sont bien choisis. Le film, à ce propos, nous amène à une première interrogation : comment expliquer qu’un acteur aussi convaincant ici que Thomas Ian Griffith, certes aidé par une incontestable ressemblance avec son modèle, soit cantonné dans des série B d’action ? Question d’époque ?
Andrew Robinson, qui joue l’agent mentor, figure également dans une autre biopic d’une personnalité gay, Liberace, dans lequel il interprète le rôle titre. Une curiosité dans la distribution, pour nous Français, la présence fugitive en médecin de Matthieu Carrère qui jadis en a émoustillé plus d’un.
Un autre film a été tourné sur la vie de Rock Hudson : Rock Hudson Home Movies (1992) de Martin Rappaport. Lui aussi met en évidence l’homosexualité de l’acteur mais pour tirer le film vers la comédie caustique.
Plus intéressant que le film lui-même sont les réflexions qu’il engendre. Un jeune spectateur d’aujourd’hui, qui la plupart du temps ignorera tout de Rock Hudson, jusqu’à son nom et totalement le contexte de l’époque, portera sans doute un jugement sévère sur l’homme. Il ne verra en lui qu’un opportuniste, qui obéissant aveuglément à son agent, est parvenu, à force de travail et du reniement de son homosexualité, avec comme tout bagage son physique avantageux, à se hisser au sommet de la hiérarchie hollywoodienne et devenir, ironie du sort, la star préférée des femmes. Alors que je serais plus enclin à voir dans le parcours de l’acteur un chemin de souffrance d’un homme qui a toujours choisi sa passion du cinéma au détriment de son moi profond, au prix d’un déchirement de chaque instant. En dépit de tout, il faut être admiratif pour un homme, qui au début peu doué, a appris son métier à force de volonté et de travail pour devenir un grand professionnel. Il a su non seulement amuser dans les nombreuses comédies auxquelles il a participé mais aussi émouvoir dans de grands films comme Écrit sur le vent de Douglas Sirk.
Il ne faudrait pas croire que de telles vies relèvent du passé. Comptons les premiers rôles, et même les deuxièmes, du cinéma américain qui vivent ouvertement leur homosexualité (par charité, ne parlons pas du cinéma français). Nous arrivons à... zéro. Qui peut croire qu’aujourd’hui parmi les grands noms du box-office il n’y ait pas d’homosexuels !
Le film est édité chez Optimale avec comme seul bonus la bande annonce du film et sans même une filmographie de Rock Hudson. Plus grave, on a juste le choix entre la version américaine non sous-titrée et la version française, plutôt passable.

Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Avec Arsinee Khanjian, Grabielle Rose, David Hemblen, Elias Koteas, Maury Chaykin et Jennifer Dale. Réalisation : Atom Egoyan. Scénario : Atom Egoyan. Directeur de la photographie : Paul Sarossy. Compositeur : Mychael Danna
Durée : 102 mn. Disponible en VO et VOST.

Résumé :
Un expert en assurance, sa femme, censeur de films, un ex-joueur de football américain, une apprentie majorette, un podologue, une actrice, un vendeur en luminaires, un collectionneur de papillons et le personnel d'un motel vont, par une suite de hasards confronter leurs vies. « J'ai voulu faire un film sur des personnages réels commettant des actes crédibles de manière fantasque. » (Atom Egoyan)
Lire le synopsis complet du film
L’avis de Jean Yves :

Sexe, porno, censure et perversité, ce sont les thèmes du film d'Atom Egoyan, The Adjuster.
Ces thèmes parcourent ce film hors du commun, tant par l'intrigue elle-même que par son traitement foncièrement original.
Le titre : The Adjuster, qu'on peut traduire par « L'expert en sinistres », soit celui qui juge de l'importance des dommages auprès des compagnies d'assurances. C'est la profession du héros, Noah Render. Il est en plus passionné de tir à l'arc. Il est, en somme, le « juste » qui ajuste le tir : celui qui a le pouvoir de changer le destin des gens. Noah est également celui qui délivre, qui emporte, qui protège.
Les autres personnages ? Un couple d'homosexuels, deux sœurs voyeuses et nymphomanes, Bubba, un cinéaste ex-joueur de football américain, un collectionneur de papillons... Leurs actes ? Manqués, ou gratuits. Ou bien irréparables. Leurs raisons ? Fantasques.
La narration est éclatée : le film apparaît construit comme un puzzle, dont on a parfois du mal à reconstituer les morceaux.

En français, le mot « Adjuster » se charge quelque peu d'une connotation sexuelle : ne dit-on pas « ajuster le tir », mais aussi, plus trivialement « tirer son coup ». Noah passe beaucoup de temps à réconforter les sinistrés, et parfois même très intimement. Tous et toutes, y compris le patron du motel et la femme de ménage, profitent de leur bienfaiteur.
Le personnage de Noah m'a ainsi rappelé l'ange de Théorème qui descend sur terre pour coucher avec toute la famille. À la différence que Noah, contrairement au visiteur joué par Terence Stemp dans le film de Pasolini, ignore son influence sur les victimes qu'il tente de consoler. Il est lui aussi en état de choc. Noah se sent exclu de ces familles dans l'intimité desquelles son métier le fait entrer malgré lui. C'est pour lui une épreuve difficile d'évaluer ce que sont les gens, à travers la nomenclature de ce qu'ils possèdent.
Au début du film, on voit une main, illuminée artificiellement ; à la fin, c'est le feu purificateur, l'immolation de Bubba. Le film est comme traversé par le thème de la rédemption : Noah, à travers l'exercice de son métier, apprend à se détacher de l'idée de la famille. Il découvre qu'elle ne signifie pas forcément l'équilibre. C'est surtout un système tyrannique de valeurs.
Avec cet homme inconnu, Noah l'«adjuster», les sinistrés ont le sentiment d'être redevenus des enfants entre ses mains providentielles.
Ce film s'interroge sur cet homme chargé d'évaluer, à travers cette liste d'objets, les « valeurs » de chacun. Et du coup, se pose la question de savoir si les valeurs matérielles coïncident avec les valeurs morales.
Hera, l’épouse de Noah, travaille pour un comité de censure et visionne des films pornographiques. Dans son travail de censure, Hera protège des valeurs, en déterminant ce qui peut être vu ou pas. Le spectateur, en confrontant, les deux rôles de Noah et d'Hera, est amené à constater que si la maison est construite sur l'illusion de posséder des choses, la censure est elle-même fondée sur l'illusion de posséder des valeurs.
Dans le film, on ne voit jamais les pornos que se visionnent les censeurs, par contre on les entend, comme si la censure s'attaquait aux images, jamais au son. Et l'ironie, dans ces passages, c'est que ce qui est donné à entendre, c'est l'expression du tabou suprême, l'inceste, le meurtre.
The Adjuster n'est pas un film moraliste : il ne juge absolument pas telle où telle forme de sexualité même quand cela passe par la perversion. Noah veut, obsessionnellement, le bien ; il est hétéro, mais capable de transgresser sa propre sexualité, pour se confondre, pour se comprendre à travers ces gens. Il a toujours besoin de nouveaux « partenaires » et c'est sans doute sa névrose à lui.
Ce film semble ainsi vouloir transmettre que l'identité sexuelle d'un individu n'est jamais établie une fois pour toutes.
Pour plus d’informations :



Fiche technique :
Avec Coco P. Dalbert, Sammy Solomon, Gerald F. Hail, Gbartokai Dakinah, Konrad Fields, Johnny Conny et Tony Thomas. Réalisé par Morten Lindberg. Produit par Morten Lindberg et Per Kristensen. Directeur de la photographie : Henrik Kristensen. Effets spéciaux : Per Kristensen.
Durée : 28 mn. Disponible en VO.


Résumé (dos du dvd) :
L'Univers. Tout puissant. Une évolution qui ne peut être arrêtée par personne. Dans toute sa splendeur, c'est l'endroit parfait pour vivre, rempli de joie et d'harmonie. Un espace de liberté, où les hommes peuvent s'exprimer et être tels qu'ils étaient à leur naissance. Car quelqu'un veille. Parce ce que quelqu'un fait attention à nous. Lorsque nous dormons, lorsque nous jouons. Lorsque nous sommes naturels. Ce film est consacré à ceux qui risquent la mort pour garantir une vie dans un univers merveilleux et libre. C'est un film sur les Gayniggers From Outer Space.
Les Gayniggers viennent de la planète Anus, dans le Système du 8e Soleil, très, très loin d'ici. Ils sont beaucoup, beaucoup plus intelligents que n'importe quelles autres créatures de l'Univers. La chose la plus fascinante chez eux, c'est que grâce à leur intelligence supérieure et leur don télépathique extrêmement développé, ils ont été capables de créer un monde parfait. UN MONDE UNIQUEMENT PEUPLÉ D'HOMMES !

L'avis de Olivier P. :
A bord de leur vaisseau Ringmusculaturus II, le Capitaine B. Dick et son équipage parcourent l'univers. Leur mission : la sauvegarde de l'univers. Jusqu’à ce qu’ils découvrent une nouvelle planète : la Terre. Comble de l'horreur, la moitié de la population indigène est composée de femelles. N'ayant jamais affronté ce genre de créatures, ils envoient en éclaireur ArmInAss pour recueillir des informations sur le sujet.
Après l'avoir préparé mentalement à affronter ces monstruosités, il est téléporté dans une rue chaude, où il est immédiatement abordé par une prostituée. Sous le choc, il a juste le temps de la désintégrer avec son pistolet laser avant de revenir à bord du vaisseau. Pour comprendre ce qu'il lui est arrivé, on branche son cerveau à l’ordinateur de bord. C’est ainsi l'équipage, grâce à la vidéo, assiste avec horreur à une scène insoutenable : un baiser entre un homme et une femme.
Le Capitaine contacte immédiatement son supérieur en lui relatant les faits, et il lui est ordonné de nettoyer la planète pour sauver ses frères terriens. La Terre doit devenir gay. Commence alors l'opération « Operation Female Termination ». Les membres de l'équipage sont envoyés en Russie, à Pékin et à Hambourg pour détruire toute présence féminine.
A l'issue de leur mission, ils choisissent un des leurs pour devenir Gay Ambassador. Pour cela, il change de corps et opte pour un type occidental afin d’enseigner à l'Homme comment vivre heureux sur une planète gay et comment se reproduire, en n'ayant bien entendu que des garçons.
On l'aura compris, The Gayniggers From Outer Space est un pastiche de la cultissime série de science-fiction Star Trek speedé à la musique Disco et dont le scénario se résume à cette mission abracadabrante : faire de l'Univers (donc la Terre, par conséquence) un lieu gay. On passera sur le coté fortement misogyne du sujet, pour retenir qu'il s'agit surtout d'une énorme comédie jouissive qu’il faut prendre au premier degré (il suffit de voir les noms des membres de l'équipage), filmée avec les moyens du bord et dotée d’effets spéciaux dignes des séries Z des années 50. Hommage aussi à Ed Wood ? La majeure partie du film est tournée en noir et blanc, la couleur ne faisant son apparition qu’une fois la mission accomplie et la Terre peuplée uniquement d'hommes.

Pour plus d’informations :
Un site étrange

Fiche technique :
Avec Philippe March, Yann Favre, Jean Claude Dauphin, Nathalie Fontaine et Liliane Valais. Réalisation : Gérard Blain. Scénario : Gérard Blain et André de Baecque. Images : Jacques Robin. Musique originale : François de Roubaix. Son : Raymond Saint-Martin. Montage : Bob Wade.
Durée : 100 mn. Disponible en VF.

Résumé :
Paul (Yann Favre), un adolescent instable de quinze ans, issu d’une famille modeste et désunie est livré à lui-même. Il souffre de la médiocrité de son milieu. Il fait la connaissance de Philippe (Philippe March), la quarantaine, un riche industriel marié sans enfant qui possède des usines en province, mais ses affaires l’obligent à monter régulièrement à Paris. Une amitié réciproque s’instaure entre eux. Bientôt, ils deviennent amants. Philippe se passionne pour la fougue instinctive de Paul, pour cette intelligence vive qui ne demande qu’à s’exprimer. Il le guide, le conseille, l’aide à devenir un homme. Il devient la source d’épanouissement qui manquait au garçon. Tout d’abord Paul continue à vivre chez sa mère, tout en voyant Philippe, de plus en plus fréquemment. Ils font des projets, échangent des confidences parfois intimes. Paul voudrait faire du cinéma. Comme ils l’avaient décidé, Philippe et Paul se rendent à Deauville. Paul y fréquente la jeunesse dorée locale. Il joue un mauvais rôle d’adolescent vantard. Il s’amourache de Marie-Laure, une jeune fille qui appartient à ce groupe. Mais cet amour n’est pas réciproque. Paul revient vers Philippe. Il s’inscrit à un cours de comédie où il fait des progrès rapides. Mais bientôt c’est le drame. Philippe se tue dans un accident de voiture. Aussi la mort accidentelle de Philippe laisse Paul un moment désemparé mais il a suffisamment évolué pour pouvoir affronter la vie.
L’avis de Bernard Alapetite (Eklipse) :
Il est toujours difficile de parler d’une œuvre réalisée par un ami que l’on a connu un quart de siècle, d’autant plus que ce film a été comme une sorte d’homologation de ce que je ressentais au plus profond de moi. Je pressentais que ma future vie emprunterait des chemins qui auraient quelque chose à voir avec ceux parcouru par Paul et Philippe.
Gérard Blain a du révéler à bon nombre que le schéma éraste/éromène n’était pas qu’une figure de l’antiquité grecque mais que nous pouvions la vivre ici et maintenant.
Bien des fois le cinéaste a répété qu’avec Les Amis, pour la première fois dans le cinéma français, il avait présenté l’homosexualité d’une façon positive. C’est l’histoire d’une éducation, sentimentale et sociale tout à la fois, d’un adolescent par un homme mûr.
Bien que tourné avant, ce film est en quelque sorte la suite d’Un Enfant dans la foule dont il reprend le personnage principal. Ces deux films sont largement autobiographiques.
Gérard Blain a dû batailler quatre ans pour monter le projet. Lorsqu’il le présenta à la commission de contrôle, on lui répondit ceci le 7 août 1970 : « Les expériences masculines du jeune héros qui sont le sujet du film, l’aspect tout à fait normal et même bénéfique de ces expériences, que le film souligne, constituent de toute évidence un sujet cinématographique scabreux et, selon l’acceptation courante, contraire aux bonnes mœurs, au sujet duquel je ne peux, au stade actuel de la procédure, qu’émettre un avis défavorable. » Voilà où on en était en 1970, en est-on beaucoup plus loin aujourd’hui ?
Curieusement, dans un premier temps, Gérard Blain voulait confier la réalisation de son scénario à François Leterrier, un proche de Bresson dont il avait été l’interprète dans le téléfilm La guêpe et qui ne fut que son conseiller technique sur le film.
Gérard Blain parlait si bien et si franchement de ses films qu’il ne faut que lui laisser la parole et presque tout est dit : « J’ai voulu raconter une histoire simple. Une sorte de plaidoyer en faveur de l’affection et de la tendresse. Paul a 15 ans. Il est issu d’un milieu social modeste. Philippe a 45 ans. Il est imprimeur en province. Pas milliardaire mais assez fortuné pour s’offrir quelques week-ends à Deauville. La différence de milieux est très importante pour moi. Tous deux sont en rupture d’affection. Rupture d’affection familiale chez l’un, conjugale chez l’autre. Ce n’est pas un film sur les amitiés particulières. Qu’est-ce que cela veut dire –particulières ? Sans doute mon film n’escamote pas la liaison de Paul et de Philippe. Mais le propos sexuel me parait secondaire par rapport au propos affectif.

Je ne suis pas un intellectuel. Je crois être un instinctif. Un moment j’ai pensé faire de Philippe un intellectuel qui prendrait en charge l’éducation psychologique de Paul. Mais cela aurait été une caricature banale de Pygmalion. Certainement Paul et Philippe ne s’aiment pas de la même façon. Mais ils ont besoin l’un de l’autre. Lorsque Philippe se tue en voiture, n’y voyez pas je ne sais quel relent de moralisme chrétien. C’est simplement le destin, rien de plus. Cela permet en tout cas à Paul de prendre conscience de sa solitude. "J’aurais préféré perdre mon père et ma mère" avoue-t-il. C’est l’aboutissement du transfert. Dans le film ; il n’est question que d’amour. Le scandaleux ne m’intéresse pas.
J’ai besoin de parler de problèmes qui m’obsèdent. C’est-à-dire le besoin d’affection d’une part, d’autre part le rôle de l’argent dans le monde moderne... Je ne sais si
Les Amis est un film de moraliste. Mais c’est certainement un film moral. Pour moi, est moral ce qui ne contrecarre pas l’épanouissement de l’amour. Paul, dans mon film, ne cherche qu’à aimer et à être aimé. Est-ce de sa faute si sa mère, puis cette jeune fille de bonne famille lui refusent le leur ?
Le cinéma ne doit pas être une copie de la vie, il doit être plus vrai. Je filme les êtres de la manière la plus directe, la plus droite possible sans faire de vagues inutiles autour d’eux, pour mieux tenter d’approcher leur mystère. »
Il ne faut donc pas chercher un quelconque naturalisme dans ce film qui refuse toute complaisance romanesque. Même si Gérard Blain était à la longue agacé que l’on s’y réfère à chaque fois que l’on parlait de son cinéma, on ne peut s’empêcher de penser en voyant Les Amis, au niveau de la forme, aux films de Robert Bresson. On y retrouve l’emploi d’interprètes amateurs, la prise de vue frontale, la rigueur du cadre presque toujours immobile et l’emploi autant que possible d’un seul objectif ne sont que les traces extérieures d’un cinéma placé sous le signe de l’évidence des êtres et des choses, ennemi de tout artifice pathétique. Cette manière de rester en retrait des sentiments fait la force des Amis.
Jamais Gérard Blain ne retrouvera un acteur comme Philippe March, un acteur aussi en phase avec sa mise en scène, pas même l’acteur Gérard Blain. Les Amis constitue l’un des deux seuls premiers rôles dans la carrière de Philippe March, avec celui du joueur, en 1963, dans La Baie des anges de Jacques Demy. Philippe March, grâce en partie à sa voix, à la fois blanche, monocorde, métallique, quelque peu nasillarde et gourmée, au service d’une diction qui parfois semble buter sur son texte puis s’accélère pour mieux traîner ensuite, donne à son personnage, très complexe, une présence inoubliable. Son aspect un peu trop élégant et sa distinction naturelle font de Philippe March l’image cliché que la société hétérosexuelle se faisait de l’homosexuel dans les années 60, forcément aisé, forcément dissimulé, forcément cultivé. Il promenait déjà semblable silhouette en 1966 dans Le Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville, en mauvais garçon précieux que l’on devinait ou plutôt que l’on devine aujourd’hui homosexuel.
La sobriété du jeu des acteurs, ajouté à la rigueur du scénario, élagué de toutes anecdotes non signifiantes, et à une mise en scène épurée font des Amis un film à la charge émotionnelle puissante.
Trop souvent Gérard Blain, cinéaste, a joué à l’artiste incompris, ce qui a grandement nuit à sa carrière, pour ne pas montrer que pourtant dès son premier film il avait été reconnu par ses pairs. Voici ce qu’écrivait François Truffaut à la sortie du film : « Le premier film de Gérard Blain est une œuvre intelligente, naturelle et d’une totale justesse de ton. Il a la franchise non d’une confession, mais d’un récit vécu. Gérard Blain a eu le courage de se priver de toutes précautions oratoires ; par exemple ce n’est pas à cause de la guerre d’Indochine que son jeune héros vit une aventure homosexuelle, mais simplement parce que son aîné lui apporte la sécurité, le confort, l’attention dont il a besoin. Avec Les Amis, Gérard Blain se révèle un cinéaste puissant, c’est-à-dire logique. La logique – logique du propos, du style, logique de l’exécution par rapport aux intentions – constitue, à mon avis, le seul point commun entre les bons cinéastes... Tout le film se déroule ainsi sous le signe de la simplicité et de la logique : pas d’enjolivures, rien de décoratif, pas un plan inutile et, à ce propos, j’attire votre attention sur l’accident de voiture, selon moi, le meilleur jamais filmé. »
Cette reconnaissance dépassait le monde du cinéma. Pour Les Amis, François Nourissier dans L’Express prit la posture du critique de cinéma : « Notre société offre peu de moyens, à des jeunes gens d’origine modeste, d’échapper à la médiocrité qu’à tort ou à raison ils redoutent. Le vedettariat (chanson), la prouesse sportive (cyclisme, boxe) sont de ces moyens. Et le brave travail quotidien, bien sûr mais qui croirait qu’il va bouleverser un destin ? Dans les faits, il existe une autre issue, difficile à prendre avec délicatesse : la prise en charge d’un adolescent par un adulte plus raffiné, plus riche, qui lui apprendra à se vêtir, à parler, à oser nommer ses dégoûts et ses désirs, en échange de quoi il l’introduira dans la complicité de sa singularité sexuelle. On peut s’en offusquer, cette sorte de relation existe. Elle est à l’origine de carrières accomplies et d’existences – assumées... Simples, discrets, par instant presque naïfs. Blain est parvenu à suggérer des tragédies très fragiles, que la moindre vulgarité réduirait à la chiennerie... On pourra considérer que Deauville, le luxe, les privilégiés sont filmés avec une candeur excessive. Mais n’est-ce pas ainsi que les voit, fasciné, le gosse à qui l’on offre soudain ce petit monde faisandé, parfumé ? Tout, dans Les Amis, est en demi-silences, en équivoques. C’est pourquoi la narration devait être d’une parfaite pudeur. Aidé par Philippe March et Yann Favre, Gérard Blain a réussi un difficile premier film. Un peu l’équivalent, sur le versant clandestin des sentiments, de ce que sont les Contes moraux de Rohmer sur leur versant orthodoxe. »

Les Amis ont reçu en 1971 le Léopard d’or au Festival de Locarno.
La très belle bande originale due à François de Roubaix connu un certain succès. Elle fut éditée sur un super 45 tours (4 airs) comme l’on disait alors.

Les Amis existe seulement en VHS chez René Château
Pour plus d’informations :


Fiche technique :
Réalisation : Renaud Victor. Production : 143 Production.
2 fois 54 mn. VF.

Résumé :

Marseille, maison d'arrêt des Baumettes. Des cellules minuscules où s'entassent des prisonniers. Un labyrinthe de grilles à passer, encadré de surveillants pour le moindre déplacement. Cet univers triste est devenu le quotidien d'hommes censés avoir une dette à payer à la société.
Pour aller au-delà de ces images hélas trop connues, Renaud Victor est resté longtemps dans cette prison. Il n'a pas hésité à passer le dernier mois de tournage enfermé. Grâce à cette immersion, les détenus en confiance se livrent. Et les histoires poignantes défilent. Comme celles de ces deux hommes menacés, à cause de la double peine, d'être expulsés en Algérie, un pays qu'ils ne connaissent pas. Ou ce jeune homme, accusé d'avoir tué sa fiancée, qui crie son innocence. Tous disent ne pas supporter la prison, lieu « où tout est pénible ».
Un document fort qui dépasse les clichés.

L'avis de Jean Yves :
Ou le temps autarcique et sans rupture du détenu en prison.

C'est aussi celui d'un tournage où Renaud Victor s'est investi en passant ses jours et ses nuits aux Baumettes, soit deux ans dans cette fameuse maison d'arrêt de Marseille qui d'ordinaire ne se rappelle au souvenir des médias, et donc du grand public, qu'à la faveur d'une émeute ou de quelque évasion sensationnelle.
Sensationnel, le film de Renaud Victor ne l'est, intentionnellement, à aucun sens du terme. Il est même décevant, d'une certaine manière, dans la mesure où il ne délivre aucune information en forme de bilan critique sur l'univers carcéral en France, non plus qu'il ne met en forme et à distance son regard.

La caméra y est l'interlocuteur omniprésent et invisible qui se pose sur les êtres et voit les choses à travers eux.
Rien d'autre, donc, que cet éclatement fragmentaire des paroles qui se livrent et corollairement se censurent, qui émiettent, derrière leur vérité, la vérité de la prison.
Le non-dit des témoignages recueille le non-dit du film lui-même, qui est ainsi le miroir exact du mensonge carcéral, et non pas son commentaire.

● Il y a la scène inouïe où le maton, à la question de savoir s'il lui arrive de s'imaginer « de l'autre côté de la barrière », répond par un inextinguible, récurrent et pitoyable fou rire, lequel tout à coup s'évanouit dans un « non » presque hébété.
● Il y a la parole suspendue du beau détenu pensif, en débardeur blanc, dans sa cellule où l'on entend Caruso chanté dans les sanglots par un Lucio Dalla sur cassette.
● Il y a encore le ton du « primaire » (celui qui fait de la tôle pour la première fois) dans ce dialogue abrupt :
« Qu'est-ce qu'on a l'impression de perdre, en passant du temps en prison ?
― Le temps qu'on y a passé. »
● Et le petit camé angélique, suicidaire, édenté : « La prison, ça fait partie de ta vie ?
― Non (désignant les gardiens) ça fait partie de leur vie. »
● L'avocate, très pro, s'adressant, le plus naturellement du monde, à un cas social proche de l'imbécillité en ces termes : « Il faut que vous me donniez des paramètres de réflexion. » On croit rêver !
● C'est, encore, le Beur splendide, « fils de riche », comme il se peint avec dérision, condamné à vingt ans et plus pour l'assassinat présumé de sa fiancée et qui, contenant ses larmes, ne se lasse pas de répéter en vain, simplement, son innocence.
La vidéo rapproche le spectateur des corps. Mais, dans le même temps, elle montre le corps au secret, dans la promiscuité ferraillante de trousseaux, de grilles, de loquets, ou au contraire dans le silence cadenassé des quartiers d'isolements, des cachots où les forçats sont nus, seuls ; ou bien dans l'exiguïté tantôt glaciaire, tantôt équatoriale, de ces 10 m2 pour trois.

La vidéo est abrupte, râpeuse, sans apprêt. Elle colle au corps, mais elle ne dit pas le secret des corps. Les corps s'exhibent (ceux des body builders à l'entraînement, par exemple ; ceux des détenus prenant leur douche à poil). Ils taisent, tous, sans exception : le désir, le sexe, l'homosexualité, le sida.
● Il y a ce garçon de vingt ans qui n'a connu, depuis l'âge de douze ans, que quatre mois hors des murs et qui racontera comment il s'est fait violer, comment il s'est prostitué, mais tout cela sur le mode du déni de responsabilité : il évoquera « ce salaud de concessionnaire en BM », victime méritée du garçon qu'il convoitait et qui n'avait l'intention que de le voler... Toujours la faute aux pédés.
● Il y a ces « malades » dont on nous dit « qu'ils sont nombreux, là, à l'étage » sans que le mot tabou soit seulement prononcé.
On peut se demander si le questionneur, en restant elliptique et en n'insistant pas, ne fait pas aussi le jeu de l'autocensure et de la manipulation.
● Il y a ce couple de garçons qui s'enlacent, s'embrassent, et se jurent leur amour sur la Bible. Là encore, sans un seul commentaire.
Il y a dans toutes ces ellipses l'équivoque – mais également la force – du parti pris de ce documentaire qui refuse la forme solide, objective de l'enquête. C'est, empirique, morcelé, une quête de vérité qui s'avance masquée. Le film ne lève pas le voile, mais le désigne. C'est peut-être là sa profonde authenticité.
Pour plus d’informations :
Télécharger la première partie du documentaire, cliquer ici.
Télécharger la deuxième partie du documentaire, cliquer ici.

    

Fiche technique :
Avec Laurent Malet, Aurore Clément, Mario Adorf, Raymond Bussières et Robin Renucci. Réalisé par Peter Del Monte. Scénario de Danielle Chinsky, Peter Del Monte et Franco Ferrini, d’après l’œuvre de Jean Bany. Directeur de la photographie : Bruno Nuytten. Compositeur : Gabriel Yared.
Durée : 95 mn. Disponible en VF.

Résumé :
La sœur jumelle de Lucien est morte en s'éléctrocutant dans une baignoire. Lucien ne peut accepter sa mort et décide de cacher son corps dans un étui à contrebasse qu'il attache sur la galerie de sa voiture. Il part sur la route et fait des rencontres au hasard.
L'avis de Jean Yves :
Depuis toujours, la gémellité a jeté sur l'imagination des hommes son voile de fascination et de mystère : ô vertus oniriques des phénomènes d'exception !
Qu'il s'agisse des jumeaux de même sexe et c'est aussitôt la double nature de l'homme qui transparaît ; qu'il s'agisse ceux de sexe différent, et c'est le mythe du couple originel qui refait surface : « Dieu créa l'homme à son image, à la fois mâle et femelle ».

Invitation au voyage, film de Peter del Monte (inspiré du roman de Jean Bany, Moi ma sœur, Editions du Seuil, 1976), est au cœur du problème fondamental qui gouverne la psychologie des jumeaux, celui de l'individuation, et cela dans un couple bisexué.
« Et si je mourais ? » interroge la jeune rockeuse Nina ; « Je te ferais revivre ! » répond son frère Lucien (Laurent Malet).
C'est ce à quoi il s'emploie après la mort accidentelle de la jeune fille. Leur rapport incestueux où interviennent les composantes domination-soumission, extraversion-introversion, se poursuit par-delà la mort de Nina à travers un insolite voyage qui conduira à la métamorphose : le frère, toujours effacé et soumis devant l'image de la star naissante et idolâtrée, fait le sacrifice de son identité, se raye de l'état civil par le don symbolique de son passeport et redonne vie à l'âme du couple par le travestissement.
C'est bien Nina qui quitte le port et s'embarque pour d'autres cieux. Lucien n'aurait pu être qu'un mirage, le reflet masculin de sa propre féminité, un miroir qui n'existait que par elle, mais qui lui-même insufflait sa propre vie, sa propre énergie.

Pour plus d’informations :
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Fiche technique :
Avec Marianne Epin et Cyrille Thouvenin. Mis en scène par Jean-Luc Revol. Un spectacle de Philip Ridley. Réalisation : Bernard Alapetite et Cyril Legann
Durée : 90 mn. Disponible en en VF.

Résumé :
Vincent River, le fils d'Anita est retrouvé mort, atrocement mutilé, dans une gare désaffectée, lieu de rencontres homosexuelles.
Le quotidien d'Anita, livrée aux médias et aux remarques persistantes et homophobes, a basculé. Elle a décidé de changer de quartier, de déménager.
Mais qui est donc ce jeune homme qui la suit depuis plusieurs jours. Que veux-t-il ? Anita décide de le faire entrer chez elle.
C'est lui, Davey, et sa petite amie Rachel qui ont découvert le corps de Vincent.
Depuis, Vincent hante Davey.
Il vient voir Anita pour exorciser le fantôme du mort.
Mais est-ce là la seule raison de sa présence ?
Alors s'amorce un ballet cruel entre Anita et Davey.
À ressusciter la mémoire des anges, qui se brûlera les ailes ?

L'avis d’Alex & Greg :
Il est regrettable de ne pas avoir vu cette pièce plus tôt et de n'écrire sur elle qu'aujourd'hui.
Ce drame en un acte, écrit par Philip Ridley, nous présente le face-à-face entre une mère, Anita (magnifique Marianne Epin), qui a perdu son fils, Vincent victime d'un crime homophobe, et de Davey (Cyrille Thouvenin) qui prétend avoir découvert par hasard le corps massacré de Vincent River et être obsédé par cette image inerte depuis.
Le dialogue est incroyablement intense, évocateur jusqu'à provoquer le bouleversement du spectateur. Sans sensiblerie mais avec sensibilité, la relation d'Anita et Davey navigue entre confessions, affrontements, violence et compassion. La quête d'apaisement d'Anita, agressive et fragile, ne peut passer que par la connaissance des faits qui ont conduit au meurtre de Vincent. Quant à la tension du jeune et mystérieux Davey, elle ne s'apaisera que lorsqu'il apprendra son histoire. Le suspense est, de plus, entier : Davey est-il impliqué dans le meurtre ? Avait-il des liens avec son fils avant le drame ? Étaient-ils amants et heureux ? Anita ignorait l'homosexualité de son fils et demande à comprendre. Davey ignorait l'histoire de Vincent et demande à savoir. Deux destins brisés qui doivent continuer à vivre après cette mort brutale et inacceptable et c'est, par leur dialogue, le puzzle d'une vie qui se reconstitue sous nos yeux.
Il n'y a ni complaisance, ni militantisme dans cette pièce, seulement le constat et la description de l'horreur que peut engendrer l'homophobie quand, au-delà des mots, elle se fait meurtrière, laissant derrière elle, derrière le vide laissé par la mort, un sentiment de culpabilité, de chagrin et de colère.
Une pièce coup de poing qu'il faut absolument voir parce que la réalité n'est pas toujours la face la plus visible et que l'impuissance généralisée ou la minimisation de ces crimes signifierait la fin de la tolérance. À voir en DVD, en espérant qu'elle se remonte prochainement et surtout que l'on en parle plus, c'est indispensable !

L’avis de Matoo :
Une pièce avec Cyrille Thouvenin qui se joue au théâtre du Marais et qui évoque un crime homophobe… Ok je suis encore allé voir un truc de pédé. De prime abord oui, mais après avoir vu cette pièce, je peux affirmer que l’œuvre va bien plus loin que cela, et possède des qualités qui l’élèvent au-delà d’un manifeste contre l’homophobie (même si c’est déjà important).
Bon passons sur le fait que Cyrille Thouvenin est à mourir car tout le monde le sait, et blablabla rhaaa lovely. Cette pièce est un huis clos en un acte (90 minutes) de Philip Ridley, traduit de l’anglais donc. Il s’agit d’une confrontation entre une mère célibataire qui vient de perdre son fils unique, l’actrice Marianne Epin (Anita), et un jeune garçon qu’elle fait rentrer chez elle, Cyrille Thouvenin (Davey). Le fils d’Anita, Vincent, a été découvert le corps massacré (elle l’identifie par une marque de naissance sur le corps) dans un lieu de rencontres gays plutôt glauque (genre des chiottes désaffectés). Elle a remarqué depuis un certain temps qu’un jeune garçon traîne autour d’elle, et la surveille. Il se retrouve à sa porte, elle le fait entrer, et une discussion s’entame.
Davey a le visage abîmé comme s’il venait de se battre, et est débraillé. Anita essaie de lui tirer les vers du nez, et de savoir pourquoi il l’espionnait comme cela, elle sait qu’il y a un rapport avec son fils. Davey explique dans un premier temps qu’il est celui qui a trouvé le corps, mais qu’il ne connaissait pas du tout son fils, et que cette découverte a été un choc immense pour lui. Il croit pouvoir exorciser cela en demandant à Anita de lui en dire plus sur son fils. Rapidement, on comprend qu’il y a plus… et peu à peu le dialogue s’instaure, et la vérité émerge.
Les dialogues sont incisifs, parfois cyniques, ironiques ou crus, et surtout très bien écrits. Ils portent à la fois la tension émotionnelle de l’instant, mais aussi le récit des événements passés. Une narration sous forme de flash-back tellement efficace qu’elle nous fait imaginer avec une saisissante acuité ce qui a pu se passer. Deux personnes en train de se parler, cela pourrait être chiant ou lourd, mais grâce au talent des comédiens et à la finesse de l’écriture, c’est tout le contraire.
Et pourtant, Thouvenin n’a pas démarré la pièce en donnant le meilleur de lui. Je l’ai trouvé un peu poussif et faussement hystérique au début, peu convaincant. Mais par la suite, il était comme possédé par ce personnage, et il véhicule alors une émotion sans mièvrerie qui sert le texte à merveille. Du côté de Marianne Epin, c’est bien simple elle est parfaite du début à la fin. Chacun des personnages a un moment de la pièce qui lui est plus consacré, d’abord la mère, et puis Davey à la fin. On doit reconnaître alors le mérite des comédiens qui doivent assurer non seulement des tirades interminables, mais aussi chargées d’une émotion dont la justesse était vraiment très difficile à rendre.
J’ai eu l’impression étrange et fascinante d’avoir vu les images que les acteurs décrivaient lorsqu’ils racontaient des épisodes de leur existence ou les circonstances de la mort de Vincent. En sortant du théâtre, j’ai donc le sentiment d’avoir vu un film « vivant », ce qui démontre pour moi la force de cette pièce.

Pour plus d’informations :

Fiche technique :
Avec Craig Russell, Hollis McLaren, Richert Easley, Allan Moyle, David McIlwraith, Andree Pelletier, Helen Shaver et Helen Hughes. Réalisé par Richard Brenner. Scénario Richard Brenner. Compositeur : Paul Hoffert.
Durée : 100 mn. Disponible en en VO et VOST.

L'avis de Jean Yves :
Échappée de la clinique psychiatrique où elle était enfermée, Liza vient se réfugier chez son ami Robin, coiffeur homosexuel, qui rêve de quitter Toronto et sa vie médiocre pour faire carrière dans le music-hall.

Ce film traduit les rapports d'un couple inhabituel : Robin, un travesti (Craig Russell) et Liza, une schizophrène (Hollis McLaren).
Robin et Liza sont deux parias, rejetés par la société, qui se conforteront ensemble, réussiront à exprimer leur véritable identité, et atteindront par l'affection une forme de bonheur. Rien de sexuel entre eux. Avec leur spécificité propre, ils entreprennent, sans trop s'en douter, la lutte de David contre Goliath, du faible contre le fort.
Robin, dans les boîtes spécialisées de New York, parvient à imposer ses imitations : il est tour à tour Tallulah Bankhead, Bette Davis, Barbra Streisand, Carol Channing, Mae West, Marilyn Monroë, Judy Garland.
Liza, échappée d'une clinique psychiatrique, ne se consolerait pas de la perte d'un enfant (qu'elle aurait eu un peu au « hasard »), si Robin ne savait l'entourer.
Autour d'eux, circule, vit, souffre, pittoresque, pathétique, toute une petite faune pas piquée des vers.

Richard Brenner, avec talent et originalité, n'hésitant pas à multiplier ses personnages secondaires pittoresques, à explorer sans complaisance le monde nocturne des spectacles interdits, donne à son récit une réelle épaisseur romanesque.
Un film anti-conformiste au possible, à la fois baigné de mélancolie et d'humain espoir : touchant, qui tire le cœur par sa compassion.
Pour plus d’informations :
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Fiche technique :
Avec Jake Gyllenhaal, Heath Ledger, Michelle Williams, Anne Hathaway, Randy Quaid, Linda Cardellini, Anna faris, Scott Michael Campbell et Kate Mara. Réalisé par Ang Lee. Scénario : Larry McMurty et Diana Ossana, d’après la nouvelle d’Annie Proulx. Directeur de la photographie : Rodrigo Prieto. Compositeur : Gustavo Santaololla et Rufus Wainwright.
Durée : 134 mn. En salle le 18 janvier 2006.
Résumé :
Eté 1963, Wyoming.
Deux jeunes cow-boys, Jack et Ennis, sont engagés pour garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain.
Isolés au milieu d'une nature sauvage, leur complicité se transforme lentement en une attirance aussi irrésistible qu'inattendue.
À la fin de la saison de transhumance, les deux hommes doivent se séparer.
Ennis se marie avec sa fiancée, Alma, tandis que Jack épouse Lureen.
Quand ils se revoient quatre ans plus tard, un seul regard suffit pour raviver l'amour né à Brokeback Mountain.
L’avis de Arnaud Weil-Lancry (DvdCritiques) :

Auréolé de multiples récompenses dont quatre Golden Globes, Le Secret de Brokeba
ck Moutain est le dernier film de Ang Lee. On pourrait éventuellement dire, oh, encore un film sur des cow-boys… Et bien, franchement, préparez vos mouchoirs…
Critiquer ce film…

Qui dit critique de film, dit logiquement argumentation pour visionner ou refuser ce film, et dans le cas présent, pour bien sûr y aller. Toutefois, les mots manquent, la parole flanche et les verbes les plus châtiés paraissent de craie pour inutilement défendre un film qui semble n’avoir été créé qu’en tant qu’ode au Cinéma. Oui, le dernier film de Ang Lee est une pure merveille, une de ces œuvres qu’on ne visionne qu’une fois l’an au détour d’un chemin perdu. Ainsi le réalisateur taiwanais renoue avec le succès après Hulk et le risible Chevauchée avec le diable et démontre sa capacité à réaliser un film doté d’une réelle et authentique personnalité. Enfin.

Un contenant à l’étroit pour son contenu…

Rarement de telles émotions m’auront assailli lors d’une projection cinématographique. Tout est exemplaire de préciosité et de superbe : réalisation, photo, bande originale et bien sûr, les acteurs… Deux jeunes pousses montantes de Hollywood, sur les marches bien senties de Robert Redford ou de plus jeunes grands frères tels que Brad Pitt ou Matt Damon. Relativement peu connus, Heath Ledger et Jake Gyllenhaal n’ont pas hésité à écorner leur image de beaux gosses à la dentition et à la plastique parfaite pour incarner Ja
ck et Ennis, deux cow-boys gardiens de bétail qui vivront une passion intense au début des années 60. Dès lors, chacun partira vivre sa vie, mais en demeurant éternellement marqué par Brokeback Mountain. Ce lieu si magique et si enchanteur, véritable madeleine de Proust, finit par symboliser l’amour de ces deux durs au cœur tendre sans que malheureusement aucun d’entre eux ne parvienne à s’arracher à sa vie normalisée et si bien rangée. Alors que Jack s’embourbe dans une vie carrée et suave, Ennis, lui, dépérit dans une vie d’une misère consternante, sans espoir et dépourvue d'amour. Cette dernière sera la représentante permanente du rejet obsédant de ce jeune péquenot bourru d’une vie pourtant si alléchante proposée en vain par Jack.
Espoir d’un amour, souvenir d’une vie, Brokeba
ck Moutain restera pour les deux hommes un des rares moments ou ces deux jeunes romantiques auront pu exister à part entière. Ce romantisme omniprésent est soutenu à chaque instant par la mélancolie si poignante du regard juvénile de Jake Gyllenhaal, et par l’intransigeance si effarante de Heath Ledger. C’est de cet antagonisme si subtilement représenté à l'écran que Le Secret de Brokeback Mountain tire toute sa force et sa réussite. L’essence de ce film demeure finalement intimement lié à ces moments magiques admirablement mis en scène par un réalisateur parvenu à un nouveau seuil de maturité. Des scènes d’une sincérité sans égale, dont le climax émotionnel demeurera la visite de Ennis auprès de la famille de Jack. Avec Le Secret de Brokeback Moutain, Ang Lee signe un film d’une rare intensité et bouleversant au plus haut point. De cette expérience au firmament du 7ème Art, on ressort chamboulé, le cœur éclaté et les larmes au fond des yeux.
L’avis de Arabe, musulman et gay :

Dimanche dernier, je suis allé voir Le Secret de Brokeba
ck Mountain. J’attendais avec impatience sa sortie depuis le mois de novembre, et je n’ai pas été déçu. C’est un excellent film, très touchant et très émouvant.
Avant d’aller le voir, je m’étais posé la question sur le genre de public qui pourrait s’intéresser à ce film. Serait-il exclusivement gay ? (ce qui insinue qu’en allant le voir, je m’affiche en tant que tel, un coming-out cinématographique ;-)) Il y avait un type qui parlait sur son blog d’une ambiance « gay pride » dans la salle où il est allé le voir ! Tiens, ça risque d’être intéressant !

Je m’attendais à une salle comble mais ce n’était pas le cas ! Malgré les excellentes critiques accordées à ce film, le fait qu’il soit catégorisé Gay fait hésiter pas mal de gens. Tant pis pour eux ! Le public était « normal », pas de Drag Queen, ni de mecs en cuir, donc pas de gay pride avant l’heure ;-)

Le film raconte une histoire d’amour entre deux cow-boys dans toute sa complexité, puisqu’elle se passe dans les années 60 et dans un univers extrêmement macho. Les lieux de tournage sont d’une extrême beauté, ça m’a donné envie de partir en rando. Premier rapport physique dans le style « chèvre du berger », puis on découvre une sensibilité et une fragilité refoulées et qui émergent à la surface dans les moments de tendresse, mais qui finissent par disparaître derrière le masque du « mec dur à cuire ».

Je ne vais pas vous raconter toute l’histoire, je vous encourage à la découvrir vous-même en allant voir ce film (si ce n’est déjà fait).

Tout ce que je peux vous dire c’est que j’ai pleuré en regardant ce film. Eh oui ! Le grand macho que je suis et qui pense qu’un homme ne doit jamais pleurer, avait des larmes chaudes qui coulaient sur les joues dans l’obscurité de la salle de ciné ! Il m’a vraiment bouleversé ce film et le processus d’identification a marché à merveille pour moi et je vous laisse deviner avec qui des deux personnages c’était. Chapeau Lee (de cow-boy bien sûr ;-)).
 
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Fiche technique :
Avec Jake Gyllenhaal, Heath Ledger, Michelle Williams, Anne Hathaway, Randy Quaid, Linda Cardellini, Anna faris, Scott Michael Campbell et Kate Mara. Réalisé par Ang Lee. Scénario : Larry McMurty et Diana Ossana, d’après la nouvelle d’Annie Proulx. Directeur de la photographie : Rodrigo Prieto. Compositeur : Gustavo Santaololla et Rufus Wainwright.
Durée : 134 mn. En salle le 18 janvier 2006.
Résumé :
Eté 1963, Wyoming.
Deux jeunes cow-boys, Jack et Ennis, sont engagés pour garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain.
Isolés au milieu d'une nature sauvage, leur complicité se transforme lentement en une attirance aussi irrésistible qu'inattendue.
À la fin de la saison de transhumance, les deux hommes doivent se séparer.
Ennis se marie avec sa fiancée, Alma, tandis que Jack épouse Lureen.
Quand ils se revoient quatre ans plus tard, un seul regard suffit pour raviver l'amour né à Brokeback Mountain.
L’avis de MérovingienO2 :

Mettons les points sur les « i » : Brokeba
ck Mountain n'a rien à voir avec la définition réductrice que les médias en font. Sans arrêt classé « western gay », le nouveau film d'Ang Lee ne peut définitivement pas supporter cette étiquette pour la simple raison que ce n'est pas un western et qu'il ne parle pas d’homosexualité. Certes, les héros sont deux cow-boys amoureux mais la vraie force du film (tiré d'une nouvelle d'Annie Proulx) n'est pas dans le détournement ou le respect des codes homos mais bien dans l'universalité des thèmes abordés.
Après une escapade hollywoodienne dans le sens grand spectacle du terme (élégant Tigre et Dragon, bancal Hulk), le réalisateur taïwanais revient à ses premières amours avec un drame intimiste tout en nuance. Raisons et Sentiments, Ice Storm, Sucré Salé... Des petites perles indépendantes sans fioritures, profondes, subtiles, délicates et émouvantes et dont Brokeba
ck Mountain pourrait être considéré comme le firmament. D'une certaine manière, on pourrait penser que le 9ème film du cinéaste est un croisement entre Garçon d'Honneur (qui abordait déjà le parcours d'un homo arrangeant un mariage de convenance pour plaire à ses parents) et la Chevauchée avec le Diable (pour les grands espaces). Rythme lent, plages contemplatives, absences de dialogues au profit de la suggestion de l'image...
L'amour naissant entre les deux hommes n'a rien de salace et n'emprunte rien à l'imagerie des fantasmes gays (pas même le côté cow-boy ultra viril culbutant son partenaire en gardant ses bottes). Il est juste pur, innocent, sincère et universel. La première rencontre chez l'employeur sous un ciel paradisiaque marque un début d'intérêt discret (le reflet dans le rétroviseur), la complicité s'épanouit au fil des jours qui passent, l'attirance sexuelle naissante inavouée passe par une image très simple où Ennis se lave nu derrière Ja
ck comme si celui-ci fantasmait déjà... Une mise en place tranquille où la caméra caresse les âmes des deux personnages en leur construisant une vraie psychologie : un romantique souhaitant s'affirmer et un refoulé bien plus mal à l'aise avec sa sexualité. La première scène d'amour marquera bien la caractérisation de chacun, Ennis repoussant d'abord un Jack qui s'offrira à lui sans hésiter.
La suite du récit voit les deux amants retourner à la réalité et confrontés au regard des autres : nous sommes en 1963 et l'homosexualité est très mal vue dans l'état de Wyoming (et encore plus au Texas où se déroule une partie du film). Par peur d'agressions homophobes et sous la pression du regard de l'autre, les deux hommes s'éloignent pour construire une petite famille modèle. La rupture est déchirante, silencieuse. Le souvenir est insistant surtout dans un contexte où l'idéal du cow-boy rattaché à la nature est mis à mal par un monde plus matérialiste et sombre. La vie de famille devient un Enfer vampirique (Lureen Twist, femme d'affaire ne se souciant guère de son foyer) ou tout simplement un piège affectif dans lequel on s'enferme soi-même (Ennis qui refuse d'accepter ce qu'il est et fait l'amour à sa femme en pensant à Ja
ck).
Sans jamais faire dans le militantisme pour la cause homosexuelle, Ang Lee nous montre que la peur des autres est tout aussi destructrice que la peur de soi-même. Dans la dernière partie du film, une conversation téléphonique viendra semer le trouble dans l'esprit du spectateur : alors que Lureen raconte la mort absurde de Ja
ck, des images viennent contredire ses propos en offrant une autre vision des choses. Jack est-il vraiment mort par accident ou bien s'agit-il d'un mensonge de sa femme pour préserver sa dignité de beauf ? Ne serait-ce pas simplement Ennis qui imagine lui-même un crime qu'il a toujours redouté ? En une seule séquence, le réalisateur parvient à toucher tout le monde en laissant soin au public d'apporter sa propre réponse au débat pour l'acceptation et le respect de l'homosexualité.
Mais si Brokeba
ck Mountain parvient à faire chavirer les cœurs avec autant de retenue, c'est bel et bien parce qu'il traite tout simplement d'un sentiment universel : le regret de l'amour inavoué. Tout le long du film, Ennis reniera son identité : ses escapades avec Jack ne sont que des volontés de préserver une part de bonheur intemporel mais sans jamais accepter de franchir le pas. Sa peur des autres et de lui-même l'enferme dans une solitude où il finit par faire du mal à ceux qui l'aime, que ce soit Jack, sa femme ou sa fille. La mélancolie est graduelle : plus on avance dans les rendez-vous amoureux, plus les paysages idylliques perdent de leur prestige, les ciels ouverts à un avenir restant à écrire finissant par disparaître du cadre pour laisser place à la réalité plus terre à terre. Le plan final, tout simplement déchirant, marque la fin d'un parcours intérieur où Ennis ne pourra plus qu'accepter sa solitude en ressassant son passé par le biais d'une photographie de Brokeback, figée, petite, pratiquement insignifiante et accrochée à côté d'une petite fenêtre ne donnant que sur le vide. Ne pas passer à côté de sa vie quand celle-ci se présente à soi, tel semble être le message qu'Ang Lee énonce avec délicatesse via cette histoire d'amour bien plus universelle que polémique.
Il est soutenu dans sa démonstration par le jeu tout en nuance de Jake Gyllenhall, parfait en romantique acceptant la réalité de la situation en comblant le vide affectif laissé par Ennis et les seconds rôles plus effacés parviennent à exister en une poignée de séquences fortes (mention spéciale à Michelle Williams qui s'affranchit du rôle de Jen dans Dawson en devenant une femme qui sait mais qui se tait). Néanmoins, la vraie révélation du film est sans conteste Heath Ledger qui, après une série de films oubliables (Chevalier, 10 bonnes raisons de te larguer, Les Frères Grimm), trouve ni plus ni moins que le rôle de sa vie et surprend par son expression monolithique convenant à merveille à l'intériorité des émotions et suggérant parfaitement les blessures qui titillent son personnage.

Au-delà de la réussite plastique du film (superbe photographie, des montagnes enneigées à la poésie iconographique du cow-boy devant des feux d'artifices, sans oublier les scènes d'amour tendre baignées dans une lumière rassurante), Le Secret de Brokeba
ck Mountain s'impose comme une bouleversante réflexion sur la société américaine et son homophobie latente, mais aussi et surtout comme un drame intimiste où l'amour non assumé peut être destructeur. Pudique et profond, cette œuvre a mérité son Lion d'Or et devrait sans peine remporter l'Oscar du Meilleur film lors de la prochaine cérémonie. C'est tout le mal qu'on lui souhaite.
L’avis de Romain Le Vern :

Sur le papier, « la passion vécue par deux hommes, un propriétaire de ranch et un spécialiste du rodéo, qui se rencontrent à l'été 1961 entre le Wyoming et le Texas ». Hâtivement présenté comme un western gay, avec une présentation qui peut à sa simple lecture susciter la moquerie bêtasse, Brokeba
ck Mountain est en réalité un film extrêmement viscéral. L’impression qu’il provoque est d’autant plus forte que l'on ne s’attend pas à être autant bouleversé par une histoire d’amour, a priori anodine et qui en fait confine au sublime. Alors que pendant toute la première partie, on a l’impression que le scénario dynamite les us et coutumes d’un genre balisé (le western), on se rend compte très vite que la suite raconte une toute autre histoire : celle d’un amour qui ne s’est jamais fini, d'une caresse indicible qui a suscité de multiples charivaris intérieurs, de sentiments de lâcheté vis-à-vis de la morale bien pensante, d’étreintes violentes qui trahissent l’absence, l’attente ou le désir, et surtout le refoulement des pulsions. Au bout de ces bobines, on est floués. Floués par l’élégance suprême de cet empire des sens qui en dit long par le simple pouvoir de la suggestion, sans avoir le moindre recours à la pénible démonstration.
Premièrement, et c’est un immense atout, le film semble témoigner un mépris radical pour les étiquettes. D'où le pari casse-gueule : dans quel sens considérer ou prendre le film ? À cette question, Ang Lee, cinéaste définitivement surprenant (c’est peut-être son meilleur film), a le bon goût de ne pas répondre. Précisément, il recherche ici à travers une forme a priori obsolète un moyen de décortiquer une société phagocytée par les apparences et l’uniformité. Le seul film récent qui ait réussi cette même gageure est Loin du Paradis (Todd Haynes, 2003) qui scrutait sous les multiples sourires de son héroïne la détresse absolue des frustrations. En creux, Haynes donnait à réfléchir sur les diktats actuels en même temps qu’il filmait le plus beau et flamboyant des mélodrames à la sauce Douglas Sirk sans tomber dans le pastiche cynique. Brokeba
ck Mountain appartient à cette lignée de films qui parviennent à dynamiter les conventions d'un genre tout en restant subtilement bouleversant. Sous son apparence romanesque, car le film est foncièrement romanesque et romantique, il dit des tonnes de choses fondamentales sur l’existence et balaie avec classe les clichés comme les préjugés. De manière plus pragmatique, le film peut se lire comme une démonstration de l’éclectisme filmique d’Ang Lee, capable d’enchaîner des projets hétéroclites avec une même et incroyable virtuosité, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il aime à s’exprimer dans des registres aussi dissemblables que la comédie (Salé Sucré), le drame intimiste (Ice Storm), le block-buster malade (Hulk), le wu-xia-pian grand public (Tigre et dragon). Quelque part entre Garçon d'honneur, Chevauchée avec le diable et Ice Storm, Brokeback Mountain ressemble à une sorte de western audacieux qui se plaît à ne pas appliquer les bonnes règles et surtout à ne pas raconter la bonne histoire...
Je t'aime, moi non plus

Le film commence dans la nonchalance, la quiétude ambiante pour progressivement devenir le réceptacle des passions. Ang Lee s'attarde sur les prémisses d’une liaison entre deux hommes et dessine de manière remarquablement précise, sans chichis ni fioritures, une relation nouvelle avec son cortège d’œillades enflammées, de gestes maladroits et de détails infinitésimaux qui trahissent l'attirance électrique. C’est le produit d’une attirance réciproque facilitée par l’isolement. Seulement, ce qui aurait dû n’être qu’une passade se révèle très vite un besoin urgent et vital. Désir brûlant de revoir la personne aimée. Petit à petit, les deux hommes réalisent qu’un lien extrême naît entre eux mais que la barrière sociale du conformisme empêche cette relation et l’oblige à être vécue de manière cachée. Quitte à mener sa propre vie à côté, à fonder une famille, à garder le mensonge et à vivre avec ce joug. Histoire de ne pas admettre ce qu'on est intérieurement. La forme joliment illustrée (des paysages sublimement photographiés) ne cache point un cheminement fictionnel classique – même si de classicisme, il en est question ici. En profondeur, tout ce que le réalisateur raconte s’avère d’une intelligence inouïe.

Le soin apporté à la psychologie des personnages (la rudesse animale de Ennis-Heath Ledger ; la sensibilité latente de Ja
ck-Jake Gyllenhall) permet au film d’éviter les pires écueils. Alors que dans d’autres mains (Gus Van Sant et Joel Schumacher étaient paraît-il intéressés par le sujet), le projet aurait certainement été un prétexte pour filmer des éphèbes paumés dans la nature avec de lourdes connotations salaces, Ang Lee impose sa sensibilité à chaque plan, insiste sur l’idée de paradis édénique, à la fois havre de paix et refuge intérieur voire mental pour les personnages, en mettant en résonance deux mondes bien distincts (Jack et Ennis, isolés, perdus dans les immenses paysages rocheux du Wyoming et encerclés par une nature bienveillante ; les deux hommes séparés confrontés aux autres et aux contingences de la vie) et rappelle accessoirement que sensibilité ne rime pas avec sensiblerie.
La preuve, il y a une foultitude de beaux, de très beaux passages. Les regards subrepticement échangés entre les deux hommes lors de leur première rencontre chez le fermier. Cette première fois où Ja
ck propose à Ennis de venir le rejoindre. Ce baiser fougueux lorsque les deux hommes se retrouvent après quatre ans de séparation ardue. Ce moment de soudaine et bouleversante lucidité lorsque Ennis comprend la vérité au sujet de son camarade. Tout est affaire de regards inquiets, amoureux, souvent tristes, de personnages prisonniers de leur condition. Tout est affaire de silences, aussi ; parce qu’on communique mal ou alors on refuse de se parler, de peur de dire ce qu’on pense ou ressent. Les personnages ne voient pas le temps passer (et les ravages que cela peut causer), observent leurs enfants grandir sans savoir l’âge qu’ils ont et surtout se sacrifient sans pouvoir accéder à ce qui restera comme un idéal.
Avec deux acteurs en état de grâce (Jake Gyllenhall et Heath Ledger), choix inattendus et pourtant gagnants, le cinéaste capte l’amour au-delà des mots et met en scène une sublime histoire qui n’autorise pas les larmes de crocodile ni même l’ombre d’une quelconque facilité. Lee exploite toutes les vertus du non-dit et préfère un regard expressif au moindre bavardage. Logique des dispositifs mis en place : il en résulte une œuvre d’une beauté trouble et inouïe qui choisit de se taire pour faire exploser à l’écran le vécu de chacun. Peu importe la sexualité tant le film parle avant tout à tous ceux qui ont connu l'amour et surtout une histoire d'amour qui ne s'est jamais finie. Là où le désir le plus secret le dispute au songe le plus désenchanté. C’est tragique et universel, comme dans le plus beau des westerns.

Pour plus d’informations :
Bande annonce

Fiche technique :
Avec Jake Gyllenhaal, Heath Ledger, Michelle Williams, Anne Hathaway, Randy Quaid, Linda Cardellini, Anna faris, Scott Michael Campbell et Kate Mara. Réalisé par Ang Lee. Scénario : Larry McMurty et Diana Ossana, d’après la nouvelle d’Annie Proulx. Directeur de la photographie : Rodrigo Prieto. Compositeur : Gustavo Santaololla et Rufus Wainwright.
Durée : 134 mn. En salle le 18 janvier 2006.
Résumé :
Eté 1963, Wyoming.
Deux jeunes cow-boys, Jack et Ennis, sont engagés pour garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain.
Isolés au milieu d'une nature sauvage, leur complicité se transforme lentement en une attirance aussi irrésistible qu'inattendue.
À la fin de la saison de transhumance, les deux hommes doivent se séparer.
Ennis se marie avec sa fiancée, Alma, tandis que Jack épouse Lureen.
Quand ils se revoient quatre ans plus tard, un seul regard suffit pour raviver l'amour né à Brokeback Mountain.
L’avis de Arnaud Sanchez :

Il est 22h00 quand j’entre dans le hall du cinéma. Le choix du film est fait depuis bien longtemps, depuis que j’ai entendu les nombreux éloges qui ont été faits sur le Secret de Brokeba
ck Mountain et le Lion d’Or qui a couronné le magnifique travail de Ang Lee ainsi que les critiques des virulents homophobes et congrégations religieuses à propos de ce film. C’est donc non seulement aller voir un film pour admirer une œuvre mais c’est aussi un acte militant.
Pour tout vous dire, l’acte militant aurait pu s’arrêter bien vite. Vous connaissez le sentiment que l’on éprouve quand on rentre dans un bureau de tabac et que l’on souhaite acheter une revue pornographique ? Vous avez la sensation qu’un regard, qu’un jugement se porte sur vous. Et bien j’ai éprouvé le même quand il s’est s’agit de dire le nom du film. Ce moment, si je vous le rapporte, est important parce qu’il conduit à une autre analyse du film, ou plutôt une mise en bouche.

Un western gay, et plus largement un film, est une idée bizarre parce qu’elle donne l’impression de viser une population spécifique. Pourtant elle se légitime par la disparition totale de cette même population de nos toiles et petits écrans. J’exagère à peine. Urgences et les quelques séries dans le même genre ont elles compris qu’il fallait être plus représentatif de son public et donc de la réalité.

Je ne regrette pas d’être aller voir ce film, ne serait-ce que pour le pied de nez que j’ai adressé en prenant mon billet aux Vanneste et à tous les signataires de cette infâme pétition dont trop de parlementaires UMP se sont encanaillés.

Atypique, original, ambitieux, voilà les mots qui me sautent immédiatement à l’esprit. Il faut beaucoup de courage, de sérieux, pour traiter une histoire d’amour de ce type. Deux hommes, cow-boys, dans l’Amérique profonde se rencontrent, se séparent, se retrouvent et se déchirent.

C’est au paradis, à Brokeba
ck Mountain, lieu de calme et de solitude, où Jack et Ennis vont s’éprendre l’un de l’autre, le temps d’une saison. Une complicité qui se tournera peu à peu en passion destructrice.
Ce n’est que quatre ans plus tard, leurs vies construites, que les retrouvailles se font, qu’un regard rappelle les moments passés ensemble, prélude au dévaste du reste.

De l’ignorance des hommes, ils ne vivront qu’une vie en pointillé où leur relation manque les répliques qui ne savent traduire leurs sentiments, où les chaises vides sont légion, où les vêtements sans corps ont toutes leurs places.

De leurs propres égoïsmes, ils gâcheront la vie de leurs entourages, leurs mariages, parce que ces masques sont trop minces pour se dissimuler la vérité. Le regard des autres est ce qui sépare, ce qui les sanctionne, ce qui les tue. Comme disait Renaud, pour vivre heureux, je vis caché, au fond de mon bistrot peinard, dans la lumière tamisée, loin de ce monde de bavards.

Alors j’irai le revoir, parce qu’il m’a touché, n’en déplaise aux réactionnaires. Seul, n’en déplaise à ceux qui devaient m’accompagner.

L’avis de Chorizoo :

(Sur les blogs pédés, ça va devenir aussi incontournable que la chronique du dernier album de Madonna...)

Comme j'ai zappé ce dernier, il faut bien que j'affronte celui-là ; je veux parler bien sûr de Brokeba
ck Mountain (le secret, on s'en tape !) vu mardi en avant-première (dans une salle quasi-comble, mais – bizarrement ? – pratiquement que des gens normaux, comme vous et moi (hihi) , pas de follasses glapissantes et/ou emperlouzées ouf !)
Bien que vu dans des circonstances un peu spéciales sur lesquelles je ne reviendrai pas (tant mieux pour vous, ô fidèles lecteurs, qui suivez...) et qui m'ont, au moins un peu au début , un chouïa disturbed, je peux vous dire que j'ai vraiment beaucoup aimé ça.

Quand j'avais lu la nouvelle d'Annie Proulx, il y a quelques années (la première du recueil Les pieds dans la boue, livre que j'avais acheté sans rien en connaître, juste grâce à la photo de couverture, et cette première ligne de la quatrième de couv' « l'histoire d'amour de deux cow-boys » ce que je pourrais nommer un achat d'impulsion...) je m'étais dit que ça ferait un sacré film. Le western est un genre crypto-pédé, c'est bien connu, mais retourner le machin comme un gant et en faire une vraie histoire d'amour, ça n'avait encore jamais été fait à ma connaissance... Et plaf ! voilà encore une bonne idée qu'on m'a piqué (Caliméro des bonnes idées...)

J'ai vu le film, je viens de relire les 37 pages de la nouvelle, et une chose est frappante, la fidélité entre le texte original et son portage à l'écran (ouais, hein, feignasse de scénariste qu'a pratiquement rien eu à faire, juste qu'à recopier...) On y retrouve quasiment à la virgule près les lignes de dialogues. Tout est là.

Bon, je ne vous ferai pas l'affront de vous raconter l'histoire (si vous n'en avez pas entendu parler, vous venez peut-être de passer six mois en cure de sommeil...). Ce genre d'histoire d'amour belle-comme-tout-mais-que-fatalement-ça-peut-pas-bien-finir qui ne peut que tournebouler et faire pleurnicher le midinet que je suis (et j'y prenais peut-être ce soir-là un plaisir masochistement encore plus pervers, du fait de la situation particulière de ce soir-là, comme si j'avais eu comme qui dirait un message à faire passer, avec plusieurs i sur lesquels mettre des points. Mais ceci est une autre histoire...)

J'avais au départ, je l'avoue, quelques réticences : les histoires gay vues par Hollywood ne sont pas forcément my cup of tea d'une part, et Ang Lee ne fait pas a priori partie de mes réalisateurs de chevet d'autre part. Plus le fait que la salle était comble (ça, ça doit être mon côté snobinard)...

Trois raisons donc d'être méfiant, mais finalement, pas du tout, ce fut une très agréable surprise (j'étais étonné en sortant, avec mes yeux un peu de lapin russe à trente cinq nuits de chagrin, de voir quelle heure il était : je n'avais simplement pas vu passer ces deux heures et demie...)

Le film est ample, la nature impressionnante, les paysages majestueux, les cieux somptueux, les vieilles bagnoles américaines très photogéniques (je confesse par ailleurs prendre un plaisir pervers à mater des pi
ck-up pourris comme celui de Jack, pour moi c'est ça l'Amérique...)
Les acteurs (faut que je reprenne mon papier, les noms sont « inretenables » et/ou imprononçables) sont très impeccables : Heath Ledger et Jake Gyllenhaal, bourrins bourrinant plus vrai que nature. On parle beaucoup du second (notamment pour les oscars) mais c'est l'autre qui m'a vraiment scotché. Une performance d'acteur (un bémol : dommage que tous les deux aient d'ailleurs bien insisté, lors des interviews de promo, sur le fait que c'était vraiment un rôle de composition, et que, ben vous savez c'est 'achement difficile d'embrasser un autre mec pour de semblant, mais, comme dit Bourvil « Quand on est artiste faut faire tous les genres... ») assez bluffante, tête baissée, bouche fermée ne laissant échapper qu'un vague marmonnement, comme ramassé à l'intérieur de lui-même et ayant peur de voir ce qui s'y passe vraiment. In the closet. Avec mention encore plus spéciale lors des scènes finales (ça c'est du beau mélo, et pourtant, bizarrement, il n'y a rien de plus que ce qui est écrit dans la nouvelle, mais là ça m'a paru encore plus fort, peut-être justement le contraste entre l'intensité de ce qui se passe à l'intérieur de lui, et le rien qu'il laisse affleurer...)

De quoi pardonner les quelques maladresses du film, des traits parfois un peu schématiques gros sabots (la famille de Ja
ck) et surtout ce parti pris de pudeur extrême, comme si le fait d'avoir choisi ce sujet était déjà tellement énorme qu'on (Ang Lee) ne pouvait s'autoriser à être un peu plus démonstratif. Pas de kikis à l'air, donc, mais pas non plus énormément de scènes explicites. Hormis la première fois où Ennis et Jack font l'amour sous la tente, et la scène des retrouvailles viriles dans l'arrière-cour, le voyeur potentiel en sera pour ses frais. (J'avoue ne pas avoir été frustré à ce propos, puisque je savais déjà ce que je venais y chercher, et qu'on pencherait davantage du côté du sublime (la passion) que du trivial (the fuck)...)
Amour contrarié, impossible, malheureux, qui se prolonge sur vingt ans, où l'on ne peut voir l'autre que ponctuellement, à la sauvette, de loin en loin, furtivement, où la distance et la durée exacerbent la souffrance de ne pas pouvoir partager davantage avec l'autre, où il faut dissimuler sa vraie nature dernière une couverture sociale conforme et rassurante, où l'on est surtout seul dans sa tête à ressasser ses frustrations et/ou ses espoirs, ça ne pouvait que me plaire, forcément...

Surtout quand on découvre que celui qui aimait le plus l'autre n'était pas forcément celui qui était le plus capable de l'exprimer. La symbolique du placard a l'avantage de boucler la boucle métaphorique (il restera ad vitam aeternam in the closet).

L'amour, c'est peut-être ça, une carte postale punaisée à l'intérieur d'un placard, et une vieille chemise suspendue à un cintre juste en dessous.

L'amour, la recherche de l'amour, le souvenir de l'amour, (l'illusion de l'amour ?) voui tout à fait dans mes cordes, ça.

Avec, pour terminer, juste une précision, pour les spectateurs non-initiés (oui, oui, ceux qui se sont mis à rire – gênés ? – à la première étreinte ou au premier patin) : deux hommes qui s'aiment, qui font l'amour, primo ça existe (faudrait voir à vous z'y habituer !) et deuzio ça ne se traduit pas uniquement par des enculades féroces et des grognements de grizzly...

Yep ! Le mot tendresse existe aussi dans le dico franco-gay.

« Il y avait
un espace incertain entre ce qu'il savait et ce qu'il voulait croire, mais il n'y pouvait rien, et quand on ne peut rien y faire, il faut vivre avec. » (Annie Proulx)
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